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PHystorique- Les Portes du Temps
26 février 2024

Jean Ier de GRAILLY, un Seigneur Savoyard en Terre-Sainte au XIIIe siècle

Originaire de la bourgade appelée aujourd'hui Grilly, au pays de Gex, la maison de Grailly apparaît dans l'histoire en 1066, date à laquelle un de ses membres prend part à la conquête de l'Angleterre.

Mais son premier ancêtre connu est Gérard, qui figure en 1120 dans un acte, comme possesseur de la terre de Grailly. Ce chevalier habite alors, très probablement, le château dont l'existence est signalée dès le XIe siècle (1), et qui, flanqué de quatre tours, se trouve en excellente position militaire, sur la rive droite du petit ruisseau qui descend du village à la Versoix.

Vers la fin du XIIe siècle, le château relève des comtes de Genève auxquels le pays de Gex est échu, on ne sait trop comment.

Au début du XIIIe siècle, le domaine est important et s'étend par ses différents fiefs au pays, de Vaud, en Genevois, et en Savoie. C'est alors que les successeurs d'Humbert aux Blanches Mains font sentir leur autorité croissante sur les domaines jusqu'alors soumis à l'influence des comtes de Genève ou au pouvoir temporel des Evêques.

Sires de Gex, sires de Grailly, comme tant d'autres, vont passer sous leur obédience, et, à plusieurs reprises, Jean de Grailly dont nous allons parler, se reconnaîtra vassal des comtes de Savoie.

Le futur sénéchal de Gascogne et de Jérusalem, dont les armes étaient « d'or à la croix de sable, chargée de cinq coquilles d'argent » (2), appartient donc bien par ses ascendants, par sa naissance et par son patrimoine originel, à la terre savoyarde.

Pourquoi quitte-t-il un jour le pays natal pour se mettre au service du roi d'Angleterre ? Peut-être pour suivre l'exemple de divers princes de la maison de Savoie qui sont allés chercher fortune en ce pays ; dont l'un, Boniface, est archevêque de Cantorbéry, et l'autre Pierre, est comte de Richmond et d'Essex.

Peut-être simplement pour retrouver des seigneurs alliés ou amis, qui se sont expatriés au moment du mariage d'Aliénor, deuxième fille de Béatrice de Savoie, comtesse de Provence, avec Henri III d'Angleterre.

 

Quoiqu'il en soit, c'est aux environs de 1254 que Jean de Grailly se rend en Angleterre et en Gascogne.

Les premiers actes qui le concernent le montrent spécialement attaché à la personne du prince héritier, alors duc de Guyenne, le futur roi Edouard Ier.

Il devient presqu'aussitôt seigneur gascon par son mariage avec Clairemonde de Lamothe, issue d'une des plus anciennes et des plus riches familles de Guyenne.

Et le voilà en mesure de jouer le rôle qu'il tiendra pendant cinquante ans, avec une habileté et un talent qui assureront sa fortune et celle de sa maison.

Dès 1262, il est qualifié de chevalier du prince Edouard, et devient membre de la cour de l'Echiquier, dont la principale fonction est d'administrer les revenus de la Couronne.

Peu après, au moment où la dynastie royale va subir l'assaut des barons anglais, révoltés à l'instigation de Simon de Montfort, Jean de Grailly prend une part active au recrutement de contingents gascons qui, après la défaite de Lewes, vont aider, le 4 août 1265, au triomphe de l'armée royale à la bataille d'Evesham. On peut présumer de l'importance des services ainsi rendus, par le don vraiment royal que fait le prince Edouard à son chevalier, le 2 janvier 1266.

Devenu par sa grâce, seigneur de Benauges et de Castillon, Jean de Grailly est désormais un des plus puissants barons de Gascogne, dont il devient d'ailleurs, peu après, sénéchal.

 C'est en effet en cette qualité qu'Henri III l'accrédite, le 4 octobre de la même année, comme plénipotentiaire auprès de Saint-Louis, pour négocier une trêve entre l'Angleterre et la Navarre.

Le 24 janvier 1268, à la suite du prince Edouard, aux côtés d'un grand nombre de hauts personnages et de « six-vingt chevaliers », Jean de Grailly « reçoit la croix » des mains du légat du pape, le cardinal Ottobon.

La huitième croisade va bientôt commencer.

Avant de l'entreprendre, Saint Louis s'emploie à apaiser les conflits qui divisent les princes dont il escompte le concours.

Une deuxième conciliation a lieu entre le prince Edouard et le roi de Navarre, et, en cette affaire, c'est encore Jean de Grailly qui est, à Paris, le plénipotentiaire du roi d'Angleterre.

Le prince Edouard l'y rejoint bientôt, accompagné d'autres seigneurs anglais. Il est fort gêné pour prendre part à la croisade, car la lutte récente entre le souverain et les barons anglais révoltés à sérieusement obéré les finances anglaises.

Lorsque Saint Louis, son oncle, lui demande de tenir sa promesse, il allègue que ses ressources personnelles, à la vérité fort limitées, ne lui permettent pas d'amener un puissant contingent.

Par un accord conclu le 27 août 1269, Saint Louis lui avance alors une somme de 70.000 livres tournois, remboursables par annuités à dater de 1273. et le prince Edouard promet en échange « d'obéir au roy de France, pendant l'expédition, comme ung des, barons de son royaume. » Jean de Grailly s'est engagé à payer pour le prince Edouard 3.000 livres, partie des 70.000 livres empruntées.

Saint Louis, part le premier. Il embarque à Aygues-Mortes, le 1er juillet, aborde en Sardaigne, et sur le conseil intéressé de son frère, Charles d'Anjou, roi de Naples, il dirige l’expédition sur Tunis.

Le prince Edouard, retenu en Angleterre par le mariage de son frère, ne quitte Portsmouth que fin août. Il arrive à Aygues-Mortes le 1er octobre, et s'embarque à son tour pour Tunis avec une suite évaluée à 300 chevaliers anglais et gascons, parmi lesquels Jean de Grailly, Geoffroy de Joinville, sire de Vaucouleurs et son frère Simon, sire de Gex.

Lorsque le prince Edouard débarque à Carthage, Saint Louis est mort de la peste, le 25 août précédent. Les Français, éprouvés par une série d'infortunes, se sont décidés à ajourner leur départ en Syrie, et viennent de traiter avec le sultan de Tunis. Le prince refuse de s'associer à cette convention, et comme un certain nombre de ses, compagnons sont tentés de suivre les Français dans leur retraite : « Par le sang de Dieu, s'écrie-t-il, puisque mes compatriotes m'abandonnent, moi, j'entrerai à Ptolémaïs avec mon palefrenier Souwin, et ce serment, je le tiendrai jusqu'à la séparation de mon âme et de mon corps. »

Cependant la saison s'avance. Français et Anglais se décident à repasser la mer. La flotte française, assaillie par une effroyable tempête, est en partie détruite.

 Plus heureux, le prince Edouard arrive sain et sauf avec sa suite à Trapani, en Sicile, et passe l'hiver 1270-1271 à la cour de Charles d'Anjou, roi de Naples, où il reçoit la plus brillante hospitalité.

Le mois d'avril arrivé, il s'embarque pour la Palestine, et après une dure traversée, débarque à Saint-Jean-d'Acre. En passant à Chypre, il s'est renforcé de mille hommes d'élite ; et c'est Jean de Grailly qui a été chargé de l'organisation et du ravitaillement de l'expédition.

A leur arrivée, la situation des chrétiens en Syrie est des plus précaires. Depuis la croisade de Saint Louis, en 1248 les Turcs, sous la conduite de Bibars l'Arbalétrier, ont détruit quantité d'établissements latins du littoral, menaçant même Saint-Jean-d'Acre, devenue la capitale des colonies chrétiennes d'Orient. Ce n'est pas le faible secours amené par le prince Edouard qui pourra changer la face des choses.

Après un repos d'un mois, le prince dirige une première expédition sur Nazareth, à 20 lieues d'Acre, prend la ville et massacre les habitants. Sur le chemin du retour, les Croisés rencontrent un corps considérable d'infidèles et les mettent en fuite.

Le 12 juillet, les Croisés se portent à 5 lieues de Saint-Jean-d'Acre, assiègent le château de Saint-Georges de Lydda, le prennent, le rasent, mais beaucoup d'entre eux meurent au retour de cette incursion, victimes de la chaleur, de la soif et de la dysenterie.

Renforcés à la fin de l'été par un contingent venu de Chypre avec le roi Hugues, de Lusignan et son cousin Bémont, prince d'Antioche, une nouvelle expédition est décidée. Les Croisés font le siège du château de Quaquo, situé à plus de 12 lieues d'Acre, entre Césarée et Arsur, mais sans succès certain.

Un différend s'élève d'ailleurs entre le roi Hugues de Lusignan et les chevaliers cypriotes. Ceux-ci veulent regagner leurs foyers, se rendant compte que la guerre ne peut se terminer de façon heureuse, alors que le roi prétend avoir le droit de les retenir en Syrie tant qu'il le jugera utile. On décide de soumettre le litige au prince Edouard.

Jean de Grailly, les Grands-Maîtres des Ordres, plusieurs seigneurs de Jérusalem se rendent alors à Chypre pour tenter de mettre d'accord le roi et ses barons, mais ils échouent dans leur mission.

Le roi de Chypre a dû apprécier cependant les hautes qualités et l'habileté de négociateur de Jean de Grailly, car, il le nomme sénéchal de Jérusalem, charge très importante. Elle lui donne autorité sur toutes les recettes du roi, le droit de visite sur les châteaux et les forteresses, et même le droit de remplacer le suzerain en cas d'absence.

Presqu'au même moment, les talents militaires de Jean de Grailly qui se sont certainement affirmés au cours des diverses campagnes dont nous avons parlé, reçoivent une consécration officielle.

Il est en effet nommé capitaine du corps de chevaliers que le roi de France entretenait à sa solde en Syrie depuis 1254, pour la défense des colonies chrétiennes.

Mais le prince Edouard ne songe plus à entreprendre de nouvelles expéditions. Sa petite armée est décimée, plus peut-être par la maladie que par les combats, et il se décide à conclure avec le sultan Bibars, une trêve de 10 ans, 10 semaines et 10 jours.

 L'acte scellé dans la plaine de Césarée, le 22 avril 1272, ne reconnaît au roi de Chypre que la plaine d'Acre et la route de Nazareth.

Edouard quitte la Palestine le 14 septembre. Il apprend à son arrivée en Italie, la mort de son père, et va lui succéder sous le nom d'Edouard Ier.

Jean de Grailly est demeuré en Palestine, retenu par sa double fonction de sénéchal de Jérusalem et de capitaine des troupes du roi de France en Syrie. Mais il n'y reste guère plus d'une année.

Il est en effet bientôt désigné officiellement pour représenter le Saint Royaume d'Outre-Mer au Concile de- Lyon, convoqué par le pape Grégoire X. Le roi de Chypre profite de l'occasion pour le charger de soutenir ses droits contre les prétentions de la princesse Marie d'Antioche au royaume de Jérusalem.

Il quitte donc à son tour la Palestine vers la fin de 1273, pour accomplir sa mission.

Une des principales questions examinées au Concile de Lyon porte bien sur les secours à envoyer en Terre-Sainte, mais aucun résultat positif et de quelque importance ne se dégage de cette solennelle et grandiose manifestation.

Aussi Jean de Grailly ne retourne pas en Palestine après le Concile. Il lui faut en effet prendre le temps de réunir les 7.000 livres tournois promises par le pape en vue du secours à apporter à la Terre-Sainte.

 D'autre part, la trêve de 10 ans conclue en 1272, laisse aux colonies chrétiennes un répit qui ne nécessite pas' son retour immédiat. Peut-être attend-il aussi pour repartir, une nouvelle croisade que tout le monde croit prochaine, puisque Philippe III le Hardi, les ducs de Brahant et de Bourgogne, les seigneurs de France et les frères du roi, reçoivent lia Croix en 1275...

En fait, il n'y reviendra que 15 ans plus tard.

De ces quinze années, passées principalement en Gascogne, et qui ont été analysées en détail ailleurs (3), nous ne retiendrons qu'un fait qui intéresse plus particulièrement la Savoie : l'heureux arbitrage par Jean de Grailly d'un différend qui, en 1281, mit aux prises Philippe, Comte de Savoie, et Othon, Comte de Bourgogne (4).

Au mois d'octobre 1287, Henri II, roi de Jérusalem, confirme à Jean de Grailly la charge de sénéchal de Jérusalem que lui avait donnée son père Hugues III, avec les émoluments de 4.000 bezans sarrazins qui y sont attachés; et il le rappelle auprès de lui.

Le sénéchal désigne alors son fils Pierre comme son procureur général, lui confie l'administration de ses biens, et le charge de rembourser à Edouard Ier les 3.000 livres tournois représentant sa part contributive à la croisade, de 1270.

Puis, il s'embarque pour la Syrie. Il a toujours son titre de lieutenant général du roi de France dans les possessions d'Outre-Mer.

Il trouve, en arrivant, la situation très critique.

Dès la fin de la trêve de 10 ans, les Turcs ont repris l'offensive. L'émir Kilaoun (Kelaour-Malik-el-Mansour), devenu sultan en 1280, s'est emparé en 1282 de Mar-Kab, forteresse des Hospitaliers, au pays de Tripoli.

Le 30 avril 1287, Laodicée et plusieurs châteaux-forts sont tombés aux mains des Infidèles. Malgré les appels du pape aux souverains chrétiens, malgré la bonne volonté même des princes catholiques, les désastres des dernières expéditions, les frais considérables occasionnés par des entreprises de telle envergure donnent à réfléchir.

Les questions d'ordre politique retiennent l'attention en Europe, et chacun craint de gaspiller le meilleur de ses forces vers des buts lointains et problématiques. Si l'esprit de la croisade reste encore vivace, si beaucoup de princes se croisent encore, on ne rassemble en fait, ni fonds, ni troupes pour une nouvelle expédition.

Et, en définitive, c'est Jean de Grailly, seul ou à peu près, qui va prendre le commandement des troupes que Philippe-le-Bel, comme ses prédécesseurs, entretient encore à Saint-Jean-d'Acre.

Dès son débarquement, il doit intervenir dans des compétitions qui s'élèvent autour de la succession du comte de Tripoli, mort récemment sans descendance directe.

Chargé expressément par le Pape, de soutenir les droits à cette succession de la princesse Lucienne de Toucy, nièce du défunt, Jean de Grailly, malgré l'aide des Templiers et des Hospitaliers, ne peut empêcher l'entrée dans la ville de l'amiral gênois Benoit Zacharie que les bourgeois de Tripoli ont appelé à leur aide. Et la princesse est obligée de se replier avec ses défenseurs, sur Saint-Jean-d'Acre.

Pendant que les Chrétiens s'épuisent ainsi en luttes stériles, l'ennemi est à leurs portes.

Jean de Grailly et les Grands-Maîtres des trois Ordres attirent l'attention du Pape sur la situation angoissante des établissements chrétiens en Palestine, mais le Souverain Pontife ne peut leur envoyer de secours efficace, et il se borne à les engager à redoubler de vigilance. Le dénouement est dès lors inévitable.

Au printemps de 1289, le farouche émir Kilaoun reprend la campagne et vient mettre le siège devant Tripoli, capitale de la seule des quatre grandes principautés de Terre-Sainte encore debout. Il y a dans ses murs nombre de dames nobles de haute naissance parmi lesquelles les princesses Marguerite de Brienne-Beaumont, Lucie et Marguerite d'Antioche.

La place est défendue par Amaury de Lusignan, frère d'Henry, roi de Jérusalem et de Chypre, par le maréchal du Temple Geoffroy de Vansac, par le grand-maître de l'Hôpital, Mathieu de Clermont, par Pierre de Moncade, commandeur d'Acre, et par Jean de Grailly qui a eu le temps de venir au secours de la place, et de s'y enfermer avec les chevaliers et les sergents du roi de France.

L'ennemi a dressé contre les murailles 17 grandes catapultes, et 1.500 ouvriers ou soldats sarrazins minent la terre ou lancent le feu grégeois.

 La destruction de la vieille tour de l'Evêque et de la tour Neuve des Hospitaliers précipite le dénouement. Après un siège de 34 jours, aux dires de l'historien arabe Makrisi, la ville est prise le 21 avril et complètement démantelée. La plupart des seigneurs et dames de qualité, le maréchal du Temple, le commandeur de l'Hôpital, et Jean de Grailly ont pu échapper au massacre et se sont réfugiés à Chypre, Tyr et Saint-Jean-d'Acre.

Effrayés et désemparés, les Chrétiens cherchent à gagner du temps.

Henri de Lusignan réussit à conclure avec le sultan une trêve de deux ans et s'efforce de mettre à profit ce répit pour adresser un dernier appel au monde chrétien, en faveur de la Palestine, dont Saint-Jean-d'Acre est désormais la dernière citadelle.

Sur les conseils du Grand-Maître de l'Hôpital, c'est l'ancien diplomate du roi d'Angleterre, Jean de Grailly, que le roi de Chypre envoie en Europe pour y chercher du secours.

Accompagné des frères prêcheurs Hugues et Jean, du chevalier de l'Hôpital Pierre de Hezquam et du templier Hertrand, le sénéchal de Jérusalem arrive à Rome le ler septembre 1289.

Il apprend au Pape la prisa et la destruction de Tripoli. En dehors du secours en hommes et en argent, il demande plus particulièrement au Pape Nicolas IV l'envoi de 20 galères, armées et équipées pour servir un an, et destinées à la garde de la Terre-Sainte.

Pendant que le Pape fait le nécessaire pour préparer cette expédition, Jean de Grailly poursuit son voyage. Il passe en Savoie où il rend hommage au comte Amédée V; mais si Othon de Grandson et quelques chevaliers prennent la Croix, ainsi que Pierre de Vuippens et Pierre d'Estavayer, il ne trouve auprès dels souverains occidentaux que d'insuffisantes sympathies.

Cependant le Pape active les préparatifs de la flotte de secours. Un important mouvement de pèlerins se dessine, dont les Vénitiens fournissent la plus grande part.

Prête dans le courant de 1290, l'expédition part sous le commandement de Nicolas Tiepolo.

Jean de Grailly, nommé recteur du Comtat-Venaissin par le Pape, recevait alors en Provence l'hommage de Guigue Adhémar de Montel, Grand-Maître de la milice du Temple. Mais il ne tarde pas à se mettre en route, reçoit en passant à Rome des mains du Pape, 3.000 onces d'or, passe en Sicile où il obtient facilement du roi Jacques II d'Aragon cinq galères bien équipées, et cingle vers Acre.

Malheureusement, le corps de 1.500 à 1.600 hommes débarqué des galères pontificales, et composé surtout de mercenaires et d'aventuriers, mène à Acre une existence dissolue, brutale et pillarde. Au mépris de la trêve, ces gens ont-ils incursionné chez les Sarrazins, pillant et massacrant les habitants ? Toujours est-il que les Musulmans saisissent ce prétexte pour rentrer en campagne.

Khalid, fils du sultan Kélaoun qui vient de mourir, rassemble une armée formidable pour marcher sur Saint-Jean-d'Acre.

Le Grand-Maître du Temple, ami personnel du sultan, essaye de négocier avec lui pour sauver ses concitoyens et la ville, mais la populace l'accuse de trahison et il n'échappe qu'à grand'peine à sa fureur. Il faut bien cependant parlementer.

Quarante jours avant l'investissement de la ville, des ambassadeurs chrétiens sont envoyés au sultan qui les fait mettre à mort.

Lorsque ces nouvelles parviennent à Saint-Jean-d'Acre, un grand Conseil se réunit dans la cathédrale Sainte Croix, auquel assistent le patriarche de Jérusalem, Jean de Grailly qui commande pour le roi de France, Othon de Grandson qui commande pour le roi d'Angleterre, les Grands-Maîtres du Temple et de l'Hôpital, les principaux personnages de la cité, et un grand nombre de bourgeois et de pèlerins.

A la voix enflammée et vibrante d'énergie du patriache, tous s'engagent à oublier leurs querelles pour ne plus songer qu'au salut de la ville.

Saint-Jean-d'Acre, « porte des Lieux Saints », possède le port le plus vaste de la côte, protégé par deux jetées terminées chacune par une tour qui en défend l'entrée.

La ville, située sur un promontoire, est bâtie en pierres de taille, entourée de murs solides, renforcés de tours puissantes, élevées, et distantes entre elles d'un jet de pierre. Chaque porte est flanquée de deux tours, et, du côté de la terre, il y a double enceinte de murs avec des fossés très profonds.

A la nouvelle de l'approche des infidèles, les habitants se hâtent de faire passer dans l'île de Chypre, femmes, enfants et objets précieux. Beaucoup de citoyens timorés en profitent pour s'évader, malgré les ordres donnés pour les retenir. Nicolas Tiepolo lui-même, malgré les supplications du patriarche, s'en va des premiers avec une partie des forces qu'il a amenées. Il ne reste pour la défense de la ville que 12.000 hommes environ, « dont 5.000 à pied, et le demeurant à cheval, nobles batailleurs ».

Les templiers et les hospitaliers, renforcés des chevaliers de l'Epée et du Saint Esprit, se chargent de veiller sur toute la partie septentrionale des remparts, depuis la mer jusqu'à une haute tour carrée située à peu près au centre des fortifications, du côté de la plaine et nommée tour Maudite.

De ce point jusqu'à la mer vers le midi et le Carmel, sur les Tours et les ouvrages de Saint Nicolas, du Pont et du Légat, se trouvent Jean de Grailly et Eudes de Grandson, ayant avec eux les communes et tous les croisés.

La garde de la Tour du Roi qui est en avant de la Tour Maudite, se partage avant l'arrivée du roi de Chypre, entre les barons d'Outre-Mer et les chevaliers Teutoniques, qui alternent jour et nuit dans le service.

Les 24 heures de la journée sont partagées entre quatre chefs responsables du salut de tous : Jean de Grailly qui s'adjoint Othon de Grandson, le roi de Chypre secondé par le Grand-Maître des chevaliers teutoniques, le Grand-Maître des Hospitaliers et le Grand Maître des Templiers. La population s'emploie à s'approvisionner en vivres, à réparer ou à renforcer les ouvrages de la défense.

L'armée arabe, sous les ordres du sultan Khalid, commence le siège de Saint-Jean-d'Acre le 5 avril 1291. Elle a un effectif considérable qu'on peut évaluer à 200.000 hommes dont 140.000 fantassins et 60.000 cavaliers.

Pouvant se reposer facilement grâce à des relèves fréquentes, les assaillants ne laissent aucun repos aux assiégés. Ils disposent par ailleurs d'au moins cent machines de sièges, dont beaucoup ont été prises antérieurement aux Croisés.

Devant chaque tour, un millier de mineurs travaillent à en saper les fondements, tandis que quatre énormes catapultes lancent des pierres de plus d'un quintal ou d'énormes pièces de bois, qui jettent à terre des pans de murs, sans préjudice des traits, pots à feu, balles de plomb qui, nuit et jour, tombent sur les remparts et sur les tours.

La lutte est des plus inégales. Mais les Chrétiens se défendent avec une énergie et un courage qui forcent l'admiration des historiens arabes.

Par deux fois, au début du siège, ils ont même pris l'offensive, mais sans résultat décisif. La nuit, on répare comme on peut les murailles abattues et les brèches. De jour, les galères elles-mêmes participent à la défense. Mais le siège redouble d'intensité.

Le 4 mai, une lueur d'espoir. Quarante navires sont en vue. C'est le roi de Chypre qui arrive au secours de l'a place. On allume de grands feux de joie. Mais, hélas ! il n'amène avec lui que 500 hommes d'armes, secours insignifiant devant la multitude ennemie...

Dès le lendemain, le Sultan déclenche une attaque générale. Harassés de fatigue, accablés par le nombre, les défenseurs des remparts se replient. Une contre-attaque dirigée par l'héroïque maréchal de l'Hôpital, Mathieu de Clermont, refoule les Ottomans. Mais cette chaude affaire coûte aux assiégés 2.000 hommes. Les voici réduits à 7.000 défenseurs exténués pour tenir les deux kilomètres de murailles qui protègent la place du côté de la terre.

Plusieurs tentatives des Musulmans échouent encore, mais le 15 mai, ils réussissent à s'emparer de la Tour du Roi, bastion avancé de la Tour Maudite, qui depuis le début du siège supporte le gros effort de l'armée assiégeante. Ils y placent des troupes d'élite.

L'assaut décisif est donné le vendredi 18 mai, au lever du soleil. Les Sarrazins forment 150 colonnes d'assaut de 200 hommes chacune, soutenues par une réserve de 160 corps du même effectif. L'attaque porte sur tout le front des remparts, d'une rive de la mer à l'autre.

La barbacane du roi Hugues et la Tour du Roi Henri tombent les premières, après une lutte acharnée. De nouvelles colonnes réduisent la Tour Maudite. Le flot des assaillants se précipite alors par le pont de pierre construit par les Chrétiens pour passer du rempart à la barbacane, tandis que 300 tambours à dos de chameau, battent la charge sans trêve, sans préjudice des « timbales, trompettes et de mille autres instruments qui couvrent la ville assiégée d'une immense et assourdissante rumeur. »

Le roi de Chypre, les Maîtres du Temple et de l'Hôpital, Jean de Grailly et les autres combattants se portent au point menacé où la lutte atteint son maximum d'intensité. Le maréchal de l'Hôpital, Guillaume de Clermont est tué.

Le Grand-Maître du Temple, Guillaume de Beaujeu, tente une diversion et, par une manœuvre désespérée, essaye d'attaquer le camp musulman. Il est rejeté aux pieds des remparts et tué avec 500 de ses chevaliers.

Il est trois heures du soir. Démoralisés, épuisés, les Chrétiens commencent à lâcher pied et à fuir « abondamment » vers le port, afin de trouver un refuge sur les vaisseaux.

Les infidèles peuvent ainsi franchir la dernière enceinte au moyen d'échelles. Mais il faut encore emporter un par un, les dix-sept quartiers de la ville qui forment autant de forteresses. Les assaillants se ruent bientôt, les uns à la porte Saint Nicolas, les autres à la porte du Légat qui constituent les deux grandes voies d'accès vers le quartier sud.

Poursuivant leur marche victorieuse, ils envahissent le quartier de San Romano, incendient une grande machine de guerre édifiée par les Pisons, et occupent Saint-Linart.

En même temps, à l'extrémité méridionale, près de la plage de Caïphas, les Musulmans s'attaquent à la Tour du Légat « qui est sur mer ». Elle est défendue par Jean de Grailly et Othon de Grandson.

Il faut tenir là, le plus longtemps possible pour éviter que les Musulmans ne puissent couper la seule ligne de retraite qui reste aux Chrétiens pour atteindre les vaisseaux. Cette partie de la défense est heureusement complétée par des chevaux de frise de contre-escarpe qui s'avancent jusque dans la mer et arrêtent longtemps; la cavalerie sarrazine.

Un sanglant combat se livre autour de ces positions. Mais il faut céder. La petite troupe de Jean de Grailly recule la dernière et bat en retraite vers la tour des Mouches. Son chef est blessé. Othon de Grandson dirige alors la retraite et assure l'embarquement des survivants et des blessés sur la flotte chrétienne.

Après un siège de 44 jours, Saint-Jean-d'Acre est aux mains des infidèles.

Jean de Grailly séjourne au royaume de Chypre pendant deux ans et revient en France vers 1293.

 Il n'y trouve pas la tranquillité qu'il pouvait espérer après ces dures épreuves, car ses possessions de Guyenne sont menacées par les Français. Malgré son grand âge, il soutient dans sa bastille de Cadillac un siège héroïque. Mais il ne s'obstine pas dans la lutte.

 Attiré sans doute par les souvenirs de son enfance et du pays natal, il revient en Savoie, où le 1er mars 1295, il rend hommage au comte de Savoie pour ses fiefs de Grailly, Rolle, Bougy-Villars, Prangins, Arnex et Trélex.

Il n'y reste pas longtemps, car le pape Boniface VIII, qui n'oublie pas les héros de la guerre de Palestine, lui confie, comme l'avait fait, son prédécesseur, le gouvernement du Comtat-Venaissin.

Jean de Grailly ira encore en Angleterre, en Gascogne...

Mais — contrairement à ses successeurs qui délaisseront quelque peu leurs fiefs patrimoniaux — lorsque le sénéchal voit approcher l'heure de la mort, c'est encore vers la terre natale que se tournent une dernière fois ses regards.

Atteint par la maladie (« in aegritudine positus »), il rédige son testament le 6 juin 1303 (5), à Grenade-sur-Garonne, près Toulouse, et spécifie que c'est à l'abbaye de Bonmont (6), dans le tombeau de ses ancêtres, que ses ossements devront, en définitive, reposer à perpétuité. (« ejus ossa exhumentur et differentur ad dictam abbatiam Bonimontis, et ibidem sepelliantur in sepultura aliorum parentum et predecessorum perpetuo inhibi remansura. »)

« Dans le récit du templier de Tyr, qui fut en mai 1291, le compagnon d'armes du sénéchal, la figure de Jean de Grailly apparaît comme celle d'un des plus nobles héros de notre histoire ; figure que nous avons d'autant plus le droit d'évoquer que, dans ce dernier combat pour la France du Levant, il représentait personnellement le roi de France. Grâce à lui, et malgré l'échec de la mission de Rabban Gauma auprès de Philippe-le-Bel, la France ne fut pas absente à l'heure suprême. » (7)

La Savoie peut être fière d'un tel fils !

 

 

 

Lieutenant-Colonel de GRAILLY.

 

14 octobre 1066 - Les Chevaliers du Poitou à la conquête de l’Angleterre avec Guillaume le Conquérant. <==

1270 Départ de Louis IX et Alphonse pour la croisade <==

==> En 1363, le prince de Galles parcourt sa nouvelle principauté d'Aquitaine pour recevoir les hommages féodaux.

 


 

(1) Gallia Christiania. Preuves du tome IV, p. 79.

(2) Ce seront encore les armes de Jean III de Grailly, captai de Buch, qui fut fait prisonnier à la bataille de Cocherel, et qui compte parmi les ancêtres de Henri IV. Le sceau trouvé vers 1860, à Grésy-sur-Aix, qui 'lui a été attribué à tort (Revue Savoisienne 1860, 1863, 1874) est celui d'une branohe cadette, restée exclusivement savoyarde, celle des Grailly, de Ville-la-Grand,

(3). Cit. Le règne de Philippe III le Hardi, par C. V LANGLOIS, Paris, 1887 — et surtout les Rôles Gascons, de C. BÉMONT, en particulier l'importante notice sur Jean de Grailly insérée dans la préface du Tome III.

(4). Cf. P. Fournier : Le royaume d'Arles et de Vienne, Paris 1891, p. 242 et suiv. Edg. BOUTARIC : Marguerite de Provence, 1868, in-8° — et les Lettres de rois, reines, etc., extraites de la collection Bréquigny, par Champollion Figeac, où figurent plusieurs lettres de la reine douairière Marguerite de Provence, veuve de Saint Louis, particulièrement élogieuses pour Jean de Grailly.

(5). Ce testament est conservé aux archives départementales du Tarn et Garonne. (Fonds d'Armagnac. Somme de l'Isle. F° 1.060 et seq.).

(6). Une des 9 abbayes de l'Evêché de Genève, à deux lieues N.-O. de Nyon, ou se trouvait la sépulture des anciens seigneurs de Grailly.

(7). Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, René Grousset, Paris. Plon. 1936. Tome III, p. 7701 et 772.

 

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