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PHystorique- Les Portes du Temps
17 juillet 2023

Point de vue historique à 360° du Plateau de Châlus

Point de vue historique à 360° du Plateau de Châlus

Le plateau de Châlus comprend toutes les sources des rivières ou ruisseaux naissant au pied des collines qui entourent Châlus, et, si on veut le limiter graphiquement, il suffit de tracer un arc de cercle ayant pour centre Châlus et passant par Pensol, Miallet, Ladignac, Rilhac-Lastours. Gorre et Cussac. Cet arc de cercle englobe les sources de la Colle, du Bandiat, de la Dronne, de la Côle, de la Yalouze, de l'Aixette, de la Tardoire et de tous les affluents et sous affluents de ces rivières.

 

CHAPITRE I

Époque Gallo - Romaine

Je n'ai pas l'intention de m'étendre outre mesure sur l'époque gallo-romaine dans le plateau de Châlus, parce que, à vrai dire, les documents manquent : seuls les édifices, les routes, permettent de faire quelques hypothèses, car pour cette période de l'histoire dans notre région, on en est réduit aux conjectures.

Et pourtant, il faut nous hâter, si nous voulons jeter un regard sur ces débris de monuments qui tombent sous le poids des siècles ; eux seuls peuvent nous dire quelque chose du passé, dont ils ont été les témoins, et l'on n'a pas toujours pour eux le respect que l'on doit aux vieillards et à la tradition.

Sans doute, on trouve encore quelques restes, quelque muraille isolée ou quelque pan de mur à petit appareil ou à appareil incertain: parfois ces vestiges sont recouverts d'un enduit moderne qui n'a rien d'artistique, mais « peu importe, le type de l'édifice subsiste au milieu des constructions postérieures. »  (1)

Au travers des champs, on rencontre quelquefois une bande rectiligne où le blé est plus clair et moins élevé, dans la même direction et plus loin, ce sera un chemin, dont une partie sera encore empierrée, puis plus loin encore, dans une prairie, on verra un terrain en saillie : ce seront les traces de quelque voie romaine.

Un jour viendra, et prochainement, peut-être, où il ne restera de ces débris, que l'histoire contée par ceux qui, violant la sépulture du passé, vont lui poser des questions jusque dans la terre, où il s'ensevelit tous les jours plus profondément.

 Et pourtant, comme il est intéressant, vivant dans un pays, de se rendre compte de l'importance qu'ont eue jadis ces lieux aujourd'hui dénudés, et de l'activité qui a régné dans ces endroits devenus solitaires, où l'on ne trouve plus que quelques tuiles romaines éparpillées par ci par là.

Quel plaisir il y a à redire les exploits de ces ancêtres de la Gaule Chevelue !

Avant la conquête romaine, la Gaule n'était qu'une vaste forêt : nous savons que Saint Junien est bâti sur l'emplacement de l'ancienne forêt de Comodoliacum et à voir combien de nos jours le plateau de Châlus est encore boisé, on est en droit de penser qu'avant l'arrivée des Romains il n'était qu'une futaie gigantesque.

Les vallées furent défrichées les premières, puis le déboisement prit au moyen âge des proportions inquiétantes (2), on raconte même que là où la cognée était trop lente, on avait recours à l'incendie.

 On s'étonne aujourd'hui du nom prétentieux de forêt donné à des bois de dimensions restreintes et les étrangers au pays sourient volontiers, quand ils nous entendent parler des forêts de Courbefy, de Boubon ou de Cromières.

Il est bien certain que ces forêts ne pourraient rivaliser avec la forêt de l'Argonne, par exemple, mais il faut se rendre compte qu'il n'y a là que des restes de forêts qui ont eu leur importance : le nom a subsisté et la chose tend de plus en plus à disparaître.

Au milieu de ces bois mystérieux, on rencontrait le buis, bois sacré, et nos ancêtres avaient pour le guy, cette plante parasite qui s'attache au chêne, un respect, dont Pline fait mention.

C'est là, dans ces forêts antiques que s'élevaient les dolmens ou autels druidiques, sur lesquels les prêtres célébraient leurs sacrifices humains, puisque le sacrifice des hommes était l'essence de leur religion.

Dans le plateau de Châlus, il y a plusieurs dolmens ou pierres levées, seuls monuments que nous aient laissés les gaulois, ce qui permet de supposer, ou qu'il y avait dans la région une population assez nombreuse, ou ce qui est plus en rapport avec le caractère des gens du pays, que chaque bourg ou agglomération tenait à avoir son dolmen à lui.

Bien plus, le buis subsiste encore, on le trouve généralement dans les endroits appelés Bussière ou Buxerolles et il n'est pas rare de rencontrer à côté de lui, des tuiles à rebords, témoins d'une agglomération qui n'existe plus (3).

C'est aussi au milieu de ces forêts que chaque année les Gaulois se réunissaient en comices pour délibérer sur leurs affaires à la fois politiques et religieuses et les Romains, politiques avisés, se gardèrent bien d'interdire ces assemblées, mais ils s'en rendirent maîtres par des faveurs susceptibles d'attirer les Gaulois.

Là où il n'y avait que des maisons de bois et des toits de chaumes, ils construisirent des théâtres, des hôtelleries, des balnéaires, comme l'ont prouvé les magnifiques fouilles de Sanxay du père de la Croix.

Et ces assemblées de Gaulois d'abord et de Gallo-Romains ensuite furent, à n'en pas douter, les débuts de nos frairies qui, au moyen-âge, tinrent leurs assises le jour de la fête du saint de la paroisse.

Les Gaulois, d'après Potybe, habitaient « des bourgs » sans murailles, manquant de meubles, dormant sur » l'herbe ou sur la paille » : dans une récente communication à l'académie des inscriptions, le commandant Espérandieu, directeur des fouilles d'Alesia, annonce que les derniers travaux ont permis de reconstituer des huttes gauloises qui n'étaient ni en pierres sèches ni en chaumes, mais en terre cuite.

 Sur un clayonnage servant de charpente, les Gaulois mettaient, paraît- il, une couche d'argile à brique et ils faisaient cuire le tout par un feu extérieur et intérieur.

A côté du bourg ou même au centre du bourg était l'oppidum, sorte de place d'alerte, où chacun s'assemblait en cas de danger.

Aujourd'hui, il est assez difficile de différencier l'oppidum du camp romain : chez les Gaulois, l'oppidum parait avoir été un camp stable et il semble qu'ils aient fait les retranchements en pierres sèches, au lieu que chez les Romains, le camp était un endroit de passage ou de séjour et les fortifications étaient en terre.

Le camp romain est le plus souvent rectangulaire, les fossés qui l'entourent sont larges, ce qui prouve que les remparts faits avec le déblai devaient être élevés ; l'oppidum affecte la forme du terrain et est le plus souvent oval.

Puis les Gaulois apprirent beaucoup des Romains dans l'art de la guerre, ils reconnaissaient leur supériorité et ils les imitèrent.

M. de Verneilh-Puyrazeau pense que Courbefy fut un oppidum gaulois, et il base son opinion sur ce fait, qu'on ne trouve aucune tuile romaine à Courbefy ; M. l'abbé Arbellot est du même avis et il estime que les fossés gigantesques qui entourent Courbefy n'ont pas été creusés en vue du château, mais que ce sont des retranchements celtiques « utilisés par le moyen-âge pour rendre plus difficile l'accès de la forteresse que l'on a élevée sur ce point ».

 Il est même plus que probable que le château de Courbefy dont les ruines actuelles ne semblent pas antérieures au XIIe siècle a succédé à une villa gallo-romaine.

 Dire qu'il en est de même de tous les châteaux féodaux du plateau de Châlus ce serait téméraire, mais il est probable que certains d'entre eux ont remplacé des villa fortifiées avec mottes et donjons en bois et que ces villas fortifiées succédaient elles-mêmes aux villas avec domaine agraire et vastes dépendances sans enceintes.

Du temps des Romains, la villa était le lieu de plaisance de quelque patricien et le jour vint où les successeurs du patricien éprouvèrent le besoin de s'isoler et de se fortifier.

 Ce qu'il y a de curieux à Courbefy, c'est que l'on ne trouve pas seulement les ruines du château, mais aussi d'une agglomération ; d'ailleurs, au moyen âge, Courbefy était paroisse, contrairement à Ségur qui « a été longtemps un castrum renfermant une simple chapelle et qui ne fut érigé en paroisse qu'en 1749 » (4)

La tradition populaire veut qu'il y ait eu à Courbefy une véritable ville appelée « Lebbret », nous verrons plus tard que ce nom de Lebbret doit être une corruption de d'Albret et devait désigner au XVIe siècle le groupement formé par le château de Jeanne d'Albret et les habitations de ses tenanciers : ceci est d'autant plus probable que la tradition a conservé un souvenir touchant de Jeanne d'Albret.

Mais si la ville de Courbefy ne s'appelait pas Lebbret, elle n'en existait pas moins et portait le nom de Leucus.

 Voici à ce sujet un passage de la vie de saint Waast par un anonyme qui, d'après M. Deloche, a dû être écrite avant 667 :

« Il existe en Aquitaine une montagne qui se pare par une distance à peu près égale, les cités de Périgueux et de Limoges.

Cette montagne est grande et occupe une vaste étendue de terrain en long et en large, et, par sa hauteur, elle pénètre presque les nuages, s'ils sont lourds et épais. Sur son sommet, dans les temps anciens et les âges passés, il existait une cité ou un castrum (on ne sait lequel) dont les vestiges ruinés et les vastes débris démontrent la grandeur et les magnifiques fortifications.

Cette montagne portait dès lors, comme aujourd'hui, le nom de Leucus, qu'elle a donné à ce castrum ; et les peuples de cette contrée qu'on appelle Leuques (Leuci) forment une portion considérable de l'Aquitaine qui s'étend jusqu'à l'Océan. » (5)

— Ainsi donc la tradition, les documents et aussi les vestiges qui restent à Courbefy sont d'accord pour témoigner que Courbefy ou Leucus a eu son importance à l'époque gallo-romaine.

L'oppidum gaulois de Courbefy n'est pas le seul de la région. Il faut aussi dire un mot de la redoute de Coligny qui se trouve un peu au sud ouest de Pensol, à l'endroit où se réunissent les deux sources du Bandiat, cette rivière aux sinuosités pittoresques, qui coule lentement dans la vallée sauvage, qui semble la retenir prisonnière.

La situation et la forme des retranchements permettent de croire qu'il y a là un oppidum remontant aux époques les plus reculées, et que cet oppidum, s'il a été utilisé par Coligny, ce qui est très vraisemblable, comme nous le verrons plus tard, n'a jamais été édifié par lui.

 Comme le dit M. Boissot, dans le Bulletin de la Société des Amis des sciences et arts de Rochechouart : (6) « Ce qui n'eût pas été un refuge pour une armée à effectif relativement important, devait être, au contraire, un abri sûr pour la petite tribu gauloise ; et, quand du haut de la redoute, regardant le midi, l'oeil mesure la profondeur de la vallée, qui décrit un demi cercle autour du coteau, on conçoit que nos mystérieux ancêtres devaient dormir tranquilles, pour peu que quelques-uns d'entre eux montassent bonne garde sur les bords de leur fossé oriental. »

Dans tous les cas, on retrouve à la redoute de Coligny toutes les apparences de l'oppidum gaulois, et, à en juger par les éboulis qui sont dans le fossé, on peut être convaincu que ces retranchements élevés étaient en pierres ; or, Coligny n'eût pas fait de fortifications en pierres, et nous verrons plus tard pourquoi il a utilisé comme avant- poste et non comme campement, une redoute qu'il avait trouvée toute faite.

Certes les murs en pierre n'existaient plus en 1569, mais le fossé existait encore et surtout la position stratégique n'avait pas changé ; c'était un endroit inabordable pour une troupe.

Je n'ajouterai qu'un mot, c'est que le chemin qui va du moulin de Pensol à Vitrac d'un côté, et de l'autre sur La Chapelle-Montbrandeix, me paraît être un chemin de la plus haute antiquité ; ce chemin longe la redoute et pourrait indiquer que l'importance de la redoute de Coligny est fort ancienne.

Il en est de même des camps retranchés de la Rue près de Dournadille (7) et de Ferrasse près de Latérie (8). Celui de Ferrasse appelé aussi camp des Rudelles est un des plus vastes et des mieux conservés du Limousin et M. de Verneilh-Puyrazeau n'hésite pas à y reconnaître un oppidum gaulois (9). M. l'abbé Lecler en a donné la description dans sa monographie de Saint-Mathieu « l'aspect » qu'il représente, dit-il, est réellement majestueux ; la » silhouette de ces deux enceintes domine tout le pays ».

La Gaule avait été sur le point de triompher des armées romaines ; un moment l'union sous un seul chef, Vercingétorix, avait failli amener la victoire : on sentait qu'à Alésia le sort de la Gaule et de Rome allait se décider.

Mais le manque d'ordre au combat, peut- être l'indiscipline de la noblesse gauloise, peut-être aussi les hésitations de ceux qui vinrent au secours de Vercingétorix, furent cause de la défaite de nos ancêtres.

Dès lors, il fallut plier sous le joug et accepter l'asservissement.

Les Romains en apprenant à admirer leurs adversaires sur le champ de bataille, avaient aussi appris à s'en méfier, et la conquête fut suivie d'une surveillance militaire peu facile dans un pays sans communications.

Les légions romaines sillonnèrent la Gaule, car ce n'est guère que sous le règne de Constantin, que les troupes commencèrent à tenir garnison, et comme au point de vue géographique le plateau de Châlus était un point important de l'Aquitaine, il ne fut pas dédaigné par les cohortes romaines.

D'abord, pour dicter des lois à la Gaule, il fallait la rendre plus accessible, il fallait des routes, et tandis que les légions épiaient les faits et gestes de nos ancêtres à demi soumis, elles surveillaient aussi les travailleurs occupés à ces oeuvres gigantesques qui ont résisté au temps et à ces édifices aux fondations pénétrantes, dont on trouve encore des vestiges.

On eût dit que « Rome voulait faire » prendre racine à sa domination » (10).

Mais ces voies, ces chaussées, ne se sont pas construites en un jour, et avant qu'elles soient faites, quels pouvaient être les moyens de surveillance du vainqueur au travers d'un pays difficile et boisé comme le plateau de Châlus ?

Les fonctionnaires de la Rome puissante étaient-ils isolés ou abandonnés à leur propre sort dans ces montagnes aux forêts gigantesques ?

Non, les Romains n'allaient pas ainsi à l'aventure et César nous apprend qu'il y avait un système de liaison ou de correspondance : « Ignibus signijîcatione facta ex proximis castellis » (11) : ou faisait des signaux à feu de castrum à castrum ou de castellum à castellum. Pline est non moins explicite à ce sujet (12) et il nous apprend que l'emploi du feu comme agent de transmission chez les Romains antérieur à César, est devenu très fréquent après lui : il ajoute que des postes télégraphiques à signaux de feu furent établis dans tout l'empire, partant de Rome, traversant les Gaules, l'Espagne, etc.. et qu'ils formaient une ligne de trois mille lieues traversant quinze cents villes.

Et quand au Puyconieux, un des points culminants de la région (13) d'où l'on voit les montagnes de Blond. Etagnac. Courbefy. Limoges et une partie du Périgord, on trouve de la tuile romaine et des débris de carrelage, on est tenté de se demander si, au sommet de la colline, il y a eu, comme au Puy de-Dôme, un temple à Mercure, une mansio ou caserne, ou plus probablement une station de télégraphie aérienne mettant en relation Augustoritum (Limoges) Cassinomagus (Chassenon) Leucus (Courbefy) et Champs-Romains.

 Car si Cassinomagus est en dehors des limites que nous avons données à notre étude, il ne faut oublier ni sa proximité du plateau de Chàlus, ni son importance : « Cassinomagus qui primitivement n'était qu'une simple bourgade, devint sous la domination romaine un centre très important.

 En effet cette ville avait une superficie de 50 à 60 hectares et possédait un temple dédié à Diane, un palais dit de Longeas, des thermes, un théâtre, en un mot tout ce que comporte une civilisation avancée » (14).

Il est donc certain que les Romains se sont servi des signaux à feu et on peut être sûr qu'ils les ont employés dans notre région difficile, qui s’y prêtait si bien.

La tradition des signaux à feu s'est conservée dans les villages qui sont à proximité du Puyconieux, mais cette tradition ne remonte pas à l'époque gallo- romaine, elle remonte tout simplement à 1839, époque à laquelle le Puyconieux a été malgré lui, un des points importants pour l'établissement de la carte d'état- major.

Je dis malgré lui, car le colonel Broussaud raconte que pendant quarante jours, le Puyconieux lui joua le mauvais tour de se dissimuler dans les brouillards et dans les nuages et de ne pas laisser apercevoir les signaux à feu que l'on guettait en vain des hauteurs de Cognac (15).

 De ce point les conquérants des gaules pouvaient donc correspondre à dix lieues à la ronde, il suffisait de mettre le feu aux matières inflammables, dont était chargé le tube signal.

Les voies romaines étaient impériales, consulaires, militaires, urbaines, vicinales ou agrariac ; il y avait même l'iter et le sentier ou semita (16).

On est parfois surpris que ces chaussées romaines aient résisté au temps et que de nos jours encore, on en trouve des vestiges.

Voici comment, d'après Bergier, étaient construites ces grandes voies de communication (17) : « On creusait, dit cet archéologue, le sol naturel à une certaine profondeur ; dans cette tranchée ayant la largeur exacte de la voie à construire on rangeait un lit de pierres noyées dans une couche de mortier, ce qui formait un tout résistant d'environ un pied d'épaisseur : c'était le pavimentum et le statumen.

Au-dessus venait une autre couche de moindre épaisseur, formée de petites pierres et débris de tuiles et de briques battus fortement avec du ciment. » C'était le second lit ou rudus.

 Au- dessus on établissait un lit de terre glaise d'un pied d'épaisseur, consolidée à l'aide du pilon et destinée à préserver les couches inférieures de l'infiltration des eaux pluviales... c'était le nucleus ou noyau du massif, qui sur d'autres points, était formé d'un mélange de chaux, de craie et de terre battues ensemble et couronné par un lit de cailloux de six pouces d'épaisseur liés par du mortier.

Cette dernière assise était la somma crusta ou summum dorsum, disposée en dos d'âne pour l'écoulement des eaux.

 Le tout avait environ trois pieds, soit un mètre d'épaisseur. M. de Longuemar, à qui j'emprunte cette citation, ajoute que ce mode de construction subissait parfois d'importantes modifications, et dans notre région les Romains comme ailleurs, utilisaient les matériaux qu'ils avaient sous la main ; il est même plus que certain que les voies romaines du plateau de Châlus assises sur le granit ou la serpentine durent être faites d'une façon plus simple et plus économique que celles dont parle Bergier.

D'après les tables de Peutinger, une seule voie romaine aurait traversé le plateau de Châlus : celle de Limoges à Périgueux ; il est vrai de dire que la région comprise entre la Loire et la Gironde lut peu favorisée au point de vue des voies romaines.

Mais les tables de Pentinger ont indiqué les voies principales et non toutes ; on peut donc dire que la voie Limoges Périgueux était la plus importante, qu'elle était impériale ou consulaire, mais on peut dire aussi qu'il y a eu d'autres chaussées romaines dans le plateau de Châlus.

Où passait la voie Limoges Périgueux ? Ici les avis sont partagés.

D'après M. Lièvre, elle passait à Châlus et Firbeix où se trouvait la limite des deux diocèses avant la » Révolution, mais, dit-il, cette limite elle- même ne paraît dater que du VIIe siècle, époque à laquelle le territoire de Jumilhac le Grand fut enlevé aux évêques de Limoges pour celui de Périgueux » (18).

D'autres archéologues pensent que la voie Limoges-Périgueux ne passait nullement à Firbeix mais au pied de Courbefy. Les uns veulent que le Fines de la carte de Peutinger soit Firbeix, les autres Courbefy (Curvi Fines).

M. l'abbé Arbellot a opté pour Courbefy et s'il pense que la voie romaine passait à l'ancien Leucus, il y voit un indice dans ce fait qu'en 1649, Courbefy était encore gîte d'étapes.

 Je n'ai pas qualité pour prendre part à la controverse, je dirai seulement que je me range de l'avis de ceux qui font passer la voie romaine à Courbefy, près de Vieillecour et à Bussière Calant. Car les noms de Firbeix et de La Coquille n'ont rien de Romain et en; 1789 La Coquille n'était même pas paroisse et dépendait de Sainte-Marie-de Frugie ; de plus je crois voir autour de Vieillecour, Loubatour, Puyssibot, non pas des preuves mais des indices qui permettent de supposer que c'est là que passait la grande chaussée.

 Dans son livre sur Miallet intitulé Autour de mon clocher, M. Brouillet dit ceci : « Il existe  encore de nos jours une voie romaine se dirigeant de Périgueux à Limoges, elle passait par Saint-Jean, Beaudoin, la Baudrigie, les Bordes et Firbeix ».

 Je ne partage pas l'avis de M. Brouillet et je crois que si le chemin dont il parle et qui porte le nom de Pouge pendant près de 40 kilomètres, n'a jamais été une voie romaine, il remonte à la plus haute antiquité et qu'il allait de Thiviers à Chassenon et Confolens par les Bordes, les Trois-Ceriziers, le Puyconieux, la Mazorie, la Terminière, le Moulin du Pont, Bussac et Rochechouart.

 Ce chemin attire forcément l'attention par son aspect rectiligne, sa situation sur les plateaux, suivant sans cesse la ligne des crêtes, comme pour éviter une embuscade et surveiller en même temps les vallées de la Charente, de la Tardoire de la Dronne, du Bandiat ou plus généralement les vallées de la Vienne et de la Garonne permet de supposer qu'il y a eu là un iter militaire d'une importance considérable.

Nous verrons que vers 1830, lorsqu'on a fait la route de Saint-Mathieu à Séreilhac, bon nombre de communes avait manifesté le désir que le tracé de la route passât par Cussac et la Terminière, empruntant ainsi la Pouge en question : de grosses influences firent échouer ce projet plus rationnel et moins coûteux et le peuple appela par dérision la nouvelle route la « route des châteaux ». (19)

Quand j'ai étudié le plateau de Châlus au point de vue militaire, j'ai parlé d'un chemin qui, partant du Puyconieux, se dirige en ligne droite vers les Trois Ceriziers où il disparait, mais si l'on a soin de suivre sa direction, on s'aperçoit qu'il a été détruit pour faire place à la grande route, Limoges, Nontron, Ribérac, Bordeaux, et qu'il reprend un peu plus loin à la Chapelle Verlaine pour se diriger vers Champs-Romains.

Ce chemin passe à la  Bussière Alontbrun où l'on rencontre des vestiges gallo-romains, de plus ce qui rendrait plausible l'hypothèse d'une voie romaine secondaire allant sur Champs-Romains, c'est l'importance qu'à eue autrefois cette localité.

 La tradition rapporte qu'une bataille sanglante a eu lieu à Champs Romains et « ce qui est encore plus légendaire, que les eaux de cette petite rivière (la Drônne) devinrent rouges par la quantité de sang répandu, qui s'écoula sur ses rives » (20).

Enfin je signale aux archéologues, un chemin fort c:urieux qui évite un des coudes de la route de la Boissounie à Champsac, ce chemin à empierrements de serpentine parfaitement conservés, a tout l'aspect d'un tronçon de chaussée romaine.

Avec les légions romaines, commence à apparaître en Gaule une idée nouvelle et je dirai même une société nouvelle « pleine d'avenir, dit Guizot, d'un avenir orageux « mais puissant et fécond » : c'est le christianisme.

 Je sais bien que l'on n'est pas d'accord pour savoir si c'est au 1er ou au IIIe siècle que saint Martial a évangélisé l'Aquitaine, mais ce que l'on ne peut nier, c'est qu'il y avait des chrétiens en Aquitaine avant le IIIe siècle, et que saint Eutrope fut envoyé dans les Gaules par saint Clément, qui vivait au commencement du IIe siècle : or pour aller à Saintes, saint Eutrope a traversé l'Aquitaine et il y a certainement prêché la parole divine.

Le christianisme qui réprouve le sang, prêche la charité, l'humilité, et le pardon allait se trouver en présence du paganisme aux dieux multiples, qui réclamait le sang humain et flattait les passions.

 Tout d'abord le christianisme dut sinon se dissimuler, du moins ne pas attirer l'attention, et la cella ou chapelle fut modeste et de médiocre apparence, puis les ressources étaient faibles.

Peu à peu le christianisme l'emporta, ce fut au tour des Druides de se cacher, et tandis que la société civile marchait à pas de géant vers une décadence certaine, l'Eglise allait prendre une influence énorme : comme on l'a dit, les successeurs de Pierre allaient remplacer les Césars et sauver en même temps « la société d'une destruction totale ».

Le christianisme prend de l'extension, il se rue sur les temples, brise les statues de Jupiter et de Mercure, mais il est pauvre et n'osant construire des sanctuaires à son Dieu, il trouve dans les temples païens qu'on est en train de détruire une ressource inespérée.

Il arrête de son bras puissant et déjà respecté, les démolisseurs, qu'il avait aidés d'abord, il renverse seulement les idoles, purifie le temple, et, à la place de Vénus il place l'image du divin crucifié.

Tels sont les débuts du christianisme en Gaule.

Des souvenirs de cette époque, rien ne reste dans le plateau de Châlus, il se pourrait pourtant que l'Eglise de Cussac ait été construite sur l'emplacement et avec les matériaux d'un ancien temple.

 Extérieurement, derrière le choeur, on trouve de la tuile romaine et on peut remarquer à la base du chevet des pierres cubiques toute salpétrées et angles émoussés ; ces pierres ont environ om, 35 de côté, ce n'est pas le petit appareil, qui permettrait à coup sur de vieillir l'Eglise, c'est plutôt ce que M. l'abbé Bourassé appelle l'opus incertum, et qui ne nous autorise à la placer que vers le VIIIe siècle.

J'ajoute que l'Eglise de Cussac est dédiée à saint Pierre, vieux vocable très significatif par lui-même. Et il y aurait bien des probabilités pour qu'il y ait eu à l'emplacement de l'Eglise un temple, car Cussac paraît avoir été une station romaine, la tuile romaine se trouve encore à la Jalade qui n'est pas très éloignée du sanctuaire.

Peut- être d'autres Eglises du plateau de Châlus contiennent-elles encore des vestiges gallo-romains dissimulés sous quelque chatoyant badigeon, on ne peut guère s'en rendre compte que lorsqu'on fait des restaurations.

Le christianisme moins persécuté commença à bâtir des temples modestes : «une nef unique sans voûte ni transept, fenêtres étroites et percées au sommet des murailles, pas de contreforts, toiture surbaissée, une petite bertrèche en guise de clocher», tels sont les caractères architectoniques des Eglises antérieures au XIe siècle tels qu'ils sont donnés par M. Ledain.

 

La Société.

— On le voit, les renseignements sur cette période lointaine de notre histoire ne sont pas nombreux, mais ce dont on peut se faire une idée par les chroniques ou autrement, c'est de la vie de la société à cette époque.

D'abord, au-dessus de tout et même du vicomte de Limoges, à origine obscure, et, dont nos ancêtres ont entendu parler ou qu'ils ont même pu voir à Châlus, il y a l'évêque.

 L'évêque devait être connu, parce que, en ces temps d'apostolat s'il en fut, il devait cheminer souvent sur les anciennes voies romaines ou sur les chemins battus, pour aller évangéliser quelques points de la cité ou civitas.

 Cet évêque est puissant, ses domaines sont vastes, car ainsi que le constate M. Leroux (1), il est curieux de voir qu'au milieu de tous les bouleversements et morcellements du territoire, « la province ecclésiastique de Bourges, la plus étendue qu'il y eût en France au Moyen Age », a conservé, sauf deux exceptions et jusqu'à la fin du XVIIe siècle, les limites de la province romaine.

Cela est si vrai qu'en 415 le pape saint Innocent écrivait à Alexandre, évêque d'Antioche, pour lui dire que l'Eglise n'avait pas à suivre tous les changements du gouvernement temporel : l'Eglise les a peu suivis, et il y a encore bien des analogies entre la civitas lemovicensis et le diocèse de Limoges tel qu'il est aujourd'hui.

Nous verrons successivement s'accroître la puissance des évêques, qui tendront de plus en plus à devenir « des principaux du royaume » : et puis ils étaient les élus du peuple, et cela contribuait certainement à leur donner une influence morale sans égale.

Sous l'autorité de l'évêque sont les pasteurs ; ils peuvent être comparés aux disciples, et, si l'origine des cures est quelquefois obscure, il faut se souvenir que dans le mansus indominicatus, ou, pour mieux dire, dans la réserve du seigneur, il y a le plus souvent un oratoire.

 Ces oratoires existaient déjà depuis quelque temps, puisqu'au Concile d'Orléans en 510, et à celui de Chalons en 650, les assemblées épiscopales s'occupent de la conduite à tenir vis-à-vis des oratoires fondés par les seigneurs dans leur villa (22).

 Cet oratoire est le plus souvent devenu une église, chacune d'elles recevra une dotation en terre qui sert à l'entretien du prêtre (23), et l'on peut dire que beaucoup de nos communes actuelles ont pour limites les limites d'anciennes villas et que beaucoup de nos églises sont d'anciens oratoires de villas gallo-romaines.

 La paroisse déjà ancienne de fait allait avoir une situation plus officielle, elle allait être l'intermédiaire entre le peuple qu'elle émancipera et protégera toujours, et les hauts barons.

 Et aussi l'église de cette époque n'est pas seulement le lieu de la prière, elle est encore un lieu d'assemblée où se discutent les intérêts de la paroisse.

Au-dessous de l'évêque est le vicomte de Limoges, mais il n'apparaît guère qu'au IXe siècle.

Les chroniqueurs nous montrent le seigneur sortant peu de sa villa, si ce n'est pour se promener dans son domaine, le corps serré dans une camisole, un baudrier fixé à son épée, un manteau blanc ou bleu descendant devant et derrière jusqu'aux pieds, sans dépasser les genoux sur les côtés ; à la main, il tient un bâton de pommier.

Il n'est pas encore agressif, car son ambition n'est pas née, et l'on prétend que le courage des preux et l'ambition des seigneurs du Moyen Age naîtront de la confiance qu'ils auront dans les redoutables forteresses qui vont bientôt s'élever partout et dans le plateau de Châlus notamment.

L'unique occupation de la société, c'est la guerre ; aussi la vie agricole qui avait un peu repris après la chute de Rome fut-elle anéantie ; le commerce, qui avait été une des richesses vives de la Gaule, fut lui aussi complètement annihilé.

 Ce ne fut guère que sous le règne de Dagobert qui, dit-on, institua les premières foires, et sous la sage administration du limousin saint Eloi, que l'agriculture et le commerce reprirent leur essor, car en dehors des guerriers et des moines, le Moyen-Age ne connaîtra que des agriculteurs et des marchands.

On se représente avec horreur l'existence des paysans du plateau de Châlus pendant les invasions des barbares ; il semble qu'on les voit fuyant au travers des forêts vallonnées les barbares qui pillaient leurs demeures, on les voit découragés et ne pouvant lutter contre la force brutale et les fatalités, on les voit encore se serrer, peut-être près de la villa, qui seule pouvait leur être de quelque secours.

 Et l'on se demande si les paysans apeurés, en quête de soutien et d'asile, n'ont pas été les premiers artisans de la forteresse moyenâgeuse !

Ne sont-ce pas eux qui ont construit les premiers retranchements, et, implorant secours auprès du seigneur, n'ont-ils pas donné à ce dernier l'idée de transformer sa villa en citadelle, non pas pour se protéger lui seul, mais aussi pour protéger cette foule misérable qui lui faisait pitié.

Et alors on se demande encore si ce peuple, qui a maudit le donjon pendant des siècles et qui le maudit encore aujourd'hui qu'il est éventré et couvert de lierre, cette dernière parure des ruines, si ce peuple n'a pas vu construire ces châteaux du Moyen Age avec joie, et s'il n'a pas demandé leur construction.

Ce qui pourrait, sinon le prouver, du moins le faire croire, c'est que dans les luttes futures, c'est dans le château fort que le paysan viendra s'abriter, parce qu'il saura que c'est là qu'est le dernier espoir.

Bientôt la terre va appartenir en majeure partie aux grands, et, comme elle a peu de valeur, le seigneur va la diviser en domaines qu'il répartira entre ses tenanciers.

Ces tenanciers vont vivre autour de la villa, ils cultiveront la manse, c'est-à-dire l'endroit où le colon demeure (manet), et encore aujourd'hui nombre de nos métairies portent le nom de mas.

Le jour où la villa fut fortifiée, les colons se serrèrent autour du donjon de bois, qui devenait le salut de toute une région, puisque, moyennant redevances, des villages entiers passent des « contrats de sauvement ».

Le donjon et l'église deviennent les véritables centres de la vie moyenâgeuse : la citadelle avait fait avec le clocher qui abritait le peuple et le protégeait, un mariage de raison qui ne fut pas sans influence sur l'avenir.

Quand Gaulois et Francs furent unis par suite de religion commune, et malgré des moeurs différentes, la nation fut formée, et, lorsque Clovis fut maître de la Gaule par suite de la conquête de l'Aquitaine sur les Wisigoths, la France était née.

 C'est à la féodalité que devait incomber l'organisation et l'administration de la conquête. Qu'est-ce donc que la féodalité ?

C'est une sorte de confédération de seigneurs investis d'un pouvoir souverain dans leurs domaines.

Charlemagne avait divisé la France en duchés, en comtés et en vicomtes, mais les ducs, comtes et vicomtes, maîtres à la fois du pouvoir civil et du pouvoir militaire, grands dispensateurs de la justice sur une vaste étendue de territoire, durent se faire aider.

Leurs collaborateurs furent parfois envahissants, ils voulurent parfois être plus maîtres que le maître, et il y eut un moment où le roi de France lui-même n'eut que son domaine particulier ; le royaume de France était devenu un grand fief.

Dès la fin du IXe siècle, 29 provinces ou fragments de province sont devenus des petits états, dont les gouverneurs sont de réels souverains, et de ce nombre est la vicomté de Limoges et le comté du Périgord.

A cette époque, le mot province signifie pays d'une même métropole ecclésiastique, la cité désigne la capitale d'un pays, le pagus est un district de la cité, et la villa tend de plus en plus à devenir un bourg dont le centre moral est la paroisse ou du moins l'église.

Les centaines étales vicairies vont apparaître, comme subdivisions de la vicomte, et la vicairie ne tardera pas à prendre le nom de viguerie.

 Le viguier n'est qu'un vicaire royal agissant par délégation, il n'est pas salarié, et M. de la Fontenelle de Vaudoré pense que le vicomte leur donnait en jouissance des terres comme bénéfices, et que ces terres, en devenant héréditaires, formèrent des fiefs.

Les vigueries les plus anciennes datent du IXe siècle, et il est vraisemblable qu'il faut faire remonter à cette époque la viguerie d'Oradour-sur-Vayres.

 Peu à -peu, vers le milieu du XIIe siècle, la viguerie deviendra la vigerie et se vendra, elle aura droit à la haute et basse justice, et ce sera « le passage de l'état de choses fondé par Charlemagne à la féodalité ».

A cette époque, tout le monde parle latin, et ce n'est guère que sous Charlemagne que la langue latine, se mélangeant au langage des Francs, deviendra la langue romane.

Les lettres, les arts, jusque- là sans abri, commencent à se réfugier clans les abbayes, mais il faut attendre le XIe siècle pour voir des prieurés dans le plateau de Châlus.

 L'inhumation dans les églises commence à être considérée comme une sanctification ; du fond de leur tombe, les morts se recommandent aux vivants, et plus tard les monastères ou chapelles de prieurés deviendront de véritables nécropoles, les hauts barons se feront un honneur de reposer dans les sanctuaires, que leurs libéralités ou celles de leurs aïeux auront créés.

C'est ainsi que nous verrons les membres de l'illustre famille des Brun ou Bruni de Montbrun demander presque tous à venir dormir leur dernier sommeil au monastère fondé par leur ancêtre Ayrmeric Brun.

 

Architecture.

 — Que pouvait être l'architecture sous les Mérovingiens et sous les Carlovingiens ?

D'une part, il semble qu'on avait peu de temps pour construire, puisque de tous côtés on ne songeait qu'à se défendre ; d'autre part, les dévastations des Wisigoths, des Sarrazins et des Normands, acharnés après les oeuvres des romains, devaient peu encourager les constructions.

Il est bien probable que les monuments de cette époque et surtout de l'époque mérovingienne ne devaient être que des monuments provisoires, modestes et construits à la hâte.

 Hâtons-nous de redire qu'il n'y a dans le plateau de Châlus aucun monument datant de cette époque, mais comme notre coin d'Aquitaine est resté fort longtemps gallo-romain, et qu'encore de nos jours on trouve des traces de cette tendance, il est permis de supposer que l'architecture de cette époque devait être essentiellement romaine.

De plus, il est probable que le bois, qui jouait un si grand rôle dans la construction chez les Romains, devait, sous les Mérovingiens, tenir une place prépondérante dans notre pays, où il se trouvait en abondance.

 Il ne faut pas oublier que ce n'est guère qu'au IXe siècle que la pierre se substituera au bois, et comme à ce moment les seules routes existantes, celles construites par les Romains, sont en mauvais état, le transport de la pierre n'est pas chose facile.

 Ainsi donc, il n'y a pas dans le plateau de Châlus de parties d'église datant de l'époque mérovingienne, parce que vraisemblablement les églises de cette époque étaient en bois, et s'il ne reste rien de L'époque carlovingienne, c'est que les Normands ont beaucoup détruit.

Que dire de l'architecture civile ? Elle se résume dans la villa, qui devait ressembler beaucoup aux villes romaines.

 Le donjon en bois avait fait son apparition à la fin de l'époque carlovingienne, mais nous ne sommes pas encore arrivés au moment où l'architecture a son histoire dans notre région ; on ne peut dire que des généralités et émettre des hypothèses.

Dans les siècles qui vont suivre, l'architecture religieuse, mue par le mysticisme religieux qui suivra l'an 1000, et l'architecture militaire, devenue une nécessité des temps, vont prendre une importance considérable, et saint Ferréol, évêque de Limoges, se réclamera du titre d'architecte.

 Tout va changer dans les moeurs, et Louis le Bègue, ne sachant pas refuser à une noblesse, dont il se défiait, l'autorisation de fortifier ses villae, va devenir l'artisan de ces châteaux forts si maudits de nos jours.

 Et pourtant leurs tours éventrées ou couvertes de lierres ne sont point bien menaçantes ! d'où vient donc le malin plaisir que l'on éprouve, même dans nos classes rurales, à exagérer les méfaits de l'histoire, à conter des légendes sur la moindre excavation, et à donner le nom pompeux d'oubliettes à ce qui, le plus souvent, n'était que de vulgaires latrines !

CHAPITRE III

Etymologies de noms de lieux

Avant de reprendre l'histoire du plateau de Châlus au point où nous l'avons laissée, il m'a semblé intéressant de rechercher l'origine des noms de lieux en usage dans notre région.

 Je n'ai pas la prétention de traiter la question à fond et encore moins de le faire savamment, mais bien de donner quelques indications, qui prouveront encore une fois de plus combien notre contrée repose sur une base latine.

Les philologues pensent que les noms de lieux qui se terminent en ie et en ac proviennent le plus souvent dû latin et sont formés d'un nom propre et du nom acum, qui signifie domaine: c'est ainsi que Flavignac et Flavinie viennent de Flavinii acum et Favini acum, le domaine de Flavinius et le domaine de Favinus. Il en est de même de Lambertie, le domaine de Lambert ; la Judie, le domaine de Jude ; Aubanie, le domaine d'Aubain. etc.. C'est à cette même étymologie qu'il faut rattacher Soumagnac, sub magnum acum, sous le grand domaine.

Plusieurs endroits du plateau de Châlus s'appellent le Puy ; il y a le Puy de la Géra et le Puy de Cussac qui sont les endroits les plus élevés de la Géra et de Cussac.

 Le mot Puy vient du latin podium, qui veut dire sommet et qui a donné le mot italien poggio ; parfois ces éminences prennent le nom d'un propriétaire, tels le Puy Roby, le Puy-Chevalier, ou d'un domaine, comme le Puyconieux, le Puybonieux, le Puymoreau, etc.

 Le mot latin podium a vraisemblablement donné aussi le mot pougè, qui est très répandu dans nos pays et qui signifie chemin sur les plateaux. Ces pouges sont le plus souvent des chemins fort anciens, qui ont précédé nos routes, peut-être nos voies romaines, et qui pourraient fort bien être d'anciens chemins gaulois ; ce sont des chemins larges piquant droit vers des localités importantes et éloignées.

 Il serait facile par exemple de rétablir la pouge de Thiviers à Poitiers, passant par Miallet, près de Cussac, la Manigne, Rochechouart, Chassenon, Confolens, près de Pressac, Usson-du-Poitou, Saint-Maurice.

Le mot latin brolium ou brogilum, qui, employé dans les capitulaires de Charlemagne dans le sens de taillis servant à remiser le gibier, est très usité dans le plateau de Châlus, mais il s'est transformé en Breuil, Braulie ou Brie ; c'est le même mot latin qui a donné Brigueil, comme il a donné le nom de famille de Broglie.

Au Moyen Age, la terre cultivée par un seul s'appelait la manse, et la coutume du Poitou l'appelle la masure ; la manse était l'endroit où l'individu restait (du latin manere rester). C'est de là que vient le mot le Mas, si répandu dans nos parages, et auquel s'ajoute souvent le nom d'un particulier (le Mas-Nadaud, le Mas-Bertier, le Mas-au-Brun), ou celui d'une masure ou encore celui d'un animal (le Mas-de-Loup, Masselièvre).

En langage celtique, l'eau courante se disait dur, qui a donné Dour, d'où Dournazac, Dournadille, Dourmareix, Dournajôux (24).

Et effectivement la région de Dournazac est une région de sources, c'est près de ce bourg que le Bandiat et de nombreux petits affluents de la Dronne prennent naissance.

Il est bien rare que sur les cadastres de nos communes on ne trouve pas des parcelles de terre portant le nom de Courrières, en patois las Courrièras ; tous ces noms évoquent le souvenir de quelque ancien chemin ou de quelque iter ou sentier de l'antiquité.

De même l'idée de défense ancienne se retrouve dans nos noms de lieux actuels, et les noms de Châtelavit, de Châlard, du Châtenet, de la Châtre, de Châlus, impliquent l'idée d'un fort, d'un ancien castrum.

Il n'est pas rare non plus de voir des bourgs ou des hameaux bien perchés sur les sommets des collines, dont les noms rappellent l'idée de surveillance : Vayres n'est-il pas le dérivé d'un mot patois qui signifie observatoire, et la Guyonie ne vient-il pas du mot gueilla, qui veut dire surveiller ? Or il faut convenir que de Vayres, comme de la Guyonie de Cussac, on peut voir à de grandes distances.

Dans toute la France, on trouve des noms de lieux précédés du mot Chez : Chez-Parade, Chez-Nadaud, Chez-Levraud, Chez-Fiateau, par exemple, sont des villages dont les noms sont connus des habitants de la région comprise entre Oradour-sur-Vayres et Firbeix. Or, Chez vient du mot latin casa, qui signifie chaumière ou maison, et pour nos compatriotes il y a une nuance entre Jean a acheté un cheval et Chez-Jean a acheté un cheval.

Dans le premier cas, c'est Jean qui a acheté un cheval pour lui ; dans le second cas, Jean a acheté un cheval pour sa maison, pour sa famille, pour sa casa.

J'en arrive à une étymologie qui m’a paru fort intéressante, et d'abord remarquons que généralement les Bordes, les Borderies ou les Ribières sont situées sur la limite des communes ; je pourrai, dans la région qui nous occupe, citer de fort nombreux exemples de ce que j'avance, mais je laisserai ce soin au lecteur et je n'appellerai son attention que sur les Bordes de Champagnac, les Ribières de Cussac et les Bordes de Firbeix. M. Lavisse dit quelque part dans son histoire de France que la plupart des communes de France ne sont que d'anciennes villa; du Moyen âge et en ont les mêmes limites, et je pense que ces Bordes ou Borderies étaient situées en bordure des anciennes villae, de même que les Ribières (du latin Riparioe) étaient sur la rive, sur la lisière du territoire de la villa.

 La villa a eu son oratoire, et cet oratoire (oratorium) est devenu une paroisse, d'où le nom d'Oradour de certaines communes du pays de la langue d'oc.

Il ne faut pas faire grand effort d'imagination pour trouver l'étymologie de Champsac (campus sacer), Champagnac (capanna), Gorre (gurges), la Chapelle (capella). Quant à Montbrandeix, c'est le mont de la Brande, autrement dit de la bruyère et de l'ajonc, nom qui sied fort bien à l'aspect particulièrement sauvage de la région de la Chapelle-Montbrandeix.

Quant à l'origine du mot Cussac, les avis sont partagés ; les uns veulent y voir la même étymologie qu'au mot Causse, mais je préfère ceux qui font dériver Cussac du mot celtique cott ou coss, qui veut dire bois, et peut-être le nom de Coussière a-t-il la même origine.

Il arrive souvent que les noms sont empruntés à la nature ; ainsi fagus, le hêtre, a donné Faye, Fayola, et peut-être Fayemendi ; le buis, bois sacré des Druides, a donné Bussière, Buxerolles, Buxeroux, et peut-être Bregères ; Fougeras, la Génète, Vergnolas, le Genêt, Vigneras, indiquent assez clairement leur origine, et Milhaguet vient de milliacum, qui signifie le mil.

Quant aux noms de Graffeuil et de Graffeuillade, on peut dire qu'ils sentent le terroir et ne cherchent nullement à dissimuler leur parenté patoise avec le houx. Grateloube (gradulus, petite montée), La Jugie (jugitin, domaine exploité par une paire de boeufs), Lascaux (lacus, le vivier), Lespinasse (sphia), Chabrai (cafira, chèvre), sont des mots latins dont la consonance s'est un peu modifiée pour être agréable aux oreilles limousines. N'en est-il pas de même de la Font, la Fontenelle, Fonssemagne (fous magna), le Teillou (tilia, le tilleul) ?

L'étymologie de Alontbrun et de Négrelat est à peu de chose près la même, Montbrun est la montagne noire, et Négrelat (nigram latus) est le flanc noir de la Montagne.

Les limousins ne sont pas avares des diminutifs ; il n'est pas rare que dans une famille le grand-père, le père et le petit-fils portent le même nom, et que du nom de Pierre on fasse Pierille ou Pierichou, et beaucoup de noms de lieux sont des diminutifs. La Bénéchie est le petit bien a bénochou », Chambineau est le petit champ, et de même que la commune de Saint-Auvent a un village appelé la Berthe, de même il y a dans notre contrée plusieurs endroits appelés la Berthussie, c'est-à-dire chez la petite Berthe.

Il est inutile de donner l'étymologie de la Monnerie, les nombreuses Monneries de notre pays sont situées sur des cours d'eau, toutes sont ou ont été des moulins, du mot latin molinare, qui veut dire moudre.

Enfin il ne faut pas s'imaginer que la Vienne a été une barrière infranchissable pour la langue d'oc, et ayant été à même de le faire, j'ai constaté que le parler des arrondissements de Civray et de Montmorillon avait une grande analogie avec notre patois. C'est ainsi que les mots bouler, s'émailler, jau, bugeade, nore, mitan, drôles, poué, cro,' silai, ébouiller, vedelle, tourna, etc., sont à la fois des mots poitevins et des mots limousins ; dans les deux langues, ils ont la même signification, mais dans le parler poitevin ils sont dépourvus de cet accent harmonieux qui fait le charme de la langue d'oc.

CHAPITRE IV

La Société à la fin du XIe et au début du XIIe siècle

Il nous faut arriver à l'an mille pour que l'histoire nous rapporte d'une façon un peu moins vague les événements qui ont eu pour théâtre le plateau de Châlus.

A la fin du Xe siècle, le mouvement d'invasions des peuples est arrêté et au XIe la féodalité va être à son apogée.

N'est-il pas curieux de voir ce Gaubert de Malemort, beau-frère de Guy de Lastours, se révolter contre l'autorité, parce qu'il n'en veut aucune, et entrer en lutte avec Ebles, vicomte de Turenne, parce qu'il prétend ne devoir au roi que l'hommage « et non l'ost ni chevauchée de droit » (25).

Il est vrai que l'ost était lourd pour les seigneurs, en plus des dangers à courir, il fallait entretenir des hommes d'armes, et, à l'appel du roi, laisser derrière soi son château et les siens sans défense ; mais ce qui est le plus intéressant, c'est de voir l'importance que prit cette revendication, car la chronique rapporte que tous les grands vassaux du Limousin prirent les armes.

Il en fut de même quand Guy de Lastours surnommé Tète Noire, époux d'Engelsiane de Malemort, attaqua le seigneur de Hautefort, son voisin : Guy de Lastours possédant à la fois Lastours et Terrasson (26).

« Une ancienne chronique met Guy au rang des princes du pays limousin, c'est-à-dire dans la classe des anciens seigneurs qui tenaient leurs terres en franc alleu et n'en rendaient au souverain qu'un hommage de simple formalité » (27).

 Ce fut entre Thiviers, Courbefy, Firbeix et Châlus que se vida la querelle du seigneur de Lastours et du seigneur d'Hautefort, et l'on peut dire que la jalousie fut l'unique cause de cette lutte.

 Et alors le Limousin aiguisa ses armes, et le pacifique vicomte de Limoges devant prendre parti, se rangea du côté du seigneur d'Hautefort, parce qu'il le redoutait.

Nous sommes à une époque où la moindre querelle de ménages féodaux est un prétexte de guerre ; aujourd'hui cela nous paraît bien extraordinaire, mais il la ut se garder de condamner sans merci une époque, car Augustin Thierry dit quelque part que nos ancêtres du Moyen Age avaient sur nous une supériorité : ils savaient vouloir et ils savaient ce qu'ils voulaient, et l'historien ajoute qu'ils nourrissaient en eux « des volontés longues et persévérantes ».

C'est dans notre région que l'on guerroya, et le château de Châlus, « qui commandait une vaste étendue » contre les comtes du Périgord » (28), fut comme le pivot du côté Limousin.

Lastours fut battu à Pompadour, mais comme il ne comprenait l'existence que dans les combats, il s'en prit au vicomte de Limoges, qui préféra une paix peu avantageuse à une lutte pour laquelle il avait peu de goût.

Il est nécessaire de se faire une idée sur les rapports de sujet à suzerain qui reposent sur un véritable contrat ; il y a en même temps la loi jurée et l'intérêt, et la foi n'est promise que si, en retour, on vous promet secours.

Il est bien certain que les vicomtes de Limoges et les seigneurs limousins en général n'ont pas été d'une fidélité exemplaire envers les rois d'Angleterre, mais les rois d'Angleterre ont-ils été bien fidèles au contrat féodal ? Non, ils voulaient surtout avoir en Aquitaine un lieu de tout repos qui pût leur servir de base d'opérations pour attaquer le roi de France, et le reste leur importait peu.

Au Moyen Age, l'organisation de la société a pour principe la terre ; en ces siècles de pauvreté, la propriété lait en même temps la richesse et la considération ; « le » roi de France lui-même n'avait guère d'autres ressources » et les appointements d'un haut fonctionnaire consistaient » en la jouissance d'une partie des domaines royaux et des » impôts dans le pays où il exerçait l'autorité » (29).

Au-dessous de la haute, moyenne et basse noblesse, il y a le petit propriétaire, puis le bourgeois et le vilain, car l'esclavage de la société antique s'est transformé en servage ; déjà, au XIe siècle, la situation des serfs s'est améliorée, et dans certaines seigneuries on en voit exercer « des fonctions d'une réelle importance » (30) ;

Au début du XIe siècle, le donjon est encore en bois, mais déjà le château est un véritable corps de garde, c'est « un petit » camp retranché à ciel ouvert » (31), c'est aussi « le centre » d'un ressort politique » (32), c'est l'unité de circonscription seigneuriale.

Les donjons couronnent les coteaux ou commandent les vallées, c'est l'époque des guerres féodales, et la maison du seigneur ne peut être qu'une citadelle ; plus tard, nous verrons le luxe et le confortable s'introduire dans les châteaux; pendant la Renaissance, le château lui-même deviendra une villa, puis un manoir, car les habitations du plateau de Châlus racontent des siècles d'histoire, elles nous parlent des coutumes, et ne nous dissimulent pas les révolutions de la vieille France.

Le tableau qui nous est fait de la société à cette époque, dans l'histoire de France de Lavisse, nous permet de supposer qu'il y avait dans le plateau de Châlus des exceptions à la règle générale.

On nous représente le seigneur comme vivant en despote dans son château fort, et l'on nous dit de la châtelaine qu'elle était presque toujours « une virago au tempérament violent et aux passions vives ».

C'était peut-être la règle générale, et faute de documents précis sur les seigneurs et châtelaines de notre région aux XIe et XIIe siècles, nous nous garderons bien de contredire le savant historien.

Toutefois, je dois avouer que je me représente Emery Bruni, seigneur de Montbrun, et son épouse, d'une tout autre façon, et si les chroniques du temps ne me donnent pas raison, parce qu'elles sont muettes sur ce point, il est permis au moins de juger les seigneurs de Montbrun sur leurs oeuvres, car elles ont existé.

J'avoue pour ma part que la figure d'Emery Bruni me paraît intéressante.

Nous sommes tout-à-fait à la fin du XIe et au commencement du XIIe siècle : s'il vit en despote, le seigneur de Montbrun a d'autres idées en tête que celle de la chasse et des combats, passions féodales par excellence ; il semble même qu'il ait des aspirations élevées et qu'un digne emploi de ses richesses soit pour lui une préoccupation constante.

 D'abord il fonde des monastères, donne Altavaux aux moines Augustins de la Couronne et les appelle dans les « hautes vallées » de la Dronne, il contribue largement à la fondation de Boubon (33), et fait venir en ce lieu solitaire des religieuses de Fontevrault ; non satisfait d'avoir fondé, il ne perd pas de vue ses fondations, il donne encore et il semble même qu'il donne sans cesse.

A la voix de Pierre l'Emite et d'Urbain II, il se croise, vend peut-être une partie de ses domaines pour s'équiper, abandonne sa famille et va au loin guerroyer pour sa foi au cri de « Dieu le veut ! ».

 

Arrivé en Palestine, il pense à ceux qu'il a laissés là-bas, et il envoie des reliques aux moines d'Altavaux ; il construit son château de Montbrun et le donjon actuel, dernière épave du château primitif, nous offre un spécimen de l'architecture qu'il aimait.

Le seigneur Emery Bruni du lieu de Trados s'est-il occupé de l'éducation de ses enfants ? Il nous est permis de le supposer, car il a fait souche de famille chrétienne, et nombreux furent ses enfants et petits-enfants qui allèrent revêtir à Altavaux la robe des Augustins.

Pour moi, je me refuse à voir dans son épouse la virago dont parle l'historien moderne, je préfère me la représenter telle que devait être la mère chrétienne de l'Ecriture, et les faits me permettent de penser que je n'ai pas tort.

Quand le seigneur de Montbrun songea à la mort, après une vie bien remplie et pleine de bons exemples, il voulut dormir son dernier sommeil dans un lieu pieux : il reposa à Altavaux avec son épouse, et là, le seigneur chrétien et la châtelaine de Montbrun furent visités par leurs descendants illustres qui furent évêques de Cosserans, du Puy, de Limoges, de Condom, d'Angoulême, etc.

Peut-être le bon seigneur Bruni fut-il une exception parmi les hauts barons du temps, c'est possible, mais cette exception ne pourrait être que flatteuse pour notre pays, car elle a pu avoir une influence considérable.

 Quand les vilains de l'enclave de Montbrun voyaient un de leurs jeunes seigneurs se diriger vers Altavaux pour y revêtir l'habit de moine, ils devaient penser qu'à côté de l'idéal matériel de la richesse il y avait l'idéal de la vie chrétienne.

 Jusqu'à 1793, les oeuvres du seigneur Emery ont résisté aux siècles, la tourmente révolutionnaire a ruiné Boubon, et, Altavaux avait probablement disparu quelques années avant, mais « le grand Jacques », ainsi qu'on appelle dans le pays le donjon de Montbrun, est encore debout, comme s'il avait la mission de rappeler au plateau de Châlus les bienfaits du bon seigneur Emery Bruni.

Primitivement, les seigneurs avaient reçu du roi lui-même les droits à la justice, mais dès le XIIe siècle on vit apparaître la justice royale à côté de la justice seigneuriale.

Parfois même il y eut conflit, et les seigneurs furent souvent jaloux des prérogatives des sénéchaux ou baillis.

Il y avait aussi la justice domaniale et la justice féodale : « celle-ci ne s'applique qu'aux seigneurs, aux membres de la société féodale ; la justice domaniale, au contraire, n'atteint que les personnes des tenanciers, n'a trait qu'aux relations de la vie domaniale » (34).

 La justice domaniale dérive de la propriété, elle est « une coutume. » une redevance, une source de revenus » (35), ce n'est pas une fonction publique.

Il y a encore la haute, la moyenne et la basse justice qui se distinguent surtout par le tarif des amendes.

Peu à peu la justice va s'émietter, les seigneurs délégueront leurs pouvoirs, et alors tout le monde va vouloir porter la robe, comme de nos jours tout le monde veut être fonctionnaire ; la bourgeoisie va surtout se faire remarquer par l'ardeur qu'elle mettra à conquérir ces situations.

 Plus tard, le nombre incalculable de justices et de juges va ridiculiser la justice du Moyen Age, qui deviendra si compliquée qu'elle deviendra impossible.

En plus du seigneur direct, il y a souvent le seigneur ecclésiastique, et M. Leroux a pu dire : « Quand le vilain du fief de Châlus avait peiné toute l'année sur son champ et qu'il lui fallait, après la moisson, mettre à part la gerbe du seigneur, celle de l'abbé d'Altavaux et souvent aussi celle d'un propriétaire foncier autre que le seigneur ou l'abbé, ce qui restait était bien souvent insuffisant pour nourrir et le vilain et sa famille » (36).

 A cette époque, on voit des seigneurs posséder des quarts d'Eglise et aussi des laïques abandonner à des abbayes ou à des chapitres leur droit de propriété sur des églises, car la plupart de nos églises de France ont été créées par de grands propriétaires fonciers, dont elles ont reçu des dotations de terre ; aussi voit-on déjà apparaître la mense, qui donnera au pasteur son indépendance.

Le XIe siècle avait débuté avec des incendies allumés de toutes parts, les Barbares avaient détruit et pillé l'Aquitaine, et voici que la religion va faire renaître les courages, voici que les monastères, sanctuaires de la piété et du travail, en attendant qu'ils donnent asile à l'art, vont se relever-et, comme le dit le chroniqueur Ramulphe Glubert, le monde, « dépouillant son vêtement de deuil, va se » revêtir de toutes parts d'un blanc manteau d'églises ».

Une multitude d'établissements religieux vont surgir, et, de nos jours, on oublie trop facilement qu'ils furent « le point de départ de la société nouvelle dont nous  sommes issus »

 

 

(A suivre) Pierre DE FONTAINE DE RESBECQ,

 

 

Viae romanae maiores, La détermination de la mesure longimétrique du Mille Romain et de la Leuca des anciens Gaulois.  <==

 ==> Châlus

==> 1199 Pierre Brun, seigneur de Montbrun dirigeait avec le chevalier Pierre Basile la garnison de Châlus

 

 

 


 

(1)   Trois églises antérieures au XIe, par Belisaire Ledain.

(2) Colbert et Sully ont cherché à arrêter ces déprédations.

(3) Notamment à La Bussière-Montbrun entre Dournazac et La Chapelle-Montbrandeix.

(4) Deloche. -  Archiprêtré de l'ancien diocèse de Limoges,

(5) Citation empruntée à M. l'abbé Arbellot. — Saint-Waast, évêque d'Arras.

(6) Tome XI, p 41.

(7) Commune de Dournazac.

(8) Commune de Dournazac.

(9) Bulletin de la Société Archéojogique. lomexui, page 85.

(10) Palais des Comtes du Poitou. — Ch. Jeannel.

(11) César II. XXXIII, trahison des aduatuques (région de Namur).

(12) Histoire naturelle, II,LXXI, 181.

(13) Commune de La Chapelle Montbtandeix, 496 mètres d'altitude.

(14) Masfiand. Bulletin de la Société des Amis des Sciences et Arts de Rochechouart 1 900, T. x, n° IV, p.91.

(15) Abbé Lecler. Monographie de Saint-Mathieu.

(16) Elude sur les voies romaines par de Longuemar, bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest, T. XXXIII, année 1868.

(17) Citation empruntée à l'étude de M de Longuemar citée plus haut.

(18) Bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest.

(l9) Elle passe par Crornières, la Rivière et Gorre.

(20) L. Brouillet. — Autour de mon clocher.

(21) Plateau central. A. Leroux.

(22) Saint Jean Chrysostôme. Lomel. XVIII, n° 4. in oct. apostol.,

(23) Imbart de la Tour. Paroisses rurales dans l'ancienne France.—

Henri Sée. Les classes rurales et le régime domanial en France au Moyen Age.

(24) Dournajoux, ruisseau qui passe à Montbrun.

(25) Marvaud. Vicomtes et vicomte de Limoges.

(26) Terrasson, chef-lieu de canton de la Dordogne, au nord de Sarlat.

(27) La Chesnaye Desbois.

(28) Marvaud. — Vicomtes et vicomte de Limoges.

(29) Antoine. — Histoire du Forez.

(30) Lavisse. — Histoire de France.

(31) Lavisse. — Histoire de France.

(32)  d°

(33) Le prieuré de Boubon, paroisse de Cussac (Haute-Vienne).

(34) Les classes rurales et le régime domanial en France, par Henri Sée, page 424.

(35) Ibid

(36) Leroux. — Inventaire des archives hospitalières. Les causes de la misère dans la Marche et le Limousin,

 

 

 

 

 

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