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PHystorique- Les Portes du Temps
18 juillet 2023

Jean I de BROSSE Maréchal de Boussac aux côtés de Charles VII et de Jeanne d'Arc par Marc MICHON

Jean I de BROSSE Maréchal de Boussac aux côtés de Charles VII et de Jeanne d'Arc

L'époque où vécut Jean de Brosse, début du XVe siècle, fut marquée de troubles, de luttes intestines, de guerres étrangères et caractérisée par l'ardeur et la violence des passions ; elle vit s'éveiller le sentiment national et son étude présente -un grand intérêt.

Malheureusement aucun historiographe officiel ne relate les faits de cette période. Froissart est mort vers 1400, les deux grands chroniqueurs, Monstrelet ainsi que le Moine de Saint-Denis, appartiennent au parti bourguignon et nul, dans l'entourage de Charles, dauphin, puis roi, n'enregistre la vie du prince et de ses familiers.

 Le roi resté caché « en ses manières de chambrettes » et, s'efforçant de rester impénétrable à ses contemporains, le demeure bien souvent pour la postérité.

Les matériaux cependant ne manquent pas, mais la plupart des mémoires connus, concernant le parti « français » (ou armagnac), ne sont le plus souvent que des compilations écrites longtemps après les évènements relatés et presque toujours avec beaucoup de désordre

Pour ces raisons les documents que nous avons pu rassembler sur la vie de Jean de Brosse sont assez maigres surtout avant son élévation à la dignité de maréchal.

Les archives familiales, dispersées ou détruites, n'ont permis ni de compléter, ni de préciser les renseignements apportés par les chroniqueurs.

Les seuls documents familiaux retrouvés ont été recueillis par E. Chénon au château de Saintes-Sévère ; ils sont relativement peu importants et ont trait surtout à un procès engagé, après la mort du maréchal, devant le parlement de Poitiers.

 La mère de Jean de Brosse, Marguerite de Malval et Louis de Culant, amiral de France, son cousin, sont les deux antagonistes véhéments de cette lutte judiciaire et extra-judiciaire.

Mieux que les bons serviteurs de l'Etat, les plaideurs semblent assurés de passer à la postérité.

D'autre part, aucun portrait du maréchal n'est connu et la statue, que son fils fit élever sur l'une des tours du château de Boussac, étant depuis longtemps détruite, il demeure impossible d'évoquer même superficiellement l'aspect physique de Jean de Brosse.

Toutefois, quelque brefs et rares que soient les documents que nous avons pu recueillir, ils permettent cependant de faire revivre la figure du loyal et brave serviteur de la chose publique que fut le maréchal de Boussac et de déterminer sa personnalité.

 En plusieurs occasions son action fut capitale, à Orléans et à Compiègne notamment, et pour ces raisons il nous a semblé que la mémoire de Jean de Brosse méritait d'être tirée de l'oubli.

A l'inverse de certains biographes, nom nous sommes efforcé de ne pas exagérer l'importance de notre héros et de ne pas lui accorder une influence décisive dès qu'il apparaît sur la scène.

Nous n'avons rapporté ses actions, louables ou non, qu'autant que des textes irréfutables nous permettaient de le faire.

En l'absence de matériaux sûrs, nous nous sommes contenté de relater les événements auxquels Jean de Brosse fut mêlé. Parfois son rôle semblera effacé et notre héros n'apparaîtra bien souvent que comme un pâle jurant : les documents actuellement connus, et nous le déplorons, ne nous ont permis, ni une plus grande précision, ni un plus large développement sur l'activité du maréchal de Boussac.

Les archives, cependant, ne sont pas toutes inventoriées ; de nombreuses chroniques manuscrites peuvent encore être découvertes et publiées.

Elles permettront peut-être un jour de mieux pénétrer la vie courageuse et la personnalité si sympathique de Jean de Brosse, maréchal de France, dont le nom nous semble digne d'être connu et honoré.

 M. M.

 

 

 

 

 

CHAPITRE I

ORIGINES

En 1375 naissait au château d'Huriel Jean de Brosse, qui devait acquérir la célébrité sous le nom de Maréchal de Boussac.

Son père, Pierre de Brosse, II e du nom, seigneur de Sainte-Sévère, de Boussac, d'Huriel, des Landes et de Reculât, avait épousé vers 1373 Marguerite de Malval, fille et seule héritière de Louis, seigneur de Malval, de la Forêt, de Châteauclop, d'Eguzon et de Janâillac.

La famille des de Brosse, l'une des plus anciennes et des plus puissantes du bas Berry, faisait remonter son origine « au temps que feu monseigneur de Saint-Martial de Lymoges vint en Lymosin pour prêcher la foi catholique ».

Elle descendait de Faucher, vicomte de Limoges en 881.

Avant de passer au XIIIe siècle dans la maison des de Brosse, les seigneuries de Boussac et d'Huriel étaient du domaine des seigneurs de Déols, dont la très puissante famille possédait une grande partie du bas Berry.

Les seigneurs de Déols descendaient, prétendaient-ils, du sénateur gallo-romain Leocadius qui vivait au quatrième siècle.

 Ebbes (ou Eudes) de Déols, qui n'avait que des filles, unit deux d'entre elles à la famille de Brosse.

Vers 1255, Isabelle épousa Hugues, vicomte de Brosse et Marguerite prit pour époux Roger à de Brosse.

« Les deux frères eurent en partage, à cause de leurs femmes, les terres de Boussac et d'Huriel ». Depuis, par partage de biens, la vicomté demeura à Hugues, l'aîné et le puîné, Roger, qui venait de prendre part à la première croisade de Saint-Louis (1248) reçut les terres de Boussac, d'Huriel et de Sainte-Sévère, « tant pour ses droits que pour ceux de sa femme ».

Du mariage de Roger de Brosse avec Marguerite de Déols devait sortir la branchée des seigneurs de Boussac.

L'aîné des fils, Pierre, succéda à son père Roger ; ce dernier, ainsi qu'il l'avait demandé dans son testament, fut enterré devant le grand autel de l'église abbatiale de Prébenoît.

C'est le second des fils de Roger de Brosse, Guillaume, qui eut l'honneur, en qualité d'archevêque de Bourges, de dédier l'église Saint-Etienne.

La cathédrale de Bourges, projetée en l'an 1182, venait enfin d'être achevée, près d'un siècle après le commencement des travaux.

Des générations, pleines de piété, avaient, pendant tout le cours du XIIIe siècle travaillé à sa construction.

La cathédrale Saint-Etienne s'élevait sur l'emplacement de l'ancienne basilique dont le terrain avait été donné aux premiers chrétiens du Berry par le sénateur Leocadius dans la première partie du quatrième siècle.

Ainsi l'honneur d'inaugurer la nouvelle basilique fut réservé à Guillaume de Brosse, qui, par sa mère, Marguerite de Déols, descendait du sénateur gallo-romain, donateur de la première basilique.

Débordant l'emplacement primitif qui jouxtait les remparts, la cathédrale avait largement dépassé le mur d'enceinte ; aussi le chœur de Saint-Etienne était-il traversé par l'ancien mur des fortifications de l'époque gallo-romaine.

Le dimanche avant la Saint-Nicolas d'été, c'est à dire le 5 mai, en l'an 1324, Guillaume de Brosse dédia l'église.

« Aucun détail, écrit Raynal, l'historien du Berry, ne nous est parvenu des pompeuses cérémonies qui durent accompagner l'inauguration de la nouvelle basilique ».

Mais tandis que le cadet des fils de Roger de Brosse, Guillaume, entrait dans l'histoire en dédiant la cathédrale de Bourges, Pierre, l'aîné, connaissait de sérieux ennuis. Il s'agissait d'une contestation relative au fief de Sainte-Sévère.

Les de Brosse tenaient ce fief du seigneur de Châteauroux qui devait en faire hommage au roi de France.

Mais Guillaume de Chauvigny, le seigneur de Châteauroux, comme tous ceux de sa maison, avait toujours préféré la suzeraineté du roi d'Angleterre, plus avantageuse, à celle du roi de France et faisait hommage du fief de Sainte-Sévère au comte de la Marche, vassal de l'Anglais.

En 1280, sur la plainte de Roger de Brosse, dont la châtellenie descendait d'un degré dans la hiérarchie féodale, le Parlement avait été saisi de la question.

Malgré les droits certains du roi de France, en 1285 le Parlement confirma le comte de la Marche dans la possession du fief contesté.

Pierre de Brosse, après la mort de son père, reprenait la question et courait se plaindre au roi de France, Philippe le Bel, se faisant fort de prouver que Guillaume de Chauvigny devait l'hommage du fief de Sainte-Sévère au roi de France et non au comte de la Marche.

Il offrait de prendre à sa charge tous les frais du procès, à la condition que, s'il parvenait à recouvrer le fief de Sainte-Sévère au bénéfice du roi de France, ce dernier le tiendrait quitte de toute sujétion féodale envers le seigneur de Châteauroux.

Le roi en fit la promesse.

Mais le vendredi après la Chandeleur, en l'an 1308, Guillaume de Chauvigny, craignant les conséquences du procès, se présenta spontanément devant les juges du roi tenant sa cour de parlement.

Il reconnut son erreur et déclara que c'était par ignorance qu'il avait porté au comte de la Marche l'hommage qu'il devait au roi de France, ainsi que le prouvaient les chartes anciennes qu'il avait retrouvées et dont, prétendait-il, l'existence ne lui était pas connue antérieurement.

Le seigneur de Châteauroux fit agir ses influences auprès du roi de France et Philippe le Bel, oubliant les promesses qu'il avait faites à Pierre de Brosse, rendit la suzeraineté du fief de Sainte-Sévère au seigneur de Châteauroux.

Pierre de Brosse ne se tint pas pour battu.

 A nouveau il assigna Guillaume de Chauvigny devant le Parlement. Le seigneur de Châteauroux présenta les lettres de donation du roi, scellées de cire verte. Pierre de Brosse n'avait pas de titres à montrer ; il se contenta de rappeler la promesse du roi de France en évoquant, de façon très précise, les conditions dans lesquelles cette promesse avait été faite.

Consulté par le Parlement, le roi se souvint parfaitement de ce qu'il avait promis et ordonna de faire droit à la demande du seigneur de Sainte-Sévère.

En conséquence, le jeudi après la Saint-Barthélémy, c'est-à-dire le 17 juin, en l'an 1311, le Parlement rendit son arrêt, déclarant que « nonobstant la donation faite à Guillaume de Chauvigny (donation où par prudence les droits d'autrui avaient été réservés), le fief de Sainte-Sévère était exempté de toute sujétion envers Guillaume de Chauvigny et ses successeurs, et que désormais il relèverait directement, et cette fois définitivement, de la couronne de France ».

Et depuis cet arrêt la seigneurie de Sainte-Sévère fut classée parmi les fiefs mouvants « de la grosse tour et ville royale d'Issoudun ».

Pierre de Brosse qui mourut en 1315 fut enterré dans l'église Saint-Martin d'Huriel et son fils Louis lui succéda dans ses seigneuries.

Vers 1339 la guerre commença avec l'Angleterre et Louis de Brosse combattit en Saintonge  contre les Anglais.

Le 26 août 1346 les Français subirent le désastre de Crécy.

La peste joignit bientôt ses ravages à ceux de la guerre.

Au cours de l'été de 1356, le prince de Galles, parti de Bordeaux, arriva devant Bourges, après avoir saccagé l'Auvergne.

Le feu avait détruit entièrement en 1353 la capitale du Berry, ne respectant que la cathédrale Saint-Etienne, à peine consacrée, ainsi que le palais épiscopal.

 Les Anglais mirent le siège devant la ville et faillirent y pénétrer par trahison. Mais, découvert à temps, le complot fut déjoué et, bientôt, après de « brillantes apertises d'armes », le prince de Galles dut renoncer à pénétrer dans une ville si bien défendue.

Il leva le siège et se dirigea vers Issoudun.

 

Après avoir rassemblé une importante armée, Jean le Bon, roi de France, partit de Loches pour tenter de couper la retraite au prince de Galles.

 Ce dernier s'établit dans une position très forte et résolut d'accepter le combat.

 Et le lundi 19 septembre, fut livrée la funeste bataille de Poitiers, dont Froissart a fait un admirable récit.

Louis de Brosse, grand-père paternel du futur maréchal de Boussac, fidèle au roi de France, combattait à ses côtés.

Ainsi que les deux cents seigneurs entourant Jean le Bon, il obéit à l'ordre du roi, qui au moment décisif, par un funeste esprit de chevalerie, fit mettre pied à terre à tous ses chevaliers. « Petit s'ensauvèrent, écrit Froissart, de ceux qui descendirent à pied sur le sablon, auprès du roi leur seigneur ».

 

Comme le duc de Bourbon, comme Guillaume de Linières et tant d'autres chevaliers, Louis de Brosse fut mortellement frappé.

Son corps fut déposé provisoirement au couvent des frères mineurs de Poitiers, tandis que le roi de France, Jean le Bon, prisonnier du Prince Noir, prenait le chemin de l'Angleterre.

Le seigneur de Boussac, de Sainte-Sévère et d'Huriel, laissait deux fils qui devaient lui succéder : Louis II et Pierre II.

Arrêtés un court instant par le traité de Brétigny, qui avait mis les Anglais en possession du Poitou et du Limousin, les hostilités reprirent bientôt et le Berry, pays frontière, connut à nouveau les horreurs de la guerre.

Le château de Brosse, qui appartenait à Guy de Chauvigny, fut emporté d'assaut par les Anglais, pillé et démantelé.

Les coups de main se succédaient sans arrêt. Les compagnies d'aventuriers, au service du Prince Noir, guettaient toutes les occasions de gloire et surtout de pillage.

Trois d'entre eux, pleins d'audace et avertis par des espions, avaient enlevé le château de Belleperche-en-Bourbonnais, qui abritait Ysabeau de Valois, mère de Louis II, duc de Bourbon et mère de la reine de France.

Ils prirent le château, « ayec la mère à la Royne de France qui est oit dedans ».

La même nuit, raconte Froissart, par surprise, les compagnies du Prince Noir s'emparèrent du château de Sainte-Sévère et donnèrent la forteresse à messire Jean d'Evreux, sénéchal du Limousin.

Ce dernier s'empressa d'installer dans cette dernière une forte garnison, composée « de grand'foison de bons compagnons, qui tous avaient couru, pour le temps, sur le païs d'Auvergne et de Lymosin, et fait moult de dommages et de détourbiers ».

Cette garnison au lieu de démanteler la forteresse et de raser les murs, la remit en état et en renforça considérablement la défense.

Le duc de Berry et le duc de Bourbon s'étaient rendus « à grand'foison de gens d'armes d'Auvergne, de Berry et de Bourgogne, sur les marches de Lymosin » afin de mettre un terme au pillage et aux coups de main des Anglais.

La lutte depuis deux années se poursuivait opiniâtre ; Limoges avait été reprise puis reperdue. Sainte-Sévère restait entre les mains des Anglais, qui poursuivaient leurs rapines à travers tout le pays environnant.

Pour mettre fin à ses pillages, le duc de Berry résolut de reprendre Sainte-Sévère et, dans ce but, fit appel à Du Guesclin qui venait de recevoir, de la main du roi, l'épée et le marteau de connétable de France.

Sire Bertrand, « qui estait moult imaginatif, sage et fort subtil en toutes ses besognes », renonça au projet qu'il avait forme d'attaquer Poitiers, solidement tenu par les Anglais et se rendit à Sainte-Sévère en passant par Montcontour qu'il prit d'assaut.

Il retrouva le duc de Berry près de Montmorillon que le prince venait d'enlever aux Anglais.

 

Bientôt les hommes de guerre du duc et du connétable se trouvèrent rassemblés devant Sainte-Sévère et y mirent le siège.

Ce fut un siège mémorable, « dont les chroniqueurs et les trouvères, écrit E. Chenon, nous ont laissé de longs récits ».

 Froissart, en deux chapitres de ses Chroniques, raconte « Comment messire Bertran se partit de Montcontour, pour venir devers le duc de Berry qui se tenait en Limosin, et comment ils assiègèrent Sainte-Sévère », puis « Comment ceux de Sainte-Sévère, durant un moult fort assaut, se rendirent à messire Bertran du Guesclin ».

Dans un long poème en vers, dont parurent de nombreuses traductions en prose, le trouvère Cuvelier chante, en longues tirades monorimes, selon le goût du temps, les exploits du connétable et relate longuement le siège de Sainte-Sévère.

Dans La Vie de Louis II, duc de Bourbon, Cabaret d'Orronville fait un long récit du siège, plein d'intérêt, mais où le héros du livre se trouve toujours au premier rang et se distingue comme le plus brave entre les plus braves.

Les chroniqueurs citent les noms de nombreux seigneurs qui combattaient aux côtés des ducs de Berry et de Bourbon, sous les ordres du connétable ; aucun d'entre eux ne relate la présence des seigneurs de Sainte-Sévère. Mais bien que l'histoire ne l'enregistre pas, leur présence parmi les assiégeants est cependant probable, car on sait que Pierre II et Louis II de Brosse servaient en Nivernais sous les ordres du maréchal de Sancerre pendant l'année 1368 et en Limousin au cours de l'année 1371 ; c'est-à-dire l'année précédant le siège de leur château qui eut lieu en 1372.

Les Berruyers, les Bourguignons, et les Bretons rivalisèrent d'audace au cours de l'assaut et la ville de Sainte-Sévère fut prise et « conquestée ».

La garnison prisonnière se composait d'Anglais et de Français ; les premiers selon les lois de la guerre, furent libérés contre rançon, les seconds, considérés comme traîtres, furent pendus.

L'esprit national venait de naître ; le temps de la chevalerie était révolu.

Et, grâce au gentil connétable, le légitime seigneur de Sainte-Sévère rentra en possession de son château.

Du Guesclin continua sa campagne avec le même succès et la termina, le 21 mars 1373, par la victoire de Chizé qui rendait le Poitou au roi de France.

A partir de cette époque les, Anglais furent peu à peu chassés de France où il ne leur resta plus bientôt que Calais, Brest, Bordeaux et Bayonne.

Le Berry fut alors délivré des menaces que l'ennemi avait fait peser sur lui ; les seigneurs de Boussac et Sainte-Sévère purent déposer leurs armures et songer à s'établir.

Leur sœur, Isabelle de Brosse avait épousé en 1365 Guichard de Culant, seigneur de Saint-Amand, de Dervant, de la Creste et de Chaugy, Capitaine de Chalucet en Guyenne.

Isabelle donna deux fils à Guichard de Culant, Jean qui succéda à son père dans sa seigneurie et Louis qui illustra le nom de la famille sur tous les champs de bataille ; Louis de Culant, cousin germain du maréchal de Boussac devait être l'un de ses plus fidèles compagnons de guerre, le roi « l'honora de la charge d'admirai de France » en 1422.

 

Louis II de Brosse, l'aîné, s'unit à Marie de Harcourt et Pierre II de Brosse épousa, vers 1373, Marguerite de Malval.

C'est de cette dernière union que devait naître Jean de Brosse, le futur Maréchal de Boussac.

La famille de la mère de Jean de Brosse était aussi puissante, aussi illustre que celle de son père.

La seigneurie de Malval, l'une des plus importantes du comté de la Marche, s'étendait entre la châtellenie de Guéret, celle de Crozant et le Berry et occupait une surface considérable. Mais plus encore qu'à l'étendue de ses domaines, le seigneur de Malval devait le haut rang qu'il occupait dans la hiérarchie féodale à son titre de baron.

Comme la plupart des familles féodales, dont il est difficile de pénétrer avec précision les origines, la famille de Malval apparut dans l'histoire entre le XIe et le XIIe siècle.

« Ce fut en l'année 1038, écrit Jouilleton, que du consentement de sa femme, Dea de la Quille et de son fils Amiel, Albert de Chambon fonda le prieuré de Malval, dans un territoire appelé Alpo, qui s'étend jusqu'à la Petite-Creuse ».

Lorsque fut fondée en 1140, sur les confins de la Marche et du Berry, l'abbaye de Prébenoit, de l'ordre de Citeaux, apparaît le nom des seigneurs de Malval. « L'abbaye de Pré-Benoit, écrit Denis de Sainte-Marthe, fut fondée par les seigneurs de Malval en 1140 et enrichie par les vicomtes de Brosse ».

Déjà les noms de Brosse et de Malval sont associés. C'est dans cette abbaye de Prébenoit, que le maréchal de Boussac, à la fin de sa vie de bons et loyaux services, fut enterré comme il l'avait demandé dans son testament.

Depuis la fondation de l'abbaye, l'histoire enregistre sans défaillance le nom des différents seigneurs de Malval : Amélius, Aubert, Guillaume-Aubert, Aubert III, Philippe, Aubert IV et Dauphin.

Ce dernier, n'ayant que des filles, en maria une, Galienne, à son cousin Louis de Malval, descendant de la branche cadette. Louis de Malval, héritier de la seigneurie, n'eut qu'une fille de son mariage avec Galienne ; c'était Marguerite qui devait épouser Pierre II de Brosse et être la mère de Jean de Brosse, futur maréchal de Boussac.

Comme le grand-père paternel de Jean de Brosse, son grand-père maternel, Louis de Malval, s'illustra dans la guerre contre les Anglais ; comme lui, il assista à la bataille de Poitiers et comme lui il figurait parmi les deux cents chevaliers qui entouraient le roi Jean le Bon.

Mais Louis de Malval eut la chance d'échapper à la mort ; il fut fait prisonnier. Au plus fort de la mêlée, il avait fait un vœu. Il s'engageait, s'il échappait sain et sauf, à payer dix livres de rente à Notre-Dame-du-Puy de Bourganeuf.

Mais le danger passé il oublia sa promesse. Il n'y songea que quarante ans plus tard, à son lit de mort.

Dans une clause de son testament, Louis de Malval enjoignait à ses exécuteurs testamentaires d'assurer une rente de dix livres à Notre-Dame-du-Puy, et d'asseoir « la dite rente dedans un an après son décès, sur sa terre de Chastellux », et de payer les arrérages des dites dix livres de rente « depuis la bataille en ça ».

 

Les Anglais avaient tant fait de prisonniers à Poitiers, qu'ils étaient impuissants à les garder.

Ils durent les mettre en liberté sur parole « à condition de retourner, dedens le Noël ensievant à Bourdiaus sus Geronde », s'ils n'avaient pas payé leur rançon dans l'intervalle.

Louis de Malval revenu dans la Marche ne retourna pas à Bordeaux mais mit son château en état de défense et y installa une garnison de 25 hommes d'armes dont il prit le commandement, qu'il gardait encore le 25 août 1358. L'histoire ne dit pas s'il paya loyalement sa rançon.

A la mort de son beau-père, Dauphin de Malval, Louis devint seigneur de Malval en 1365.

 A la même époque mourait à Malval, où elle s'était réfugiée, Héliotte de Prie, parente de Louis et de sa femme Galienne. Cette dame, fille de Jean de Prie et de N. de Brosse, avait époùsé successivement Pierre de Naillac, seigneur de-Gargilesse et du Bouchet, puis Artaud d'Ussel.

N'ayant pas eu d'enfant de ses deux mariages, elle fit don à Louis de Malval de toutes ses terres et notamment de la seigneurie de Château clop, l'une des trois vicomtés de la Marche, dont elle était devenue dame à' la mort, sans postérité, de son frère Jean de Prie, mari de Jeanne d'Auberive.

Bientôt la guerre recommença avec les Anglais et vers 1369, à l'époque où ces derniers s'emparaient de Sainte-Sévère, Jean Chandos, chef important de l'armée ennemie, tenta d'enlever l'abbaye de Saint-Savin défendue par un chevalier marchois, Louis de Saint-Julien, neveu de Louis de Malval.

Chandos échoua dans son entreprise et fut tué le mardi 1er Janvier 1370 au pont de Lussac sur la Vienne.

En raison des circonstances et des traités, les seigneurs marchois furent appelés à prendre parti soit pour le roi d'Angleterre, soit pour le roi de France.

Le grand-père maternel du futur maréchal de Boussac n'hésita pas et malgré les réticences de son suzerain, Jean de Bourbon, comte de la Marche, refusa de rendre hommage au prince de -Galles. « ...les deux autres Bannerets de Limosin et grands seigneurs malement, messire Louis de Malval et messire Raymont de Mareuil son neveu, qui pour le temps se tenaient à Paris, se tournèrent Français, et firent depuis par leurs forteresses grand guerre au prince.

De quoi le roi d'Angleterre et son conseil étaient moult courroucés ».

 Néanmoins, Edouard III, par un acte daté de Westminster, le 15 novembre 1370, accorda amnistie pleine et entière à « ses féaux, sujets et amis, tant prélats comme gens d'église, universités, collèges, évêques, comtes, vicomtes, barons, chevaliers et communautés, et gens des cités et bonnes villes », qui, « par mauvaise information ou povre avis » s'étaient rangés à l'opinion de son adversaire le roi de France.

Ces lettres du roi d'Angleterre furent apportées en France par deux chevaliers et, « proprement les copies envoyées secrètement à Paris devers le vicomte de Rochechouart, le seigneur de Malval, le seigneur de Mareuil et les autres qui là se tenaient, ou ailleurs à ceux qui Français retournés s'étaient ».

« Mais pour chose que ces lettres eussent été envoyées, je n'ouïs point dire que nul en laissât pour ce à faire à son intention ».

 Louis de Malval, en effet, demeura inébranlable et en mai 1370 rejoignit l'armée du duc de Berry qui vint mettre le siège devant Limoges.

 La ville se rendit et le prince de Galles en fut « moult courroucé ». Avec 1.200 lances, il vint à son tour assiéger la capitale du Limousin.

Du Guesclin, avec 200 lances, tenait la campagne ; par prudence, la nuit, sire Bertrand abritait ses troupes dans les forteresses appartenant aux seigneurs « qui estoient tournés Français, à monseigneur Louis de Malval, à monseigneur Raymont de Mareuil et aux autres ».

Après un long siège, Limoges succomba ; les Anglais incendièrent la ville et massacrèrent plus de 3.000 habitants.

Avant de quitter le Limousin, le prince de Galles qui « estoit moult courroucé contre le seigneur de Malval vint ardir une partie de sa terre ».

La forteresse de Châteauclop fut rasée (1) ; elle ne se releva jamais de ses ruines.

Lorsque les Anglais furent chassés de France et que la paix fut revenue, le seigneur de Malval dut se retirer dans ses terres, car l'histoire ne parle plus de lui.

Il n'avait pas de fils et devait se montrer fort inquiet de ce que deviendraient après lui ses vastes domaines.

Vers 1373 Louis de Malval unit sa fille unique, Marguerite, à Pierre II de Brosse.

Le jeune Jean de Brosse qui devait naître de cette union connut le privilège rare, en cette époque troublée, de ne compter parmi ses ascendants, tant maternels que paternel, que des seigneurs restés indéfectiblement fidèles aux fleurs de lys.

Nul doute que de telles traditions n'aient influencé profondément la destinée du futur Maréchal de Boussac.

 

 

CHAPITRE II

LA FRANCE

pendant l'enfance de Jean de Brosse

Tandis que- Jean de Brosse, enfant « bel et doucet et très plaisant à nourrir », croissait en grâce et en beauté, les événements qui se déroulaient en France pendant les premières années de sa vie devaient contribuer à son éducation au moins autant que l'enseignement qu'il recevait de ses parents et, de ses maîtres. L'histoire est bien « la maîtresse de la vie ».

Au cours de l'été 1380 le connétable Du Guesclin tombait malade, tandis qu'il mettait le siège devant Châteauneuf de Randon, forteresse des Cévennes, située entre Mende et Le Puy.

Le capitaine anglais qui commandait la place s'était engagé à rendre la forteresse à jour fixe, s'il n'était pas secouru.

Le 13 juillet l'échéance tomba et Du Guesclin, agonisant, reçut sur son lit de mort, des mains du capitaine anglais, fidèle, à sa parole, les clefs de la ville assiégée.

La mort du connétable provoqua dans toute la France une douleur immense et un deuil national.

Le roi qui, mieux que tout autre, mesurait l'étendue de la perte que venait de subir le pays, se fit l'interprète de la douleur ressentie par tous ses sujets.

Charles V fit rendre au connétable les honneurs réservés aux rois.

Lentement, à travers toute la France, parmi la foule partout empressée à manifester au valeureux soldat l'hommage de son admiration et de sa reconnaissance, les restes de Du Guesclin furent- transportés à Saint-Denis.

L'admirable serviteur de la France, « sire Bertrand; », comme on l'appelait, le rude guerrier à l'âme tendre, sensible aux misères des petites gens, le libérateur du territoira, fut inhumé parmi les sépultures royales, au pied même du tombeau que Charles V avait fait édifier de. son vivant.

Le convoi du connétable ne passa pas très loin d'Huriel et Jean de Brosse, dont l'intelligence commençait à s'éveiller — il avait cinq ans — dut être touché par l'émotion qui étreignit tous les Français à la mort du- grand soldat.

Et sans doute, au cours, des longues veillées d'hiver, devant la grande cheminée dans la salle commune du château d'Huriel, on devait conter au jeune de Brosse les exploits légendaires de messire Bertrand, qui, à dix-sept ans, au cours d'une joute, avait culbuté, l'un après l'autre, quinze adversaires renommés entre tous pour leur valeur.

Charles V ne survécut que quelques semaines au grand soldat qui l'avait si bien servi.

Ainsi s'éteignaient, à deux mois d'intervalle, les deux hommes qui avaient libéré la France.

Refusant aux Anglais les batailles rangées, où les Français se montraient inférieurs, Charles V et Du Guesclin avaient imposé à l'ennemi une guerre d'usure, lui enlevant, une à une, toutes les forteresses dans lesquelles il s'accrochait et le harcelant sans répit.

L'armée anglaise fondait rapidement au cours de ses randonnées à travers le pays, assaillie par la faim, la maladie et le découragement.

 Sur mer, Jean de Vienne, amiral de France, partant de l'arsenal qu'il avait établi près de Harfleur, au « Clos des Galées », rendait précaires les communications des Anglais à travers la Manche ; bien plus, il faisait peser une lourde menace d'invasion sur les côtes de l'Angleterre et, remontant la Tamise, semait la panique dans Londres même.

Moins sans doute que du connétable, Jean de Brosse dut entendre parler du roi défunt, pour lequel la noblesse féodale avait assez peu d'estime.

Charles V, à la figure pâle et maladive, dont le corps débile né pouvait supporter le poids de l'armure, dont la main, toujours enflée, ne pouvait même pas manier la lance, n'avait jamais, comme son père et son grand-père, accompli de prouesse sur les champs de bataille.

Mais, loin d'être une faiblesse, la débilité physique de Charles devait assurer le salut de la France.

Au lieu d'ambitionner la gloire d'un « chevalereux », Charles voulut être roi ; au lieu de fortifier ses muscles, il développa son intelligence. Sa faiblesse physique eut pour conséquence la modification de la tactique militaire française et son intelligence lui permit de devenir le véritable directeur de son armée. Sans participer au combat, Charles V, par la supériorité de son esprit, sut remporter des victoires et reconquérir ce, que son père et son grand-père avaient perdu, malgré leurs exploits individuels ou peut-être même à cause d'eux.

Son amour pour les lettres et les arts mérita à Charles V le nom de sage.

 « Entendant complètement son latin, et suffisamment sachant les règles de grammaire, laquelle chose plût à Dieu que fût ainsi accoutumée chez les princes... » , il avait fait traduire par des érudits Aristote, Tite-Live, Saint-Augustin et beaucoup d'autres.

Faisant rechercher tout ce qu'il pouvait de livres, à une époque où ils étaient rares, il fit construire dans le « chastel » du Louvre une tour pour les y abriter.

 Et bientôt la « Tour de la Librairie », ainsi qu'elle fut appelée renferma plus de neuf cents volumes.

Le roi Charles V fut le fondateur de la bibliothèque royale. Le monarque « durement sage et subtil » ainsi que l'écrivait Froissart, contribua à développer le goût des lettres dans son royaume.

Son influence s'exerçait sur toute l'Europe. Charles V avait tiré la France des profondeurs où elle roulait et l'avait hissée au sommet de la chrétienté.

Ainsi deux grandes figures dominèrent les premières années de Jean de Brosse ; celle de la loyauté, de la valeur physique et morale chez le connétable ; celle de la subtilité et de l'intelligence cultivée chez le roi ; et, aussi bien chez l'un que chez l'autre, la fermeté de caractère, vertu si rare au pays de France.

Enfin l'âme de celui qui devait être un jour le maréchal de Boussac dut être effleurée dès cette époque par les premières manifestations de l'esprit national qui commençait à s'éveiller.

Charles, le dauphin, n'avait que douze ans à la mort de son père. Les oncles du jeune roi Charles VI, qui devait régner 42 ans, le prirent « en bail ».

C'étaient les ducs d'Anjou, de Berry, de Bourgogne, frères du feu roi et le duc de Bourbon, son beau-frère.

« L'enfant est jeune et de léger esprit et aura besoin qu'il soit gouverné de bonne doctrine », avait dit Charles V. mourant, à ses frères. Mais les princes, loin de songer à l'accomplissement de la recommandation royale, loin de penser à l'intérêt du pays, ne songeaient qu'à satisfaire leurs intérêts égoïstes, leur ambition de pouvoir et d'argent ; ils faillirent ensanglanter Paris dans leurs disputes pour la conquête de l'autorité. Chacun d'eux ne songeait qu'à son apanage.

Ils eurent vite épuisé le trésor qu'avait patiemment amassé Charles V et tentèrent aussitôt de rétablir les impôts que celui-ci avait abolis dans son testament.

Le peuple ne voulut pas se laisser arracher le bénéfice des dernières volontés du monarque défunt. Un esprit nouveau soulevait les villes et les campagnes.

 Dans une réunion de métiers, un cordonnier déclarait : « N'aurons-nous jamais de repos ? L'avarice de nos seigneurs n'aura-t-elle jamais de bornes ?.. ».

A cette époque, non seulement à Paris, non seulement en France, mais dans toute l'Europe occidentale le principe d'autorité qui régissait depuis plusieurs siècles les nations féodales commençait d'être attaqué tant sur le plan politique que sur le plan religieux.

En Flandre le peuple de Gand s'était révolté contre son seigneur ; les travailleurs anglais se soulevaient ; en même temps qu'à Paris, de véritables révoltes éclataient à Rouen, à Amiens, à Reims, à Béziers.

Les seigneurs, inquiets de la fureur populaire, violente mais fugitive, réprimèrent durement les soulèvements. -

Parmi toutes les révoltes, celle qui opposait les Gantois à leur seigneur, le Comte de Flandre, Louis de Male, eut aussi bien en France qu'en Europe le plus de retentissement.

La lutte, meurtrière, durait depuis plus d'une année, lorsque les « sires de la fleur de lys », parvenus à se mettre d'accord, après s'être partagés la France, réunirent une importante armée, et mirent le jeune roi à sa tête.

Au début de 1382 cette armée écrasa la révolte insurrectionnelle de Rouen qui durait depuis plus de quatre mois.

Puis le jeune roi, rentré à Paris après une sorte de transaction avec les bourgeois de cette ville, fit arrêter et exécuter quelques- uns des « maillotins » qui s'étaient révoltés. Mais toute l'attention se concentrait sur les Gantois qui venaient d'écraser la noblesse flamande. En quelques jours toute la Flandre s'était tournée en faveur des Gantois.

 

Le duc d'Anjou était parti vers son royaume die Sicile, lesté de tout l'or qu'il avait pu rassembler, arracher, voler.

Le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, gendre et héritier du comte de Flandre, Louis de Male, décida sans peine le petit roi de France à se porter au secours des seigneurs flamand. Toute la noblesse française, mesurant le danger qui la menaçait par répercussion, accourut à l'appel du prince et marcha contre « cette ribaudaille, par qui menaçait d'être honnie et détruite toute chevalerie et gentillesse, par conséquent sainte-chrétienté ».

La campagne commença les premiers jours de novembre.

Charles VI, qui avait quatorze ans, transporté de joie et d'orgueil, marchait à la tête de l'armée. Par un coup de main audacieux, les Français forcèrent le passage de la Lys à Comines et marchèrent sur Ypres.

Artevelde, qui commandait les Gantois se porta à la rencontre de l'armée française ; il la trouva rangée en bataille aux environs de Roosebeke.

Peu initié à l'art de la guerre, Artevelde qui espérait vaincre de la même façon qu'à Beverholt, lança contre les chevaliers de la fleur de lys ses cinquante mille fantassins, bardés de fer, serrés au coude à coude, les bras liés pour ne pas rompre leurs rangs.

Mais l'armée française manifesta plus de talent que n'en avait montré la noblesse flamande à Beverholt. Formés aux leçons de Du Guesclin, les chevaliers français déployèrent de grandes qualités guerrièrès et de brillantes facultés de manoeuvre.

L'armée française laissa la masse des Gantois s'engouffrer dans son centre, puis la débordant par les ailes, l'enveloppa entièrement.

Et ce fut le massacre. Les Gantois furent écrasés dans une bataille sans merci ; les blessés étaient achevés « non plus que des chiens » et les hérauts d'armes rapportèrent qu'ils avaient compté dans la plaine plus de vingt-six mille cadavres, non compris les fuyards tués au cours de la poursuite.

Le jeune roi, Charles VI aurait voulu pousser jusqu'à Gand, mais ses oncles le ramenèrent à Paris où ils avaient hâte d'exploiter leur victoire.

L'histoire ne rapporte pas si le père et l'oncle du jeune Jean - de Brosse assistaient à la bataille de Roosebeke, où la grande majorité des chevaliers français avait combattu ; on peut cependant le supposer.

Quoiqu'il en soit, le futur maréchal de Boussac, qui venait d'avoir sept ans dut en entendre longuement parler car les récits de la bataille contre les Gantois alimentèrent longtemps les conversations dans toutes les demeures seigneuriales françaises.

Autant que les récits guerriers, la formation religieuse contribuait à modeler l'âme d'un enfant, en cette fin du quatorzième siècle, où la foi était encore si profonde.

Mais depuis 1378 l'église traversait une période de trouble et de déséquilibre ; deux papes avaient été élus, c'était le début du Grand Schisme qui ébranla si profondément l'autorité pontificale.

Les chrétiens étaient partagés en deux camps : l'Italie, l'Allemagne et l'Angleterre reconnaissaient le pape de Rome, Urbain VI, tandis que la France et ses alliés, la Lorraine, l'Ecosse, Naples et la Castille s'étaient tournés en faveur du pape Clément VII qui s'était fixé à Avignon. Qui était le vrai pape ? Nul ne le savait.

Les deux papes s'excommuniaient réciproquement, excommuniaient les partisans du parti adverse.

Le clergé était divisé et les fidèles en arrivèrent à douter de la valeur des sacrements délivrés par les prêtres urbanistes ou clémentistes. Les théologiens, toutefois rassurèrent bien vite les chrétiens inquiets : « il suffisait, déclaraient-ils, que les fidèles fussent de bonne foi dans leur choix pour que les sacrements reçus par eux fussent valables devant Dieu ».

Lorsque Jean de Brosse eut atteint l'âge de sept ans il fut retiré de la main des femmes pour passer dans celle des hommes et commencer son éducation virile.

Des événements qui s'étaient déroulés au cours de ses premières années, le plus important à ses yeux d'enfant fut certainement la mort du connétable Du Guesclin, à la figure légendaire, qui, à peine dix ans plus tôt, était venu mettre le siège devant le château de Sainte-Sévère et que le père et l'oncle de l'enfant avaient très bien connu.

Mais le trouble apporté dans l'église par le Grand Schisme, les rivalités égoïstes des princes à la mort de Charles V, la révolte des villes et des campagnes écrasée à Roosebeke, durent aussi, quoique à un moindre degré, influencer l'esprit de l'enfant qu'était encore le futur maréchal de Boussac.

 

 

CHAPITRE III

- ENFANCE - ADOLESCENCE

L'histoire donne très peu de détails sur l'enfance du maréchal de Boussac Il fut élevé au château d'Huriel en compagnie de ses soeurs Catherine, Blanche et Marguerite.

Son père, de l'avis de tout le monde « était un seigneur doux et paisible » ; ¡mais sa mère avait le caractère difficile. « C'était, disait-on, une femme de grand courage, austère et pleine de volonté » ; c'est à dire qu'elle se montrait fort entreprenante et violemment autoritaire. « En toutes besognes, elle se gouvernait à son seul et singulier plaisir, en ensuivant sa volonté plus que de raison ».

Assurément, Marguerite de Malval ne devait pas être une femme de caractère facile et le jeune Jean de Brosse dut assister bien souvent à des scènes violentes entre son père et sa mère.

L'harmonie, si elle y avait régné un jour, ne subsista pas longtemps dans le ménage. Marguerite de Malval « mena si dure vie » au paisible Pierre de Brossé que les époux durent se séparer.

Tandis que Pierre de Brosse demeurait dans sa seigneurie d'Huriel avec ses enfants, sa femme partit habiter Paris. Peut-être emmena-t-elle en sa compagnie sa fille Blanche qu'elle préférait à ses autres enfants.

En 1385, le roi de France, qui voulait opérer un débarquement sur les côtes d'Angleterre, donna l'ordre aux seigneurs français, à Louis II et Pierre II de Brosse, en particulier, de se rendre près de lui.

Les deux frères partirent aussitôt. Ils furent reçus à Senlis, le 24 Octobre ; le premier avec deux chevaliers et douze écuyers, le second avec sept écuyers seulement.

Jean de Brosse dut être enthousiasmé par le départ de son père et de son oncle pour la guerre.

Peut-être regretta-t-il son jeune âge — il avait dix ans — qui lui interdisait de les accompagner.

En raison des retards invraisemblables, dus au duc de Berry, généralement attribués à sa couardise, l'entreprise n'eut pas de suite ; la mauvaise saison, avec les tempêtes qu'elle entraînait, rendait la traversée périlleuse.

L'armée assemblée fut licenciée et les seigneurs de Brosse retournèrent dans leurs terres.

Aussitôt après leur retour, les deux frères se décidèrent à partager la succession de leur père, restée dans l'indivision.

 Louis, l'aîné, garda pour lui Sainte-Sévère et Boussac ; il abandonna la seigneurie d'Huriel à son frère.

Ce dernier, Pierre, reçut en outre deux cents livres annuelles pour lui tenir compte de la terre de Reculat démembrée d'Huriel et aussi trois cents livres, jusqu'à la mort de leur mère, née Constance de la Tour d'Auvergne (elle était remariée à Philibert de Lépinasse, seigneur de La Clayette) pour tenir compte des droits de dette dernière sur les terres d'Huriel.

Le douaire de Constance de La Tour, lors de son mariage avec le seigneur de Brosse, « avait été réglé à 700 livres de rentes, outre sa demeure dans le château d'Huriel ». Elle mourut en 1392.

L'acte qui mettait fin à l'indivision entre les deux frères, Louis et Pierre de Brosse, fut signé le 16 Décembre 1387, le lundi après la fête de la Sainte-Lucie.

Tandis que son père et son oncle réglaient ainsi la succession de son grand-père, les jeux restaient encore la principale occupation du jeune Jean de Brosse.

Quels étaient-ils ? Ces jeux « devaient être commencement de choses qui peuvent signifier chevalerie ».

Jean assemblait les enfants de son âge et attaquait les collines proches du château. Tantôt il était le défenseur « à qui de sa puissance les autres petits enfants challengeaient la place », tantôt l'assaillant « et par force, en déboutait les autres ». Il « faisait assemblées, comme par bataille, et aux enfants faisait bassinets de leurs chaperons, chevauchant les bastons et armés d'escorces de buches, les menait gagner quelques places, les uns contre les autres ».

Une miniature, dans le bréviaire du cardinal Grimani, représente un tournoi d'enfants au XVe siècle.

C'est une véritable joute.

L'un en face de l'autre, les deux tout jeunes adversaires sont armés de pied en cap. Bassinet sur la tête, la lance au poing, bardés de fer, ils chevauchent tous les deux un tonneau installé sur un bâti de bois.

 Précédés de la bannière de chacun des joûteurs, des enfants hâlent sur une longue corde amarrée à chacun des tonneaux servant de monture et précipitent les deux adversaires l'un contre l'autre.

La vitesse ne devait pas être trop rapide, ni le choc trop rude, mais la gravure montre combien les faits de chevalerie marquaient les jeux pendant l'enfance du maréchal de Boussac.

Bien qu'aucun détail n'ait pu être recueilli sur cette époque de sa vie, Jean de Brosse devait connaître d'autres jeux et sans doute comme les enfants de cet âge « volontiers jouait aux barres, ou au jeu qu'on dit le crocq-madame, ou à saillir, ou à jeter le dard, la pierre ».

Mais les jeux furent bientôt interrompus, le jeune seigneur dut s'instruire. Sans doute un maître ecclésiastique fut-il chargé de lui enseigner la lecture, l'écriture et des notions d'arithmétique.

La plupart des leçons se faisaient oralement ; le papier restait encore peu connu et le parchemin très rare et fort cher.

 Le maître lisait un texte, le commentait, l'expliquait.

 Pour solliciter l'attention de son élève, le précepteur, sans égard pour la noblesse du jeune seigneur, devait brandir la verge et en cingler le jeune de Brosse. La férule était, à cette époque, l'insigne par excellence des maîtres d'école et il n'est pas de gravures de la fin du XIVe siècle qu'elles soient anglaises, allemandes ou françaises, qui ne représentent les maîtres armés de la férule.

L'éducation des jeunes nobles était particulièrement rude. Jean de Brosse admettait-il facilement les châtiments corporels, ou se révoltait-il, ainsi que le faisait vers la même époque le jeune Boucicaut ?

Le précepteur de ce dernier avait violemment souffleté l'enfant ; comme celui-ci ne pleurait pas, son maître « luy dist asprement : Regardez ! est-il bien fier ce seigneur-là ! il ne daigne pleurer »..

 L'enfant répondit : « Quand je serai seigneur, vous ne m'oserez battre. Et je ne pleure point, pour ce que si je pleuroye, on saurait bien que vous m'auriez battu ».

En même temps que son instruction, le futur maréchal dut entreprendre son éducation de chevalier, monter à cheval, manier la lance et l'épée, tirer à l'arc et développer, par un entraînement très poussé sa résistance physique.

Pour couper l'austérité d'une telle préparation, Jean de Brosse accompagnait sans doute son père à la chasse, poursuivant le cerf, le sanglier à travers les- forêts entourant le château d'Huriel.

Souvent aussi il devait faire voler ses oiseaux de proie ; l'art de la fauconnerie était en effet fort répandu à cette époque.

Mais tandis que le futur maréchal de Boussac poursuivait assidûment sa formation de chevalier, le roi, qui n'avait pas renoncé à son projet d'envahir l'Angleterre, faisait entreprendre d'immenses préparatifs; tant sur terre que sur mer.

L'oncle et le père de Jean de Brosse partirent une fois encore pour les armées.

Des impôts si élevés, que jamais de mémoire d'homme on n'en avait connu de si importants, furent levés dans les villes et dans les campagnes.

Une fois de plus il fallut renoncer à débarquer en Angleterre.

Au cours d'une entrevue, le connétable de Clisson avait été retenu prisonnier par le duc de Bretagne, au moment même où il armait, dans le port de Tréguier, la flotte destinée à transporter l'armée d'invasion.

Et les seigneurs de Brosse, une fois encore, regagnèrent leurs domaines.

En 1388 — Jean de Brosse avait treize ans — une importante expédition fut dirigée contre le Gueldre, petite principauté, à cheval sur les deux rives de la Meuse inférieure, dont le prince s'était révolté contre l'autorité du roi de France.

Charles VI prit la tête d'une armée de 15.000 lances et de 85.000 fantassins. L'oncle et le père du jeune de Brosse participèrent à l'expédition qui ne remporta qu'un maigre succès. Afin d'éviter que ses domaines ne fussent traversés et dévastés par une telle masse de combattants, le duc de Bourgogne avait fait passer l'armée par des itinéraires détournés et difficiles, si bien qu'elle perdit plus de la moitié de ses convois dans la traversée des Ardennes.

Au retour de l'expédition peu glorieuse, Charles VI, se laissant persuader par les anciens serviteurs de son père, le connétable de Clisson, Bureau de la Rivière et Montaigu, secoua le joug de ses oncles.

Dans une solennelle assemblée, tenue à Reims, le jeune roi, qui allait atteindre 21 ans, déclara devant tous les grands seigneurs et prélats réunis, qu'il remerciait ses oncles « des peines et travaux qu'ils avaient eus touchant sa personne et les affaires du royaume ».

 Il leur demandait de regagner leurs seigneuries, déclarant que désormais il assurerait seul la direction du gouvernement.

 

Vers la même époque, un évènement devait toucher plus vivement le jeune de Brosse. A la demande des Génois, dont le commerce maritime était sans cesse troublé par les Barbaresques, une croisade fut publiée.

Adorme, le doge de Gênes, s'adressa en premier lieu à la France dont les chevaliers, toujours avides d'aventures et de gloire, se trouvaient inoccupés en raison des trèves avec l'Angleterre.

Le conseil du roi désigna le duc de Bourbon pour prendre la tête de cette croisade et les ambassadeurs génois s'agenouillèrent devant le roi de France, « le remerciant très humblement de ce qu'il leur baillait le prince que plus ils désiroient ».

A l'annonce qu'une croisade venait d'être prêchée, la noblesse française accourut de toutes les provinces.

Le roi dut publier une ordonnance afin de régler le mode d'enrôlement.

 « Premièrement on allait à ses frais... Secondement, ordonné fut que nul ne passerait outre de la nation de France sans le congé du roi ; car on ne voulait pas que le royaume de France fût trop dénué de chevaliers et d'écuyers ».

Tous les bannerets français voulaient partir pour la croisade. L'amiral de France, Jean de Vienne, malgré son grand âge, vint se jeter aux pieds du roi pour obtenir d'aller à la guerre.

Jean de Brosse et son père ont-ils, eux aussi sollicité l'autorisation de se joindre à la croisade publiée par le doge de Gênes ? L'histoire ne le dit pas. Ils ne sont pas relatés par les chroniqueurs au nombre des croisés ; par contre Louis II de Brosse, l'oncle de Jean et Louis de Culant, son cousin, qui avait dix- neuf ans, rejoignirent l'armée du gentil duc de Bourbon. Elle comptait 2.000 chevaliers à bannière ou à pennon, 7.000 écuyers, 5.000 gros « varlets », arrières vassaux des nobles et 3.000 gens de traits.

Nombreux étaient les hauts barons dont Froissart donne les noms ; parmi les bannerets, le chroniqueur signale la présence « au côté sénestre du duc de Bourbon ...le seigneur de Sainte-Sévère, à bannière... ».

Tandis que son frère allait combattre les Sarrazins, Pierre de Brosse faisait construire un magnifique tombeau dans l'église Saint-Martin d'Huriel. Bientôt il put y faire transporter les restes de son père, tombé à Poitiers, dont le corps était toujours déposé au couvent des frères mineurs.

« C'était un tombeau arqué, avec fleurons, festons, crochets et pinacles ; sur lequel on voyait une statue couchée... ».

L'expédition conduite par le duc de Bourbon contre les Sarrazins d'Afrique ne fut pas couronnée de succès.

Après avoir mis le siège devant El-Mehdia, les croisés subirent de lourdes pertes, tant du fait de l'ennemi que de celui des épidémies dues au climat. « En ce temps faisait moult sec et moult chaud, car le soleil était en sa greigneur force, et si comme il est au mois d'août, et les marches de par- delà du royaume d'Auffrique sont moult chaudes pour les sablons... ».

 Les survivants parvinrent à embarquer et « chacun s'en alla en son lieu ».

 Louis II de Brosse et Louis de Culant se trouvaient parmi les rescapés.

 Mais au cours du voyage de retour, le premier, épuisé par la campagne, tomba malade à Gênes où il mourut le 8 Octobre 1390.

« Et parceque le dit Messire Louis de Brosse trépassa à Gènnes, ne laissa aucuns héritiers de son corps, lui succèda en toutes ses terres Messire Pierre de Brosse, son Frère de Père et Mère, mayné le présent seigneur de Saincte-Sévère et autres lieux... ».

Ainsi le père du futur maréchal de Boussac, du fait de la mort de Louis II de Brosse, devenait seigneur de Sainte-Sévère, de Boussac, d'Huriel, des Landes et de Reculat.

Pierre de Brosse fit rapporter de Gênes le corps de son frère qui fut inhumé dans l'église Saint-Martin d'Huriel où reposait depuis peu le corps de leur père.

On ne trouve nulle trace, ni chez les chroniqueurs, ni dans les archives des faits et gestes de Jean de Brosse au cours de son adolescence. A-t-il servi comme page, ainsi que les jeunes nobles en avaient l'habitude ? Auprès de qui ? A-t-il suivi le voyage du roi en Languedoc ? Il est impossible de répondre à ces questions.

Jean de Brosse venait d'avoir dix-sept ans, lorsqu'à la suite de l'attentat manqué par Pierre de Craon sur le connétable de Clisson, le roi de France appela le ban et l'arrière-ban.

Charles VI, jurant de venger son serviteur, avait résolu d'entreprendre une expédition pour châtier Jean de Montfort, duc de Bretagne, qui avait donné asile au meurtrier.

Le duc, malgré l'intervention énergique de son suzerain, refusait de livrer Pierre de Craon réfugié sur ses terres.

Les conseillers du roi, Jean le Mercier et de La Rivière, poussaient le monarque à des résolutions énergiques. Ils espéraient, en frappant Jean de Montfort, atteindre 1’association des trois ducs, Bourgogne, Berry et Bretagne.

 Ceux-ci poursuivaient la ruine des conseillers du roi, qu'ils nommaient, par dérision, les « Marmousets ».

Le roi décida que le duc de Bretagne serait châtié par les armes. « Et tous les seigneurs qui escripts et mandés étaient, se pourvoyaient et ordonnaient pour aller avecques le roi en Bretagne ».

En même temps que tous les seigneurs du Berry, Jean de Brosse et son père se joignirent aux troupes que rassemblait le duc de la province.

Malgré sa mauvaise volonté, ce dernier, Jean de Berry, avait été contraint de prendre ses dispositions afin que ses vassaux se rendissent à l'armée du roi ; mais il faisait volontairement traîner les choses en longueur.

Sans attendre ses oncles, les ducs de Bourgogne et de Berry, Charles VI gagna Saint-Germain, y séjourna une quinzaine, puis il « eut conseil de départir ; si le fit, et passa la Seine et prit le chemin de Chartres ».

C'est dans cette ville que le duc de Berry et ses vassaux, parmi lesquels se trouvaient Jean de Brosse et son père, rejoignirent l'armée royale.

Cette dernière, poursuivant sa route, gagna Le Mans, où elle s'arrêta afin de recevoir les seigneurs et les hommes d'armes qui accouraient de toutes parts.

Le roi, depuis son retour d'Amiens, où il avait eu de longues conférences pour la paix avec les Anglais, n'était pas en très bonne santé.

Il ne s'était vraiment jamais remis de la vie de plaisirs menée au cours de son voyage en Languedoc et ses oncles, ses médecins lui conseillaient en vain de prendre du repos.

 Charles VI ne tenait aucun compte de leurs recommandations et se refusait obstinément à abandonner ses projets contre le duc de Bretagne.

Après trois semaines de séjour au Mans, son armée se trouvant assemblée, le roi donna l'ordre de partir pour la guerre contre la Bretagne.

On avait atteint le début d'aout.

 Le soleil était ardent et, les hommes d'armes, qui chevauchaient à travers de vastes plaines, se montraient fort incommodés par la chaleur.

Plus que les autres, Jean de Brosse devait en souffrir en raison de son manque d'entraînement à la vie des camps.

La longue colonne guerrière soulevait sur son passage une immense poussière et le soleil dardait si implacablement ses rayons sur les armures qu'il était impossible de garder la main sur l'acier, tant il était brûlant.

Le roi, grand et majestueux chevauchait un puissant cheval de robe sombre. Il était vêtu d'un habit court en velours noir et coiffé d'un chapeau de velours grenat, orné d'un chapelet « de blancs et grosses perles que la reine sa femme lui avait donné au prendre congé ».

Ainsi vêtu, plus encore que les hommes d'armes, le souverain souffrait de la chaleur.

Les soldats, heureux de trouver un peu de fraîcheur, s'engagèrent à travers la forêt du Mans.

Depuis un moment, l'armée chevauchait parmi le cliquetis des armes et le souffle bruyant des chevaux qui ruisselaient de sueur, lorsque, soudain, jaillissant d'un fourré, un homme s'élança et, saisissant le cheval du souverain par la bride, s'écria d'une voix terrible : « Roi, ne chevauche plus avant, mais retourne, car tu es trahi ».

Des hommes d'armes se précipitèrent, écartèrent l'importun, mais « cette parole entra en la tête du roi qui était faible, dont il a valu depuis trop grandement pis, car son esprit frémit et se sangmêla tout ».

Sortant de la forêt, l'année s'engagea dans une plaine sablonneuse, où le soleil, par contraste, semblait devenu plus brûlant encore.

 Le roi, « vêtu de son noir jaque de velours qui moult réchauffait », avançait, suivi de ses pages.

L'un d'eux, qui portait la lance du souverain, « se desroya nu s'endormit » et laissa tomber l'arme qu'il tenait à la main. Le fer de la lance vint frapper « le chapel d'acier que l'autre page avait sur le chef. Si sonnèrent haut, l'un par l'autre, les aciers ».

« Le roi, qui était si près que les pages chevauchaient aux esclots de son cheval, tressaillit soudainement ; et frémit son esprit... ».

Soudain, Charles VI se dressant sur ses étriers, tira son épée et, pressant son cheval de l'éperon, s'élança, brandissant son épée nue et criant : « Avant, avant sur ces traiteurs ».

Le roi était fou.

La nouvelle, aussitôt, se répandit parmi les chevaliers et, chacun croyant que le roi allait mourir, pleurait et gémissait.

L'armée revint au Mans et des ordres furent donnés pour qu'elle se séparât.

Le comte de Saint-Paul retint quelques chevaliers pour aller guerroyer contre le roi de Bohème et quelques autres furent confiés au maréchal Boucicaut qui reçut mission de réduire plusieurs forteresses en Guyenne.

La plupart des seigneurs regagnèrent leurs terres et Jean de Brosse, avec son père dut rejoindre le château d'Huriel ; le sort ne l'avait pas favorisé pour sa première expédition.

Malgré la trêve avec les Anglais les hostilités se poursuivaient sporadiquement, en Auvergne, en Saintonge et dans l'Angoumois notamment.

Les deux maréchaux de France, Sancerre et Boucicaut, conduisaient les opérations.

Si Jean de Brosse combattit à cette époque, l'histoire est muette à ce sujet, nul doute qu'il n'ait combattu sous les ordres du maréchal Louis de Sancerre, l'une des plus nobles figures du Berry.

Au moment de sa mort, Du Guesclin avait confié à Sancerre l'épée, insigne de sa haute dignité.

En le chargeant de la remettre au roi de France, le connétable désignait Louis de Sancerre comme son successeur.

Mais ce dernier, aussi modeste que brave, refusa la charge de connétable, disant : « qu'il n'y avait si vaillant au royaume qui pût, ne sût faire de si vaillans faits d'armes qui ne fussent réputés pour néants envers ceux dud. Bertrand du Guesclin ».

Et devant le refus de Louis de Sancerre, l'épée de connétable fut attribuée à Olivier de Clisson, lui aussi vieux compagnon de sire Bertrand.

La folie du roi devait être fatale à Olivier de Clisson.

Les oncles du roi prirent le pouvoir et se vengèrent des « marmousets ».

Clisson, menacé, s'enfuit, « chevaucha par voies couvertes, par bois et par bruyères » et gagna son château de Josselin en Bretagne.

Condamné par défaut, il fut dépouillé de sa charge de connétable ; cette dernière, après un refus du sire de Coucy, fut confiée à Philippe d'Artois, comte d'Eu.

Tandis qu'une partie de la noblesse se livrait à l'intrigue auprès des sires de la fleur de lys qui se disputaient le pouvoir, l'autre partie qui ne voulait pas déroger au passé glorieux des ancêtres, ne rêvait qu'exploits guerriers ou joutes éclatantes.

Aucun des chroniqueurs de l'époque ne signale le nom de Jean de Brosse dans les joutes célèbres qu'ils rapportent.

Mais le futur maréchal de Boussac dut, comme tous les chevaliers de son époque, participer à de nombreux tournois.

 Les barrières durent s’ouvrir devant lui, tandis que les trompettes éclataient et que les hérauts d'armes criaient : « Honneur au fils de preux ! La mort aux chevaux ! Souviens-toi de qui tu es fils et ne forligne pas ».

Et Jean de Brosse, dès que le grand juge du camp avait crié « Laissez aller » dut s'élancer et « porter coup si dur sur le heaume que les étincelles en saillirent » et « consuivre » souvent son adversaire « de telle façon en la targe, qu'il lui fit vider les arçons et l'abattit tout plat à terre ».

Interrompant les pas d'armes une nouvelle parcourut toute la France.

 Une croisade, à la demande du roi de Hongrie, Sigismond, était prêchée pour aller combattre Bajazet, dont la puissance menaçait toute l'Europe et qui avait déjà entamé la Hongrie.

Malgré toutes les misères du royaume, la chevalerie française restait fidèle à ses traditions. Elle se consolait des malheurs de la France en s'engageant avec enthousiasme pour les expéditions lointaines.

Déjà elle s'était portée avec ardeur dans les Flandres, en Guyenne, en Gueldre ; déjà elle avait débarqué en Ecosse avec Enguerrand de Coucy, puis pénétré avec le même en Lombardie ; déjà avec le duc de Bourbon elle avait versé son sang sur les côtes d'Afrique et combattu, avec Louis d'Anjou pour la conquête du royaume de Naples ; enfin le sire de Battancourt venait de conquérir les îles Canaries.

 Aussi, d'un élan unanime, la noblesse française accourut-elle pour participer à la nouvelle croisade, dont l'héritier du duc de Bourgogne, Jean de Nevers, devait prendre le commandement.

L 'empressement fut tel que l’on vit des châtelaines veuves venir demander aux chevaliers d'accepter, « en qualité de servants d’armes », leurs fils âgés de quinze ans à peine.

 Le roi fut contraint de limiter les autorisations de participer à la croisade publiée par le roi de Hongrie, le royaume de France risquant de se vider de toutes ses troupes féodales.

 

Jean de Brosse sollicita-t-il l'autorisation de partir ? Lui fut-elle refusée ? Son père, attristé par la perte de son frère à Gênes, s'opposa-t-il au départ de son fils ? Nul ne le sait.

Un fait subsiste, Jean de Brosse ne participa point à la croisade qui se termina par le désastre de Nicopolis.

Au cours du voyage, les Français s'étaient déjà fait remarquer, « ils avaient des manières très lubriques, d'excès en mangeries, buveries, jeux de dez et ribauderies ».

Au moment du combat, négligeant tous les conseils de prudence, exaltés, indisciplinés, fanfarons, les jeunes chevaliers se lancèrent en flèche à l'assaut, entrainés par le comte de Nevers, aussi impétueux et irréfléchi que les jeunes nobles qui l'entouraient.

Enguerrand de Coucy, qui prévoyait l'issue mortelle, voulut détourner le prince de sa fatale détermination ; l'amiral Jean de Vienne le retint : « Chier sire, lui dit-il, là où la vérité et la raison ne peuvent être ouïes, il faut qu'outrecuidance règne et, puisque le comte de Nevers veut combattre, il faut que nous le suivions ».

Bientôt les Français se trouvèrent entourés de toutes parts et malgré une défense héroïque furent massacrés.

L'amiral Jean de Vienne qui portait l'étendard de Notre-Dame, se signala par de magnifiques exploits ; six fois il fut renversé et blessé, six fois il se releva et redressa la bannière qu'il portait ; mais finalement cet admirable soldat, qui depuis plus de 40 ans avait été de toutes les batailles, tomba percé de coups sur le monceau de cadavres ennemis qu'il avait abattus.

Seuls quelques grands seigneurs, comme le duc de Nevers, furent retenus prisonniers à cause de l'importante rançon que Bajazet espérait tirer d'eux.

Lorsque la nouvelle du désastre de Nicopolis parvint en France, un désespoir immense parcourut le pays.

Dans tous les châteaux on pleurait un père, un mari, un fils ou un allié.

Malgré la consternation qui envahit le pays, frappant presque toutes les familles seigneuriales, le royaume, déchiré par les querelles intestines, n'entreprit rien pour venger ce désastre.

Jean de Brosse, qui venait d'avoir 21 ans et ne devait rêver que combats et exploits guerriers dut se contraindre à l'inaction.

 

 

CHAPITRE IV

BERRY OU LIMOUSIN

Les oncles de Charles VI s'étaient saisis du pouvoir avec un empressement avide ; mais bientôt le duc d'Orléans, frère du roi, profitant du retour du souverain à la raison, se fit attribuer, sans réserve et sans partage, le gouvernement de l'Etat.

Louis de France, duc d'Orléans, séduisant et cultivé, très doué pour les Lettres et les Arts, avait, comme tous les Valois, un goût effréné des plaisirs et une prodigalité fastueuse.

Un parti se rassembla autour de lui et s'opposa au duc de Bourgogne. L’oncle et le neveu entrèrent en lutte ouverte, s'opposant dans tous les domaines. Dans l'affaire du Schisme, le duc d'Orléans s’était déclaré en faveur du pape d'Avignon, tandis que le duc de Bourgogne soutenait le souverain pontife de Rome ; lorsque le roi d'Angleterre, Richard II, eut été détrôné, le duc d'Orléans se rangea parmi les défenseurs du souverain déchu, le duc de Bourgogne reconnut l'usurpateur, chef de la maison de Lancastre, qui régnait sous le nom d'Henri IV ; l'empereur d'Allemagne, Wenceslas, ayant été renversé, le duc de Bourgogne s'empressa de soutenir le nouvel empereur, Robert de Bavière, alors que le duc d 'Orléans prenait le parti du souverain détrôné.

La santé du roi de France était toujours chancelante.

Malgré tous les soins et aussi les sorcelleries, l'esprit de Charles VI restait toujours aussi troublé, avec cependant quelques retours fugitifs à la raison. L'oncle et le neveu guettaient ces moindres lueurs d'intelligence afin d'arracher au roi une part plus grande dans le gouvernement.

Bientôt la rivalité qui séparait les deux antagonistes devint si violente qu'ils faillirent en venir aux mains et faire de Paris un champ de bataille.

 Déjà ils avaient assemblé, l'un et l'autre, des troupes nombreuses lorsque l'intervention du duc de Berry amena une réconciliation,

Elle ne dura guère,

 

Le partage de la France en apanages, où l'autorité des princes était absolue, aggravait encore la division. Le duc de Bourgogne, dans ses riches domaines de Bourgogne et de Flandre, ne reconnaissait d'autre pouvoir que le sien ; le duc d'Orléans avait toute autorité sur l'Orléanais, le Maine et l'Anjou ; enfin le duc de Berry conduisait à son gré le Languedoc, l'Auvergne, le Limousin et le Berry.

L'Angleterre épiait les discordes qui séparaient les sires de la fleur de lys et, voulant en profiter, s'armait secrètement.

Que devenait Jean de Brosse au milieu de toutes ces discussions ? Nous ne le savons pas.

 Les évènements qui se déroulaient en Berry devaient le toucher plus directement. Assista-t-il au mariage de Marie de Berry, l'une des filles du duc Jean, veuve du comte de Blois, puis du comte d'Eu, connétable de France, prisonnier à Nicopolis et mort en captivité ?

Le comte de Derby, futur roi d'Angleterre avait demandé la main de la jeune veuve ; mais sur l'intervention du roi déchu, Richard II, on résolut, sans refuser la main de la comtesse d'Eu au comte de Derby, de faire traîner les choses en longueur et, finalement, Marie de Berry, deux fois veuve, épousa Jean 1er duc de Bourbon et d'Auvergne.

C'est de cette union qu'est issue la branche des Bourbons qui accéda au trône de France avec Henri IV.

 

Un autre évènement dut frapper le futur maréchal de Boussac qui combattait sans doute sous ses ordres : la mort du connétable de Sancerre.

 C'était l'une des plus pures illustrations du Berry. Ennemi du faste, sans ambition, comme sans avidité, infatigable dans la guerre, mesuré dans ses jugements, sachant conduire avec une égale habileté la marche d'une armée et le siège d'une place, Louis de Sancerre fut pour Jean de Brosse un magnifique exemple.

Le futur maréchal put admirer chez le connétable, son compatriote, les plus grandes vertus, courage et loyauté, modestie et probité, qui en faisaient un modèle et un ornement de la chevalerie française.

Le connétable de Sancerre fut enterré à Saint-Denis.

Le sire d'Albret, cousin du roi, fut désigné pour lui succéder dans sa charge. Ce choix ne fut pas approuvé.

Le nouveau connétable, faible de taille et de constitution, boiteux — on l'appelait « le clocânt » — n'avait aucune expérience des armes ; de moeurs dissolues, il semblait peu fait pour commander les armées du royaume.

Bien que la trêve ne fut pas officiellement rompue avec l'Angleterre les combats n'avaient cessé ni sur mer, ni sur terre.

Secrètement encouragés par le conseil de Charles VI, des Bretons, des Normands équipèrent de nombreux vaisseaux pour aller courir l'aventure contre les Anglais.

 Un gentilhomme breton, plein d'audace et d'énergie, qui devait plus tard jouer un rôle important dans l'histoire de la France, Tanneguy Duchâtel, se mit à la tête d'une expédition de 400 chevaliers, débarqua près de Darmouth, mit le pays à feu et à sang, fit un immense butin et revint en Bretagne sans éprouver la moindre perte.

En Guyenne et en Limousin la lutte était violente.

Guillaume le Boutiller, l'un des chevaliers les plus renommés de toute la France, venu à la tête d'un renfort important, conduisait les opérations.

Bientôt le comte d'Alençon, le comte de Clermont et le connétable d'Albret le rejoignirent.

La forteresse de Brantôme, assiégée, se rendit ; les Français enlevèrent d'assaut le château de Chaluset de nombreuses villes.

Pleine de mordant, l'armée attendait impatiemment l'ordre d'entrer en Guyenne, dont les habitants, découragés de n'être pas secourus par les Anglais, semblaient à bout de résistance.

Non seulement, malgré ses promesses, le duc d'Orléans n'arriva point, mais les comtes de Clermont et d'Alençon quittèrent l'armée, la laissant sous les ordres de Le Boutiller, sans instructions.

Les chevaliers furent tellement outrés qu'afin de ridiculiser la conduite des princes, qui délaissaient la guerre pour les plaisirs de la cour, 150 écuyers entrèrent en campagne et, sans autre secours, s'emparèrent de la forteresse de Mussidan.

Bien qu'il ne soit pas possible d'apporter de précision, Jean de Brosse, qui ne pouvait pas rester inactif, dut prendre part à ces combats.

Son père vivait toujours et Jean n'était pas encore seigneur de Boussac ; aussi n'est-il pas surprenant que les chroniqueurs n'aient pas relaté son nom dans les opérations militaires, d'ailleurs peu importantes, de cette époque.

Tandis que son fils devait guerroyer en Guyenne et en Limousin, Pierre II de Brosse connut de grandes difficultés au sujet de ses châtellenies de Boussac et de Sainte-Sévère.

Gomme devait le Confirmer le duc de Berry, Jean de France, « il était notoire que les diz lieux de Saincte-Sévère et de Boussac, avec toutes leurs châtellenies, appartenances et appendances, faisaient partie, du duché de Berry et du ressort d'Issoudun ».

 De tout temps, leurs habitants avaient contribués « en tous subsides, aides, tailles, impostz avec la dicte duchié et comme partie d'icelle »..

En 1404, sans respecter ce rattachement au ressort d'Issoudun, Charles d'Albret, seigneur de Châteaumeillant, connétable de France, avait demandé au duc de Berry l'autorisation de lever sur les châtellenies de Sainte-Sévère et de Boussac, l'impôt de guerre qu'il avait établi pour tout le Limousin afin de subvenir aux frais de l'armée qui combattait en Guyenne, sous les ordres de Guillaume le Boutiller.

Le prétexte invoqué par le sire d'Albret pour frapper ainsi Boussac et Sainte-Sévère fut « que les dictes châtellenies estaient, quant à l'espérituaullté, du diocèse de Limoges ».

Bien que la fiscalité et la spiritualité n'aient rien de commun, le duc de Berry accorda l'autorisation demandée par le sire d'Albret et les habitants des châtellenies de Boussac et de Sainte-Sévère durent payer en 1404 la taille imposée au Limousin par le connétable.

L'importante de ce nouvel impôt avait échappé au duc de Berry, mais ni le seigneur, ni les habitants de Boussac et de Sainte-Sévère n'en sous estimèrent la gravité, en redoutant les conséquences pour l'avenir. « Ilz se doubtent que pour le temps avenir, ceulx dudit païs de Limosin ne le voulsissent traire à conséquence, et qu'il/ ne les contraingnissent ou feissent contraindre ou contribuer avec eulx aux-dictes tailles, aides ou impostz, se aucuns en estoient mis sus ».

Pierre II de Brosse adressa au duc de Berry une réclamation en règle, exposant d’une part l'ancienneté des usages rattachant Sainte-Sévère et Boussac au duché de Berry et montrant, d'autre part, que la modification découlant de l'autorisation donnée au sire d'Albret risquait d'entraîner des conséquences préjudiciables, non seulement aux intérêts des habitants, mais encore à ceux du duché de Berry lui-même.

En conséquence, « Jean, duc de Berry et d'Auvergne, comte de Poitou, d'Estampes et de Boulogne, étant lieutenant de Mons. le roy auxdiz païs de Berry, d'Auvergne et de Poitou, en toute la Languedoc et duchié de Guienne » prit aussitôt une ordonnance qui fut donnée, à Paris, au mois d'août 1405, et ainsi conçue :

« Voulons, ordonnons, et déclarons par la teneur de ces présentes lettres, que lesdiz habitants d'icelle chastellenie de Boussac, et desdiz lieux et paroisses de Saint-Pol, de Viviers et-de Tercilhac ne sont en riens tenuz, avec ledit païs de Limosin, ne aux tailles, aides, ou impostz, qui se mettront sus pour le temps à avenir en icelui, mais demourront et doivent demourer contribuables avec nostre dit païs de Berry, comme accoustumé a esté d'ancienneté, nonobstant ladicte contribution qu'ils ont fait l'année passée avec ledit païs de Limosin ».

L'ordonnance du duc de Berry fut confirmée par Charles VI, à Paris, au mois d'octobre suivant. Il était établi d'une -façon irréfutable que si les châtellenies de Boussac et de Sainte-Sévère dépendaient au point de vue spirituel de l'évêché de Limoges, elles relevaient pour la temporalité du duché de Berry et -du ressort d'Issoudun. Seule la paroisse de Nouziers, enclavée dans la Marche, ressortissait au siège de Guéret.

Pierre II de Brosse habitait toujours le château d'Huriel. Il avait marié deux de ses filles.

La première, Catherine avait épousé Blain Loup, seigneur de Beauvoir, et la seconde, Blanche, s'était unie à Guérin de Brion. Ce dernier, avec sa femme s'en fut habiter à Paris, auprès de sa belle- mère, dont il convoitait l'héritage.

Au bout de peu de temps, Guérin de Brion parvint à prendre un tel ascendant sur la mère de sa femme, née Marguerite de Malval, que cette dernière autorisa son gendre à diriger l'administration de toutes ses terres et à prélever une large part de ses revenus, privilèges qu'elle avait toujours obstinément refusés à son mari, Pierre II de Brosse.

La Thaumassière signale qu'une troisième fille, nommée Marguerite, aurait épousé Pierre de Menou, amiral de France ; mais les archives familiales ne font nulle mention de cette alliance. L'épitaphe d'Huriel et le P. Anselme signalent seulement une fille prénommée Antoinette et morte en bas âge.

Trop pris, sans doute, par la guerre, pour songer au mariage, Jean de Brosse, bien qu'ayant atteint la trentaine, restait célibataire.

 

 

CHAPITRE V

ARMAGNACS ET BOURGUIGNONS

MARIAGE DE JEAN DE BROSSE

Il semblait que la mort de Philippe de Bourgogne, oncle du roi, survenue au mois d'avril 1404, dût laisser le pouvoir entre les mains du duc d'Orléans, frère de Charles VI.

Il n'en fut rien.

Une rivalité, plus violente encore que celle qui avait séparé l'oncle et le neveu, opposa les deux cousins.

 Elle s'aggrava tellement qu'il y eut lutte ouverte, entre le duc d'Orléans et le nouveau duc de Bourgogne, Jean sans Peur.

Une haine mortelle dressa bientôt, l'un contre l'autre, ces deux princes du même âge. -

Tous les deux étaient ambitieux.

Mais autant le duc d'Orléans se montrait élégant, cultivé, beau parleur, autant Jean sans Peur, disgracieux, négligé, manquait de distinction ; malhabile à s'exprimer, il bégayait.

Louis d'Orléans, brillant et raffiné, avide de luxe et de plaisir, avait l'appui des nobles et de la reine, Isabeau de Bavière.

Rusé, violent, capable de tout pour arriver à ses fins, Jean sans Peur s'appuyait, en le flattant, sur le peuple de Paris, courbé sous le poids des impôts et fort irrité de voir le duc d'Orléans gaspiller, dilapider tout l'argent du trésor en des fêtes d'un luxe inouï.

Une lutte à mort s'engagea entre les deux princes.

A plusieurs reprises, leur oncle à tous les deux, le duc de- Berry, s'efforça de les réconcilier.

La haine fut la plus forte.

Louis d'Orléans et Jean sans Peur avaient communié ensemble le 20 novembre 1407 ; le 22, invités par le duc de Berry en son hôtel de Nesle, ils avaient mangé l'un à côté de l'autre, bu dans le même verre et, dans une étreinte émouvante, s'étaient juré une amitié fraternelle.

Le lendemain 23 novembre, à huit heures du soir, quittant la reine Isabeau, qui habitait l'hôtel Barbette, le duc d'Orléans, attaqué dans la vieille rue du Temple, tombait sous les coups des assassins que le duc de Bourgogne avait armés.

Plein de dissimulation, Jean sans Peur avait froidement tramé ce crime et l'avait fait consommer avec une cruauté qui témoignait d'une perversité odieuse.

Non content de se proclamer l'auteur d'un tel forfait, Jean sans Peur fit lire devant le roi et les princes assemblés une apologie de son meurtre.

Il traitait le duc d'Orléans d'infâme tyran et non seulement justifiait son assassinat, mais encore le glorifiait comme un acte très louable de salut public.

A la suite de son crime, le duc de Bourgogne obtint ce qu'il recherchait : il devint l'arbitre du gouvernement.

L'assassinat du duc d'Orléans déchaîna les passions.

Deux factions rivales s'affrontèrent. Ce fut la guerre civile.

Une ligue s'était formée entre tous les princes contre Jean sans Peur.

En raison de son âge et de sa position, le duc de Berry en prit la tête. Autour de lui se groupèrent Charles d'Orléans, fils du disparu, le duc de Bretagne, les comtes d'Alençon et de Clermont, auxquels se joignit bientôt le comte d'Armagnac.

Ce dernier, époux de Bonne de Berry, fille du duc Jean, venait de marier sa fille avec le jeune Charles d'Orléans. Le duc de Berry avait pris la direction de la ligue, mais le comte d'Armagnac en fut l'âme et le bras ; il donna son nom à ses partisans, les Armagnacs, qui s'opposèrent au parti de Jean sans Peur, les Bourguignons.

 

Fidèle vassal du duc de Berry, Jean de Brosse accourut naturellement dans les rangs des Armagnacs.

Chaque parti, s'efforçant de disposer du malheureux Charles VI, dont les crises de folie s'aggravaient, de gagner l'appui de la reine et du dauphin, cherchait à s'emparer du gouvernement.

Les Bourguignons aussi bien que les Armagnacs, emportés par la fureur de leurs passions partisanes, firent appel au secours des Anglais, promettant les uns et les autres d'abandonner à l'ennemi une partie du royaume pour prix de son intervention.

En signe de ralliement, les Bourguignons portaient le chaperon vert et la croix rouge, dite de Saint André ; les Armagnacs avaient adopté l'écharpe blanche et la croix blanche que Jean de Brosse, comme ses compagnons, arbora par- dessus son armure. -

Les premiers avaient l'appui du nord et de l'est ; les seconds celui du centre et du midi.

 Jean sans Peur ayant eu l'habileté de se poser en défenseur du peuple, au moins hors des limites de ses vastes Etats, gagna ainsi la faveur des habitants de Paris qu'il excitait contre les Armagnacs.

Et bientôt une violente agitation populaire se greffa sur la guerre civile.

En 1411 les combats commencèrent aux environs de Paris dont les Armagnacs s'étaient approchés.

L'arrivée des troupes anglaises que les Bourguignons avaient appelé à leur secours fit refluer les Armagnacs jusqu'à la Loire.

 ==> Les ponts au moyen âge sur la Loire depuis l'an mil.

Ces derniers, poursuivis par les Bourguignons perdirent Poitiers et durent se réfugier en Berry où les hostilités ne tardèrent pas à s'engager.

Après avoir soumis le Poitou, les Bourguignons, commandés par Guichard Dauphin, David de Rambures et Pierre Desessart, prévôt de Paris, enlevèrent le château de Montfaucon en Berry, dont la position stratégique se révélait d'une grande importance.

 Le duc de Bourbon avec quinze cents chevaliers et écuyers armagnacs, au nombre desquels devait se trouver Jean de Brosse, tenta de reprendre la place. Il l'eût emportée d'assaut si le sire de Sallenoue, commandant la garnison de Montfaucon n'avait fait incendier les faubourgs.

Le duc de Bourbon ne sachant plus où abriter ses troupes fut contraint de se replier.

La garnison bourguignonne de Montfaucon en profita pour ravager le pays jusqu'aux portes de Bourges, livrant avec des succès divers un grand nombre de petits combats.

Au printemps de 1412, le conseil du roi de France, où dominait l’influence du duc de Bourgogne, décida qu'il fallait profiter de la belle saison pour abattre définitivement le parti d'Orléans.

L'attaque porterait d'abord contre le duc de Berry, chef des Armagnacs et à la' tête de son armée, le roi marcherait sur Bourges.

Aussitôt après la fête de Pâques, le 6 mai, Charles VI se rendit à Saint-Denis pour y prendre l'oriflamme.

Jamais encore, au cours de toute l'histoire, le glorieux étendard n'avait été déployé pour une guerre civile.

Ayant à ses côtés, son fils aîné, Louis, duc de Guyenne, dauphin de France, Charles VI prit la tête de son armée. Jean sans Peur et de nombreux seigneurs l'accompagnaient.

Par Melun, Sens, Auxerre, l’armée gagna La Charité, où .elle dut séjourner une semaine, le roi de France ayant été blessé à la jambe d'un coup de pied de cheval.

Le dauphin désirait épargner le duché de Berry qui devait entrer dans l’apanage de son frère, Jean, duc de Touraine, à la mort du duc de Berry.

A son de trompe, par la voix des hérauts, il fit publier que, sous peine de haute trahison, il était interdit à ses troupes d'attaquer des villes sans ordres et d'y commettre des incendies ou des meurtres.

D'autre part les habitants du duché furent informés qu'ils pouvaient apporter, en toute sécurité les vivres qui leur seraient payés comptant; Un gibet fut dressé pour effrayer les pillards qui détroussaient les marchands.

Le 29 mai, jour de la Trinité, que beaucoup de seigneurs eussent désiré passer en dévotion, l'armée royale franchit la Loire.

Afin d’éviter les châteaux que les soldats du duc de Berry avaient mis en état de défense sur la route directe La Charité-Bourges, l’armée de Charles VI fit un crochet par Nérondes et Dun-le-Roi.

Le lendemain, des Armagnacs, ayant retiré leurs insignes, avaient revêtu ceux du parti bourguignon.

Ainsi déguisés, ils trompèrent l'armée royale dont l'avant-garde s'engagea à leur suite le long de sentiers inconnus, où une embuscade était tendue.

Par ce stratagème les gens du duc de Berry firent plus de cent prisonniers.

Des mesures ayant été prescrites, afin d'éviter le retour de semblables surprises, le roi, pour tirer vengeance de l'embuscade, chargea le prévôt de Paris d'aller attaquer le château de Fontenay tout près de Nérondes.

A la vue de l'armée royale, Robert de Fontenay qui commandait la garnison se rendit devant le roi et, à genoux, lui présenta les clés.

La garde-du château fut confiée à Pierre- Desessart, prévôt de Paris.

La route de Bourges n'était pas sûre.

Redoutant une sortie de la garnison de Dun-le-Roi, du parti des Armagnacs, le conseil du roi décida d'assiéger la ville.

 Le duc de Berry avait confié le commandement de la place à Henri d'Ast.

De nombreuses tours, d'épaisses murailles et de profonds fossés défendaient la ville que dominait un château avec donjon, construit sous Philippe-Auguste et bien entretenu. 400 hommes d'armes défendaient la place.

Précédée de son avant-garde que commandaient G. Dauphin, de Rambures, Guillaume et Georges de la Trémouille, l'armée royale arriva devant Dun.

Dès le soir elle occupa tous les abords de la ville et mit en place toutes les machines de siège.

Le bombardement de la forteresse commença le lendemain 4 juin.

L'artillerie demeurait impuissante devant la solidité des murailles qu'elle ébranlait à peine.

On éleva alors une grosse pièce, appelée « la Griète », qui, chargée de poudre, lançait des pierres d'une grosseur prodigieuse.

Il fallait vingt hommes pour la manoeuvrer ; les servants couraient d'ailleurs au moins autant de danger que l'ennemi sur lequel étaient dirigés les coups de la machine de guerre.

Le bruit des explosions se faisait entendre à plus de deux lieues.

Dès la première journée, la « Griète » lança douze pierres énormes. Deux tombèrent à l'intérieur de l'enceinte ; la première coucha une tour entière, la seconde écrasa plusieurs maisons.

La garnison de Dun résistait toujours avec opiniâtreté.

Astucieux, comme le sont les sapeurs, les ingénieurs du roi, désireux de réduire la place; mirent en oeuvre un procédé que les Allemands devaient perfectionner beaucoup plus tard.

Ayant bâti un coffre immense, monté sur roues, les ingénieurs y entassèrent tout ce qu'ils avaient pu trouver aux alentours d'animaux crevés, dont la putréfaction se trouvait déjà fort avancée.

Le char fut poussé vers la ville.

Bientôt une odeur pestilentielle envahit l'atmosphère. Mais autant que les assiégés, les assiégeants se trouvèrent incommodés par les émanations nauséabondes de la nouvelle machine de guerre.

Encore- inexpérimentés, les ingénieurs du roi n’avaient pas tenu compte d'un facteur important, le vent ; facteur que ne devaient pas négliger les Allemands, au cours de leur première attaque par les gaz asphyxiants, cinq siècles plus tard, sur l'Yser, en 1915.

Toute l'armée royale, empoisonnée par la puanteur, à grands cris réclama l'assaut.

 Vainement le bâtard de Bourbon, à la tête de 300 Armagnacs, avait tenté de secourir la ville ; il n'y put parvenir et dut se replier, non sans avoir mis en pièce une compagnie de l’armée royale qui s'était éloignée du gros des troupes.

Effrayé par les préparatifs de l'assaut, le commandant de la garnison de Dun demanda une trêve de deux jours pour aller à Bourges exposer sa situation au duc de Berry. Le sauf-conduit lui fut accordé.

Dès le lendemain, Henri d'Ast, après avoir vu le duc Jean, se présentait devant le conseil royal, accompagné du héraut d'armes de Berry.

Ce dernier exposa « qu'il était envoyé pour avoir des nouvelles de la santé du roi et du duc de Guyenne ; que le duc de Berry leur offrait ses humbles compliments et mettait à leur disposition, comme un fidèle sujet, sa personne et ses biens ; qu'il les priait de laisser sortir la garnison de Dun-le-Roi saine et sauve, abandonnant la ville à leur bon plaisir ».

Ayant entrevu dans le message du duc Jean quelques espérances de paix, le conseil, malgré l'avis opposé du duc de Bourgogne, demanda au roi de pardonner, lui présentent qu'il convenait mieux de ramener à lui le duc, son oncle, par la douceur que par la force.

Et le roi pardonna aux assiégés de Dun.

Un renseignement survenu au camp modifia 1'attitude du conseil. Il venait d'apprendre que le roi d'Angleterre avait arrêté en son parlement d'envoyer au secours des princes français révoltés une armée commandée par son second fils, le duc de Clarence.

Le conseil décida alors de pousser activement la lutte afin d'obtenir la décision avant l'arrivée des renforts anglais.

Dès l'aube, le lendemain 10 juin, l'armée marcha sur Bourges.

Charles VI envoya un héraut d’armes au duc de Berry pour lui annoncer son arrivée. « Qu'il soit Le très bien venu », fit répondre le duc Jean. 

Au nom du roi, un autre héraut d'armes vint sommer le duc de rendre au roi la ville de Bourges.

« Je suis, fit répondre le duc de Berry, serviteur et parent du roi, et tiens la ville toute rendue à lui et à monseigneur le dauphin. Mais il a en sa compagnie des gens qu'il ne doit pas avoir et je garderai ma cité pour le roi, le mieux que je pourrai ».

D'autres messagers détachés auprès du duc Jean ne rencontrèrent pas plus de succès. Les envoyés du roi rapportèrent au camp le zèle déployé par les habitants de la ville de Bourges qui avaient planté leurs bannières à l'extérieur des murs afin de mieux défendre les abords de la place.

Le conseil royal assemblé délibéra afin d'organiser le siège devenu inévitable.

Entourée de murailles épaisses et solides, la ville de Bourges, comme au temps de César, était protégée sur trois côtés par des rivières et des marais. L'élite des Armagnacs défendait la place.

On remarquait aux côtés des princes, les archevêques de Bourges et de Sens, les évêques de Paris et de Chartres, le sire d'Albret, à qui avait été retirée la charge de connétable, les sires de Gaucourt, de Barbazan et un grand nombre de seigneurs du parti d'Orléans.

 Bien qu'aucun chroniqueur n'ait mentionné sa présence, il semble cependant certain que Jean de Brosse se trouvait dans les rangs de la garnison de Bourges qui comprenait 1.500 bannerets et 400 hommes de trait.

C'est le samedi 11 juin que l'armée royale prit position devant la capitale du Berry.

Les assiégés ayant détruit par le feu tous les faubourgs, les soldats de Charles VI durent dresser les tentes ; un certain nombre d'entre eux périrent pour avoir bu de l'eau des puits que les Armagnacs avaient empoisonnés.

Les machines de guerre mises en place, le bombardement commença ; la « Griète » entra en action, lançant ses énormes projectiles qui ouvraient de larges brèches dans les murailles.

Au sein même de l'armée royale les assiégés comptaient de nombreuses sympathies et, de leur côté, les assiégeants entretenaient des intelligences dans la place.

Un jour les princes furent alertés par un bref message : « Issez dehors, il en- est temps ».

Aussitôt, sortant de Bourges par des portes non gardées, mille soldats de pied, traversèrent la rivière en silence pour aller attaquer à .revers l'avant-garde royale.

Deux pages du sire de Crouy qui promenaient les chevaux de leur maître aperçurent les Armagnacs en train de franchir la rivière. Ils se précipitent vers le camp et donnent l'alerte en criant : « A l'arme, voici vos ennemis qui viennent ».

A peine avaient-ils entendu cet appel que les assiégeants virent surgir des portes de la ville cinq cents cavaliers qui se ruaient à l'assaut.

Le sire de Gaucourt les commandait et bien qu'aucun document ne puissent en témoigner, Jean de Brosse devait se trouver dans leurs rangs.

A l'armée royale alertée, chacun s'équipait à la hâte et se ruait au combat.

La surprise avait échoué.

La lutte s'engagea farouchement ; des deux côtés on se battait bravement. Mais bientôt la troupe du sire de Gaucourt que l'infanterie n'avait pas eu le moyen de soutenir devait plier sous le nombre et se replier vers Bourges après avoir perdu près de 200 tués.

 On a prétendu, sans qu'il soit possible de le vérifier, que les deux détachements d'Armagnacs avaient pour mission d'enlever le roi.

Le siège continuait.

Les assiégeants qui avaient ravagé toute la contrée environnante étaient menacés de disette.

 Pour payer ses troupes, le duc de Berry devait battre monnaie et verser aux creusets des monnayeurs les joyaux de la magnifique collection qu'il avait réunie dans sa sainte chapelle. Il préleva ainsi, disent les chroniqueurs, plus de 90 marcs d'or et 340 marcs d'argent, négligeant la valeur inestimable que donnait aux bijoux leur origine, la perfection du. travail, les émaux et les pierres précieuses dont ils étaient souvent recouverts.

Inlassablement les assiégeants poursuivaient leurs bombardements. Une grande partie de leurs coups étaient dirigés sur le palais du duc qui dominait la ville.

 Jean de Berry dut abandonner les lieux et la duchesse, sa femme, resta seule dans le palais.

Par respect pour la duchesse, les artilleurs royaux, qui étaient bien renseignés, cessèrent aussitôt de bombarder sa résidence.

 Ils concentraient leur tir sur la maison que le duc de Berry avait choisie pour s'y réfugier. A sept reprises il dut changer d'habitation. Aussi secrets que fussent ses déplacements, les assiégeants, mystérieusement prévenus, concentraient le tir de leurs engins sur la nouvelle demeure dans laquelle le duc venait de se réfugier.

De part et d'autre les vivres commençaient à manquer.

Les soldats, tant Armagnacs que Bourguignons se plaignaient d'être mal payés. Des deux côtés on aspirait à la paix.

Le duc de Guyenne, dauphin de France, qui contemplait avec tristesse la destruction de la riche capitale du Berry, donna l'ordre de cesser le bombardement.

Devant la protestation élevée par son beau-père, le duc de Bourgogne, l'héritier de la couronne répondit avec une fermeté qu'on ne lui connaissait pas « 1l faut terminer cette guerre, qui a déjà trop duré, car elle est au préjudice du roi, mon père, et de moi-même ; ceux contre lesquels nous combattons sont mes oncles, mes cousins germains, ils sont du même sang que moi. Un jour ils pourront me servir et accompagner en toutes mes affaires. Je désire qu'on les reçoive en l'obéissance du roi ».

Quel que fût son courroux, Jean sans Peur dut dissimuler ses ressentiments et ménager la résolution de son gendre.

Sur l'initiative du comte de Savoie, petit-fils du duc de Berry et beau-frère du duc de Bourgogne, des pourparlers de paix furent entrepris.

Après plusieurs, conférences secrètes, le roi reçut l'envoyé du duc Jean, Guillaume de Boisratier, archevêque de Bourges. C'était un prélat d’illustre renommée, dont chacun- reconnaissait l'érudition, l'éloquence, et le sûr courage.

En qualité d'envoyé du roi, il avait assisté au concile de Pise, en 1409.

Dans les rangs de l'armée royale servait un personnage universellement respecté, qui de toutes ses forces travaillait au rétablissement de la paix. C'était le grand maître de l'ordre Saint-Jean de Jérusalem, Philibert de Naillac ; il avait combattu aux côtés de Jean sans Peur, à Nicopolis. La famille de Naillac était l'une des plus illustres-du Berry et Philibert, surnommé le Pieux Chevalier, jetait un grand éclat sur sa maison à laquelle devait bientôt s'unir Jean de Brosse.

Malgré la sourde opposition du duc de Bourgogne, grâce à l'intervention du duc de Savoie et du grand maître de l'ordre Saint-Jean de Jérusalem, les bases d'un traité furent arrêtées.

L'armée royale se retira sans pénétrer dans la ville de Bourges et la paix fut signée à Auxerre, le 26 Août 1412.

 

Mais les renforts envoyés aux princes par le roi d'Angleterre venaient de débarquer à La Rochelle.

Commandés par le frère du roi, 8.000 soldats marchaient vers le Berry, pillant sur leur passage ; ils dévastèrent Orval et Montrond.

Enfin les Anglais consentirent à s'arrêter. Ils réclamèrent des indemnités qui leur furent accordées par le traité de Buzançais, en novembre 1412.

Le duc Charles d'Orléans promettait de verser 320.000 écus d'or aux Anglais, mais comme il était hors d'état de payer, il donna comme otage son frère Jean d'Orléans, comte d'Angoulême, qui se constitua prisonnier.

Ce dernier ne devait rentrer en France qu'en 1444, après 32 années de captivité.

Le duc de Berry, pour payer sa part d'indemnité, dut faire appel une fois encore, au trésor inépuisable amassé en sa sainte chapelle, élevée dans son palais, à Bourges. Il se libéra en versant aux ducs de Clarence et d'York un grand nombre de joyaux et de pierres précieuses.

Le 20 mars 1413 décédait le roi d'Angleterre, Henri IV, et le redoutable Henri V lui succéda.

A Paris, Caboche et ses bouchers soulevèrent le peuple. Pierre Desessart, prévôt de Paris, cependant partisan résolu du parti bourguignon, fut décapité le 1er juillet 1413.

Les émeutiers firent irruption dans les appartements royaux. Maîtres de Paris, les Cabochiens établirent un régime de terreur qui fut bientôt odieux à tous les Parisiens, au peuple, à la bourgeoisie, comme à l'université.

Jean sans Peur fut contraint de quitter Paris avec ses Bourguignons et, le 29 septembre 1413, le comte Bernard d'Armagnac faisait son entrée dans la capitale.

A leur tour, les meneurs cabochiens et bourguignons furent arrêtés, jugés, décapités.

Les chroniqueurs de cette époque ne relatent nulle part la présence de Jean de Brosse. Vint-il à Paris ? Demeura-t-il dans ses t erres en Berry ? Il est impossible de le dire.

Les Armagnacs, dès leur arrivée, traitèrent Paris comme ville conquise. Le poids des impôts devint insupportable ; leur produit était gaspillé.

Bientôt un nouveau malheur vint s'ajouter à ceux qui accablaient le pays : les Anglais menaçaient d'envahir la France.

Au mois de juin 1415, Charles VI envoya une grande ambassade auprès du roi d'Angleterre.

Elle comprenait douze ambassadeurs escortés de 600 personnes. L'archevêque de Bourges, Guillaume de Boisratier, une fois encore, fut chargé de prendre la parole.

Au cours de l'audience solennelle il parla fort doctement et l'entente paraissait possible. Tout se gâta lorsqu'on en vint à la discussion des articles.

Les Anglais exigeaient les duchés de Normandie et de Guyenne, les comtés d'Anjou, du Maine, de Touraine et de Poitou ; bien plus, ils affirmaient que leur roi, Henri V, avait droit à la couronne de France.

La discussion se prolongeait vainement.

Perdant patience, le roi d'Angleterre s'écria « qu'il était le vrai roi de France et qu'il conquesterait le royaume ».

— « Sire, s'il ne vous déplaisait, répondit calmement l'archevêque de Bourges, je vous répondrais.

— « Répondez hardiment, dit Henri V ; et dites ce que vous voudrez. Jà mal ne vous en viendra.

« Sire, répliqua l'archevêque, le roi de France, notre souverain seigneur, est vrai roi de France. Ni ès choses èsquelles dites avoir droit, n'avez aucune seigneurie. Non mie encore au royaume d'Angleterre ; mais compète aux héritiers du feu roi Richard ; ni avec vous notre souverain seigneur ne pourrait sûrement traiter ».

Emporté par la plus violente colère, le roi d'Angleterre donna aux ambassadeurs français l'ordre de partir immédiatement, ajoutant qu'il ne tarderait pas à les suivre.

Un mois plus tard, Henri V débarquait devant Barfleur et s'en emparait malgré l'héroïque résistance de la garnison.

Pendant que le roi d'Angleterre s'employait à réduire la ville, l'armée française se rassembla. Devant sa menace, Henri V dut se replier vers le nord en direction de Calais.

 Avec de grandes difficultés il parvint à franchir la Somme. Lancée il sa poursuite, l'armée française réussit à le rejoindre en Picardie

Le 25 octobre 1415, près d'Azincourt, le combat s'engageait et Henri V infligea, aux Français l'une des plus sanglantes et des plus désastreuses défaites de leur histoire.

Forte de 40 à 50.000 hommes, l'armée française n'était qu'une immense cohue de chevaliers.

Le roi d'Angleterre ne commandait guère plus de 13.000 combattants, disciplinés et bien en main.

Oubliant les leçons de Crécy, oubliant les enseignements de du Guesclin, accumulant les imprudences, ne recherchant que les exploits individuels, les chevaliers français se ruèrent au combat en désordre.

 Le terrain, détrempé par la pluie, était boueux et les montures des lourds chevaliers français s'y enlisaient.

Les cavaliers immobiles, offraient la plus magnifique cible aux redoutables archers anglais, à l'attaque dèsquels ils ne pouvaient d'aucune façon s'opposer.

Ce fut une exécution plus qu'un combat.

 

De magnifiques faits d'armes, cependant, au milieu de l'affreux désordre, honorèrent le courage français.

 Le duc d'Alençon parvint jusqu'au roi, d'Angleterre, étendit à ses pieds le duc d'York, oncle du souverain, abattit d'un coup de hache d'armes un fleuron de la couronne d'Henri V avant de succomber criblé de coups.

Le duc de Brabant, accouru à marches forcées, se rua au combat sans prendre le temps de revêtir son armure et tomba lui aussi.

Ces actes d'héroïsme n'empêchèrent pas le désastre.

Les Anglais eurent bientôt tant de prisonniers qu'Henri V, craignant une contre-attaque, détacha deux cents archers pour les massacrer. Et « de sang-froid, toute cette noblesse française fut là tuée et découpée, têtes et visages, qui fut chose moult pitoyable à voir ».

Huit mille gentilshommes français avaient péri et parmi eux les seigneurs les plus illustres du royaume.

Les Anglais emmenèrent en outre de nombreux prisonniers parmi lesquels on comptait le duc Charles d'Orléans, trouvé sous un tas de morts, le duc de Bourbon, le comte d'Eu, le vieux maréchal Boucicaut et le futur connétable, de Richemont.

Jean de Brosse a-t-il combattu à Azincourt ? Son nom n'est cité par aucun des chroniqueurs de l'époque.

Mais ce silence n'implique pas qu'il ne figurât pas dans les rangs des 50.000 chevaliers français écrasés par les archers anglais. Il n'y fut en tout cas ni blessé, ni fait prisonnier.

C'est tout ce qu'il est possible d'affirmer, car les archives familiales sont muettes sur sa participation à la funeste bataille.

Le duc de Berry, trop âgé, était absent du combat ; le comte d'Armagnac, qui guerroyait dans le midi, ne parut pas à Azincourt. Jean de Brosse a-t-il été retenu auprès de l'un ou de l'autre ? Cela semble peu probable et on peut avancer, sans toutefois avoir de preuve formelle, que Jean de Brosse combattit  à Azincourt. 

Peu après ce désastre, un nouveau malheur vint frapper la famille royale.

Le 18 décembre 1415, mourait, sans postérité, Louis de Guyenne, dauphin de France.

 Le nouvel héritier de la couronne, Jean, duc de Touraine, résidait à la cour de Hainaut, près du comte Guillaume dont il avait épousé la fille.

Il fut ramené à Paris « pour aider à gouverner le royaume ».

Le 15 juin 1416, mourait à Paris, en son hôtel de Nesle, Jean, duc de Berry.

 

Le jeune Charles, comte de Ponthieu, le futur Charles VII, fut nommé capitaine général de la ville de Paris, charge qu'occupait son grand-oncle.

Le corps du duc de Berry embaumé par des chirurgiens et herbiers de Paris, fut mis en bière et un service solennel eut  lieu, en l'église des Augustins, à Paris, le 21 juin.

Le cercueil fut ensuite placé sur un chariot recouvert d'un drap noir, traîné par cinq chevaux tout caparaçonnés de noir, portant les armes de France et de Berry.

Le char s'engagea sur la grande route de Paris à Bourges, suivi d'un magnifique cortège où figurait toute la noblesse du Berry et, parmi elle, Jean de Brosse.

 

Chaque soir le convoi s'arrêtait et le corps du défunt déposé dans une église, était veillé toute la nuit.

Après avoir séjourné ainsi à Bourg-la-Reine, Etampes, Thoury, Orléans, Vierzon et Mehun-sur-Yèvre le cortège funèbre parvint à Bourges le 27 juin.

Et le lendemain, en la sainte chapelle, que le défunt avait faite construire dans son palais, furent célébrées les funérailles du duc, Jean de Berry, en présence de tous les gentilshommes du duché.

 

Jeanne de Boulogne, duchesse de Berry, ne pleura pas longtemps son vieil époux et, cinq mois après sa mort, épousait Georges de La Trémouille, d'une importante famille du Berry, mais du parti des Bourguignons.

 

Dès la mort du duc Jean, le roi donna l'apanage du duché de Berry à son fils Jean, devenu dauphin de France depuis la mort de son frère Louis.

Il ne devait pas en jouir longtemps, car il mourut à Compiègne, le 5 avril 1417.

Par l'entremise du comte de Hainaut, beau-père du dauphin, Jean sans Peur avait espéré gagner le prince et, grâce à lui, obtenir la possession du pouvoir.

 Dépité de voir le gouvernement lui échapper, le duc de Bourgogne accusa les Armagnacs d'avoir fait périr successivement les deux dauphins de France.

Agé de quinze ans, Charles, dernier fils du roi, qui devait régner sous le nom de Charles VII, succéda à son frère, en ses titres et droits, et devint dauphin du Viennois et duc de Berry.

Il était à ce double titre le suzerain de Jean de Brosse qui devait toute sa vie lui demeurer fidèle.

Toujours aussi implacable, la guerre civile se poursuivait.

 L'acharnement déployé aussi bien dans un parti que dans l'autre était poussé jusqu'à l'atrocité.

 S'avançant jusqu'aux portes de Paris, Jean sans Peur vint s'établir à Montrouge. Il planta son étendard sur un arbre longtemps connu sous le nom de « l'arbre sec ». Indécis, comme à son habitude, le duc de Bourgogne n'agissait pas et se contentait d'adresser des suppliques au roi.

Le comte d'Armagnac se bornait à repousser, à user les attaques sans conviction de Jean sans Peur qui, malgré la supériorité de ses forces, n'obtenait aucun succès important.

Un incident modifia soudain la face des choses.

La reine, Isabeau de Bavière, que le comte d'Armagnac avait exilée de Paris, subissait à Tours une dure captivité.

Trompant la surveillance de ses gardiens, elle s'évada.

Aussitôt averti par la reine, le duc de Bourgogne accourut et, le 2 novembre 1417 ils dînaient ensemble au couvent de Marmoutier, près de Tours.

 

Voyant son prestige doublé par son alliance avec la reine, le duc de Bourgogne tenta une nouvelle attaque contre Paris. Une conspiration tramée à l'intérieur devait lui ouvrir les portes de la ville.

Mais le prévôt de Paris, Tanneguy Duchâtel, averti, surprit tous les conspirateurs dans la maison d'un conseiller au parlement, et les fit arrêter.

 Lorsque, dans la nuit, Hector de Saveuse, à la tête de cinq mille Bourguignons, se présenta devant la porte Bordelle que ses affiliés devaient lui ouvrir, il fut accueilli à coups de flèches par les Armagnacs en état de défense et dut se replier. „

Une fois de plus, Jean sans Peur devait s'éloigner de Paris.

Et, au cours de l'hiver ses troupes perdirent Etampes; Montlhéry et Chevreuse. Par contre Senlis se rendit à lui.

Le conseil du roi décida alors que le souverain, à la tête de ses troupes, marcherait contre les Bourguignons afin de reprendre Senlis.

Et, pour la seconde fois, Charles VI se rendit à Saint-Denis afin d'y prendre l'oriflamme. La bannière royale flotta au- dessus des rangs d'une armée française qui, comme cinq ans plus tôt, partait combattre d'autres Français. Mais dans cette nouvelle guerre fratricide les Armagnacs combattaient maintenant sous les ordres du roi et les Bourguignons contre lui.

Loin d'intimider les rebelles, l'entrée en campagne de l'armée royale provoqua aussitôt leurs réactions et ralluma les hostilités.

Sans avoir pu reprendre Senlis, le roi, suivi du connétable d'Armagnac et de son armée, rentra à Paris le 24 avril.

La reine avait interdit aux villes du royaume d'acquitter les taxes exigées par le comte d'Armagnac au nom du roi. De telles consignes sont toujours suivies avec ponctualité, aussi le peuple de Paris devait-il supporter à lui seul tout le poids des impôts.

Ruinés, affamés, malgré les plus sanglantes répressions, les Parisiens ne cessaient de conspirer.

 

Dans la nuit du 29 au 30 Mai 1418, le fils de l'un des quarteniers de la milice, Perrinet Leclerc, parvint à dérober sous le chevet de son père les clés de la porte Saint-Germain.

A la nuit il ouvrit cette porte à la garnison bourguignonne de Pontoise qui prévenue accourait sous les ordres du sire de L'Isle-Adam.

Le règne des Armagnacs était terminé. L'émeute prit possession de Paris.

Seul, au milieu du désordre, de la confusion, de l'affolement, le prévôt de Paris, Tanneguy Duchâtel, conservant tout son sang-froid, songea à sauver le dauphin. ,

Il accourt à l'hôtel neuf des Tournelles, où loge de dauphin dans le vaste domaine de Saint-Paul.

Le prince dort.

Duchâtel se précipite vers son lit, prend le jeune Charles demi-nu dans ses bras, l'enveloppe de sa « robe à relever la nuit » et alerte les chambellans.

Avec eux il transporte le dauphin à travers les jardins de Saint-Paul.

Le prince, ni le prévôt n'avaient de monture.

Au risque de sa vie, le chancelier de Charles céda son cheval et Tanneguy Duchâtel, prenant le dauphin en travers de sa selle, le conduisit à la Bastille, tenue par les Armagnacs.

Les émeutiers, qui s'étaient précipités vers l'hôtel Saint-Paul, n'y trouvèrent que le roi Charles VI.

 Ce dernier, malgré sa démence, accueillait avec bonhommie les visages connus ; il demanda des nouvelles de son cousin de Bourgogne. Faisant monter le souverain à cheval, les insurgés le promenèrent dans leurs rangs à travers les rues de Paris, suscitant ainsi un mouvement décisif en faveur de l'insurrection.

Le bruit des combats, le tumulte de l'émeute parvenaient jusqu'aux oreilles du dauphin réfugié à la Bastille et le remplissaient de frayeur.

Le 30 mai, sortant secrètement, Tanneguy Duchâtel conduisit le dauphin à Charenton, puis de là à Corbeil et à Melun.

Le prévôt de Paris qui n'avait pas encore combattu rentra dans Paris avec Barbazan à la tête de 1.500 lances.

Les troupes bourguignonnes étaient encore peu nombreuses et sans opposition Tanneguy Duchâtel avec ses hommes gagna l'hôtel Saint-Paul où il espérait enlever le roi.

Le souverain n'était plus en son hôtel ; les insurgés l'avaient conduit au Louvre.

Déjà une réaction se dessinait en faveur des Armagnacs, lorsque les soldats du prévôt se jetèrent dans les maisons pour piller. Leur conduite perdit la cause qu'ils défendaient. S'étant jointe aux Bourguignons, la milice parisienne, furieuse, refoula Duchâtel et ses Armagnacs.

Avec le gros de ses forces, le prévôt se replia vers le dauphin. Il cantonna successivement à Meaux, à Corbeil et à Melun.

De cette dernière ville, le dauphin gagna Bourges où il parvenait le 21 Juin 1418.

Aucun chroniqueur ne signale la présence de Jean de Brosse, ni parmi les troupes ayant combattu, ni dans l'entourage du prince Charles.

Mais il fut aux côtés du dauphin dès son arrivée en Berry et à partir de cette époque, le futur maréchal de Boussac servit l'héritier de la couronne en qualité de chambellan.

Le duc de Bretagne, Jean VI, s'efforça vainement de rétablir la paix entre le dauphin et le duc de Bourgogne. Toutes ses tentatives échouèrent, tant à cause de l'intransigeance de Jean sans Peur, qu'en raison des dérobades de Charles que ses conseillers entouraient d'une barrière infranchissable.

Au cours de l'entrevue de Charenton et par le traité de Saint-Maur, le duc de Bretagne parvint cependant à négocier une trêve de trois semaines entre les belligérants.

Grâce à ce traité de nombreux Armagnacs, cachés dans Paris, purent retrouver leur liberté ; c'est ainsi que la princesse Marie d'Anjou, qui s'était réfugiée à l'hôtel de Bourbon, fut reconduite à Saumur, auprès du dauphin son fiancé.

En même temps que dauphin de Viennois, Charles était duc de Berry, de Touraine et comte du Poitou, ce qui lui conférait une double autorité sur ces provinces.

Mais à l'intérieur de celles-ci, les Bourguignons occupaient de nombreuses forteresses.

Charles entreprit de les en chasser. Il avait à ses côtés pour le seconder, le duc d'Anjou, le comte des Vertus, Jean de Blois, Louis de Châlon, Jean Torsay, les sires de Barbazan, de Montenay et Jean de Brosse.

Taneguy Duchâtel avait reçu le titre de maréchal des guerres du dauphin.

 

La petite ville d'Azay, près de Loches, qui avait refusé de reconnaître l'autorité du dauphin, fut prise d'assaut.

 Puis, par Romorantin, l'armée marcha sur le château de Sully, dont le seigneur, Georges de La Trémouille retenait prisonnier l'évêque de Clermont, Gouge de Charpaignes, ancien chancelier du dauphin Louis, comte de Guyenne.

Assiégé dans sa forteresse, Georges de La Trémouille fut contraint de se rendre. Il libéra le prisonnier et s'engagea à rallier le prince Charles. Il n'en conserva pas moins, toute sa vie, des relations suspectes avec le duc de Bourgogne.

Après avoir réduit de La Trémouille, le dauphin marcha sur Tours, défendue par le Bourguignon Charles Labbé. La ville se rendit et son capitaine passa dans les rangs du vainqueur.

Maîtres de Paris à leur tour, les Bourguignons exercèrent des atrocités qui dépassèrent encore celles des Armagnacs. Altérés de vengeance, les Cabochiens s'étaient précipités dans la capitale derrière le sire de l'Isle-Adam et les massacres commencèrent Capeluche, le bourreau, avait pris la tête des émeutiers et Jean sans Peur dut capituler devant lui, devant les assassins déchaînés et leur livrer toutes les têtes qu'ils exigeaient.

Bernard d' Armagnac, livré par l'artisan chez lequel il s'était réfugié sous un déguisement, fut emprisonné.

Arraché par les émeutiers à la prison de la Conciergerie, le connétable, conduit à la salle du palais, eut la tête écrasée sur la table de marbre ; puis l'ayant entièrement dévêtu, un boucher découpa, sur la chair nue du cadavre, la reproduction de l'écharpe, emblème des Armagnacs.

Pendant toute une journée le corps fut traîné à la vue de tous à travers les rues de la capitale.

Toujours hésitant et « lent en ses besognes », Jean sans Peur ne se décidait pas à sévir contre les égorgeurs qui tuaient indistinctement Bourguignons et Armagnacs.

Profitant des troubles, chacun assouvissait ses haines personnelles.

Les chefs bourguignons tremblaient devant le peuple révolté qui abattait toute tentative d'opposition à ses meurtres d'où qu'elle vînt. Les militaires capitulaient devant l'émeute ; seul Guillaume Cyrasse, doyen des maîtres layetiers, tenta de s'opposer à la furie des assassins.

Attaqué par les émeutiers, il ne dut son salut, comme le connétable de Clisson, qu'à sa chute à travers un soupirail de cave.

Le duc de Bourgogne chargea Capeluche de former un tribunal. Ce dernier s'institua président. Il appelait à sa barre qui bon lui semblait, condamnait et exécutait aussitôt de sa main la sentence qu'il venait de prononcer.

Pour se débarrasser des émeutiers qui prenaient chaque jour plus d'autorité au détriment de la sienne, Jean sans Peur eut recours à un stratagème. Il fit courir le bruit qu'autrefois le connétable de Clisson avait enterré un énorme trésor dans la tour de Montlhéry.

Aussitôt 10.000 émeutiers se portèrent à l'attaque de la forteresse occupée par les Armagnacs qui les repoussèrent avec de lourdes pertes. Battant en retraite, ils se présentèrent aux portes de Paris qu'on refusa de leur ouvrir et furent contraints de se disperser à travers la campagne. Tout ce qui restait des émeutiers fut exterminé par les paysans avec l'aide des Armagnacs.

Profitant de l'absence des troupes de Capeluche parties à l'assaut de Montlhéry, Jean sans Peur fit arrêter le bourreau.

Celui-ci venait d'accomplir un forfait qui avait dressé tous les parisiens contre lui. Ayant traîné devant son tribunal la veuve d'un Armagnac, grosse de six mois, il la condamna et l'exécuta de ses propres mains. Capeluche fut condamné à mort et eut la tête tranchée.

Bientôt les souffrances jointes à la famine donnèrent naissance à une épidémie effroyable qui frappa si durement la population parisienne que la consternation et l'abattement succédèrent bientôt à la colère.

 

Pendant ces luttes fratricides, le roi d'Angleterre, Henri V, continuait ses conquêtes.

Le 1er août 1417, il avait de nouveau débarqué en Normandie.

 Dès les premiers assauts, les villes de Caen, de Bayeux, de Laigle, démunies de leurs défenseurs rappelés par le connétable d'Armagnac pour combattre les Bourguignons, tombaient aux mains des Anglais.

Bientôt Saint-Lo, Coutances, Vire, Falaise, ouvraient leurs portes aux soldats d'Henri V qui poursuivait son avance méthodique vers Rouen.

Après un siège héroïque de sept mois, sans que le duc de Bourgogne ait fait le moindre geste pour secourir la ville, réduite par la famine, Rouen succombait.

Et le 13 janvier 1419 fut signée la capitulation qui donnait aux Anglais la capitale de la Normandie et avec elle toute la province.

Vernon et Mantes subirent bientôt le sort de Rouen. La Roche-Guyon cependant ne fut pas livrée à l'ennemi sans combattre.

Perrette de la Rivière, dame de la Roche-Guyon, dont le mari était tombé à Azincourt, s'enferma dans la place, pourvut à sa défense et refusa obstinément de se rendre.

Les Anglais ayant miné la forteresse, se disposaient à la faire sauter ; Perrette de la Rivière dut capituler. Henri V proposa à la veuve d'épouser le capitaine à qui il avait fait don de la forteresse qu'il venait de prendre. La veuve refusa.

 Le roi d'Angleterre, frappé d'admiration, lui promit alors ses bonnes grâces si elle consentait à reconnaître son autorité. La dame de la Roche-Guyon refusa fièrement et, pauvre, dénuée de tout, sortit de son château, accompagnée de ses trois enfants. Elle se rendit aussitôt auprès du dauphin Charles qui représentait pour elle, le devoir.

De nombreux Normands l'imitèrent. Sous les coups de l'ennemi le sentiment national s'éveillait.

Bien qu'ils ne fussent pas tous aussi fermes que Perrette de la Rivière, les Français cependant supportaient mal la conquête anglaise.

Mais aussi irrésolu qu'à Lagny, Jean sans Peur hésitait. Il restait sourd à l'appel des Parisiens qui demandaient à grands cris la mise en défense de leurs fortifications contre l'Anglais.

Méprisé de la plupart des Français, le duc de Bourgogne tenta de rétablir sa popularité par des négociations de paix.

En compagnie de la reine Isabeau, il se rendit à Meulan pour rencontrer Henri V à qui il offrit la main de Catherine de France, fille de Charles VI, la plus belle des princesses de la cour.

 Devant les exigences du roi d'Angleterre, la conférence fut bientôt interrompue et Jean sans Peur songea alors à se réconcilier avec le dauphin Charles pour chasser les Anglais du royaume.

Avec beaucoup de méfiance, tant d'un côté que de l'autre, des négociations furent amorcées, à Corbeil, entre l'héritier de la couronne et le duc de Bourgogne.

Une première entrevue eut lieu sur le ponceau de Pouilly-le-Fort, près de Melun, avec une apparente cordialité.

Huit jours plus tard, le 11 Juillet 1419, un édit royal ordonnait que toute guerre cessât hormis contre les Anglais. Mais comme rien de précis n'avait été réglé par le prince et le duc afin d'organiser leur action commune contre l'ennemi, une nouvelle entrevue fut décidée entre eux « pour délibérer sur grandes affaires touchant la réparation du royaume ».

Et le 10 Septembre 1419 eut lieu, sur le pont de Montereau, la fatale entrevue au cours de laquelle le duc de Bourgogne devait être abattu.

Que se passa-t-il exactement? Qui frappa les premiers coups? Les témoignages contradictoires recueillis ne permettent pas de l'établir. Mais un fait demeure : Jean sans Peur fut massacré par les gens du dauphin.

Jean de Brosse n'accompagnait pas le prince Charles. Ce dernier avait à ses côtés les dix chevaliers qu'il avait délégués : T. Duchâtel, Barbazan, P. Frotier, G. d'Avaucour, le vicomte de Narbonne, P. de Beauveau, O. Layet, H. de Noyers, L. d'Escorailles et R. de Loré.

Parmi les dix seigneurs accompagnant le duc de Bourgogne se trouvaient notamment Charles de Bourbon, son gendre et neuf gentilshommes, dont le sire Pierre de Giac.

Le rôle de ce dernier dans la préparation du meurtre fut tel, qu'aussitôt après le crime, il quitta les rangs bourguignons pour accourir aux côtés du dauphin.

D'autres soins sollicitaient alors l'attention de Jean de Brosse.

Ils expliquent son absence à Montereau. La suite ininterrompue des combats auxquels il avait pris part n'avait pas encore permis au futur maréchal de Boussac de songer au mariage. Il allait atteindre 44 ans.

Profitant de la trêve qu'il croyait définitive entre Armagnacs et Bourguignons, Jean de Brosse résolut de se marier.

Et le 24 août 1419, le futur maréchal épousa Jeanne de Naillac, dame de La Motte-Jolivet, fille de Guillaume, seigneur de Naillac, du Blanc en Berry, de Châteaubrun, vicomte de Bridiers, et de Jeanne Turpin.

Jeanne de Naillac, dame de La Motte-Jolivet, apporta en mariage les terres de la Chastaigneraye et d'Ardelay à Jean de Brosse, seigneur de Boussac et de Sainte Severe

Jean de Brosse entrait ainsi dans la puissante famille du grand maître de l'ordre Saint-Jean de Jérusalem, dont il devenait le beau-frère.

Par son mariage Jeanne de Naillac obligea ses frères Hélyon et Jean, l'abandon de la terre de La Motte-Jolivet et 5.500 livres pour tous ses droits.

De son mari, elle recevait, à titre de douaire, la jouissance viagère de la seigneurie de La Pérouse.

Du mariage de Jean I de Brosse avec Jeanne de Naillac devaient naître trois enfants : Jean, Marguerite et Blanche.

 

 

CHAPITRE VI

FIN D'HENRI V ET DE CHARLES VI MORT DE PIERRE II DE BROSSE

Le meurtre de Jean sans Peur vengeait l'assassinat du duc d'Orléans. Il n'était pas moins odieux et devait être encore plus funeste à la France.

La réprobation, à travers le pays, fut unanime. On avait entrevu l'union des princes en face des menaces de l'étranger et les divisions intestines se creusaient plus profondes que jamais.

Frappé dans sa piété filiale, le nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, âgé de 23 ans, jura une haine mortelle à sa famille, à son pays et se jeta dans les bras de l'Anglais.

Exploitant habilement les ressentiments du duc de Bourgogne, le roi d'Angleterre Henri V se l'attacha par une alliance formelle. Avides de vengeance, tout le parti bourguignon, la reine de France, la ville de Paris suivaient Philippe le Bon.

Un traité de paix fut conclu à Rouen, le 25 décembre 1419, entre Charles VI, Henri V et le jeune duc de Bourgogne. Aux termes du contrat, le roi d'Angleterre prenait l'engagement d'épouser Catherine de France, fille de Charles VI et de punir les meurtriers de Jean sans Peur ; le duc de Bourgogne s'engageait à reconnaître Henri V comme roi de France à la mort de Charles VI.

Le dauphin ne restait pas inactif. Après avoir vainement tenté d'obtenir l'appui de Jean VI, duc de Bretagne, il s'efforça de réunir des troupes et de faire front. Philippe, comte des Vertus, fut nommé lieutenant-général, Barbazan, capitaine de Melun et le sire de Gamaches, capitaine de Compiègne.

Dans le nord de la France, en partie occupé par les Bourguignons, La Hire et Xaintrailles menaient, au nom du dauphin une guerre d'embuscades et de partisans.

Comme l'avait fait, en 1358, le fils de Jean, le Bon, après la captivité de son père, Charles se déclara spontanément régent du royaume.

Il entreprit de réorganiser le gouvernement, fixa à Poitiers le siège du Parlement, créa une Cour des comptes à Bourges et rétablit tous les rouages d'une administration souveraine.

==> Niort le 21 septembre 1418, le dauphin Charles institut par une lettre la translation du Parlement royal à Poitiers

Charles était né à Paris, en l'hôtel royal de Saint-Paul, le 21 février 1403, le jour même où Charles d'Albret recevait des mains du roi l'épée de connétable. Il était le cinquième fils et le onzième enfant qu'Isabeau de Bavière donna au roi Charles VI, son époux.

Peu de jours après sa naissance l'enfant avait été baptisé en la paroisse royale de Saint-Paul ; Charles d'Albret, le nouveau connétable avait été son parrain et Jeanne de Luxembourg, sa marraine.

Le jeune prince fut élevé dans l'atmosphère de luxe, de sensualité, d'orgie où vivaient les membres de la famille royale L'enfant subit l'influence démoralisante du dévergondage qui régnait à la cour et celle, plus néfaste encore de sa mère, insouciante, prodigue et sensuelle, « la grande truie », ainsi que la nommaient les Parisiens.

Lorsqu'il eut atteint l'âge de sept ans, le prince reçut trois gouverneurs.

Deux d'entre eux, Pierre de Beauveau et Hardouin de Maillé étaient vasseaux et conseillers intimes de la maison d'Anjou. Ils représentaient auprès de Charles l'influence angevine qui devait s'exercer sur lui d'une façon si continue.

En décembre 1413, Yolande d'Anjou, reine de Sicile, et duchesse d'Anjou vint avec sa suite visiter la reine de France en son hôtel de Barbette. Les deux reines s'accordèrent pour conclure une alliance matrimoniale entre leurs deux enfants : Charles, comte de Ponthieu et Marie d'Anjou.

Le prince n'avait pas encore atteint sa onzième année, sa fiancée avait moins de dix ans.

La cérémonie des fiançailles eut lieu le 18 décembre 1413.

Ce genre d'union se dénommait promesse de mariage, per verba de praesenti.

Pour que l'engagement se convertît en mariage, il fallait une ratification des deux fiancés devenus majeurs et une nouvelle consécration religieuse.

Les frères aînés de Charles, Louis et Jean étaient unis à des princesses bourguignonnes ; Jean sans Peur semble s'être désintéressé de l'union d'un prince que deux degrés séparaient du trône. La perspicacité peu commune et la vive intelligence de la reine Yolande lui avaient-elles permis d'envisager que Charles pourrait faire asseoir à ses côtés une princesse d'Anjou sur le trône de France? Rien n'autorise à le dire.

Et cependant les évènements devaient confirmer cette éventualité.

En qualité de Chambellan, Jean de Brosse restait en permanence aux côtés du dauphin. De simples valets, chargés de garder la chambre du roi, qu'ils étaient à l'origine, les chambellans vivant constamment dans l'intimité du souverain, appelés même à partager parfois sa chambre, avaient acquis une telle importance que l'emploi était recherché par toute la noblesse.

Comment Jean de Brosse fut-il désigné? Les chroniqueurs restent muets sur les raisons de son élévation à cette dignité.

De santé fragile, de tempérament maladif, le dauphin sur qui pesait une lourde hérédité, était inquiet et soupçonneux.

 Clouet nous a laissé de Charles un portrait qui est dans toutes les mémoires. Une grande tristesse marquait ses traits. Un nez important, une bouche sensuelle accentuaient l'étroitesse d'un menton fuyant. Bien qu'il fut d'une taille normale, Charles avait un très long buste et des jambes courtes, aussi était-il ridicule à cheval. Il ne montait d'ailleurs qu'en s'enveloppant d'une sorte de draperie juponnante qui dissimulait ses courtes jambes. Cette disgrâce physique et son manque d'assiette expliquent peut-être l'hostilité du prince pour les chevauchées guerrières qu'avaient tant aimées ses ascendants.

Les drames sanglants au milieu desquels s'était écoulée son enfance avaient fortement marqué le dauphin ; toute sa vie il devait conserver le souvenir de l'irruption des Bourguignons dans Paris.

Très doux avec ceux qui le servaient, Charles était d'un abord facile et se faisait aimer de tous ses serviteurs.

Jean de Brosse lui était très dévoué, comme devait l'être son fils, qui fut plus tard, lui aussi, chambellan de Charles VII. Le roi avait gardé un si bon souvenir du père qu'il tint à attacher l'enfant à sa personne.

L'instabilité de son caractère poussait le dauphin à une vie nomade, presque errante. « Vous voulez, lui écrivait l'un de ses conseillers, être caché en châteaux, méchantes places, et manières de petites chambrettes, sans vous montrer et ouïr les plaintes de votre pauvre peuple ».

En de fréquents voyages, Charles parcourait les pays rive gauche de la Loire où son autorité d'héritier du trône se trouvait appuyée par ses titres de duc de Berry, de Touraine et de comte du Poitou.

Jean de Brosse l'accompagnait dans tous ses déplacements, en qualité de chambellan.

Bientôt le conseil du régent résolut de conduire le prince parmi les provinces méridionales. Trente ans après son père, le 21 décembre 1418, Charles, dauphin du Viennois, inaugurait sa régence, comme Charles VI avait inauguré son gouvernement personnel, en se dirigeant vers le Languedoc.

Chambellan du prince, Jean de Brosse dut accompagner le prince dans son déplacement. Mais il n'est parvenu aucune relation de ce voyage.

Les conseillers du régent s'efforçaient de le soustraire à tout contact et « voulant rendre leur pupille impénétrable à ses contemporains, ils l'ont rendu tel, en partie au moins, pour l'histoire et la postérité ». Seuls des comptes d'écurie et des bribes d'information permettent de jalonner l'itinéraire suivi.

Par Moulins, le prince gagna Lyon où il rencontra Gerson, l'illustre chancelier de Notre-Dame. Ce prélat célèbre s'était volontairement exilé à Lyon, acceptant une pauvreté qui devait bientôt tourner en indigence, plutôt que le joug de l'Anglais.

 Le 25 janvier 1420 Charles donna « 200 francs à Jean Gerson, tant en considération des services qu'il lui avait dès longtemps faits, comme pour l'aider à supporter les pertes et dommages en quoy il est encouru dernièrement, en la ville de Paris, pour la rébellion advenue en icelle ».

Après un crochet à Vienne en Dauphiné, avec son escorte, dans laquelle figurait Jean de Brosse, le régent passa en Auvergne et traversa la province par Brioude, Saint-Flour et Albi.

Charles se rendit alors à Toulouse, à Carcassonne, puis à Montpellier et, le 4 avril, à la tête de la petite armée qu'il avait assemblée, parut devant Nimes.

Jean de Torsay, grand maître des arbalétriers, commandait aux côtés du régent.

La ville investie se rendit.

D'autres cités suivirent cet exemple et, bientôt, toute la région au sud de la Loire, entre le Rhône et la Garonne, reconnaissait l'autorité du dauphin.

Le 15 mai, Charles qui s'était rendu au Puy, se fit recevoir en qualité de chanoine en la cathédrale de Notre--Dame-du-Puy dont la renommée était immense.

Le 8 juin 1420 le régent était de retour à Poitiers.

 

Tandis que le dauphin accomplissait son voyage à travers les provinces méridionales, le roi d'Angleterre, quittant Rouen, vint coucher à l'abbaye de Saint-Denis.

Et le lendemain 9, pour la première fois, les Parisiens virent défiler 7.000 soldats anglais devant la porte Saint-Martin.

Henri V, à la tête de ses troupes, se rendit à Troyes où l'avait précédé le duc de Bourgogne.

Le roi Charles VI et la reine Isabeau, dont c'était la résidence, l'y attendaient.

Le fameux traité de Troyes fut alors débattu puis définitivement arrêté le 20 Mai 1420.

Promulgué le lendemain 21, le traité stipulait le mariage d'Henri V avec Catherine de France, conservait à Charles VI ses titres, rangs et prérogatives jusqu'à la fin de sa vie, garantissait à Isabelle le titre de reine et des émoluments en rapport avec sa condition.

 De plus, contrairement aux lois fondamentales du royaume de France, les droits héréditaires du dauphin Charles étaient non point transportés ou abolis, mais méconnus.

Henri V, en effet, reconnu comme fils et héritier de France, prenait immédiatement le gouvernement du royaume en qualité de régent ; il était d'autre part désigné pour entrer en possession absolue de la couronne de France à la mort de Charles VI.

A une étrangère, la reine Isabeau, est attribuée la plus large responsabilité dans cet attentat contre le royaume de France.

Le malheureux Charles VI, sans volonté, sans raison, sombrant dans la folie, irresponsable, déshéritait sa race.

L'ignominie de ce traité consterna tous les cœurs français. Il fit monter le rouge de la honte au front des Bourguignons qui se fussent volontiers déclarés sujets du duc de Bourgogne mais non du roi d'Angleterre.

 

Douze jours après le traité, en la cathédrale de Troyes était célébré le mariage de Catherine de France, sœur du dauphin dépossédé, avec le roi d'Angleterre Henri V.

Contrairement à la loi salique, le traité de Troyes transmettait la couronne à une femme et Henri V devenait héritier de France non pas en voie directe, mais par son mariage avec Catherine.

Or, même en admettant le nouveau principe de la transmission de la couronne, trois filles du roi Charles VI, nées avant Catherine primaient ses droits comme héritière : Marie de France, religieuse à Poissy qui avait abandonné tous ses droits temporels ; Jeanne, épouse du duc de Bretagne et Michelle de France, duchesse de Bourgogne.

A aucun titre, Henri V ne pouvait donc prétendre légitimement à la couronne de France.

 

Tandis que se concluait à Troyes le désastreux traité et que le régent légitime accomplissait son voyage en Languedoc, une querelle dynastique ralluma la guerre en Bretagne.

 La possession de la couronne ducale divisait depuis longtemps la maison de Bretagne.

Pendant un demi-siècle Blois et Montfort s'étaient disputé le pouvoir au cours de la guerre des deux Jeanne.

En 1420 la querelle se ranima.

Olivier de Blois ou de Penthièvre, aidé de ses frères et poussé par sa mère, enleva Jean de Montfort, duc de Bretagne et le tint séquestré. Maltraité, le prisonnier fit preuve de beaucoup de lâcheté ; sa femme au contraire, Jeanne de France, fille de Charles VI, résolue, prit en mains le gouvernement du duché, conjurant les périls.

Tenant ses enfants près d'elle, Jeanne parut en larmes devant l'assemblée des états de Bretagne et souleva l'émotion, puis l'enthousiasme des barons bretons qui accoururent sous sa bannière.

Elle envoya ambassade sur ambassade à son frère Charles, soupçonné de soutenir les Penthièvre, noua des alliances jusqu'en Espagne et réclama au roi d'Angleterre la délivrance de son beau-frère, Arthur de Bretagne, comte de Richemont, fait prisonnier à Azincourt.

Grâce à l'énergie, à l'habileté de la duchesse, Olivier de Blois, assiégé dans Guingamp, puis Marguerite de Clisson, furent contraints de capituler et le 5 juillet 1420, Jean de Montfort, duc de Bretagne recouvrait, avec la liberté, sa couronne ducale.

Les Penthièvre perdaient la majorité de leurs biens, et Jean de Brosse qui était très lié avec la famille de Blois, dut en être fort affecté, mais la chronique ne permet pas de savoir comment il a réagi.

Deux jours après son mariage, traînant à sa suite son beau-père et sa jeune épouse, Henri V, avec son armée, se dirigea vers Sens.

Aux chevaliers bourguignons qui lui avaient demandé d'organiser des joutes à l'occasion de son mariage, le roi d'Angleterre avait répondu : « A Sens pourra chacun de nous jouster et tournoyer et monstrer sa prouesse et son hardement ».

Assiégée le 8, Sens se rendit le 11 Juin à Henri V.

 Celui-ci vint mettre aussitôt le siège devant Montereau qui capitula au début de Juillet.

Le roi d'Angleterre se transporta alors devant Melun et en commença le siège le 7 juillet. La possession de cette ville qui barrait l'accès de Paris présentait beaucoup d'intérêt pour les deux partis. L'un des meilleurs capitaines du dauphin, un héros de la chevalerie, Barbazan, commandait la garnison dont l'effectif n'atteignait pas mille hommes d'armes.

Le roi d'Angleterre avait sous ses ordres plus de 20.000 hommes ; ses frères, les ducs de Clarence et de Bedford, l'accompagnaient. Le duc de Bourgogne participait à l'expédition. Ce dernier fournissait à Henri V son principal appui.

 Parmi les alliés de Philippe le Bon se trouvait Louis de Chalon, prince d'Orange qui venait de succéder à son père. Informé de sa présence, le roi d'Angleterre requit l'hommage du prince d'Orange et exigea qu'il souscrivit au traité de Troyes.

 Louis de Chalon répondit que prêt à servir le duc de Bourgogne, il se refusait à mettre le royaume de France aux mains des Anglais.

Quittant le siège, le prince d'Orange se retira avec ses troupes.

Henri V et Philippe le Bon se partageaient la direction des opérations du siège. L'Anglais commandait au sud, le Bourguignon au nord.

Philippe tenta un premier assaut le 28 Juillet ; il fut repoussé avec de lourdes pertes.

Les assiégés opposaient une résistance farouche.

Un moine, du nom de Damp Simon, qui excellait au tir de l'arbalète abattit à lui seul plus de soixante chevaliers anglais ou bourguignons, sans compter les hommes de pied.

Bien que son artillerie ait presque entièrement rasé les murs de la forteresse, Henri V n'osait pas faire donner l'assaut. Il résolut de miner la place et fit pousser des galeries sous les murailles. Barbazan contre-mina.

Bientôt les mineurs, ou taupins, des deux partis se rencontrèrent sous terre. Une barrière placée dans la galerie de mine séparait les belligérants. Journellement les chevaliers descendaient dans cette lice souterraine et livraient des joutes à la lueur des flambeaux.

Henri V lui-même croisa le fer avec Barbazan.

A son retour du midi, le dauphin Charles entra en campagne après avoir équipé sa maison militaire où, comme tous les chambellans, servait Jean de Brosse. Avec les quinze mille combattants qu'il avait pu rassembler, le régent vint s'installer à Saint-Mémin, tout près d'Orléans.

Tandis qu'il occupait cette position en réserve, ses capitaines poussaient des pointes vers le nord, établissant la liaison avec les forteresses restées aux mains des partisans du dauphin en Beauce, dans le Parisis et en Gâtinais.

Des éclaireurs furent envoyés secrètement jusqu'à Melun afin de reconnaître les positions des assiégeants.

Henri V et Philippe le Bon avaient puissamment organisé leurs camps, que défendaient de profonds fossés, des murs de terre et des palissades.

 Le conseil du dauphin décida de ne pas exposer le prince dans une entreprise qui exigeait beaucoup plus de moyens que ceux dont il pouvait disposer. Ses troupes s'employèrent alors à harceler l'ennemi et les assiégés de Melun furent prévenus qu'ils ne devaient compter que sur eux-mêmes.

Toujours aussi peu guerrier, Charles était de retour à Mehun-sur-Yèvre le 4 septembre ; il y demeura jusqu'au début de janvier suivant.

Dans Melun la famine menaçait les assiégés qui n'avaient pas été secourus. Les assiégeants eux-mêmes commençaient à souffrir de la disette.

Henri V, malgré une supériorité écrasante dut demander des renforts.

Le 18 octobre des troupes fraîches levées parmi les Parisiens arrivaient devant Melun. Jean de Luxembourg, mandé par le duc de Bourgogne survint peu après à la tête de toutes les forces qu'il avait pu rassembler.

Ces renforts considérables décidèrent du sort du siège. Réduite à toute extrémité, l'héroïque garnison dut capituler.

Et le 17 novembre, après cinq mois de siège, Henri V fit son entrée dans Melun.

La vaillance des défenseurs avait arraché des cris d'admiration au roi d'Angleterre lui- même et la poésie populaire célébra hautement l'admirable résistance de la garnison de Melun.

Malgré les termes de la reddition tous les soldats de la garnison, des femmes même, furent conduits à Paris et emprisonnés.

Beaucoup périrent de misère et de mauvais traitements.

Barbazan, l'intrépide capitaine, fut relégué dans une forteresse réputée imprenable que les Anglais possédaient en Normandie : Château-Gaillard.

 

Maître de Melun, Henri V, prétendu héritier de France, fit son entrée à Paris le 1er décembre 1420.

 Il s'installa au Louvre en grande pompe, déployant le luxe le plus magnifique.

 Le pauvre Charles VI relégué en son hôtel de Saint-Paul y faisait maigre chère.

Henri V régentait tout au royaume de France, destituant les fonctionnaires, en nommant de nouveaux.

Il désigna son frère, le duc de Clarence, comme gouverneur de Paris.

A l'instigation du roi d'Angleterre, prétendu régent de France, Charles de Valois fut ajourné à son de trompe, sur la Table de marbre, en la salle du Palais, pour comparaître dans un délai de trois jours. C'était la procédure à laquelle on recourait au royaume de France, dans les cas de bannissement.

Charles ne comparut pas. Aussitôt un arrêt du Parlement le déclara « indigne de succéder à aucunes seigneuries échues ou à échoir » et l'exila du royaume, comme coupable du meurtre de Jean sans Peur, « Duquel arrêt, ledit Valois, appela, tant pour soi que pour ses adhérans, à la pointe de son épée, et fit voeu de relever et poursuivre sa dite appelation, tant en France qu'en Angleterre et par tous les pays du duc de Bourgogne ».

Déshérité par son père, par sa mère, Charles s'intitula dans ses actes : « fils des Français ». Il continua de se proclamer « régent de France ».

Partout où flottait encore la bannière aux fleurs de lys, l'appel du dauphin légitime fut entendu et la résistance à l'envahisseur se raidit.

Tandis qu'Henri V conduisait triomphalement sa belle épouse à Londres où des manifestations débordantes de joie et d'orgueil l'accueillaient, Charles dont quelques rares documents permettent de suivre les actes, réorganisait la monnaie et prenait des mesures rigoureuses contre les routiers qui se rassemblaient en Poitou.

Le comte des Vertus, Philippe d'Orléans, frère du duc Charles toujours prisonnier en Angleterre, lieutenant-général du régent, mourut subitement à l'âge de 25 ans.

Le dauphin perdait avec lui l'un de ses meilleurs soutiens.

 Charles, qui avait déjà vu disparaître ses frères, se montra fort affecté par la mort de son cousin et sombra dans la mélancolie.

Il consentit cependant à sortir de sa retraite pour accueillir l'armée écossaise, forte de 4.000 hommes qui venait de débarquer à La Rochelle, seul port dont le parti du dauphin pût encore disposer.

Au début de février, Charles rassembla tous ses gens de guerre à Selles et les passa en revue.

Jean de Brosse accompagnait le dauphin et pour la première fois rencontra Jean, bâtard d'Orléans, qui devait s'illustrer sous le nom de Dunois ; ce titre ne lui fut donné que beaucoup plus tard, au retour de captivité de son demi-frère, Charles d'Orléans, le poète.

Fils illégitime de Louis d'Orléans et de Mariette d'Enghien, Jean avait été accueilli dans la famille de son père par l'épouse de celui-ci, Valentine de Milan, qui l'éleva avec ses propres enfants.

Les grâces du jeune bâtard la charmaient tellement qu'elle exprimait souvent son regret de ne pas être sa mère.

« On me l'a volé » ne cessait-elle de répéter en considérant la gentillesse de l'enfant.

Lorsque la nouvelle de l'assassinat du duc d'Orléans parvint à Château-Thierry, où résidait la duchesse, celle-ci appela ses enfants dans son oratoire.

Charles, 14 ans, Philippe, 12, et Jean, 9, accoururent ; elle fit venir aussi Jean, le bâtard, âgé de 15 ans. Dominant sa douleur, Valentine demanda : « Lequel de vous sera le plus ardent à venger ce crime? ».

 « Moi », répondit hardiment le bâtard, tandis que ses trois frères ne savaient que pleurer. Ainsi que devait souvent le dire la duchesse d'Orléans, avant de mourir de chagrin : « Jean, le bâtard, seul était taillé pour punir les assassins de son père ».

Tandis que le dauphin passait son armée en revue, le duc de Clarence, désigné par le roi d'Angleterre, son frère, pour commander en son absence, rassemblait lui aussi ses troupes. Ardent, impétueux, il aspirait à se distinguer, à inaugurer son commandement par un coup d'éclat.

A la tête de ses troupes, le duc de Clarence envahit le Maine et vint mettre le siège devant Angers.

 Le dauphin avec son armée s'était porté au-devant de l'Anglais. Ce dernier se replia et vint s'établir à Beaufort-en-Vallée.

L'armée du dauphin, composée surtout de soldats écossais, prit position devant Baugé.

Le samedi saint, 22 mars 1421, le duc de Clarence fut averti de la présence des Français pendant qu'il dînait.

Se levant de table aussitôt, il monta à cheval en s'écriant : « Allons leur courre sus, ils sont nôtres ».

Le comte de Bucan, Jean Stuart de Railston, allié de la famille royale d'Ecosse, commandait en chef les troupes du dauphin Charles. Sous ses ordres, un gentilhomme d'Auvergne, conduisait les milices françaises.

C'était Gilbert III Mortier, sire de La Fayette, qui commençait à Baugé sa brillante carrière.

Sans prendre le temps de rassembler son monde, le duc de Clarence, la lance en arrêt, se rua au combat avec une impétuosité et une insouciance dignes d'un chevalier français.

Quatre à cinq mille hommes combattaient de chaque côté.

Les Anglais furent défaits, le duc de Clarence tué, avec plus de deux mille des siens.

Pour la première fois depuis bien longtemps, les Français, en rase campagne, remportaient une victoire décisive sur les Anglais. Ces derniers avaient abandonné quatorze bannières.

Celle du duc de Clarence, prise elle aussi, fut portée et suspendue dans l'église Notre-Dame-du-Puy, « par un escuyer nommé Estienne Fragente, qui l'avait gaignée ».

Les chroniques ne permettent pas de dire si Jean de Brosse assistait à la bataille de Baugé ou s'il était aux côtés du dauphin.

Ce dernier, deux jours avant le combat, le jeudi saint, 20 mars 1421, accomplissait, à Poitiers, la cérémonie du « mandé » qui consistait à laver les pieds de douze pauvres.

Le prince et tous les officiers de sa suite s'étaient revêtus, à cette occasion, de manteaux de toile.

Le lundi 24, lendemain de Pâques, un messager qui avait pris part à la bataille de Baugé, accourut vers le régent. Il était envoyé par les seigneurs de France pour annoncer la victoire au dauphin qui séjournait en son château de Poitiers.

Avec toute sa maison, Charles se rendit aussitôt à la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers où il fit célébrer la retentissante victoire par un Te Deum.

Voulant exploiter le succès, le dauphin, à la tête de ses troupes, vint mettre le siège devant Alençon.

Jean de Brosse accompagnait le prince. Informé de l'avance des Français, le comte de Salisbury rassembla aussitôt toutes les troupes qu'il put tirer des forteresses de Normandie et accourut au- devant de l'armée du dauphin.

Mais rendu timoré par l'échec du duc de Clarence, il n'osa point engager la bataille et battit en retraite, poursuivi, l'épée dans les reins, par les Français.

Ralliant alors ses troupes, Charles se porta devant Montmirail qui fut assiégé, bombardé, pris et rasé.

Après avoir encore enlevé Beaumont, l'armée du dauphin s'approcha de Chartres.

Elle comptait 20.000 hommes, tant arbalétriers que gentilshommes. Avec ces derniers combattait Jean de Brosse.

La résistance de Chartres parut si solide au conseil du dauphin, qu'il renonça à mettre le siège devant la ville.

L'armée ne relia alors sur Saint-Prest qui abritait les plus acharnés Bourguignons de la Beauce. La ville fut forcée et la garnison passée au fil de l'épée pour venger la mort de Charles de Montfort, un gentilhomme breton, tué au cours de l'assaut.

Le 30 juin, terme indiqué pour la fin de la campagne, le conseil du régent dispersa l'armée et Charles vint établir sa résidence au château d'Amboise.

Tandis qu'il visitait triomphalement les provinces du nord de l'Angleterre, Henri V avait appris le désastre de Baugé. A cette nouvelle, le roi fut violemment irrité et déclara que si son frère avait survécu, il l'eût fait tuer pour avoir transgressé ses ordres.

Suivi de l'armée la plus nombreuse et la plus redoutable qu'il eût jamais réunie, Henri V débarqua à Calais le 10 Juin 1421.

L'armement, l'équipement des soldats anglais remarquablement étudiés, montraient un perfectionnement très poussé.

 C'est ainsi que l'armée anglaise était pourvue « d'équipages de pont » ; ils étaient constitués de bateaux en cuir que raidissait au moment du lancement un châssis léger en bois ; les chariots transportaient en outre un plancher mobile qui servait de tablier de pont.

Les Anglais et les Bourguignons attendaient avec impatience l'arrivée du roi Henri V car les soldats du dauphin enserraient la capitale, y tenant presque bloqué le duc d'Exeter.

Ayant distribué les commandements entre ses lieutenants, réfléchi, sûr de lui, sûr de son armée, le roi d'Angleterre entra en campagne.

A la tête d'une armée de 20.000 hommes tant anglais que bourguignons, le duc de Glocester se porta vers Chartres où il espérait joindre l'armée du dauphin, « mais ne trouva pas à qui parler », Charles ayant renoncé à assiéger la ville.

Le 18 juillet le duc anglais mettait le siège devant Dreux.

La garnison demanda le secours du dauphin. Ce dernier réunit aussitôt un grand conseil à Blois. L'assemblée comprenait tous les chefs de l'armée, tous les conseillers du prince et il est probable que Jean de Brosse dut y assister.

Le conseil reconnut la nécessité de secourir Dreux.

Un mandement en forme d'ordonnance fut adressé à tous les vassaux tenus au service des armes envers l'héritier légitime de la couronne. Le ban général était convoqué à Vendôme pour le 26 août. Comme les précédents appels n'avaient pas été suivis avec la rapidité et l'unanimité désirables, l'ordonnance fut rédigée avec autorité. Elle stigmatisait les vassaux qui négligeraient d'accomplir leurs obligations, allant jusqu'à menacer les défaillants de leur faire retirer par le roi toutes prérogatives de noblesse.

Dreux, qui ne put être secourue à temps, succomba le 20 Août, rendant inutile l'appel du dauphin. Cependant le 25 de nombreuses troupes arrivèrent à Vendôme.

 Le comte de Bucan et Tanneguy Duchâtel en prirent le commandement au nom du régent.

- Averti par ses espions, Henri V, partant de Chartres, se dirigea en deux colonnes à travers la Beauce. L'une marchait sur Vendôme, l'autre sur Beaugency.

A la vue de Duchâtel, qui ne s'aventura pas à engager le combat, Henri V avec son armée franchit la Loire et poussa une pointe en Sologne. Harcelé par les troupes du dauphin qui refusaient obstinément le combat, le roi d'Angleterre marcha sur Orléans dont il atteignit les faubourgs à la mi-septembre.

Animés déjà de la vaillance qui devait les illustrer quelques années plus tard, les Orléannais repoussèrent les Anglais. Ceux-ci reprirent leur marche en direction de l'Est, toujours suivis des détachements français qui abattaient tous les traînards.

Après avoir traversé le Gâtinais, Henri V vint assiéger Villeneuve-sur-Yonne, qu'il enleva le 22 septembre. Passant la Seine à Montereau, le roi d'Angleterre, par Melun et Vincennes, gagna Paris.

Au cours de sa campagne, malgré toute sa supériorité, Henri V n'avait pu obtenir aucun succès important. Il ramenait à Paris une armée épuisée, réduite par la maladie et la famine et plus de 4.000 cadavres anglais jalonnaient la route suivie par l'envahisseur.

Pendant la randonnée si peu décisive du roi d'Angleterre, les Normands soulevés à l'appel de Jacques d'Harcourt et du sire d'Offémont, capitaines du dauphin, remportèrent de nombreux succès. Il fallut l'intervention, avec des troupes nombreuses, du duc de Bourgogne pour ralentir mais non arrêter leur action à Mons-en-Vimeu.

Après avoir renvoyé à Londres la reine Catherine, qui malgré sa grossesse était venue en France, Henri V se porta devant Meaux avec toute son armée grossie d'importants renforts bourguignons.

Depuis longtemps les Parisiens demandaient la réduction de cette forteresse d'où le féroce de Vaurus, ancien lieutenant du comte d'Armagnac, s'élançait pour mettre à feu et à sang toute l'Ile de France et jeter la mort jusque sous les murs de la capitale.

Le 6 octobre 1421 Henri V était devant Meaux et le siège commençait.

Pendant sept mois la faible garnison de la ville comptant à peine mille hommes d'armes retint sous ses murs toute l'armée anglaise, qui, renforcée de ses alliés atteignait un effectif de plus de 25.000 combattants.

Henri V déployait en vain son génie de l'art militaire ; les assiégés déjouaient toutes ses tentatives. En plus de la mine et de l'artillerie à feu, le roi d'Angleterre mit en action des ma- chines de guerre nombreuses qu'il faisait construire d'après ses plans.

L'une, montée sur roues, devait permettre de lancer un pont volant sur la Marne ; une autre comportait une tour géante portée par un couple de bateaux qui, descendant la Marne, devait conduire les assiégeants sur la plateforme des remparts.

A toutes ces tentatives, quelles qu'elles fussent, la garnison opposait une résistance opiniâtre et invincible.

Ayant tenté un assaut entre le pont et le coude de la Marne, les Anglais furent repoussés et contraints de battre en retraite. Bien plus, au cours d'une sortie soudaine les assiégés attaquèrent l'ennemi qui se repliait ; une lutte farouche s'engagea ; tous les Anglais, ou presque, furent tués. Un seul réussit à s'enfuir. Prévenu, Henri V fit arrêter le fuyard. On creusa une fosse, où, sur l'ordre du souverain anglais, le malheureux rescapé fut enterré vivant.

A l'action de tous leurs engins défensifs, les assiégés ajoutaient encore l'ironie.

Ayant fait monter un âne sur les remparts, ils avaient ceint sa tête d'une couronne.

 Un sonneur de trompe alertait assiégeants et assiégés ; aussitôt un comparse rouant l'âne de coups afin de le faire braire, criait, en montrant l'animal, qu'il s'agissait du roi Henri V. Le sonneur de trompe déposant son instrument, haranguait l'ennemi, lançant les plaisanteries les plus acerbes que les Anglais, la rage au cœur, devaient entendre, impuissants à faire taire le bonimenteur.

Bien que la ville fût complètement investie, le conseil du dauphin décida de la ravitailler. Il désigna Guy de Nelle, seigneur d'Offémont, pour tenter le coup de main avec trois cents hommes de guerre expérimentés.

L'opération eut lieu le 2 mars à minuit. Elle allait réussir.

Déjà les échelles étaient posées et les premiers hommes du renfort parvenaient au sommet du rempart. Soudain un soldat du sire d'Offémont laissa tomber une besace pleine de harengs qu'il avait dérobés on ne sait où ; le sac tomba sur la tête du capitaine, et l'officier roula dans le fossé des fortifications. Afin de le tirer de sa mauvaise posture les assiégés lui tendirent plusieurs lances ; mais le poids du sire d'Offémont, équipé de sa lourde armure était tel que les lances lui restèrent dans la main et qu'il demeura dans le fossé.

Alertés par le bruit, les Anglais accoururent, firent le capitaine prisonnier ainsi que la majeure partie de son détachement.

Cet échec jeta le trouble dans la garnison assiégée.

Mais les défenseurs se ressaisirent vite. Leur artillerie, leurs arbalètes causaient de lourdes pertes aux Anglo-Bourguignons qui souffraient en outre du froid et de la faim et perdaient beaucoup de monde par la maladie.

Au cours d'un engagement, un capitaine anglais, cousin du roi Henri V, du nom de John Cornwall, fut blessé à la cuisse ; son fils, accouru à ses côtés, eut la tête séparée du tronc par un coup de couleuvrine tiré de la place. Le père, dont le malheureux jeune homme était l'unique enfant, en conçut un tel désespoir qu'il maudit la guerre. Bien plus, il déclara abjurer la cause du roi Henri V, agresseur de la France et de l'héritier légitime Charles.

John Cornwall déposa les armes, se retira en Angleterre et resta fidèle jusqu'à sa mort au serment qu'il avait fait de ne jamais plus verser le sang chrétien.

Bientôt une nouvelle parvint au camp qui releva le moral des troupes anglaises.

Le 6 décembre 1421 Catherine de Valois, reine d'Angleterre, avait mis au monde un fils qui devait régner sous le nom d'Henri VI.

Celle naissance remplit de joie et d'orgueil tous les Anglais et aussi les Bourguignons, mais non pas cependant tous les Bourguignons, car beaucoup parmi eux considéraient l'Anglais comme un usurpateur. L'attitude pleine de morgue du souverain anglais contrastait avec la bienveillance et la simplicité habituelles aux rois de France.

Au seigneur bourguignon, de l'Ile-Adam, qui se présentait devant lui, vêtu d'un habit en étoffe commune, Henri V déclara - « Comment, l'Ile-Adam, est-ce ci la robe de maréchal de France ?

Regardant le souverain dans les yeux, de l'Ile-Adam répondit : —' « Sire, je l'ai fait faire telle pour venir par eau, dans les bateaux.

— « Comment osez-vous regarder un prince au visage, quand vous parlez à lui ? reprit le roi irrité.

— « Sire, la coutume des François est telle que si un homme parle à un autre, de quelque état ou autorité qu'il soit, les yeux baissés, on dit que c'est un mauvais homme, puisqu'il n'ose regarder celui à qui il parle au visage.

— « Ce n'est pas notre guise, trancha le roi.

Et peu de temps après, Henri V, sous un vain prétexte fit enfermer le seigneur de l'Ile-Adam, après lui avoir retiré son office de maréchal de France.

Cependant les ressources des assiégés, qui n'avaient pas été secourus, s'épuisaient. Leurs moulins avaient été détruits. Tous les fers de lance ayant été perdus ou brisés au cours des combats, les soldats enfermés dans Meaux devaient s'armer avec des broches de cuisine.

Derrière leurs murailles minées par les Anglais et présentant de nombreuses brèches, les assiégés avaient déjà repoussé plus de vingt assauts. Henri V avait les moyens d'enlever la ville au cours d'une attaque générale, mais il préférait réduire la garnison par la famine afin de prendre intacte la ville et ses trésors.

Et le 2 mai 1422, après sept mois de siège, la ville de Meaux signait sa capitulation.

La résistance héroïque de la garnison de Meaux qui retint sous ses murs d'octobre 1421 à mai 1422 toute l'armée anglaise, qui coûta à cette dernière plus de la moitié de ses effectifs, eut une importance décisive dans les destinées de la France. Sans l'énergie indomptable du sire de Vaurus, de ses soldats, de la population tout entière, le dauphin Charles qui déjà faisait fortifier Aigues-Mortes, eût risqué d'être chassé de son « royaume de Berry ».

Autant que de colère, le roi d'Angleterre avait été frappé d'admiration par la prodigieuse résistance de la ville de Meaux.

Il offrit au sire de Cizay, l'un des capitaines de la garnison, de le combler de biens s'il voulait passer à son service. Le chevalier refusa et resta fidèle au dauphin, à la France.

Le bâtard de Vaurus fut décapité et pendu par les épaules à « l'orme de Vaurus », célèbre dans la région, où lui-même avait fait pendre tant de victimes.

 D'autres avec lui furent pendus et notamment le sonneur de trompe qui avait tant crié d'injures aux Anglais.

Les prisonniers furent conduits à Paris.

 Parmi eux se trouvaient trois moines de Saint-Benoît et Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, empressé déjà à se montrer serviteur zélé des Anglais, s'efforça d'obtenir leur condamnation à mort.

Il échoua dans son entreprise devant la défense des accusés qui objectèrent que « le devoir de combattre pour sa patrie résultait de la loi naturelle qui est immuable » ».

 L'abbé de Saint-Denis, quoique du parti bourguignon, défendit les accusés qui lui furent remis. Et cette fois, Pierre Cauchon dut laisser échapper sa proie.

Tant au nord qu'à l'ouest, la lutte se poursuivait ; il ne s'agissait que d'escarmouches, l'armée anglaise devait se refaire avant d'être en mesure d'entrer à nouveau en campagne.

A cette époque, le conseil du dauphin, inquiété par la naissance du fils d'Henri V et de Catherine, résolut de faire célébrer à Bourges les noces définitives entre Charles et sa fiancée, Marie d'Anjou.

Le mariage eut lieu en avril. Il fut bientôt suivi de l'union de Jean, bâtard d'Orléans, le futur Dunois, avec Marie Louvet, la fille du tout puissant ministre et favori du dauphin.

 De grandes fêtes auxquelles assista Jean de Brosse furent données à Bourges en l'honneur de ces deux mariages qui se déroulèrent dans la même « chambre de drap d'or de vieille façon », c'est à dire tapisseries de drap vert semées d'épis d'or.

Dès le début de juin Henri V voulut reprendre les hostilités mais des conspirations en faveur de Charles l'obligèrent à revenir dans la capitale.

De son côté le conseil du dauphin avait résolu d'attaquer, dans le courant de l'été, les états du duc de Bourgogne.

Vers la mi-juin l'armée de Charles, forte de 20.000 hommes, après avoir pris Saint-Sauveur, Bléneau et La Charité, vint mettre le siège devant Cosne.

Prévenu, le duc de Bourgogne réunit aussitôt ses troupes afin de délivrer Cosne et demanda à Henri V de lui envoyer des renforts.

Le roi d'Angleterre répondit que non seulement il enverrait une armée mais encore viendrait en personne, avec toute sa puissance.

Le rassemblement était fixé à Vezelay, choisi comme haut lieu..

A cette époque Jean de Brosse dut s'éloigner de l'armée du dauphin.

Son père, Pierre II de Brosse, venait de mourir en son château d'Huriel.

 

Le 28 juillet 1422 le futur maréchal de Boussac faisait inhumer son père dans le tombeau que ce dernier avait fait élever en l'église Saint-Martin d'Huriel.

A la mort de Pierre de Brosse, Jean, son principal héritier, devenait seigneur de Boussac, de Sainte-Sévère et d'Huriel.

Mais son père était à peine enterré que le nouveau seigneur de Boussac devait régler une importante querelle de famille. Sa mère, Marguerite de Malval, poussée par son gendre favori, Guérin de Brion, soulevait toutes sortes de difficultés à propos de la liquidation de son douaire et de ses droits de communauté.

Les affaires se gâtèrent ; la discussion s'envenima. Déjà Jean de Brosse qui n'était pas patient avait rassemblé des hommes d'armes pour faire triompher sa cause. Guérin de Brion s'armait de son côté. On allait en venir aux mains, lorsque des amis communs s'interposèrent. Ayant réussi à calmer les adversaires, ils se réunirent afin de mettre au point une transaction.

 

Jean, seigneur de Linières, ainsi que divers chevaliers reconnus comme arbitres, rendirent leur sentance.

 Les droits de Marguerite de Malval étaient liquidés à 1.500 écus d'or ; Jean de Brosse s'engageait à les lui payer et comme il n'était pas en mesure d'en effectuer immédiatement le versement, donnait, pour « pièges » (caution) à sa mère, son beau-frère Jean de Naillac et divers écuyers.

Jean de Brosse n'avait pas d'argent. Les travaux de réfection de son château de Boussac absorbaient la majeure partie de ses revenus. Il devait encore bien souvent régler de ses deniers ses hommes d'armes dont la solde n'était versée que bien irrégulièrement par le maigre trésor du dauphin Charles.

De retour à l'armée, Jean de Brosse apprit la mort du roi d'Angleterre, Henri V survenue le 31 août 1422.

Le terrible adversaire qui avait failli abattre la France venait de succomber à trente-cinq ans d'une dysenterie compliquée de fistule à l'anus.

Moins heureux que ne devait l'être Louis XIV, il n'avait pas trouvé de chirurgien pour l'opérer.

Le duc de Bretagne séjournait à Paris au moment de la mort du roi d'Angleterre.

Les conférences, interrompues par le décès du souverain, reprirent bientôt.

Il fut décidé que le duc de Bretagne livrerait La Rochelle aux Anglais.

Le conseil du dauphin en fut informé. Charles, qui comptait essentiellement sur le concours des troupes étrangères afin de reconquérir son royaume résolut de défendre à tout prix le seul port qui lui restât.

Le 26 septembre, avec tout son conseil, au rang duquel figurait Jean de Brosse, le dauphin quitta Bourges.

Par Issoudun, Châteauroux, Buzançais, il gagna Poitiers et, le 10 octobre arriva à La Rochelle.

Dès le lendemain une assemblée fut convoquée dans l'hôtel de l'évêché où était logé le dauphin.

L'affluence était telle que le plancher s'écroula.

Des assistants précipités dans la cave beaucoup furent blessés et plusieurs tués.

 Parmi ceux qui avaient succombé se trouvaient Pierre de Bourbon, cousin du dauphin et Guy de Naillac.

Jean de Brosse ne fut même pas blessé et Charles qui « demeura tout assis en sa chaire », glissa ainsi, miraculeusement protégé, d'un étage à l'autre, sans recevoir la moindre égratignure.

==> Le Livre Noire de La Rochelle au temps de Charles VII et Jeanne D’Arc

Avec toutes les forces qu'il avait pu réunir en Saintonge, le dauphin se porta au- devant de l'armée bretonne, la joignit à Montaigu, en Vendée et l'écrasa.

Après avoir fait remettre en état les fortifications de La Rochelle, pacifié les querelles intérieures, organisé l'administration, le dauphin quitta la ville qui devait lui rester fidèle même au cours des plus désastreuses années de son règne.

Tandis que le dauphin chevauchait pour revenir de Saintonge en Berry, son père était à l'agonie.

Et le 24 octobre en arrivant à Mehun-sur-Yèvre, l'héritier de la couronne apprenait la mort de Charles VI, survenue à Paris, en son hôtel Saint-Paul, le 21 octobre 1422.

Le 10 novembre, Charles VI fut porté à Notre-Dame, puis à Saint-Denis. Un seul prince figurait dans le cortège, un prince anglais, le duc de Bedford, mais un peuple immense se pressait derrière lui.

Dans cette ville prompte à l'opposition, tournée vers la raillerie et l'ironie, jamais Charles VI, abaissé cependant par la plus humiliante des maladies, ne fut attaqué, tant était grand le prestige de la monarchie. Et au passage du convoi funèbre, « tout le peuple, qui estoit en my les rues et aux fenestres, pleuroit et crioit comme si chacun vît mourir la riens (la chose) que plus aimât ».

Mais le mort saisit le vif et le 29 octobre 1422, le prince Charles, en son château de Mehun-sur-Yèvre, prit le titre de roi de France. Deux jours plus tard, il se rendit à Bourges où fut célébrée la cérémonie de la Toussaint. En la magnifique cathédrale, le nouveau roi de France, Charles VII inaugurait son règne.

Quelques semaines après que Jean de Brosse eût assisté à la cérémonie de la Toussaint dans la suite du nouveau roi de France, un évènement heureux le fit accourir au château de Boussac. Jeanne de Naillac venait de donner le jour à un fils.

Le futur maréchal voyait ainsi assurée la survivance de sa lignée.

L'enfant fut prénommé Jean ; il devait un jour succéder à son père en ses seigneuries sous le nom de Jean Il de Brosse.

 

 

CHAPITRE VII

LE CHATEAU DE BOUSSAC COMBATS DE CRAVANT ET DE VERNEUIL

Si Huriel avait été la résidence préférée de Pierre de Brosse, son fils ne semble pas avoir marqué les mêmes goûts. L'enfance de Jean de Brosse, attristée par la mésentente entre ses parents, avait profondément marqué l'homme qu'il était devenu. Il fuyait le château d'Huriel où tout évoquait pour lui les scènes violentes qui avaient dressé, l'un contre l'autre, son père et sa mère. Chaque fois qu'il retournait à Huriel le souvenir des âpres querelles se répercutait aussitôt dans son souvenir.

De toutes les seigneuries qu'il avait héritées, Boussac était le séjour de prédilection du futur maréchal.

Porté par une falaise granitique, verticale, haute de plus de 120 pieds, qui se dressait en éperon au-dessus du confluent de la Petite Creuse et du Béroux, le château de Boussac occupait une position extraordinairement forte.

La ville de Boussac en 1656

De tout temps les hommes avaient utilisé ce site imprenable.

La légende attribuait aux Romains la construction de la première tour sur l'immense rocher ceinturé à sa base par les ravins de deux torrents.

« C'est seulement entre 1110 et 1125 que le castrum de Buciac est mentionné pour la première fois (cartulaire d'Aureil»).

Le château, qui devait exister lorsque Raoul IV de Déols mourut à Boussac en 1058, avait été construit dans la première moitié du XIe siècle.

Pris par les Anglais après la bataille de Poitiers, le château de Boussac se trouvait fort démantelé lorsque Jean de Brosse en hérita.

Un bourg de cent feux, non fortifié, s'élevait au nord du château.

Un peu moins impécunieux depuis son mariage, Jean de Brosse, dès 1420, avait entrepris de restaurer le château de Boussac.

Lorsqu'il fit commencer les travaux, en employant les maçons marchois déjà constructeurs renommés, l'immense donjon élevé au début du XIe siècle avait résisté, tant à l'action du temps, qu'à celle des Anglais.

C'était une tour énorme, rectangulaire, mesurant 60 pieds de long sur 48 de large. Des contreforts puissants, quatre sur chacun des longs côtés, trois sur les autres, renforçaient les murs qui atteignaient 10 pieds d'épaisseur. Les dimensions de ce donjon frappaient tous ceux qui le découvraient pour la première fois.

« Il est si vaste, disaient-ils, qu'on y pourrait loger le roi et sa cour ».

Au sud du donjon qu'entourait une courtine crénelée, se dressait, tout en bordure de la falaise, un château roman flanqué de cinq tours. L'édifice était fort délabré.

La mort de son père, en augmentant les revenus de Jean de Brosse, lui permit de pousser plus activement les travaux de réfection et d'aménagement de son château de Boussac.

« D'une forteresse pourvue d'habitation, il décida de faire un château fortifié ». Après avoir restauré les constructions existantes, Jean de Brosse fit élever sur trois étages le corps principal du logis, ainsi qu'une tour avec escalier pour le desservir. En quelques années les travaux furent terminés.

L'entrée principale du château s'ouvrait au nord par une porte à mâchicoulis, munie d'une herse, à laquelle on accédait par un pont-levis jeté au-dessus d'un fossé naturel.

Par cette porte on pénétrait dans une première cour où Jean de Brosse avait fait élever une élégante chapelle, à contreforts d'angles, en forme de tours, qui s'adossait à la courtine nord. A l'est de cette cour s'élevait la masse imposante du vieux donjon rectangulaire ; au sud, une deuxième courtine, précédée d'un fossé séparait la première cour de la principale.

Dans l'angle nord-ouest de cette cour principale à laquelle on accédait par un pont-levis, défendu par deux tours, se trouvait le puits de la forteresse.

Au sud, se dressait le château avec ses trois tours, de formes différentes, que réunissaient trois étages de galeries. Les bâtiments s'étendaient sur plus de 280 pieds de long et 50 de large.

La façade nord du château, lorsque les travaux furent achevés présentait un aspect accueillant. Vers le sud, au contraire, le château conservait toute son austérité primitive.

 L'irrégularité des bâtiments, imposée par le rocher granitique qui les supportait, accentuait le caractère sévère, sans harmonie, de cette façade, d'où était absent tout appareil de défense. La verticalité de la falaise suffisait, en effet, pour rendre impossible toute tentative d'escalade sur cette face.

A l'intérieur du château, tant dans les combles, qu'au rez-de-chaussée et dans les deux étages, la disposition restait la même.

Une grande pièce au centre était flanquée à l'est d'une autre chambre un peu moins vaste et de trois autres plus petites à l'ouest.

La grande salle du rez-de-chaussée, salle de réception, servait à la fois de salle à manger et de chambre à coucher. Carrelée de briques rouges, elle mesurait 60 pieds de long sur 30 de large et 15 de haut sous plafond. Deux hautes fenêtres rectangulaires, avec meneaux à double croix, garnies de bancs de pierre, l'éclairaient vers le sud.

 Elle était chauffée par deux immenses cheminées à hotte (9 pieds de large sur 3 de profondeur), l'une entre les deux fenêtres, l'autre dans le mur de refend ouest. Reposant sur des corbeaux de granit, deux énormes poutres de chêne supportaient les solives apparentes du plafond.

Destinée à loger les maîtres du château et les hôtes de distinction, la pièce principale était ornée de tous les objets précieux que possédait Jean de Brosse.

De rares tapisseries décoraient les murs et le sol était recouvert de nattes de paille. De grandes chaises en bois, munies d'un haut dossier, la huche, le dressoir avec les pièces de vaisselle les plus riches, meublaient la pièce.

Les lits, formés de cadres de bois où reposaient des matelas, étaient surmontés de ciels de lit d'où pendaient de longs rideaux descendant jusqu'à terre.

Des fenêtres s'ouvrant au sud, Jean de Brosse découvrait un admirable paysage. Tout au pied du château, sur des rochers sombres, semblables à d'énormes galets, cascadaient les eaux blondes de la Petite Creuse. Des prairies, festonnées de châtaigniers, bordaient la rivière.

Au- delà, jusqu'à l'horizon, comme les vagues d'une mer moutonneuse, ondulaient les collines arrondies de la Marche. Aux jours d'été le soleil allumait des reflets de pourpre aux flancs des montagnes tapissées de bruyère.

L'hiver, dans le ciel assombri, roulaient des nuages lourds et gris qui se confondaient avec les rochers de granit et comblaient le creux des vallées, nivelant la ligne d'horizon. Parfois un étroit rayon de soleil éclairait une hauteur qui surgissait, blonde de lumière, dans la grisaille du paysage.

Jean de Brosse ne pouvait jamais goûter bien longtemps le charme de son château de Boussac et ne faisait que de courtes apparitions parmi les siens. Son service le retenait auprès du roi.

Le futur maréchal avait gagné la confiance de son souverain, qui ne l'accordait cependant pas volontiers.

Et Charles VII, par lettres en date du 26 mai 1423, « pour reconnaître les grande services que Jean de Brosse, seigneur de Boussac, de Sainte-Sévère et d'Huriel, avait rendus à l'Etat et au roi, le retint à quarante hommes d'armes et 300 livres par mois et voulut qu'il servît près de sa personne à vingt hommes d'armes ».

Jean de Brosse était chargé de veiller à la sécurité du roi.

Eloigné de Paris, siège de la monarchie, éloigné de -Reims, ville du sacre, Charles VII avait fait de Bourges sa capitale.

Le Berry, l'Orléanais, le Poitou, le Maine, l'Anjou, le Lyonnais, le Dauphiné, le Languedoc, l'Auvergne, le Bourbonnais, ainsi qu'une partie de la Saintonge avec La Rochelle, reconnaissaient l'autorité du jeune roi. La Provence se comportait en alliée sûre.

Les Anglais occupaient en maitres Paris et l'Ile de France, la Guyenne, la Normandie et la plus grande partie de la Picardie et de la Champagne ; leurs alliés bourguignons possédaient les Flandres, l'Artois et la Bourgogne.

Aussitôt après la mort du roi d'Angleterre, son frère, Jean, duc de Bedford, avait été constitué régent du royaume de France et gouverneur de Normandie, tandis que le duc d'Exeter, avec le duc de Glocester comme lieutenant, devenait protecteur du royaume d'Angleterre et assurait la surintendance de l'éducation du jeune roi Henri VI.

Le duc de Bretagne hésitait toujours à prendre parti entre Charles et les Anglais, s'efforçant d'apporter sa médiation, secondé souvent dans son action par le duc de Savoie.

En dépit de tous les efforts, de toute la diplomatie du régent Bedford, les Anglais suscitaient autour d'eux l'antipathie de presque tous les Français. Des bourgeois de Paris conspiraient pour livrer la capitale au roi légitime. Les Anglais découvrirent le complot et sévirent durement.

Afin de mieux assurer leur domination, ils contraignirent tous les Parisiens à leur prêter serment de fidélité : « c'est à sçavoir, bourgeois, mesnagers, charretiers, bergers, vachers, porchers des abbayes, et les chambrières, et les moines même, d'être bons et loyaux au duc de Bethefort de lui obéir en tout et partout et de nuire de tout leur pouvoir à Charles, qui se disoit roy de France, et à tous ses alliés et complices ».

A Troyes, capitale de la reine Isabeau, il était nécessaire pour vivre en paix de se munir d'un certificat de dévouement à la cause des Anglais. Mais la plupart des Français résistaient, malgré toutes les menaces et toutes les brimades cruelles : on perçait la langue de ceux qui étaient soupçonnés de manifester des sentiments favorables au roi légitime.

A Reims le supérieur des Carmes, Guillaume Prieuse, accusé d'être partisan de Charles VII, fut arrêté. Traduit, malgré sa robe, devant les juges, il osa répondre : « Jamais roi anglais n'a régné en France, jamais l'Anglais ne régnera ! ».

Malheureusement Charles VII restait incapable de s'élever à la hauteur des circonstances.

Il demeurait toujours cloîtré en ses cachettes et continuait de disparaître « au sein d'un demi-jour sans gloire et probablement sans vertu ».

Il se montrait si peu que les Anglais et beaucoup de Français même, pensaient qu'il avait trouvé la mort dans l'éboulement de l'évêché de La Rochelle.

Des messagers furent envoyés spécialement des villes fidèles, de Tournai notamment, afin de s'assurer que le roi était bien vivant.

 Le conseil de Charles VII s'efforçait toujours de traiter avec le duc de Bourgogne. Dans le courant du mois de Janvier 1423 une entrevue fut organisée à Bourg-en-Bresse, pays neutre appartenant au duc de Savoie.

 Une telle animosité séparait encore les Bourguignons des partisans de Charles que les ambassadeurs durent se séparer sans pouvoir se mettre d'accord sur un seul point. Loin de rapprocher les deux partis, l'entrevue n'avait servi qu'à les dresser encore plus violemment l'un contre l'autre.

Bientôt les hostilités, que l'hiver et la mort des deux rois avaient un instant ralenties, se rallumèrent avec une ardeur nouvelle.

De nombreux capitaines combattirent sous la bannière de Charles VII. Xaintrailles, La Hire, Jacques d'Harcourt étaient les plus renommés. Les villes, les châteaux fortifiés, pris, perdus, repris, passaient d'un parti à l'autre.

 La conquête de Meulan, sur la Seine, à proximité de Paris, par Jean Malet, seigneur de Graville, au nom du roi Charles, inquiéta, irrita le régent anglais.

Après avoir durement sévi contre les conspirations découvertes à Paris et pris des mesures afin d'en éviter le renouvellement, le duc de Bedford, avec les meilleurs chevaliers anglais et des forces considérables, partit mettre le siège devant Meulan.

Avec deux ou trois centaines de chevaliers le sire de Graville défendait la ville. Il demanda l'assistance de Charles VII.

Réuni à Bourges, le conseil du roi, comprenant l'importance morale et stratégique de Meulan, décida de secourir sa garnison.

Une armée forte de 6.000 combattants fut assemblée en Berry. Le commandement en fut confié au connétable, le comte de Bucan qui était secondé par Tanneguy-Duchâtel, le comte d'Aumale et le vicomte de Narbonne.

 L'armée de secours se dirigea vers Meulan. Parvenu à proximité de la forteresse le comte de Bucan se disposait à investir les assiégeants, lorsque la discorde s'éleva entre les chefs dont chacun voulait marcher au premier rang.

Avant le combat, les soldats réclamèrent la solde qui leur avait été promise. Tanneguy Duchâtel, à qui le roi avait fait remettre l'argent destiné aux troupes, et qui avait de plus levé une contribution dans Orléans, refusa de payer la solde.

On a prétendu qu'il avait dilapidé l'argent dont il était dépositaire, en achetant pour son compte, vaisselle, joyaux et pierreries.

Le désordre se mit dans les rangs de l'armée, les soldats se débandèrent et se replièrent sur la Loire.

La traversée de la Beauce fut désastreuse pour les bandes en retraite.

 Les garnisons des forteresses que tenaient les Anglais dans cette région firent de nombreuses sorties contre les compagnies dispersées et leur tuèrent beaucoup de monde.

Meulan résistait toujours. Mais les défenseurs, irrités de ne pas être secourus, indignés d'être abandonnés malgré toutes les promesses, dans leur colère, renversèrent publiquement la bannière de Charles VII, arrachèrent les insignes de leur parti et se rendirent à merci aux Anglais.

Le sire de Graville prêta serment de fidélité au duc de Bedford. Il lui apporta en outre des nouvelles du roi Charles VII qu'il avait vu avant de partir attaquer Meulan et lui affirma que le roi avait bien échappé à l'accident de La Rochelle.

Par tous les moyens, le régent anglais s'efforçait de s'attacher les grands barons français.

 Dans le courant d'Avril, les trois ducs de Bedford, de Bourgogne et de Bretagne, réunis à Amiens, signèrent une triple alliance que devaient sceller des mariages.

Le régent anglais épouserait Anne de Bourgogne, sœur de Philippe le Bon ; tandis que le comte de Richemont, frère du duc de Bretagne s'unirait à Marguerite, autre sœur du duc de Bourgogne et veuve du dauphin Louis, duc de Guyenne.

Au mois de Juin, à Troyes était célébré le mariage entre le duc de Bedford et Anne de Bourgogne. L'union des deux maisons fut bientôt scellée par une victoire.

En Juillet 1423, à Cravant, forteresse assez considérable, située sur les bords de l'Yonne, entre Auxerre et Avallon, l'armée anglo-bourguignonne écrasa les troupes de Charles VII.

Les comtes de Salibsury et de Suffolk, le sire de Toulangeon, maréchal de Bourgogne commandaient la première.

Les Français se trouvaient sous les ordres de Jean Stuart, connétable des Ecossais et du maréchal de Severac.

Le combat restait indécis.

Commandée par son capitaine, le sire de Chastellux, la garnison bourguignonne de Cravant opéra une sortie vigoureuse, prenant à revers les routiers de toutes nations aux ordres du maréchal de Séverac.

 Ce dernier, qui avait son bâton à des intrigues politiques plus qu'à sa valeur militaire, impressionné, donna le signal de la retraite. Seuls résistèrent avec vaillance les Ecossais et les chevaliers Français, tandis que les routiers de Séverac fuyant le champ de bataille derrière le maréchal « laissèrent les vaillants mourir ».

Le 3 Juillet 1423 un événement avait soudain redonné du courage aux partisans de Charles VII.

La reine Marie d'Anjou avait mis au monde un fils.  L'enfant royal, qui fut prénommé Louis, en l'honneur de la reine de Sicile, était né à Bourges.

Jean, duc d'Anjou, prince du sang, fut son parrain ; la « belle et bonne dame » Catherine de l'Isle Bouchard, comtesse de Tonnerre, sa marraine.

 La situation financière du roi était si déplorable qu'il dut demander des délais au chapelain pour lui rembourser, ainsi que l'exigeait la coutume, les vases d'argent ayant servi au baptême.

Toutes les provinces d'obédience française célébrèrent avec enthousiasme la naissance du fils de Charles VII, le dauphin, qui devait régner un jour sous le nom de Louis XI.

 Jusqu'à Tournai, ville fidèle au roi, isolée en Flandre au milieu du domaine bourguignon, les habitants crièrent : « Noël, noël ».

Peu de temps après cette naissance, les Anglo-Bourguignons, vainqueurs à Cravant envahirent le Berry.

Ils avançaient vers Bourges. Levant une armée parmi les chevaliers de la province et dans l'entourage du roi, Jean de Brosse se porta au- devant de l'ennemi, le battit sous les murs de Bourges et le contraignit à se replier en désordre.

Vers la mi-Août, le bailli Imbert de Grollée, à la tête d'un détachement lyonnais renforcé de Milanais, surprit et culbuta au château de La Bussière, près de Mâcon, toute une armée de Bourguignons commandés par le sire de Toulangeon, maréchal de Bourgogne. Ce dernier fut fait prisonnier avec plus de cent gentilshommes. Cette capture permit à Charles VII d'obtenir, par des échanges, la libération des seigneurs écossais et français faits prisonniers à Cravant.

La lutte se poursuivait au nord et à l'ouest. Crotoy qui n'avait pu être secouru tomba aux mains des Anglais et Abbeville subit le même sort.

En Septembre le comte de Suffolk envahissait l'Anjou.

Rassemblant rapidement une troupe de chevaliers, Jean de Harcourt, comte d'Aumale, s'avança à la rencontre des Anglais.

 

Jean VII d'Harcourt, comte d'Harcourt, mort le 18 décembre 1452 à Châtellerault, fut chevalier, comte d'Aumale, vicomte de Châtellerault, seigneur de Mézières, d'Elbeuf, de Lillebonne, de La Saussaye, Brionne, etc.

Ceux-ci, dont la marche se trouvait ralentie par les bagages où s'entassait le fruit de leurs pillages, encombrés par un troupeau de plus de 10.000 bêtes à cornes, furent rejoints et surpris près du château de La Gravelle, aux abords de Ségré.

 Malgré une défense héroïque, et bien que les gens de pied et les archers se fussent abrités, comme de coutume, derrière leurs piquets aiguisés des deux bouts et fichés en terre, les Anglais furent anéantis par une attaque de flanc menée énergiquement et perdirent plus de 2.000 hommes tués, et 400 prisonniers.

De grandes réjouissances furent organisées par les Français afin de célébrer cette victoire obtenue en rase campagne.

Vers la fin d'Octobre 1423, quittant Bourges, Charles VII se rendit à Tours en compagnie de la reine.

 

Le 8 Novembre, en qualité de roi de France, Charles fut reçu à Saint-Martin de Tours.

La ville, à cette occasion fit au roi de nombreux présents : « dix pipes de vin, dix muids d'avoine, cent moutons gras et cents livres de cire en cinquante torches ». La reine reçut les mêmes offrandes diminuées de moitié.

 Selon la coutume, la ville de Tours racheta au rabais tous les cadeaux qu'elle avait offerts au souverain et en versa le montant, en argent, entre les mains des officiers du roi. Jean de Brosse qui servait près de Charles, à vingt hommes d'armes, dut recevoir sa part du profit ainsi réalisé.

En raison des pillages dont les routiers et les corps francs se rendaient coupables, le 30 Janvier 1424, Charles VII rendit une ordonnance, renvoyant de son service « tous les capitaines, gens d'armes, et de trait quelconques, exceptés les Ecossais et les Lombards ».

Négligeant les ressources du royaume, le conseil du roi ne comptait que sur les mercenaires étrangers pour libérer la France. Les Ecossais furent de nouveau sollicités et un traité fut conclu avec le duc de Milan.

Joignant ses efforts à ceux du cardinal de Sainte-Croix, légat du pape, le duc de Savoie s'efforçait de rétablir la paix. Il ne réussit pas.

Le duc de Bourgogne avait l'impression que tous les efforts de Charles étaient dirigés contre lui. De plus la découverte d'un complot, ourdi, à Dijon même, par Odette de Champvillers, appelée « la petite reine M et. par la fille née de sa liaison ayer Charles VI, Marguerite, acheva d'indisposer Philippe le Bon.

Il se rapprocha encore plus des Anglais.

Dès le printemps 1424 les armées entrèrent de nouveau en campagne.

 Charles VII convoqua le ban à Jargeau pour le 15 Mai. Son appel fut entendu. Deux cents hommes d'armes avaient été demandés au Dauphiné ; Randon de Joyeuse, le gouverneur, en amena plus de mille.

Tandis que l'armée de Charles VII se rassemblait, la guerre de coups de main sur les forteresses se poursuivait. Malgré les prouesses de Xaintrailles, de La Hire, de Raoulet, les Français perdirent de nombreuses places fortes en Thiérache, en Picardie et en Champagne.

Cependant une opération vigoureuse menée par le cousin de Jean de Brosse, Louis de Culant, amiral de France, enleva aux Anglais la forteresse de Cufy, au confluent de la Loire et de l'Allier.

Sous les ordres de l'amiral, apparaissait pour la première fois au nord du Rhône, Rodrigo de Villandrando, le célèbre capitaine castillan. Dans la même opération, de Culant conquit les places de La Guerche et de Thuisy.

Vers la même époque, le château d'Ivry, en Normandie, tomba entre les mains des Français.

Suffolk accourut aussitôt pour mettre le siège devant la ville défendue par 400 hommes d'armes seulement.

Le conseil de Charles VII décida de secourir Ivry. Et la forte armée que le roi avait assemblée à Jargeau entra en campagne. Commandés par le comte Douglas et le connétable de Bucan, les Ecossais firent leur jonction à Châteaudun avec les Français, sous les ordres du duc d'Alençon et du comte d'Aumale.

Par Chartres et Dreux, l'armée gagna Nonencourt.

La discorde se mit bientôt entre les chefs de l'armée française. Tandis que les Ecossais voulaient livrer combat aux Anglais sans tarder, les vieux capitaines de Charles VII préféraient mener la guerre de siège, enlever des forteresses et les garnir de troupes.

Dans les discussions, le sort d'Ivry que l'armée venait délivrer fut négligé et la ville non secourue se rendit. Gérard de La Pallière, capitaine d'Ivry, remettant les clés de la forteresse au duc de Bedford, lui déclara, plein d'amertume, en montrant une lettre : « Voici la signature de dix-huit plus grands seigneurs du royaume qui m'ont manqué de parole ».

Par un stratagème les Français étaient parvenus à s'emparer de la place de Verneuil. Libéré par la reddition d'Ivry, Bedford accourut avec toutes ses troupes et les deux armées se trouvèrent en présence, sous les murs de Verneuil.

Charles VII était absent du combat. Son conseil n'avait pas voulu que le souverain participât en personne à la bataille ; tout risquait en effet d'être perdu, s'il était pris.

La lutte s'engagea avec une extrême violence. Pendant plus de trois heures le sort demeura indécis entre les combattants.

 L'aile des Français commandée par La Hire et Xaintrailles culbuta et traversa le carré anglais. Un instant la bannière de Saint-Georges fut renversée, les Anglais pliaient. Mais une querelle de préséance s'éleva entre le duc d'Alençon et le baron de Coullonces. Ce dernier, contraint de céder le pas à un prince du sang, avec toute sa compagnie, s'éloigna du combat qu'il se contenta d'observer du haut d'un monticule. Chargés de tourner l'ennemi, les Milanais, accueillis à coups de flèches par les 2.000 archers surveillant les bagages, se débandèrent.

Puis après s'être livrés au pillage de tout ce qu'ils pouvaient enlever, s'enfuirent, chargés de butin. La retraite du baron de Coullonces, l'arrivée subite des 2.000 archers Anglais libérés par la retraite des Milanais, décidèrent du sort de la bataille.

Après une défense héroïque qui lui coûta plus de 9.000 combattants, l'armée française était vaincue. Les Anglais de leur côté perdaient plus de 4.000 hommes.

Le combat de Verneuil fut presque aussi funeste à la noblesse française que l'avaient été, Crécy, Poitiers, Azincourt.

Parmi les morts on relevait le connétable de France, comte de Bucan, les comtes d'Aumale, de Tonnerre, de Ventadour, les seigneurs de Gamaches, de Montenay, de Graville et beaucoup d'autres.

Tué aussi le vicomte de Narbonne, dont le corps, trouvé dans un fossé, fut pendu en expiation du meurtre de Jean sans Peur auquel le vicomte avait participé en 1419.

Les Français laissèrent en outre de nombreux prisonniers aux mains des Anglais, le maréchal de La Fayette, les seigneurs de Gaucourt et de Mortemart notamment.

Le lendemain du combat, la forteresse de Verneuil se rendait aux Anglais et le duc de Bedford retourna à Paris.

Le bruit ayant couru que les Anglais étaient battus, une conspiration s'était aussitôt organisée dans la capitale afin de chasser l'ennemi. Elle fut sévèrement réprimée et la ville organisa des fêtes magnifiques en réjouissance de la victoire de Verneuil et en l'honneur du duc de Bedford. «  On ne vit oncques plus d'honneur faire, quand les Romains faisaient leur triomphe, qu'on lui fît en cette journée ».

C'est au château d'Amboise, où il résidait chez l'un de ses familiers, Pierre d'Amboise, seigneur de Thouars, que Charles VII apprit le désastre de Verneuil.

« Le jeune roi, dès qu'il fut informé de ce dernier revers, en conçut un extrème déplaisir ».

La situation de Charles VII semblait désespérée. Les forces morales de l'ennemi grandissaient avec le succès. Ses ressources matérielles semblaient inépuisables. De toute part, l'invasion menaçait le royaume restreint du « roi de Bourges ».

Dans l'esprit des Français, la royauté légitime perdait de son prestige, s'amenuisait, reculait. On allait jusqu'à reprocher à Charles VII de n’être pas même capable de se battre en brave capitaine, ainsi que l'avaient toujours fait ses ancêtres, les rois de France.

CHAPITRE VIII

LES FAVORIS DE CHARLES VII JEAN DE BROSSE MARECHAL DE FRANCE

Pour tenter de se sauver, le roi est contraint de se dépouiller.

Il livre en gage ses dernières provinces aux défenseurs qui lui restent, aux Ecossais notamment.

 

Les grandes charges de l'Etat n'étant plus rémunérées sont abandonnées. Les officiers de l'entourage du roi, Jean de Brosse comme les autres, servent sans solde. La pauvreté accable le souverain ; elle frappe aussi le futur maréchal de Boussac qui doit payer de ses deniers les gages de ses hommes d'armes.

Toutes les chroniques, toutes les chansons populaires de l'époque, rapportent de nombreux traits de la misère de Charles VII.

Un jour, conte le doyen de Saint-Thiébault, le roi mande certain crouxevier (cordonnier). L'artisan arrive avec des bottes neuves qu'il essaie au roi. Déjà une jambe est chaussée. Prudemment, le crouxevier s'enquiert du paiement. Hélas ! le souverain est dans l'impossibilité de payer comptant. Aussitôt l'artisan retire la botte de la jambe déjà chaussée et part en emportant les chaussures, refusant de faire crédit au roi.

Charles VII ne vivait plus que d'expédients, empruntant jusque dans son entourage. Des couvents lui fournissaient à crédit et parcimonieusement blé, vin et poisson pour sa table.

Le désordre régnait même dans les conseils du roi où les favoris insolents étouffaient la voix des hommes sages. Exploitant le goût du jeune souverain pour les plaisirs, ses familiers le cloîtraient afin de le soustraire à toute influence susceptible de l'éclairer.

Charles VII, dont l'enfance semblait se prolonger au-delà des limites normales, ne montrait encore aucune maturité d'esprit. Il avait besoin à ses côtés d'un favori qui le flattât et pût prendre à sa place toutes les décisions.

Le président Louvet tenait ce rôle. Depuis 1415 il avait toujours appartenu au conseil de Charles et avait pu prendre ainsi une grande influence sur le roi. C'est au cours d'un voyage en Provence que fit Charles, en compagnie de son beau-père, le roi de Sicile, aussitôt après ses fiançailles, qu'il avait rencontré Jean Louvet, à Nîmes, où il était président des aides et des comptes de Provence.

Le roi de Sicile fit alors entrer Louvet au conseil du prince ; il devait s'y maintenir dix années. Vaniteux et égoïste, le président Louvet exerça une influence déplorable sur Charles. Etabli à demeure auprès du roi, il en avait profité pour exploiter à son profit tout le pouvoir que son maître lui abandonnait et acquérir une immense fortune.

Ayant marié l'une de ses filles au bâtard d'Orléans, Louvet avait placé l'autre, Jeanne, qui était fort jolie et plaisait beaucoup au roi, comme demoiselle d'honneur auprès de la reine. Par tous les moyens Louvet s'efforçait de se maintenir en place.

Tout puissant, le président était en fait le véritable souverain et tout pliait devant lui. Il avait grande confiance en Jean de Brosse et comptait sur sa loyauté et sa valeur militaire pour le défendre le cas échéant ; mais il n'existe pas de document permettant de savoir ce que Jean de Brosse pensait du rôle joué par Louvet.

Un autre conseiller, Tanneguy Duchâtel, conservait malgré son âge, — il était né en 1359, — un grand ascendant sur Charles VII. Ardent, impétueux, Duchâtel avait de grandes qualités.

Partout où il avait combattu, en Angleterre, en Aragon, au Portugal, en Italie, Tanneguy Duchâtel s'était illustré par sa vaillance, ses prouesses militaires. Fidèle au duc d'Orléans puis au comte d'Armagnac, vingt fois il avait risqué sa tête pour la défense de la cause qu'il avait embrassée. C'était grâce à son dévouement, à son sang-froid, à son audace que Charles avait pu être sauvé des mains des Bourguignons. Mais Tanneguy Duchâtel n'avait pas que des qualités : « Tanneguy (est)., très-périlleux homme, chaud, soudain et hâtif, et faut que soudainement ce qu'il veut soit fait et accomply ». Aussi insatiable d'argent que l'était le président Louvet, Duchâtel se montrait d'une extrême violence. Il était accusé d'avoir tué de sa main, d'un coup de poignard, en plein conseil, son collègue Béraud d'Auvergne qui le contredisait.

A côté de ces deux personnages on trouvait encore au conseil du roi P. Frotier, G. d'Avaugour et le sire de Giac.

Tous avaient participé à l'assassinat de Jean sans Peur.

Leur présence aux côtés de Charles VII rendait inutiles toutes les démarches tentées pour un rapprochement avec le duc de Bourgogne. Ce dernier ne pouvait que demeurer sceptique en face des protestations d'amitié du roi, tant qu'il le voyait entouré des assassins de son père.

D'autre part les favoris s'opposaient de tout leur pouvoir à la paix, sachant bien que la reconciliation ne pouvait se faire qu'à leur détriment. Leurs biens, tous leurs biens, leur tête même, eussent été menacés par une entente entre le duc et le roi.

Deux personnages cependant dans l'entourage du roi avaient sur lui une heureuse influence. Gérard Machet, évêque de Castres, était toujours demeuré aux côtés de Charles en qualité de directeur de conscience. Ami du grand maître Gerson, Gérard Machet avait la réputation d'un saint homme. Doué de beaucoup de bon sens, désintéressé et pieux, il servait le prince avec une grande loyauté et avec le souci des intérêts du royaume ; son action sur le roi n'était cependant pas assez puissante pour balancer celle du président Louvet.

Une autre influence, plus puissante que celle de son confesseur, s'exerçait sur le jeune roi. C'était celle de « la bonne mère » de Charles, la reine Yolande d'Aragon.

Dès son retour auprès de son gendre, qu'elle devait souvent quitter en raison de ses obligations en Anjou, en Provence, on remarquait les effets favorables de sa présence. C'est elle qui semble avoir soutenu Jean de Brosse auprès de Charles VII.

Au mois d'Octobre 1424, à Angers, la reine Yolande parvint à organiser une entrevue de son beau-fils Charles VII avec le comte de Richemont, frère du duc de Bretagne.

Deux résultats marquèrent les négociations : d'une part un mariage fut arrêté entre Isabelle de Bretagne et Louis III d'Anjou ; d'autre part la charge de connétable de France, devenue vacante par la mort du comte de Bucan, à Verneuil, fut offerte au comte de Richemont.

Le prince breton subordonna son acceptation à l'accord du duc de Bourgogne.

A son initiative, une entrevue fut organisée à Montluel-en-Bresse, auprès du duc de Savoie. L'évêque de Clermont et d'autres ambassadeurs représentèrent le roi de France.

Mais l'orgueil et les ressentiments de Philippe le Bon lui firent repousser les propositions de paix qui lui étaient faites.

Il admit cependant que les trêves fussent prolongées, autorisa le comte de Richemont à accepter l'épée de connétable de France, et décida en outre le mariage de sa sœur Agnès avec le comte de Clermont, fidèle partisan de Charles VII.

 Les favoris du roi redoutaient fort l'accession du connétable au conseil. Sa droiture, sa sévérité légendaire, on le nommait le justicier — menaçaient le pouvoir qu'avaient accaparé les conseillers intimes de Charles VII ; aussi, par tous les moyens, s'efforçaient-ils de s'opposer au nouveau connétable.

Le roi, soutenu par la reine Yolande parvint à imposer sa volonté. Les favoris durent s'incliner. Ils ne le firent pas sans avoir pris vis à vis du comte de Richemont des garanties qui furent stipulées dans un acte que ce dernier dut signer le 7 Février 1425.

Un mois plus tard, Charles VII qui revenait d'Auvergne, se rendit à Tours.

Et le 7 Mars 1425, après avoir rendu hommage au roi, le comte Arthur de Richemont prit en grande pompe l'épée et le marteau de connétable de France.

La cérémonie se déroula dans la prairie qui s'étend aux portes de Chinon, entre la colline de Sainte-Mesme et la Vienne.

Toute la cour était réunie pour assister à la remise de l'épée au prince breton.

 Louis de Bourbon, le chancelier de France, Martin Gouge, évêque de Clermont, les archevêques de Reims et de Sens, le maréchal de Séverac, Jean de Brosse et de nombreux gentilshommes étaient présents.

 Le chancelier et le maréchal de Savoie avaient été délégués pour représenter le duc de Savoie Amédée VIII, auprès de Charles VII.

Jean de Brosse avait un nouveau chef dont la forte personnalité ne dut pas manquer de l'impressionner. Bâti en force, trapu, un cou de taureau, le visage énergique, couturé de blessures, Arthur de Richemont se faisait remarquer par son autorité et sa sévérité. Il sévissait avec la plus grande rigueur contre toutes les infractions qu'elles fussent militaires, civiles ou religieuses. Droit, loyal, plein de courage, d'une volonté inébranlable, le connétable avait l'âme d'un chef.

Le printemps revenu, la guerre se ralluma de divers côtés.

Guise tomba aux mains des Bourguignons. Le connétable se rendit à Nantes afin d'organiser les milices de Bretagne.

Les Anglais pendant ce temps se préparaient « à la conquête du Maine et environs ».

A chaque instant, des renforts venus d'Angleterre étaient dirigés vers l'Anjou sous les ordres des meilleurs capitaines : Lord Scales, Falstalf, Lancelot de Lisle, John Montgomery et N. Gladsdale.

Profitant de l'absence du connétable, le président Louvet rompit les négociations engagées avec les ducs de Savoie et de Bretagne et s'efforça de traiter avec les Anglais. Un seul but importait pour lui : écarter à tout prix du pouvoir le connétable de Richemont. Par son influence sur le roi, il réussit à faire chasser du conseil deux personnalités favorables au prince breton : l'évêque de Clermont et le sire de Treignac.

Revenant de Bretagne pour parer à la menace des Anglais sur l'Anjou, le connétable rencontra à Angers, les deux conseillers, ses amis, que Louvet, maître des finances et de l'armée, avait expulsés de la cour, comme « traitres ». Il apprit d'eux que Louvet tenait le roi cloîtré à Poitiers et réunissait des troupes.

Ces dernières, commandées par Jean de Brosse, avaient reçu l'ordre de se tenir prêtes à combattre le connétable.

Richemont ne céda pas. S'appuyant sur la reine Yolande et sur le duc de Bretagne, levant des troupes, alertant les villes fidèles au roi, il s'efforça de gagner à sa cause la force armée et l'opinion publique.

Lorsqu'il eut réuni ses troupes, le connétable s'avança résolument vers le roi.

 A son approche, Louvet, traînant le souverain avec lui, se dérobe de place en place. Il n'ose pas cependant s'opposer de vive force au connétable de Charles VII. « Et étaient avec le roi durant cette division, le maréchal de Boussac (il ne l'était pas encore), messire Théaulde de Valpergue, le sire de Poully et tous les Ecossais. ».

A bout de ressources, les favoris du roi durent plier devant la volonté du connétable et quitter la cour.

Tanneguy Duchâtel, qui, malgré tous ses défauts, ne manquait pas de générosité, le premier, dit au comte de Richemont : « que jà à Dieu ne plût que pour lui demeurât à faire un si grand bien comme le bien de paix entre le roi et monseigneur de Bourgogne ». Bien plus, « il aida à mettre hors ceux qui s'en doivent aller et fit tuer à ses archers devant lui, un capitaine lequel faisoit trop de maux et ne vouloit obéir ».

G. d'Avaugour et P. Frotier s'éloignèrent en silence. Jean Louvet tenta de résister encore ; tant qu'il fut aux côtés du roi, ce dernier n'osa pas prendre de mesures contre le président.

Mais le 5 Juillet 1425, poussé par la reine Yolande, Charles VII, profitant de l'absence de Louvet, chargé d'une mission en Dauphiné, destitua le favori et lui intima l'ordre de se retirer à Avignon.

Jean de Brosse ne tenta nulle action en faveur du président déchu ; il appartenait déjà au parti de la reine Yolande et du connétable.

En partant, Louvet laissait aux côtés du roi un favori, capable de le venger et que le connétable eut le tort d'accepter.

Le sire de Giac remplaçait le président Louvet dans les faveurs de Charles VII.

Profitant des dissensions qui accablaient le conseil du roi, les Anglais menaient leur offensive. Salisbury s'emparait de Rambouillet, d'Etampes et Falstalf enlevait de nombreux châteaux dans le Maine.

Les deux capitaines anglais firent leur jonction sous les murs du Mans et aussitôt assiégèrent la ville. Charles ne put envoyer en renfort que quelques chevaliers et Le Mans se rendit aux Anglais le 10 Août 1425. Mayenne fut enlevée par John Montgomery et Rochefort-en-Yveline, prise et reprise deux fois, resta finalement aux mains de l'ennemi.

Le connétable tentait de s'opposer aux Anglais, mais il manquait de moyens.

D'Angers, le 15 Octobre 1425, il écrivit aux villes du royaume. Exposant que les troupes rassemblées aux frontières du Maine et de l'Anjou, face à l'Anglais, n'ayant pas reçu de solde depuis deux mois, risquaient de se débander, de Richemont adjurait les villes de le secourir par des contributions pécuniaires.

Des rivalités intérieures, des froissements avec le duc de Bourgogne empêchaient les Anglais d'exploiter à fond, comme ils l'eussent désiré, les désordres de l'entourage de Charles VII.

Jacqueline de Hainaut, mariée par le duc de Bourgogne avec le jeune duc de Brabant, un dégénéré, s'arrachant aux bras de son débile époux, s'était jetée dans ceux plus vigoureux du duc de Glocester, frère de Bedford, qui l'épousa.

La possession de la Hollande passait ainsi aux mains d'un prince anglais qui s'empressa de débarquer des troupes afin de s'emparer du pays.

Philippe le Bon et le duc de Glocester se défièrent et la lutte commença en Hollande. Pendant trois années Bedford tenta vainement de rétablir la paix entre son frère et son beau-frère.

Brillant cavalier, fort galant avec les dames, le duc de Bourgogne n'était pas aimé des capitaines anglais. Le comte de Salisbury avait pour épouse la belle Eléonore Holland, jolie comme le sont les Anglaises lorsqu'elles se mêlent de l'être.

Dès qu'il l'aperçut, Philippe le Bon entreprit aussitôt la conquête de la belle Eléonore qui ne restait pas insensible à ses hommages. Le mari, comte de Salisbury, personnage d'âge mur, sérieux, compassé, se montra fort indigné des galanteries irrespectueuses dont sa femme était l'objet et voua une haine mortelle au duc de Bourgogne.

La dissension entre le duc de Glocester et Philippe le Bon n'était pas seule à inquiéter le duc de Bedford ; une violente rivalité opposait encore le duc de Glocester à son oncle - l'évêque de Winchester, chancelier d'Angleterre —. Deux factions armées soutinrent bientôt les adversaires.

La lutte allait commencer lorsque l'évêque appela Bedford en Angleterre. Ce dernier, passant la mer, débarquait vers la fin de Décembre 1425. Il devait séjourner plus d'une année en Angleterre afin d'y rétablir l'ordre.

Pendant son absence il laissa le commandement des troupes anglaises séjournant en France, au comte de Warwick. Grâce aux dissensions entre ses adversaires, Charles VII connut quelque répit mais fut incapable de les exploiter en raison de l'influence néfaste qu'exerçait le favori de Giac dans l'administration du royaume.

Au cours d'un conseil royal, tenu à Mehun-sur-Yèvre, Hugues de Combarel, évêque de Poitiers, avait demandé énergiquement qu'il fût mis fin au pillage du trésor.

 De Giac, qui se sentait visé, en fut fort irrité et déclara au roi : « .que qui l'en croirait, on jetterait le dit Combarel en la rivière, avec les autres qui avaient été de son opinion ».

Ainsi que l'avait fait Louvet, de Giac détournait à son profit des sommes considérables et négligeait, volontairement, de réorganiser l'armée. Loin d'arrêter l'indiscipline des gens de guerre, il soutenait ces derniers, s'efforçant de se faire parmi eux des partisans contre le connétable.

Pierre de Giac craignait et ménageait Jean de Brosse, dont il avait été le beau-frère. Le favori de Charles VII avait en effet épousé en premières noces une demoiselle de Naillac, la propre sœur de la femme du futur maréchal, prénommée, elle aussi Jeanne. Mais tandis que le seigneur de Boussac avait pour épouse Jeanne de Naillac, dame de La Motte-Jolivet, Pierre de Giac s'était uni à Jeanne de Naillac, dame de Châteaubrun.

Cette dernière étant morte, de Giac parvenu au rang de favori et de premier ministre, avait épousé Catherine de l'Isle Bouchard, fort belle dame de la cour, marraine du dauphin Louis et veuve du comte de Tonnerre, tué à la bataille de Verneuil aux côtés du connétable de Bucan et des comtes d'Aumale, de Narbonne et de Ventadour.

Des bruits suspects, relatifs aux causes de la mort de Jeanne de Naillac, première femme du sire de Giac, se murmuraient à la cour. Par tous les moyens, le favori s'efforçait de ménager son ancien beau-frère, Jean de Brosse.

De caractère violent et tyrannique, Giac n'agissait pas de même avec les autres conseillers du roi, qu'il traitait avec hauteur, poursuivant de sa vindicte les plus honnêtes, qui constituaient pour lui un vivant reproche.

En raison de la tyrannie et de l'égoïsme avide du favori, le désordre et la dissension régnaient dans les conseils du roi. Les sires d'Arpajon et de Séverac, autrefois liés d'amitié, avaient été dressés l'un contre l'autre par le sire de Giac. Ils étaient sur le point d'en venir aux mains.

Un jour à Mehun-sur-Yèvre, le maréchal de Séverac qui sortait de la chambre du roi heurta le sire d'Arpajon qui se disposait à y entrer. Surpris, les deux gentilshommes s'observent un instant et tombant dans les bras l'un de l'autre, se réconcilient.

Le 27 Décembre 1425, en présence du connétable et de toute la cour, Hugues d'Arpajon fit amende honorable au maréchal de Séverac. Et les deux gentilhommes se jurèrent de rester unis, « comme doivent l'être de fidèles compagnons d'armes devant l'ennemi ».

Mais les différends entre seigneurs ne se réglaient pas toujours aussi facilement et le plus souvent le favori, par sa partialité attisait les querelles.

Au début de 1426 deux compatriotes de Jean de Brosse se trouvaient divisés par de violentes contestations. Déjà ils avaient armé leurs vassaux et se disposaient à entrer en guerre l'un contre l'autre.

Afin d'éviter une guerre privée, les deux chevaliers furent cités judiciairement devant le roi au château de Mehun-sur-Yèvre.

Les deux adversaires, Jean de Linières, grand queux de France, celui-là même qui avait arbitré le différend survenu entre Jean de Brosse et sa mère quelques années auparavant, et Jean de Culant, frère aîné de l'amiral de France et cousin germain du futur maréchal de Boussac, comparurent.

La cour était partagée entre les deux rivaux.

Lié d'amitié avec les deux seigneurs du Berry, Jean de Brosse s'abstint de prendre parti.

Georges de la Trémouille, seigneur de Sully, soutenait Jean de Culant qui avait épousé Marguerite de Sully, tandis que le sire de Giac appuyait Jean de Linières.

Au cours du débat qui se déroulait devant le roi, le prenait de haut, ainsi qu'il en avait l'habitude, le sire de Giac traita avec insolence le seigneur de La Trémouille, allant jusqu'à l'insulter.

Le ton de la discussion s'éleva et La Trémouille se laissa emporter jusqu'à dire au favori « qu'il en avait menti ». « Ce dont le roy fut très mal content ».

Depuis ce jour le sire de La Trémouille ne se sentait plus en sécurité à la cour.

Le comte de Foix, qui avait épousé la sœur utérine de Georges de la Trémouille, fit prévenir son beau-frère qu'il devait en toute hâte quitter le château de Mehun, « ou qu'il en aurait déplaisir ».

Georges de La Trémouille se retira aussitôt en son donjon fortifié de Sully.

La haine qui le dressait maintenant contre le sire de Giac était d'autant plus violente qu'à tous ses ressentiments, s'ajoutait encore l'amour.

Georges de La Trémouille, veuf de la duchesse de Berry, convoitait la femme du sire de Giac, la très belle Catherine de l'Isle Bouchard.

Malgré ce désordre, le connétable de Richemont, de toutes ses forces, travaillait à la paix. Il écrivait notamment à son beau-frère le duc de Bourgogne : « .Il vous faut connaître aussi que la seigneurie de France par-delà la Loire n'est pas si bas qu'oi a pu vous le rapporter ; il y a encore de quoi résister aux adversaires du royaume ; et, puisqu'il a pris la chose entre les mains, dût-il perdre cinquante seigneuries l'une après l'autre, son intention n'est pas que les Anglais soient jamais maîtres du royaume. ».

Bien qu'ayant ralenti leur effort depuis le départ du duc de Bedford, les Anglais poursuivaient cependant leurs opérations.

En février 1426 le comte de Salisbury mettait le siège devant La Ferté-Bernard, où Louis d'Avaugour, après une résistance de quatre mois, finit par capituler.

La prise du Mans opérée l'année Précédente avait indisposé le duc de Bretagne contre les Anglais ; la ville, en effet, appartenait au domaine de son jeune gendre, Louis III d'Anjou.

Le duc de Bretagne leva une armée et, lorsqu'elle fut prête, en confia le commandement à son frère le connétable.

Après s'être emparé de Pontorson, de Richemont, en mars 1426, vint mettre le siège devant Saint-James-de-Beuvron qu'occupait une forte garnison anglaise.

Malgré la large supériorité de son armée, le connétable connut de terribles déboires. L'argent destiné à payer les soldats n'arrivant pas, ceux-ci commencèrent à se débander.

Afin de les reprendre en main, de Richemont résolut de donner l'assaut.

Les dispositions furent mal prises et les Anglais, opérait une sortie vigoureuse, attaquèrent les assaillants à revers. Ceux-ci, croyant à l'arrivée d'une importante colonne de secours anglaise, pris d'une panique soudaine, s'enfuirent, renversant le connétable qui tentait de s'opposer à leur débandade.

Piétiné, de Richemont faillit être tué. Il échappa cependant et, toujours résolu, rassembla les dernières troupes Solides. Mais rien ne pouvait arrêter les fuyards. Bien plus, de leurs mains, ils avaient mis le feu à leur propre camp où le connétable et son frère, Richard de Bretagne, comte d'Etampes, eussent été brûlés vifs, si des chevaliers fidèles n'étaient venus les chercher.

Le manque de solde, la peur, n'étaient pas les seules raisons qui eussent poussé les soldats du connétable à déserter.

De Richemont eut bientôt la certitude que la panique avait été provoquée par des émissaires du sire de Giac. Il n'existe pas de preuve de cette intervention ; elle est cependant plausible, mais on y peut voir également une suggestion faite par le connétable afin de dégager sa responsabilité dans l'échec qu'il venait de subir au cours de la première opération de guerre qu'il dirigeait.

Pour ses débuts en effet le connétable avait essuyé une terrible défaite. Il laissait sur le terrain plus de 4.000 morts ; les Anglais avaient fait un grand nombre de prisonniers et conquis un important butin, artillerie, munitions et vivres.

Rien, plus que l'échec subi par de Richemont, qu'il avait peut-être provoqué, ne pouvait plaire au sire de Giac. De toutes ses forces, par tous les moyens, il voulait chasser le connétable du conseil du roi.

De Richemont, par sa personnalité, par la politique de réconciliation avec le duc de Bourgogne, constituait pour le favori un extrême danger.

Philippe le Bon n'avait pas oublié la trahison et la participation de Giac au crime de Montereau et ce dernier se sentait menacé.

Gagnant à sa cause le comte de Clermont, en lui faisant donner le duché d'Auvergne, s'attachant le comte de Foix en lui faisant remettre 2.000 livres, le sire de Giac s'efforça de former un parti contre le connétable et contre l'alliance avec le duc de Bourgogne.

Malgré ses efforts, le favori, qui par sa hauteur insolente avait indisposé tous les seigneurs, ne rencontra que peu d'échos à son appel. Jean de Brosse lui refusa son appui et se tourna vers le connétable. Ce dernier, s'étant assuré le concours de toute la famille royale, avait peu à peu gagné à sa cause la plupart des chevaliers, aux premiers rangs desquels était accouru Georges de La Trémouille.

 De Richemont ne se pressait pas d'agir, voulant frapper à coup sûr.

De Giac assistait encore au grand conseil du roi, à Mehun, le 30 avril 1426.

 Il était encore en place le 12 juin 1426, et figurait aux côtés de la reine Yolande, du connétable de Richemont, des comtes de Foix et de Clermont à la délibération du grand conseil du roi, à Poitiers, où fut décidée « la révocation des mandements de finance ».

Mais les jours de Giac étaient comptés.

Le connétable rejoignit le roi à Issoudun, où le souverain s'était rendu en compagnie de son favori après avoir quitté Poitiers. De Richemont séjourna quelque temps auprès du roi et, approuvé par Charles VII, que poussait de Giac, décida de partir à la guerre.

Sous prétexte qu'il désirait quitter la ville de très bonne heure le lendemain afin d'aller, avant son départ pour la guerre, entendre la messe en l'église renommée de Notre-Dame-de-Déols, le connétable se fit remettre, le soir, les clés de la ville d'Issoudun.

Et le lendemain, à la pointe du jour, le connétable sortait d'Issoudun. II ne s'éloigna guère et soudain, après avoir été rattrapé par un émissaire, venu lui annoncer .que tout était prêt, de Richemont avec ses troupes, revint sur ses pas et rentra dans Issoudun.

Déjà la maison où loge de Giac est entourée par les archers du connétable. On frappe à la porte du favori. « Qui est là ? » demande-t-il. « Le connétable ! ». « Je suis un homme mort » s'écrie de Giac. Des soldats enfoncent la porte, se jettent sur le favori, l'enroulent dans une robe de nuit et l'emportent. Sa femme, couchée avec lui, se lève, toute nue, (on ne portait encore la chemise que dans la journée et l'usage était alors de coucher entièrement nu) et court à son argenterie, plus empressée à la sauver qu'à défendre son mari.

Pendant ce temps les soldats du connétable descendent de Giac, l'attachent sur un cheval amené à cet effet et l'emmènent hors de la ville.

Inquiet, le roi que le bruit vient d'éveiller, s'arme. Il appelle sa garde.

Des soldats, du détachement de Jean de Brosse, accourent. « Ne bougez pas, leur signifie le connétable, et retournez, ce qui est fait est pour le service du roi ».

Escorté de cent lances que commande Alain Giron, un gentilhomme breton, de Giac est conduit à Dun-le-Roi, seigneurie du connétable.

Ce dernier, en compagnie de Georges de La Trémouille qui l'a secondé pendant l'opération, se retire à Bourges.

Le bailli du comte de Richemont à Dun-le-Roi, Etienne de Toussy, ainsi que les autres gens de justice de la ville, font aussitôt le procès du sire de Giac.

- Au cours de l'interrogatoire, de Giac confessa « d'horribles ; crimes », entre lesquels le meurtre de son épouse « toute grosse et le fruit dedans ». Après avoir fait absorber du poison à sa femme, Jeanne de Naillac, enceinte de six mois, le favori, l'ayant fait monter à cheval derrière lui, la fit chevaucher pendant plus plus de quatorze lieues, tant et si bien qu'elle tomba morte.

 De Giac avait tué sa femme afin de pouvoir épouser la belle veuve, Catherine de l'Isle Bouchard.

 « Il confessa tant de maux que ce fut merveilles. Et offrait à monseigneur le connétable, s'il lui plaisoit lui sauver la vie, de lui bailler comptant cent mille écus, sa femme (Catherine), ses enfants et ses places à hôtages, et de jamais n'approcher le roi de vingt lieues ».

De Richemont, « le justicier »; pour toute réponse envoya à Dun, le bourreau de Bourges. Pierre de Giac fut noyé dans l'Auron.

Le roi se montra d'abord très irrité et en voulut beaucoup au connétable et aussi à Jean de Brosse, chef de sa garde qui n'était pas intervenu. Mais les démonstrations des villes et des seigneurs, approuvant l'exécution, faite dans l'intérêt du royaume, apaisèrent bientôt le roi.

Charles VII, en particulier ne tint nullement rancune au chef de sa garde personnelle .En effet, par lettres données à Meaux-sur-Eure, le 14 Juillet 1426, le roi, sur l'intervention de la reine Yolande et du connétable, nommait Jean de Brosse maréchal de France.

Et trois jours plus tard, le 17 Juillet, par lettres données à Mehun-sur-Yèvre, Charles VII retenait le maréchal de Boussac pour être toujours à la garde de sa personne avec 100 hommes d’armes et 50 de trait.

Jean de Brosse avait été nommé en remplacement du maréchal de Séverac assassiné dans le midi ; l'autre charge de maréchal — il n'y en avait que deux — était tenue par La Fayette.

Le roi se trouvait désemparé de ne plus avoir de favori ; il lui était impossible de s'en passer. Le connétable dont la personnalité ne pouvait se plier à un tel rôle, plaça auprès du souverain Un personnage insignifiant, Jean Vernet dit Le Camus de Beaulieu, qui servait parmi les gens d'armes préposés à la sûreté du roi, sous les ordres de Jean de Brosse. Le Camus prit le titre de ministre de la maison du roi.

Continuant la guerre, les Anglais, venus mettre le siège devant Pontorson, menaçaient la Bretagne.

Afin de lui demander des renforts, le comte de Richemont se rendit auprès de son frère le duc de Bretagne ; le nouveau maréchal l'accompagnait. « Si vint jusques en Bretagne devers le duc son frère, qui étoit à Dinan et amena avec lui le connétable d'Ecosse, le maréchal de Boussac et plusieurs autres capitaines ».

A la tête de l'armée qu'il avait pu rassembler, le connétable partit pour la haute Bretagne que Suffolk menaçait. Ce dernier se replia après avoir refusé la bataille que lui présentait le comte de Richemont. ;

Les Anglais continuaient d'avancer à travers le Maine, enlevant de nombreux châteaux forts. Ils vinrent mettre le siège devant La Gravelle, « quand le connétable le sut, il assembla ce qu'il put de gens, et vint à Angers pour secourir le seigneur de Laval et ses places : alors étaient avec lui; Guillaume d'Albret, seigneur d'Orval et le lieutenant du maréchal de Boussac, nommé Bochardon, et l'étendard dudit maréchal et tous ses gens de basses frontières. ».

A chaque instant les chevaliers venus rejoindre l'armée rapportaient au connétable les méfaits du nouveau favori. Digne successeur de Louvet, de Giac, Le Camus de Beaulieu exerçait, sur le roi une si néfaste influence que le gouvernement se trouvait entièrement désorganisé, les finances pillées et l'autorité bafouée.

Arrêtant les opérations, le connétable quitta l'armée pour se rendre auprès du roi.

 

 

CHAPITRE IX

MEURTRE DE CAMUS DE BEAULIEU FRANCHISES DE LA VILLE DE BOUSSAC

Résolu à mettre de l'ordre dans le conseil du roi, le connétable, quittant son armée, se rendit auprès de son souverain qu'il rejoignit à Poitiers, au printemps de l'an 1427.

Charles VII résidait en son château, bâti à l'extrémité de la ville, en bordure de la vallée du Clain, près du confluent de cette rivière avec la Boivre.

D'immenses prairies, séparant le château des deux cours d'eau, lui faisaient un cadre reposant.

Sourd à tous les avertissements, à toutes les supplications de ses proches, le roi restait obstinément confiné au fond de ses appartements, passant ses journées à jouer aux cartes, distraction nouvellement introduite en France, que Charles aimait passionnément. Seuls, Le Camus de Beaulieu et quelques personnages admis par ce dernier pouvaient approcher le souverain.

L'accès de la chambre du roi était strictement interdit à toutes les autres personnes de la cour, quel que fût leur rang.

Le connétable lui-même se vit condamner les appartements de Charles VII et ne put approcher le souverain.

La résolution du connétable fut bientôt prise. Après s'être mis d'accord avec les personnages importants du royaume, de Richemont donna l'ordre au maréchal de Boussac d'exécuter Le Camus de Beaulieu. Il n'était même plus question, cette fois, de procès.

A l'exemple du roi, de Beaulieu avait lui-même un favori, gentilhomme de la garde de Charles VII, nommé Jean de La Granche.

Il semble que le maréchal de Boussac le gagna à sa cause et parvint, grâce à son intervention, à faire tomber Le Camus dans le piège qu'il lui avait tendu.

Le maréchal avait posté quatre de ses hommes de guerre, choisis parmi les plus résolus, dans les épais buissons bordant la vaste prairie qui séparait le château royal de la rivière.

Tapis dans leur cachette les soldats guettaient l'occasion d'intervenir.

Sous prétexte de courir et de jouer, de La Granche entraîna Le Camus de Beaulieu à travers la prairie. Le favori, particulièrement doué pour tous les exercices sportifs, se plaisait à les pratiquer. Ainsi qu'il aimait toujours à le faire, de sa fenêtre, Charles VII suivait les jeux des deux jeunes hommes qui « s'esbattoient » sur le pré.

Soudain les quatre soldats postés par le maréchal de Boussac jaillissent des buissons où ils se dissimulaient et se ruent, l'épée à la main, sur Le Camus de Beaulieu.

Ce dernier, surpris, les regarde accourir sans comprendre. Ils sont sur lui. D'un coup d'épée, l'un des hommes du maréchal fend la tête du favori ; un autre soldat, dont l'arme a glissé, lui coupe le poignet.

De sa fenêtre, Charles VII voit l'attaque, pousse des cris, mande sa garde. Personne n'accourt à l'appel du roi.

Sans être inquiétés les meurtriers se retirent vers la rivière, franchissent le Clain et, parvenus sur la rive opposée, disparaissent. Pas un soldat ne s'est élancé à leur poursuite.

Sur un mulet, La Granche ramène le cadavre du Camus de Beaulieu vers le château.

Emporté par la colère, le roi fait de tels éclats que des hommes d'armes montent à cheval et, sans conviction, s'élancent à la poursuite des assassins du favori. Ils ne les rejoignirent pas, ne faisant sans doute rien de ce qu'il fallait pour les découvrir.

« Aucuns furent soupçonnez qui en étoient innocents, enfin il n'en fut autre chose ».

La mort de Beaulieu apporta un grand soulagement dans l'entourage du roi, où chacun se félicitait de la fin du favori.

« Et Dieu sçait s'il y eut beau bruit ».

Des chroniqueurs, Cousineau en particulier, ont prétendu que « le bâton de maréchal fut pour Sainte-Sévère le prix de cette mission ». Il semble que ce soit une erreur.

En effet, Jean de Brosse était maréchal de France depuis au moins sept mois lorsqu'il fit exécuter Le Camus de Beaulieu.

Ce n'est pas en récompense d'un meurtre que le sire de Boussac fut fait maréchal de France, mais parceque « le roy avait besoin de mettre à la tête de ses troupes un homme puissant de grande et noble maison, afin qu'il fût plus craint et obéy, et qui fût de grand courage et bonne volonté, pour résister aux entreprises des Anglois ». « .Messire Jehan se employa bien et grandement ou service du roy et de la chose publique à l'expulsion des ennemis de ce royaume et recouvrement de la seigneurie.

Item que pour les feus vaillance et proesse de sa personne, il fut constitué en office de mareschal de France. ».

Jean de Brosse ne devait sa haute dignité ni à un meurtre, ni à des influences politiques, mais à son seul mérite comme le prouveront et sa vaillance et sa valeur militaire au cours des années qui lui restaient à vivre.

On a reproché au maréchal de Boussac le meurtre qu'il fit exécuter, à Richemont de l'avoir ordonné.

Au roi qui le réprimandait durement pour l'attentat de son favori, commis sous ses yeux, le connétable, sans se démonter, répondit froidement : « Monseigneur, c'est pour le bien de votre royaume ». Il semble bien que ce fut le seul motif qui ait fait agir le connétable et le maréchal.

L'irritation de Charles VII ne dura guère.

 Indulgent comme à l'habitude, il était incapable de garder rancune à ceux-là même qui l'avaient le plus gravement offensé, le roi pardonna bientôt au maréchal et au connétable.

A ce dernier, qu'il avait fait mander, Charles VII déclara : « Mais puisque vous m'enle- vez tous mes ministres, sous prétexte qu'ils vous déplaisent, indiquez m'en un qui vous convienne ».

Le connétable proposa Georges de La Trémouille qui venait d'épouser la très belle et très riche veuve du sire de Giac, Catherine de l'Isle Bouchard.

Charles VII refusa d'abord obstinément.

Le connétable insista et, comme à l'habitude, la volonté du roi fléchit. Charles VII se contenta de dire : « Beau cousin vous me le baillez, mais vous en repentirez : car je le cognois mieux que vous ! ». « Et sur tant demeura La Trémouille qui ne fit pas le roy menteur i; car il fit le pis qu'il put à mon dit seigneur le connétable ».

Richemont, beau-frère du duc de Bourgogne désirait ramener la paix entre Philippe le Bon et Charles VII. C'est dans ce but qu'il désigna, comme favori du roi, La Trémouille dont le frère Jean était grand maître et chambellan du duc de Bourgogne.

Le nouveau favori royal, Georges de La Trémouille, avait une personnalité infiniment plus forte que celle de ses prédécesseurs.

Puissant par sa naissance, par ses alliances, fort riche, le nouveau grand chambellan de Charles VII ne manquait ni d'intelligence, ni d'expérience, ni d'audace. Il venait d'atteindre la quarantaine et se montrait plein d'ambition.

La Trémouille avait assurément des qualités mais il les utilisait mal et son « règne » qui devait durer six années, ne fut qu'une longue suite de méfaits tant publics que privés.

 Fort de son omnipotence et de l'impunité qui en découlait, Georges de La Trémouille accomplissait les pires forfaits avec un tel cynisme qu'il indignait ses contemporains eux-mêmes, habitués cependant à toutes les violences de cette époque troublée.

Le nouveau favori de Charles VII était né vers 1385.

Son père, Guy de La Trémouille avait dû toute sa fortune au duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, qui en avait fait le porte-oriflamme de France et lui avait donné pour épouse Marie de Sully, veuve d'un prince du sang.

En 1417 Georges de La Trémouille était encore chambellan du duc de Bourgogne et, s'il s'était rallié à Charles VII, dans les conditions indiquées dans un chapitre précédent, il n'en avait pas moins gardé un contact intime avec le parti bourguignon.

Son frère, Jean de La Trémouille, seigneur de Jonvelle, chambellan du duc, était très apprécié de Philippe le Bon. Ce dernier, en son hôtel d'Artois, avait donné de grandes fêtes à l'occasion du mariage de Jean de La Trémouille avec Jacqueline d'Amboise, mariage que le duc de Bourgogne fit célébrer à ses frais. Muni d'un sauf-conduit, Georges, bien que du parti de Charles VII, avait pu assister au mariage de son frère.

Au moment où les Bourguignons chassèrent de Paris tous les Armagnacs, les biens de ceux-ci avaient été saisis, et confisqués.

Par une faveur toute spéciale, l'hôtel de Georges de La Trémouille, rue des Bourdonnais, avait échappé à la confiscation. Son frère l'avait occupé.

Les liens du nouveau favori de Charles VII expliquent toute sa politique. Jamais Georges de La Trémouille ne cessa de s'opposer ouvertement ou sournoisement à tous les défenseurs de la cause française, depuis le connétable de Richemont jusqu'à Jeanne d'Arc elle-même. Il subordonna toujours les intérêts du royaume aux siens.

En 1416 Georges de La Trémouille avait épousé la veuve du duc de Berry, Jeanne, comtesse de Boulogne et d'Auvergne.

A peine marié, il n'eut qu'une pensée, s'emparer des deux comtés.

Accablée de mauvais traitements, renvoyée sans asile, Jeanne de Boulogne devait mourir de douleur en 1423.

 Et de La Trémouille put épouser une seconde héritière, la veuve de celui qu'il avait contribué à arrêter et à condamner, Catherine de l'Isle Bouchard. Grâce à elle, le nouveau favori put rafler tout le produit des malversations de son prédécesseur dans les faveurs du roi, le sire de Giac.

La première prise de contact entre le connétable et le nouveau favori les dressa l'un contre l'autre.

De Richemont voulut donner des instructions au nouveau ministre qui ne se montra pas disposé à les suivre. Irrité, le connétable rappela à de La Trémouille que ce dernier lui devait son élévation au poste qu'il occupait. Le favori se cabra et c'est en ennemis qu'ils se séparèrent.

Tandis que Georges de La Trémouille s'installait au Conseil de Charles VII, le duc de Bedford, qui était parvenu à pacifier l'Angleterre, se disposait à rentrer en France.

 Il s'embarqua vers la fin de Février 1427, et après s'être arrêté à Calais, était de retour à Paris le 5 Avril 1427, au bout d'une absence de seize mois.

Dès son arrivée, Bedford dut se rendre à Rouen, où une conspiration destinée à remettre la ville aux mains de Charles VII, venait d'être découverte. Les conspirateurs furent arrêtés, jugés et décapités.

Aussitôt après le retour du régent, profitant de la belle saison, de Warwick engagea les hostilités contre la Bretagne et vint assiéger Pontorson.

Intimidé, le duc de Bretagne sollicita aussitôt la paix.

Un premier accord fut négocié par le chancelier de Bretagne, Jean de Malétroit, évêque de Nantes.

Avec des alternatives de succès et de revers, des combats acharnés se poursuivaient dans le Maine et l'Anjou, entre les troupes de Charles VII et les Anglais.

Près de Chartres, Rochefort et Nogent-le-Rotrou restaient aux mains des Français.

 

 

 

L'opération réussit ; mais l'aide apportée se montra bien inférieure aux besoins des assiégés et les vivres commencèrent bientôt à manquer dans la forteresse.

Devant les plaintes réitérées des habitants de Montargis, un grand conseil de guerre se réunit à Jargeau en présence du connétable de Richemont ; le maréchal de Boussac y assistait.

Des hommes, des munitions, des vivres furent réunis et, sous le commandement du connétable, une armée de secours se concentra à Gien.

Elle fut bientôt rejointe par de nombreux capitaines qui se présentaient avec leurs bandes ; La Hire, Xaintrailles, le bâtard d'Orléans, de Pallière accoururent. Le connétable donna l'ordre dé départ.

Une difficulté s'éleva. Tout en protestant qu'ils étaient honorés de faire la guerre sous ses ordres, les capitaines déclarèrent au connétable que leurs « gens » ne marcheraient pas au combat si on ne leur payait pas au préalable leur arriéré de solde. « Depuis longtemps, disaient-ils, nous avons dépensé notre bien à payer les bandes, tandis que le roi, enfermé dans son hôtel, emploie aux plus folles dépenses les revenus que l'on retire si difficilement des provinces. ». Ils ajoutèrent qu'ils se trouvaient dans l'impossibilité de payer eux-mêmes leurs soldats.

Bien que les réclamations fussent justifiées, le connétable ne pouvait qu'être irrité du moment choisi pour les présenter. Que faire ? Les raisonnements, l'appel au devoir, risquaient de rester inefficaces. Le trésor du roi était vide. Les promesses, trop souvent mal tenues, seraient sans effet.

 Le comte de Richemont, connétable de France, n'hésita pas. Il mit en gage sa couronne de comte, en or massif, toute, garnie de pierreries.

Elle était estimée à 10.000 écus ; un riche négociant de Bourges, Jean Besson, consentit à prêter au connétable une somme de 6.000 écus, gagée par la couronne.

 Dès qu'il fut en possession de l'argent, de Richemont le distribua aux capitaines qui réglèrent la solde de leurs troupes.

Deux jours après les paiements, l'armée se mit en route.

Tandis que le gros des forces, sous le commandement du connétable et du maréchal de Boussac, se déploierait en position de soutien, en avant de Jargeau, un détachement de 2.000 hommes d'élite, commandé par le bâtard d'Orléans et La Hire, tenterait de pénétrer dans Montargis avec un important convoi de vivres.

Le 5 Septembre 1427 la colonne de secours parvenait en vue de Montargis.

Les meilleurs soldats de l'armée anglaise, sous les ordres des comtes de Warwick et de Suffolk, investissaient la ville.

Située sur une hauteur, entourée de nombreux cours d'eau, Montargis était d'un accès difficile.

La ceinture d'investissement que les assiégeants avaient construite autour de la ville était coupée en plusieurs zones par le Loing, l'Ouanne et le Vernisson.

S'étant distribué les rôles, le bâtard et La Hire, à la tête de leurs troupes se ruèrent à l'assaut.

Malgré leurs « eseoutes » (espions), les Anglais furent entièrement surpris ; ils se ressaisirent rapidement et opposèrent une vigoureuse résistance. E

Elle ne tint cependant pas devant l'impétuosité des assaillants, bien secondés par une sortie des assiégés.

Le terrain coupé de rivières ne permettait pas aux détachements anglais non attaqués de se porter au secours des zones soumises à l'assaut. Sans soutien, les Anglais luttaient désespérément ; la plupart succombèrent, ce qui restait fut fait prisonnier.

Redoutant le pire, le comte de Warwick donna l'ordre de retraite à celles de ses-troupes qui étaient restées en dehors de l'action.

La défaite des Anglais était complète.

Montargis conservait comme trophée la bannière de Warwick que ses habitants avaient conquise de haute lutte.

Dans la nuit, l'ennemi se replia jusqu'à Nemours; certains détachements se retirèrent jusqu'à Paris.

Les Anglais avaient abandonné devant Montargis, des munitions, des vivres, une artillerie importante, tout un riche butin et le siège de la ville était levé.

 Dans la même semaine les Français enlevèrent encore Mondoubleau et Marchenoir.

Le succès des troupes de Charles VII devant Montargis eut un retentissement d'autant plus grand qu'il était plus exceptionnel.

Une commission anglaise, à la suite de ce combat, prescrivit aux baillis et aux sheriffs de mettre en défense les côtes du Devonshire. Tous les cœurs français se réjouirent du succès inespéré.

Montreuil raconte : « Là (à Montargis) mourut un seigneur d'Angleterre de qui le corps fut rachepté pour porter en son pays. Et en portant cedit corps, ainsi comme les Anglois approchoyent de Dieppe pour passer en Angleterre, ceux de la ville issirent en procession au devant d'iceluy corps. Là y avoit un fol qui hayoit les Anglois et ainsi que les gens d'église chantoyent le libera, chacune fois qu'ils disoient : dum veneris, ce fol criait : De Montargis ! de Montargis ! ». Le fol, ou prétendu tel, feignant de croire que dum veneris signifiait : d'où venezvous ? chantait comme en. un répons graduel de Montargis !

Dans l'entourage de Charles VII la nouvelle du succès causa une profonde impression ; chacun se réjouit de cette victoire et la cité reçut le surnom de Montargis-le-Franc.

Le maréchal cependant voyait la joie que lui apportait l'annonce de la victoire empoisonnée par des soucis d'argent.

Comme ceux de Xaintrailles, de La Hire, de Jean d'Orléans, les soldats du maréchal de Boussac ne recevaient aucune solde du roi.

 Afin de maintenir ses troupes sous les armes, Jean de Brosse devait les payer de ses propres deniers.

 Ses revenus n'y suffisaient pas et le maréchal avait déjà dû s'endetter profondément.

A bout de ressources, il s'était résolu à vendre toute sa vaisselle d'argent et même tous les joyaux de sa femme. Il ne lui restait plus rien à mettre en gage, ne possédant pas, comme le connétable, de couronne en or.

Le maréchal s'était entièrement ruiné au service de Charles VII.

A l'encontre de tous les favoris qui s'étaient succédés auprès du roi, Jean de Brosse n'avait jamais montré aucun souci de son intérêt personnel et, avec un désintéressement total, s'était toujours dévoué au roi, à l'Etat.

Là où chacun emplissait ses poches, le maréchal de Boussac avait vidé les siennes.

Malgré sa ruine, il ne se décourageait pas et continuait de servir avec le même dévouement. Mais il lui fallait payer ses soldats. Aussi afin de trouver les ressources nécessaires, Jean de Brosse résolut, contre paiement d'une somme de mille écus, d'accorder une charte de franchise et droit de « bourgeoisie » aux habitants de Boussac.

La charte qui a été conservée (annexe I), commençait ainsi :

« Nous Jehan de Brousse, Chevalier, Seigneur de SaincteSévère, de Boussac, de la Parousse, et de Huriet, et Maréchal de France, savoir faisons à tous présens et à venir, et qui ces présentes verront, que en considéracion que nostre ville de Boussac-le-Chastel et le principal de notre Chastellenie dudit Boussac et en icelle affluent et viennent tous ceulx de nostre dicte Chastellenie et par le temps passé a esté bien peuplée et plus que de présent n'est, mais tant pour les guerres mortalitez et stérilité de temps qui ont ésté et est dépeuplée, comme avons sceu. ».

Après avoir ainsi rapporté que la ville de Boussac se trouvait fort dépeuplée et en avoir attribué la cause à ce que nul n'y pouvait demeurer qu'il ne fût serf et mortaillable, le rédacteur des lettres nomme chacun des habitants. Ils ne dépassent pas la cinquantaine.

A tous les habitants le seigneur de Boussac, contre paiement de mille écus d'or accorde, avec divers privilèges les Lettres d'affranchissement et de manumission.

 

Voici les articles des Lettres :

1°) Les habitants de la ville et de la paroisse de Boussac, leurs femmes, enfants et ceux qui y viendront demeurer, sans suite de seigneur, sont affranchis de toute servitude personnelle et réelle. Ils payeront chacun par an, après un an de domicile, au Seigneur du lieu, d'une quarte à un sétier de froment, selon l'imposition qui sera faite par le Prévôt et les Consuls de la ville. Ces derniers seront nommés par les Bourgeois de Boussac.

2° et 3°) Ces Bourgeois pourront faire de leurs enfants des Clercs et des Prêtres, marier leurs filles où ils voudront, sans licence du Seigneur, et aliéner leurs biens ainsi qu'il est permis aux gens de franche condition et origine par la Coutume d'Issoudun.

4°) Ils seront habilités à succéder par parenté, testament ou autrement dans conditions établies par la Coutume d'Issoudun.

5°) Ils pourront acquérir, sauf les droits du Seigneur, hommages et devoirs, mais ne pourront cependant pas acquérir les serfs du Seigneur sans son autorisation expresse.

6°) Les héritages que les Bourgeois de Boussac tiennent de leur Seigneur seront affranchis de toutes servitudes, tailles et, corvées, à l'exception toutefois de la taille simple qui sera convertie en cens ou rente.

7°) Ils pourront se vendre entre eux les dits héritages sans qu'ils soient sujets au retrait et ne seront tenus qu'aux charges des droits et cens fixés par la Coutume d'Issoudun.

8°) Ils pourront aliéner tous leurs biens par ventes, donations et testament, sous réserve des charges de droits et prérogatives du Seigneur.

9°) Ils paieront annuellement par devoir de Bourgeoisie une quarte de froment.

10°) S'ils sortent de la paroisse et demeurent ailleurs, dans des lieux où le Seigneur de Boussac ait droit de suite, mais avec intention de retour, et qu'ils reviennent avant quatre ans écoulés, ils demeureront francs bourgeois.

11°) S'ils se transportent en lieu de franchise, ils pourront lenir et exploiter leurs héritages en payant les devoirs annuels.

12°) La dite franchise ne s'étendra pas au- delà de la ville et de la paroisse de Boussac.

13°) Les gens ci-dessus nommés et tous ceux qui viendront demeurer à Boussac, sans suite de Seigneur, seront appelés gens francs et Bourgeois de la dite franchise.

14°) Les Bourgeois de la paroisse et de la ville de Boussac éliront chaque année quatre Consuls pour conduire leurs affaires, Ces consuls prêteront serment devant le prévôt ou Bailli ils rendront compte devant lui à la fin de leur administration.

15°) Le pouvoir des Consuls sera identique à celui des communautés de Bourgeois.

16°) Les Bourgeois de Boussac ne seront tenus envers leur Seigneur à aucun service en dehors de ceux indiqués ci-dessus.

17°) Ils pourront chasser et pêcher dans la Châtellenie, sauf dans les lieux de tout temps prohibés.

18°) Ils .seront sujets à la taille aux quatre cas, c'est à dire a) quand le Seigneur est fait chevalier ; b) quand il est fait prisonnier, « que à Dieu ne plaise » ; c) quand il passe outremer ; d) quand il marie ses filles.

19°) S'il advient que la ville de Boussac soit close et fortifiée, les Bourgeois garderont seulement la porte ; ils .paieront dix livres par an pour les gages du Capitaine que le Seigneur mettra dans la ville.

20°) Les Aubains se mariant dans la franchise, deviendront Bourgeois, à la condition qu'ils soient sans suite d'aucun Seigneur.

21°) Les Bourgeois de Boussac pourront avoir des. moulins à draps, à chanvre, à écorces et poulies à draps.

22°) Les Meuniers des moulins banaux du Seigneur seront tenus de moudre le blé des Bourgeois de Boussac et devront rendre farine à mesure raisonnable.

23°) Le Seigneur ne pourra hausser que d'une maille par pinte le prix du vin, la veille du ban-vin, ainsi qu'il est coutume.

24°) Il ne sera payé que quatre deniers pour chacune des visites des mesures de blé, vin ou huile.

25, 26, 27 et 28°) Ces articles fixent les droits qui seront payés au marché de Boussac pour chaque chef d'aumaille, vaches, veaux, moutons et chevaux, ainsi que pour chaque banc ou étal.

29°) Chaque boulanger vendant le pain dans la franchise devra payer cinq deniers tournois par an au Seigneur.

30°) L'aune nommée courte est celle qui se trouve figurée sur la croix de pierre du cimetière.

31°) L'aune française est celle dont se servent les Marchands de Boussac ; les étrangers la pourront prendre d'eux sans rien payer.

32°) Les Bourgeois de Boussac demeurent soumis à la banalité des moulins et fours du Seigneur.

Le Seigneur s'oblige en outre à obtenir la ratification des articles sus énumérés, soit du Roi, soit d'autres, et à tenir les Bourgeois de Boussac quittes de tout droit pour le dit affranchissement.

Et le 15 Septembre, la charte fut signée et scellée du grand scel, en présence des hommes, vassaux, serviteurs et conseillers.

Parmi les témoins cités on relève les noms de Jehan Le Groin, Phelippes d'Esgurande, Guillemain de Grecaing, Gaucher de Viersac, tous les quatre « escuyers » ; et aussi, le « bailly de la chastellenie » : Roger Roque, ainsi que le procureur général : Phelippon Robinet.

 

La charte d'affranchissement et de manumission des habitants de Boussac ne fut ratifiée et confirmée par le roi Charles VII que vingt ans plus tard, par une lettre donnée à Bourges en Novembre 1447.

Le mouvement d'émancipation des villes, en France, avait commencé au XIIe siècle et Beaumont-en-Argonne reçut en 1182, de son seigneur l'archevêque de Reims, la première charte d'affranchissement.

Puis Rouen bénéficia à son tour de l'autonomie municipale, connue sous le nom des « Etablissements de Rouen ».

 Les privilèges accordés étaient : liberté individuelle, liberté des mariages et des successions, ainsi que certaines garanties judiciaires.

Après s'être un instant ralenti, le mouvement d'affranchissement des villes connut un nouvel essor au moment de la guerre de cent ans.

Chacun des belligérants, par des actes de libéralité, s'efforçait de gagner de nouveaux partisans ou de maintenir les anciens dans son parti.

C'est ainsi que dans les neuf premiers mois de son règne, Charles VII avait accordé, confirmé ou accru les privilèges dans plus de quinze villes dont : Loches, Toulouse, Tours, La Rochelle et Issoudun.

 

Plus rarement cependant la charte d'affranchissement était donnée à des villes de faible importance ; Boussac fut l'une des premières bourgades qui ait reçu, des mains de son seigneur, l'octroi de franchises, qui ne différaient pas sensiblement de celles dont jouissaient les grandes villes.

 

 

CHAPITRE X

LA TRÉMOUILLE CONTRE RICHEMONT

Dès que le maréchal de Boussac eut définitivement réglé les conditions d'établissement de la charte relative à l'affranchissement des bourgeois de son fief, il s'empressa de rejoindre l'armée du roi, où l'appelait sa haute dignité. Il conservait cependant la garde personnelle de Charles VII, mais déléguait ses pouvoirs pendant son absence.

Profitant du recul de Warwick devant Montargis, le connétable s'était efforcé, en montrant sa puissance militaire, de faire reconnaître l'autorité de Charles VII dans tout le Gâtinais.

Il fut brusquement appelé vers le Maine que le duc de Bedford envahissait de nouveau.

C'est dans cette province que le maréchal retrouva l'armée française.

 Saint-Ouen et Monsur étaient déjà tombées aux mains des Anglais qui, une fois de plus, assiégeaient La Gravelle.

La marche de l'armée française avait été si rapide et si secrète qu'elle surprit les Anglais au moment même où le capitaine de La Gravelle, désespérant d'être secouru, discutait déjà des conditions de sa reddition.

 N'osant pas engager le combat, Bedford, avec toute son armée, se déroba et battit en retraite vers la Normandie.

Aussitôt le connétable s'empressa d'organiser la défense du Maine, renforçant les garnisons de Laval, de Craon, d'Angers, nommant de nouveaux capitaines, choisis parmi des hommes sûrs.

 

Rassuré sur le sort de la province menacée, de Richemont gagne Loudun où il espérait rencontrer le roi. Il ne le trouva pas.

Sur l'instigation de son ministre, de La Trémouille, Charles VII, une fois encore, se dérobait.

Le connétable apprit bientôt les manœuvres que le nouveau favori royal tramait contre lui.

De La Trémouille était parvenu à inspirer au roi une antipathie violente, mêlée de crainte envers le comte de Richemont.

L'austérité, la sévérité, l'aspect rébarbatit de celui que le duc Charles d'Orléans avait surnommé, au cours de leur captivité en Angleterre, « ma vieille lippe », impressionnait fort le timide Charles VII.

Exploitant les récents traités du duc de Bretagne, frère de Richemont, avec les Anglais, de La Trémouille avait de plus laissé entendre au roi que son connétable le trahissait. Il n'en était cependant rien.

A partir du jour où il fut fait connétable, de Richemont, quelles que fussent les vexations, les injustices, les avanies qu'il dût subir, resta farouchement fidèle au parti français.

Flattant le roi, lui assurant qu'il pourrait reconquérir son royaume par les seuls moyens diplomatiques, sans recourir à la guerre, ce qui plaisait fort à Charles VII, le « brigand et meurtrier » qu'était de La Trémouille réussit à capter entièrement la confiance de son souverain et à ruiner totalement l'autorité du connétable.

Afin de concrétiser son triomphe aux yeux de tous, La Trémouille fit retirer au comte de Richemont le gouvernement du duché de Berry et obtint du roi qu'il le lui attribuât.

Assuré de son crédit, le favori orgueilleux traita avec une hautaine dureté tous les seigneurs de la cour, fussent-ils princes du sang.

Le comte de la Marche et le comte de Clermont se montrèrent particulièrement indignés de l'arrogance du favori.

Ils se rendirent à Loudun auprès du connétable et se concertèrent avec lui pour demander au roi d'éloigner de son entourage les personnages, qui, par leur mauvaise gestion des affaires, compromettaient la sécurité du royaume.

Les conjurés s'attaquaient à forte partie ; de La Trémouille avait une autre personnalité que de Giac ou de Beaulieu, il comptait en outre de-nombreux alliés.

 Ayant eu connaissance des conciliabules tenus entre le connétable et les comtes de Germont et de la Marche, le favori organisa aussitôt son parti et fit défendre à toutes les villes obéissant au roi d'ouvrir leurs portes à ces grands personnages qu'il allait jusqu'à signaler comme « traîtres ».

Cette grave insulte précipita les événements.

Violemment irrités, les deux princes du sang et le connétable appelèrent dans leurs rangs de nombreux capitaines et parmi eux, Jean de Brosse

Ordre fut donné à tous les conjurés de se rendre à Chatellerault pour la Toussaint, 1er Novembre 1427.

Le maréchal de Boussac se rangea délibérément aux côtés du connétable.

Bien renseigné, La Trémouille s'empressa d'occuper le Poitou, tant avec ses vassaux qu'avec les troupes royales commandées par le sire de Gaucourt.

Et lorsque le connétable se présenta pour entrer dans Chatellerault, il s'en vit refuser la porte. Avant de se retirer, de Richemont en signe de menace et d'autorité lança sa masse d'armes par dessus la barrière de la ville.

Les hostilités commencèrent aussitôt. Jamais encore, même contre les Anglais on ne s'était battu avec tant de fureur.

Poussé par La Trémouille, Charles VII lui-même se mit en campagne et le roi de France, qui n'avait jamais revêtu une armure depuis plus de quatre années, combattit ceux-là mêmes qui avaient toujours été et restaient les plus fidèles, les plus dévoués défenseurs de sa cause.

Les princes révoltés et le connétable s'étaient rendus à Chinon où résidait la princesse de Guyenne, épouse de ce dernier. Le maréchal de Boussac les accompagnait.

Le roi pendant ce temps se trouvait au château de Lusignan.

Des négociations furent ouvertes entre les belligérants.

A Raoul de Gaucourt et à l'archevêque de Tours qui étaient les ambassadeurs de Charles VII, le connétable et les .princes présentèrent les propositions qu'ils désiraient soumettre au roi. Se montrant d'une intransigeance absolue, La Trémouille suspendit les négociations sans même daigner prendre connaissance des documents remis aux ambassadeurs.

Bien plus il rappela au conseil du roi, Jean de Blois, l'un des principaux acteurs de la conjuration de Penthièvre, celui-là même qui avait fait prisonnier et failli renverser le duc de Bretagne, frère de Richemont. Rien ne pouvait blesser plus cruellement le connétable.

Non content de cette marque d'hostilité envers de Richemont, Georges de La Trémouille, traînant le roi avec lui, à la tête de 3.000 Ecossais, s'empressa d'aller investir Chinon où résidait encore la duchesse de Guyenne, femme du connétable, après que ce dernier avec tous ses partisans se fût retiré en sa seigneurie de Parthenay.

Le 12 Mars 1428 le roi se présentait devant Chinon.

La Trémouille l'accompagnait, ainsi que R. de Gaucourt et Jean de Herpedanne. Ce dernier venait d'épouser Marguerite, fille de Charles VI et d'Odette de Champdivers (la petite reine).

 

Charles VII avait fait venir près de lui, à Mehun, sa demi-sœur en qualité de « damoiselle en l'hôtel de la Roine », il l'avait légitimée, dès Janvier 1428, en lui faisant épouser un chevalier, Jean de Herpedanne; seigneur de Belleville.

On trouvait également aux côtés du roi, Regnault de Chartres, archevêque de Reims, nouveau chancelier de France ; ce personnage qui n'avait jamais exercé de ministère pastoral, avait été successivement président des comptes, lieutenant civil, gouverneur en Languedoc, puis chargé, à titres divers, de nombreuses missions. Infatué de lui-même, ayant une très haute opinion de ses talents diplomatiques, le nouveau chancelier devait toujours se montrer un instrument docile aux mains de La Trémouille.

La ville de Chinon avait été donnée en gage, par le roi, au connétable qui avait nommé Guillaume Belier capitaine du château.

Mais gagné par La Trémouille, sans résister, Belier ouvrit les portes de la ville au roi et bientôt, madame de Guyenne eut la surprise de voir arriver Charles VII dans ses appartements.

Se montrant fort courageuse, la princesse demanda au roi si elle devait se considérer comme prisonnière.

Le roi rassura celle qui avait été sa belle-sœur, mais, devant tout le conseil, lui donna à entendre « que sa présence à Chinon ou en quelque autre demeure du roi qu'elle choisirait, serait tenue au roi pour agréable, mais à une condition : c'est que la duchesse n'y reçût point le connétable ».

Madame de Guyenne répondit « que jamais ne voudrait demeurer en place où elle ne pût voir Monseigneur son mari ».

Et quelques jours plus tard, prenant congé du roi, elle alla retrouver son époux à Parthenay.

La guerre intestine se poursuivit dans le Limousin entre les gens de La Trémouille et ceux du connétable.

Pour le compte du premier, Jean de Blois tenta un coup de main sur la ville de Limoges mais il fut repoussé par les troupes du maréchal de Boussac.

Les Anglais, pendant ce temps, ne restaient pas inactifs.

La Champagne était l'objet de toute leur attention. Dès le début de 1428 le duc de Bedford avait institué une haute commission chargée de prendre en main les affaires gouvernementales et militaires de cette province.

 Formée des capitaines et des hommes d'état les plus dévoués aux Anglais, cette commission avait à sa tête Pierre Cauchon, évêque de Beauvais ; elle comptait encore parmi ses membres importants : Jean de Luxembourg et Antoine de Vergy, gouverneur de Champagne.

La prise, après une héroïque résistance de Moymet et de Beaumont-en-Argonne, dans ce secteur, récompensa les efforts des Anglais.

Grâce à l'intervention du duc de Savoie, les trêves furent renouvelées, le 22 Mai 1428, entre le roi de France et le duc de Bourgogne.

Quelques jours plus tard, le 25 Mai, conduits par Guillaume d'Albret et La Hire, les Français enlevèrent la ville du Mans presque sans rencontrer de résistance, grâce à l'appui des habitants qui les avaient appelés à l'aide d'un signal convenu - feu allumé sur le clocher de la cathédrale

— Les troupes du sire d'Albret et de La Hire traitèrent Le Mans comme « ville conquise » et, le soir de l'assaut, s'endormirent dans l'orgie sans prendre même le soin de se garder.

Dès le lendemain, à la tête d'un détachement anglais, Talbot, commandant de la ville du Mans qui en était absent au moment de l'attaque par les Français, survint de très bon matin. Sans opposition il pénétra dans la ville, surprit les soldats endormis, les massacra et fit en outre exécuter tous les habitants du Mans qui avaient aidé les Français dans l'occupation de la ville.

Cependant les luttes intestines se poursuivaient à l'intérieur du parti français.

Commandés par les comtes de Clermont et de Perdriac, par les maréchaux de Boussac et de La Fayette, une armée composée de partisans du connétable s'avança vers la ville de Bourges.

Il y avait parmi les bourgeois de cette cité un parti nombreux et influent en faveur du comte de Richemont.

La place était commandée au nom du roi par le sire de Bonnay et le sire de Prie ; le sire de La Borde commandait la Grosse Tour.

Sans combattre, le maréchal de Boussac, qui se trouvait au milieu de ses compatriotes, réussit à se faire ouvrir la ville. De nombreux bourgeois et des officiers du roi se rangèrent à ses côtés.

 A peine entrés dans Bourges, le maréchal et les comtes de Clermont et de Perdriac « réunirent les gens d'église, bourgeois et habitants et leur exposèrent qu'ils n'étaient animés que de loyales intentions et n'avaient en vue que le très grand bien et la conservation du royaume et de la chose commune ; que le pays de Berry était ruiné par les garnisons des places fortes et par les courses des Bourguignons de La Charité ; qu'ils ne venaient que pour mettre une terme à tant de maux ».

A l'unanimité, aussitôt, l'assemblée décida de se ranger aux côtés du connétable. Le sire de Bonnay, lui-même, capitaine de la ville, se tourna également en faveur de ce dernier.

Mais lorsque le maréchal de Boussac voulut prendre possession du château, les sires de Prie et de La Borde refusèrent de se soumettre.

Aux sommations du maréchal, ils répondirent « que leur poste leur avait été confié par le roi et qu'ils ne le rendraient à nul autre ».

Se réfugiant dans la Grosse Tour, ils en firent lever les ponts et la mirent en état de défense ; puis, passant à l'attaque ils commencèrent à bombarder la ville de Bourges.

Presque imprenable, ce donjon avait « par le bas à rez de chaussée de dedans vingt neuf pieds de Diamètre, et de dehors en dehors soixante et un pied (sic), et de circonférence en tour par dehors, cent quatre vingts douze pieds, de hauteur à rez de chaussé cent pieds, et de la basse fosse six vingts pieds de hauteur. ».

Sans tarder, le maréchal de Boussac fit investir la Grosse Tour, tant du côté de l'intérieur de la ville qu'à l'extérieur des murailles.

Les comtes de Clermont et de Perdriac avaient aussitôt écrit au connétable pour l'informer de la résistance rencontrée et lui demander de venir à leur aide.

Dès qu'il fut prévenu, ce dernier s'élança pour porter secours à ses partisans, mais le chemin direct du Poitou, où il se trouvait, jusqu'au Berry, lui fut barré par les troupes de La Trémouille qui était parvenu à déjouer toutes les entreprises dirigées contre sa personne.

Arrêté dans sa marche, le connétable décida de tourner l'obstacle et de gagner Bourges par le Limousin et l'Auvergne.

Sur cet itinéraire encore les troupes de La Trémouille s'opposèrent à son avance et de Richemont ne put dépasser Limoges.

Obstinément le maréchal de Boussac poursuivait le siège de la Grosse Tour.

Chaque jour des escarmouches opposaient les adversaires. Au cours de l'une d'elle le sire de Prie fut mortellement blessé d'un coup de vireton et le sire de La Borde resta seul pour défendre le donjon.

Sa situation devenait critique ; la garnison diminuait chaque jour. Bientôt elle serait impuissante à repousser les assauts menés par le maréchal de Boussac.

Par ses espions, La Trémouille qui se trouvait auprès du roi à Poitiers fut averti du grave danger qui menaçait la Grosse Tour. Il était de plus très inquiet des mesures prises par les révoltés concernant les monnaies, les greniers à sel et les finances de la ville de Bourges.

 Il résolut de lever une armée qu'il chargea Raoul de Gaucourt et son homme à tout faire, Jean de La Roche, de conduire vers la capitale du Berry.

Au milieu de Juillet, avec l'armée ainsi constituée, Charles VII arriva devant Bourges.

Il s'installa, dans le faubourg joignant la Grosse Tour, au « château lez Bourges ».

Le roi envoya aussitôt son premier héraut d'armes, Montjoye, vers les révoltés, signifiant aux comtes de Clermont et de Perdriac et aux maréchaux « étant en leur compagnie » d'avoir à évacuer la ville.

Ceux-ci, sans vouloir rien entendre, tinrent obstinément fermées toutes les portes de Bourges.

Le roi hésitait à mettre le siège devant la capitale du Berry, son armée était insuffisante et de La Trémouille redoutait les conséquences d'un échec pour lui-même.

On recourut de part et d'autre aux négociations.

Les comtes, par ambassadeurs, firent exposer au roi les raisons qui les avaient poussés à se révolter et les incitaient à résister encore à ses volontés, disant notamment que le principal motif résidait dans le fait que le roi était mal conseillé.

Les deux partis en présence s'efforçaient de sauver l'honneur et aucun ne voulait céder. Des prélats, des seigneurs, des officiers, des serviteurs du souverain, et aussi des députés de plusieurs « bonne villes et provinces de France », tous favorables à la cause des révoltés, intervinrent auprès du roi afin de le fléchir.

Se sentant menacé dans son crédit par une telle unanimité, le sire de La Trémouille dut capituler et s'entremettre auprès du roi.

Charles VII fut contraint de céder et de recevoir les révoltés en sa bonne grâce. Il ne put entrer « en sa bonne ville de Bourges » qu'après avoir accordé à tous les révoltés des lettres d'abolition.

Et le 27 Juillet 1428, par lettres données au château lès Bourges, Charles VII accorda aux comtes de Perdriac et de Clermont et aux maréchaux « étant en leur compagnie » une rémission ou abolition complète au sujet de l'entreprise qu'ils avaient tentée (Annexe II).

 

 

Les deux maréchaux, seuls titulaires de cette haute dignité dans l'armée de Charles VII, étaient le sire de La Fayette et Jean de Brosse.

Par la volonté de La Trémouille, le connétable se trouva formellement exclu de cette transaction. Mais vaincu, il se montra beau joueur, recommanda à ses partisans de servir fidèlement le roi, quelque mal conseillé qu'il fût et le maréchal de Boussac reprit son service auprès du souverain.

Profitant des divisions qui séparaient les partisans de Charles VII, les Anglais organisaient l'offensive qui devait, pensaient-ils fermement, leur livrer la France tout entière.

Tandis que les Français se déchiraient, le duc de Bedford était parvenu à liquider les querelles qui avaient opposé son frère le duc de Glocester à son beau-frère le duc de Bourgogne d'une part, et à son oncle l'évêque de Winchester d'autre part.

L'inconstance de Glocester aida fort le régent dans ses efforts de conciliation ; en effet le duc s'étant épris d'une suivante de sa femme, Eléonore Cobham, en fit bientôt sa maîtresse et aussitôt accepta de se soumettre, ce qu'il avait toujours refusé, à.la sentence du pape qui avait annulé son mariage avec Jacqueline de Hainaut.

Cette dernière dut regagner le Hainaut où elle se consola vite dans les bras d'un chevalier de toute petite noblesse mais de grande vigueur.

 Le duc de Bedford réussit en outre à calmer, son oncle, l'archevêque, en détournant son activité si débordante et son ambition vers des buts plus lointains et moins dangereux pour l'Angleterre : la croisade contre les Hussites.

Débarrassé des menaces qui avaient paralysé son action, le régent Bedford se trouvait prêt pour la conquête à laquelle il voulait attacher son nom, celle du royaume de France.

Après s'être rendu à Londres afin d'y transporter le butin de ses pillages, le comte de Salisbury reprit la mer et vint débarquer à Calais vers la fin de Juin 1428.

 Le parlement anglais, « le chargeant d'achever sous les ordres du régent la conquête de la France », venait de lui accorder l'argent et les hommes nécessaires à sa mission. A la tête d'une armée de 6.000 hommes, de troupes anglaises d'élite, noblesse et archers des bourgs, Salisbury gagna Paris.

Et tandis que Charles VII tentait en vain de se faire ouvrir les portes de Bourges, le conseil anglais, assemblé, délibérait dans la capitale du sort de la France.

Il s'agissait, franchissant la Loire, d'envahir le royaume du « roi de Bourges » et de chasser définitivement Charles VII hors de France.

Un premier obstacle se dressait devant les Anglais : la Loire.

Où franchir le fleuve ?

Deux solutions furent envisagées au conseil.

La première consistait, pour forcer le fleuve, à s'emparer de la ville d'Angers. Cette tactique présentait de nombreux avantages. C'était en effet vers le Maine et l'Anjou que les Anglais avaient toujours poussé leurs efforts ; c'est dans cette direction qu'ils avaient obtenu le plus de succès et réussi à entamer la défense française ; de plus l'Anjou n'était pas éloigné de la Normandie, base de départ excellente et sûre.

Dans la seconde tactique envisagée, les Anglais se proposaient d'enlever Orléans, ville la plus importante qui fût encore aux mains de Charles VII et qui assurait un excellent point de passage sur la Loire.

La prise d'Orléans aurait du point de vue moral une énorme répercussion, infiniment plus importante que celle d'Angers.

Toutefois cette dernière solution présentait un grave inconvénient puisqu'elle contraignait les Anglais à attaquer les possessions d'un prince encore prisonnier.

 Or les lois de l'honneur et de la chevalerie, d'une plus haute autorité que les traités eux-mêmes, interdisaient aux vainqueurs d'attaquer dans ses états un prince vaincu et captif.

Fait prisonnier à Azincourt, le duc d'Orléans, Charles le poète, était toujours prisonnier à Londres et les Anglais, obstinément, avaient toujours refusé de lui rendre la liberté, quel que fût le prix offert pour sa libération ; Charles VII devait Payer annuellement pour lui une forte somme à titre de pension.

L'obstacle constitué par les lois de chevalerie se trouvait encore grandi par les engagements qu'au cours de son récent séjour à Londres, Salisbury avait pris envers le duc d'Orléans ; le capitaine anglais avait en effet promis, au prince français prisonnier, de ne pas attaquer ses états.

 Bien plus, un traité, stipulant la même interdiction, avait été signé l'année précédente entre Jean bâtard d'Orléans, pour le compte de son demi-frère, le duc Charles, et le régent Bedford, représenté par le comte de Suffolk.

Malgré ces considérations, passant outre, et renonçant à marcher sur Angers, le conseil anglais résolut de conquérir les provinces françaises du sud de la Loire en s'emparant d'abord d'Orléans.

Avant de commencer les opérations, le duc de Bedford s'employa à chasser de Champagne les derniers partisans que Charles VII conservait encore dans cette province.

La commission présidée par l'évêque Cauchon retourna en Champagne avec mission « de dissoudre, par tous les moyens, les derniers résistants et d'obtenir, à défaut d'hommes d'armes, le concours pécuniaire de la province ».

A la fin d'Août, le comte de Salisbury à la tête de son armée renforcée de 3.000 soldats, levés dans les provinces françaises que contrôlaient les Anglais, se mit en marche vers le sud. Se portant devant Nogent-le-Roi, il enleva la place, gagna Chartres et, poursuivant sa marche, remporta succès après succès.

 Coup sur coup, sans même résister, les forteresses les plus solides tombèrent entre les mains du capitaine anglais.

Après Le Puiset, Marcheville, Patay, Béthencourt, Salisbury enlevait encore Toury, Janville et, le 5 Septembre 1428, arrivait sur la Loire et entrait dans Meung.

De cette ville, le comte de Salisbury écrivait à la commune de Londres, énumérant la liste impressionnante de toutes les villes qu'il avait conquises.

« Il y en avait, disait-il, plus de quarante, sans compter châteaux et forteresses, qui sur sa route avaient reconnu sa puissance ».

 Sans modestie, Salisbury se glorifiait de ses innombrables victoires « afin de se recommander à la puissante cité ».

Après avoir pris Meung-sur-Loire, continuant sa marche vers l'aval de la Loire, le comte de Salisbury enleva Beaugency et mit de solides garnisons dans les deux placés.

Portant alors ses efforts vers l'amont, à l'est d'Orléans, le capitaine anglais enleva successivement Jargeau, Saint-Benoît et Sully.

La Beauce, le Gâtinais entièrement conquis découvraient dangereusement Orléans.

Les garnisons se rendaient sans même se défendre.

Jamais la situation de la France n'avait semblé aussi lamentable.

Au nord de la Loire, sur quatre villes seulement flottait encore la bannière aux fleurs de lys.

Ces quatre cités, aux quatre angles d'un losange étaient : au sud, Châteaudun qui soutenait un siège héroïque ; à l'ouest, le Mont-Saint-Michel-au-péril-de-la-Mer.

Ceinte de murailles solides, défendue vaillamment, la forteresse restait fidèle à la cause nationale et bravait tous les efforts des Anglais ; malgré trois sièges longs et difficiles, alors que toute la Normandie se trouvait sous le joug de l'ennemi, la place du Mont-Saint-Michel avait si bien su se garder que jamais les Anglais n'avaient pu fouler son sol ; elle devait, pendant les trente années que les Anglais ont occupé la France, leur opposer une telle résistance qu'ils ne sont jamais parvenus à franchir ses portes.

Au nord, la cité toujours fidèle à la cause de Charles VII, Tournay, se dressait fièrement, îlot isolé au milieu des possessions bourguignonnes. A l'est enfin, depuis que Mouzon venait de capituler (1er Octobre 1428) et que ses défenseurs avaient dû quitter la ville, préférant l'exil et la misère à la servitude, une seule ville demeurait intacte au milieu du désastre : Vaucouleurs.

C'est de Vaucouleurs, qui, comme Châteaudun, Tournay et le Mont-Saint-Michel, avait gardé une foi inviolable dans la cause nationale que devait bientôt partir Jeanne d'Arc.

 

La situation de Charles VII semblait désespérée.

Les princes, les grands seigneurs, abandonnaient le souverain ou le servaient à leur guise.

Le plus puissant, le plus sage, le plus valeureux de tous, le connétable de Richement, implacablement écarté par le sire de La Trémouille, voyait ses services repoussés.

Le comte de Perdriac menaçait le Languedoc.

Le comte de Foix occupait Béziers et s'y maintenait malgré les ordres du roi.

Le frère de la reine, lui-même, René d'Anjou, duc de Bar, traitait directement avec les Anglais.

Le roi, comme tous ses sujets, (à l'exception seulement de quelques favoris, de La Trémouille surtout) se trouvait acculé à la ruine.

Il n'y avait pas plus d'argent dans le trésor public que dans la bourse des Français.

 Régnault de Bouligny, trésorier de Charles VII, déclarait en Octobre 1428 : « Tant de la pécune du Roy que de la mienne, il n'y avait pas en tout chez moi, quatre écus ».

La misère du royaume en général, et plus particulièrement dans les pays entre Seine et Loire, était affreuse.

 Les paysans ne pouvaient cultiver que les terres se trouvant à proximité des forteresses et les animaux étaient si bien dressés qu'à la première sonnerie du tocsin, ils accouraient, sans qu'il fût besoin de les conduire, se mettre à l'abri derrière les remparts. « La famine étoit si grande ès pays entre Seine et Loire, Champaigne et Brie, qu'il fut trouvé une femme morte de faim, son enfant vif tenant encore la mamelle de sa mère, y cuidant trouver subsistance ».

Mais si les grands abandonnaient le roi, si la misère frappait tous les Français, Charles VII comptait encore de nombreux fidèles chez les gentilshommes et surtout dans le peuple.

Le sentiment national déjà soudait les bonnes volontés.

Sans être mandés, des chevaliers, des hommes d'armes accouraient du fond de leur province et, sans même exiger d'argent, demandaient à servir le roi.

Aux côtés du souverain ils trouvaient le maréchal de Boussac qui se montrait l'un des plus fermes défenseurs de la cause nationale.

 

 

 

CHAPITRE XI

SIEGE D'ORLEANS

Les Anglais tenaient solidement la Loire en aval et en amont, d'Orléans. Au lieu de brusquer l'attaque, le comte de Salisbury perdit du temps à battre le pays au nord de la ville, s'efforçant de disperser toutes les bandes qui guerroyaient encore pour le compte du roi de France.

Le 1er Octobre 1428, les Anglais poussaient une reconnaissance jusqu'à Ingré, au nord-ouest d'Orléans.

La garnison de cette ville, sortant de ses murs, repoussa vigoureusement l'avant-garde ennemie.

En deux détachements, le 7 Octobre, l'armée anglaise franchissait la Loire à Meung et à Jargeau.

Après avoir battu la rive gauche du fleuve, les deux éléments du comte de Salisbury faisaient leur jonction à Olivet et, le 12 Octobre venaient se loger au Portereau Saint-Marceau, devant le débouché du pont d'Orléans sur la rive gauche de la Loire.

Salisbury voulait bloquer la ville en lui interdisant toute communication vers le sud avec les provinces contrôlées par Charles VII.

La situation du capitaine anglais eût été fort aventurée s'il avait dû subir les assauts d'une armée française, mais Charles VII n'avait pas de troupes à engager.

Dès son installation au Portereau, Salisbury poussa ses patrouilles jusqu'à Saint-Privé, en bordure de la Loire, afin de reconnaître l'état et la disposition des défenses d'Orléans.

En forme de rectangle, le long côté joignant le fleuve, la ville s'étendait sur la rive droite de la Loire.

Orléans était entièrement ceinte de fortifications dont les murs, sur les 3/4 de leur parcours, reposaient sur des fondations romaines. Epais de deux, hauts de six à dix mètres, ces murs étaient bordés de fossés larges et profonds.

De nombreuses tours à trois étages dominaient les remparts, faisant le plus souvent saillie de dix mètres en avant des murs, afin de permettre des tirs de flanquement dans les fossés.

Les portes, Bourgogne à l'est, Parisis au nord, Renart à l'ouest, resserrées entre deux tours, étaient en outre défendues à l'extérieur par des « boulevards ».

Les Orléanais appelaient ainsi des ouvrages de fortification, de forme carrée, construits en terre, ceints d'un profond fossé et protégés sur toutes leurs faces par une solide palissade.

La porte Sainte-Catherine, au sud, commandait l'entrée du Pont qui faisait communiquer Orléans avec la rive gauche de la Loire.

Ce pont, long de « cent quatre vingts toises » se composait de dix-neuf arches ; celle du milieu reposait sur l'île des Mottes Saint-Antoine, dite aussi Mottes des Poissonniers.

 Le pont était solidement défendu, du côté de la ville par deux énormes tours enserrant la porte Sainte-Catherine, et vers le milieu par une bastille de, moindre importance élevée sur la pile dont les fondations reposaient dans l'île des Mottes Saint-Antoine.

Enfin à l'autre extrémité du pont, à son aboutissement sur la rive gauche, l'accès se trouvait défendu par un important ouvrage appelé les Tournelles ou les Tourelles.

 Le système de défense comprenait un pavillon construit sur la culée même du pont et flanqué de deux tours (d'où son nom) ; l'ensemble était séparé de la rive par un profond fossé où coulaient les eaux de la Loire.

En avant de ce bastion, vers le sud, les Orléanais avaient établi un ouvrage en terre, analogue à ceux qui défendaient toutes leurs portes et qu'ils nommaient le boulevard des Tourelles.

Bien protégé par son boulevard, le bastion des Tourelles était solidement organisé ; toutefois, séparé de la ville par toute la longueur du pont, l'ouvrage, légèrement « en l'air », était aventuré.

Les murs, les ouvrages autour d'Orléans se trouvaient au début du siège en excellent état.

Aussitôt après la défaite d'Azincourt, les Orléanais avaient entrepris de consolider leurs remparts et consacré les trois-quarts des revenus de la ville à l'organisation de sa défense, remettant les murs en état, construisant les boulevards, remplissant leurs arsenaux.

Avec méthode ils avaient développé et mis au point leur organisation militaire et possédaient au commencement du siège soixante-quinze pièces d'artillerie, Peuplée de 20.000 habitants, Orléans avait été divisée en huit quartiers, commandés chacun par un quartainier, qui avait sous ses ordres dix dizainiers.

C'est en raison de cette organisation bien étudiée que l'ordre ne cessa de régner pendant toute la durée du siège.

Au début de l'année 1428, Charles VII avait nommé Raoul de Gaucourt en qualité de gouverneur d'Orléans.

Depuis plus de quarante ans qu'il portait les armes, Gaucourt avait été de toutes les batailles ; il s'était couvert de gloire à Nicopolis et c'est lui qui avait si vaillamment défendu Harfleur en 1415.

Prisonnier des Anglais à Verneuil, il n'avait été libéré qu'au début de 1428 en payant, grâce à l'aide du roi de France, la moitié de sa rançon ; il avait demandé des délais pour en acquitter l'autre partie, ce que les Anglais lui avaient accordé.

 Suivant les lois de la guerre, un chevalier dont la rançon n'était pas complètement acquittée, ne pouvait « chevaucher », c'est-à-dire se battre en rase campagne, il jouissait cependant de la faculté de combattre à l'intérieur d'une forteresse et c'est pour cette raison que le sire de Gaucourt avait été fait gouverneur d'Orléans.

Plein d'expérience et d'autorité, de Gaucourt, aussitôt qu'il apprît l'avance des Anglais, mit la ville en état de défense.

Toutes les machines de guerre furent sorties des arsenaux et portées aux murailles. Des mantelets fixes ou mobiles, percés de meurtrières surmontèrent les remparts.

Tous les habitants travaillaient avec ardeur ; mais la garnison, avec seulement cinq cents hommes d'armes, restait bien insuffisante pour une ville de l'importance d'Orléans.

Une angoisse profonde pesait sur la France libre dont les habitants mesuraient l'importance de l'enjeu que constituait Orléans ; tous comprenaient que le sort du royaume se trouvait lié à celui de la ville.

Cloîtré par le cynique et insouciant La Trémouille, Charles VII qui n'avait ni trésor, ni armée, ne savait que se lamenter sans même tenter d'agir.

Autour du roi, les capitaines se morfondaient dans l'inaction.

N'y tenant plus, bien que sans troupes, le maréchal de Boussac, le Bâtard d'Orléans.

Jacques de Chabannes et quelques autres officiers, décidèrent de se jeter dans Orléans afin d'aider la ville dans sa résistance.

Ayant pu a grand peine réunir une cinquantaine d'hommes d'armes, ils se mirent en route.

Pendant ce temps, Salisbury poursuivait son action au sud d'Orléans.

Tant à l'ouest qu'au sud de la ville, une population nombreuse habitait en dehors des remparts d'importants faubourgs, « les plus beaux du royaume ».

Voulant éviter que l'ennemi ne pût s'établir dans les faubourgs qui s'élevaient, sur la rive gauche, à proximité des Tourelles, le sire de Gaucourt donna l'ordre de les incendier dès que l'approche de l'ennemi fut signalée.

Et bientôt les flammes crépitèrent sur plus d'une demi-lieue, le long de la Loire, de chaque côté du débouché du pont sur la rive gauche ; toutes les maisons et l'important couvent des Augustins furent détruits par le feu.

En vain les Anglais tentèrent d'éteindre l'incendie, ils n'y parvinrent pas et durent attendre que le feu eût achevé ses ravages.

La destruction toutefois ne fut pas telle que l'ennemi ne pût utiliser les ruines ; il s'empressa de les relever et parvint à établir une bastille sur l'emplacement du couvent détruit.

 Installant leurs batteries derrière le parapet de la Loire, les Anglais commencèrent le bombardement d'Orléans par -dessus le fleuve ; des pièces lançaient des pierres de plus de cent livres qui tombaient sur la ville.

Partant de la Bastille qu'il avait installée dans les ruines du couvent des Augustins, à la mine et au canon, Salisbury commença l'attaque du boulevard des Tourelles, et le 21 Octobre en fit donner l'assaut.

Tout Orléans se précipita pour défendre l'ouvrage attaqué, les femmes elles-mêmes accoururent.

Après quatre heures d'un combat acharné, où les Orléannais perdirent plus de deux cents hommes, les Anglais furent repoussés. Ceux-ci reprirent aussitôt leurs travaux de mines. Ils les poussaient si activement, que, malgré le contre-minage des Orléannais, tout l'ouvrage constituant le boulevard des Tourelles ne reposa bientôt plus que sur des étais, auxquels il suffisait de mettre le feu pour voir crouler l'ensemble.

 Malgré l'usage, cependant répandu, de la poudre, c'est de cette manière que l'on faisait encore jouer la mine.

Devant cette menace le gouverneur d'Orléans décida d'évacuer le boulevard des Tourelles.

Avant de donner l'ordre de repli, de Gaucourt avait soigneusement renforcé la défense du pont.

La bastille Saint-Antoine établie vers le milieu du pont, l'île elle-même, reçurent de l'artillerie et une garnison renforcée.

Depuis plusieurs jours, le gouverneur avait fait entreprendre la construction d'un nouvel ouvrage, sur la onzième arche, à l'endroit du pont où s'élevait une croix.

Ce nouveau boulevard, qui devait servir d'avant-poste, prit le nom de Belle-Croix.

Lorsque les travaux furent achevés, le sire de Gaucourt fit abattre les deux travées de pont au sud du boulevard ainsi établi, les faisant surmonter d'un pont léger en planches afin de maintenir la communication avec l'ouvrage des Tourelles établi sur la culée de la rive gauche.

Aussitôt que la mise en état de défense du pont fut complètement terminée, le gouverneur d'Orléans donna l'ordre aux défenseurs de l'ouvrage miné du boulevard des Tourelles, qui risquait à chaque instant de s'effondrer, d'évacuer leur position, après avoir mis le feu aux palissades.

La garnison du boulevard se replia sur la bastille des Tourelles et releva le pont-levis établi sur le fossé où circulaient les eaux de la Loire.

La défense de cet ouvrage découvert par l'abandon de son boulevard se révéla difficile.

Ebranlée par un bombardement incessant, sans soutien, la bastille des Tourelles risquait de tomber avec toute sa garnison entre les mains des Anglais.

De Gaucourt décida de l'abandonner avant qu'il ne fût trop tard et, le 23 Octobre, après avoir fait occuper solidement la bastille de Saint-Antoine et l'ouvrage avancé de la Belle-Croix, le gouverneur d'Orléans donna l'ordre à la garnison des Tourelles de quitter l'ouvrage bâti sur la culée sud et de se replier sur la ville.

Dès que le repli fut terminé, on détruisit le pont provisoire établi sur les deux travées rompues.

Le 24 Octobre, Salisbury occupe les Tourelles mais ne poursuit par son action.

C'est par le nord, où tout l'arrière-pays se trouve sous sa domination que le capitaine anglais compte mener l'assaut de la ville.

De la rive droite il était facile en effet d'attaquer directement les murailles, tandis que de la rive gauche, toute la largeur de la Loire séparait les assaillants des fortifications.

 Il suffisait aux Anglais, sur cette dernière rive, d'avoir interdit aux Orléanais toute communication vers le sud, d'où pouvaient leur parvenir renforts et ravitaillement.

Pour assurer mieux encore la défense de la bastille qu'il venait d'occuper, Salisbury fit à son tour démolir la première arche du pont au nord des Tourelles.

Ainsi trois travées rompues séparaient maintenant le boulevard avancé des Orléanais, à Belle-Croix, de la bastille des Tourelles occupée par les Anglais.

Au soir de l'occupation de l'ouvrage par ses troupes, le comte de Salisbury monta jusqu'au dernier étage de la tour ouest de la bastille des Tourelles.

Découvrant la ville qui s'étendait en face de lui, sur l'autre rive de la Loire, Salisbury cherchait à élaborer son plan d'attaque en fonction du terrain et des défenses qu'il apercevait dans leur ensemble.

Un des capitaines qui l'accompagnaient, lui dit :

« Milord, regardez ici votre ville, vous la voyez bien à plein ».

A peine le capitaine s'était-il tu, qu'une pierre, lancée par un canon Orléanais, vint frapper l'un des côtés de l'embrasure où se penchait Salisbury, lui emportant l'œil et une partie de la face.

Un autre capitaine, sir Thomas Sargrave, fut tué par le même projectile.

Les Anglais durent transporter à Meung leur chef grièvement blessé.

Les Orléanais qui ignoraient la blessure du commandant de l'armée anglaise se montraient fort impressionnés par la perte des Tourelles et la rupture des communications avec le sud.

Malgré leurs nombreux appels, aucun renfort ne se présentait dans la ville, que Charles VII semblait abandonner.

Soudain le 25 Octobre au matin, une rumeur emplit la cité, répétée joyeusement par tous les habitants :

« Le lundy ensuivant, vingt-cinquième jour d'icelluy moys d'Octobre, arrivèrent dedans Orléans pour la conforter, secourir et ayder, plusieurs nobles seigneurs, chevaliers, capitaines et escuyers fort renommez en guerre, desquelz estoient les principaulx Jehan bastard d'Orléans, le seigneur de Saincte-Severe, maréchal de France le seigneur de Bueil, messire Jacques de Chabannes, etc. ».

La joie des Orléanais redoubla lorsqu'ils apprirent en même temps que la blessure du comte de Salisbury, sa mort survenue trois jours plus tard.

==> 12 octobre 1428, Salisbury met le siège devant Orléans, touché par un boulet de canon, il meurt à Meung-sur-Loire le 3 novembre

On racontait dans la ville que la mort de Salisbury était un châtiment du ciel qu'il avait encouru pour avoir commis tant de cruautés, organisé tant de pillages, profané tant de « sainctes- églises », celle de Cléry en particulier, dont la renommée était grande dans toute la vallée de la Loire.

Pour bien montrer l'action de la Providence, les Orléanais colportaient la façon dont avait été frappé le chef des Anglais :

Le soir tombait, l'attaque s'était interrompue après les rudes combats de la journée et les canonniers des deux partis étaient allés dîner. Un enfant d'Orléans, circulant sur les remparts, aperçut une pièce toute chargée, braquée vers l'ennemi, dont les servants étaient absents. Par jeu, l'enfant alluma la mèche. Le projectile partit. « Et jamais coup tiré n'atteignit mieux son but ».

Privés de leur chef, sans renoncer à l'attaque, les Anglais jugèrent cependant prudent d'attendre de nouveaux renforts pour continuer l'attaque de la ville.

 Le 8 Novembre, laissant la garde des Tourelles à une garnison de 500 hommes, sous le commandement de W. Glasdale, les Anglais se retirèrent dans les villes qu'ils occupaient en amont et en aval d'Orléans.

Le sire de Gaucourt ne se laissa pas tromper par la feinte retraite des Anglais.

Il attendait maintenant leur attaque au nord de la ville et, pour mieux repousser leurs assauts, fit incendier les faubourgs de la rive droite de la Loire comme il l'avait déjà fait sur la rive gauche.

Bientôt, afin de priver l'ennemi de tout abri en avant des fortifications, les maisons, les couvents et même les églises furent la proie des flammes.

Quelques jours plus tard, ravitaillé en artillerie et en munitions, Glasdale reprit le bombardement d'Orléans.

 Avec des pièces de fort calibre, son artillerie lançait des boulets de pierre pesant 164 livres jusqu'au centre de la ville. Bien instruits par les hommes de guerre accourus dans leurs murs, les Orléanais poursuivaient leur préparation au combat. Ils fondirent une bombarde qui lançait des boulets de 120 livres ; construisirent deux canons d'un calibre énorme, dont ils nommaient l'un Montargis, en raison de son origine et l'autre, Rifflard, à cause de ses prouesses. Un coup heureux, tiré par cette dernière pièce, du poste avancé de la Belle-Croix sur les Tourelles, en démolit le toit qui dans sa chute tua six Anglais.

La situation d'Orléans restait précaire, sa garnison insuffisante et les vivres rares.

Le sire de Gaucourt qui était tombé avec son cheval dans la rue de l'Ormerie, devant Saint-Pierre-en-Pont fut relevé si gravement blessé qu'on dut le transporter aux Etuves.

Secondé par le maréchal de Boussac, le bâtard d'Orléans prit le commandement de la ville.

A travers tout le royaume, les Français fidèles gardaient les yeux tournés vers Orléans.

La plupart des « bonnes villes », Bourges, Poitiers, Tours, La Rochelle, entre autres, s'étaient efforcées de contribuer à la défense d'Orléans en lui faisant parvenir des vivres et de l'argent.

Les députés des trois Etats, réunis à Chinon, où le roi s'était rendu pour être plus près du siège, - décidèrent d'accorder à la ville assiégée une aide de 400.000 livres.

Les Etats demandèrent en outre au roi de rappeler pour le servir, les comtes de la Marche, de Clermont, de Foix et d'Armagnac qui s'étaient retirés dans leurs terres.

Le roi, de son côté, afin d'obtenir des renforts écossais convenait par ambassadeurs que le dauphin Louis, dès qu'il aurait atteint l'âge de cinq ans, serait-fiancé à la fille du roi d'Ecosse.

Charles cherchait encore à s'assurer un refuge vers l'Ecosse, l'Aragon, le Milanais où il lui fût possible de se retirer si la ville d'Orléans succombait.

Le connétable de Richemont restait éloigné de la cour ; bien plus, il devait se défendre en Poitou contre les attaques du sire Jean de la Roche, âme damnée de La Trémouille, qui menait contre de Richemont une guerre sans merci à l'heure où la présence du connétable eut été le plus nécessaire à la tête des armées du roi.

Les combats continuaient devant Orléans sans cependant prendre encore beaucoup d'ampleur.

L'ouvrage avancé des Orléanais sur le pont, le boulevard de la Belle-Croix gênait considérablement la garnison anglaise des Tourelles.

Un Lorrain, Jean de Montesclère, célèbre dans Orléans et que tout le monde appelait maître Jean, s'était révélé tireur émérite. Il manœuvrait si bien la couleuvrine, sorte de petit canon léger et long, que nul Anglais ne pouvait paraître aux meurtrières des Tourelles sans être un homme mort. Dès que maître Jean arrivait à Belle-Croix, il s'annonçait aux Anglais par des plaisanteries que ceux-ci, toujours un peu guindés, accueillaient fort mal. Ils auraient payé bien cher pour se débarrasser de maître Jean.

A peine le tireur lorrain s'annonçait-il, qu'une grêle de traits pleuvait sur lui. Parfois maître Jean se laissait tomber subitement comme s'il eût été mortellement atteint ; ses camarades s'empressaient, le relevaient et l'emportaient vers la ville, tout au long du pont, en se lamentant.

Les Anglais, fous de joie, célébraient leur triomphe par des hurlements.

Cette joie ne durait guère, bientôt maître Jean revenait se mettre à l'affût et ses nouveaux coups, toujours aussi parfaitement ajustés, prouvaient aux Anglais que sa mort n'était qu'une illusion.

Dépité de voir tomber ses meilleurs soldats sous les coups de l'ironique tireur, Glasdale résolut de tenter un coup de main sur l'ouvrage avancé de Belle-Croix.

Vers la fin de Novembre, par une nuit sans lune, un détachement anglais, après avoir jeté un pont léger par-dessus les arches détruites, essaya de surprendre le boulevard avancé des Orléanais.

Mais la garnison de la Belle-Croix faisait bonne garde et les assaillants furent repoussés avec de lourdes pertes.

Toutes ces escarmouches n'étaient qu'un prélude aux opérations importantes. Vers la fin de l'année les Anglais se présentèrent en force sur la rive droite de la Loire, à l'ouest de la ville en face de la porte Renart.

 Et le 30 Décembre 1428, « le bastard d'Orléans, le seigneur de Saincte-Severe (maréchal de Boussac), messire Jacques de Chabannes, et plusieurs autres chevaliers, escuyers, alerent au devant (des Anglais) et les recueillirent comme leurs ennemis ».

Suffolk, qui avait remplacé Salisbury à la tête de l'armée anglaise, s'avançait avec trois mille hommes, conduits par les meilleurs capitaines, Talbot, John Pôle, Scales et Lancelot de Lisle.

Un combat furieux s'engagea.

Bien emmenés par le bâtard d'Orléans et le maréchal d'e Boussac, les défenseurs d'Orléans luttèrent farouchement contre l'ennemi, mais à la fin de la journée, pliant sous le nombre, - leur effectif atteignait à peine un millier, — ils furent contraints de se retirer derrière leurs fortifications.

Et les Anglais réussirent à s'installer sur l'emplacement de l'église de Saint-Laurent, en face de la porte Renart, à l'ouest d'Orléans, tout près de la rive droite de la Loire fortifiant solidement les ruines de l'église, les Anglais parvinrent à établir un puissant ouvrage qu'ils nommèrent la bastille Saint-Laurent.

Cette enceinte fortifiée, occupée par une importante garnison, interdisait la route de Blois et barrait l'accès de la ville d'Orléans, par l'ouest, du côté où pouvaient parvenir les renforts, puisque le roi de France et sa cour résidaient à Chinon.

Afin d'établir une liaison entre la nouvelle bastille de Saint-Laurent sur la rive droite de la Loire et les troupes anglaises occupant la rive gauche, Suffolk fit construire un boulevard dans une île, nommée île Charlemagne, au milieu du fleuve, à hauteur de Saint-Laurent.

Dans le même alignement, sur la rive gauche, le capitaine anglais fit élever un autre ouvrage fortifié, appelé boulevard du Champ de Saint-Privé.

Quoique gênés par les sorties fréquentes des assiégés, conduits par le Bâtard et le maréchal, ces travaux avancèrent rapidement.

Le 5 Janvier 1429 le maréchal de Boussac eut la joie de voir arriver dans Orléans un renfort de 200 lances, conduit par son cousin, Louis de Culant, amiral de France.

Dès le lendemain, le Jeudi 6 Janvier, « feste de la Thiphaine (les Rois), saillirent d'Orléans les seigneurs de Saincte-Severe et de Culan, messire Théaulde de Valpargne, et plusieurs autres gens de guerre et citoyens, et feirent une grant escarmouche. ».

Malgré les sorties fréquentes et ardentes des Orléanais, les Anglais poursuivaient méthodiquement l'investissement de la ville.

 Après avoir barré les accès d'Orléans vers l'ouest, sur les deux rives de la Loire, les Anglais prolongèrent leur front d'attaque vers le nord-ouest en élevant le boulevard de la Croix Boissée.

Afin de trouver la main d'oeuvre indispensable à leurs travaux, les capitaines anglais avaient raflé tous les Français qu'ils avaient pu enlever dans un large rayon autour de la ville assiégée. Ces travaux si activement poussés inquiétaient les Orléanais.

Le Bâtard d'Orléans et le maréchal de Boussac décidèrent d'enlever par surprise la bastille anglaise de Saint-Laurent.

Le samedi 15 Janvier « environ huict heures de nuyt, saillirent hors de la cité le bastard d'Orléans, le seigneur de Saincte-Severe, et messire de Chabannes, accompagnez de plusieurs che valiers, escuyers, capitaines et citoyens d'Orléans, et cuydoient charger sur une partie de l'ost de Sainct-Laurens des Orgerilz ; mais les Angloys s'en aperceurent. » et les assaillants durent regagner la ville, sans avoir réussi dans leur entreprise.

Le lendemain les Anglais recevaient un renfort de 1.200 hommes amené par Falstalf. Il permit aux assiégeants de mieux garnir leur ligne d'attaque que le mordant des Orléanais contraignait souvent à se transformer en ligne de défense.

Les escarmouches se poursuivaient sans interruption ; le mardi 25 Janvier, au, cours d'un assaut mené par les assiégés, les Anglais, sortant de leurs ouvrages se portèrent à la contre-attaque et les Orléanais subirent quelques pertes, « en outre y furent prins deux gentilz hommes, l'un nommé le petit Breton, qui estoit au bastard d'Orléans, et l'autre nommé Remonet, estant au màreschal de Saincte-Severe ».

Le lendemain, mercredi 26 Janvier, les Français furent plus heureux et tuèrent de nombreux Anglais, « mais des François n'y mourut qu'ung des archiers du mareschal de Saincte Severe, qui fut tué d'un canon mesme d'Orléans : dont son maistre et les autres seigneurs furent bien marriz ».

Les Anglais ne se contentaient pas de pousser activement leurs travaux d'investissement et de repousser les assauts des Orléanais.

Loin de rester passifs, ils prenaient souvent l'offensive.

Sortant de leur bastille, de Saint-Laurent, le 27 Janvier, ils s'élancèrent à l'assaut de la porte Renart. « Contre lesquelz (assaillants anglais) saillirent ceulx d'Orléans par le boulevard mesmes, et se hasterent tant qu'ilz se mirent en desarroy : pour quoy le mareschal de Saincte-Severe les feit retourner dedans ; et aprez qu'il les eut mis en ordonnance, les feit de rechief saillir et les, conduit tant bien par son sens et prouesse qu'il contraingnit les Angloys de retourner en leur ost et bastille de Sainct-Laurens ».

Par son sang-froid et sa valeur militaire, le maréchal de Boussac avait gagné toute la confiance de la garnison d'Orléans. Son ascendant était fort grand, tant sur les bourgeois que sur les chevaliers. Toujours, il payait de sa personne et pour mieux entraîner ses hommes, combattant au premier rang, donnait l'exemple. Conservant son sang-froid au milieu du péril, le maréchal se montrait un chef complet.

Il se passait rarement une journée sans alerte, soit que les Anglais se portassent à l'assaut, soit que plus fréquemment encore, les assiégés sortissent de leurs murs pour attaquer les basses ennemies.

Au lieu d'employer leur, artillerie à faire des brèches dans les murailles, les Anglais l'utilisaient le plus souvent à lancer des boulets sur les maisons d'Orléans pour lasser les habitants, détruire leur esprit de résistance.

Mais les Orléanais ne se laissaient nullement impressionner et le Journal du Siège, reflet de l'opinion publique, tourne en ridicule les vains efforts de l'ennemi et se plaît à raconter les bizarres effets des Projectiles.

Un boulet tombant sur une table entourée de convives ne brise que le service ; un autre, énorme, crevant le toit, s’écrase au milieu de cent personnes assemblées et ne réussit qu'à arracher la chaussure d'un assistant.

L'action intrépide de la garnison soutenait le moral de la population.

Le maréchal de Boussac était de tous les assauts. « Le dimanche 30 Janvier, le jeudi 3 Février, yssirent d'Orléans le mareschal de Saincte-Severe, messire Jacques de Chabannes etc. ».

 « Le dimanche 6 Février, environ vespres, saillirent d'Orléans le mareschal de Saincte-Severe, Chabannes, la Hire, etc. »

Parfois les engagements s'interrompaient afin de faire place à des combats singuliers : « un jour ce sont deux Gascons qui battent deux Anglais » ; un autre jour, six Français défient six Anglais ; les pages des deux partis se battent coups de pierre et il advint que les jeunes Anglais perdirent, au cours d'un engagement farouche, et leur chef et leur bannière.

La jeunesse des pages, loin d'atténuer la brutalité de la lutte, la rendait plus farouche encore.

Des trêves; parfois, venaient interrompre les hostilités.

Elles étaient le plus souvent fort brèves ; le bâtard aussi bien que le maréchal de Boussac refusaient de laisser s'amollir dans l'inaction l'esprit de résistance des Orléanais

A l'occasion des conférences relatives à ces trêves, il arrivait aux chefs des deux partis de se rencontrer. Revenant de l'une de ces entrevues alors que la trêve était achevée, l'un des capitaines anglais, Lancelot de Lisle, eut la tête emportée par un boulet.

Bloquée au sud, à l'ouest et au nord-ouest, la ville d'Orléans pouvait encore, mais non sans de gros risques; recevoir des renforts et des vivres par le nord-est et l'est.

Les Anglais épiaient les convois qui tentaient de s'introduire dans la ville.

De leur côté les Orléanais guettaient les détachements qui venaient ravitailler les assiégeants.

Par d'audacieuses sorties, la garnison assiégée parvenait souvent à détourner les convois destinés aux Anglais, d'autres fois ces derniers connaissaient l'heureuse fortune de saisir les vivres envoyés aux Orléanais.

Si grandes, si sévères que fussent les précautions prises par l'un et l'autre parti afin de tenir secrets la préparation et le départ des convois de ravitaillement, l'adversaire, grâce aux espions qui pullulaient, se trouvait le plus souvent renseigné longtemps à l'avance sur l'organisation des détachements.

C'est ainsi que les Orléanais, dès le début de Février, furent avisés que le duc de Bedford préparait à Paris un important convoi destiné à ravitailler et à renforcer la garnison anglaise assiégeant Orléans.

Le bâtard et le maréchal de Boussac en avisèrent aussitôt le roi à Chinon.

 Des troupes amenées d'Auvergne et du Bourbonnais par le comte de Clermont venaient d'arriver à Blois, où se trouvait également Jean Stuart avec ses Ecossais. La Trémouille, poussé par l'entourage du roi, consentit à autoriser un effort.

Une opération fut montée. (journée des Harengs)

==> 12 février 1429, la bataille des Harengs

Tandis qu'un détachement de la garnison d'Orléans, quittant la ville, se porterait au -devant du convoi anglais, afin de lui barrer la route, partant de Blois avec 3.000 hommes, le comte de Clermont surviendrait à l'improviste afin d'écraser les Anglais.

L'ambition du comte de Clermont ne s'arrêtait pas à cette opération ; après avoir culbuté la colonne de ravitaillement ennemie, il se rabattrait avec toutes ses forces sur Orléans et viendrait attaquer les Anglais dans les bastilles qu'ils avaient élevées devant la ville.

Assaillies à la fois par les troupes du comte de Clermont et par les Orléanais sortis de leurs remparts, pris entre deux feux, les soldats de Suffolk seraient incapables de résister. La victoire française semblait assurée au comte de Clermont.

Dès les premiers jours de Février, les renforts affluent dans Orléans.

Le 8 arrive William Stuart avec des Ecossais ; la nuit suivante surviennent 300 hommes d'armes au sire d'Albret et, le 9, 200 combattants conduits par le maréchal de La Fayette.

Tous accourent pour participer à l'opération prévue.

Afin d'établir la liaison avec le comte de Clermont, le bâtard d'Orléans, avec 200 hommes, quitte la ville le 10, traverse les lignes anglaises et se rend à Blois.

Le lendemain le détachement d'Orléans se met en route.

Le vendredi 11 Février « se partirent aussi d'Orléans messire Guillaume d'Albret, messire Guillaume Estuart, frère du connestable d Ecosse, le mareschal de Saincte-Severe, le sire de Graville, etc,.. ».

Le détachement comprend près de 1.000 hommes commandés par le maréchal de Boussac, Guillaume d'Albret, Xaintrailles, La Hire, et l'Ecossais W. Stuart.

Après avoir traversé les lignes anglaises sans être accroché, le détachement du maréchal de Boussac s'avance vers le nord.

Il vient de traverser Rouvray-Saint-Denis. Des éclaireurs accourent, Ils ont découvert la colonne anglaise débouchant d'Angerville, le convoi ennemi, qui comprend plus de 300 véhicules, s'allonge en une longue file, sur la route. 1.500 hommes l'escortent.

Sans attendre l'arrivée du comte de Clermont, le maréchal de Boussac, Xaintrailles, La Hire décident d'attaquer immédiatement.

Il importe de tomber par surprise sur le convoi, tandis qu'il s'étire en une file étroite et vulnérable. Les dispositions sont prises. Survient un chevalier de la suite du comte de Clermont. Le comte ordonne de l'attendre avant d'attaquer. Il faut, dit le chevalier, n'attaquer qu'à coup sûr ; avec les 3.000 hommes du comte de Clermont la victoire est assurée, sans eux elle reste précaire.

Le maréchal de Boussac, La Hire, Xaintrailles hésitent.

La surprise, mieux encore que l'importance des effectifs peut donner le succès.

Finalement, à grand regret, ils décident d'obéir. Jamais la discipline ne leur a paru si difficile à observer. Ils attendront, pour attaquer, l'arrivée du comte de Clermont.

Falstalf, le capitaine qui commande le convoi anglais, est prévenu de l'approche des Français.

 Il profite du répit inattendu que lui laissent ces derniers pour s'organiser défensivement. Les chariots sont disposés bout à bout, en carré, liés solidement entre eux, établissant ainsi un puissant rempart.

Derrière les véhicules, Falstalf organise une deuxième ligne de défense en faisant ficher en terre les pieux aiguisés des deux bouts, dont les soldats anglais sont toujours porteurs.

A l'intérieur du quadrilatère, aussi solide qu'une bastille, Falstalf dispose judicieusement ses troupes sur tout le front et garde à sa disposition une importante réserve pour les contre-attaques.

Puisque toute retraite est impossible, il faut, lutter désespérément, vaincre ou périr.

« Le retard avait tout compromis, la précipitation fit tout perdre ».

Le comte de Clermont approche. Avec une prudente méthode, le maréchal de Boussac et les capitaines venus d'Orléans, engagent l'action.

D'éployant les arbalétriers, mettant en batterie toutes les couleuvrines amenées d'Orléans, ils font pleuvoir sur le carré anglais une grêle de coups.

 Les projectiles mettent en pièces les chariots et déjà la panique gagne les marchands qui accompagnent les troupes de Falstalf.

Soudain, devançant le comte de Clermont, marchant au canon, le bâtard d'Orléans et le connétable d'Ecosse accourent à la tête de 300 combattants.

Ordre a été donné de rester à cheval et de laisser les gens de trait, ainsi que l'artillerie attaquer les retranchements. Sans tenir aucun compte des ordres, les Ecossais, bientôt imités par de nombreux chevaliers français, mettent pied à .terre et se précipitent impatients, en grande confusion, à l'assaut du carré anglais.

Leur action inopportune contraint l'artillerie et les arbalétriers français de suspendre leur tir pour ne pas risquer de frapper leurs compatriotes qui se ruent étourdiment à l'assaut, masquant tout leur champ de tir.

Les assaillants arrivent au contact.

Les troupes du comte de Clermont s'avancent sur le, champ de bataille ; leur chef soudain les arrêté.

N'étant plus, accablés sous les projectiles du détachement d'Orléans, les Anglais se ressaisissent. Falstalf voit que le gros de l'armée, française n'avance pas.

Hardiment, à la tête de ses troupes de réserve, sortant de ses retranchements, il s'élance a la contre-attaque.

 Les Français qui sont peu nombreux et désunis, surpris, plient et bientôt refluent en désordre.

Le maréchal de Boussac, La Hire, Xaintrailles se précipitent, rassemblent autour d'eux une centaine de combattants et s'élancent sur les Anglais.

Guillaume d'Albret ne s'est pas replié. Avec une énergie farouche, secondé par deux ou trois chevaliers il tente d'ouvrir une brèche dans la ligne soudée des chariots. Il va y parvenir; s'engageant sous un véhicule il le soulève de ses reins : un trait ennemi le frappe, il s'affaisse et le lourd chariot l'écrase.

Le bâtard, le maréchal, la Hire, Xaintrailles combattent toujours.

Nul ne les soutient. Le comte de Clermont ne bouge toujours pas. Ils doivent se replier hâtivement pour n'être pas faits prisonniers.

Blessé à la jambe, le bâtard tombe sans pouvoir se relever. A grand peine, ses écuyers parviennent à l'arracher aux mains des Anglais.

Impassible, devant le gros de l'armée qu'il n'a pas engagé, le comte de Clermont assiste à la déroute des chevaliers écossais et français. Il n'est qu'un spectateur. Bien qu'il se soit fait armer chevalier le matin même, il ne combat pas. Bien plus, il paraît approuver les Anglais.

Ceux-ci, comme s'ils exécutaient ses ordres, punissent, châtient justement, pense.-t-il, les chevaliers français qui se sont permis d'engager le combat sans son autorisation, à lui, comte de Clermont. L'orgueil d'un prince avait fait perdre une bataille dont pouvait dépendre avec le sort d'Orléans, celui du royaume de France.

A travers les lignes anglaises, l'armée du comte de Clermont, avec, ce qui reste du détachement d'Orléans, regagne la ville.

1.500 Anglais ont défait plus de 4.000 Français.

Ces derniers laissent à l'ennemi le champ de bataille et, dans cette plaine de Rouvray-Saint-Denis, abandonnent les cadavres de plus de trois cents chevaliers renommés entre tous par leur bravoure.

Et parmi eux : Guillaume d'Albret, Louis de Rochechouart, les sires de Chabot, de Belleville, de Verduzan, de nombreux autres et encore Jean de Naillac, beau-frère du maréchal de Boussac.

Au soir même de la bataille de Rouvray, le 16 Février 1429, une jeune fille, quittant les marches de l'est, se dirigeait vers la France.

Accablés par la nouvelle du désastre de Rouvray, les habitants de la ville assiégée se laissaient gagner par le désespoir.

Profitant du désarroi des défenseurs d'Orléans, les Anglais se portèrent à l'assaut des remparts de la ville entre la porte Renaît et la porte Parisis.

Après de rudes combats l'ennemi parvint à prendre pied sur les fortifications à proximité de la porte Bermer où il avait mis en action une nombreuse artillerie.

Dans la soirée, après deux tentatives infructueuses, le bâtard d'Orléans et le maréchal de Boussac réussirent à déloger l'ennemi des différents postes qu'il avait occupés sur les remparts et à rétablir la situation.

Par moquerie, les Anglais ne cessaient de répéter aux défenseurs d'Orléans :

« Ah ! mes beaux harengs ! ».

 Le convoi amené par Falstalf comprenait en effet un très grand nombre de tonneaux de harengs, destinés à la nourriture des assiégeants pendant le carême.

De nombreux récipients avaient été démolis au cours des combats et les harengs jonchaient la terre.

C'est pour cette raison que les Anglais, par dérision, ont appelée « journée des harengs » la bataille de Rouvray-Saint-Denis.

 

Le comte de Clermont qui se sentait mal à l'aise dans Orléans, où son attitude à Rouvray était sévèrement jugée, décida de quitter la ville.

Et, le lendemain même de son arrivée, il repartit en compagnie de Régnault de Chartres, chancelier de France, avec toute son armée et la plupart des capitaines.

« 18 février : se partit d'Orléans le comte de Clermont, disant qu'il vouloit aller à Chinon devers le roy, qui lors y estoit ; et emmena avec luy le seigneur de la Tour, messire Loys de Culan, admiral, messire Regnault de Chartres, archevêque de Rains et chancelier de France. Aprez lequel département ne demoura dedans Orléans sinon le bastard d'Orléans, le mareschal de Saincte-Severe et leurs gens ».

Demeurés seuls pour assurer la défense de la ville, le bâtard et le maréchal connurent de grandes difficultés, tant était grand le désespoir des Orléanais qui se voyaient abandonnés du roi de France.

Dans la ville, les partisans de la paix relevaient la tête.

Des bruits circulaient qui semaient la panique. On assurait que le duc de Bedford venait de faire alliance avec le duc de Bretagne, que tous les princes français abandonnaient la cause de Charles VII et que les Anglais se montraient résolus à brûler entièrement Orléans, à saccager la ville de fond en comble, si la résistance se prolongeait.

Déjà certains habitants parlaient de capituler.

Malgré leur énergie, leur courage, leur autorité, le bâtard d'Orléans et le maréchal de Boussac avaient le plus grand mal à maintenir la discipline et l'esprit de résistance. Grâce à leur vigilance cependant, les complots, tramés par les partisans de la paix à tout prix, furent annihilés.

C'est ainsi que fut découvert, près de la porte Parisis, dans le mur extérieur de l'Aumône d'Orléans, un trou assez large pour permettre le passage d'un homme. Le directeur de la maison fut arrêté et une garde sûre placée dans l'Aumône.

Malgré toute leur énergie, les deux capitaines d'Orléans ne parvenaient cependant pas à redonner confiance à la population.

A chaque instant une trahison risquait de livrer la ville à l'ennemi. Déjà une majorité se dessinait en faveur d'une reddition immédiate.

Afin de gagner du temps et de calmer par un dérivatif le découragement qui accablait les Orléanais, le bâtard d'Orléans et le maréchal de Boussac, décidèrent, d'accord avec les représentants de la ville, d'envoyer une ambassade auprès du duc de Bourgogne.

 La Hire, qui bien que du parti de Charles VII avait récemment combattu en Flandres, contre les Anglais, parmi les troupes de Philippe le Bon, fut chargé de se rendre près de ce dernier. « Sa commission étoit d'offrir au prince sorti du sang de France, de garder la ville (Orléans), entre ses mains, en dépôt, tant que durerait la prison de son seigneur, le duc Charles d'Orléans ».

Les Anglais pendant ce temps poursuivaient toujours méthodiquement l'investissement de la ville, qui était entièrement terminé au sud, à l'ouest et au nord-ouest. Suffolk entreprit de le compléter vers l'est.

Ayant appelé en renfort une partie de la garnison de Jargeau et prélevé des troupes dans les villes de Beauce, le capitaine anglais vint s'établir en force, en face de la porte de Bourgogne.

Sur les bords même de la Loire, à l'emplacement de l'église détruite de Saint-Loup, dont il utilisa les ruines, Suffolk fit établir une importante bastille, chargée de barrer la Loire vers l'amont, ainsi que la route conduisant à Gien, Pithiviers et Fontainebleau.

Malgré l'opposition farouche des Orléanais, les Anglais parvinrent à s'installer solidement dans leur nouvelle bastille de Saint-Loup, dès le 10 Mars.

 Poursuivant inlassablement leurs efforts, les Anglais entreprirent encore l'établissement d'une nouvelle bastille vers Saint-Pouair, au nord d'Orléans.

 

Des bruits encore vagues commençaient à circuler dans la ville assiégée.

 Il était question d'une pucelle qui accourait vers le roi, de France. On rappelait à son sujet les prédictions de Merlin qui avait écrit « Une femme perdra le royaume, une jeune fille le sauvera ».

La situation dans Orléans devenait chaque jour plus difficile.

Les renforts ne pouvaient plus pénétrer dans la ville et les vivres commençaient à manquer.

 D'un commun accord, le Bâtard et le maréchal décidèrent d'en informer le roi. Afin de donner plus d'importance à l'ambassade, il fut décidé que le maréchal de Boussac irait, en personne, exposer à Charles VII la situation désespérée d'Orléans et réclamerait d'importants renforts en vivres et en hommes.

En raison de la mort à Rouvray de Jean de Naillac, frère de sa femme, le maréchal de Boussac devait en outre régler d'urgence d'importantes questions de succession.

Pour ces deux raisons, il quitta Orléans le 16 mars 1429.

« Le lendemain, qui fut mercredy, se partit d'Orléans le mareschal de Saincte-Severe, tant pour aler devers le roy, comme pour aler prendre la possession de plusieurs terres qui luy estoient eschues par la mort du seigneur de Chasteaubrun frère de sa femme ; mais il promist à ceulx de la ville qu'il retourneroit en brief, et ilz furent très contents car ilz l'aymoient et prisoient, parce qu'il leur avoît faict plusieurs biens, et aussy pour les grans faicts d'armes que luy et ses gens a voient faitz pour leur deffence ».

Les assiégés témoignaient une telle confiance au maréchal de Boussac, que son départ provoqua à travers toute la ville une profonde tristesse.

Il parvint cependant à réconforter les défenseurs d'Orléans, en leur donnant l'assurance formelle, que le plus tôt qu'il le pourrait, il reviendrait dans leurs murs, afin de continuer avec eux, la lutte contre les Anglais.

 

 

CHAPITRE XII

JEANNE D'ARC ET LE MARECHAL DE BOUSSAC

Le maréchal, qui avait quitté son château de Boussac depuis plus de six mois, avait grande hâte de revoir sa famille.

Son fils, Jean, avait déjà atteint l'âge de cinq ans, et sa tête bourdonnait des exploits de son père ; une fille, Marguerite, était née dans le courant de l'hiver 1428 ; le maréchal ne la connais sait pas encore.

Mais Jean de Brosse devait se raidir contre la douceur des joies familiales, qu'il prisait d'autant plus que sa carrière aventureuse lui avait moins permis de les connaître.

Sa mission l'obsédait ; il ne pouvait détacher sa pensée du sort d'Orléans.

Des démarches auprès des prêteurs, des usuriers occupaient presque entièrement ses journées ; il devait encore, d'accord avec sa femme, régler la succession de son beau-frère, Jean de Naillac.

Le père de ce dernier, Guillaume, seigneur de Naillac, du Blanc en Berry, de Châteaudun, vicomte de Bridiers, avait épousé en premières noces Agnès de Saint-Vérin ; à la mort de cette dernière, il s'était uni, par contrat du 22 Avril 1385, à Jeanne Turpin, dame de Mondon, de Vaux, de Montipouret et d'Ardentes.

Des six enfants que Guillaume avait eus de ses deux mariages, seule restait vivante, Jeanne de Naillac, épouse du maréchal de Boussac, qui héritait de tous les biens de son frère Jean, tué à la bataille de Rouvray, chevalier, seigneur de Chateaubrun, du Blanc, de Montipouret, de Mondon, vicomte de Bridiers, grand pannetier de France, charge dont il avait été pourvu à la mort du seigneur de Prie, tué dans la Grosse Tour à Bourges, en 1428.

« Jean de Naillac avait épousé Isabelle de Gaucourt, fille de Raoul de Gaucourt (le gouverneur d'Orléans), de laquelle il ne laissa aucuns enfants ».

Elle était d'ailleurs morte avant lui. « En faveur de son mariage, le roy lui avoit donné office de Sénéchal de Limosin ».

« Après son decez (celui de Jean de Naillac), la vicomté de Bridiers passa en la possession de Jean de Brosse ».

Mais depuis 1406, une grave contestation avait opposé et opposait encore Guillaume d'Argenton aux seigneurs de Naillac.

Le seigneur d'Argenton qui avait épousé une demoiselle de Naillac, fille d'Helion, frère de Guillaume et chambellan du roi, revendiquait pour sa femme la moitié de la terre du Blanc et de Châteaubrun.

==> Histoire des premiers seigneurs d'Argenton - Château jusqu'en 1473 - château de Sanzay

N'ayant ni le temps, ni les moyens de régler ces questions de succession, après avoir délégué ses pouvoirs à ses écuyers, Jean de Brosse partit rejoindre le roi, afin de lui exposer la grande misère de la ville d'Orléans.

Il le trouva à Poitiers où Charles VII était arrivé depuis le 11 mars 1429 afin de soumettre Jeanne d'Arc à une commission de clercs, chargés de l'examiner, de l'interroger et de vérifier si sa conduite n'était pas contraire à la foi.

C'est donc à Poitiers que le maréchal de Boussac rencontra celle dont il devait être le plus fidèle compagnon.

Il n'était bruit dans la ville que des qualités de la Pucelle, de sa modestie, de sa douceur et surtout de sa grande piété. Jeanne était logée chez l'épouse du conseiller Jean Rabateau, renommée pour son honorabilité.

Tout au long du jour, des femmes, des hommes venaient visiter la Pucelle.

La plupart accouraient vers la jeune fille avec beaucoup de scepticisme, aggravé souvent d'hostilité.

Les Français ne passaient pas, déjà en ce temps-là, pour facilement crédules, ce sont des chroniqueurs allemands qui l'ont noté et cependant tous ceux qui avaient visité Jeanne sortaient de l'entretien entièrement transformés : au doute succédait l'enthousiasme et il était d'autant plus vif que la résistance avait été plus forte.

 Surpris d'abord, les sceptiques étaient gagnés insensiblement par l'émotion et tous revenaient « émerveillés, remplis d'admiration, quelques- uns émus jusqu'aux larmes ».

« Grande et moult belle », « bien compassée de membres et forte », cependant « de remarquable élégance », brune, le teint halé, telle apparut Jeanne aux yeux étonnés du maréchal de Boussac.

Portant les cheveux « coupés courts et en sébile », ainsi que tous les jeunes gens de son temps, elle était vêtue du costume militaire, gippon, longues chausses fixées au justaucorps par des aiguillettes, tunique descendant jusqu'aux genoux et houseaux avec éperons.

Ses traits réguliers, empreints de douceur, sa voix menue, que l'aspect viril, donné à Jeanne par l'habit militaire, rendait par contraste plus féminine encore, son allure modeste et recueillie, séduisaient dès le premier abord.

On ne trouvait en elle que « bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplesse ».

Jeanne restait telle qu'elle était dans son village natal, « moult simple et peu parlant », accueillant avec une grande bonté les hommes et les femmes, de toutes conditions, qui la venaient visiter.

Elle parlait à tous « si doucement et si gracieusement », rapportent les chroniqueurs, qu'elle en faisait pleurer beaucoup.

Le maréchal, lui aussi, malgré la vie de dangers qu'il avait connue, dut être ému jusqu'aux larmes.

Le rire et les pleurs étaient à cette époque la manifestation naturelle des émotions ; aucune pudeur ne poussait, comme de nos jours, les Français à celer les marques extérieures de leur sensibilité.

Jean de Brosse devait être d'autant plus sensible au charme de Jeanne d'Arc qu'il était prévenu en sa faveur.

Gérard Machet, évêque de Castres, aumonier de Charles VII était lié d'amitié avec le maréchal de Boussac ; or, le premier à la cour du roi, le saint homme qu'était Gérard Machet, s'était déclaré en faveur de Jeanne.

Conquis, dès la première entrevue, par le charme rayonnant de douceur et de piété qui émanait de la jeune fille, il avait déclaré : « qu'elle étoit bien l'envoyée, dont les prophètes annonçaient la venue, ainsi qu'il l'avoit lu dans les livres ».

Aussi l'intérêt que portait son ami, l'évêque de Castres, la Pucelle, dut rendre plus vif encore l'élan de sympathie qui, dès le premier abord, avait emporté le maréchal de Boussac vers Jeanne d'Arc.

Gérard Machet conta sans doute à son ami Jean de Brosse l'arrivée de Jeanne à Chinon, son premier entretien avec le roi:

« Gentil daulphin, j'ay nom Jehanne Pucelle,.et vous mande le roy des Cieux, par moi, que vous serez sacré et couronné dans la ville de Reims » ;

 il mit aussi le maréchal au courant de la réponse apportée par Jeanne à une question que le roi n'avait jamais exprimée, mais qu'il se posait souvent à lui-même au cours de ses oraisons, question relative à la légitimité de sa naissance, dont l'inconduite de sa mère, Isabeau, le faisait douter.

 Et Jeanne avait affirmé, répondant aux pensées secrètes du roi :

« Je vous dis, de la part de Messire, que vous êtes vray héritier de France et fils de roy ».

Mais si Jeanne avait facilement gagné à sa cause le confesseur du roi et tout le peuple qui l'approchait, elle avait aussi rencontré de grandes résistances à la cour, surtout auprès du chancelier, l'archevêque de Reims.

 Le conseil décida de soumettre la jeune fille à des interrogatoires, à des examens : elle dut même subir une véritable inspection physique.

Il s’agissait d'établir, premièrement, si elle était vraiment femme (ou homme comme aurait pu le laisser supposer son costume militaire), deuxièmement si, étant femme, elle était encore vierge.

La belle-mère du roi, Yolande d'Aragon, présidait le jury, assistée de la dame de Gaucourt, épouse du gouverneur d'Orléans et de la très jeune femme de l'un des ministres de Charles VII, Jeanne de Mortemer. .

A l'issue de l'examen, le jury fit un rapport certifiant que Jeanne était femme et pucelle.

A la suite de cette constatation et des résultats favorables obtenus au cours des premiers interrogatoires, Charles VII avait décidé de conduire Jeanne à Poitiers devant les théologiens, chargés de l'examiner.

Le maréchal de Boussac a sans doute pu assister à ces interrogatoires grâce à son ami, Gérard Machet, qui était membre de la commission.

La chronique cependant ne le rapporte pas.

Il est à remarquer que ni l'original, ni une seule copie du registre spécial contenant le procès-verbal de l'examen de Jeanne par les théologiens de Poitiers, n'a jamais été retrouvé.

 Ce document que Jeanne devait invoquer si souvent au cours de son interrogatoire dans la prison de Rouen, aurait, disent certains auteurs, été détruit, du vivant même de Jeanne, par malveillance.

On connaît cependant quelques réparties pleines de finesse que la naïve jeune fille fit aux questions, cependant fort subtiles des savants et érudits théologiens.

A Guillaume Aymen, lui disant :

« que si le plaisir de Dieu est que les Anglais laissent le royaume de France, il ne faut point de gens d'armes, car le seul plaisir de Dieu peut les déconfire et faire aller en leur pays ».

Jeanne répondit :

« En nom de Dieu les gens d'armes batailleront et Dieu donnera la victoire ».

Alors, le frère Séguin, « un bien aigre homme » du pays limousin, demanda à Jeanne quelle langue parlaient ses voix. « Meilleure que la vôtre », répliqua la Pucelle.

Fort dépité, le moine limousin, qui s'exprimait avec un accent rocailleux, reprit : Croyez-vous en Dieu ? « Mieux que vous », tomba la réponse.

 Eh bien ! reprit Séguin, Dieu défend de vous croire sans un signe qui porte à le faire. « Menez-moi à Orléans et je vous montrerai les signes pour quoi je suis envoyée ».

Ces ripostes vives et chargées de bon sens et d'ironie étaient colportées à travers la ville et accentuaient encore la popularité de Jeanne.

 Il convient de remarquer que c'est au frère Séguin lui-même, que nous devons de connaître les réponses de la Pucelle. « Si aigre homme » qu'il fût, le moine limousin a cependant eu l'honnêteté intellectuelle de rapporter fidèlement, si cruellement que dût en souffrir son amour propre, les réponses que fit Jeanne d'Arc à ses questions.

Enfin les docteurs de Poitiers, après avoir loué le roi de s'être montré circonspect, décidèrent de conclure en faveur de Jeanne et déclarèrent qu'il fallait la conduire à Orléans, puisque c'était dans cette ville qu'elle prétendait montrer les signes prouvant sa mission.

Et le roi « agréant définitivement Jeanne, lui assigna un état et un commandement ».

A plusieurs reprises le maréchal de Boussac avait vu le roi pour lui exposer le danger qui menaçait Orléans.

Enfin le conseil décida d'envoyer rapidement des renforts ainsi que des vivres et des munitions dans la ville assiégée.

Quittant Poitiers le 24 mars 1429, en compagnie de Jeanne d'Arc, Charles VII gagna Chinon par Chatellerault.

Ainsi que l'avait fait remarquer le maréchal de Boussac au conseil du, roi, il ne fallait pas perdre de temps si l'on voulait empêcher Orléans de tomber aux mains des Anglais.

Poursuivant, avec une ardeur inlassable leurs travaux d'investissement, ceux-ci étaient parvenus à ceinturer presque complètement la ville d'Orléans de bastilles et de boulevards.

Au sud, sur la rive gauche de la Loire, les Anglais tenaient deux puissantes bastilles, celles des Augustins et des Tourelles, flanquées à l'ouest du boulevard de Champ Saint-Privé et à l'est de celui, un peu moins puissant, nommé Saint-Jean-le-Blanc.

Sur la rive droite, les Anglais occupaient à l'ouest de la ville, la bastille de Saint-Laurent, en face de la porte Renart et au nord, celle de Saint-Pouair, appelée aussi Paris, qu'ils venaient d'achever le 15 Avril.

Entre ces deux importants ouvrages, se dressaient, reliés entre eux par de profonds fossés le boulevard des Douze Pierres, dit aussi du Colombier ou Londres, le boulevard de la Croix-Boissée, ci celui du Pressoir Ars, terminé le 9 Avril.

 A l'est devant la porte de Bourgogne s'élevait la bastille de Saint-Loup.

Entre cette dernière et la bastille de Saint-Pouair un vaste espace de près d'une demi-lieue restait sans ouvrages de défense.

 Vraisemblablement, les Anglais n'avaient encore eu ni le temps, ni les moyens, d'élever des ouvrages dans cette zone ; ils avaient porté tout leur effort dans le secteur à l'ouest et au nord-ouest de la ville, négligeant celui de l'est, bien qu'il se trouvât en face des débouchés de la forêt d'Orléans.

Dans cette direction se trouvaient en effet, les états de leur fidèle allié, le duc de Bourgogne, ce qui devait rassurer les Anglais.

Les Français de leur côté, se préoccupaient du ravitaillement d'Orléans.

La reine de Sicile, « qui était l'âme du parti national », avait été chargée de réunir à Blois, tous les renforts destinés à secourir Orléans.

 Le duc d'Alençon, le gentil duc, comme l'appelait Jeanne, gendre du duc Charles d'Orléans, secondait Yolande d'Aragon dans ses efforts.

Les préparatifs de l'expédition durèrent plus d'un mois.

Il fallait d'abord trouver de l'argent et la reine de Sicile dut s'endetter, vendre sa vaisselle d'or, afin de réunir les sommes énormes exigées pour le ravitaillement d'Orléans.

Charles VII, lui-même, que la venue de Jeanne d'Arc semblait avoir sorti de son engourdissement, parvint à trouver des fonds importants qu'il fit verser entre les mains de sa belle-mère.

Pendant ce temps, la Pucelle s'équipait et se préparait, dans la prière, à remplir sa mission.

De leur côté, les chefs de guerre, le maréchal de Boussac en tête, s'efforçaient de rassembler les hommes d'armes, mandant, au nom du roi, les chevaliers à travers toutes les provinces fidèles à la cause de Charles VII.

Le 17 Avril, revenant de son ambassade auprès du duc de Bourgogne, La Hire rentrait dans Orléans.

 Philippe le Bon avait accueilli favorablement la demande des Orléanais ; dès le 4 avril il s'était rendu à Paris, afin de plaider lui-même, auprès du duc de Bedford, la cause des habitants d'Orléans.

Sa demande fut mal accueillie.

« Nous ne sommes pas ici, disait Raoul le Sage, un conseiller anglais, pour mâcher les morceaux au duc de Bourgogne afin qu'il les avale ». « Oui, ajouta Bedfort, nous aurons Orléans à notre volonté, et nous ferons payer de ce que nous a coûté ce siège ; j'aurais trop de regret d'avoir battu les buissons pour qu'un autre prît les oiseaux ».

Se croyant déjà les maîtres de la France, pensant ne plus avoir à ménager le duc de Bourgogne, leur allié, les Anglais devenaient arrogants.

Blessé dans son orgueil, Philippe le Bon, fort ulcéré, quitta aussitôt Paris.

Par l'intermédiaire de son héraut ducal qui accompagna La Hire dans son voyage de retour vers Orléans, Philippe le Bon donna l'ordre aux Bourguignons qui combattaient dans les rangs anglais, devant Orléans, de quitter le siège immédiatement.

Et les Orléanais se consolèrent aisément de l'échec subi par leur ambassadeur, en constatant le départ des 1.500 Bourguignons, tout heureux de quitter le siège et de ne plus combattre leurs compatriotes.

D'ailleurs il n'était plus question parmi les Orléanais que de la venue prochaine de Jeanne dans la ville où elle donnerait la preuve de la mission que le ciel lui avait confiée.

Toute la population d'Orléans, gagnée par la légende qui déjà auréolait la Pucelle, l'attendait comme l'envoyée de Dieu.

Jeanne se rendit à Blois, en compagnie de Regnault de Chartres, chancelier de France et y parvint le 25 avril.

Elle y fut rejointe, le lendemain, 26, par « le maréchal de Boussac et le seigneur de Rais, investis du commandement, qu'accompagnaient tous ceux qui devaient escorter le convoi ».

« Auquel lieu (Blois) vindrent tantost après, le mareschal de Boussac, les sires de Rays et de Gaucourt, à grand compagnée de nobles et de communs, qui chargèrent une partie des vivres pour les mener à Orléans. La Pucelle se mit en leur compaignée ».

Le 27 avril tout était prêt et le départ fut décidé pour le lendemain.

 Mais avant de partir, avant d'engager le combat, Jeanne d'Arc, qui voulait marquer que sa mission ne consistait pas seulement à chasser les Anglais du royaume de France, mais était aussi d'apporter la paix aux hommes de bonne volonté, adressa un message au duc de Bedford.

Cette lettre qu'elle avait dû dicter, car elle ne « savait ne A, ne B », nous a été conservée intégralement.

Les Anglais accueillirent par des sarcasmes et de grossières injures la lettre de la Pucelle et les propositions de paix qu'elle contenait.

Bien plus, contrairement à toutes les lois de la guerre et de la chevalerie, ils retinrent prisonnier le messager de Jeanne, se proposant de le faire brûler avec l'accord de l'université de Paris.

Le jeudi 28 avril 1429, le convoi sortit de Blois pour gagner Orléans.

 Derrière sa bannière, Jeanne marchait à l'avant-garde, entourée de nombreux prêtres et aumoniers qui chantaient des hymnes religieux.

Déjà la Pucelle avait obtenu par sa piété, par son exemple, que les gens de guerre si corrompus, consentissent à modifier leur genre die vie, et avait fait décider que fussent chassées les « fillettes » ou filles publiques que les soldats traînaient dans leurs bagages.

Les capitaines ne devaient pas manquer d'être surpris, étonnés même, par ces nouvelles mœurs militaires ; ils devaient croire qu'ils suivaient une procession au lieu d'accompagner un détachement marchant à l'ennemi.

Plus simples, plus spontanés, les hommes d'armes, qui déjà avaient été conquis par la Pucelle, la suivaient avec allégresse.

Jeanne avait demandé que l'armée marchât droit sur Orléans afin d'aborder directement la ville, en passant à travers les plus fortes bastilles des Anglais ; ces derniers, avait assuré Jeanne, ne bougeraient pas et ne feraient nulle opposition à l'entrée du convoi dans la ville.

Le maréchal de Boussac, le sire de Rais et surtout le sire de Gaucourt se refusaient à engager le détachement à travers les lignes anglaises, sur une simple affirmation de la Pucelle.

L'itinéraire, à leur yeux, présentait trop de dangers. Ils décidèrent donc d'aborder Orléans par le sud, en passant sur la rive gauche, sans toutefois en prévenir Jeanne et en lui laissant croire que l'armée, se conformant à ses indications, marchait directement sur Orléans.

Comme Blois, Orléans était construite sur la rive droite de la Loire.

 Jeanne l'ignorait. Aussi ne fut-elle pas surprise de voir le convoi, traversant le fleuve au départ de Blois, se diriger vers Orléans à travers la Sologne.

Le gros des forces anglaises se tenait sur la rive droite de la Loire, et en faisant leur crochet vers le sud, non seulement les capitaines français évitaient de traverser les fortes bastilles de l'ennemi, mais encore pendant toute leur marche gardaient leur flanc gauche couvert par le fleuve qui les séparait des plus importants détachements anglais.

Obliquant vers l'est, l'armée passa devant Beaugency, Meung, villes occupées par les Anglais, sans que les garnisons de ces places fortes fissent quoi que ce soit pour s'opposer à la marche du convoi conduisant les vivres dans Orléans.

A la nuit le détachement qui comptait plus de 4.000 hommes, s'arrêta et coucha en rase campagne.

Jeanne qui ne voulut pas quitter son armure, s'éveilla toute meurtrie.

Dès l'aube du 29, toujours précédée de la bannière de Jeanne, l'armée se remit en marche tandis que les prêtres chantaient les cantiques.

Au début de l'après-midi, les premiers éléments du convoi arrivaient dans Olivet.

Jeanne reconnut qu'on l'avait trompée.

Elle était bien en face d'Orléans, mais la Loire la séparait de la ville où elle devait entrer.

La Pucelle s'en montra irritée et exprima sévèrement sa réprobation. Poussée par le besoin d'agir et aussi par sa douceur naturelle, Jeanne oublia bientôt son ressentiment.

Sans vouloir attaquer immédiatement les fortes bastilles des Augustins et des Tourelles qui défendaient l'accès du pont, la Pucelle demanda aux capitaines d'ordonner l'assaut de l'ouvrage ennemi le plus à l'est, le boulevard Saint-Jean-le-Blanc, dont l'isolement facilitait l'enlèvement.

 Jeanne eût d'autant plus aisément emporté ce boulevard que les Anglais, redoutant l'assaut, en avaient retiré la garnison qui s'était repliée sur les Tourelles et les Augustins.

Les capitaines français hésitaient, trouvant l'ouvrage trop rapproché des positions tenues par l'ennemi.

Le bâtard d'Orléans qui avait traversé le fleuve sur une barque afin de prendre contact avec les chefs du renfort, proposa de faire remonter le détachement jusqu'à hauteur de l'ile aux Bourdons, en face de Chécy, à deux lieues en amont d'Orléans.

L'emplacement, disait-il, présentait l'avantage de permettre un embarquement aisé des vivres et des munitions, à l'abri des coups de l'ennemi.

Jeanne, qui s'était approchée interpella Jean d'Orléans :

- « Etes-vous le bâtard d'Orléans ?

- Oui et je me réjouis de votre venue.

- Est-ce vous qui avez donné le conseil de me faire venir ici par ce côté de la rivière, et non pas directement où étaient Talbot et les Anglais ?

— Oui, et de plus sages que moi ont donné ce conseil, croyant mieux faire et plus sûrement.

— En nom Dieu, le conseil de Messire est plus sûr et plus sage que le vôtre. Vous m'avez cuidé décevoir et vous êtes décus vous mêmes. ».

Une grosse difficulté en effet se présentait.

La Loire, comme très souvent à cette époque, se trouvait en crue et ses eaux, montant jusqu'aux bastilles et boulevards établis par les Anglais, avaient menacé d'emporter plusieurs de ces ouvrages et c'est à grand peine que les soldats de Suffolk avaient conjuré les dangers de l'inondation.

Mais le courant de la Loire restait très rapide et ne permettait pas à des barques, même vides, de le remonter à la rame.

 D'autre part la profondeur du fleuve empêchait de naviguer à la gaffe ; la seule façon de vaincre la résistance opposée par la vitesse du courant était de remonter vers l'amont en se servant de la voile. Mais le temps était orageux, la pluie tombait à torrents et un fort, vent contraire soufflait de l'est.

Désorientés par l'hostilité des éléments les capitaines français regardaient tomber la pluie sans pouvoir prendre une décision.

Beaucoup plus que des difficultés rencontrées, Jeanne souffrait du manque de Confiance en elle que manifestaient les officiers.

Elle s'aperçut de leur inquiétude, les réconforta, les assurant que le vent bientôt allait changer.

A peine avait-elle cessé de parler que, soudain, le vent, sautant à l'ouest, se mit à souffler plus fortement encore.

Devant les yeux ébahis de toute l'armée, les barques d'Orléans, aux voiles gonflées par la, brise, remontèrent vivement le fleuve jusqu'à l'ile aux Bourdons.

On entassa rapidement dans les embarcations tout le ravitaillement destiné à Orléans, blé, vivres, munitions, et les barques, lourdement chargées, descendirent vers la ville.

Les voiles avaient été repliées ; la vitesse du courant emportant la flottille vers l'aval, il suffisait, pour naviguer avec sécurité, de donner quelques coups de rames, qui en imprimant aux embarcations une vitesse légèrement supérieure à celle du courant, permettaient de diriger les barques à l'aide du gouvernail.

Les hommes restaient sur la rive ; les moyens manquaient pour les faire entrer dans Orléans de la même façon.

D'ailleurs les chefs prétendaient ne pas avoir reçu l'ordre de conduire leurs troupes dans la ville assiégée.

Leur mission était seulement d'accompagner le convoi ; ils devaient, assuraient-ils, retourner à Blois, où s'assemblait une armée beaucoup plus puissante.

Jeanne, à qui l'on avait toujours caché ces instructions, se montrait fort contrariée.

Au nom des habitants d'Orléans, le bâtard insistait vivement pour que la Pucelle entrât dans la ville, « car Orléans eut cru ne rien avoir en recevant les vivres sans elle ».

Jeanne hésitait. « Il me ferait peine, disait-elle, laisser mes gens et je ne dois pas le faire ; ils sont tous bien confessés, pénitents et de bonne volonté, et en leur compagnie je ne craindrais pas toute la puissance des Anglais ».

Pressée par le bâtard et les Orléanais qui avaient accompagné leur chef, Jeanne se laissa fléchir, lorsque le maréchal de Boussac l'eut assurée de son retour prochain avec des forces importantes capables de délivrer la ville.

 La Pucelle estimait déjà beaucoup Jean de Brosse et avait grande confiance en lui, aussi agréa-t-elle sa promesse.

Après avoir fait ses adieux à l'armée, lui laissant sa bannière, son aumônier, tous les prêtres qui l'avaient escortée, Jeanne avec dieux cents lances, traversa le fleuve en compagnie du bâtard, aborda sur la rive droite et se dirigea vers Orléans.

Bien qu'il dût retourner à Blois avec l'armée, selon les ordres qu'il avait reçus, « le maréchal de Boussac ne la (Jeanne d'Arc) voulut point quitter qu'elle ne fût dans la ville, en sûreté ».

Sur la rive droite, vers l'est de la ville, les Anglais ne tenaient qu'une bastille : Saint-Loup. Afin de fixer la garnison ennemie dans son ouvrage, les Orléanais avaient attaqué Saint-Loup ; ils en rapportèrent même une bannière.

Grâce à cette diversion, les embarcations portant les vivres purent être déchargées en toute sécurité et Jeanne d'Arc, avec son détachement, sans rencontrer d'opposition, pénétra dans Orléans.

Il était huit heures du soir.

 Jeanne chevauchait un cheval blanc ; à sa gauche, le bâtard qui avait voulu lui laisser la place d'honneur, richement vêtu, marchait à pied, suivi du maréchal de Boussac et de plusieurs « nobles seigneurs ».

Le peuple d'Orléans, tout entier, était accouru au- devant de la Pucelle et l'escortait.

Les torches innombrables crépitaient, répandant leurs lueurs féériques. Tous les habitants de la ville assiégée manifestaient une aussi grande joie « que s'ils avaient vu Dieu descendre parmi eux ». « Ils se sentoient tous réconfortés et comme desassiégés par la vertu divine qu'on leur avoit dit être dans cette simple pucelle ».

Les enfants, les femmes, les hommes, les soldats, tous se pressaient autour de Jeanne, s'efforçant de la toucher.

La plupart pleuraient. A la lueur des torches, sous les acclamations, la foule accompagna Jeanne, « lui faisant grant chère et grant honneur » jusqu'à l'église principale d'Orléans, où la Pucelle avait tenu, avant toutes choses, à venir chanter un Te Deum, afin de rendre grâces à Dieu.

Dès que Jeanne fut entrée dans l'église, le maréchal de Boussac, jugeant la mission qu'il s'était donnée, comme menée à bien, profitant de la nuit, quitta Orléans pour rejoindre l'armée et avec elle regagner Blois.

 

 

Mémoires de la société des sciences naturelles et archéologiques de la Creuse

 

 

 

Sainte Sévère en Berry sous Jean sans Terre- Hugues X de Lusignan <==

==> États du Poitou convoqués à Saumur par le dauphin, au mois de juin 1417

==> Historique du Château d’Azay le Rideau au moyen-âge (Azay le Brulé juin 1418 Charles VII)

==> Sacre des Rois de France -17 juillet 1429 - Charles VII est sacré à Reims

==> 19 juillet 1419 - Traité d’alliance de Pouilly-le-Fort entre Jean sans Peur, duc de Bourgogne et le dauphin Charles

==> Chinon, Robert Le Maçon négocie avec Charles le départ de Marguerite de Bourgogne qui rejoint Arthur de Richemont à Parthenay

==> Arrestation lors d’une partie de Chasse de Louis d'Amboise, Vicomte de Thouars, prince de Talmont pour lèse-majesté

==> Charles VII Forteresse de Chinon l’an 1423

==> Jean Stuart, comte de Boucan de la Garde Ecossaise du roi

==> Arthur de Richemont, est fait connétable de France par Charles VII à Chinon, le 7 mars 1424 (1425).

==> 12 octobre 1428, Salisbury met le siège devant Orléans, touché par un boulet de canon, il meurt à Meung-sur-Loire le 3 novembre

==> Chinon 1428. Charte du roi Charles VII fait don au roi d'Ecosse Jacques 1er, du comté de Saintonge et du château de Rochefort

==> Aujourd'hui dans l'histoire 06 mars 2017 / 6 mars 1429 : Jeanne d’Arc rencontre Charles VII à Chinon

==> Raoul de Gaucourt, fidèle de Charles VII, capitaine-gouverneur d’Orléans puis de Chinon, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc

==>1431 Rémission octroyée à Georges de La Tremoille pour l'arres­tation arbitraire de Martin Gouge, évêque de Clermont.

==> Le fort de Fouras détruit avant 1351, le donjon est reconstruit par Jean II de Brosse, Maréchal de France, vers 1480.

 

 

 


 

(1). La vicomté de Châteauclop (Castrum Clopi), depuis nommée Châteaucloux et Châteauclos, était mouvante à foi et hommage lige du comté de la Marche, et s'étendait sur les paroisses d'Hem, de Champsanglard, de Joulhac, de Bonnat, de Saint-Fiel, de Saint-Sulpice-le-Guéretois, d'Anzesme, de Bussières-Dunoise, de la Celle-Dunoise et autres

. — Elle consistait en droit de justice, haute, moyenne et basse, mère et mixte impère, double siège, ressort, pouvoir d'instituer officiers, sénéchal, juges et lieutenants, procureurs, notaires, sergents, avec scel à contrats et garde des sceaux, droits d'aunage, mesurage, cens, rentes directes et foncières, dîmes, arbans, bians, corvées, vinade et autres devoirs de servitude, suivant la coutume du pays.

 — Le château, forteresse située sur les bords de la Creuse, dans un lieu sauvage et presque inaccessible, fut ruiné par les Anglais dans les guerres du XIVe siècle.

Les vicomtes de Chàteauclop étaient fondateurs et patrons des prieurés d'Anzesme et de Champsanglard ; de celui des Fougerats, courent de femmes ; de la commanderie de la chapelle du Temple; de l'hôpital de la Maladrerie, paroisse de Champsanglard; de deux vicairies, dit de Châteauclop.

— Seize fiefs, dont plusieurs avec châteaux fortifiés et droit de justice, relevaient de Châteauclop.

Cette vicomté a appartenu successivement, et toujours à titre héréditaire, aux familles de Châteauclop, de Palestel, de Brosse, de Prie, de Maleval, de Brosse de Sainte-Sévère, de Brion et de Rochebaron.

Celle-ci en fit vente, en 1597, à la famille de la Celle, qui l'a possédée sans interruption jusqu'à nos jours.

Hector Ajasson obtint, le 14 mars 1584, de Messire Philippe de Rochebaron, chevalier de l’ordre du Roy et vicomte de Châteauclos, permission de « refortilier sa maison de Grandsagne, de tours, tourelles, canonnières, fossés et murailles. »

 Il acquit, le 14 juillet 1597, de Balthazar de Chalençon, capitaine de 50 hommes d’armes et vicomte de Châteauclos (de qui relevait alors le vicomté de Grandsagne), le fief noble, terre et seigneurie de Châteauclos avec tous ses droits et dépendances, conjointement avec Jean de la Celle et Claude Bœry, ledit la Celle pour moitié et Bœry et lui pour l’autre moitié, moyennant la somme de 12.000 écus.

Le château de Châteauclos fut démoli très peu de temps après, pendant les guerres « du temps des Anglais » (1607) et ne fut pas reconstruit.

Aujourd'hui il n’en reste même plus de ruines.

 Hector Ajasson fournit aussi le dénombrement d’une partie de sa seigneurie de Grandsagne, sise paroisses de Bonnal, Linard et Cheniers, à Louis Chaslaigner de la Rocheposay, baron de Malval, capitaine de 50 hommes d’annes.

Hector avait épousé, le 5 février 1584, au château de Chamousseaux, comté de Buzençais, Marie de Douhault, fille de François de Douhault, seigneur de Rançay, et de feue Françoise de Boisé de Courcenay.

Ils eurent pour fils : Jacques Ajasson, chevalier, seigneur de Grandsagne, qui prit avec les de la Celle le titre de vicomte de Châteauclos et s’opposa à la réunion totale de la justice de celle vicomté à celle de Guéret, dont partie lui appartenait.

 Il avait épousé Jeanne du Boueix de Villemort, fille de Gabriel du Boueix de Villemort et de Marguerite de Moussy les Contour.

 Son fils, Charles Ajasson, fut, après lui, seigneur de Grandsagne et aussi de Rançay, Villebalon, et vicomte de Châteauclos.

 Il reçut à Grandsagne, le 29 mai 1635, le collier de Saint-Michel, ainsi qu’il résulte d’une commission donnée au vicomte de Brignol, et, le 25 janvier 1639, un brevet de capitaine.

 

Histoire sommaire de Grandsagne [Signé : Vte de Grandsagne (mars 1914).]

 

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