Le comte de Richemont étant arrivé à Chinon vers la fin de février 1424, le roi décida que la cérémonie de la réception d'Arthus aurait lieu dans le château de la ville, le 7 mars suivant.
Ce jour étant venu, le futur connétable se rendit, vers les neuf heures du matin, en la chambre du roi, où le grand écuyer apporta l'épée royale, à la poignée d'azur, émaillée de fleurs de lys d'or.
Le roi s'assit alors, entouré de tous les gentilshommes et chevaliers de l'ordre, et dit :
« Monsieur de Bretaigne, nostre chier cousin; en considération des grand sens, industrie, prouesse, prudence et vaillance de vostre personne, tant en armes qu'aultrement, la prochaineté dont vous nous attenés, et la maison dont estes issu, ayant égard mesmement à ce que pour nostre propre faict et querele, avez exposé et abandonné moult honorablement vostre personne à l'encontre de nos ennemis, à la iournée d'Agincourt, à laquelle avez vaillament combattu, et iusques à la prinse de vostre personne.
Voulant ces choses vous recognoistre en honneurs, bienfaicts et aultrement, comme bien nous y sentons tenu; pour les causes devant touchées et nultres, à ce nous mouvant, vous faisons, ordounons, establissons et constituons connestable de France, et chief principal, après nous, et soubs nous, de toute nostre guerre. »
Le manuscrit, qui date les années de la fête de Pâques, marque 1424.
A quoi le comte de Richemont répondit :
« Nous remercions nostre très chier et vénéré seigneur, maistre et cousin, le roi de France, de la faveur que il nous veult bien octroyer, et bien qu'ayons icelle peu méritée de nostre faict, l'acceptons comme un engagement de le servir de tout nostre pouvoir, etiusques à la mort, envers et contre tous, et devant tout contre les ennemis de la France. »
Le roi se leva alors, et sortit de la chambre accompagné de sa cour, qui marchait dans l'ordre suivant : D'abord les archers de la garde ouvraient la marche : ils furent suivis du maréchal de Severac, de Christophle de Harcourt, de Guillaume Bélier, gouverneur de Chinon, du sire de Montejean; vinrent ensuite maître Adam de Cambrai, président du parlement, le maréchal et le président de Savoie, l'amiral de Bretagne, Guillaume d'Avaugour, maître Renaud de Marie, le sieur de Treignac, l'archidiacre de Reims, le gouverneur d'Orléans.
A ces seigneurs succédèrent les gentilhommes de la maison du roi, portant leur hache; puis six héraults d'armes revêtus de leur cotte-d'armes et nu-tête; après eux, le grand-écuyer, également la tête découverte et tenant à la main l'épée royale dans le fourreau ; le chancelier de France, archevêque de Reims ; enfin le roi, ayant à ses côtés l'archevêque de Sens et l'évêque d'Angers, et accompagné de monseigneur le grand-maître et du comte de Richemont, offrant la main à Marie d'Anjou. Cette princesse était suivie de mesdames de Severac et Bélier, née de Maillé ; un page portait sa queue.
Le grand-maître était vêtu d'une robe de veloux cramoisi, bordée de parfilure d'or et d'argent, et tous se rendirent dans cet ordre de la chambre du roi à la grande salle de Chinon, où le roi s'assit sur un fauteuil devant une petite estrade couverte d'un drap d'or, sur laquelle était posée la vraie croix.
L'archevêque de Reims, chancelier de France s'avança alors, et dit à Arthus :
« Monseigneur de Richemont, placés vostre dextre sur cet emblesme de la Foy durant que je vais lire à haute voix le serment que serez tenu de faire au roi nostre syre. »
Le connétable obéit, et fit le serment selon la formule prescrite. Après quoi le roi se leva de son siège, et le grand écuyer ayant levé en l'air l'épée et le ceinturon, les remit au roi, qui, aidé des gentilshommes qui l'entouraient, ceignit le ceinturon au connétable ; puis, tirant l'épée nue, il la lui remit aussi. Le comte fit alors une profonde révérence.
Aussitôt les trompettes sonnèrent, et les héraults se mirent à crier :
Vive monsieur de Richemont, le connétable de France!
puis tous s'en retournèrent, dans le même ordre qu'ils étaient venus, à la chapelle où l'archevêque de Reims officia pontificalement, et où, durant la messe, le connétable se tint devant le roi, l'épée nue à la main (1) !
Ensuite eut lieu un magnifique repas, dont Étienne Chevalier ne nous a pas conservé les détails. Il dit seulement qu'un paon magnifique, à la queue déployée et couverte de toutes ses plumes, fut apporté par un page et sur un plat de vermeil dans la salle du festin; que placé devant la reine, celle-ci le renvoya à Monsieur le connétable, qui le découpa en tous sens avec tant d'art que quatre-vingt-huit personnes qui se trouvaient à table en goûtèrent toutes et furent satisfaites. Sur quoi le roi dit en souriant à Arthus, qu'il espérait bien qu'il ne se montrerait pas moins habile à tailler les ennemis que le bel oiseau qu'il venait de partager.
« Syre, répondit le connétable, n'en veuillez doubter, et certes n'attendrai pas que ils soyent morts ! »
Puis il rendit au roi les châteaux de Lusignan, de Loches et de Meun-sur-Yèvre, qui, nous l'avons vu plus haut, avaient été offerts par Charles VII au duc de Bretagne, comme garantie de la personne de son frère Arthus ; mais le roi exigea qu'Arthus gardât Chinon où il avait reçu la dignité de connétable.
Le comte de Richemont prit congé de la cour, mais il y laissa l'évêque de Clermont et le seigneur de Freignac, qu'il chargea de presser le roi d'exiler le président Louvet, qu'il soupçonnait d'avoir trempé dans le complot ourdi par Tanneguy-Duchatel contre le duc de Bretagne,
Charles VII quitta Chinon et se rendit à Poitiers, d'où il revint à Saumur le 7 octobre de l'année 1425; il y conclut un traité avec le connétable, qui lui fit hommage pour le duché de Bretagne.
Puis il se rendit à Bourges.
Animé d'une noble ardeur et désirant prouver au roi l'envie qu'il avait de le servir, le connétable alla attaquer Saint-James-de-Beuvron en Normandie ; mais le sire de Giac, alors ministre de Charles VII, jaloux de l'empire que le connétable exerçait déjà sur l'esprit de son maître, refusa de lui envoyer les secours qu'il lui demandait.
Arthus fut donc contraint, après une sanglante défaite, de renoncer à son entreprise. Il en conçut un vif déplaisir, jura de se venger, et pour cet effet embrassa dès lors le parti de La Trémouille, et d'accord avec ce seigneur, saisit le sire de Giac à Issoudun et le fit noyer.
Non content de cette première vengeance, il enleva le chancelier de Bretagne qu'il soupçonnait de complicité avec le sire de Giac et le fit transporter au château de Chinon, où était le roi, devant qui il l'accusa de s'être laissé corrompre par les Anglais sous la promesse d'une riche récompense.
Charles VII ordonna en conséquence au chancelier de paraître en sa présence, et lui demanda l'explication de sa conduite. Celui-ci nia tout et parvint à se disculper. Ayant d'ailleurs promis au roi de ménager en temps et lieu la paix avec le duc de Bourgogne, désir le plus cher au cœur de Charles, il fut acquitté et envoyé vers le duc ainsi que vers le duc de Savoie.
Mais le régent ayant réussi à rattacher de nouveau à son parti le duc de Bourgogne, les négociations du chancelier de Bretagne n'eurent aucun succès.
Arthus se rendit alors à Chinon et de là suivit la cour à Meun-sur-Yèvre. Au mois de janvier (1426), le roi alla à Issoudun, et mit Le Camus de Beaulieu à la place du sire de Giac ; ce qu'ayant appris le connétable il partit pour la cour et obligea le roi à mettre de côté Le Camus et à prendre pour ministre La Trémouille: le roi résista et lui dit :
« Mon cousin, vous vous en repentirez ! »
Mais Arthus ayant insisté, Charles finit par céder.
Cependant Charles VII conçut un assez vif ressentiment de ce fait, et son ressentiment fut encore nourri et fomenté par celui qui en était la cause première, La Trémouille, qui, irrité de l'air de supériorité que le connétable s'était arrogé dans toutes les affaires, n'attendait que la première occasion de secouer le joug.
Arthus, doué d'ailleurs d'un esprit fier et remuant joint à un caractère emporté, ne pardonnait pas à Charles d'avoir relâché le chancelier de Bretagne, et saisit ce prétexte pour passer du côté des Anglais.
A la première nouvelle de cette défection, loin de pacifier et de s'efforcer à ramener le connétable, comme la prudence ordonnait de le faire, La Trémouille s'emporta, invectiva contre son ancien protecteur, et sourd à la voix de la reconnaissance, profita avec empressement de cette circonstance pour retirer au connétable toutes ses pensions.
Enflammé de courroux, le comte de Richemont n'hésite pas à lever l'étendard de la révolte.
Il se joint aux seigneurs de Bourbon et de la Marche, qui se rendent à Chinon auprès de la duchesse de Guyenne, épouse du connétable, dans le but de se concerter ; ils reçoivent le 16 octobre, en qualité d'ambassadeur du roi de France, l'archevêque de Tours et le sire de Gaucourt qui avait été précédemment gouverneur de Chinon et dont le fils le fut dans la suite ; mais quelques arguments que pût employer le prélat pour les faire rentrer dans le devoir, tout fut inutile : les rebelles n'en persistèrent pas moins dans leur dessein, et les deux envoyés s'étant retirés et ayant transmis au roi la réponse définitive des seigneurs de Bourbon et de la Marche, ce prince donna ordre à quelques troupes d'aller s'emparer de Chinon.
Arrivés devant cette place, les gens du roi gagnèrent Guillaume Bélier, qui en était gouverneur, et qui, d'après leurs instructions, fit faire aux murailles de Chinon un trou par lequel les troupes de Charles VII s'introduisirent dans la ville.
La duchesse de Guyenne, effrayée, fit demander au capitaine qui commandait les gens du roi, si son intention était de s'emparer de sa personne et de la garder comme otage ; mais l'officier la rassura, lui permit de se retirer emportant ses habits, ses meubles et sa vaisselle, et lui accorda même une escorte suffisante pour assurer sa retraite.
Quant à Guillaume Bélier, il conserva sa charge de gouverneur de la ville, dont on augmenta la garnison, et fut même plus tard créé grand veneur de France. Il est toujours dangereux à un roi de récompenser ainsi la trahison : c'est en même temps l'encourager ; et Louis XI montra plus de sagesse, lorsqu'après s'être fait rendre une place qu'il assiégeait, sous promesse de cent lances, il les envoya-en peinture au capitaine qui lui avait livré la ville.
Le roi assembla les États-Généraux à Chinon, dans les premiers jours d'octobre 1428.
On annonça que chacun des assistants aurait franche liberté « d'acquitter sa loyauté, et de dire pour le bien des besognes tout ce que bon lui semblerait. »
Les États se prolongèrent jusque vers le milieu du mois de novembre, et demandèrent la réforme de la Chambre des comptes, celle des tribunaux inférieurs du royaume, et la réunion en un seul des deux parlements de Poitiers et de Béziers, réunion qui fut prononcée le 7 octobre 1428 et subsista jusqu'en 1443. Les États accordèrent au roi 400,000 livres, à prendre, moitié sur la langue d'oïl, moitié sur la langue d'oc et le Dauphiné, et la noblesse ainsi que le clergé furent tenus de concourir à cette taille.
Cependant, fatigué de ces luttes incessantes, voyant l'Anglais, déjà possesseur d'une grande partie de la France, poursuivre avec une ardeur toujours nouvelle le cours de ses conquêtes, Charles VII, découragé, s'était retiré à Chinon, où il se livrait à tous les plaisirs, négligeant les fatigues de la guerre et fuyant le tumulte des camps.
Chinon et Agnès Sorel / par A. Cohen
Charles VII Forteresse de Chinon l’an 1423 <==.... ....==> Charles VII dans la vicomté de Châtellerault, conflit ouvert entre Georges de La Trémoïlle et son rival Arthur de Richemont
Arthur de Bretagne, dit comte de Richemont, grand fief du comte d'York, naquit au château de Succinio, commune de Sarzeau, le 25 août 1303. Il était fils du duc Jean IV et de Jeanne de Navarre, le frère cadet de Jean V, et l'aîné de deux frères, Gilles qui allait mourir jeune, et Richard qui fut père du duc François II......
1 On sait que de tenir l'épée nue à la main devant le roi était le privilège exclusif des connétables.