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8 août 2021

Les ponts au moyen âge sur la Loire depuis l'an mil.

Les ponts au moyen âge sur la Loire depuis l'an mil

Sur la fin du IXe siècle, la dynastie des Carolingiens cessait de régner. Hugues Capet, fils de Hugues le Grand, comte de Paris, était élu roi de France par tous les barons du royaume avec le consentement de la nation, et en l'année 987 l'empire germano-franc n'était déjà plus qu'un souvenir. Si les chroniqueurs ne sont pas absolument d'accord sur la date précise de ce mémorable événement, l'écart de deux ou trois années serait pour notre sujet sans importance (1).

A peine avait-il ceint la couronne royale que Hugues Capet associait son fils Robert à la puissance souveraine dans la ville d'Orléans (2) qui l'avait vu naître, où il avait reçu le baptême, et dont il fit, pendant toute la durée de son règne, glorieux à plus d'un titre', sa résidence de prédilection (3).

Les temps n'étaient guère propices aux grandes oeuvres, dans les dernières années du IXe siècle, et le règne du successeur de Hugues Capet s'ouvrait en l'année 997 sous les plus tristes auspices.

C'était en effet une croyance répandue parmi les peuples que la fin du monde était proche. Le fantôme de l'effrayant millénaire et la sombre prophétie de sa suprême échéance amollissaient toutes les énergies et paralysaient tous les courages. Pourquoi s'occuper du lendemain puisque les temps allaient finir et que les siècles étaient consommés ?

Ces pronostics (4) qui troublaient le repos public non moins que les consciences étaient jetés en pâture à la multitude ignorante du haut des chaires chrétiennes, et Paris, qui était devenu la capitale des rois capétiens, put entendre comme Orléans, quelques années avant l'an mil, des prédicateurs annoncer sérieusement la fin du monde et l'avénement de l'Antéchrist (5).

La frayeur universelle ne fut pas cependant de longue durée, car dès que les peuples, à l'aurore du XIe siècle, virent encore le soleil, qu'ils croyaient éteint dans le chaos universel, se lever radieux et resplendir sur leurs têtes en donnant aux prophéties des mystagogues, des spirites, et des illuminés de ce temps-là un démenti bien éclatant, chacun se prit à respirer, la confiance commença de renaître, et l'énergie individuelle prit la place de l'abattement et de la prostration. Ce fut en effet une époque de renaissance (6) et de révolution (7), particulièrement dans l'art de bâtir.

 L'architecture, comme le pays, « était tombée dans le chaos qui a régné entre la renaissance  tentée par le génie de Charlemagne et la constitution du gouvernement féodal.

Mais dès l'ouverture du XIe siècle une véritable révolution se produit dans l'art de bâtir ; partout on vit s'élever de nouvelles basiliques et de nouveaux monastères (8). La quantité d'églises construites en France à cette époque est en effet quelque chose de prodigieux, et ce qui ne l'est pas moins, ce sont les belles et savantes dispositions, l'ornementation de bon goût, les sculptures élégantes qui se produisent en même temps et sans que rien jusqu'alors ait paru y préparer. »

Le XIe siècle donna donc le signal du réveil de l'Occident, et l'on a pu dire que c'était de cette époque que datent les vraies origines de notre civilisation moderne qui préludait par l'organisation féodale, et bientôt après par l'établissement des communes.

C'est aussi à cette époque, unique dans l'histoire, que nous assistons au spectacle de la création des grandes oeuvres matérielles de l'activité humaine qui vont se produire et se développer parallèlement sous les deux formes les plus saisissantes : celle des basiliques, églises et monastères, et celle des donjons féodaux, vivante expression de l'idée et de l'autorité religieuse, comme de la force et de la puissance militaires.

Les ponts sur les grands fleuves et sur les rivières vont apparaître simultanément comme le complément nécessaire de ces oeuvres de foi robuste et d'énergie virile (9).

Le mouvement intellectuel et littéraire qui depuis la mort de Charlemagne avait subi un temps d'arrêt, et même de recul très prononcé, pendant les invasions normandes, allait recommencer sa marche ascendante, et parmi les écoles ecclésiastiques et monastiques dans lesquelles on enseignait même l'astronomie, la géométrie et le calcul, celles de l'Orléanais, et en particulier celle de Saint-Benoît (chapitre XIV) brillèrent d'un éclat particulier (10).

Tout concourait alors au renouvellement social, et l'architecture qui, ainsi qu'on l'a dit avec raison, est la vivante et profonde expression du génie et de l'esprit d'un peuple (11), prenait une allure nouvelle et originale, en harmonie parfaite avec les connaissances techniques et les sentiments religieux de l'époque. C'est une gloire qui lui appartient et qu'il faut d'autant moins lu: contester qu'elle est plus difficile à acquérir.

Puisque le temple avait été chez tous les peuples le monument le plus important de la cité, il était naturel que les architectes exerçassent d'abord et plus particulièrement leur talent sur les édifices religieux.

Dès les dernières années du Xe siècle (12) ; on jetait les fondements de la vaste église de Saint-Front de Périgueux, dans laquelle la courbe de plein cintre romain allait se marier déjà avec l'arc brisé, et ce mélange des deux styles devait s'accentuer pendant le cours du XIe siècle, ainsi que le prouvent plusieurs exemples, parmi lesquels on peut citer les fenêtres du clocher de Puy en Velay dont les courbes sont tracées sur ces deux types.

 Si le XIe siècle fut une période d'essais, de tâtonnements et d'hésitations, cette période fut loin d'être stérile, car on éleva un grand nombre d'édifices religieux qui donnèrent naissance à ce style que l'on appela roman, et dont les maîtres puisaient leur doctrine et les principes de leur art au sein des monastères.

Mais le XIIe siècle vit bientôt pâlir puis s'effacer graduellement le souvenir des traditions romaines dont la courbe caractéristique, le plein cintre, qui dominait au XIe siècle, cédait peu à peu la place à l'arc brisé ; c'est de l'accouplement de ces deux lignes que naquit l'architecture de transition qui fut abandonnée systématiquement sur la fin du XIIe siècle, époque à laquelle l'arc brisé devenait prédominant et bientôt exclusif même, et engendrait cette admirable architecture, improprement mais communément dite ogivale, sur laquelle nous allons nous arrêter un moment, parce que c'est de l'emploi que l'on fit de l'arc brisé dans le cours du XIe siècle et de sa rapide vulgarisation que date l'ère des grandes voûtes des basiliques (13) et celle des ponts monumentaux construits sur les fleuves de la Gaule franque, particulièrement du pont historique des Tourelles d'Orléans, auquel on a donné le surnom de pont de Jeanne la Pucelle, parce qu'il fut le théâtre du glorieux fait d'armes qui marqua les débuts de l'héroïne.

Nous allons essayer de mettre en lumière, dans les chapitres qui suivent, ce côté particulier du tableau de quelques-uns des grands ouvrages d'art de l'ordre civil que le moyen âge nous a légués.

Les ponts d'Orléans demeurèrent, durant les premières années du XIe siècle, tels qu'ils avaient été construits dans les siècles antérieurs, c'est-à-dire simplement en bois, comme tous les ponts existants à peu près sans exception sur les fleuves et les rivières de France. Durant la période romane, les architectes n'osaient pas établir des voûtes de pierre sur les grandes nefs des basiliques, sans les contrebuter par des massifs très résistants, et c'était sur les basses nefs seulement, comme sur les baies et sur les arcatures des galeries, que l'on jetait généralement des arceaux de plein cintre (14).

Quant aux nefs d'une plus grande largeur, on les couvrait par des charpentes plates ou cintrées dont l'usage a persisté pendant plusieurs siècles encore (15) ; la poussée latérale qu'exerce sur les murs des nefs l'arc de plein cintre ne permettait pas d'employer avec sécurité des voûtes de pierre.

Et les ponts jetés sur les fleuves, qui exigeaient un large débouché pour faciliter l'écoulement des eaux des crues et le passage des glaces, étaient, par une raison analogue, composés de travées à palées de bois, ou de piliers en maçonnerie sur lesquels s'étendait un réseau de poutres couvertes d'un plancher. Mais les dégradations et la destruction trop fréquente des charpentes des basiliques par les incendies et la détérioration très rapide des palées et des planchers des ponts, causée par leur exposition continuelle aux intempéries et à l'action des eaux, des sables et des glaces, devaient inviter les constructeurs à rechercher les moyens de substituer à ces ouvrages périssables des oeuvres plus résistantes et plus durables (chapitre XI).

La question de l'établissement des voûtes de pierre, plus légères que les voûtes de plein cintre, a donc été l'objectif et le sujet des préoccupations et des études incessantes des architectes du moyen âge et plus spécialement de ceux des XIe et XIIe siècles.

L'arc brisé se présenta-t-il naturellement à leur esprit ou fut-il le résultat de calculs et d'observations pratiques ? Ce qui est admis généralement aujourd'hui par les constructeurs modernes, c'est que l'usage et la pratique des larges voûtes des basiliques, bien plus que des grandes arches des ponts en France, date de l'emploi et de la vulgarisation de cette courbe type.

On a beaucoup et longuement discuté sur le point de savoir si l'arc brisé était d'origine française ou étrangère ; cet arc a été employé dans les monuments les plus anciens, en Lydie, en Égypte, en Grèce, en Sicile, en Espagne ; l'arc brisé est donc de tous les pays, car on le voit figuré sur les murs des basiliques romanes primitives de l'Occident, comme sur le Méquias ou Nilomètre du Caire qui remonte à l'origine du IXe siècle, parce qu'il n'est pas plus difficile à tracer que le plein cintre. Aussi a-t-on pu dire avec raison que du jour où l'homme avait inventé le compas et le moyen de décrire des cercles, il avait découvert l'arc brisé (16).

Mais si cet arc, comme la géométrie, n'a pas de patrie, l'art gothique, improprement dit ogival, est essentiellement français, nonosbtant les prétentions rétrospectives des écoles anglaise et allemande. Celui-ci ne consiste pas seulement dans l'emploi de l'arc brisé ; ce qui le caractérise, c'est une combinaison des voûtes d'arête, ou d'arcs de cloître à nervures saillantes profilées suivant des types variés et formant une sorte de réseau ou d'ossature élastique et indépendante qui partageait en panneaux légers les voûtes des basiliques dont elles reportaient les poussées sur des points d'appui particuliers.

Ce renforcement des arêtes d'intersection des berceaux de voûtes a fait donner originairement à ces nervures diagonales entrecroisées le nom assez caractéristique de croix ou croisée d'augive ou d'ogive.

Nous avons posé la question de savoir si l'emploi et la vulgarisation de l'arc brisé, au cours des XIe et XIIe siècles, procédaient soit d'une sorte d'instinct ou de sentiment des praticiens, soit d'une observation de quelques résultats favorables constatés sur les édifices dans lesquels l'arc brisé avait été adopté comme type du profil des grandes voûtes ; mais la réponse nous importe peu au fond. En réalité, les constructeurs du moyen âge avaient deviné, raisonné et observé juste en attribuant à l'arc brisé sur le plein cintre une supériorité incontestable quant aux moindres poussées latérales des voûtes établies sur ces deux types générateurs, supériorité que l'analyse moderne a fait ressortir avec la rigueur mathématique ; le calcul des courbes des pressions démontre en effet que la voûte dite en ogive, ou en arc brisé, offre plus d'avantages que la courbe de plein cintre ou que la surbaissée, puisque les épaisseurs de piliers augmentent à mesure que les flèches des arcs diminuent ; que la courbe des pressions oscillant entre les lignes d'intrados et d'extrados d'une manière plus irrégulière dans la voûte en arc brisé que dans les deux autres types, la première exige plus d'épaisseur de maçonnerie que les secondes pour se maintenir en équilibre ; qu'enfin cette voûte, eu égard à l'inégalité de la distribution des pressions, renferme une cause intrinsèque plus active de déformation. L'expérience prouve en effet à l'appui des calculs que les voûtes en arc brisé sont exposées à subir, au moment toujours critique de leur décintrement, des déformations d'autant plus sensibles que l'on aura mis moins de précision dans l'exécution et que l'on aura négligé les précautions capables, sinon de prévenir, du moins d'atténuer les effets inévitables des tassements (17).

Les voûtes en arc brisé employées dans les ponts de grande ouverture pouvaient donc, à l'exemple des basiliques, donner plus de confiance aux constructeurs que les voûtes de plein cintre, toutes autres choses égales.

La principale objection que l'on pouvait faire à leur emploi dans la construction des ponts, c'était la grande élévation de la clef des voûtes qui impliquait un surhaussement de l'édifice et de ses abords ; mais au moyen âge les voies de communication terrestre n'atteignaient pas le degré de perfection qu'elles possèdent actuellement et l'utilité des chemins à pentes douces était bien moins appréciée qu'elle ne l'est de nos jours. La grande déclivité des abords des ponts en général fut acceptée comme une condition parfaitement compatible avec les besoins du temps (18).

On construisit donc des ponts avec des doubles rampes plus ou moins rapides, dites en dos d'âne, dont un grand nombre existent encore et dont l'usage s'était maintenu jusqu'au siècle dernier.

Depuis lors, les conditions et les nécessités d'une circulation plus économique ont fait adoucir peu à peu les fortes rampes d'accès des ponts qui ne sont plus aujourd'hui qu'une exception dans la construction des grands ponts modernes et dans le réseau général des voies de communication terrestres.

Mais si l'arc brisé est devenu le type dominant pour l'établissement des voûtes dans les grandes nefs des basiliques, en considération de sa propriété particulière et très précieuse d'exiger des murs d'appui moins épais que le plein cintre, cette propriété n'était pas au même degré appréciée pour les voûtes des ponts.

Dans ces édifices tels que le moyen âge les a construits, rien ne limitait d'une manière rigoureuse les épaisseurs de leurs supports puisque, soit pour une cause, soit pour une autre, et en chaque localité, les constructeurs, avons-nous dit, assignaient toujours aux piliers des épaisseurs qui, théoriquement et pratiquement parlant, dépassaient de beaucoup les dimensions strictement nécessaires à l'équilibre purement statique de leurs voûtes. Ces excédents d'épaisseur trouvaient leur justification, aux yeux des constructeurs, soit dans la nécessité de donner plus d'assiette aux piliers afin d'augmenter leur stabilité, soit dans la considération des dangers auxquels ils étaient exposés à l'époque des débâcles, des glaces, des crues et des inondations, soit dans celle des moindres dépenses qu'exigeait l'établissement de larges massifs comparativement à de larges voûtes, toutes les fois que, à tort ou à raison, les constructeurs croyaient pouvoir faire abstraction de la question, si importante dans les temps modernes, des débouchés des arches au point de vue de l'écoulement des eaux d'inondation, du passage des glaces, des débâcles ou de la circulation des bateaux, soit dans les inconnues du problème capital des fondations sur les terrains meubles ou compressibles qui préoccupaient beaucoup les constructeurs, mais dont ils ne surent pas trouver la solution, ainsi que les accidents nombreux survenus aux grands ponts du moyen âge le prouvent surabondamment (19).

Enfin les piliers épais qui maintenaient en équilibre chaque voûte considérée isolément offraient l'inappréciable avantage de permettre de construire une ou plusieurs arches, soit consécutives, soit isolées, d'un grand pont pendant le cours d'une campagne, comme on construisait une ou plusieurs travées d'une basilique, et d'attendre ainsi que les obstacles qui provenaient de la hauteur des eaux, toujours variable d'une année à l'autre, eussent disparu ou fussent atténués de manière à laisser au constructeur la faculté de continuer l'oeuvre entreprise, ou que l'absence des moyens pécuniaires, s'ils venaient à faire défaut momentanément, ce qui était le cas ordinaire, n'exposât pas les ouvrages déjà faits à une ruine inévitable.

L'épaisseur excessive des piliers pouvait donc permettre de procéder successivement et par parties à l'achèvement des grands ponts, ce qui n'aurait pu se faire, si les piliers avaient eu la légèreté de ceux que les ingénieurs modernes exécutent depuis longtemps déjà, et qui ont pour but de supporter le poids mort des voûtes, mais non de résister aux efforts de la poussée latérale tendant au renversement de ces piliers, ce qui arrive lorsque l'une des voûtes tombe, parce qu'alors toutes les autres subissent le même sort (20).

Nous aurons l'occasion de constater plus loin les avantages que procurent ces larges piliers, spécialement en parlant des reconstructions partielles des voûtes du pont des Tourelles, mais dont nous allons citer en passant un exemple pris sur la Loire.

Les premiers ponts qui furent construits à Saumur sur ce fleuve, vers l'année 1160, étaient de bois.

Des contestations très vives s'étaient élevées, au sujet de ces ponts, entre les bourgeois de la ville et l'abbaye voisine de Saint-Florent.

Henri II, roi d'Angleterre et comte d'Anjou, au jugement duquel les parties en avaient appelé, attribua la propriété des ponts à cette abbaye, à charge par elle de rembourser le prix aux bourgeois qui les avaient construits de leurs deniers.

Henri II imposa en outre l'obligation aux moines de Saint-Florent « de bâtir tous les ans, à leurs frais, une arche en pierre, pour remplacer peu à peu les ponts de bois » (21). Il est certain que si chacune des arches construites annuellement n'avait pas été appuyée sur de larges piliers capables de résister par l'inertie de leur masse aux poussées latérales de ces voûtes, l'obligation imposée par le comte d'Anjou aurait été vaine et serait demeurée sans exécution. C'est ainsi, d'ailleurs, que les choses se passaient au moyen âge pour tous les ponts jetés sur les fleuves, dont les arches s'élevaient de proche en proche, les unes après les autres : les grands ponts d'Avignon et du Saint-Esprit sur le Rhône, et celui de Montauban sur le Tarn, en sont les plus célèbres et les plus authentiques témoignages.

Les difficultés de fondation des piliers des grands ponts étaient donc probablement, et plus encore que les difficultés d'établissement des larges voûtes, le sujet des constantes préoccupations des architectes hydrauliciens, et le système des gros piliers artificiels qui divisait les ponts en sections indépendantes n'aura peut-être pas été sans influence sur l'emploi qu'on a fait des îles qui, dans plusieurs localités, divisent la longueur totale du pont en deux ou plusieurs sections.

On distinguait particulièrement sur la Loire les ponts d'Orléans, de Blois, d'Amboise, de Tours, de Saumur, les ponts de Cé et les ponts de Nantes ; sur la Maine les grands ponts d'Angers ; sur le Rhône les ponts d'Avignon et du Saint-Esprit ; sur l'Aude celui de Carcassonne ; sur le Tarn celui de Montauban.

Nous n'étendons pas plus loin les citations. Aussi, sur la Loire, disait-on communément les ponts d'Orléans, de Blois, etc., au lieu de le pont (22), comme on disait les ponts de Paris, c'est-à-dire le grand pont et le petit pont qui aboutissaient à l'île de la Cité, quoiqu'ils ne fussent pas dans le prolongement l'un de l'autre.

Si l'art ogival ou gothique a élevé sur le sol de la Gaule franque et dans les pays voisins, du XIe au XIIe siècle, une infinité de monuments religieux aussi admirables par leur élégance que par leur légèreté, ce ne fut que grâce à l'introduction de l'arc brisé dans les voûtes des grandes nefs.

Mais si l'application de la courbe en arc brisé à la construction des grands ponts fut moins générale, ajoutons qu'elle fut aussi moins heureuse, au double point de vue de l'élégance et de la légèreté. Quelque sveltes que parussent être les arches très aiguës à la clef, elles devaient être écrasées par le voisinage immédiat des lourds piliers qui les soutenaient, et le petit nombre de ponts qui nous restent de cette époque en est, sauf de très rares exceptions, et quelle que soit la forme des voûtes, la preuve manifeste.

Hâtons-nous pourtant d'ajouter que ce n'est pas à l'arc brisé qu'il faut uniquement imputer la lourdeur de ces édifices, car toutes autres choses égales, le plein cintre les écrasait tout autant, puisque, pour des arches de même ouverture, la hauteur du pont était moindre et l'épaisseur des piliers relativement plus considérable ; c'est ce que l'examen des anciens ponts construits dans le second système démontre avec la même clarté, nonobstant les évidements ménagés quelquefois dans les tympans pour faciliter l'écoulement des eaux des crues (23).

Quoi qu'il en soit, la prédominance du type de l'arc brisé ne fut pas, à partir de la fin du XIIe siècle, aussi absolue dans la construction des grands ponts que dans celle des nefs des basiliques et la courbe de plein cintre, c'est-à-dire le vieux type romain ou roman, fut adoptée pour les arches des grands ponts, postérieurement à l'an mil, comme elle l'était précédemment pour quelques nefs d'églises et pour les arches des petits ponts, concurremment avec l'arc brisé ; toutefois, si les maîtres des oeuvres finirent par abandonner le plein cintre des monuments religieux, les architectes hydrauliciens furent moins absolus lorsqu'il s'est agi de voûtes de ponts et les deux types, l'arc brisé, le plein cintre et l'arc de cercle furent conservés et appliqués simultanément ; néanmoins le premier fut généralement préféré dans les régions du Centre et du Nord de la France, au moins jusqu'aux XIV et XVe siècles, époque de la décadence de l'art gothique ou ogival.

Cette sorte de rivalité qui s'est maintenue entre les deux types pour la construction des grands ponts s'explique et se justifie par les caractères qui distinguent les grandes nefs des basiliques des grandes arches de ponts.

Le plein cintre et surtout l'arc de cercle étaient, au double point de vue de l'art et de la dépense, un obstacle à peu près absolu à l'établissement des voûtes des grandes nefs des basiliques, parce que ces types auraient exigé des murs d'appui d'une épaisseur inadmissible et incompatible avec le but qu'il s'agissait d'atteindre ; l'arc brisé, au contraire, donnait satisfaction dans une large mesure aux voeux des populations qui réclamaient de vastes églises puissamment éclairées à la place des anciennes basiliques étroites, basses, sombres et obstruées par les lourds piliers de leurs voûtes.

Mais, dans les arches des grands ponts, l'arc brisé devait perdre beaucoup de sa supériorité sur le plein cintre et sur l'arc de cercle, puisque nous avons dit que. pour opposer une suffisante résistance à tous les autres efforts, indépendamment du poids mort des voûtes, les constructeurs se croyaient obligés de donner aux piliers de leurs ponts des épaisseurs excessives qui dépassaient démesurément les strictes exigences de la statique.

Malheureusement pour l'histoire de l'art hydraulique au moyen âge, surtout dans le cours des siècles qui ont précédé l'an mil, les chroniqueurs sont aussi sobres de renseignements et d'indications techniques sur la forme géométrique des voûtes de tel ou tel pont qu'ils le sont sur la nature des ponts eux-mêmes quant à l'emploi du bois ou de la pierre dans leur construction, et l'on est presque toujours condamné à introduire de simples conjectures plus ou moins hasardées à la place d'un fait certain dans l'étude technique de ces importants édifices.

 

Nous allons reprendre, dans ce chapitre, la suite des considérations générales sur les ponts que nous avons interrompues au IXe siècle.

Après l'échéance du terrifiant millénaire, il sembla que le monde se réveillait à l'aurore d'une ère nouvelle ; car en même temps que les édifices publics, religieux, militaires et civils se multiplient sur le sol de la Gaule franque, les chroniqueurs enregistrent avec plus de régularité non seulement leur existence, mais aussi les circonstances générales et particulières et quelquefois même aussi certains détails de leur construction.

Les ponts sont, à la vérité, relégués à l'arrière-plan parce qu'ils n'étaient encore que l'expression et la traduction d'un besoin matériel secondaire imparfaitement apprécié en comparaison des édifices religieux et des châteaux féodaux qui, ainsi que nous l'avons dit au chapitre IX, étaient la parfaite image de la société gallo-franque à cette époque du moyen âge ; toutefois les ponts sont mentionnés plus fréquemment, bien que d'une manière concise et trop souvent obscure ou indéterminée : nous allons en voir des exemples.

Dès l'année 1003, une terrible inondation de la Loire portait sur ses rives de terribles dévastations et les chroniques rapportent que les ponts les plus solides furent entraînés dans cet effrayant cataclysme.

Notons en passant que les textes authentiques confirment rétrospectivement ce que nous avons dit, dans les chapitres qui précèdent, de l'existence d'un assez grand nombre de ponts, même sur les fleuves, avant l'an mil : « Pontes firmos eradicando » (24), disent les chroniques.

Si la Loire a détruit les ponts solides, c'est qu'évidemment il en existait de plusieurs sortes.

Malheureusement aucun des ponts n'est spécifié particulièrement et si la qualification de fîrmos implique suffisamment l'idée d'une grande solidité et d'une oeuvre durable, elle ne désigne pas la nature des matériaux qui constituent ces ponts, bois ou pierre.

Voici des exemples : Si nous savons que le pont de Montereau, bâti longtemps avant l'année 1026 au confluent de l'Yonne et de la Seine, était fermé à ses deux extrémités par des portes fortifiées, aboutissait au donjon d'un châtelet que le comte de Sens avait établi en ce lieu (25), nous ignorons en quoi consistait la construction de cet édifice.

Les chroniques d'Anjou sont plus explicites ; elles nous apprennent, en effet, qu'entre les années 1005 et 1007, Foulques Nerra, comte d'Anjou, construisait à Angers, sur la Maine, affluent de la Loire, un pont de pierre « pons saxeus » assez solide pour braver les efforts des crues hivernales de cette rivière « quod videlicet lapideo opere constreximus » (3), mais de la forme des arches le chroniqueur n'a rien dit, nous laissant dans l'incertitude sur le point de savoir si elles furent de plein cintre, en arc de cercle ou en arc brisé. Nous reviendrons plus loin sur ce pont qui a subi bien des changements et des transformations dans la suite des âges.

Eudes II, dit le Champenois, comte de Blois et de Champagne, qui devint comte de Touraine dès les premières années du XIe siècle (26), mû par un sentiment de commisération et de charité chrétienne en faveur des personnes qui, obligées de passer la Loire à Tours sur des ponts fragiles ou dans de simples bacs aux époques de crues et d'inondations du fleuve, payaient trop souvent de la vie ces traversées périlleuses, résolut de mettre un terme à ces accidents en établissant un pont de pierre, sur les vives sollicitations de sa femme Ermengarde d'Auvergne.

Une charte dont la date paraît être fixée entre les années 1031 et 1037 a conservé la mémoire de cet événement important. L'historien de Touraine exprime (27), en termes forts nets, que jusqu'à cette époque : « il n'existait aucun pont de pierre ni à Tours ni aux environs ; que le comte Eudes II eut le premier le mérite d'entreprendre un très grand ouvrage dont huit siècles ont ressenti le bienfait, auquel il ajouta la générosité d'affranchir le pont de toute espèce de péage, ce qui n'était pas un léger abandon dans ces temps où la féodalité pesait sur tout ».

L'auteur appuie son affirmation, quant à la nature d'un pont de pierre, non seulement sur l'ensemble de la charte précitée, sur l'esprit qui l'a dictée, mais aussi et particulièrement sur les termes mêmes dans lesquels le généreux donateur parle de l'oeuvre qu'il a résolu d'entreprendre : « C'est, dit-il, quelque chose de mémorable, utile à la postérité et par conséquent agréable à Dieu ; tenu de faire de grandes choses, mais n'en pouvant faire de plus grandes pour le présent, j'ai ordonné de construire un pont sur la Loire auprès de la ville de Tours. Et pour qu'après l'achèvement d'un si grand ouvrage, etc, etc. »

On aperçoit aux expressions employées qu'il s'agit bien d'un grand ouvrage, c'est-à-dire durable, stable autant que possible, et qui doit profiter à la postérité ; appliquées à un pont, elles indiquent qu'il doit être construit de pierre, par opposition à ce qui existait auparavant, car le donateur annonce qu'il ne peut faire une plus grande chose, ce qu'il n'eût pas dit s'il s'était agi d'un simple pont de bois.

L'importance de cette charte fixe une date précieuse pour l'histoire des ponts au moyen âge.

 Il ressort de ce document que le pont de pierre de Tours aurait été commencé entre les années 1031 et 1037, mais que la date de son achèvement reste incertaine, car la charte n'en fait pas mention, et l'histoire de la Touraine suppose, sans justification suffisante, que cet édifice a été achevé l'année ou avant l'année de la mort du comte Eudes, c'est-à-dire en 1037 (28).

Ce fut vraisemblablement vers cette époque aussi que le comte de Blois aura fait construire le pont de cette dernière ville, dans le lieu de sa résidence habituelle, puisque l'existence de cet édifice est mentionnée dans une charte de l'année 1078, aux termes de laquelle Etienne, comte de Blois, fait don aux bénédictins de Pontlevoy de deux moulins qui lui appartiennent au pont de la Loire « duos molendinos ad pontem Ligeris » (29) ; il fallait donc que le pont existât, aussi Bernier soutient-il que ce pont existait avant l'année 1078, bien que « il ne se trouve, dit-il, aucun titre qui parle de « son fondateur » (30).

Cet historien cite en effet une charte donnée par le comte Etienne touchant l'abbaye de Saint-Jean-lez-Blois (ou Saint-Jean-en-Grève), de l'année 1089, qui mentionne l'existence du pont en ces termes : « duos scilicet « molendinos ad pontem Ligeris », et une charte postérieure de l'année 1242, par laquelle Thibaud, comte de Blois, fait plusieurs concessions dans le voisinage d'un pont. Le préambule de cette charte porte : « concedo omnia quae sequuntur « ad pontem Ligeris ». Le donateur y rappelle les libéralités faites aux églises de Sainte-Marie de Pontlevoy, et de Saint-Jean de Blois, dès l'année 1147, par ses ancêtres (31).

Si l'un des comtes de Blois, qui furent de très hauts et puissants seigneurs, a pu, par les motifs indiqués, construire un pont de pierre sur la Loire à Tours, il est logique au moins d'admettre qu'il a dû faire tous ses efforts pour doter le lieu de sa résidence d'un édifice dont l'utilité n'était pas moindre à Blois qu'à Tours ; et si le pont de Blois n'a pas précédé celui de Tours, il aura dû être son contemporain ou le suivre de bien près.

C'était pour les comtes de Blois une sorte de consolation et d'adoucissement à la douleur d'avoir perdu le comté de Tours qui fut réuni à celui d'Anjou par la force des armes, et qu'ils ne réussirent plus à reconquérir.

Nous n'hésitons donc pas à croire que le pont de pierre de Blois a été bâti au cours du XIe siècle, ou vers l'époque à laquelle le Bourg moyen fut réuni au château (castellum) par des murailles qui enveloppaient la nouvelle enceinte de la cité avec la tête de rive droite du pont fortifié que des tours et des ponts-levis devaient protéger contre des attaques venant de l'île de Vienne du côté de la Sologne.

Déjà, au cours des IXe et Xe siècles, le Castrum Blisum ou Blesense désignait une petite ville dont les habitations privées s'étaient groupées au pied du château que l'on appelait Castellum Vetus.

Dès le commencement du Xe siècle, les religieux de Saint-Laumer avaient dû se mettre à l'abri dans l'intérieur même du château et en l'année 924, le roi Raoul leur concédait une église située en dehors du périmètre du Castellum, mais dans l'enceinte du Castrum (32).

A quelle époque précise remonte la construction des murailles qui enveloppèrent le bourg moyen qu'elles rattachèrent au château proprement dit, et quel en fut l'auteur ? A cette double question la réponse est incertaine ; ce que l'on peut inférer de plus probable, c'est que cette époque est antérieure à la première croisade de l'an 1095 à laquelle prit part le comte Etienne, qui, en vertu de concessions réciproques et de libéralités accordées par lui aux habitants de sa ville de Blois, avait obtenu, en échange, leur concours pour l'établissement de murailles propres à défendre son château ou son donjon « ut ipsius castellum muro clauderenl » (33).

Le pont a dû être établi avant les croisades, car il existait déjà en l'année 1109, d'où il est permis d'inférer que cette oeuvre pourrait être vraisemblablement attribuée à Eudes II, le constructeur du pont de Tours, dont celui de Blois serait à peu près contemporain ; mais que son auteur soit Eudes II ou Etienne, l'origine de cet édifice remonte aux environs du milieu du XIe siècle et elle doit être attribuée aux comtes de Blois de la maison de Champagne (34).

Si les comtes de Blois furent au moyen âge de puissants seigneurs, les sires de Beaugency, leurs voisins et feudataires, occupèrent aussi une grande place dans les annales de l'Orléanais, du Blésois et du Vendômois, particulièrement pendant les trois siècles qui suivirent l'an mil. Relevaient-ils des comtes de Blois, ou, comme ceux-ci, uniment du roi de France ? Il semble qu'il soit resté des doutes à cet égard.

Si, dans l'opinion de quelques historiens (35), « il n'y a pas « d'apparence que les seigneurs de Beaugency aient rendu « jamais foy et hommage aux comtes de Blois et qu'ils aient marché sous leurs bannières, dans l'opinion de quelques autres (36), « les seigneurs de Beaugency ne reconnaissaient  que le roi pour suzerain » ; ils s'appelaient chevaliers (miles), ils avaient un chancelier, des gentilshommes, des pages, des écuyers et des sergens d'armes ; ils s'intitulaient sires de Beaugency par la permission de Dieu : « de Castro belgentiaci Dei permissione dominus. »

Toutefois il semblerait que les puissants seigneurs en usaient envers leur suzerain à la manière des grands feudataires au regard du roi de France, franc, Dei gratia rex, dont ils bravaient souvent l'autorité suprême tout en se reconnaissant légitimement ses vassaux, car, au témoignage de Brussel, le fief de Beaugency était dans la mouvance du comté de Chartres et de Blois (37).

 Quel fut celui des sires de Beaugency à qui appartint la paternité du pont de la Loire ?

Lancelin II fut l'un des plus redoutés châtelains de ce lieu ; nous le voyons figurer à la dédicace de l'église de Saint-Sauveur de Melun bâtie par sa soeur Elisabeth et consacrée par Renaud, évêque de Paris, son neveu ; l'acte de cette solennité religieuse porte le seing Lancelinus de Belgentiaco, analogue à la qualification de missus dominicus de castro belgentiacensi que nous voyons relatée dans le Cartulaire de l'abbaye de Vendôme.

De ce puissant seigneur suzerain sortirent d'illustres rejetons, parmi les femmes, dont quelques-unes même portèrent la couronne de reine et d'impératrice (38).

(18 mars 1152 Le concile de Beaugency prononce l'annulation du mariage entre le roi de France Louis VII et Aliénor d'Aquitaine)

Le donjon féodal aux formes quadrangulaires, qui nonobstant ses cicatrices élève encore aujourd'hui à trente mètres de hauteur sa tête découronnée, est, au témoignage des antiquaires et des archéologues, une création du XIe siècle, à peu près contemporaine des donjons célèbres d'Arques, de Chauvigny, de Falaise (39).

 Ce donjon (castellum) possédait comme tous ceux du moyen âge des défenses indépendantes de celles de la ville (castrum) qui les enveloppèrent plus tard, ainsi que la tête fortifiée du pont militaire que nous voyons encore debout ; peut-être même remonte-t-il plus haut.

Comme le château de Blois, celui de Beaugency a donné asile aux religieux de l'abbaye de Notre-Dame (40).

 Ce donjon précéda certainement la construction du pont. Quel est exactement l'âge de ces deux édifices, et celui de l'enceinte de pierre du castrum belgentiacensi à laquelle se rattachèrent les tours et les défenses du pont ? Toutes ces questions restent sans réponse précise quant à présent.

Mais il est permis de conjecturer que les sires de Beaugency, vassaux redoutés des comtes de Chartres, de Tours et de Blois, dont la puissance leur portait ombrage, auront tenu à ne pas demeurer en arrière de leurs seigneurs, et, qu'à leur exemple, ils auront voulu consolider leur puissance matérielle par l'établissement sur la Loire d'un pont fortifié dont on ne connaît à la vérité ni l'âge précis, ni le nom de son fondateur, mais qui est bien antérieur à l'année 1160, puisqu'il est signalé déjà dans un titre de cette époque (41).

la ville antique de Beaugensy

Le pont de Beaugency doit être contemporain de ceux de Blois et de Tours ; c'est ce que nous essayerons de faire ressortir plus loin des rapprochements et des comparaisons historiques et techniques que nous mettrons sous les yeux du lecteur.  —

Pont de Beaugency 1725

Voilà donc en résumé trois types de ponts, celui de Tours, celui de Blois et celui de Beaugency, dont la construction remonte au XIe siècle et à l'aide desquels nous pouvons établir l'âge du pont des Tourelles d'Orléans, en l'absence de documents et d'actes authentiques contemporains de ce dernier qui puissent nous guider dans la solution du problème que nous nous proposons de résoudre (42).

Nous allons donc analyser rapidement les particularités caractéristiques de chacun de ces trois édifices, et en les rapprochant des éléments que nous possédons encore du pont des Tourelles, nous pourrons fixer d'une manière approximative l'âge de ce monument auquel se rattache d'une manière intime et inséparable le nom à jamais illustre de la libératrice d'Orléans en 1429.

==> 16-17 juin 1429, la bataille de Beaugency – Tour du Diable - Carillon de Vendôme

 

PONT DE TOURS.

Pont Tours


— L'ancien pont dont les vestiges subsistent encore au fond de la Loire dans l'emplacement même du pont suspendu dit de Saint-Symphorien, au nord de la ville de Tours, a été démoli en l'année 1784.

Un plan nous est resté de cet édifice intitulé : vue et plan général des ponts de la ville de Tours (43). Ces ponts comportaient un ensemble de 26 arches dont seize étaient en arc brisé, une travée en bois, et les neuf autres de plein cintre ou surbaissées, accusant une technique relativement moderne ; la faible ouverture des voûtes en arc brisé reportait l'époque de leur construction jusqu'à l'origine même du monument. Chacune des quatre voûtes modernes, les seizième, vingt-unième, vingt-deuxième et vingt-troisième, avait remplacé deux arches en arc brisé, ce qui élevait à trente le nombre des arches primitives de l'édifice, sinon à son origine, au XIe siècle, du moins au XVIIe; les ponts s'appuyaient sur deux îles, l'une dite de Saint-Jacques, située entre les dixième et onzième arches, l'autre dite du Faubourg-des-Ponts, sise entre les dix-huitième et dix-neuvième, enfin sur un îlot dont la tête du côté d'amont était, comme celle de l'île Saint-Jacques, protégée par un pilotage, entre les vingt-troisième et vingt-quatrième arches.

La porte dite du Pont, donnant entrée dans la ville, était flanquée de deux tours réunies par une courtine à mâchecoulis qui se rattachait à la muraille de la Loire. Un pont-levis complétait sans doute cette partie défensive du castrum turonense (44).

Un second pont-levis était établi sur le sixième pilier à partir de la ville, et un troisième flanqué de deux tours couvrait la dix-neuvième arche (travée de bois) au nord de l'île du Faubourg-des-Ponts ; il est permis de conjecturer que la porte de Saint-Symphorien devait être aussi, dans les temps antérieurs, munie d'un pont-levis sur le premier pilier dont la voûte en arc brisé a été remplacée par une voûte en arc de cercle désignée sur le plan par la mention arche neuve.

Les deux îles étaient couvertes de maisons au XVIIe siècle, et celle du Faubourg-des Ponts était beaucoup plus étendue que celle de Saint-Jacques. Cette dernière, vers le XVe siècle, eut une si grande importance que les insulaires formaient à eux seuls une compagnie militaire marchant sous leur propre drapeau.

Le nom de cette île paraît venir de la chapelle dédiée à saint Jacques qui s'élevait sur son territoire (45).

Les trois ponts étaient désignés par leur numéro d'ordre à partir de la ville, ainsi qu'il suit : premier pont, second pont, troisième ou grand pont dont la maîtresse arche (la vingt-deuxième) était surmontée d'une croix. Enfin le dessin montre l'emplacement d'un moulin ruiné qui était établi sur la dix-septième voûte en arc brisé. Tous les piliers, sauf celui qui repose sur l'îlot entre les vingt-troisième et vingt-quatrième arches, sont uniformément terminés à l'amont et à l'aval par des avant et arrière-becs dont la section est triangulaire.

 L'ensemble du pont paraît avoir été disposé suivant deux alignements dont l'un partait de la ville, l'autre du bourg Saint-Symphorien, et qui se rencontrent dans l'île du Faubourg-des-Ponts sous un angle obtus d'environ 175 degrés, la pointe tournée vers l'amont. Les écarts que l'on observe en dehors de l'alignement général des six premiers piliers du côté de la ville portant les voûtes en arc brisé semblent témoigner des difficultés que les constructeurs ont rencontrées à l'époque de leur établissement.

Telle était en résumé la physionomie de l'ancien ou plus exactement des anciens ponts de Tours, avant leur démolition définitive, d'après un plan authentique à l'exactitude duquel nous devons accorder toute confiance en raison de sa provenance officielle.

Nous avons dit plus haut que chacune des quatre grandes voûtes en arc surbaissé accusait une technique moderne et avait remplacé deux arches primitives, soit en arc brisé, soit de plein cintre, d'une ouverture beaucoup moindre que celle de ces grandes arches. On peut s'assurer aisément de la vérité de cette assertion en interposant sur le plan un pilier dans le vide de ces arches. Comment les architectes hydrauliciens s'y sont-ils pris pour opérer cette transformation ?

Nous le dirons plus loin avec la plus entière certitude lorsque nous examinerons la structure originaire de quelques ponts, notamment de ceux de Jargeau et d'Orléans, et les modifications qu'ils ont subies postérieurement à leur construction. Faisons remarquer seulement que les architectes qui ont réalisé ces modifications au pont de Tours, afin de donner plus d'ouverture aux arches, en ont renforcé les piliers en les élargissant, comme nous le reconnaîtrons avec plus de netteté sur le pont de Jargeau.

Nous devons faire observer, en outre, que les piliers des arches en arc brisé primitives étaient munis d'avant-becs triangulaires, dépourvus de chapiteau ou chaperon pyramidal ; et que le corps de ces avant-becs ne s'élevait pas jusqu'au niveau de la clef des voûtes, tandis que sur les piliers des arches modernes qui ont été substituées aux anciennes, le corps des avant-becs triangulaires monte jusqu'au parapet.

Cette différence, que l'on pourrait considérer comme caractéristique, sera signalée sur d'autres ponts dont nous étudierons la structure, quel que soit d'ailleurs le galbe primitif de leurs voûtes, soit de plein cintre, soit en arc de cercle, soit en arc brisé.

 

PONT DE BLOIS.

— On peut voir encore aujourd'hui à quelques mètres de distance à l'occident du pont de Blois, dont la reconstruction date de l'année 1716, les vestiges de l'ancien qui fut bâti au moyen âge .Les deux plans que nous possédons de ce vieil édifice le représentent au moment où la débâcle des glaces de l'hiver de 1715 à 1716 l'a surpris et a renversé les treize premières arches de fond en comble à partir de la ville, ne laissant debout que les sept arches suivantes qui joignent le faubourg de Vienne sur la rive gauche du fleuve, ce qui portait à vingt le nombre des arches de ce pont (46).

A première vue, la disposition générale de cet édifice considérée dans la section horizontale de ses piliers au niveau des basses eaux, et dans l'élévation géométrale de ses arches prise au-dessous du parapet, ne semble pas porter le sceau d'une construction ancienne. Dix-neuf arches sur vingt paraissent être des pleins cintres; sur l'un des plans, la sixième serait en arc brisé très aigu ; sur l'autre plan c'est la cinquième, mais la première est bien plus nettement accusée que la seconde, et si nettement même que l'erreur est impossible (47). Quoi qu'il en soit, la forme de ces deux voûtes porte le sigillum d'une incontestable ancienneté. 

Les piliers sont à peu près équidistants ; la septième arche plus large que les autres était destinée au passage des bateaux. Toutes les arches, sauf la précédente, paraissent avoir une dizaine de mètres d'ouverture ; tous les piliers sont fortifiés par des avant-becs triangulaires peu allongés ; six d'entre eux sont munis d'arrière - becs de même forme ; quatorze sont coupés carrément en aval, ce sont les plus anciens ; six des piliers sortent de l'alignement général, mais la voie du pont était rectiligne entre les deux culées extrêmes, disposition assez rare pour un grand pont du moyen âge. Enfin les moulins qui interceptent cinq arches sont établis sur pilotis immédiatement en aval des piliers auxquels ils sont contigus. Cet ensemble constitue donc un édifice qui offre les apparences d'une construction relativement moderne. Mais la superstructure fait disparate avec ces dispositions. Sans doute, et nous reviendrons plus loin sur ce côté de la question, les arches de tous les ponts établis depuis l'an mil n'ont pas eu pour type l'arc brisé, et durant la période du XIe au XVIe siècle, un grand nombre de voûtes furent construites en plein cintre ou en arc de cercle. Celles du pont de Blois, par exemple, pouvaient être des voûtes primitives datant de la période romane, et même d'une époque postérieure au XIIe siècle; toutefois nous ne le croyons pas. Il reste à connaître la raison de l'interposition et de l'existence, à la fin du XVIIe siècle, d'une et même de deux arches en arc très aigu au milieu des dix-huit ou dix-neuf autres de plein cintre, ou qui paraissent être de plein cintre. Sans être aussi aiguës que les précédentes, quelques autres voûtes semblent avoir été exécutées sur un type d'arc brisé, mais légèrement surbaissé, lequel, en considération de l'exiguité de l'échelle du dessin original, autorise à penser que sur la fin du XVIIe siècle, le pont de Blois possédait plusieurs voûtes tracées en arcs plus ou moins aigus qui n'ont certainement pas une origine moderne et qui paraissent être, comme les voûtes en arc brisé du pont de Tours, des témoins irrécusables de la construction primitive.

Les fortifications du pont de Blois subsistaient presque dans leur intégrité et dans un état assez satisfaisant de conservation au XVIIe siècle, et même en l'année 1716, au moment où l'édifice a été définitivement détruit. L'on distingue, en effet, sur le plan : les tourelles construites sur le premier pilier à l'entrée de la ville; celles du milieu du pont établies sur le treizième; leurs ponts-levis munis de joues rampantes élevées sur les parapets ; les joues rampantes des tourelles voisines de la ville, qui couronnaient en manière de courtine la première arche, se soudaient à la muraille d'enceinte de la ville ; on montait par des escaliers ménagés sur les joues rampantes à l'étage supérieur de ces tourelles dont les toits aigus, ornés de lucarnes et de girouettes, abritaient des hourds parfaitement caractérisés (48).

La chapelle consacrée en dernier lieu sous le vocable de saint Fiacre (49) s'élevait en face des Moulins royaux sur l'avant-bec du cinquième pilier en partant de la ville et une croix de pierre désignait aux mariniers le quatrième pilier du côté du faubourg de Vienne. Quelques maisons particulières, occupées par des gens de métier ou de commerce, étaient bâties sur les avant et les arrière-becs, et un duit dont le plan indique l'amorce à l'avant-bec du onzième pilier dirigeait les eaux du fleuve sous l'arche maîtresse et sous les roues des moulins pendus. Telle se présentait dans son ensemble la configuration du pont de Blois avant la catastrophe de l'année 1716.

Quelques historiens ont donné de cet édifice des descriptions qui ressemblent plus ou moins à la précédente ; cependant on y constate certaines différences qui peuvent paraître à la première lecture dénuées d'importance, mais qui, en réalité, touchent au fond même de la question dont nous poursuivons la solution ; il est donc nécessaire de les examiner.

Deux des historiens de la ville de Blois (50) nous apprennent que ce pont fut couvert de maisons postérieurement au règne de Louis XII, c'est-à-dire au commencement du XVIe siècle, et « que cet édifice ressemblait plutôt à une rue, car c'est à peine si l'on apercevait la Loire en traversant cette voie étroite et embarrassée dont le dessous était aussi embarrassé que le dessus ».

Un autre écrivain s'exprime à peu près dans les mêmes termes (51), en ajoutant à son récit quelques détails pleins d'intérêt, dont toutefois nous croyons devoir rectifier certains passages au profit de ce que nous croyons être la vérité historique. « En résumé, dit cet auteur, on remarque quatre époques dans la construction du pont de Blois. Au moyen âge, il était en bois et sinon tout à fait libre, du moins peu chargé d'édifices. Depuis Louis XII il s'obstrue complètement. Ensuite il devient mi-partie de bois et de maçonnerie; enfin, au XVIIe siècle, se solidifie tout en maçonnerie en se dégageant peu à peu de nouveau.  Son dernier état après les réparations de 1678 et 1679 doit être celui où le trouva la débâcle de 1716. »

Nous allons voir que ce résumé est erroné dans la plupart de ses parties. La dissertation de l'auteur énonce des faits et exprime des opinions tels que ceux-ci : « La chapelle de Saint-Fiacre, placée sur le pont, près d'une tour qui en protégeait le milieu, d'après le système des fortifications en vigueur pendant tout le moyen âge, devait remonter à une haute antiquité, puisqu'il fallut la rebâtir au XVe siècle. »

Nous ferons remarquer qu'il n'était guère d'usage d'élever des édifices en pierre sur des ponts de bois, sauf de très rares exceptions, surtout des édifices militaires; l'inverse était plus rationnel. Si le pont de Blois avait été réellement de bois, on ne l'aurait probablement pas chargé de plusieurs tours et d'une chapelle en pierre.

Et, plus loin, l'auteur ajoute : « Thibault, comte de Blois, a concédé par une charte de l'an 1182 à l'église de Bourmoyen le moulin situé dans l'arceau appelé Effreli, où la même église possédait déjà un autre moulin. Ainsi les arceaux et les moulins de ce monument avaient des  noms particuliers et s'encombraient tellement d'édifices qu'on comptait plusieurs moulins dans une seule arche. »

Le mot arceau est la traduction française des mots latins arca, archia, archia ou archus, lesquels, appliqués à un pont, n'ont jamais signifié que arche ou voûte de pierre (52), d'où cette conséquence que, à la fin du XIIe siècle, le pont de Blois se composait, au moins pour une partie, d'arches et de voûtes de pierre, état incompatible avec l'assertion de l'auteur que, au moyen âge, le pont était de bois.

Les idées de l'écrivain manquent quelque peu de précision ; il dit par exemple : « les avaries de ce pont furent nombreuses avant la catastrophe de l'année 1716. Une partie de ce pont était en bois, l'autre en pierre, usage commun autrefois. »

 Ceci confirme ce que nous avons dit plus haut; l'auteur évoque ensuite une autorisation, délivrée en l'année 1366 par Louis II, comte de Blois, de prendre dans ses forêts les bois nécessaires aux réparations du pont Saint-Michel qui avait été « rompu et dépecé par les guerres ».

Le pont de la Loire a dû subir bien des épreuves, pendant une existence six fois séculaire, et l'on pourvoyait à ses réparations à l'aide de constructions provisoires, ce qui n'implique à aucun degré l'existence permanente d'un pont de bois, pas plus au moyen âge que de nos jours. Ainsi, continue l'auteur, le roi ordonna, en l'année 1569, de rompre les arches du pont (53) et l'on procéda, en l'année 1573, à une adjudication de travaux pour réparer cette dégradation: « On fit un pont de boys à l'endroyt des arches rompues du grant pont de Bloys,  rupture qui a dû être exécutée par des maçons et des perriers ; en avril 1574, on fit un pont de bois pour remplacer provisoirement les trois arches tombées en ruine. »

Ces citations sont précieuses, parce qu'elles renferment la preuve la moins équivoque de la construction du pont de Blois. Si, en effet, en l'année 1569, ce pont avait été composé partie en bois et partie en pierre, l'assemblée de la ville n'aurait pas ordonné aux échevins de prendre des maçons et des perriers pour rompre les arches dudit pont; il était bien plus simple et bien plus expéditif de détruire ou d'enlever les poutres et les planchers qui formaient les travées de bois, au lieu d'encombrer le lit du fleuve des débris de maçonnerie des voûtes qu'il fallait extraire plus tard à grands frais.

Les arguments que l'auteur a produits sont donc la preuve que le pont ancien de Blois se composait uniquement d'arches et de voûtes de pierre, preuve confirmée d'ailleurs d'une manière explicite par une inscription qui rappelle : « que le pont de pierre (au témoignage de l'auteur lui-même), ruiné par les guerres, a été rétabli sous le règne de Henri III et le gouvernement de Philippe Hurault en l'année 1580 » ; cette qualification pont de pierre, rapportée au XVIe siècle, démontre encore que cet édifice « ne se solidifie pas tout en maçonnerie au XVIIe » et qu'il était ainsi constitué longtemps auparavant.

Le pont de Blois a subi, comme tous les anciens ponts de la Loire, des accidents plus ou moins graves aux époques d'inondations et de débâcles des glaces, qui ont ruiné ses piliers et renversé plusieurs de ses arches.

On a dû pourvoir provisoirement à ces accidents par des ponts de bois, dont quelques travées ont pu durer longtemps (54). Nous nous bornerons à citer, parmi les causes qui ont nécessité l'établissement de ponts provisoires, la débâcle des glaces de l'année 1439, qui enleva plusieurs arches du pont d'Orléans ; l'inondation de l'année 1579, accompagnée d'un tremblement de terre qui emporta une grande partie des faubourgs de Blois ; celle de l'année 1586, qui dévasta les environs d'Orléans et de Tours ; la débâcle du terrible hiver de l'année 1608, qui rompit les levées, ébranla les arches du pont d'Orléans et emporta le faubourg du bout du pont de Beaugency (55), n'aura probablement pas épargné le pont de Blois ; l'inondation de l'année 1615, connue sous le nom de déluge de Saumur, qui exerça ses ravages sur tout le cours du fleuve et spécialement en aval d'Orléans, et qui, notamment, bouleversa les faubourgs de Tours ; celle de l'année 1641, qui porta le deuil sur les rives de la Loire dans l'Orléanais ; enfin, les inondations qui se succédèrent au cours des années 1661, 1665, 1668, 1684, dont la dernière, notamment, emporta quatre arches des ponts de Cé (56), et celle de l'année 1710, qui renversa quatre arches du pont de Beaugency (57), n'auront pas dû passer inoffensives sous le pont de Blois, dont elles auront culbuté successivement plusieurs des arches, ou ébranlé les piliers qui se sont écroulés ensuite, ainsi que nous en mentionnerons plus loin un exemple relativement récent, tiré du vieux pont de Tours.

L'auteur que nous citons a fait une analyse succincte de douze plans ou vues pittoresques du pont de Blois qu'il a eus à sa disposition (58). Sauf un ou deux de ces plans qui portent l'intitulé : Plan géométral, les autres ne sont que des vues pittoresques plus ou moins inexactes, et auxquelles il est prudent de n'accorder qu'une très légère confiance quant à la précision.

Et à propos de l'un de ces plans dessiné sur vélin, au cours du XVIIe siècle, qui représente seize arches, l'auteur précité dit avec beaucoup de raison que : « c'est peut être par fantaisie d'artiste ou faute de place ».

Nous aurons occasion de rappeler, au sujet du pont des Tourelles d'Orléans, de nombreuses fantaisies de ce genre. Les plans dont il s'agit indiquant un nombre d'arches qui varie de seize à vingt, l'auteur ajoute : « que les arches ont été en nombre divers, suivant le temps, c'est-à-dire en augmentant toujours de quinze à vingt ». Si cette assertion était fondée quant au nombre primitif de quinze arches, il en faudrait conclure que le lit du fleuve avait un bras de décharge, parce que les quinze arches n'auraient pas suffi pour l'écoulement des crues.

L'examen de cette question d'hydrographie locale nous conduirait hors de notre sujet, et nous renvoyons le lecteur aux historiens qui l'ont traitée (59).

Nous résumons notre opinion sur les arches du vieux pont de Blois en ces termes : Au XIe siècle, ses voûtes furent très probablement en arcs brisés, et plusieurs d'entre elles subsistaient encore au XVIIe siècle et même en l'année 1716, au moment où le pont a été renversé ; cet édifice a subi, comme tous les ponts de la Loire, des dégradations nombreuses qui ont occasionné la chute successive de ses voûtes et de ses piliers aux avant-becs triangulaires dépourvus de chaperons pyramidaux, et dont le plan du XVIIe siècle nous montre encore quelques spécimens. Des travées de bois provisoires ont certainement remplacé, à des époques diverses, les voûtes et les piliers détruits par les eaux et les glaces, en attendant que l'on pût les reconstruire en pierre.

De siècle en siècle, les arches primitives en arc brisé, qui ont été détruites par une cause quelconque, ont été remplacées par des arches de plein cintre ou surbaissées, et le pont du XIe siècle est parvenu jusqu'à l'année 1716, sauf peut-être le nombre des arches, en cet état final que représente le dessin géométral signé par l'ingénieur Poictevin sur lequel on remarque quelques-unes des particularités signalées au pont de Tours, en ce qui est des avant-becs triangulaires, de leur élévation et de leur couronnement.

 

Beaugency côté méridionale

PONT DE BEAUGENCY.

— Nous ne connaissons pas d'autre description du pont de Beaugency que celle qui en a été faite par Pellieux (60) : « Tout ce qu'on sait de cet édifice, dit cet écrivain, c'est qu'il existait déjà au XIe siècle. Il finissait autrefois à la seizième arche et était défendu aux deux extrémités par des fortifications qui en rendaient l'accès impraticable avant l'invention de la poudre. Comme l'ancien pont d'Orléans, il avait, du côté de la Sologne, une porte avec un pont-levis flanqué de deux tourelles bâties sur la grosse pile de la seizième arche que soutenait la culée.

En 853, l'invasion des Normands dans la vallée de la Loire fut arrêtée entre Blois et Orléans, probablement au pont de Beaugency, par un des missi dominici, envoyés par Charles-le-Chauve.

« La grosse tour de Beaugency dite « Tour de César » remonte à l'époque carlovingienne, et l'on peut croire qu'elle fut construite, de 853 à 860, pour protéger le pont et barrer le fleuve aux Normands. 

« Il est à remarquer que c'est seulement vers la fin du IXe siècle que Beaugency, Balgentiacum, commence à être connu.

 Le radical balg donne lieu de penser que ses fondateurs étaient originaires de la Belgique; et, en effet, plusieurs indices constatent que les premiers seigneurs de Beaugency tiraient leur origine du diocèse d'Amiens, compris dans la Belgique romaine.

Par une circonstance bizarre, et qui n'a jamais été bien expliquée, cette seigneurie tout entière relevait de l'Église d'Amiens, dont elle était séparée par une distance de près de 100 lieues.

 On raconte à ce sujet qu'un seigneur de Beaugency, nommé Simon, atteint d'une maladie dangereuse, fut guéri par l'attouchement des reliques de saint Firmin, premier évêque et patron de l'église d'Amiens, et qu'en reconnaissance de ce bienfait il se reconnut vassal de cette église pour toutes ses possessions.

« Ce fait, que quelques historiens font remonter à l'année 580. …doit être fixé, avec plus de vraisemblance, au temps même de la construction du château de Beaugency, c'est-à-dire à la fin du IXe siècle… »

« Le fait de la suzeraineté de l'église d'Amiens est d'ailleurs incontestable. Une charte de Raoul de Beaugency, en 1122, l'établit d'une manière positive.

En marque de cette suzeraineté, les seigneurs de Beaugency devaient offrir tous les ans, à l'église cathédrale d'Amiens, le jour de Saint-Firmin, un cierge du poids de cent livres, et cette redevance a été acquittée jusqu'en 1789.

Pont de Beaugency 1725

Tous les fiefs qui appartenaient aux seigneurs de Beaugency, dans le Vendomois, relevaient également de la cathédrale d'Amiens, et lorsque les comtes de Vendôme acquirent ces fiefs en 1329, ils furent obligés d'en donner d'autres en échange au chapitre et à l'évêque. De là vient que plusieurs églises et chapelles des environs de Vendôme sont sous l'invocation de saint Firmin.

Enfin, une autre particularité concourt à prouver l'origine belge ou picarde des sires de Beaugency, c'est que leurs armoiries étaient exactement semblables à celles des- anciens comtes de Vermandois, dont ils portèrent la bannière aux croisades..

. « De l'ensemble de ces preuves, nous croyons pouvoir conclure que le château de Beaugency fut construit, à la fin du IXe siècle, par un missus dominicus originaire de la Belgique, qui était chargé de défendre cette province contre les attaques des Normands, et qui laissa comme héritage à ses enfants, avec son titre et sa forteresse, la possession indépendante d'une partie du territoire de la cité de Chartres. »

 

Les fortifications à l'entrée de la ville étaient contiguës à celles de la grosse tour et du château, et consistaient en deux portes, un pont-levis, trois tours du côté du levant et des murailles très « élevées qui allaient jusqu'à la cinquième arche.

 

Ces fortifications furent détruites en 1767.

Ce pont, qui avait autrefois trente-neuf arches (61), n'en a plus aujourd'hui que vingt-six, y compris l'arche marinière et les huit traverses en bois (travées) appuyées sur des piles de pierre. Sa longueur est de 440 mètres (62), et sa plus grande largeur de 10 à 11 mètres. Quatorze des arches semblent appartenir au XIVe siècle. Le faubourg du Pont (rive gauche) ayant été emporté par la crue de 1608, et la Loire passant depuis dans cet endroit, on fut obligé d'ajouter à l'ancien pont une continuation moitié en bois et moitié en pierre. »

La légende du pont de Beaugency rappelle des souvenirs dont on retrouve les traces sur un certain nombre de ponts du moyen âge, qui ont conservé la dénomination de Ponts du Diable,

Si l’on en croit la légende du chat de Beaugency : l’architecte qui était chargé de jeter sur la Loire le pont de Beaugency, n’en pouvait venir à bout; dès qu’on croyait avoir fini la dernière arche, elle s’écroulait. Quand la tentative eut été renouvelée trois ou quatre fois avec le même insuccès, l’architecte cria qu’il envoyait le pont à tous les diables.

Satan, aussitôt, se présenta. Il proposa à l’architecte d’achever le pont, mais condition, c’est que la première créature qui y passerait lui appartiendrait. L’architecte accepta le marché et le pont, cette fois, fut promptement achevé. Mais cet homme de l’art, malin comme les gens de Beaugency, au moment de tenir sa promesse et tandis que le diable attendait sur l’autre bord du fleuve, apporta son chat et le lâcha sur le pont. Satan dut se contenter de l’animal. Furieux, il voulut s’en emparer. Mais le chat ne l’entendait pas de cette oreille, il tira ses griffes, ouvrit sa gueule, égratigna et mordit le diable avec tant d’ardeur que celui-ci dut renoncer à sa proie. Le minet, à toute allure, s’en revint à son galetas et à ses souris, et, depuis, en souvenir de cette malice, on appela les gens de Beaugency, des “chats”.

Bien plutôt en mémoire de difficultés que les constructeurs auront rencontrées en cours d'exécution, et qui, eu égard à l'insuffisance de leurs moyens, semblaient alors insurmontables, que de quelques épisodes que les croyances populaires rattachaient à une mystérieuse origine.

L'un des piliers du pont de Beaugency, par exemple, que les crues du fleuve ont renversé à demi, et qui se tient encore debout (en 1867) contre les lois de la statique, et par une sorte de miracle d'équilibre, a mérité le surnom vulgaire de pile de l'arche du Diable.

Ce n'est pas à cet accident, qui ne paraît remonter qu'aux premières années du XVIIIe siècle, que ce surnom doit être probablement attribué, mais plutôt à des circonstances bien antérieures qui dateraient vraisemblablement de l'origine même de cet édifice. Le pilier incliné dont il s'agit ne fait pas partie de la structure primitive du pont qui se terminait, dit-on, à la seizième arche (63), car ce pilier sépare aujourd'hui deux travées de bois correspondantes à des arches de pierre qui paraissent n'avoir été ajoutées en prolongement du pont primitif, et à gauche des deux tourelles du seizième pilier, qu'au cours du XVIIe siècle.

Quoi qu'il en soit, la tradition et la crédulité populaire réunies ont attribué trop généreusement au démon le mérite de la construction de ce grand édifice, qui; à en juger par ce qu'il en reste au XIXe siècle, a dû être assurément l'une des plus belles créations matérielles du moyen âge.

L'importance relative du pont de Beaugency, qui existe encore aujourd'hui, les analogies et les similitudes qu'il présente, tant au point de vue de ses origines que de sa construction primitive, et des modifications qu'il a subies dans le cours de sa longue existence, avec les ponts voisins, de Blois, de Tours, et particulièrement avec celui des Tourelles d'Orléans, dont il nous parait être comme le type vivant ; ces analogies et ces similitudes, disons-nous, sont si frappantes qu'il devenait nécessaire d'en présenter un dessin géométral, tant en élévation qu'en plan horizontal, qui résumât, au moins dans ses grandes lignes, la physionomie de l'un des derniers survivants des ponts monumentaux du XIe siècle.

Nous n'avons pas essayé de restituer les fortifications qui formaient autrefois le couronnement de la superstructure de cet édifice, afin de ne pas paraître substituer la fantaisie ou l'idéal à la réalité ; nous nous sommes bornés à reproduire l'image fidèle des vestiges tels que nous les trouvons représentés sur un document authentique du XVIIe siècle (64).

Du côté de la ville, les quatre premières arches et leurs piliers étaient surmontés de tours et de murs crénelés, et percés de meurtrières ; la chapelle, sous le vocable de saint Jacques, s'élevait sur l'avant-bec du deuxième pilier ; le pont-levis couvrait la quatrième arche, et la baie, qui fut ménagée dans la voûte en arc brisé, y est encore parfaitement apparente, en 1867, quoique remplie de maçonnerie relativement moderne profilée suivant la courbure de l'intrados, sans liaison avec les douelles anciennes (65).

Le plan indique bien nettement le dispositif de cet ouvrage, qui est muni de deux couloirs formés d'une double muraille parallèle à la longueur du pont, et dans lesquels on pénétrait par deux baies ménagées dans les tours du troisième pilier ; le couloir d'amont semble avoir eu la destination d'un guichet affecté au service des piétons, des bêtes de somme et des cavaliers qui y passaient, lorsque le tablier ou plancher du pont-levis était redressé. Les murs de ces couloirs, faisant face à la rivière, étaient crénelés pour permettre aux défenseurs de repousser l'attaque des ennemis qui seraient venus en barques menacer le pont-levis ; l'ensemble de ces fortifications, qui se reliaient directement aux murailles d'enceinte riveraines de la Loire et à la grosse tour écrêtée dont la silhouette se détache au-dessus de la culée même, constituait le système des ouvrages défensifs de la porte proprement dite à l'entrée du pont.

Du côté de la Sologne, on aperçoit sur le seizième pilier les vestiges parfaitement conservés d'une porte fortifiée, consistant en deux tourelles ouvertes du côté de la ville, et munies de deux murailles crénelées qui s'étendaient parallèlement à la longueur du pont sur les deux arches contiguës à ces tourelles, et qui portaient les escaliers par lesquels on accédait à leurs étages supérieurs.

Ce sont les ruines des défenses d'un pont-levis qui était disposé sur la dix-septième voûte; le plan du XVIIe siècle en fait d'ailleurs la mention expresse par cette inscription : premier pont-levis. En comparant ce dispositif à celui que présente le treizième pilier du pont de Blois  au-dessus duquel est inscrite la légende tour du pont-levis, on reconnaît, a priori, une communauté de destination, de type et d'origine de ces ouvrages ; mais le pont de Blois ne se terminait certainement pas au treizième pilier du côté de la Sologne, et nous savons qu'il avait en outre sept arches au- delà de ce pilier ; d'où nous pouvons conclure fermement que, contrairement à l'opinion de l'historien de Beaugency (66), le pont du castrum belgentiacense ne se terminait pas autrefois à la seizième arche.

Le plan du XVIIe siècle montre que trois arches, à la suite des deux tourelles du pont-levis, ont été construites postérieurement aux seize arches primitives, pour atteindre une petite île désignée par les mots « île des ponts de Beaugency », dont il ne reste sur le plan qu'un lambeau entouré de débris des murs qui la protégeaient vers l'amont contre les attaques du fleuve ; il existait donc précédemment une île sur ce point, ce qui implique aussi l'existence d'un autre pont qui allait de cette île rejoindre la rive gauche de la Loire, d'où il suit que le pont de Beaugency aurait rencontré sur sa direction, comme les ponts anciens que nous avons cités précédemment et d'autres que nous aurons occasion de mentionner ultérieurement, au moins une île sur laquelle il s'appuyait.

L'édifice se composait donc de deux parties au moins qui devaient être distinguées par des noms différents, puisque le plan désigne les seize premières arches comprises entre la ville et le pont-levis par les mots grands ponts.

 A l'aide du plan et des indices qu'il renferme, l'on peut restituer la forme périmétrique de l'île dans sa partie d'amont : elle était protégée par des murs de défense contre la Loire qui présentaient l'aspect d'un musoir ou avant-bec polygonal régulier dont l'un des angles était opposé au fil de l'eau.

Sur le bras qui séparait cette île de la rive continentale du fleuve, il existait un pont de bois qui fut rasé par les glaces de l'année 1677 ; ce pont de bois existait-il avant l'année 1608 ? C'est une question à laquelle, en l'absence de documents positifs, nous ne pourrions répondre. Tout ce que nous savons, c'est que l'inondation et la débâcle des glaces de l'année 1608 qui fut exceptionellement désastreuse emportèrent le faubourg du bout du pont ; que le débordement de l'année 1628

A ce pont de bois l'on substitua des voûtes de plein cintre reposant sur des piliers consolidés par des pilotis et par des radiers de maçonnerie, qui occupèrent sa place ainsi que l'assiette de l'île et celle d'une partie des ouvrages qui la protégeaient. L'île et ces ouvrages de défense disparurent à cette époque.

Des six voûtes établies après l'année 1677, nous n'avons indiqué sur le plan géométral que la dernière portant le numéro 25, qui terminait à cette époque, comme aujourd'hui, le pont de Beaugency. L'inondation de l'année 1710 renversa ces voûtes, dont celles qui portaient les numéros 22 et 25 demeurèrent seules debout.

Nous n'avons voulu surcharger le plan du XVIIe siècle ni de la représentation de ces ruines, ni de celle des ponts de bois qui ont remplacé les arches de pierre et que l'on dut consolider en l'année 1725, à la suite des crues du fleuve qui les avaient ébranlés, parce que ces images n'offraient qu'un intérêt secondaire.

Ces ponts de bois du XVIIIe siècle, qui ont été réparés et renouvelés successivement, sont parvenus jusqu'à nos jours sans avoir été remplacés par des arches de pierre. Aujourd'hui, comme en l'année 1725, il existe depuis et compris la dix-septième arche, jusqu'à la dernière qui porte le n° 25, cinq arches de pierre, les 17e, 18e, 19e, 22e, 25e, et six travées de bois.

Le plan géométral du XVIIIe siècle (67), rapproché du plan du XVIIe, donne une sorte de mesure de la fréquence et de la gravité des détériorations qu'a dû subir le pont de Beaugency antérieurement au XVIIe siècle, et en le comparant à ses contemporains, les ponts de Tours et de Blois, l'on peut, avec assurance, inférer de ce parallèle que ces deux derniers n'auront pas été plus ménagés que lui par les crues et les débâcles des glaces qui auront fait disparaître les types originaires de la plupart de leurs arches et de leurs piliers, dont les avant-becs, comme ceux du pont de Beaugency, étaient dépourvus de chaperons pyramidaux (68) et auxquels on a substitué plus tard des dispositifs relativement modernes qui en ont altéré la physionomie primitive.

Nous allons maintenant étudier plus particulièrement les dispositions des avant et des arrière-becs des piliers, le galbe des voûtes, et faire connaître les rapports des épaisseurs des piliers aux ouvertures ou portées des arches de ces trois ponts de Tours, Blois et Beaugency.

Et d'abord, parlons des piliers.

L'avant-bec triangulaire, qui date de l'époque romaine, a été adopté par les constructeurs des premiers siècles du moyen âge et son usage s'est transmis jusqu'à nous à travers les vicissitudes de l'art de bâtir. Formé primitivement par deux plans verticaux se coupant en pointe contre le courant, l'avant-bec prenait, à partir du XIIe siècle, des formes variées, pendant que l'arrière-bec, qui semblait ne pas avoir de raison d'être, projetait peu à peu son relief en aval du plan vertical de la tête du pont : à des proéminences, faibles d'abord, quadrangulaires, triangulaires, polygonales, succédèrent bientôt des formes plus ou moins effilées. On a vu, après l'an mil, des piliers sans arrière-becs, d'autres avec des reliefs à peine sensibles, carrés, triangulaires, polygonaux et simultanément des arrière-becs très saillants.

Dans la comparaison que l'on pourra faire des arrière-becs de ponts bâtis sur des rivières éloignées les unes des autres, il sera prudent de ne pas se hâter de conclure que l'absence de cet appendice ou l'exiguité de son relief soit toujours un signe d'antériorité relativement à un arrière-bec présentant une saillie plus accentuée, triangulaire, polygonale, ou carrée ; il n'y a pas de règle sans exception. Mais sur un même édifice cette différence de forme pourra le plus souvent permettre de constater l'ancienneté relative de la construction. L'absence de saillie de l'arrière-bec témoignera de la priorité de son exécution comparativement à la saillie triangulaire, carrée ou polygonale, courbe ou rectiligne des joues ou flancs de cet appendice.

Ces considérations, répétons- le, ne sont exposées ici que comme l'énoncé d'une règle générale, ou d'une formule technique soumise à quelques exceptions. Nous y reviendrons plus loin, mais en faisant l'application de ces considérations aux ponts de Blois et de Beaugency, l'on peut du moins en reconnaître l'exactitude.

Si à Tours les piliers sont munis d'arrière-becs triangulaires, ne faut-il pas en attribuer la cause aux nombreux sinistres et aux reconstructions anciennes de cet édifice qui, notamment au cours de chacun des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, a été partiellement détruit : une première fois, en l'année 1189, par les propres mains des habitants de la cité « pons dirutus a civibus » que Philippe-Auguste vint assiéger (69); et une seconde fois, en l'année 1235, par une inondation du fleuve qui renversa les ponts de Tours et ceux de Saumur, et dont les premiers surtout, à en juger par le sens du récit du chroniqueur, auraient dû être radicalement détruits : per ruptionem pontium apud Turones submersi fuerunt homines infinit i. »

C'était un déluge qui a dû laisser d'effroyables ruines sur son passage (70). Une troisième fois en l'année 1309 (71). Trois arches du pont furent rompues en l'année 1677 (72) ; enfin l'inondation de l'année 1755 fut si violente qu'elle ébranla les arches de ce pont, sur lequel la circulation des véhicules dut être interdite ; l'une des arches voisines de l'île Saint-Jacques s'écroula à la suite de cette secousse (73). Il est donc aisé de comprendre que dans les reconstructions successives, les maîtres des oeuvres auront renforcé les piliers nouveaux par l'addition de contreforts, éperons ou arrière-becs saillants et triangulaires comme les avant-becs, ainsi que nous le dirons plus loin en parlant des arches jetées sur les divers bras du Cher, à côté de cette ville, et dont celles du pont dit de Saint-Sauveur ont dû être à peu près contemporaines de celles du grand pont de la Loire.

Le pont de Blois, qui fut détruit par les glaces en l'année 1716, se composait alors de dix-neuf piliers, dont huit étaient terminés en aval carrément sans saillie, et cinq qui étaient prolongés au- delà de l'alignement.

Les deux derniers de la rive gauche avaient pour destination sans doute, eu égard à leur saillie considérable, de porter des édifices publics ou des établissements privés (74). Six piliers étaient munis d'arrière-becs triangulaires à peu près semblables aux avant-becs ; onze piliers s'avançaient dans la direction d'amont en formant saillie d'une longueur variable sur l'alignement du pont, et servaient de fondement et d'appui à des maisons particulières dont le nombre s'accrut notablement à partir des premières années du XVIe siècle, époque à laquelle Louis XII permit à la ville de Blois de concéder des places à bâtir sur les argeaux du pont, moyennant des redevances qui seraient versées dans le Trésor municipal pour être consacrées sans doute aux dépenses des réparations qu'une ancienne transaction intervenue entre les comtés de Blois et la ville mettait à la charge de la communauté de ses habitants.

Sur les dix-neuf piliers de ce pont, six seulement sont munis d'un arrière-bec triangulaire, les treize autres sont dépourvus de cet appendice. Une telle diversité est le témoignage incontestable des réfections partielles de ces piliers et des arches correspondantes, ainsi que nous le verrons plus loin en traitant des ponts ménagés sous les grandes chaussées transversales de la vallée de la Loire qui rattachent la ville de Blois et son faubourg de Vienne au coteau de la Sologne, comme sous celles de Tours ; et nous ajoutons que dans les unes comme dans les autres la présence de piliers alternativement munis et privés d'arrière-becs triangulaires accuse non seulement une diversité d'âge et de système, mais une antériorité certaine en faveur de ceux qui sont coupés carrément.

Le pont de Beaugency a conservé la plus grande partie des piliers de l'époque de sa fondation, sinon des voûtes en arc brisé qui subsistent au nombre de dix.

L'historien de cette ville croit que quatorze de ses voûtes peuvent avoir été reconstruites au XIVe siècle. Bien que cette assertion manque de preuves directes, elle pourrait toutefois n'être pas gratuite; nous relevons en effet dans le tableau chronologique trois crues survenues au cours du XIVe siècle : 1309, 1363 et 1389, dont la première a démoli les ponts de Tours.

Nous avons relaté plus haut la crue désastreuse de l'année 1306 qui a détruit des ponts et des moulins ; une autre plus ancienne, celle de l'année 1235, qui a renversé les ponts de Tours et ceux de Saumur; enfin une antérieure, celle de l'année 1143, dont les glaces ont ruiné aussi plusieurs ponts.

Il est permis et parfaitement légitime d'admettre que le pont de Beaugency a subi sinon les mêmes désastres, du moins des désastres analogues, et que la plupart de ses voûtes primitives ont été ébranlées, démolies, et quelques-uns de leurs piliers déchaussés et renversés. Toutes les voûtes en arc brisé subsistantes peuvent donc ne pas être contemporaines de la construction de l'édifice ; mais elles caractérisent, bien qu'un peu vaguement, les époques de ses reconstructions partielles. Ces voûtes, qui présentent des ouvertures et des montées inégales, ne permettent de déterminer ni les rayons exacts, ni les points précis des centres de leurs arcs générateurs.

 Aucun n'a pour type l'arc aigu équilatéral, et la plupart semblent avoir eu originairement leurs centres au-dessous de la corde des arcs. L'irrégularité des profils de ces arches anciennes peut n'être pas seulement une des conséquences des défauts inhérents à la nature même de l'arc brisé, la déformation inévitable de leurs courbes dans l'opération du décintrement ; elle peut encore avoir et elle a eu très probablement pour causes l'ébranlement des voûtes occasionné par le passage plusieurs fois séculaire des véhicules, les réfections partielles, insuffisantes et grossières, des dégradations des voûtes, les chocs réitérés des glaçons pendant les débâcles et l'affaissement du sol de fondation des piliers résultant de l'action des eaux, ainsi que les observations anciennes et modernes l'ont prouvé.

Ces diverses causes agissant isolément ou simultanément ont nécessairement altéré la pureté originaire des courbes des arches en admettant que leurs galbes aient été géométriquement tracés à l'époque de la construction, ce dont il est toujours, pratiquement parlant, permis de douter, même dans les conditions et circonstances les plus favorables (75).

Mais si les voûtes primitives ont été ou partiellement ou totalement renversées, les piliers de 1 à 16 ont conservé leurs positions respectives sinon leur constitution fondamentale. La régularité parfaite de leur aménagement, l'équidistance qui les sépare et la similitude absolue des avant et arrière-becs des piliers de 5 à 16 sont une démonstration quasi mathématique de l'invariabilité de leur assiette originaire. Si les piliers de 1 à 4 présentent des formes un peu différentes de celles des autres, c'est que ces dernières sont motivées par leur destination militaire bien caractérisée ; mais leurs voûtes ont conservé depuis la fondation du pont des ouvertures qui n'ont pas varié, sauf les arches nos 5 et 6, et le pilier intermédiaire n° 5 qui furent supprimés au XIXe siècle, pour faire place à une large voie marinière que les piétons et les véhicules franchissaient sur un pont suspendu auquel on a récemment substitué une travée métallique.

Les preuves nous font défaut quant à présent pour émettre une opinion motivée sur la forme des piliers nos 1, 2, 3, 4, dont les voûtes étaient couronnées par une véritable forteresse défendant l'entrée du castrum. Nous croyons que non seulement les ouvrages militaires, mais aussi les voûtes et les piliers qui leur servent d'appui, ont été remaniés et reconstruits postérieurement à la fondation du pont ; c'est, à notre sens, l'explication de la disparate de ces quatre piliers aux douze autres. Nous produirons ultérieurement, en parlant des travaux militaires du pont des Tourelles d'Orléans, des faits particuliers dont l'application au pont de Beaugency découlera naturellement et justifiera notre induction.

Sur le plan géométral dressé à la fin du XVIIe siècle, les trois premiers piliers accusent des saillants inégaux du côté d'amont, celui du second paraissant être à peu près double de celui des deux autres. Ce relief pourrait avoir été diminué dans l'intervalle des années 1709 et 1725 à la suite des dégradations occasionnées par l'une des nombreuses crues du fleuve survenues dès les premières années du XVIIIe siècle.

Si les arrière-becs n'offrent aucune particularité digne d'intérêt, car ceux des deux premiers piliers sont terminés carrément avec une saillie à peine sensible, et le troisième qui s'étend en aval à la distance d'une demi-largeur du pont en se rétrécissant légèrement est également coupé parallèlement à l'axe de l'édifice, il n'en est pas de même des avant-becs dont les dispositions extrêmement remarquables et peut-être uniques sont un témoignage de l'esprit observateur des constructeurs du moyen âge.

 L'avant-bec triangulaire dont la destination principale était, dans la pensée des hydrauliciens de ce temps-là, de diviser le volume des eaux courantes, de briser les glaces et d'atténuer l'intensité des chocs directs des corps flottants, est un type romain qui s'est transmis jusqu'à nos jours.

Pont Orléans Fort des Tourelles

Quelques architectes du moyen âge avaient bien remarqué déjà les défauts de ce type, car dès les XIIe et XIIIe siècles, dans les provinces de Lorraine et du Limousin, notamment à Metz et à Limoges, et peut-être même auparavant comme nous le verrons pour le pont des Tourelles d'Orléans, ils substituaient aux flancs rectilignes de l'école romaine des surfaces courbes dont la section horizontale était un arc brisé qui marquait un progrès réel dans l'art de la construction des ponts (76).

Les ingénieurs des temps modernes ont adopté quelquefois ce type concurremment avec le demi-cercle ou les arcs surbaissés et les courbes elliptiques ; bien que le demi-cercle ne soit pas à beaucoup près le type théorique, il a néanmoins prédominé et c'est celui qui s'est généralement imposé en raison de la facilité et de l'économie que présente son exécution.

Toutefois les flancs curvilignes des avant-becs se réunissant en pointe vers l'amont, qui furent employés dans les deux provinces précitées, n'étaient pas encore le dernier mot de l'art hydraulique, et le type par excellence est celui qui, depuis longtemps adopté chez les peuples modernes pour la construction des carènes des navires, est devenu l'une des formules élémentaires de l'architecture navale ; la contre-courbe effilée vers la proue comme vers la poupe et d'autant plus accentuée que l'on considère des sections horizontales du navire plus rapprochées de la quille, semble être le desideratum et le terme extrême de la science.

Les architectes hydrauliciens qui au XIIe et au XIIIe siècle bâtissaient des ponts dans l'Orléanais, en Lorraine et en Limousin, sur des piliers munis d'avant-becs curvilignes, ne montraient-ils pas aux constructeurs des temps modernes la véritable voie du progrès ? Mais leur appel demeura bien longtemps sans échos, et ce ne fut qu'au siècle dernier, que quelques-uns des plus célèbres ingénieurs de cette époque y répondirent en introduisant dans les piliers des ponts monumentaux de Compiègne, de Mirepoix, de Saumur, d'Orléans, de Tours et autres, les formes rationnelles imitées des modestes praticiens des XIIe et XIIIe siècles.

Gauthey, qui occupa parmi les ingénieurs du XVIIIe siècle un rang très honorable, s'est particulièrement livré à la recherche des moyens les plus propres à atténuer les effets destructeurs des eaux courantes qui subissent une contraction au passage des ponts ; il a entrepris dans ce but une série d'expériences dont les résultats le conduisirent à affirmer que le pilier à section horizontale elliptique est le plus favorable et que l'avant-bec équilatéral mixtiligne est de beaucoup préférable à tous ceux dont il avait fourni les types à l'expérimentation ; et, faisant un pas de plus dans cette voie, l'habile ingénieur avait projeté un pont dont les piliers étaient munis d'avant et d'arrière-becs auxquels il avait donné une forme approchant de celles des extrémités d'un navire (77).

Un demi-siècle après ces conclusions, un savant archéologue (78) comparaît l'avant-bec en arc brisé à la proue d'un navire qui coupe doucement le courant. Aussi incomplète que fût la comparaison, elle indiquait néanmoins de la part de l'auteur un pressentiment vrai du but à atteindre. Des expériences délicates, entreprises dans ces derniers temps pour contrôler en quelque sorte celles de Gauthey dont elles sont venues confirmer la parfaite exactitude, ont conduit leur auteur à écrire ce qui suit (79) : « Il semble qu'on réunirait les « avantages des formes triangulaires et rondes de l'avant-bec « en lui donnant une section à double courbure analogue à « l'intrados des voûtes de l'architecture persane. »

Les expressions et les définitions des trois auteurs peuvent donc se traduire en ces termes : le pilier et son avant-bec doivent présenter une section horizontale analogue à celle d'un navire. Ce que les architectes hydrauliciens des XIIe et XIIIe siècles avaient entrevu, ce que les auteurs modernes ont signalé comme le desideratum et le dernier mot de la science hydraulique, les constructeurs du pont de Beaugency l'avaient réalisé, car les avant-becs des trois premiers piliers de la rive droite avaient pour types des contre-courbes qui ont la plus grande analogie avec celles de la proue et de la poupe des navires modernes dans la zone de leurs oeuvres vives (80).

Ce sont là, croyons-nous, les véritables types, théoriques au moins, des avant et arrière-becs des piliers des ponts.

Les flancs des avant-becs tracés en arcs brisés ont une corrélation assez naturelle avec la partie antérieure des tours rondes ou demi circulaires engagées dans les courtines des enceintes de quelques villes et châteaux du XIIIe siècle (81).

Mais la difficulté de conserver intacts les becs saillants plus ou moins aigus en raison de la moindre résistance qu'ils offrent aux chocs destructeurs n'aura pas été sans influence sur la limitation de l'emploi de ce type qui ne s'est pas généralisé.

Quoi qu'il en soit et en résumé, c'est probablement aux constructeurs du pont de Beaugency qu'appartient l'idée et que revient l'honneur d'avoir appliqué pour la première fois la contre-courbe aux avant-becs des piliers des ponts, et d'avoir été les précurseurs des hydrauliciens modernes. Si les difficultés de conserver des avant-becs aigus plus encore que celles de les exécuter ont ralenti et môme suspendu dans la marche progressive l'emploi de la contre-courbe, l'idée mère a survécu comme survivent toutes les idées justes, et nous venons de la voir jaillir, par une sorte d'intuition et d'illumination intérieure, de l'esprit de quelques constructeurs modernes, comme elle s'était déjà traduite en façons élégantes et rationnelles que les ingénieurs des constructions navales ont données à la proue et à la poupe des bâtiments de mer.

Les avant-becs des trois premiers piliers des ponts de Beaugency présentaient donc cette forme exceptionnelle à partir du niveau de leur fondation et jusqu'à la hauteur des avant-becs des autres piliers, puis au-dessous, les flancs s'amortissaient en surfaces gauches pour redevenir les supports hémicirculaires de trois tours rondes ouvertes à la gorge sur la voie du pont, dont les deux premières s'avançaient en saillie sur des corbeaux de pierre comme des mâchicoulis. C'est dans la seconde de ces tours qu'avait été disposée la chapelle de Saint-Jacques, le patron des voyageurs et des pèlerins.

Ainsi qu'on peut le remarquer sur les ponts en arcs brisés des premiers temps, les piliers de ceux de Tours, de Blois et de Beaugency présentaient des épaisseurs ayant un rapport déterminé avec l'ouverture des arches, autant du moins que les plans qui nous en restent et les reconstructions successives permettent de le conjecturer.

A Tours, plusieurs piliers avaient une épaisseur égale à la largeur des voûtes adjacentes qui ne paraît pas différer beaucoup de 10 mètres, et leur rapport semble varier dans les limites de 1 à 0,50, excepté toutefois pour les voûtes qui ont été notoirement agrandies par la suppression d'un pilier intermédiaire et la réunion de deux voûtes en une seule, comme on le voit, par exemple, entre les piliers 14 et 15, 18 et 19, 19 et 20, 20 et 21 (ce dernier étant dans le terre-plein de l'îlot).

 Nous avons représenté sur le dessin par des lignes ponctuées les piliers et les voûtes qui existaient primitivement ou qui ont été supprimés pour agrandir le débouché de certaines arches afin de faciliter le passage des bateaux et l'écoulement des eaux de grande crue, comme nous en verrons un exemple remarquable au pont de Jargeau et à celui des Tourelles d'Orléans, et comme nous en avons cité un autre sur le pont de Beaugency au XIXe siècle.

Au pont de Blois, les rapports entre les épaisseurs des piliers et l'ouverture des arches, généralement inférieurs à ceux du pont de Tours, ne s'élèvent qu'exceptionnellement au-dessus de 0,50 ; dans les reconstructions successives des arches on aura diminué les épaisseurs des piliers (82) sans en diminuer le nombre, si ce n'est à l'arche n° 7 qui en a remplacé deux pour l'établissement d'un passage marinier entre les deux groupes de moulins qui étaient contigus à cette arche.

Les portées des voûtes paraissent être de 10 mètres, à l'exception de l'arche n° 7, dont l'ouverture mesurée à la naissance est de 14 mètres, et de l'arche n° 1 dont le débouché ne paraît pas avoir été supérieur à 8 mètres. A Beaugency, nous retrouvons des proportions analogues ; si nous ne considérons que les piliers qui paraissent remonter à l'origine du pont, entre les nos 5 et 16, les moins épais n'ont que 6 mètres, et le plus épais 8 mètres ; la moindre ouverture des arches est de 9 mètres, et la plus grande de 11 mètres ; le rapport moyen que l'on déduit des épaisseurs de tous ces piliers à l'ouverture des arches est égal à 0,75 (83).

Nous avons dit que le dispositif des piliers coupés carrément en aval, avec ou sans saillant quadrangulaire, accusait généralement une ancienneté relative. Il semble que l'absence de saillant ou de relief quadrangulaire en arrière-bec aurait précédé, dans l'ordre chronologique, l'éperon triangulaire dont l’avant-bec était armé dans l'antiquité romaine, et à en croire le savant directeur des Annales archéologiques dont nous avons rapporté l'opinion, les architectes du moyen âge auraient été conduits à supprimer l'arrière-bec comme un appendice inutile.

Cette sentence, outre qu'elle énonce comme général un fait qui comporte de très nombreuses exceptions, a le défaut d'être en contradiction avec l'expérience d'abord, et aussi avec la science de l'hydrodynamique. Parmi les ponts du moyen âge qui font exception, celui d'Avignon projeté et commencé par saint Benezet, en l'année 1177, et achevé quatre ans après la mort de cet humble prêtre qui fut un architecte inspiré, est demeuré le plus remarquable. Cet édifice, ainsi que nous le verrons plus amplement au chapitre XII, était accompagné d'avant et d'arrière-becs triangulaires allongés. Le pont de Carcassonne, bâti comme le précédent durant le XIIe siècle, est armé d'éperons aigus tant en aval qu'en amont, et le pont de Béziers, qui date de la même époque, était absolument privé d'arrière-becs (84).

Au siècle suivant l'on construisait le pont de Jargeau sur la Loire, et le pont de Cahors sur le Lot, avec des piliers munis de la saillie triangulaire à leurs deux extrémités, et les ponts de Limoges, au contraire, avec des piliers armés d'avant-becs triangulaires en arcs brisés (85), et au lieu d'arrière-becs des contreforts rectangulaires formant sur l'alignement du pont un relief plus ou moins prononcé. Mais peu à peu des arrière-becs triangulaires et polygonaux vinrent allonger les corps de tous les piliers du côté d'aval, et cette formule se généralisa de plus en plus jusqu'à l'époque de la seconde Renaissance au XVIe siècle et aux temps modernes.

 

Nous continuerons dans le chapitre suivant l'étude particulière des arrière-becs des piliers des ponts.

 

Nous allons revenir, en commençant ce chapitre, sur l'important sujet de la forme des arrière-corps qui fut donnée aux piliers des ponts au moyen âge et de sa corrélation avec l'ancienneté relative de cet édifice ; nous prendrons pour exemples d'autres ponts de la vallée de la Loire que ceux de Tours, de Blois et de Beaugency.

 Nous entrerons dans quelques détails sur les dispositifs que présentent les arrière-becs des anciens ponts de Saumur et des Ponts-de-Cé, ainsi que ceux de l'un des vieux ponts d'Angers sur la Maine ; nous porterons ensuite notre examen sur les ponts des grandes chaussées qui traversaient la plaine submersible de la Loire, notamment à Blois et à Tours, et qui établissaient une communication entre les coteaux de ses deux rives.

De temps immémorial, et aussi loin que les documents écrits reportent les souvenirs historiques, la vallée de la Loire était submergée par les crues du fleuve et par celles de ses bras secondaires, indépendamment de celles des cours d'eau tributaires du fleuve qui sillonnaient cette vallée, particulièrement aux environs des Ponts-de-Cé, de Saumur, de Tours et de Blois.

Les habitants des deux rives opposées n'auraient pu entretenir des relations continues de voisinage, puisque les communications par terre eussent été interrompues toutes les fois que les grandes eaux débordées se déversaient sur la plaine, si l'on n'avait corrigé cette grave irrégularité du régime fluvial par l'établissement de chaussées insubmersibles qui s'étendaient d'un des côtés à l'autre de la vallée, et aux travers desquelles on avait ménagé des ponts qui furent généralement de bois pendant plusieurs siècles, et très probablement aussi jusqu'après l'an mil, époque à laquelle les riverains intéressés reconnurent la nécessité de substituer des voûtes de pierre aux ponts de bois sur les fleuves et les rivières importantes comme sur les cours d'eau d'un ordre inférieur.

Si le lecteur veut bien nous suivre dans cette nouvelle exploration, nous allons lui montrer que dans les diverses localités précitées, la suppression des arrière-becs, non seulement des piliers des ponts jetés sur le fleuve, mais de ceux qui étaient construits sous les grandes chaussées tranversales, ne fut que l'application d'une formule ancienne qui se modifia avec le temps et que cette suppression atteste, comme nous l'avons dit plus haut, l'antériorité de l'existence des piliers qui furent peu à peu munis de cette annexe, laquelle, après avoir été une exception, a fini par devenir la règle générale.

 

A Saumur on voyait encore, au XVIIe siècle, sur le fleuve de Loire, six corps de ponts (indépendamment de celui de la Croix-Verte qui est situé au- delà de la levée) que, sur un plan authentique, on désigne en partant de la ville par les noms de pont Foulon ; pont de la Croix de par Dieu ou grands ponts de bois ; arche du moulin pendu ; grandes arches ; pont de la Boire-Torse ; pont de la Bastille ; ces ponts se composaient en totalité de trente-sept arches de pierre ou travées de bois (85).

Deux piliers seulement sont munis d'arrière-becs triangulaires, les trente- cinq autres sont coupés carrément en aval, bien que la plupart des arches de pierre soient de plein cintre ; une bastille établie sur la troisième arche de rive droite était protégée par deux ponts-levis.

Un peu à l'amont des grands ponts de bois, l'on apercevait dans la Loire les ruines d'un pont plus ancien, qui est désigné sur le plan par la légende pont ruiné et dont les piliers, au nombre de sept, ne laissent pas même soupçonner l'existence d arrière-becs. Serait-ce l'inondation de l'année 1235 qui aurait rompu les ponts de Tours et de Saumur et à la violence de laquelle l'on devrait attribuer la ruine de ce dernier ? Nous ne sommes pas en mesure d'éclairer ce point encore obscur (86).

Nous avons dit, au témoignage de l'historien de Saumur, que les premiers ponts de cette ville qui ne dateraient, d'après lui, que du milieu du XIIe siècle, étaient de bois et que c'était en vertu d'une sentence rendue par Henri II, comte d'Anjou et roi d'Angleterre, que les moines de Saint Florent de Saumur furent tenus de remplacer chaque année les travées de bois par une arche de pierre.

Les ruines des sept piliers que l'on voit rapportées sur le plan authentique sont donc vraisemblablement celles du pont de pierre primitif dont la construction fut ordonnée par le comte d'Anjou à l'époque de son voyage à Saumur, et de l'établissement des levées, entre les années 1161 et 1172.

 

Aux Ponts-de-Cé, où les cours d'eau descendant des pays d'amont se sont concentrés et peu à peu réunis, la Vienne, le Thouet et la Loire, on avait établi, pour les franchir, une série de chaussées et de ponts bout à bout, sur une longueur de plus de trois kilomètres, et dont l'emplacement, la nature et l'état matériel ont certainement subi de grands changements dans.la suite des siècles.

Ces chaussées étaient en principe composées de deux murailles parallèles dont l'espace intermédiaire, rempli de terre, formait sur le sol de la vallée un relief assez saillant pour mettre la voie au-dessus du niveau des plus grandes eaux connues. Ce qui reste de ces chaussées, rapproché des plans des ingénieurs des turcies et levées, suffit à faire comprendre le dispositif général de ces constructions hydrauliques (87). Aux époques des crues moyennes et simultanées, quoique sans débordement, de ces trois cours d'eau, cette partie, du territoire de l'Anjou présentait alors comme aujourd'hui l'aspect d'une petite mer (88).

Au témoignage de l'annaliste saumurois, le premier pont de pierre qui aurait été reconstruit vers le milieu du XIe siècle, pour rattacher l'île et le bourg des Ponts-de-Cé au continent de la rive droite d'une manière permanente, s'appelait le pont de Saint-Aubin ; un peu plus au nord, du côté d'Angers, il en existait un autre que les documents modernes désignent sous le nom de pont Bourguignon (89).

Ces deux ponts traversaient les anciens lits de la Loire.

Celui de Saint-Maurille, sis au midi du bourg des Ponts-de-Cé, paraît avoir été bâti par Henri II, comte d'Anjou, sur l'ancien lit de la Vienne, pour relier le bourg de Saint-Maurille à celui des Ponts-de-Cé et au pont de Saint-Aubin ; enfin un quatrième pont, jeté sur les bras du Thouet, ou Louet, rattachait cette série de ponts au coteau de la rive gauche sous la roche d'Erigné.

Dès l'année 958, l'empereur Charles le Chauve avait accordé le droit de pontonnage du pont de Saint-Aubin à l'abbaye de ce nom située dans la ville d'Angers, et par une charte du XIIe siècle, Henri II, comte d'Anjou, avait concédé à l'abbaye de Fontevrault le bourg des Ponts-de-Cé avec un péage, sous réserve d'exemption de ce droit en faveur des habitants dudit lieu.

 

1162 Angers Ratification par le roi Henri II d’une convention conclue entre les religieuses de Fontevrault et les hommes d’Angers au sujet des coutumes du Pont de Cé.

 Henricus, rex Anglorum, et dux Normannorum, etc.
Sciatis me concessisse et carta mea mea confirmasse conventionem que facta fuit inter moniales de Fonte Ebraudi et homines Andegavenses de consuetudinibus pontis Saeii.....

Sciant presentes et eorum successores quod ego Goslenus de [Turonis], tunc temporis Henrici regis senescallus Andegavie, per ipsius mandatum, quandam contentionem, que diu inter sanctimoniales Fontis Ebraudi et homines Andegavenses duraverat de consuetudinibus pontis Saeii, hoc modo auditis et distinctis, composite finivi.

 Ex mandato enim ipsius domini regis hos servientes antiquos, qui melius consuetudines pontis noverant, ante me venire feci, qui et consuetudines ex antiquo receperant, et earum memoriter scientes erant: Girardum scilicet Trameburel.

Estormi de Brachesac, Bassetum, Fulcherium Raberium, Frogerium de Listreio. Isti, coram me et Hugone de Cleeriis et Brientio de Martinniaco, Symone quoque de Castellione, qui mecum loco regis residebant, testificati sunt, et si opus esset disraciocinare parati, quod omnes consuetudines pontis sunt proprie sanctimonialium et in omnibus capiunt, exceptis in his XI. denariatis panis, in volucribus quas aliquis amico suo detulerit vel miserit, in summa napium, in his que aliquis homo transligerinus, miles vel alius, dans mestivam ponti, amico suo citra pontem miserit, accepta fiducia ab eo qui detulerit quod dono mittatur, in summa etiam fabe vel alterius leguminis, in his quoque que aliquis filio suo ad victum pertinencia miserit, carne videlicet mortua, pane, volucribus, et cum fiducia, hoc excepto quod nichil capiant in porcis qui ad pasnagium comitis solummodo transibunt, nec in bestiis que pro sola guerra comitis vel violencia alia transierint, nisi plus mense uno extra pontem moram fecerint.

In omnibus aliis capiunt sanctimoniales consuetudines suas libere in ponte, cujus habent vicariam, furtum, sanguinem et raptum, et omnem aliam justiciam.

Hoc audierunt isti et viderunt: Kalo pretor Andegavensis, Matheus de Baugeio, Radulfus de Soz, Mauricius pretor de Brachesac, et tota curia, prout plena erat militibus et populo.

Quia igitur ex mandato domini Henrici regis Anglorum, ducis Normannorum [et] Aquitanorum, comitis Andegavorum, supradictorum et consilio hec contentio finita est, ne super ea ulterius renovetur dissensio, sigilli mei testimonio confirmavi.

Testibus : Hugone de Cleers, Johanne Josleni dapifero, Calone preposito.


Apud Andegavim.

 

 

Les plans authentiques qui furent dressés sur la fin du XVIIe siècle, dont il a été question plus haut, représentent avec une parfaite exactitude l'état des lieux à cette époque (90). La chaussée dite du pont Bourguignon était traversée par cinq arches de pierre et deux travées de bois, et la chaussée qui reliait le bourg de Saint-Maurille au coteau de rive gauche présentait onze arches disséminées par groupes de une à trois, au milieu d'autres groupes contenant un plus grand nombre d'arches et qui étaient de véritables ponts, dans l'acception technique du mot. Ainsi celui de Saint-Aubin consistait en vingt-six arches et travées ; celui de Saint-Maurille comportait vingt-une travées de bois, les unes soutenues par des piliers de pierre, les autres par des palées de charpente offrant des ouvertures très variables. Sa tête de rive gauche était accompagnée de trois tournants de moulins installés en aval des quatre dernières travées, que le plan désigne par le nom de grande voie, et séparées du reste du pont par un îlot.

 Le pont de Saint-Maurille est distingué sur le même plan par le nom de pont neuf, en mémoire de son rétablissement à la suite d'inondations et de débâcles qui auront détruit l'ancien. Entre le bourg de Saint-Maurille et le coteau de rive gauche on voit trois groupes de ponts, nommés sur ce plan chaussée et pont de Loire et formés de voûtes de pierre, dont dix-huit dans le premier groupe, vingt-deux dans le suivant et huit dans le troisième qui joint le rocher d'Erigné.

Cette série de chaussées et de ponts, qui comportait en tout cent treize arches de pierre ou travées de bois, établies, à la suite les unes des autres sans alignement systématique, et serpentant comme à plaisir autour de la pointe orientale, de l'île sur laquelle a été bâti au moyen âge le château qui existe encore aujourd'hui, est assurément l'une des conceptions hydrauliques les plus originales de ces temps reculés. Or, et c'est à cette conclusion que nous voulons aboutir, parmi les cent treize arches de pierre ou travées de bois reposant sur des piliers dont les fondations de la plupart sont manifestement contemporaines de ces arches et remontent conséquemment aux XIe et XIIe siècles, on ne compte sur le plan du XVIIe que quatre piliers munis d'arrière-becs triangulaires, deux terminés par un arrière-corps quadrangulaire, deux autres par une saillie en forme de trapèze, contre soixante-dix-huit qui sont dépourvus d'arrière-becs et coupés carrément sans relief.

Il est bien évident que cette suppression systématique de l'appendice des piliers ne peut être que le résultat de l'application d'une méthode et d'une formule passées en usage aux époques de l'établissement de tous ces piliers.

Si nous pénétrons dans la vallée de la Maine, affluent de la Loire, à proximité des Ponts-de-Cé, nous y rencontrons des exemples d'anciens ponts dont les vestiges, rapportés sur des plans authentiques de la fin du XVIIe siècle, accusent des dispositions qui rentrent pleinement dans notre sujet.

Nous avons déjà parlé du pont de pierre bâti à Angers, vers les années 1005 et 1007, par Foulques Nerra. Cet édifice remarquable, qui avait remplacé d'anciens ponts de bois, était établi sur la voie antique de Tours à Rennes.

 Le comte d'Anjou en avait concédé aux religieuses du Ronceray toutes les pêcheries, ainsi que tous les emplacements occupés par les moulins compris dans l'intérieur et au-dessous des arches de ce pont (91). Comme on l'a fait trop souvent à des époques récentes, et fort inconsidérément d'ailleurs, l'on ne craignait pas de rétrécir les débouchés des ponts et de ceux-ci en particulier, que l'on désignait par le nom de grands ponts, comprenant deux groupes rattachés à l'île qui les séparait.

Le pont de la Tannerie a disparu et ce bras de la rivière a été comblé récemment. Quant au pont principal qui fut reconstruit plusieurs fois, on en a diminué l'ouverture par la suppression de quelques arches dont on a retrouvé, dans ces dernières années, les vestiges qui s'étendaient sur la rive gauche jusqu'à une grande distance de la culée du pont moderne (2).

Le plan dressé sur la fin du XIIe siècle ne peut donner aucune idée de la physionomie du pont de Foulques Nerra, si ce n'est que quelques piliers sont coupés carrément sans arrière-becs, ou prolongés à une certaine distance en aval, pour servir d'appui à des usines ou à des ateliers dont ce plan ne fait pas connaître la nature (93).

Ce n'est qu'un siècle après la construction de ce pont de pierre par Foulques Nerra qu'un autre pont a été bâti à deux cent cinquante mètres environ vers l'amont avec une destination spéciale ; c'est le pont des Treilles dont on ignore, quant à présent, aussi bien la date de sa construction que le nom de son fondateur (94).

Tout ce qu'on sait, c'est que dans la première moitié du XIIe siècle, Henri II Plantagenet, comte d'Anjou et roi d'Angleterre, avait concédé à l'hôpital Saint-Jean les moulins à cages fixes qui y étaient installés ; que, plus tard d'autres moulins furent établis sur ce pont, qui finit peut-être par les contenir tous, à en juger par la description graphique du XVIIe siècle qui ne porte la trace d'aucun des moulins qui existaient sur le pont de Foulques Nerra.

Au XVIIe siècle, le pont des Treilles présentait huit alignements différents dans sa longueur totale de cent soixante-dix mètres. On y voyait quatre groupes de moulins installés en aval sur des fondations de maçonnerie ; la voie de circulation publique, ménagée sur la partie d'amont des piliers qui sont munis uniformément d'avant-becs triangulaires, n'avait pas plus de quatre mètres de largeur sur les deux premiers tiers de la longueur comptée à partir de la rive gauche de la Maine, qui est la partie la plus ancienne. Sur le dernier tiers attenant à la rive droite, la voie de circulation a été portée de quatre à six mètres pour le pont dit pont ruiné, puis à dix pour le pont dit des Grands-Moulins. Les deux premiers tiers, vers la rive gauche, sont désignés sur le plan par le nom de pont des Treilles. Dans cette section l'on ne remarque aucune trace d'arrière-bec, et cette absence est un nouveau caractère d'ancienneté relative, car les piliers du pont ruiné sont munis d'arrière-becs triangulaires semblables à ceux du pont des Grands-Moulins ; or ces deux dernières sections sont manifestement plus récentes que le pont des Treilles proprement dit (95). Telle est la proposition que nous avons voulu confirmer sur ce vieil édifice.

L'antique cité des Turones est assise dans la presqu'île formée par la Loire et par le Cher.

Un pont rattachait la ville au coteau de la rive droite, de la Loire, et, du côté opposé, d'autres ponts ménagés sous des chaussées insubmersibles donnaient passage aux eaux du Cher et à celles de la Loire, qui se réunissaient assez souvent aux époques de leur débordement, comme elles le font encore de nos jours l’orque les digues sont rompues.

Ces ponts étaient désignés par les noms de Pont long ou de Saint-Avertin ; Pont Dion ou de Saint-Sauveur ; Pont de Saint-Eloy ; Pont Saint-François ; Pont aux Oies; Pont neuf; tous ces ponts sont figurés sur des plans authentiques de la fin du XVIIe siècle (96). Les chaussées sont formées de deux murailles parallèles comme celles des Ponts-de-Cé.

Les arches de pierre et travées de charpente ménagées sous ces chaussées ont été exécutées par groupes très inégalement distribués ; les travées de bois furent établies sur l'emplacement d'anciennes voûtes écroulées. On compte cinquante-neuf arches de pierre en arc brisé et six en plein cintre, dont deux sont mentionnées sur les plans précités comme ayant été « refaictes à neuf l'an 1696 » ; enfin les mêmes plans nous montrent vingt-sept travées de bois reposant, les unes sur des piliers de maçonnerie, les autres sur des palées. Il résulte de cette analyse que la presque totalité des baies ou pertuis se compose d'arches en arc brisé, et que les voûtes de plein cintre, comme les travées de bois, n'ont été substituées aux arches renversées par les inondations que très postérieurement à l'établissement de ces arches.

Tous les piliers sans exception sont munis d'avant-becs triangulaires, et douze seulement d'arrière-becs de même forme ; les piliers coupés carrément et sans arrière-becs sont au nombre de quarante-six ; le rapprochement de ces chiffres est une confirmation de la règle locale que nous voulions établir.

A Blois, nous trouvons des dispositions qui offrent la plus grande ressemblance avec les précédentes ; la vallée s'étendant sur la rive gauche du fleuve, entre le faubourg ou l'île de Vienne et le coteau de Sologne, était submergée autrefois, comme elle l'est encore aujourd'hui d'ailleurs, par les inondations de la Loire qui mêlait ses eaux à celles de la rivière du Cosson ; les documents historiques nous apprennent que depuis les temps de l'occupation romaine, les communications d'une rive à l'autre du fleuve étaient établies sur des ponts et des chaussées qui régnaient d'une manière pour ainsi dire non interrompue entre l'ancien Castrum blesense, assis sur la rive droite, et le coteau de Sologne, rattachant la Beauce, c'est-à-dire Vendôme et Chartres, au pays des Bituriges et à l'oppidum avaricum.

Ces communications n'ont pas dû cesser d'exister pendant tout le cours du moyen âge, sauf aux époques d'interruptions accidentelles occasionnées soit par las inondations qui renversaient les ponts et faisaient brèche aux chaussées, soit par les invasions normandes, soit par les guerres intérieures.

 Les écrivains modernes s'accordent pour faire remonter au XIe siècle l'établissement d'un pont de pierre sur la Loire à Blois, et de deux chaussées munies de ponts intercalés, sur la vallée submersible ; l'une et l'autre de ces chaussées partaient du faubourg de Vienne : la première, dite des Ponts Chastrè, qui s'inclinait un peu vers l'Orient et, après avoir traversé la rivière du Cosson, allait rejoindre le coteau en face du bourg de Vineuil; l'autre, dite de Saint-Michel, qui se trouvait à l'Occident et coupait la même rivière à la distance d'environ deux kilomètres des ponts Chastré.

Les deux chaussées sont encore jalonnées sur le sol de la plaine, la première par des ouvrages intacts, la seconde par les ruines du pont dit de Saint-Michel. Les chaussées sont formées de deux murailles parallèles, comme celles des Ponts-de-Cé et de Tours, sur un type uniforme.

Des plans dressés sur la fin du XVIIe siècle (97) donnent une idée très nette de la manière dont ces ouvrages avaient été conçus et exécutés. La chaussée des ponts Chastré ou Chartrains comprenait, à cette époque, cinquante-deux arches de pierre et celle des ponts Saint-Michel vingt-cinq, soit ensemble soixante-dix-sept arches ayant des ouvertures différentes et distribuées par groupes composés d'un nombre variable et plus ou moins grand d'arches, selon la plus ou moins grande dépression de la surface de la vallée et la direction des courants qui s'y établissaient en vertu de ces dépressions, des pentes et des obstacles qui contrariaient l'écoulement naturel et faisaient dévier les eaux dans un sens ou dans un autre, ainsi qu'on l'observe encore de nos jours, au moment des crues de submersion des vallées. Quinze piliers des ponts de la première chaussée sont munis d'avant-becs triangulaires et neuf en sont dépourvus et coupés carrément à l'alignement du parapet. Aucun de ces piliers n'est accompagné d'arrière-bec saillant.

Dans les arches de la chaussée de Saint-Michel, tous les piliers sont armés d'un avant-bec triangulaire et coupés d'équerre en aval dans l'alignement du parapet. Nous retrouvons donc encore ici une nouvelle confirmation de la règle. Résumant la discussion sur le sujet, nous dirons que les arches qui traversent les chaussées du val de Saumur et des Ponts-de-Cé, comme de celui de Tours et de celui de Blois, ont été projetées sur des types anciens, ainsi que le démontrent d'une manière incontestable plusieurs groupes d'arches des chaussées de Tours jetées sur les bras du Cher, et notamment le groupe des vingt-quatre arches consécutives du pont dit de Saint-Sauveur, dessinées sans exception en arc brisé.

 L'absence d'arrière-becs des piliers des ponts existants sous ces chaussées, rapprochée de la suppression de cet appendice caractéristique sur les piliers des grands ponts traversant le fleuve, semble accuser une contemporanéité et une communauté d'origine qui confirment de la manière la moins équivoque la formule ou la règle que nous avons énoncée, consistant en ce que l'absence d'arrière-becs des piliers d'un pont, tout au moins dans la région fluviale qui nous occupe plus particulièrement ici, était un témoignage de l'ancienneté relative de ces piliers comparée à d'autres d'un même pont ou d'autres ponts qui seraient munis de cet appendice.

Cette règle paraît être généralement vraie, bien que nous ne prétendions pas affirmer qu'elle ne comporte pas, même sur quelques ponts de la Loire, certaines exceptions qui d'ailleurs la confirmeraient. Mais pour que l'on ne se méprenne pas sur notre pensée, nous ajoutons que ces observations n'ont pas pour but d'établir que toutes les arches isolées et tous les groupes de ces arches disséminés sur l'étendue des chaussées dont nous parlons et tels que les plans authentiques du XVIIe siècle nous les représentent, soient sans exception de construction primitive ; loin de là, nous tenons pour certain que la plupart de ces arches ont été ruinées par les inondations, mais il nous paraît résulter de l'étude des documents et de l'état des lieux que le plus grand nombre a été reconstruit, soit sur leurs piliers primitifs, soit sur des piliers neufs fondés sur l'assiette même des anciens et rétabli d'après les types originaires, c'est-à-dire sans arrière-becs triangulaires se détachant en relief saillant sur l'alignement du parapet. On appréciera plus loin l'utilité de ces considérations et de ces rapprochements dans l'application que nous nous proposons d'en faire pour déterminer, à défaut de preuves plus décisives, l'âge du pont des Tourelles d'Orléans.

Mais, avant de traiter cette question, il nous a paru nécessaire de porter nos investigations sur un élément qui ajoutera son contingent de lumière à la discussion touchant l'âge des ponts que nous avons plus particulièrement pris pour termes de comparaison. Il s'agit des moulins à eaux (98), qui furent, à des époques diverses, installés sous les ponts de la Loire et dont nous avons déjà eu l'occasion de parler dans le chapitre IV.

Au moyen âge, les moulins à eau ne pouvaient être établis sur bateaux, sur cages fixes de maçonnerie, ou sur pilotis, qu'à la condition de ne causer aucun préjudice à la, navigation, et tout propriétaire, quelle que fût sa qualité, était tenu de s'y soumettre, sous peine de suppression, de destruction ou de confiscation de ces usines et de réparation des dommages causés aux navigateurs.

De nombreux monuments subsistent de cette jurisprudence fondée sur l'application du droit féodal et régalien. Le nombre de ces moulins sur bateaux était très considérable et particulièrement dans les villes, indépendamment de ceux qui étaient installés sous les arches des ponts, mais ces derniers jouissaient de certains privilèges et ne formaient d'ailleurs que la faible minorité de ces sortes d'usines dont les plus nombreuses étaient disséminées sur les rives du fleuve, dans toute l'étendue de son parcours. Les moulins montés dans des cages bâties soit en pierre, soit sur pilotis, étaient beaucoup plus rares que les moulins à nef qui, indépendamment de la moindre dépense de leur construction, possédaient cet autre avantage de permettre de les déplacer à volonté lorsque les circonstances l'exigeaient, ce qui arrivait fréquemment.

En parlant des ponts de Cé, d'Angers, de Tours, de Blois, et de Beaugency, nous avons fait mention des moulins qui y étaient installés et nous revenons sur cette question parce que les documents contemporains renferment quelques indices qui aident à fixer l'époque approximative de la fondation de ces édifices.

En décrivant le vieux pont de Tours, dont le plan des ingénieurs des turcies et levées nous a conservé l'image fidèle à la fin du XVIIe siècle, nous avons signalé sur le prolongement, en aval de la dix-septième arche, les vestiges d'un ancien moulin ruiné.

Il est permis de conjecturer, sinon d'affirmer, que ce moulin était contemporain du pont ; mais, en l'absence de date certaine, nous ne nous y arrêterons pas plus longtemps.

A Blois, nous possédons des documents écrits des années 1078 et 1089, qui sont des témoignages à la fois de l'existence des moulins sur ou sous le pont, et par conséquent du pont lui-même : « duos molendinos adpontem Ligeris (99). »

Le plan des ingénieurs des turcies et levées, exécuté sur la fin du XVIIe siècle, indique le lieu où les moulins bannaux et royaux étaient installés à cette époque ; c'était à la suite des arches nos 4, 5, 6, 8 et 9 à partir de la ville.

 Ces cinq moulins étaient montés dans des cages fixes adossées à la face d'aval du pont et l'on y accédait par la voie charretière du pont lui-même. Les trois premières arches du côté de la ville paraissent avoir été dégagées de tout obstacle qui aurait gêné l'écoulement des eaux et le passage des bateaux et qui aurait pu contribuer à diminuer l'efficacité des ouvrages militaires qui protégeaient l'entrée de la ville. Les deux premiers piliers de la rive gauche présentaient des allongements considérables, tant en amont qu'en aval (100), sur lesquels il a existé autrefois, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, plusieurs établissements et ateliers publics ou particuliers, comme des moulins. Nous avons cité plus haut un exemple de ces dispositions pris sur l'arche du pont de Blois qui était désignée sous le nom d'Effreli.

Sur les plans des ponts de Beaugency de la fin du XVIIe siècle, l'on n'aperçoit aucune trace d'anciens moulins ; ni indication graphique, ni légende écrite ne permet d'affirmer, a priori, que des moulins aient été juxtaposés ou incorporés à cet édifice ; et pourtant nous possédons des documents authentiques qui en attestent l'existence ancienne.

Voici, par exemple, l'extrait d'une charte portant concession faite par Jean, seigneur suzerain de Beaugency, à l'abbaye de Notre-Dame de ce lieu, à l'effet d'établir sur le pont un moulin et une pêcherie ; le moulin doit être placé sous l'arche « in archa pontis » qui est la cinquième à partir du Castrum (101).

Cette charte est au millésime de 1203. Mais l'abbé de Notre-Dame n'aura pas sollicité cette concession au moment juste où le pont venait d'être achevé, d'où il suit que la fondation de ce pont devait remonter bien plus haut que l'année 1203, ce qui confirme rétrospectivement nos précédentes inductions. Cette charte vient corroborer aussi l'opinion que nous avons exprimée quant à l'absence ancienne des moulins du pont de Blois sur ses trois premières arches. Les fortifications de la tête du pont de Beaugency s'étendaient sur les cinq premières voûtes, d'après les indications positives du plan des ingénieurs des turcies et levées et l'autorisation donnée par Jean de Beaugency à l'abbé de Notre-Dame de n'établir son moulin que sous, dans, « in » la cinquième arche à partir du Castrum prouve que ces cinq arches étaient libres de tout obstacle qui pût gêner le passage des eaux et des barques ou compromettre la défense de la tête du pont en cas d'attaque dirigée contre la ville.

Les moulins à cages fixes incorporées aux ponts, « in archa pontis », laissaient libre la voie publique destinée aux piétons et aux véhicules qui la parcouraient. Ces cages, soit de maçonnerie, soit de bois, étaient adossées le plus généralement à la face d'aval de l'édifice, de manière à gêner le moins possible l'écoulement des eaux et des glaces ; les barques ne naviguaient pas sous les arches occupées, soit à titre permanent, soit à titre temporaire, par les moulins, que leur cage fût fixe ou mobile ; par les moulins à cages fixes, parce que les roues et leur mécanisme de suspension auraient été des obstacles à leur par les moulins à cage mobile ou à nef qu'on ne retirait de cette position qu'à l'approche des crues et des glaces, qui les auraient infailliblement entraînés ou brisés, ou que dans des circonstances graves qui commandaient l'emploi de cette manoeuvre.

Nous aurons occasion de signaler quelques-uns de ces déplacements en parlant des moulins du pont d'Orléans, chap. XVII.

Indépendamment des exemples tirés des ponts de Tours, de Blois et de Beaugency, on peut voir d'autres dispositifs d'arches occupées par les moulins à cages fixes sur les ponts de Saumur, où nous avons fait remarquer l'existence d'un moulin pendu installé sur une arche en dehors de la voie des piétons, sur les ponts de Cé où l'on voyait trois tournants de moulins en aval et en dehors de la voie charretière, enfin sur les grands ponts d'Angers ou ponts de Foulques Nerra, et sur celui de Treilles, dont presque toutes les arches étaient occupées par des moulins à cages fixes établies, comme les précédentes, en dehors et en aval de la voie qui traversait ces deux ponts.

L'un des deux ponts d'Amboise sur la Loire, qui fut reconstruit par Hugue, seigneur de ce lieu, vers l'année 1110, était appelé le Pont des Moulins (102) ; l'absence de plan authentique ne permet pas de reconnaître exactement l'emplacement qu'occupaient ces usines relativement au pont ; mais il est probable qu'elles étaient installées du côté d'aval de ce pont, selon l'usage adopté généralement pour profiter de l'accélération de vitesse du courant produite par le resserrement des eaux.  

Sur la Seine, au moyen âge, les moulins étaient nombreux, et ceux qui avaient été installés sur les ponts de Paris partagèrent leur triste sort aux époques des grandes crues et des débâcles de glace. Charles le Chauve avait fait donation, par une charte de l'année 857, à l'évêque de Paris et à ses successeurs « du grand pont et des moulins qui « estoient ediffiez dessus », avec défense aux comtes de Paris et aux autres juges de troubler les donataires dans la propriété et la jouissance de ces biens.

En l'année 1070, le roi Philippe Ier et, en l'année 1137, le roi Louis VII avaient transmis aux religieux de Saint-Martin la propriété des moulins qu'ils avaient sur ce pont et dont le mécanisme était renfermé dans des bâtiments ou cages établis sur le pont même (103).

La catastrophe de l'année 1296 ayant détruit le grand pont, on rebâtit à côté de l'emplacement de cet ancien édifice un pont de bois (104) sur lequel furent installés, et à côté les uns des autres, les moulins qui, avant le sinistre de l'année 1296, encombraient le grand pont, ce qui fit donner au nouveau le nom de Pont aux Meuniers, sur lequel la circulation publique fut interdite jusqu'à la fin du XVIe siècle.

Un incendie le consuma en l'année 1596 avec presque tous les moulins et les maisons dont il était chargé. Rebâti en bois, vers l'année 1598, par Charles Marchand, dont il prit le nom, avec une double rangée de maisons symétriques séparées par une rue centrale, il fut incendié une dernière fois en 1621 et les moulins et les maisons devinrent la proie des flammes (105).

En parlant du pont de l'Arche sur la Seine, nous avons dit que les moulins que l'on voyait encore, en l'année 1856, adossés à sa face d'aval, au moment où ce vieil édifice tombait de vétusté, existaient déjà au XIIIe siècle et très probablement avant cette époque, car des rentes sur leurs produits étaient données par les rois à plusieurs établissements publics (106).

La coutume d'établir des moulins sur les ponts des grandes rivières, née au moyen âge, s'était transmise jusqu'aux temps modernes, et leur suppression, comme celle des moulins à nef qui embarrassaient leurs cours, a été commandée par des considérations d'ordre, de convenances, et de nécessités publiques. Cette coutume toutefois ne subsiste encore sur les rivières du domaine national que par une sorte d'exception, comme nous venons d'en citer un exemple pour le pont de l'Arche, en 1856. Mais sur les rivières qui ne sont pas classées navigables et domaniales, l'on rencontre un très grand nombre de ponts auxquels sont accolés des moulins à cages fixes, dont ils sont ou paraissent être des annexes en quelque sorte solidaires et contemporaines.

Avant de passer à l'examen de quelques-uns des ponts de pierre bâtis au XIIe siècle, il n'est pas hors de propos de rappeler que si ces sortes d'édifices avaient été une exception avant cette époque, ils le furent encore pendant de longues années, non seulement sur les grands cours d'eau, mais encore sur des rivières de moindre importance où des ponts de bois, auxquels on donnait le nom de planches (107), étaient les moyens communément employés pour les traverser.

Aussi croyons-nous qu'il est prudent de conjecturer que, lorsque les chroniques contemporaines font mention d'un pont sans en désigner la nature, c'est d'un pont de bois généralement qu'elles veulent parler.

Ainsi, avant l'année 1073, les abbayes de Saint-Arnoud et de Bouxion-aux-Dames avaient construit à frais communs un pont sur la Moselle, dans le pays messin ; il est bien probable qu'il s'agit d'un modeste pont de bois.

En l'année 1120, l'abbaye de Moissac recevait à titre de don gratuit le pont de planches existant sur l'Aveyron en un lieu appelé roca columbaria. Les chroniques nous apprennent que Louis VII autorisait, en l'année 1122, les bourgeois de Beauvais à refaire les ponts en planches sur les eaux du Thérain qui traverse leur ville, et qu'en l'année 1148, ceux de Saint-Quentin, par un arrangement convenu entre eux et le monastère de cette ville, se chargeaient de l'entretien des ponts sur la Somme qui étaient sa propriété seigneuriale (108).

Avant de quitter le XIe siècle, nous devons mentionner l'un des plus anciens ponts de la Loire sur l'âge duquel nous n'avons malheureusement aucun document précis. Mais nous savons que ce pont existait dans la première moitié du XIVe siècle, puisque les annales manuscrites de l'abbaye de Fleury-Saint-Benoît (109) rapportent qu'en l'année 1363 ce pont aurait été détruit par une crue de la Loire, qui est peut-être celle de l'année 1365, laquelle, d'après une charte de cette date, n'aurait renversé seulement que quelques-unes de ses arches.

Le chanoine Hubert (110) déclare que le pont de Sully était encore debout sous le règne de Henri IV, mais qu'il n'existait plus en l'année 1650. D'après d'autres annalistes, l'édifice aurait été détruit par l'inondation de l'année 1608 (111).

La charte de 1365 autorise les ouvriers qui travaillaient aux fortifications de la ville de Sully à cette époque : « à prendre « les matériaux aux arches chues de ce pont que Monseigneur « donne à la ville ».

C'était donc un pont de pierre que les crues du fleuve avaient récemment détruit ou notablement compromis. Il a été relevé après ce sinistre, puisqu'il existait encore à la fin du XVIe siècle et qu'il ne fut entièrement ruiné que dans les premières années du XVIIe siècle, époque à partir de laquelle il n'a plus été rebâti (112). Sully était membre et paroisse de la châtellenie de la Fauconnerie attribuée à l'évêché d'Orléans, dans la mouvance duquel elle était déjà à la fin du XIIIe siècle (113).

Le pont était donc la propriété de l'évêque, et c'est à ce titre qu'il disposait à son gré des matériaux provenant de sa démolition. Si l'on en croit des documents dont nous n'avons pu constater l'authenticité, le pont de pierre de Sully aurait existé déjà vers le milieu du XIe siècle, car sous les règnes de Henri Ier et de Philippe Ier, son fils, entre les années 1031 et 1108, les gens de guerre qui tenaient le château de Sully (114) se permettaient de faire des incursions sur les terres seigneuriales de l'abbaye de Fleury-Saint-Benoît qui était située de l'autre côté de la Loire, en passant sur le pont, ce qui prouverait bien qu'il existait un pont à cette époque, et que ce pont était de pierre, ainsi que nous l'avons dit plus haut. Sa longueur devait être considérable, eu égard à la grande largeur du lit du fleuve avant l'endiguement.

Un témoin occulaire de la démolition de plusieurs des vieilles arches, en l'année 1833, a déclaré que les arches de ce pont étaient fort étroites et mal fondées, que les pierres de parement ne présentaient pas plus de quarante centimètres d'appareil, que les pieux qui entouraient la fondation, des piliers n'avaient pas plus de deux mètres de longueur. Ce témoin croit que la longueur du pont pouvait être de six à sept cents mètres (115). La configuration actuelle des lieux n'est plus celle du XIe siècle, mais la chaussée qui rattache la culée du pont suspendu aux premières maisons de la rue de Sully n'existait pas encore, et devait être occupée par une partie du pont, lequel pouvait bien avoir plus de cinq cents mètres d'une rive à l'autre.

Le XIIe siècle vit bâtir plusieurs ponts de pierre, parmi lesquels on en cite de très remarquables et qui demeurent célèbres, par exemple celui d'Avignon, sur lequel nous nous arrêterons particulièrement en raison de son caractère exceptionnel; mais, pour suivre l'ordre chronologique de la création de ces édifices, arrêtons-nous d'abord au pont d'Amboise, bâti sur la Loire vers l'année 1110 par Hugues, châtelain de ce lieu : « pontem Ligeris composuit (116) » ; c'est ce puissant seigneur qui fit construire les premières tours de pierre de ce château, ainsi que l'église dédiée à saint Thomas.

Ce pont de pierre, séparé en deux parties par une île existant encore aujourd'hui, dut être sans doute l'un des grands monuments hydrauliques de ce siècle ; il avait été réparé et partiellement reconstruit postérieurement à cette époque ; la partie de ce pont qui rattachait l'île à la ville d'Amboise a été reconstruite après la désastreuse inondation de l'année 1866, et quelques années auparavant, pendant la construction des ouvrages de protection de la ville contre les crues du fleuve, nous avions rencontré sous les décombres du quai de la rive gauche quelques-unes des voûtes en arc brisé du pont primitif.

Dès l'année 1134, la ville du Mans possédait déjà un pont de pierre sur la Sarthe, que Philippe-Auguste, assiégeant cette ville en l'année 1189, essaya vainement de détruire (117) ; mais nous ignorons à quel type il faut rattacher ce dernier édifice, quant à la courbure de ses arches.

Les chroniques contemporaines nous apprennent que le grand pont de Rouen avait éprouvé, en l'année 1136, un sinistre considérable ; sa tête fortifiée, du côté de la ville, aurait été incendiée (118).

Cette mention laconique permettrait, a priori, de supposer que le feu aurait détruit les premières travées du pont qui était de bois à cette époque, et qui fut remplacé par l'Impératrice Mathilde, fille de Henri I, roi d'Angleterre (119), vers le milieu du XIIe siècle, par un pont de pierre (120). Opinion confirmée par un document authentique de l'année 1204 qui porte que les bourgeois de Rouen, ayant conclu avec le roi Philippe-Auguste un traité pour la reddition de leur ville (121), s'engagèrent à remettre entre ses mains la barbacane qui défendait la tête du pont, à détruire quatre des arches de ce pont du côté de la ville et à établir en avant desdites arches une porte, ou à la murer, selon le bon plaisir du souverain.

Le pont était donc de pierre, puisqu'il contenait des arches, et comme l'exécution d'une oeuvre de cette importance devait exiger nécessairement un grand nombre d'années, l'on doit reporter vers le milieu du XIIe siècle, entre les années 1130 et 1150, la date de l'établissement à Rouen d'un grand pont de pierre sur la structure duquel, piliers et arches, il est regrettable que les chroniques soient muettes et ne nous apprennent rien de ce qui intéresse plus particulièrement notre sujet (122).

En l'année 1149, nous trouvons encore dans les provinces du nord-ouest de la France, qui étaient alors soumises au roi d'Angleterre, un des exemples les plus remarquables de la construction de grands ponts de pierre que l'on substituait peu à peu aux ponts de bois dans toutes les provinces de l'ancienne Gaule (123).

 Ainsi que nous l'avons dit plus haut, Henri II, comte d'Anjou, voulut reconstruire à Angers le pont que Foulques Nerra y avait bâti dès les premières années du XIe siècle; les deux parties de cette ville, séparées par la rivière, ne formaient alors qu'une seule agglomération urbaine, bien que le quartier situé sur la rive droite ne fût pas encore enfermé dans des clôtures, car ce ne fut que durant le cours du XIIIe siècle, sous le règne de saint Louis, que la troisième enceinte enveloppa dans une chemise de pierre les deux quartiers de la ville (124).

Le comte d'Anjou résolut donc de favoriser d'une manière spéciale sa bonne ville d'Angers et de la doter d'un pont exceptionnellement remarquable pour l'époque, moins par la forme ou la grandeur de ses arches, que par la transformation de la voie de ce pont en une véritable rue prolongeant celles de la ville qui y aboutissaient.

Le pont de Foulques Nerra avait subi, soit du fait des crues de la Maine, soit par d'autres causes inconnues, des détériorations fréquentes, qui avaient détruit plusieurs arches de pierre que l'on avait remplacées provisoirement par des travées de bois ; Henri II conçut donc le projet de créer une oeuvre monumentale et de donner en même temps à ses sujets un témoignage de sa libéralité, car il voulut que la circulation fût libre désormais en tout temps sur le nouveau pont ; que des maisons à plusieurs étages et symétriques y fussent bâties pour recevoir des ateliers, des magasins et des marchandises, afin que les passants pussent y trouver constamment tout ce qui pouvait satisfaire aussi bien les besoins usuels de la vie commune que les désirs du luxe le plus raffiné ; et ce prince poussa la délicatesse de ses attentions envers les Angevins jusqu'à vouloir que les bâtiments qui bordaient les deux rives du pont fussent disposés de manière à protéger les passants contre les ardeurs du soleil. C'est en ces termes que le chroniqueur a enregistré cet événement mémorable (125) ; car ce fut sans doute à l'imitation de ce qui se fit à Angers en l'année 1149, que l'usage se propagea dans d'autres pays d'établir sur quelques grands ponts, soit une, soit deux files régulières de maisons d'habitation et de magasins symétriques, même lorsque ces ponts n'étaient faits que de bois, comme nous le verrons plus loin en parlant des ponts de Paris aux XIIe et XIIIe siècles.

Si intéressant que soit l'épisode de la reconstruction du pont d'Angers, nous n'y trouvons aucune indication touchant la forme et la grandeur de ses arches et de ses piliers ; c'est une lacune bien regrettable que le silence du chroniqueur et l'absence de toute autre description ne nous permettent pas de combler (l26).

Au nombre des grands ponts de pierre qui furent construits sous le XIIe siècle, nous avons déjà eu l'occasion de citer (chapitre IX), celui de Saumur qui remplaça l'ancien pont de bois dont la dépense dut être payée, en exécution d'une sentence souveraine du comte d'Anjou rendue vers l'année 1160, aux bourgeois de la ville par l'abbaye de Saint-Florent, à charge par celle-ci de substituer chaque année une arche de pierre aux travées et planchers de bois.

Mais sauf la trace des ruines des piliers de ces ponts, que les ingénieurs des turcies et levées ont rapportées sur leurs plans au XVIIe siècle, aucun indice authentique n'est parvenu, à notre connaissance, de la figure géométrique des arches du pont de Saumur, qui ont été contemporaines de celles des ponts de Cé, et vraisemblablement aussi, comme elles, en arc brisé.

 

 

 

 

 Société archéologique du Vendômois

 

 

 


 

Histoire de l'Anjou et du Maine-et-Loire; La construction des ponts sous Plantagenêt (Henri II et Aliénor d'Aquitaine)
(1699 vue de la ville et du Château de Chinon en Touraine à 3 lieues de Fontevraud) Du Moyen-Âge au XIXe siècle, la technique de construction des ponts connait des évolutions progressives mais modérées. A la fin de la période moderne ont lieu quelques réalisations d'envergure sous l'égide du corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées, à l'instar de la construction du Pont Cessart à Saumur.

 

(1) Regni proceres elegerunt Hugonem et evexerunt. (Historiens des Gaules, tome X. Ex chronico Willelmi Naugii, page 300. Ex brevi chronico Tornacensi. Historiens des Gaules, tome VIII, page 285. Ex chronico sancti Benigni divionensis, tome VIII, page 244.) — ORDERIC VITAL tome IX, page 2, et RICHARD LE POITEVIN, page 24, fixent à l'année 991 la fin de la dynastie carolingienne.

(2) Cette investiture eut lieu l'année même de l'élection de Hugues Capet. « Statim » aussitôt, selon la Chronique de Tours. (Historiens des Gaules, tome X, pages 280 et 281.) — ORDERIC VITAL, tome IX, page 18, et Miracles de Saint-Benoît, page 142, du même volume. —SYMPHORIEN GUYON, d'accord avec LA SAUSSAYE, reporte l'acte de cette investiture à l'année 992 et même à l'année 994. (Histoire d'Orléans, pages 268 et 271. Annales Eccles. Aurel., page 352.)

(3) SYMPHORIEN GUYON, Histoire d'Orléans, pages 271, 315, 321.

(4) Pronostics tirés du chap. xx de ['Apocalypse de saint Jean, commentés et développés au gré de chacun, mais contrairement au sens caché, puisqu'en fait les pronostics humains du IXe siècle ne se sont pas réalisés.

(5) L'abbé LEBEUF, Dissertation sur l'état des lettres, tome II, pages 40 et 42. ABBON, moine de Fleuri, Apologétique adressée à Hugues et à Robert, rois de France. SYMPH. GUYON, Histoire d'Orléans, page 277.

(6) Des Pèlerinages en terre sainte, par LUDOVIC LALANNE. (Bibliothèque de l'École des Chartes, 2e série, 2e volume.)

(7) Traité d'architecture de LÉONCE RAYNAUD, inspecteur général des ponts et chaussées, professeur à l'École polytechnique, 2e partie, pages 223 et 224.

(8) Erat enim instar ac si mundus ipse excutiendo semet, rejecta vetustate, passim candidam ecclesiarum vestem indueret. (RAOUL GLABER, livre 3, chap. iv. —Recueil des Historiens de DUCHESNE, tome IV, page 27.)

(9) Architecture militaire au moyen âge, par VERDIER, tome VII des Annales archéologiques de DIDRON. — Architecture militaire du moyen âge, par VIOLLET-LE-DUC, pages 63 et suivantes.

(10) Mémoires de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, tome XIV, pages 299 et 551.

(11) VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire d'architecture, vol. 1, page 134. LÉONCE REYNAUD, Traité d'architecture, vol. 2, page 240.

(12) Congrès des Sociétés savantes à la Sorbonne en 1883. (Section d'archéologie.)

(13) Traité d'architecture de LÉONCE REYNAUD. Dans tout ce qui va suivre, nous appellerons voûtes en arc brisé ce que l'on est dans l'usage de désigner par le nom de voûtes ogivales.

(14) Dictionnaire d'architecture, de VIOLLET-LE-DUC, au mot voûte, et autres auteurs.

(15) VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire d'architecture, au mot architecture. Églises de Saint-Jean, de Châlons ; du Pré-Notre-Dame, au Mans ; de la Trinité et de Saint-Étienne, de Caen ; de Vignory (Haute-Marne). Ces églises sont des XIe et Xe siècles.

(16) LÉONCE REYNAUD, Traité d'architecture, tome II, pages 597, 598.

VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire d'architecture, aux mots : Architecture, constructions, voûtes, etc.

DE VERNEILH, Origine française de l'architecture. (Annales arcliéologiques de DIDRON, tomes I et II.),

VIOLLET-LE-DUC, Construction des édifices religieux en France. Ibid.

BATISSIER, Histoire de l'art monumental, page 515.

(17) LÉONCE REYNAUD, Traité d'architecture, tome I, pages 371, 372.

FREZIER, Traité de la coupe des pierres, 1754.

VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire de l'architecture, aux mots : Architecture, construction, ogive, voûte. — Construction des édifices religieux en France par le même. (Annales archéologiques de DIDRON, tome II.)

DE VERNEILH, Architecture civile du moyen âge. (Annales archéologiques de DIDRON, tome VII.)

LASSUS, de l'Ogive. (Annales archéologiques de DIDRON, tome II.)

DUPUIT, inspecteur général des ponts et chaussées. (Traité de l'équilibre des voûtes, 1870, pages 94, 104.)

(18) Il y eut des exceptions à cette condition ; ainsi les grands ponts de la Loire, dont nous parlerons plus loin, les grands ponts du Rhône, le pont de Mautauhan, sur le Tarn, ne présentaient que des pentes peu sensibles ou nulles. Les architectes hydrauliciens ne créaient pas des pentes par esprit de système, ils obéissaient à des nécessités topographiques ou financières.

(19) Nous aurons occasion de signaler plusieurs exemples de ces accidents.

(20) On a vu de nombreux exemples de ces sortes de renversement de ponts pendant la néfaste guerre franco-allemande de l'année 1870.

(21) BODIN, Recherches historiques sur la ville de Saumur, tome I, pages 298 et suivantes.

 

(22) DE LA SAUSSAYE, Essai sur l'origine de la ville de Blois.

(23) On a cherché à dissimuler la lourdeur de ces édifices en évidant les tympans et en y ménageant des arcades secondaires qui donnaient de la légèreté aux ponts et facilitaient l'écoulement des grandes eaux. Cet artifice qui a été mis en oeuvre non seulement dans les ponts voûtés en arc brisé, mais dans les ponts voûtés de plein cintre et aussi en arc de cercle, est encore aujourd'hui d'usage dans la construction des ponts modernes les plus légers et les plus élégants. Ce dispositif est une imitation de l'architecture antique. C'est ee que GAUTHEY appelle l'oeil du pont. (Traité de la construction des ponts, tome I.)

(24) Ex chronico floriacensi, page 178 ; ex libro II miracul. S. Patris Benedicti, page 348; casas una cum hominibus eruendo, pontes firmos sepesque eradicando... ita ut diluvium esse crederetur (Hi toriens des Gaules, tome X.) (2) VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire d'architecture, au mot pont.

(25) Ex gestis consulum Andegavensium, page 255. Meduana fluvius qui placidis undis Andegaoium pereabitur quem pons saxeus hybernus passurus aquas amplectitur. (Historiens des Gaules, tome X.) — Cart. S. Mariae de cliaritate, anno 1208, hoc est de toto ponte Meduanae quod videlicet lapideo ponte constraximus. D'ESPINAY, Les enceintes d'Angers, page 55, 1875.

(26) CHALMEL, Histoire de Touraine, tome I, et Tablettes chronologiques, pages 465 et suivantes. Eudes II fut surnommé le Champenois, parce qu'il réunit le comté de Champagne à ceux de Chartres, Blois et Tours. Ce dernier fut détaché en l'année 1044 et réuni au comté d'Anjou.

(27) CHALMEL. On reporte même la date de la construction de ce pont à l'année 1024. (Mémoires de la Société archéologique de Touraine, tome XI, 1859.)

 

(28) « Notre vieux pont était l'un des plus anciens de France, car il remonte « certainement au XIe siècle. Il a été souvent réparé et même refait en partie « au moyen âge à la suite des grandes crues, mais la première moitié du « XIe siècle doit être regardée comme l'époque de la naissance de ce vieux « monument. »

GRAND MAISON, archiviste du département d'Indre-et-Loire, à Tours.

CHAMPOLLION-FIGEAC, Droits et usages concernant les travaux publics et privés.

(29) DUPRÉ et BURGEVIN, Histoire de Blois.

(30) BERNIER, Histoire de Blois. Dans son important ouvrage sur les Inondations en France, Maurice Champion reporte l'origine du pont de Blois au Xe siècle sans faire connaître de quelle source il a extrait cette date que nous tenons pour suspecte à défaut de justification. (Tome III, page 15.)

(31) BERNIER, Histoire de Blois.

(32) Une charte du Roi de France en faveur de l'abbaye de Saint-Laumer porte que les religieux « fugati, indecenter, morantur in castello Blesensi, sub moenibus Bloesis Castri Actum Lugduni anno verbi 924 signatum Rodulphi gloriosissimi ». (BERNIER, Histoire de Blois ; DE LA SAUSSAYE, Essai sur l'origine de la ville de Blois ; TOUCHARD-LAFOSSE, Histoire de Blois).

(33) TOUCHARD-LAFOSSE, Histoire de Blois. Il est permis de croire que cette enceinte ou chemise du donjon était une reconstruction, car ce château qui existait bien avant la fin du XIe siècle, était pourvu d'une enceinte soit de bois, soit de pierre ; les mots muro clauderent ne peuvent s'entendre que d'une reconstruction postérieure à l'époque de la construction première du donjon.

(34) DE LA SAUSSAYE, Revue des Sociétés savantes.

(35) Histoire de Blois.

(36) PELLIEUX, Histoire de Beaugency, 2e édition.

(37) Comes Carnotensis et Blesis tenet comitatum cum omnibus fendis dependentibus Blesium (Blois), Marchenai (Marchenoir), Beaugenci et Braceaux (Bracieux). (Livre des fiefs de Champagne, de BRUSSEL, cité par l'auteur de l'Histoire de Beaugency, tome I, page 136, 2e édition.)

(38) PELLIEUX, Histoire de Beaugency, 2e édition.

(39) DE CAUMONT, DUCHALAIS, PELLIEUX, VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire d'architecture, aux mots donjon et château, et Architecture militaire, du même auteur; BATISSIER, Histoire de l'art monumental.

(40) Cartulaire de Notre-Dame de Beaugency. (Mémoires de la Société archéologique et historique de l'Orléanais.)

(41) BERNIER, Histoire de Blois.

(42) Les ponts du XIe siècle dont les; vestiges restent debout sont extrêmement rares au XIXe. D'après le dictionnaire iconographique des monuments du moyen âge, de GUENEBAULT, il y avait encore, en l'année 1860, un pont gothique du XIe siècle, au château des anciens comtes de Champagne (département de l'Aube).

(43) Ce plan, qui a été dressé sur la fin du XVIIe siècle, est renfermé dans un atlas de dessins de divers ponts de la Loire, dédié à Colbert.

(44) Cette porte était voisine de l'ancien château bâti par Henri II, comte d'Anjou, au XIIe siècle, sur les vestiges d'un castrum romain ; le pont, la porte, la muraille de la cité, et le château se protégeaient réciproquement. La situation était comparable à celle du Châtelet et du pont des Tourelles d'Orléans.

(45) Mémoire de la Société archéologique de Touraine, tome XI, 1859.

(46) Le dépôt des cartes et plans du Ministère des Travaux publics renferme un plan sans date ni signature intitulé : Vue et plan géométral du pont de Blois et un second plan dessiné à la même échelle que le précédent, sur lequel il a été calqué, et qui porte la suscription : Fait par le sieur Poictevin, ingénieur et architecte du Roy, à Blois, ce 12e février 1716, trois ou quatre ans avant sa mort. Poictevin exerçait ses fonctions depuis l'année 1680.

(47) Le pont a été détruit les 6 et 7 février ; le plan signé Poictevin est donc postérieur à l'événement et n'a pu représenter de visu l'édifice qui n'existait plus depuis cinq à six jours. Poictevin s'est borné à en dessiner les ruines qu'il a rapportées sur un plan antérieur qui est sans date ni signature, lequel indique la voûte en arc brisé la plus distincte et la plus accentuée. Une fois le pont détruit, l'ingénieur-architecte ne pouvait plus en dessiner ni la forme, ni les dimensions, et il a dû emprunter un plan ancien pour dresser celui qui porte la date du 12 février.

(48) Le dessin authentique du pont signé Poitevin indique par une teinte de couleur bois la nature non équivoque de ces appendices usités au moyen âge ; la silhouette de ces tourelles ressemble beaucoup, avec les hourds, à celle de la tour du château de Sercy en Bourgogne (BATISSIER, Histoire de l'art monumental, page 631), et des clochers des environs de Verdun qui furent des tours militaires pendant les guerres des XIVe et XVe siècles. (VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire d'architecture, au mot hourd.)

(49) Ce vocable paraît avoir subi plusieurs changements. Au XVIIe siècle, il était Saint-Fiaci'e, d'après les plans des ingénieurs des turcies et levées ; la tête du pont s'appuyait au faubourg de ce nom, selon Dupré et Burgevin ; les archives de Loir-et-Cher mentionnent un legs fait en l'année 1399 à la chapelle de la Bienheureuse-Vierge-Marie existant sur le pont de Blois, d'après l'archiviste de Fleury ; enfin l'édicule aurait été placé à une époque indéterminée sous le patronage du Prince des Apôtres.

(50) DUPRÉ et BURGEVIN, Histoire de la Ville de Blois.

(51) DE MARTONNE, archiviste de Loir-et-Cher, Notice historique sur l'ancien pont de Blois et sur sa chapelle, insérée aux Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais, tome VI. « Le pont, entièrement couvert de maisons, « garni de tours au bout et au milieu, et d'une église au centre formant « ainsi une petite ville sur l'eau, devait être fort étroit, mais présenter une « physionomie des plus pittoresques avec son clocher, ses faîtes aigus, ses

« créneaux, ses pignons de bois sculptés, ses toits luisants d'ardoises » Le roi Louis XII avait autorisé les bourgeois à bâtir ces maisons moyennant une rente perpétuelle ou viagère.

(52) Fornix pontis, Gloss. DUCANGE, charte de l'an 1203. Cartulaire de Beaugency, charte de l'année 1228 citée par Ducange, charte de l'an 1333, fonds du Châtelet d'Orléans, Archives du Loiret. Cartul. S. Mariae de charitate Andegav., anno 1028, citée dans une notice sur les enceintes d'Angers. Documents relatifs à l'histoire de la ville de Mâcon, années 1362 à 1367, insérés aux Mémoires de l'Académie de cette ville (voir aux chapitres XI, XVI). Chez les Romains, une muraille percée d'arcades en plein cintre s'appelait paries fornicatus.

(53) Pendant les guerres entre catholiques et huguenots.

(54) Le pont de Beaugency, dont nous nous occuperons plus loin, est un des plus remarquables exemples, car plusieurs de ses arches de pierre ont été remplacées par des travées de bois qui se sont succédé depuis plus de 150 ans et qui existent encore aujourd'hui après plusieurs renouvellements.

(55) PELLIEUX, Essais historiques sur Beaugency. MAURICE CHAMPION, déjà cité.

(56) MAURICE CHAMPION, déjà cité ; nous omettons plusieurs autres inondations survenues dans l'intervalle de 1439 à 1684, qui en comporte 50 et dont les effets ont pu être destructeurs.

(57) PELLIEUX, Essais historiques sur Beaugency.

(58) nationale, Topographie de Loir-et-Cher.

(59) DE LA SAUSSAYE, Essai sur l'origine de la ville de Blois.

DUPRÉ et BURGEVIN, Histoire de Blois. Le premier de ces trois écrivains soutient contre les deux autres que le bras principal du fleuve n'était pas autrefois dans l'emplacement du Vieux-Pont, ce qui implique l'existence ancienne de plusieurs bras ; la discussion est sans intérêt puisqu'elle ne repose que sur des hypothèses ou sur des assertions qui ne peuvent tenir lieu de preuves matérielles.

(60) PELLIEUX, Histoire de Beaugency, 2e édition.

(61) Cette assertion manque de preuves.

(62) Cette longueur est exacte ou erronée selon l'époque à laquelle on s'arrête ; la culée droite à l'entrée de la ville est demeurée fixe ou à peu près, mais la culée gauche a certainement changé de position, puisque, selon l'auteur, le nombre des arches aurait varié de quinze à trente-neuf; l'allongement n'a pu se faire que du côté opposé à la ville, eu égard à la disposition des lieux ; le doute n'est pas possible sur ce point.

(63) ne pensons pas, contrairement à l'opinion de Pellieux, que les constructeurs du pont ne lui auraient donné que seize arches ; ce nombre eût été évidemment insuffisant pour l'écoulement des crues du fleuve, ainsi que nous l'avons dit au sujet du pont de Blois.

(64) trois des quatre premières arches du côté de la ville, qui furent à leur origine en arc brisé, sont en partie enfouies sous les remblais du port et du quai ; mais la première est invisible, la seconde dont on n'aperçoit que la clef et les premiers voussoirs est en arc de cercle ou en plein cintre ; les deux suivantes sont en arc brisé. Sur deux dessins géométraux des XVIIe et XVIIIe siècles (dépôt des cartes et plans du Ministère des Travaux publics) les trois premières arches sont de plein cintre et la quatrième est en arc brisé. Nous avons reproduit exactement le dispositif du dessin du XVIIe siècle.

(65) Nous employons le terme technique pont-levis pour exprimer le pont mobile à l'aide duquel on fermait et on rétablissait à volonté la communication du dedans au dehors d'une enceinte fermée. Les ponts-levis ou mobiles étaient de plusieurs sortes ; les plus anciens s'abaissaient au lieu de se lever ; d'autres étaient roulants sur des longrines ou glissières. Quel que fût celui des systèmes que l'on adoptât, leur destination était la même, celle de fermer une baie ouvrant sur un fossé. PELLIEUX, déjà cité.

 

(66) renversa une partie des ponts de Nevers et des ponts Chartrains et Saint-Michel de Blois, et que les travées qui séparaient l'île de la rive continentale furent, comme nous l'avons dit, rasées par les glaces de l'année 1677. (1) MAURICE CHAMPION, déjà cité, tome II.

(67) Ce plan, signé Desroches, ingénieur du Roy, à la date du 15 mars 1725, est au dépôt des cartes et plans du Ministère des Travaux publics.

(68) Sur le plan de Desroches, presque tous les avants-becs sont coiffés du chapeau pyramidal ; sur le plan du XVIIe siècle (pl. VI, fig. 2) il n'y en a qu'un seul. Ce rapprochement fixe l'époque de la construction de ces chaperons qui sont de construction moderne.

(69) Guillelmus armoricus de gestis Philippi Augusti. (Histoire des Gaules, (tome XVII).

(70) Ex brevi chronico S. Florentini Salmuriensis. (Histoire des Gaules, tome XVIII.) Nous omettons un grand nombre d'inondations qui ont certainement ébranlé ou détruit successivement les arches et les piliers du pont de Tours : En l'année 1143 « Glacies aquarum pontes confragerunt » ; en l'année 1306 « pontes molendinaque quam plurhna corruerunt ». (Histoire des Gaules, tomes XII, page 299, et XX, page 594.) Les chroniqueurs ne citent aucun fleuve en particulier.

(71) MAURICE CHAMPION, déjà cité, tome 2, page 201, et Chroniques de Touraine, par SALMON.

(72) CHALMEL, Histoire de Touraine, tome I.

(73) MAURICE CHAMPION, tome II, pages 37 et 40.

(74) DE MARTONNE, déjà cité, parle des boucheries qui étaient établies sur le pont ; au pont de Tours, l'écorcherie était installée sur des piliers dans le prolongement d'aval de la première arche du côté de la ville ; à Angers, sur le pont des Treilles, on voyait de semblables dispositions.

(75) Nous avons eu sous les yeux des plans dessinés à l'échelle de cinq millimètres pour mètre, à la vue desquels nous avons écrit ce qui précède. Quant aux éléments générateurs des voûtes en arc brisé, le dessin réduit à une échelle cinq fois moindre permettait d'autant moins de vérifier graphiquement l'exactitude de ce que nous venons d'énoncer, que le plan du XVIIe siècle n'est pas absolument identique à celui du XIXe.

(76) Annales archéologiques, tome XX, notice sur les ponts du moyen âge, par de Verneilh. — RAILLAED, notice sur les principaux ponts du moyen âge à Metz. (Mémoires de l'Académie impériale de Metz, 1864.)

(77) GAUTHEY, Traité de la construction des ponts, tome I, édition de 1809.

(78) DE VERNEILH, Annales archéologiques, tome XX, 1860.

(79) DURAND CLAYE, ingénieur des ponts et chaussées, expériences sur les affouillements. (Annales des ponts et chaussées, 1873.)

(80) Cette contre-courbe en forme d'accolade est devenue, postérieurement à la construction du pont de Beaugency, l'un des caractères distinctifs de l'architecture de la troisième époque gothique ; on la rencontre dans les monuments persans et mauresques, elle est empruntée au talon droit ou talon renversé de l'architecture romaine.

(81) Loches, Provins, Carcassonne, Issoudun, Limoges : de Verneilh, dans la notice précitée sur les ponts du moyen âge, dit que la parenté et l'analogie entre les tours de la ville et les piles ogivales des deux ponts de Limoges ne sont pas douteuses.

(82) Lorsque les fondations primitives d'un pilier sont très épaisses, comme elles l'étaient aux époques dont nous nous occupons ici, il était facile d'établir sur ces larges empatements des piliers plus étroits, afin d'agrandir l'ouverture des arches, sans changer l'assiette primitive de ces piliers. Pour atteindre le même but, on supprimait aussi un pilier et deux arches, que l'on remplaçait par une arche unique, comme nous en avons déjà cité des exemples, et comme nous en verrons de nouveaux ultérieurement.

(83) Nous avons eu l'occasion de dire plus haut que les dessins géométriques des arches du pont de Beaugency, relevés aux XVIIe et XIXe siècles, ne sont pas absolument concordants. On observe des écarts assez sensibles entre les valeurs numériques des ouvertures et des montées des voûtes en arc brisé. Ces écarts n'ont pas toutefois d'importance quant aux rapports géométriques des épaisseurs moyennes des piliers à l'ouverture des arches correspondantes.

Pour les trois ponts de Tours, Blois, Beaugency, les rapports moyens des épaisseurs aux portées des arches sont résumés comme il suit : sur le pont de Tours, ce rapport varie de 1 à 0,50.

Sur le pont de Blois, ce rapport ne s'élève qu'exceptionnellement au-dessus de 0,50.

Sur le pont de Beaugency, ce rapport moyen est égal à 0,75.

(84) VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire, au mot Pont.

(85) Le tome XX des Annales archéologiques renferme l'indication de plusieurs ponts du moyen âge dans la province du Limousin qui étaient munis d'avant-becs triangulaires en arc brisé. L'auteur croit que ce type d'avant-bec est d'invention limousine ; nous avons cité les ponts de Metz en Lorraine, qui datent de la même époque et dont les avant-becs étaient tracés sur le type d'arc brisé. Nous en verrons un autre exemple au pont des Tourelles d'Orléans.

(85) Plan des ingénieurs des turcies et levées dressé à la fin du XVIIe siècle et présenté à Colbert, loc. cit. Au IVe siècle; la Loire coulait au pied du coteau septentrional de la vallée à de Langeais ; la Vienne, au contraire, coulait au pied du coteau méridional à partir de Candes et allait se réunir à la Loire au pont de Sorges, à quatre kilomètres en amont des Ponts-de-Cé.

Au Xe siècle, le confluent de ces deux rivières s'était déplacé et était remonté à Saint-Maur, éloigné de vingt kilomètres des Ponts-de-Cé, d'après une charte de Foulques Nerra.

Vers le milieu du XIIe siècle, à la suite d'une grande crue, le confluent fut déplacé et remonté un peu au-dessous de l'abbaye de Saint-Florent de Saumur, probablement entre Saumur et Saint-Martin, car on trouve dans le lit de la Loire, vers ce village, des traces incontestables de bouleversements violents qui furent la conséquence de la réunion des deux rivières.

 Les ruisseaux le Lane et le Changeon, qui serpentent dans la vallée en aval de Langeais, formèrent la petite rivière de l'Authion qui remplaça le lit de la Loire au pied du coteau septentrional et qui aujourd'hui se jette dans le fleuve entre les Ponts-de-Cé et le confluent de la Maine.

On pense que ce fut entre les années 1040 et 1090 que la Loire s'ouvrit un lit plus direct entre le confluent de l'Indre et Saumur, et que le confluent de la Loire et de la Vienne se rapprocha plus près de cette ville.

Au XIVe siècle ou peut-être au XVe, le confluent fut reporté à Candes où il se trouve aujourd'hui, et le nouveau lit de la Loire entre Candes et Saumur ne cessa de porter le nom de lit de la Vienne jusqu'au milieu du XVIe siècle.

Nous n'attachons qu'une importance secondaire aux dates précitées qui sont l'objet de quelques contradictions. (BODIN, Recherches historiques sur la ville de Saumur. — L'abbé CHEVALIER, Études sur la Touraine. (Revue des Sociétés savantes, 1858.)

 

(86) Historiens des Gaules, tome XVIII, page 329. — Ex brevi chronico S. Florentini Salmuriensis.

(87) Plans des Ingénieurs des turcies et levées dressés à la fin du XVIIe siècle et présentés à Colbert, loc. cit.

(88) L'historien de Saumur, Bodin, dit que ce lieu fut appelé Ponts Sagei ou Sigei d'où l'on a fait Ponts-de-Cé, Ponts Ceus, Pontes Ceos, du mot celtique Cé qui signifie étang ou grande étendue d'eau. L'étymologie ne viendrait-elle pas tout aussi bien du mot anglo-saxon sea, see qui signifie (Dictionnaire de Samuel Johnston, 1765) l'eau par opposition à la terre, the water opposed to the land, ou bien (Dictionnaire de Boyer, 1752) la mer en général et en particulier ? On lit dans la chronique de Saint-Aubin d'Angers pour l'année 1206, Hist. brevis comit. Andegav. (Salmon et Marchegay) Pons Seeii. Le nom de Pont ou Pont-de-Sée était usité au cours des XVe, XVIe et même XVIIIe siècles. (MANTELLIER, Histoire de la Communauté des marchands fréquentant la Loire, tome II, page 240 et suivantes.)

(89) ce pont coulent les eaux de la rivière d'Authion qui sont séparées aujourd'hui par une digue du lit du fleuve, auquel elles vont se réunir un peu plus bas.

(90) Au témoignage de Bodin, il aurait existé des ponts sur la Loire, la Vienne et le Thouet au lieu des Ponts-de-Cé de toute ancienneté. La superposition des fondations du vieux pont de Saint-Maurille à des ouvrages antérieurs serait, d'après l'historien, la preuve non équivoque de l'établissement de plusieurs ponts dont l'origine remonterait aux Romains et qui auraient été négligés pendant les siècles des dynasties mérovingienne et carolingienne. Nous sommes loin de contester les assertions de l'historien quant à la succession des ponts, dans ce lieu, depuis la conquête romaine. Nous ne ferions de réserve que sur la nature de ces ponts, bois ou pierre.

(91) Piscationes universas et arcas molendinorum intra ipsas archas omnes. (Cart. S. Mariae de Charitate, anno 1028. Les enceintes d'Angers par d'ESPINAY.) Nous pensons que la préposition intra comporte deux sens distincts qui s'appliquent parfaitement à la situation : dans l'intérieur, dans le vide des arches, et au-dessous des arches ; c'est, qu'en effet, les moulins occupaient littéralement la position définie et caractérisée par la préposition intra ou infra.

(92) Description de la ville d'Angers, par PÉAN DE LA TUILERIE, édition de 1869, page 410.

(93) Plan des ingénieurs des turcies et levées présenté à Colbert, loc. cit.

(94) Le pont des Treilles d'Angers était aussi appelé pont des Trèges ; en Anjou, on appelait trèges les treillis composés de barreaux de fer ou de bois ; en Lorraine, baires ou bairons ; au moyen âge, le mot treille signifiait grille. Le pont des Treilles à Angers, comme le moyen pont à Metz, faisait partie de l'enceinte fortifiée ; les trèges, treilles, baires ou bairons étaient des espèces de herses composées de fuseaux ou de barreaux de fer ou de bois que l'on élevait et abaissait à l'aide de divers mécanismes, comme les herses des portes fortifiées. (Les enceintes d'Angers, par D'ESPINAY. — Les ponts du moyen âge à Metz, par RAILLARD. — LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française. — BODIN, Recherches historiques sur le Bas-Anjou, tome I, pages 292 et 293, dit que le pont des Treilles existait avant l'année 1155.)

(95) Les voûtes du pont des Treilles sont exécutées suivant une surface conoïdale présentant la forme d'un demi-entonnoir qui se rétrécit depuis la tête d'amont jusqu'aux roues des moulins ; le rapport de l'ouverture d'aval à l'ouverture d'amont de ces voûtes varie de 1 à 0,50 et même 0,40. Les plus petites arches ont moins de 4 mètres d'ouverture.

(96) Plans des ingénieurs des turcies et levées, dressés à la fin du XVIIe siècle et présentés à Colbert, loc. cit.

Le Pont Dion ou Guion, Pons Guidonis ; on ignore l'origine précise de ce nom. (GRANDMAISON, archiviste d'Indre-et-Loire.)

(97) Plans des ingénieurs des turcies et levées, dressés à la fin du XVIIe siècle et présentés à Colbert, loc. cit.

(98) L'invention de ces moulins est attribuée aux Romains, puisque Vitruve en parle. Toutefois, leur usage ne se répandit que lentement dans les Gaules. Le Dictionnaire des Beaux-Arts, de MILLIN, dit que sous les premiers rois mérovingiens cet usage devenait assez commun. Sous les carolingiens, ces usines étaient déjà très nombreuses et une charte de l'empereur Charles le Chauve, de l'année 857, fait donation à l'évêque de Paris et à ses successeurs c du grand pont et des moulins qui sont édifiés dessus ». (A. DUBREUL, Anciens ponts de Paris, 1612, pages 235 et suivantes.)

(99) La préposition ad comporte plusieurs sens : sur, sous, dans, chez, vers, du côté de, auprès de ; les quatre premiers impliquent l'idée d'incorporation des moulins au pont ; les trois derniers, la proximité et la contiguïté seulement. TOUCHARD LA FOSSE, Histoire de Blois, page 32, traduit ad par sous ; DUPRÉ et BURGEVIN, Histoire de Blois, par auprès. Nous adoptons le premier sens, le seul véritable sous ou sur, lesquels dans l'espèce sont identiques, ces deux prépositions ayant la même signification, c'est-à-dire l'incorporation des moulins au pont. Nous verrons plus loin, au sujet du pont de Beaugency, que tel est le sens de la préposition ad.

(100) On verra qu'au pont des Tourelles il y eut des moulins à cage fixe installés sous l'arche prolongée en amont de l'axe du pont attenante à la Motte Saint-Antoine (chap. xvii).

(101) Cette charte porte l'intitulé : « Quod nos possumus facere unum molendinurn ad pontem et unam piscacionem » ; le texte qui suit donne le vrai sens de la préposition ad, sur ou sous l'arche du pont, ainsi que nous l'avons vu plus haut pour le pont de Blois : « Ego Johannes Belgenciacensis dominus... unum stallum in archa pontis que est quinta a Castro Belgenciaci ad faciendum unum molendinum dedi et concessi, et unam piscationem prope molendinum et circa... actum anno gracie M° CC° III°, Philippo regnante in Francia, Hugone Aurelianense episcopo, Gaufrido Belgenciacensi existenta abbata. » (Extrait du Cartulaire de Notre-Dame de Beaugency. Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais.)

(102) Pons molendinorum vocatur. (Ex gestis ambasiensium dominorum. Historiens des Gaules, tome XII, pages 510 à 526.)

(103) MALINGRE, Antiquités de la ville de Paris, 1640, tome I, pages 137 et suivantes. — FÉLIBIEN et DOM LOBINEAU, Histoire de la ville de Paris, tome Ie" 1, pages 91 et suivantes. — DUBREUL, Les anciens ponts de Paris, pages 235 et suivantes.

(104) Le pont de bois paraît bien avoir existé dès le XIIIe siècle ; existait-il avant la catastrophe de l'année 1296 qui renversa le grand pont, ou ne fut-il bâti qu'après ? Un acte de l'année 1273, qui a précédé une sentence arbitrale de 1296, porte : « le vieux grand pont de pierre lequel souloit estre où le pont des moulins est à présent ». Ce qui donnerait au pont des Molins une existence antérieure à 1296. (BONNARDOT, dans Paris à travers les âges, édition Didot, 1875.)

(105) Les historiographes de Paris.

(106) BONNIN, le pont de l'arche, Courrier de l'Eure, 4 novembre 1856.

(107) Voir plus loin le pont des planches Mibray, à Paris, qui existait avant le IXe siècle, le pont de Rouen, celui d'Arles, le pont de Saumur, vers le milieu du XIIe siècle.

(108) Droits et usages.

(109) Manuscrits de l'abbaye. Histoire de l'abbaye, par l'abbé ROCHER.

(110) Manuscrits de la bibliothèque d'Orléans.

(111) L'ESTOILLE, collection Petitot. — L'abbé PATAUD, Histoire manuscrite de la ville d'Orléans. (Bibliothèque de la ville.)

(112) En l'année 1833, un pont suspendu a été construit sur l'emplacement du vieux pont.

(113) BIMBENET, justice temporelle de l'évêché d'Orléans, Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais, tome VI, 1863. — Monographie du château de Sully, par LOISELEUR.

(114) Il existait à Sully un château féodal avant celui dont on voit aujourd'hui les magnifiques vestiges et dont la construction date peut-être de la chute du vieux pont dans la seconde moitié du XIVe siècle.

(115) Le docteur Boullet croit que ce pont devait être « une oeuvre romaine » en raison du voisinage de la ville gallo-romaine Belca, aujourd'hui le village de Bonnée, situé à trois kilomètres du pont de Sully, et mentionnée dans l'Itinéraire d'Antonin comme une station de la voie de Nevers à Paris par Orléans ; mais cet argument est insuffisant comme preuve de l'origine du vieux pont.

 Aucune voie antique n'est signalée dans la direction de Bonnée à Sully ; les Romains n'auraient certainement pas fait, au prix de sacrifices énormes, un pont aussi considérable dans un but stratégique purement problématique, lorsqu'ils n'en ont pas entrepris sur des rivières de moindre importance, à la rencontre de certaines voies navigables qui sillonnaient le territoire de la Gaule.

(116) Historiens des Gaules, tome XII, pages 510 à 526.

(117) Historiens des Gaules, « usque ad pontem lapideum », tome XII, page 554, et tome XVII, in vita Henrici II Angliae régis « pontem quemdam lapideum volentes diruere ». Ce pont remontait peut-être au XIe siècle, ou tout au moins au commencement du XIIe.

(118) Historiens des Gaules, tome XII, ex chronico rotomagensi, page 785, « hoc anno coepit ignis in capite magni pontis ».

(119) Mathilde avait épousé Henri V, empereur d'Allemagne. Devenue veuve en 1126, elle revint en Angleterre. Son père la déclara héritière du trône d'Angleterre et du duché de Normandie. .Elle épousa, en 1127, Geoffroy, comte d'Anjou, surnommé Plante Genest.

(120) DE LAVERDY, Notes et manuscrits de la bibliothèque du roi, tome III, page 585.

(121) Historiens des Gaules, tome XVII, page 58, « direddenda Rotomagensi urbe Pactum inter cives et Philippum regem francorum, an. 1204, art. VI: nos cives tradimus eidem régi franciae barbachannam quae est in capite pontis... Nos diruemus quatuor archas pontis et ad caput arcarum illarum quae diruentur versus Rotomagum, nos faciemus portant vel obstruemus, sicut eidem regi placuerit ». (Rigordus de gestis Philippi Augusti franc, regis.)

(122) Le pont de Rouen paraît avoir été reconstruit en bois vers l'année 1145, après le sinistre de l'année 1136 ; le pont de pierre de Mathilde s'écroula au XVIe siècle, l'on en voyait encore les vestiges au commencement du XIXe. Les échevins et les conseillers de la ville de Rouen ayant formé le projet de le rétablir, s'adressèrent au célèbre Salomon de Caus, qui fut ingénieur et architecte du roi Louis XIII. Les échevins voulaient un pont de bateaux ; Salomon de Caus proposait d'abord un pont de pierre, puis un pont de bois ; les Rouennais tenaient pour un pont de bateaux, qui fut installé vers l'année 1621, et auquel Salomon de Caus demeura étranger. (Revue des Sociétés savantes, tome II, 1870, Lettres de Salomon de Caus conservées dans les archives de la ville de Rouen.) — Le pont de bois reconstruit vers l'année 1145 s'appuyait sur une petite île ou plutôt sur un rocher qui émergeait du fond du fleuve. Sur cet îlot, s'élevait une chapelle en bois sous le vocable de Saint-Martin-du-Pont. (DE LAVERDY, loc. cit.) — En l'année 1144, le comte de Toulouse autorisait l'établissement d'un pont sur le Tarn, à Montauban. Nous verrons plus loin que cet édifice ne fut construit réellement que sur la fin du XIIIe siècle et achevé au commencement du XIVe.

(123) D'après les Historiens des Gaules, tome XII, page 359, il y aurait eu un pont en construction à Arles, sur le Rhône, vers l'année 1165. Ce ne pouvait être qu'un pont de bois ou un pont de bateaux. (CHAMPOLLIONFIGEAC, Droits et usages.)

(124) D'ESPINAY, Les enceintes d'Angers. Au cours de l'année 1144, un incendie avait compromis l'existence du pont de Foulques Nerra. Le chroniqueur a voulu faire allusion soit aux maisons, ateliers ou usines qui étaient installés sur l'édifice, soit à des travées de bois qui remplaçaient des arches tombées par suite d'accidents provenant des crues, des glaces, de vétusté ou autrement. (Ex chronico sanct. Albini Andegav. Historiens des Gaules, tome XII, page 481.)

(125) « Ut autem liberum commeatur civibus offeret; terra, lignis, lapidibus, comportatis construi super aquas in habitaculis ergasteria toleravit; sic ex opposito sibi respondentia, sic fere sub aequa contignatione disposita, quod pontem medium ex maxima parte ligneum, quasi solidam redigant in plateam, transeuntibus quidem assidue patefactam, sed Phoebo non perviam ; in qua quid usus desideret quid luxus deposcat, abunde reperiet transitus per eam compendiosus ». (De origine comitum Andegavensium. Historiens des Gaules, tome XII, pages 535, 536.) On ne peut induire de ce texte, a priori, si les maisons étaient bâties sur les voûtes et sur les piliers, c'est-à-dire sur l'assiette même du pont, ou bien partie sur cette assiette, partie en saillie ou en encorbellement. La seconde hypothèse est la seule vraie, la première paraissant incompatible avec les mots « Phoebo non perviam, » qui impliquent la continuité des maisons dans la longueur du pont.

(126) l'année 1175, une crue renversait plusieurs maisons du pont avec les arches, et deux ans après un incendie consumait les autres maisons. (Ex chronico S. Albinni Andegav. Historiens des Gaules, tome XII, page 484. Ex chronico S. Sergii, an. 1175.) — En l'année 1202, les gens du Roi des Anglais brûlèrent une partie de ce pont. (Ex chronico S. Albini.)

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Commentaires
A
Bonjour,<br /> <br /> À propos du Moyen Âge :<br /> <br /> Voici un faits sur lequel la légende de sainte Geneviève jette une lumière inattendue.<br /> <br /> Elle nous dit : « cinq ou six mois après la défaite d'Attila, Mérovée, roi des Francs (Saliens), vint assiéger Paris, encore au pouvoir des Romains. Le siège durait depuis quatre ans quand Mérovée s'en rendit maître. »<br /> <br /> Alors, comment se fait-il que Geneviève régnait à Lutèce quand Attila s'en approcha et qu'elle y exerçait une autorité morale suffisante pour intervenir dans les faits de guerre et pour protéger la ville ? Et comment cette ville dans laquelle règne une femme gauloise est-elle assiégée par Mérovée, 3ème roi de France ?<br /> <br /> C'est évidemment qu'il y avait séparation des pouvoirs : le spirituel (féminin) et le temporel (masculin).<br /> <br /> C'est qu'il y avait deux Frances : celle des Saliens masculinistes, dont Mérovée est le petit roi et qui n'a qu'un tout petit territoire à l'Est, et celle des Ripuaires féministes, qui reconnaît le pouvoir spirituel et qui est allié à ceux qui occupent le reste de la Gaule, y compris Paris.<br /> <br /> Voilà ce qui va nous expliquer l'histoire de France, qui ne sera qu'une lutte de sexes : les masculinistes et les féministes : l'une qui veut la Vérité et le Bien, l'autre qui veut l'erreur et le mal ; l'une qui va produire des persécuteurs, et l'autre des persécutés.<br /> <br /> Les historiens masculins ne nous parleront jamais que des Francs Saliens (les masculinistes), ils tairont ce qui concerne les peuples féministes de la Gaule. Et toute cette primitive histoire de France ne sera que l'histoire du petit parti des révoltés saliens, affranchis de la morale, de la raison, du devoir et de la soumission au Droit divin de la Déesse-Mère, ce qui nous est révélé par cette phrase : « Qui t'a fait roi ? »<br /> <br /> Il y a donc une autre histoire de France à faire, celle des peuples légitimes de la Gaule Celtique, vaincus, après de longues luttes, par les révoltés illégitimes.<br /> <br /> Et cette histoire fut si glorieuse que, malgré tous les efforts faits pour la cacher, nous trouvons encore assez de documents pour la reconstituer.<br /> <br /> Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/findu4emesiecledumoyenagealarevolution.html<br /> <br /> Cordialement.
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PHystorique- Les Portes du Temps
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