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PHystorique- Les Portes du Temps
15 octobre 2023

1878 Découverte d’une Sépulture d’un Légionnaire Romain au Bourg de Jart

Annuaire_départemental_de_la_Société_[

Une découverte intéressante au point de vue de l'armement du soldat romain vient d'avoir lieu le 29 juillet dernier, au bourg de Jart, dans le jardin d'une maison achetée récemment par Madame Rampillon des Magnils.

- Le jardinier, en labourant le long d'un mur de clôture situé. à l'ouest, avait fait sortir de terre une assez grande quantité de fragments de poteries rouges, mêlés à des débris de tuiles à rebord et à des silex noircis par l'action du feu.

L'attention de M. R. de Rochebrune, qui se trouvait par hasard dans le jardin, fut attirée par la vue de ces nombreux fragments.

Prenant lui-même la bêche et creusant avec précaution, il ne tarda pas à découvrir, à une profondeur d'un mètre vingt centimètres environ, un fort anneau de bronze fixé à une sorte de vase du même métal.

Cet objet, mis au jour, était un casque romain parfaitement conservé, recouvert d'une patine verte superbe; il mesure vingt-sept centimètres de longueur, dix-neuf centimètres de largeur et quinze centimètres de hauteur : le métal a près de deux millimètres d'épaisseur, et il pèse un kilogramme cinq cents grammes.

 Sa forme s'adapte parfaitement à celle du crâne; il n'a ni visière, ni jugulaire, ni cimier; ce dernier est remplacé par l'anneau dont nous avons déjà parlé, et qui était destiné à le suspendre dans le dos ou sur la poitrine, ainsi qu'on le constate dans nombre de sculptures antiques.

Quatre côtes ou bandes saillantes, de quatre centimètres de large à leur base, lui servent de renfort et le partagent en quatre parties égales. Deux de ces côtes correspondent aux tempes; les deux autres, au milieu du front et à la nuque qui se trouve aussi garantie par une large gouttière. Cette calotte de bronze est simplement bordée, dans tout son pourtour, par un étroit bandeau d'un centimètre, repoussé au marteau; cette baguette est épaisse de quatre millimètres et surmontée de clous à tête ronde très saillante d'un centimètre de diamètre, rivés à l'intérieur et destinés, sans aucun doute, à fixer la doublure en cuir ou en étoffe qui devait empêcher le bronze de porter à cru sur la tête.

La silhouette de ce précieux objet a été étudiée pour s'adapter parfaitement à la forme du crâne; elle est d'un galbe très heureux; sa fabrication doit remonter aux bonnes époques de l'armurerie antique.

Là ne devait pas se borner l'importance de la découverte ; car, en fouillant toujours, le jeune archéologue ne tarda pas à rencontrer une longue lance en fer de quarante-quatre centimètres avec douille à huit pans, très effilée en approchant du talon de la lance. La forme générale du fer rappelle celle de la feuille de sauge côtelée en son milieu par la prolongation de la douille. Une autre grosse douille ou anneau conique en plomb, du poids de six cents grammes, était presque adhérent à la lance et traversé par une hampe en bois de chêne de deux centimètres de diamètre, dont la trace, encore visible sur la terre, mesurait un mètre vingt centimètres du bout du fer à l'extrémité du bois.

La partie de la hampe qui traverse la douille en plomb est encore dure et parfaitement conservée. Cette pièce est, à notre avis, l'objet le plus curieux de la découverte. Il est impossible de ne pas y reconnaître le fameux pilum, l'arme nationale des légions romaines, qui n'était connue, il y a vingt ans, que par la description de Polybe, et qui est encore l'objet des discussions des plus savants archéologues.

Ce n'est pas sans émotion que nous avons tenu entre nos mains cette arme terrible que le légionnaire lançait avec une adresse et une force irrésistible contre le bouclier de son adversaire. C'est cette lance qui a vaincu l'univers et anéanti les armées gauloises de Vercingétorix...

Et pour que le doute ne puisse subsister sur sa destination comme arme de jet, on a fondu en relief, sur le gros anneau de plomb, en grandes majuscules romaines, cette inscription significative :

TIBI CAES (1)

que je ne puis traduire autrement que par ces mots :

A TOI DE LA PART DE CÉSAR.

 

Au reste, cette légende n'est pas nouvelle; les frondeurs romains se servaient d'olives ou de lingots en plomb sur lesquels ils inscrivaient ce mot: ACCIPE, Reçois (ou, pour employer un terme plus expressif mais plus vulgaire, Attrape).

A côté de cette arme si rare dans l'état de conservation où nous la voyons, on avait déposé l'épée du guerrier; malheureusement elle est brisée et fortement oxydée. Cependant, nous avons pu la mesurer et en reconnaître la forme elle a quarante-cinq centimètres de longueur, y compris la poignée, sur quatre centimètres de largeur; elle a la même silhouette que les épées grecques et gauloises, c'est-à-dire la forme d'une feuille de sauge; elle est très aiguë et très mince, avec la pointe renforcée.

Plus loin, on découvrait deux fers de javelots carrés, dont l'un barbelé, avec une virole en fer, qui avait pour but d'empêcher la hampe d'éclater à l'emmanchure de ces dards qui, au lieu de douille, portent une simple soie. Un fer à cheval, des clous et plusieurs morceaux de mors, avec deux anneaux, accompagnaient ces javelots. Puis, enfin, on recueillit, avec un grand nombre de scories et de débris carbonisés, toute une série d'écailles en fer, très minces, dont quelques-unes avaient sept centimètres sur huit, tandis que le plus grand nombre ne mesuraient que deux centimètres sur quatre centimètres.

Ces écailles, percées de trous, étaient reliées entre elles par de minces bandes de fer qui les empêchaient de se disloquer, tout en leur permettant de se plier comme une étoffe : c'étaient les débris de la LORICA SERTA telle qu'on la voit figurée dans une peinture de Pompéi.

Nous avons dû nous étendre assez longuement sur la description de ces divers objets qui, nous le supposons, constituent l'armement à peu près complet du légionnaire, à l'époque où César fit sa campagne contre les Armoricains, environ cinquante-cinq ans avant Jésus-Christ.

Ils ont, sans aucun doute, été enfouis dans une sépulture après que le corps du défunt eût été préalablement brûlé, ainsi que l'indiquent, d'une manière irrécusable, les cailloux à demi-fondus et les vitrifications nombreuses qui les recouvrent.

Aucun ossement n'a été découvert; les cendres du mort devaient être contenues dans l'un des vases qui ont laissé de nombreux fragments dans la fosse, sans qu'aucun d'eux ait pu être recueilli intact.

De nouvelles fouilles ne tarderont pas à être entreprises sur le même point, et, si la moisson est aussi abondante, nous pourrons reconstituer, d'une façon absolument complète, l'équipage militaire des guerriers de cette époque.

Le casque en bronze et le pilum sont, croyons-nous, les seuls objets de cette nature qui, jusqu'à ce jour, aient été exhumés dans la Vendée; aussi n'hésitons-nous pas à encourager les propriétaires de ce sol, foulé jadis par les légions de César, à recueillir avec soin tout ce qui peut se rattacher à l'histoire de ces temps héroïques, où nos ancêtres luttaient avec un courage indomptable pour défendre leur sol envahi par l'étranger.

Luçon, le 4 août 1878.

O. DE R.

 

 

ENCORE UN MOT SUR LA DÉCOUVERTE DE JART

Ce premier article était à peine imprimé, que déjà plusieurs savants archéologues nous signalaient l'importance de cette découverte et manifestaient le désir de connaître les pièces antiques que possédait l'inventeur.

Nous n'avons donc pas hésité à mettre sous leurs yeux les armes diverses que leur état de conservation permettait de transporter.

Nous avons, dès lors, acquis la certitude que le javelot et sa rondelle de plomb, qui est, à notre avis, une variété du pilum romain, ainsi que le casque en bronze, n'existent dans aucun des Musées connus; et grâce à la bienveillance de M. le colonel Le Clerc, le savant conservateur du Musée d'artillerie de Paris, nous avons pu comparer les objets trouvés à Jart avec les spécimens de même nature et les moulages existant dans les salles des Invalides.

Nous avions, auparavant, examiné avec beaucoup d'attention les armes de la même période exposées au Trocadéro, ainsi que les nombreuses planches qui ont été publiées en 1751 par Giacomo de Rossi et qui reproduisent tous les bas-reliefs de la colonne trajane, ce monument si curieux où l'équipement militaire des soldats romains est donné de la façon la plus complète.

A la suite de ce travail, où les précieuses indications de M. le colonel Le Clerc nous ont été du plus grand secours, nous sommes restés convaincus que notre première pensée était exacte, et que nous étions réellement en présence des armes d'un légionnaire ou d'un prétorien; car presque toutes les planches du livre de Rossi, et le numéro 42 surtout, nous montrent les soldats de la suite de César la tête couverte d'un casque exactement pareil, avec anneau comme cimier, quatre bandes comme renforts sur la calotte; il est également sans visière, sa bordure est la même, et l'on voit très bien dans la gravure que la jugulaire est fixée à la doublure en cuir que devaient maintenir à l'intérieur les clous en relief dont le pourtour est garni.

Ici, le doute n'est pas possible; les Romains seuls ont porté un casque semblable, et ce casque était de bronze, ainsi que le constate Polybe, qui nous a laissé les plus curieux renseignements sur la façon dont étaient armés les vélites, les hastaires et les cavaliers romains.

Les Barbares (et sous ce nom, les Romains comprenaient tous leurs adversaires, qu'ils fussent Daces, Sarmates ou Gaulois, etc.) portent invariablement un casque conique strié ou côtelé, qui n'a aucun rapport, tant pour la forme que pour l'épaisseur du métal, avec celui que l'on voit gravé sur notre planche.

D'autre part, si nous examinons tous ceux qu'il nous a été donné de voir, soit au Musée d'artillerie, soit au Trocadéro, ils ont invariablement la silhouette pointue ou conique que nous retrouvons sur la colonne trajane toutes les fois que le sculpteur a eu à représenter un soldat dace ou sarmate.

 Cette forme, empruntée aux Grecs et aux Étrusques, se trouve reproduite avec toute son exagération dans le si curieux tombeau du chef gaulois, enterré sur son char, que l'on voit au Trocadéro.

L'importante médaille à tête casquée de Vercingétorix, exposée dans une vitrine non loin de là, ne nous semble pas non plus reproduire la forme du casque de Jart.

 Son profil est visiblement conique; nous ne saurions y voir un anneau au cimier; le renflement du casque est si fruste, que ce qui semble une côte vers la silhouette qui repose sur la nuque serait plutôt, à notre avis, un ornement godronné qui devait recouvrir toute la calotte du casque; il a, en outre, une sorte de visière en volute ainsi que la gouttière. –

Pour nous résumer, le casque romain de la colonne trajane, attribué aux légionnaires et aux prétoriens, affecte de suivre la courbure du crâne; il serait plutôt méplat que pointu sur le sommet de la tête; il a presque toujours un anneau comme cimier et quatre bandes. de renfort; très souvent, il est sans visière et simplement bordé d'un ou deux filets: c'est exactement le profil et le détail du nôtre.

Le casque des Barbares, au contraire, ne se modèle aucunement sur la courbure du crâne; il se termine souvent en cône très effilé et porte les cimiers les plus fantastiques; le métal n'a presque pas d'épaisseur : il ne présente donc aucune analogie, tant pour la silhouette que pour les détails, avec celui qui nous occupe; d'où nous déduisons que celui de Jart n'a pu appartenir qu'à un soldat romain.

Pour la lance et son anneau de plomb, que nous considérons comme une variété du pilum, on y trouve une notable différence avec les deux moulages pris sur ceux qui ont été découverts dans le Rhin.

Le nôtre n'a point le fer barbelé; c'est une lance qui rappelle en effet, par sa forme, celles dont se servaient les soldats gaulois de l'armée auxiliaire. La douille a bien la forme conique du pilum du Musée de Mayence, mais elle est plus forte, ronde, et d'un poids supérieur, puisqu'elle est en plomb (2).

Tout ceci ne nous empêche pas de lui conserver sa destination comme arme de jet, car les nombreuses recherches auxquelles s'est livré M. Pinguilly-l'Haridon, lorsqu'il a fait imprimer le Catalogue du Musée d'artillerie, démontrent que la forme du pilum a considérablement varié, suivant les modifications apportées par tel ou tel chef militaire; l'armement n'était pas le même pour chaque homme, comme à notre époque, et tout soldat ne pouvait-il pas prendre une arme de jet proportionnée à la vigueur de son bras?

Quant à l'épée, c'est exactement le parazonium exposé sous le numéro 19 du Catalogue.

Le javelot, la boucle, trouvés depuis notre dernier article, ne nous laissent pas non plus le moindre doute sur leur provenance complètement romaine.

Nous livrons donc, en toute sincérité, ces dernières réflexions aux hommes compétents en ces sortes de matières, et nous appelons leurs recherches sur ces mêmes objets, prêts à nous rendre à leur opinion, si, par des preuves plus sérieuses que celles que nous apportons, ils parviennent à réduire à néant ce que nous croyons être la vérité.

O. de R.

 

 

 

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EXPLICATION DE LA PLANCHE

Le numéro 1 représente le casque, pesant un kilogramme cinq cents grammes, surmonté du gros anneau à rondelle qui sert à le suspendre.

Au numéro 2, on voit le pilum en acier, de quarante-quatre centimètres de long sur quatre de large, y compris la douille, fixée à la hampe en bois par deux clous placés l'un sous l'autre.

Le numéro 3 donne le profil de l'épée également en acier, de quarante-cinq centimètres de long sans le pommeau, et de cinq centimètres de large. La soie en fer était entourée d'une feuille de cuivre qui formait la poignée.

Au numéro 4, j'ai dessiné, grandeur de nature, l'anneau en plomb coniforme, sur lequel se lit en relief l'inscription : TIBI CAES.

 On y voit encore les restes de la hampe en bois de chêne qui le traverse de part en part. Sur la face opposée aux lettres, trois ou quatre forts coups de marteau y ont laissé leur trace; c'était, sans aucun doute, pour le resserrer sur la hampe et l'empêcher de glisser lorsque l'arme était lancée avec force, Il mesure cinq centimètres de longueur et également cinq dans sa plus grande largeur. Il pèse six cents grammes, qui, réunis au fer du pilum, font un poids total d'un kilogramme, sans compter la hampe en chêne, qui n'existe plus.

Le numéro 5 donne le fer de cheval, armé de crochets au talon. Il mesure dix centimètres sur neuf centimètres.

Les numéros 6 et 7 sont les fers de javelot en acier, l'un barbelé, l'autre uni et plus mince de la pointe. Ils ont sept centimètres de long, sur sept et huit millimètres de large. Ils sont tous les deux forgés sur un plan carré.

Numéro 8.- Ecailles en fer de la cuirasse: la plus grande de huit centimètres sur sept, la plus petite de deux centimètres sur quatre; la plus grande d'un millième à peine d'épaisseur, la plus petite de deux.

Numéro 9. Anneaux qui devaient faire partie d'un mors. Ils sont en fer, et très amincis à l'endroit où devait frotter la bride en cuir ou en chaînons de fer qui retenait le cheval, ce qui annonce un long usage.

 

Dans la courte notice que nous avions publiée en août 1878 sur l'intéressante découverte de Jart, on peut se souvenir que nous annoncions de nouvelles fouilles dans la fosse même où les armes antiques en fer et en bronze avaient déjà été trouvées.

Ces fouilles ont eu lieu avec plus de soins encore que précédemment et sur une plus grande échelle elles n'ont mis au jour aucune autre sépulture, mais elles ont permis de recueillir plusieurs menus objets qui avaient échappé aux premières investigations; nous en donnons la description ci-après.

De ce que l'on n'a découvert qu'une sépulture qui paraît tout à fait isolée ainsi que celle d'où M. Biaille, notaire à Jart, avait exhumé il y a plusieurs années un fort beau vase en terre rouge samienne lustrée, recouvert d'une élégante ornementation en relief (3), on doit inférer que ces sépultures ne font point partie d'un cimetière antique, mais qu'elles ont été ouvertes à l'endroit même où ces personnes avaient été frappées de mort.

Les recherches auxquelles nous nous sommes livrés, pendant notre dernier séjour à Jart, nous ont prouvé que ce n'est pas dans la partie du bourg où ont été enfouis les curieux objets dont nous allons terminer la description que se trouvent les gisements gallo-romains les plus nombreux, c'est surtout autour de l'antique église qu'il faut aller les chercher; c'est là que chaque coup de pioche fait jaillir les murs en petit appareil cubique, les bétons d'une dureté inaltérable, et les enduits lozangés que nous retrouvons plus intacts encore dans les fouilles entreprises par MM. Linyer et Lemeignen à la ferme de la Rochette, située entre Jart et Longeville.

La trace de ces gisements continue sous presque toute l'étendue du bourg de Jart, en se dirigeant vers l'orient; les briques plates et épaisses, destinées à faire des carrelages, et les tuiles à rebord ressortent du sol dans presque tous les champs et les jardins sous le soc de la charrue et les coups de la pelle: on croirait que ces substructions considérables veulent aller se relier aux enceintes antiques de Bel-Esbat, situées à près de trois kilomètres de là.

Tous ces vestiges qui se rencontrent à chaque pas nous démontrent l'importance et l'antiquité des établissements qui bordaient ces rivages à l'époque de la domination romaine. MM. B. Fillon et l'abbé Baudry, avec une autorité que nul ne saurait contester, les ont déjà signalés, et les importantes découvertes que ce dernier fait chaque jour dans les mêmes parages viennent se relier en quelque sorte à celle qui nous occupe et par là même en corroborer l'authenticité.

Les objets dont nous allons donner la description ont été rencontrés dans la même excavation qui avait déjà été fouillée et complètent, par conséquent, l'armement du soldat que nous croyons être un légionnaire romain.

En première ligne, nous placerons le manche de poignard en bronze, nos 2, 3 et 4, dessiné à la moitié de sa grandeur réelle, ainsi que toutes les autres pièces gravées sur la planche.

Il était entouré d'une masse de terre tellement ferme et compacte, que lors de la première fouille il avait passé complètement inaperçu; il en était de même pour presque tous les autres objets que cette planche contient : c'est ce qui explique pourquoi on les avait rejetés dans la fosse, lors de la première investigation.

 Ce manche de poignard, recouvert d'une très belle patine verte, représente un pied de taureau, la corne recourbée en forme de crochet afin d'arrêter la main; la couronne est décorée de feuilles imbriquées. Ces mêmes feuillages se retrouvent à la naissance de la lame, et une moulure perlée les sépare de deux petites oreillettes percées chacune d'un trou rond où passait la chaînette qui suspendait l'arme à la ceinture du guerrier; les deux trous sont très élargis par le frottement, ce qui annonce un long usage. Cette poignée de bronze est d'un faire remarquable; les muscles sont accentués, nerveux, retouchés au burin dans leurs diverses parties; elle appartient aux meilleures époques de l'art romain.

Le n° 1 représente une assez grande lance en fer qui a dû frapper un coup très violent sur un objet de métal, car elle est carrément rebroussée à la pointe; la douille à cinq pans se profile en côte arrondie jusqu'à l'extrémité de la pointe, et quatre striures en fougères la décorent à la naissance du fer; sur la douille on voit la trace d'un feu violent, signalée par une parcelle d'émail jaunâtre qui s'y est attachée (4).

Au no 5, nous voyons un javelot en fer, avec cannelure en gouttière, s'étendant depuis la naissance du fer jusqu'à la pointe (5).

Le n° 7 représente un fer de flèche, qui, à notre avis, ne faisait pas partie de l'armement du guerrier enterré à Jart. Ce fer de flèche est gravé, au sommet de la planche, dans son état actuel. On remarquera que les deux barbillons sont tellement rapprochés de la douille qu'ils semblent y avoir été soudés; ce n'est donc qu'après avoir traversé une cuirasse de métal ou un bouclier de matière aussi dure que les deux ailerons ont pu être ainsi aplatis. Nous sommes convaincus que cette flèche a dû pénétrer dans le corps du soldat romain, après avoir traversé sa cuirasse et son bouclier, qu'elle n'a pu en être extraite, et c'est pourquoi nous la trouvons avec les autres armes que je viens de décrire; j'ai représenté au-dessous la forme des ailerons de cette flèche avant qu'elle n'ait été lancée (6).

Au no 8, se trouvent un certain nombre d'anneaux de dimensions diverses, qui ont dû être employés dans la bride du cheval. L'un d'eux, méplat et strié, a pu se placer au milieu du manche en bois du pilum dont on voit le bout de la hampe au no 9.

Nous ne saurions expliquer l'usage des pointes en fer indiquées au no 10. Il en est de même du no 11: est-ce le morceau d'un gril ou le panneton d'une clef ? nous ne saurions le définir. Nous sommes moins embarrassés pour le no 12, car c'est évidemment le pommeau en bronze de l'épée dessinée dans la première brochure (7). Nous n'hésitons pas non plus à reconnaître, dans la grosse tige de bronze doré ou plutôt plaqué d'or indiquée au n° 13, l'anse d'un vase ou ænochoé funéraire, tel qu'on en rencontre souvent dans les sépultures antiques. Aucune autre trace de ce vase n'a été découverte; ceci ne nous a pas surpris, quand nous avons vu que la place d'où cette parcelle d'anse avait été extraite touchait à une muraille dont les fondations ont dû mettre à jour, sans qu'on y ait pris garde, une petite partie de cette sépulture. La présence de ce débris de vase, dont la dorure a encore un éclat surprenant, tendrait à prouver que la fosse, où tant d'armes intéressantes ont été recueillies, devait appartenir à un chef militaire quelconque d'une légion romaine.

Enfin, au no 14, on voit une écaille en fer pointue et côtelée qui devait former le dernier rang de la cuirasse; puis, au no 15, une chaînette en cuivre que nous supposons avoir dû recouvrir la jugulaire en cuir du beau casque en bronze qui reste toujours la pièce importante de la trouvaille (8).

A la suite de cette énumération que nous avons faite aussi complète que possible, n'y a-t-il pas lieu d'affirmer que la sépulture de Jart livre à l'étude du monde savant l'armement complet d'un légionnaire tel que le décrivent Polybe, ou Végèce dans son livre De re militari?

 

 

BEL-ESBAT.

Dans le début de cette notice, nous avons parlé de Bel-Esbat. Nous ne saurions trop appeler l'attention des savants et des archéologues sur les gisements singuliers qui s'y rencontrent.

Placés à environ trois kilomètres de Jart, ils s'étendent jusqu'à la côte de l'Océan; on y voit des enceintes en pierre sans ciment, tantôt se réunissant à angle droit, tantôt affectant la forme circulaire, et au milieu d'elles de vastes excavations en forme de ponnes (9). Ces enceintes se prolongent jusqu'au milieu des bois de sapins qui couvrent les dunes en allant vers Jart.

A quelles époques appartenaient ces débris ? nous ne saurions l'indiquer, car nous n'y avons rencontré ni tuiles à rebord ni ciment; mais nous avons constaté, à notre grande surprise, sur le bord même de la côte, dans la portion des dunes que la mer a rongées dans les grandes marées, et dans le sol primitif placé sous les dunes mêmes, une grande quantité de fragments de poteries séchées au soleil et fabriquées à la main avant l'usage du tour.

Le bord de ce rivage était donc hanté par des peuplades qui y avaient établi leurs huttes (10) avant la formation des dunes, et presque sur le calcaire qui pave la mer sur ces côtes. De pareils gisements nous reportent à je ne sais quels âges avant l'invasion romaine. Serions-nous en face de cités lacustres, signalées et décrites avec tant d'intérêt, par sir John Lubbock et John Evans, dans leurs beaux livres sur l'homme préhistorique et sur l'âge de la pierre? Je laisse à d'autres, plus compétents, le soin de se prononcer sur une aussi grave question, et ne voulant pas m'attarder davantage sur cette côte qui gardera peut-être longtemps encore son secret sur les générations qu'elle a vu disparaître, j'inviterai le lecteur à me suivre jusqu'aux curieuses fouilles entreprises sur une propriété de M. Lynier par M. Lemeignen, le savant vice-président de la société des bibliophiles bretons.

 

 

LA ROCHETTE (11).

Ici, la période gallo-romaine est incontestable : ces ruines, placées au sommet d'un mamelon qui domine en plein la mer et d'où la vue s'étend jusqu'au bois du Veillon aux Granges-Cathus, et à Talmont sur la droite, pendant que la Guignardière, le Bernard et Longeville la bordent sur la gauche ; ces ruines, dis-je, nous donnent déjà l'aspect du plan par terre d'une villa antique on y voit les murs hauts encore d'un mètre cinquante centimètres, circonscrivant des appartements très petits, dont l'aire est formée d'un béton très dur et parfaitement intact; au-dessous, les piles de l'hypocauste; et tout près probablement se trouveront les colonnes de l'atrium, quand ces infatigables archéologues auront continué cette fouille, digne d'un véritable intérêt.

 

 

LES GRANGES-CATHUS.

En prononçant tout à l'heure le nom des Granges-Cathus, j'ai dû faire naître dans l'esprit du lecteur l'idée et le souvenir d'une toute autre période architecturale; il a aussitôt vu défiler devant ses yeux tout une suite de lucarnes de fenêtres à croix de pierre, de tours de pavillons à hautes toitures surmontées de plomberies élégantes, tandis que le nu des murs fait scintiller au soleil les mille caprices de ses rinceaux variés, de ses enlacements fantastiques, de ses cartouches et de ses médaillons encadrant quelque profil antique où se lisent les noms de Pyrame et Thisbé, d'Antoine et de Cléopâtre. Tel est, en effet, l'aspect que nous présente aujourd'hui la vieille gentilhommière construite par Jean Cathus (12) en 1525.

 

Si le maître de céans venait à renaître, il aurait à coup sûr quelque peine à la reconnaître, tant le phénix est sorti de ses cendres plus fier, plus superbe que dans le beau temps de sa splendeur première.

Nous avons dessiné et gravé les Granges il y a quelque dix ou quinze ans, à l'époque où son très regretté et très savant propriétaire, M. Léon Audé, s'efforçait de guérir les blessures que le temps et les hommes avaient apportées à ce joli spécimen de l'art de la renaissance, sous Louis XII et François Ier.

Nous avions admiré avec lui la charmante lucarne qui surmontait la grosse tour (13) où l'on voit enchâssé dans une délicate bordure de pierre, finement ciselée, un buste de femme qui semble admirer les flots de l'Océan, miroitant à l'horizon. Il m'avait développé toute l'épopée amoureuse de Jean Cathus qui, d'après lui, se déroule en capricieuses sculptures sous les marches de l'escalier qui est, sans contredit, la pièce capitale de la construction; les deux jolies cheminées sculptées à l'intérieur avaient également excité notre admiration, mais mon œil inquiet et attristé ne pouvait se détacher des horribles lézardes qui serpentaient le long des murailles de l'escalier j'y entrevoyais les symptômes d'une ruine complète et prochaine; grâce au ciel, le génie protecteur des constructions artistiques ne l'a pas permis, l'œuvre charmante éclose du cerveau de quelque architecte ignoré de notre délicieuse renaissance française vient de recevoir un nouveau lustre.

 

Sous l'intelligente volonté de son nouveau propriétaire, M. le comte de Lascazes, le château des Granges-Cathus a été, pour ainsi dire, reconstruit de fond en comble, en respectant le plus possible toutes les parties des entablements des cordons, des baies et des sculptures qu'il a été possible de conserver; une aile entière formant pignon sur l'arrivée et pavillon sur les derrières a été élevée en retour d'équerre avec la façade ancienne; le bel escalier qui s'élève à l'angle des deux bâtiments a, été lui-même réédifié en entier avec le plus grand soin. De nombreuses lucarnes couronnent, en le coupant, l'entablement de la construction dans tout son pourtour; ces lucarnes ont leurs frontons enrichis de sculptures parfaitement exécutées par des artistes nantais; le modelé en est habile, la silhouette élégante; peut-être aurions-nous désiré y retrouver un peu plus le galbe de l'ancienne lucarne de la tour. Dans le grand pignon de l'aile neuve, nous avons été frappé de la silhouette heureuse que présente la série 'des fenêtres étagées à meneaux de pierre qui le décorent.

En résumé, tout l'ensemble de cette belle bâtisse présente à l'œil de l'archéologue un effet des plus artistiques; l'exécution des moulures et de la sculpture en est parfaite, et sauf quelques menus détails dans les lucarnes en plomb, les épis ou poinçons qui offrent des profils par trop Louis XIII, nous ne pouvons qu'adresser nos sincères félicitations à l'heureux possesseur de ce beau manoir, qui sait faire un si noble usage de sa fortune, et à l'architecte, M. Clerc, qui dote notre Vendée d'une construction véritablement artistique.

Nous ne doutons pas que la décoration intérieure, que nous n'avons pu voir, ne réponde aux richesses sculpturales de l'extérieur; tous les amis des arts et de la fine architecture du XVIe siècle devront alors se réjouir el souhaiter un sort aussi prospère aux ruines magnifiques d'Apremont, du Puy-Greffier et du Puy-du-Fou.

 

 

 

 

 

 


 

(1)           En fondant la rondelle en plomb, l'ouvrier n'a pas pris la précaution de graver sur le moule l'inscription à l'envers, de sorte qu'il faut la lire de droite à gauche, telle qu'on la voit sur le gros anneau du pilum.

(2). La note 2 de la page 69 de l'Histoire de Jules César, par l'empereur Napoléon III, dit que « des pilums forgés sur le modèle de ceux trouvés à Alise, pesant avec leur hampe de sept cents grammes à un kilogramme deux cents grammes, ont été lancés jusqu'à trente et quarante mètres. »

L'archéologue le plus ignorant dans ces sortes de questions ne peut donc se baser sur le poids considérable du pilum de Jart, qui pèse également plus d'un kilogramme, pour mettre en doute son origine.

(3). Ce beau vase est aujourd'hui déposé au Musée de la Roche-sur-Yon; il a été gravé sur bois dans Poitou et Vendée. Il porte la marque du potier Paternus (PATERNI FE).

(4). On voit au musée Bourbon, à Naples, plusieurs lances en fer de la même forme que celle-ci. La poignée d'une épée rappelle un peu celle du poignard; elle se termine par une tête de vautour.

(5). M. Edouard Fleury, dans ses Antiquités et Monuments du département de l'Aisne, a dessiné un fer de javelot exactement semblable, découvert dans la nécropole gallo-romaine de Caranda.

(6). Dans l'Histoire archéologique de la ville de Reims, par A. Toulmouche, nous voyons, pl. IV, fig. 12, une flèche dont les barbillons ont été également resserrés sur la douille par son passage au travers d'un corps dur; elle est pareille de forme et de dimension.

(7). Ce pommeau est dessiné grandeur nature; il était surmonté d'un petit bouton rond ou méplat, qui n'a pu être retrouvé.

(8). Les lettres A, B, C, D, E indiquent les coupes des diverses armes prises à leur partie la plus large.

(9). Sir John Lubbock croit que beaucoup d'habitations de l'âge de bronze ont dû être ainsi faites et demi-souterraines, et il cite, dans presque tous les terrains non cultivés, d'antiques villages celtiques ayant ce caractère. Il termine en disant que sir Owen Stanley a parfaitement décrit des huttes circulaires semblables, qu'il a trouvées à Anglesea. On a découvert, dans l'une de ces huttes, à Mongie, une épée en bronze. Ces précieuses indications sembleraient devoir faire remonter les enceintes de Bel-Esbat à la période celtique du bronze.

(10). Dans Poitou et Vendée, à l'article de Jart, M. B. Fillon signale ces couches superposées de débris où il a, dit-il, découvert lui aussi des silex taillés et des fragments de poteries modelées à la main.

(11). La ferme, sur laquelle se trouve la villa antique, s'appelle la Rochette; elle est distante de la mer de deux kilomètres environ et se trouve sur la droite de la route de Jart à Longeville.

(12). Jean Cathus dut accompagner Louis II et François de la Trémoille dans les guerres du nord de l'Italie; c'est là qu'il aura pris le goût de cette architecture nouvelle qui, interprétée par nos habiles architectes du moyen-âge, a laissé bien loin derrière elle, comme silhouettes architecturales, conception originale, et parfois même comme exécution, tout ce que l'Italie nous offre en ce genre.

(13). A quelques pas de cette tour, s'élève encore un très beau portail du XVe siècle; sa grande arcade en ogive est cantonnée de deux clochetons d'un profil sévère et d'une belle ordonnance; c'est le seul spécimen de ce genre que nous connaissions en Vendée, il mériterait bien aussi d'être restauré et un peu débarrassé du lierre qui cache toutes les moulures supérieures.

 

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