Richard Cœur de Lion, seigneur de Talmont; des Lois Maritimes (Rôles d'Oléron) au droit d'amirauté
Pour faire comprendre l'amirauté de Talmont, il est donc indispensable que nous exposions, dans une légère exquise historique, ce que fut l'amirauté en France pendant le moyen-âge.
Le titre d'amiral nous vient des croisades. Tant que durèrent les guerres de Palestine, les chrétiens, qui pourtant n'avaient pas de flottes en règle, appelèrent de ce nom arabe les principaux commandants de leur navigation armée.
Après ces expéditions religieuses, le titre resta, mais, à défaut de flotte, il fut surtout un titre honorifique auquel étaient attachés le droit d'ancrage des navires de commerce, celui de recueillir le tiers des naufrages, puis les épaves, bris de navires échoués et le dixième des prises faites en mer.
L'amiral avait l'intendance des affaires maritimes dont les contestations rassortissaient à la Table de Marbre, tribunal institué à Paris pour connaitre des affaires de la mer et aussi celles des eaux et forêts.
Dans la longue liste des amiraux de France on en voit peu qui aient sérieusement commandé sur mer. La France n'avait pas d'armées navales. Ce fut avec des vaisseaux et des marins génois que les amiraux français Quieret et Béhuchet livrèrent, contre la flotte anglaise du roi Edouard III, la commandant en personne, la funeste bataille de l'Ecluse, en 1340, et y trouvèrent la mort.
Ce fut encore avec des vaisseaux génois que le duc de Bourbon, assisté de nombreux chevaliers français et anglais, fit, en 1390, une expédition contre les pirates barbaresques.
Des guerriers de renom, tels que Jacques de Châtillon, tué à Azincourt, Prégent de Coëtivy, Jean de Bueil comte de Sancerre, Bonnivet et Coligny, les maréchaux de Lohéac et d'Annebaud portèrent le titre d'amiral mais ne combattirent que sur terre, et l'histoire n'affirme pas qu'ils aient jamais mis le pied sur un navire.
Sous Louis XIII, Henry II de Montmorency, fait amiral à 18 ans, commanda avec distinction la flotte pendant le siège de la Rochelle et contribua au succès du siège. Mais quand il eut embrassé le parti de Gaston d'Orléans, le cardinal de Richelieu lui enleva le titre d'amiral qui fut aboli et remplacé par celui de surintendant-général de la navigation et du commerce, que le cardinal se fit donner à lui-même.
Au cardinal succéda son neveu et filleul, Armand de Maillé de Brezé, duc de Fronsac (1), lequel commanda une escadre au siège de Cadix et fut tué sur mer, en 1646.
La reine-régente Anne d'Autriche lui succéda en cette charge, puis s'en démit pour la céder à César duc de Vendôme. Celui-ci eut pour successeur son fils, le duc de Beaufort, le roi des Halles, prince peu considéré qui, cependant, commanda sur mer, battit deux fois les Algériens et trouva une mort glorieuse au siège de Candie, en 1669.
Louis XIV donna alors le titre et les privilèges de la charge à son fils légitimé, le comte de Vermandois, âgé de 2 ans et qui mourut à 15.
Le comte de Toulouse, fils de Mme de Montespan, âgé de 5 ans, reçut la même charge, et le titre d'amiral fut rétabli pour lui. Il se distingua dans la guerre de la succession d'Espagne et battit la flotte anglaise commandée par l'amiral Rooke, devant Mataga.
Les marins célèbres du règne de Louis XIV, Duquesne, Dugay-Trouin, Forbin, Jean Bart, n'eurent que le titre de chefs d'escadre. Les maréchaux de Vivonne, d'Estrées, de Tourville, de Châteaurenault remportèrent des victoires navales, mais sans avoir le titre d'amiral. Tourville et Chateaurenault, reçurent cependant celui de vice-amiral.
La Galissonnière, Suffren, d'Orglandes, la Motte-Piquet, Duchaffault furent chefs d'escadre ou lieutenants-généraux des armées navales. La République et l'Empire conférèrent des titres d'amiral. Cette dignité ne reçut toutefois sa véritable organisation que sous le règne de Louis-Philippe, alors que les amiraux, établis au nombre de trois, représentèrent, dans l'armée de mer, un rang égal à celui de maréchal de France.
Mais revenons au moyen-âge.
Il y eut habituellement deux amiraux, un pour le Levant ou la Méditerranée, l'autre pour le Ponant ou l'Océan.
Il y avait, en outre, un amiral de Guyenne et un amiral de Bretagne, qui disputaient à l'amiral du Ponant les droits de naufrage, de bris de navires, d'épaves et d'ancrage.
Au-dessous de ces amiraux secondaires, les seigneurs riverains prétendaient aux mêmes droits sur les côtes de la mer, dans l'étendue de leurs domaines les sous-vassaux agissaient de même en compétition avec leurs suzerains. Enfin, au-dessous de tout .cela, il y avait le populaire qui, sans brevet ni commission, s'adjugeait les mêmes privilèges, et comme il était le premier arrivé sur les lieux, il se faisait quelquefois la meilleure part.
Avec un sens aussi mal déterminé que celui attribué à l'idée d'amiral et d'amirauté, il n'est pas étonnant que de singulières conséquences s'y soient attachées et l'amirauté de Talmont, en particulier, trouvera son excuse dans l'anarchie générale qui était, a cet égard, la loi du temps.
La famille de la Trémoille, entre ses diverses branches et par ses nombreux fiefs, élevait, comme nous l'avons dit, ses prétentions d'amirauté sur tout le littoral compris entre la Loire et la Gironde. Ses vassaux de Brandois, de la Garnache, de Rié se disputaient les mêmes droits d'ancrage et d'épaves enfin les abbés de Saint-Michel-en l'Herm, de Jard, d'Orbestier faisaient valoir des prétentions analogues.
Le plus ancien document que nous ayons rencontré sur le droit d'amirauté c'est-à-dire d'épaves et de naufrage, des seigneurs de Talmont, est compris dans la charte de 1182, déjà citée, ou Richard Cœur-de-Lion confirme et étend la fondation de l'abbaye d'Orbestier.
« Si les hommes des moines, y est-il dit, retirent quelque chose des navires échoués et submergés par la mer, sur quoi je puisse avoir quelque droit, je donne aux dits moines tout ce droit et domaine ». Les noms d'amiral et d'amirauté n'étaient pas encore usités Richard concéda le droit d'épaves et de naufrage dans la proportion des droits qu'il y pouvait avoir.
Passant ensuite aux archives de Talmont, nous trouvons, en 1288, une transaction passée entre Guy II, vicomte de Thouars, seigneur de Talmont, et l'abbé du monastère de Jard, par laquelle on convient des droits régler entre chacun, par suite des naufrages et aventures de mer.
Lundi, 10 juillet 1417. -L'avocat du prince de Talmont dit: « que, puis aulcun temps, Jehan Amelin et aultres, ses subjects, furent advertis que aulcuns Espaignols avoyent faict prinses sur les Brethons, près Thalemond, et qu'ils vouloyent emmener les navires et piller le pays. A ceste cause, les officiers du dict seigneur équipèrent navires et furent prins les dicts Espaignols et amenez aux havres de Saint-Gilles du vicomte de Thouars (2). Depuis, l'on veult partyr le butin qui doibt estre faicte par ordonnance du dit de la Trémoille ou de ses officiers. Mais le vis admiral, à la Rochelle, envoye faire défense de ne procéder à quelque division ».
Ainsi voilà, en 1417, les princes de Talmont exerçant le droit d'amirauté sur les côtes de leurs domaines, mais ce droit leur est contesté par le vice-amiral, siégeant à la Rochelle, et représentant soit l'amirauté royale, soit celle de Guyenne.
1496. Transaction passée entre Louis de la Trémoille, vicomte de Thouars, prince de Talmont, d'une part, l'abbé et les religieux de Saint-Jean d'Orbestier, d'autre part, par laquelle, concernant les droits de naufrages, contendus entre les dites parties, a été accordé que tous les naufrages qui viendraient à port et à bord ès costes des terres et seigneuries du dit prince de Talmont, lui appartiendroient »
1516, 16 nov. Aveu et dénombrement rendu au roi par Louis II de la Trémoille pour raison de sa terre de l'ile de Ré, et pour les droits d'épaves, adventures et naufrages qui pourroient être trouvés en mer (3).
1528, 23 janvier. Lettres de François 1er portant nomination d'Henri d'Albret, roi de Navarre, à la charge d'amiral de Guyenne, qu'occupait avant lui le marquis de Saluces.
Henri, né en 1503, mort le 25 mai -1555, avait épousé, le 3 janvier 1526, Marguerite d'Orléans-Angoulême, sœur de François 1er la célèbre conteuse, dont il eut Jeanne d'Albret. En conférant à son beau-frère la charge productive d'amiral de Guyenne, François 1er dotait sa sœur.
1528. Contestation entre le prince de Talmont et les religieux de Saint-Jean d'Orbestier, au sujet du droit d'amirauté et de naufrage sur les côtes de la principauté de Talmont, terminée par une transaction ou il est stipulé que le droit d'amirauté appartient aux princes de Talmont depuis le port de l'entrait (quel est ce port?) jusqu'à Saint-Lazare qui est à l'embouchure de la Loire (apparemment Saint-Nazaire), mais que le droit de naufrage et bris de mer appartiendra aux religieux sur les côtes de leurs terres enclavées dans la principauté.
C'était conforme à la charte de Richard Cœur-de-Lion.
1529, 20 janvier, à Tours. Lettres par lesquelles François Ier sur les plaintes qui lui ont été adressées par le roi de Navarre, contre plusieurs seigneurs haut-justiciers, s'arrogeant le droit d'amirauté sur leurs terres et particulièrement sur les côtes de Saintonge, de Poitou, du gouvernement et de la ville de la Rochelle, reconnaît que ces pays sont du ressort de la cour et du Parlement de Paris, et ordonne que le roi de Navarre (Henri d'Albret) jouira de l'état et office d'amiral, justice et juridiction, droits, autorité, privilèges et prééminences sur les mers d'Aunis, Saintonge, Poitou, ville et gouvernement de la Rochelle, ports et havres d'iceux et comme en ont joui les amiraux ses prédécesseurs et notamment le sieur de la Trémoille, Louis II, qui fut amiral de Guienne et de Bretagne.
1529, 11 avril. Lettres présentées en chancellerie par François de la Trémoille, prince de Talmont (petit-fils de Louis II), par lesquelles sont exposés les droits de possession de bris, naufrages et aventures de mer qui sont ses droits patrimoniaux dépendants de sa dite seigneurie, où il était troublé par maître Jacques Desfoussés, se disant commissaire sur le fait d'admirandage en Guyenne.
1545. Jugement expédie en la sénéchaussée de Poitou, à Poitiers, en vertu duquel le procureur de messire Louis III de la Trémoille, prince de Talmont, baron de Noirmoutier, admiral patrimonial, sur ses terres, demande la délivrance d'un navire naufragé à Noirmoutier.
1552. Complainte des seigneurs de Talmont et d'Olonne contre les justiciers qui s'arrogent le droit d'amirauté et le droit d'établir des officiers dans les lieux, ou seuls, en qualité d'admiraux patrimoniaux, ils en ont le droit.
1552. Commissions données à plusieurs officiers par l'amiral de France, pour faire payer à son profit les droits d'amirauté sur les côtes de Poitou.
1577. Lettres du roi Henri III, datées de Blois, par lesquelles sa Majesté donne à sa chère et bien aimée cousine, Jeanne de Montmorency, veuve de Louis de la Trémoille, prince de Talmont, tous les rachapts, sous rachapts, parages, part-prenants, rencontres, ventes, naufrages, aubaines, adventures de mer, tous droits et devoirs seigneuriaux échus par trépas de défunt Louis de la Trémoille, son mari.
1584, 31 janvier et 9 février. Jeanne de Montmorency, veuve de Louis III de la Trémoille, prince de Talmont, fait défenses aux habitants de la Tranche de prendre ni de livrer, sans sa permission, les marchandises naufragées a la côte.
En 1594, un navire Flamenc ayant fait naufrage sur la côte de Royan, Jean Datrigue, garde des côtes et terres de la seigneurie et marquisat de Royan, en prit possession au nom de Gilbert de la Trémoille, marquis de Royan, mais il fut troublé en sa possession par Jean Garnier et par Jean Labbé, capitaine commandant en la ville de Royan, sous l'autorité du seigneur de Caudelay, pour l'amiral de France.
L'affaire, portée devant la cour de Bordeaux, fut évoquée sur la demande du marquis de Royan, par le Parlement de Paris. Mais le 15 décembre, le roi, en son Conseil, évoqua à soi le dit procès pendant en la cour de Parlement de Bordeaux, pour les droits d'amirauté, naufrage et bris de mer, fit inhibitions et défenses aux parties de se pourvoir tant devant les juges de l'amirauté de Guyenne qu'au dit Parlement de Bordeaux et cependant ordonna que le dit sieur marquis de Royan serait continué en la possession de ses droits d'amirauté, naufrages et bris de mer des côtes maritimes du dit Royan, terres, seigneuries et dépendances, tout ainsi que il et ses prédécesseurs, marquis de Royan, en ont ci-devant bien joui et usé fait défenses aux sieurs Garnier et Labbé de l'y troubler.
1599. Arrêt du Conseil du Roi, sur la requête de Gilbert de la Trémoille, comte d'Olonne, marquis de Royan, par lequel Sa Majesté renvoie le procès pour droit d'amirauté, naufrage, bris de navire, au Parlement de Paris; fait défenses aux parties de se pourvoir devant les juges de l'amirauté de Guyenne et du Parlement de Bordeaux. Cependant, ordonne que le Sr marquis de Royan sera conservé en la possession de ses droits d'amirauté, naufrage et débris de mer tout ainsi que ses prédécesseurs en ont bien et dûment joui.
C'est ainsi que ces droits, prétendus et contestés, restaient toujours sans solution définitive. Des droits aussi mal précisés étaient naturellement de ceux que le cardinal de Richelieu avait a cœur d'attaquer et de tirer au clair.
Aussi profitant de son titre de Grand-maître, chef' et surintendant de la navigation et commerce de France, il présenta au roi une requête tendant à ce que « les seigneurs, gentilshommes et autres prétendant droits de juridiction d'amirauté, de gravage, de guet, débris, d'épaves et autres, sur les côtes de la mer, entr'autres les sieurs princes de Talmont, comte des Olonnes, les seigneurs de Brandois, de la Gaschère, de Saint-Gilles-sur-Vie, de Rié, les doyen, chanoines et chapitre de Luçon, le sieur abbé de Saint-Michet-en-l'Air (sic), le sieur abbé de Jard, les dames de la Garnache et de Saint-Benoist, ont été ci-devant assignés au Conseil en vertu de lettres-patentes de Sa M., datées du 6 mai 1627, pour rapporter les titres, pouvoirs et privilèges en vertu desquels ils prétendent leurs droits contre les édits et ordonnances de Sa Majesté.
- Veu la dite requeste et exploits d'assignations donnés aux susnommés, à comparoir au Conseil de Sa M. un mois après les dits exploits qui sont datés des 13 et 14 avril, et auxquels ils n'ont satisfait.
Le Roi, en son Conseil d'État, ordonne que, dans un mois, les dits sieurs de Talmont, des Olonnes, de la Chapellenie de Brandois, de la Gaschère, de Saint-Gilles, de Rié, les doyen, chanoines et chapitre de Luçon, les sieurs abbés de Saint-Michet-en-1'air et de Jard, les dames de la Garnache, de Saint-Benoist et autres prétendant droit et juridiction d'amirauté, de gravage, de bris, de guet, d'épaves et autres sur les côtes et, rivages de la mer, ès provinces de Bretaigne, de Guyenne, Normandie, Picardie, Poitou et autres lieux, rapporteront, au greffe du Conseil, les titres de leurs prétendus droits, pour iceux être mis ès mains des commissaires qui seront députés par Sa Majesté, être fait droit, ainsi que de raison, et, à faute de ce faire dans le temps et délai passés, sa dite Majesté les a déclarés déchus des dits droits, et néanmoins leur fait, dès à présent, inhibitions et défenses de troubler les officiers de la marine en la juridiction à eux attribuée jusqu'à ce qu'il en ait été ordonné autrement par Sa Majesté.
Fait à Paris, au Conseil d'État du Roi, le 13 avril 1629. Signé CORNUEL.
Les titres demandés ne paraissent pas avoir été fournis, et néanmoins l’amirauté patrimoniale s'exerça comme par le passé.
Mais Armand de Maillé de Brezé qui succéda au cardinal, son oncle, dans la charge de surintendant de la navigation, présenta une requête au roi pour se plaindre de l'absence de justification des titres et de la violation de l'arrêt du 13 avril 1629.
Cette requête fut suivie d'un arrêt du Conseil, prononçant définitivement inhibitions et défenses aux seigneurs de la Trémoille et autres de plus, à l'avenir, exercer les droits d'amirauté, bris et naufrages sur leurs domaines bordés par la mer.
L'arrêt fut rendu le 7 mai1644; la première année du règne de Louis XIV.
La famille de la Trémoille se trouva assez puissante pour lutter contre cette décision souveraine émanée d'un enfant qui ne pouvait être déjà le vrai Louis XIV.
Elle protesta contre l'arrêt, et un mois s'était à peine écoulé que le surintendant de navigation et commerce, ne sachant comment exercer les droits de sa charge sur la côte de Poitou, se vit obligé d'accepter l'étrange concordat que voici
« Nous Henri, duc de la Trémoille et de Thouars, prince de Talmont, pair de France, etc., consentons que, nonobstant l'opposition par nous formée à la réception de M. le duc de Brezé en la charge de grand-maitre, chef et surintendant-général de la navigation et commerce de France, il soit passé outre par Messieurs du Parlement de Paris, à la réception et installation du dit de Brezé en la dite charge, sans que l'arrêt qui interviendra sur la dite réception et enregistrement des lettres de provision de la dite charge, puisse préjudicier aux droits que nous prétendons nous appartenir comme admiral patrimonial en nos terres et défenses, au contraire, au dit sieur de Brezé d'interrompre nos droits. En foi de quoi nous avons signé les présentes et fait contresigner par l'un de nos secrétaires, en nostre hostel, à Paris, le quinzième jour de juin 1644.
Signé HENRI DE LA TREMOILLE, et par Monseigneur, BOULLENOIS ».
« Nous Armand de Maillé, duc de Fronsac, marquis de Brezé, pair et grand-maistre, chef et surintendant-général de la navigation et commerce de France, etc., gouverneur et lieutenant-général pour le roi ès villes et gouvernement de Brouage, la Rochelle, pays d'Aunis, costes et isles adjacentes, certifions avoir fourni à M. le duc de .la Trémoille, la présente copie, tirée sur son original, demeuré entre nos mains. En tesmoing de quoi nous avons signé la présente.
A Paris, le dix-septième juin 1644. Signé ARMAND DE MAILLÉ duc DE BREZÉ ».
Presque aussitôt après cette transaction, un conflit éclata entre l'amiral patrimonial et le surintendant-général de la navigation.
Le 28 octobre 1644, un navire, de Landerneau, appelé la Cat/terme, monté par sept hommes, venant de Bordeaux et même de Saint-Macaire, près la Réole, ou il s'était chargé de vins, puis à Bordeaux de résine, d'acier et de pommes, vint échouer devant la Tranche, au Grouin du Cou. Le patron, nommé Delavergne, en fit le sauvetage, comme il put, et fit porter à la Tranche une partie de sa cargaison, mais l'autre partie fut pillée et rapidement enlevée par les riverains. Les officiers de la principauté, étant avertis, arrivèrent sur les lieux et trouvèrent la besogne faite, tant de la part de l'équipage que de celle des maraudeurs. La coque du navire et quelques débris de mâts et de planches furent les seules épaves .restées en place. Un personnage se présenta à eux pendant qu'ils recueillaient les témoignages de l'équipage. On lui demanda qui l'amenait en ce lieu. Il répondit « Je m'appelle. Moreau, sergent garde-côte, à la résidence de Longeville. Je viens dresser mon rapport du naufrage, pour Monsgr, l'amiral de France », « sur quoi, dit le procès-verbal du sénéchal de Talmont, ouï M. l'avocat et procureur de la cour, nous avons fait défenses au sieur Moreau de ne plus, à l'avenir, se trouver en cette qualité, aux naufrages qui arriveront aux côtes de cette cour, Mongr étant amiral patrimonial en ses terres et de continuer aucunes fonctions de cette charge au présent naufrage, a peine de 50 livres d'amende, et lui faisons défenses, sous les mêmes peines, d'exiger aucun salaire du dit Delavergne, en cette qualité, et au dit Delavergne de lui payer aucune chose ».
Au mois de mars 1654, César, duc de Vendôme, étant alors surintendant de la navigation, fit rendre un arrêt en forme de commission, portant queues prétendants au droit d'amirauté et juridiction seront assignés au conseil, a. la requête de lui, surintendant, pour rapporter leurs titres. Signification fut faite de cet arrêt au procureur-fiscal de Talmont, avec commandement d'y obéir dans deux mois (29 mars 1659).
Qu'en advint-il ? Nous trouvons que, en 1666, Louis de la Trémoille ayant cédé, en avancement d'hoirie, a son fils, Henri-Charles, prince de Tarente, le duché de Thouars, la principauté de Talmont et autres seigneuries, aveu en fut rendu au roi, au nom du nouveau titulaire, par Armand-Louis Gouffier, cointe de Caravas et de Palluau (4), ayant procuration à cet effet. Il est à remarquer qu'aucun droit d'amirauté patrimoniale n'est énoncé dans cet acte. II est permis d'en conclure qu'il avait fallu l'effacer avant d'être admis à présenter l'aveu.
Mais la question n'était pas terminée. Le 28 janvier 1676, le sieur Henri Lambert, seigneur d'Herbigny, comte de Thibouville, conseiller du roi, commissaire départi par sa Majesté pour la visite des ports et havres de mer, fit comparaître en son hôtel, aux Sables-d'Olonne, le sieur René Cornuau, sénéchal de Talmont, pour le sommer de satisfaire à l'arrêt du conseil du roi, du 16 août 1672 et à l'ordonnance du dit commissaire départi, du 12 novembre 1675, ordonnant la production des titres. Cornuau répondit au nom de Louis-Maurice de la Trémoille, prince de Talmont, comte de Laval, pair de France, que le dit seigneur est amiral-patrimonial dans les côtes qui dépendent de la dite principauté de Talmont, à la réserve de ce qui est annexé à l'abbaye de Jard; et, à cause de ce droit, jouit des mêmes droits et privilèges dont jouit l'amiral de France, ayant aussi tout droit de bris, naufrages, épaves, aventures de mer droit dont le sieur Cornuau ne peut, quant à présent, fournir la déclaration, attendu que les titres de la dite principauté sont entre les mains de Ms le duc de la Trémoille et de son frère, enfants de Mer le prince de Tarente « requérant pour satisfaire au dit arrêt du conseil et de notre ordonnance, qu'il nous plût lui accorder un temps compétent pour les recouvrer et produire au greffe de notre commission. Nous, conseiller sus-dit avons donné acte au sieur Cornuau de sa déclaration faite au nom du sieur prince de Talmont et lui avons octroyé un délai de quinzaine, après lequel passé, sera fait droit ainsi que de raison ».
Ce dernier acte paraît avoir marqué la fin de l'amirauté patrimoniale. Le bras de Louis XIV se faisait sentir par l'organe de ses terribles commissaires-départis. Nous ne pouvons raconter en détail les innombrables naufrages constatés par procès-verbaux, pendant les XVe, XVIe XVIIe siècles.
Qu'il nous suffise de dire que les naufrages avaient lieu surtout aux plages de Longeville et de la Tranche, et particulièrement en cette dernière, au petit cap appelé le Grouin du Cou. La côte, sur une longueur de plusieurs lieues, est bordée par une chaîne de dunes, au pied de laquelle est une belle grève de sable, mais, en aval de celle-ci, le fond de la mer est tapissé par une couche plate de roches calcaires se découvrant pendant la marée basse si un navire y touche, il doit être bientôt troué ou fendu. Un fanal éclaire maintenant ce petit promontoire et détourne sans doute le danger, car les naufrages y sont rares aujourd'hui. Tous les procès-verbaux se ressemblent. Le sénéchal de Talmont, qui les dresse, expose qu'il a été averti du naufrage par l'un des gardes-côtes. Cette nouvelle, apportée de quatre lieues, n'arrive que le soir; le sénéchal, vu l'heure avancée, renvoie au lendemain, jour où il part à cheval avec le procureur-fiscal et le greffier. Il arrive un peu tard sur le lieu du sinistre, ou il a été devancé par les populations environnantes qui, a. son aspect, s'enfuient comme une volée de corbeaux, emportant une bonne part de la curée, si ce n'est la totalité. Alors, il fait le sauvetage de ce qui reste, en dresse l'inventaire, met les objets autant que possible en sûreté, puis il se lance à la poursuite des maraudeurs, avec plus ou moins de succès. Sa perquisition dure souvent plusieurs jours.
Parmi les navires naufragés, il y en a d'Espagne, de Portugal, d'Angleterre, de Hollande, de Lubeck, de Hambourg, de Norvège, quelques-uns ont une capacité de 150 à 250 tonneaux.
Plusieurs sont armés de canons et munis d'armes diverses, un plus grand nombre vient de France, de Bordeaux, la Rochelle, Nantes, Saint-Malo, Rouen, Dieppe, etc., parmi ceux-ci beaucoup de simples barques. Les marchandises consistent généralement en vins, en planches, blé, sel. Un navire portugalais est chargé de saumons d'étain. Quelquefois il y a contestation entre le commandant du navire et le sénéchal. Le commandant soutient n'être pas naufragé, le sénéchal affirme qu'il y a échouage suffisant pour motiver le bris et la démolition du navire.
La juridiction de l'amirauté royale, établie d'abord à Luçon, puis transférée aux Sables- d'Olonne, intervient quelquefois sur la demande des marins et les délivre du droit de bris et gravage dont ils sont menacés.
Mais, outre les contestations avec l'autorité royale, avec celle de Guyenne, avec les monastères, il y en avait aussi avec d'autres seigneurs riverains, ou même avec les fermiers de ceux-ci comme on peut le voir par un procès-verbal du 6 mai 1543, au sujet d'épaves échouées sur la côte de Brandois.
Voici un abrégé du procès-verbal dressé en cette occasion :
L'an etc., devant nous Jean Charpenteau, bachelier ès loix, lieutenant de Monseigneur (de Thouars) et sénéchal de la baronnie de Brandois, étant en l'hôtel de la Goronnière, s'est comparu Jean Briend, receveur du dit Brandois, lequel nous a dit et remonstré, en présence de Jacques Mercier, procureur du dit Brandois, que, puis six semaines en ça, il estoit advenu à la couste de la mer et à l'endroit du dit Brandois, vingt-six rondelles (barriques) de vin et deux ancres, par naufrage, disant qu'il lui avait été enjoint de les vendre, pour l'argent estre mis ès mains du receveur seigneurial de M de Thouars ce qui a esté contredict et empesché par maître Michel Baritaud, Pierre Rascler et Denys Bouher, fermiers de la seigneurie de la Mothe-Achard et de la Maurière, en présence de maître Louis Nicoleau, procureur d'icelle seigneurie, disant « les vins et ancres sont venus en la couste qui est commune par moitié et indivise entre les dits seigneurs de Brandois et de la Maurière, et que cause de la dite seigneurie de la Maurière, leur appartient la moitié des dits vins et ancres empeschant, par ce moyen, la réception des dits deniers d'être mise entièrement entre les mains du sieur Briend, ains soutient une moitié seulement, l'autre moitié leur être livrée à pur et à plain. Ce qui a esté contredict par les sieurs receveur et procureur de Brandois, disant « la couste n'estre commune entre les dites seigneuries, ains lige à la baronnie de Brandois, protestant estre à nous entièrement les deniers de la vente du dit naufrage. Nié, persisté par les dits fermiers et procureurs de la dite Maurière comme il est tout notoire ».
« Sur quoi, parties ouïes, et, vu que les dits vins pourroient diminuer de prix de jour en jour, avons ordonné qu'ils seront vendus au plus offrant et dernier enchérisseur et ce, par manière de provision ».
Ainsi, le droit de bris, adventures de mer semble avoir été l'objet de stipulations de fermage, puisque ce sont ici des fermiers qui réclament ce droit comme compris dans leur ferme de la seigneurie de la Maurière, si les seigneurs de cette terre n'étaient pas changés depuis l'arrêt de 1518,
Louis III de la Trémoille, comme héritier de son père, possédait le tiers de la Mothe-Achard et de la Maurière, en même temps qu'il était baron de Brandois. Il était attaqué en Amirandage par ses propres fermiers.
Nous allons terminer par une lettre très-curieuse qui se trouve au dossier. Elle est datée de Thouars et paraît avoir été écrite par un officier de la maison de la Trémoille, s'adressant à la femme d'un autre officier de la même maison, elle est signée d'initiales seulement. Elle peint les perplexités et les difficultés auxquelles donnait quelquefois lieu l'exercice du droit d'amirauté patrimoniale sur In côte de Talmont.
A Madame de Rotemont, à Paris,
Je suis de retour, grâce à Dieu, d'un voyage qui n'a pas réussi comme se l'était proposé M. le Vicomte, puisque le naufrage, arrivé aux côtes de Talmont, a été avoué par les marchands de Bordeaux, et, de plus, le navire s'est trouvé de Rohedan ? Ainsi, il n'y avait rien à faire que de tacher de conserver les droits de Monsgr le Prince, qui sont contestés par le juge de l'amirauté, contre lequel nous avons informé, et envoyé le tout a Auxcerre pour que le Conseil dise ce qu'il y aura a faire. Je lui ai mandé l'avis de M. Rampillon, de Fontenay, qui tesmoigneque l'on doit faire deux choses la première, qu'il faudroit obtenir commission du parlement pour prendre ce juge a partie et le poursuivre sans relâche, jusqu'à l'arrest, ou bien, si on juge que l'on ne le puisse obtenir, d'avoir six hommes, avec les couleurs, qui paraitroient sur la coste pour donner l'épouvante au garde que le juge de l'admirauté y a mis. M. de la Longe assure qu'il y tiendra la main et qu'il prendra du monde dans les villages ou bourgs qui ne couteront rien, et qui seront bien aise d'avoir ces marques pour s'exempter de la pression des tailles l'autre est que, pour se défaire de ce juge, il y a un moyen infaillible, qui est de le faire prendre, en vertu de plusieurs décrets qui sont sur lui le menant à Nantes, qu'il n'en sortira jamais, devant plus aux marchands de ce lieu qu'il n'a vaillant. Si on se résout à cela, les marchands de Nantes donneront 100 écus pour les frais du présent ou de quelque autre. Toute la noblesse du Talmondais y donnera la main à grande joie: La plupart viennent s'offrir pour aller à la Tranche avec nous, mais le Conseil de là, de qui je dépends trouva à propos de les remercier et de n'user d'aucune violence, parce que, disait-il, d'une bonne cause on pourrait faire une mauvaise. Voilà un abrégé de ce que j'ai mandé a Monssr le prince. L'on passe si mal son temps en ce pays, que j'étais contraint, après avoir mangé ma soupe, de m'aller coucher.
Mme de BeIIeville a des maux de cœur continuels ce mal ne déplait aucunement à son mari. Nous avons eu ici la dame de Bourgneuf notre princesse est allée lui rendre sa visite à Pas-de-Jeu ; Mme de Bourgneuf et ses hôtes sont allés rendre leurs devoirs au Gouverneur de la province (5); M. de Rouanès part dans huit jours pour Paris, Son Altesse (6) l'est allé voir hier, où il a trouvé grand monde, et a ramené le comte de Caravas (7). Il faut finir, parce que je n'ai plus rien à vous dire, si ce n'est que je suis, en vérité, votre très-obéissant serviteur, S. C. A Thouars, ce 28 janvier 1655.
A partir du règne de Louis XIV et des célèbres ordonnances de ce monarque et de son grand ministre Colbert sur la marine et le commerce, l'amirauté patrimoniale est devenue impossible à Talmont, et l'amirandage de tous les degrés a dû disparaitre entièrement des côtes de France.
CH.. DE SOURDEVAL.
==> Sur la Terre de nos ancêtres du Poitou - Aquitania (LES GRANDES DATES DE L'HISTOIRE DU POITOU )
Aliénor d’Aquitaine, Lois Maritimes les Rôles d'Oléron, appelés aussi Jugements d'Oléron <==
==> Droit de naufrage à NOIRMOUTIER au XVe siècle.
(1) Né au château de Milly, en Anjou, le 18 avril 1619, fils du maréchal Urbain de Maillé de Brezé et de Nicole du Plessis de Richelieu; baptisé au même lieu, le 28 octobre, ayant pour parrain R. P. en Dieu, Armand-Jean du Plessis de Richelieu, évêque de Luçon.
Signé Armand, ev. de Luçon.
Le 25e jour d'août 1646, inhumation au chœur de l'église du corps de haut et puissant messire Armand-Jean de Maillé duc et pair de France, grand-amiral dessus les mers, qui fut tué le 14 juillet, au siège dOrbitello.
(2) Saint-Gilles,châtellenie, relevait directement de Thouars. M. Beauchet-Filleau a omis ce fait, résumant de la pièce ici citée. Il a passé sous silence tout ce qui concerne Talmont, dans ses Justices du Poitou.
(3) Louis II de la Trémoille, vicomte de Thouars, prince de Talmont, comte de Marans et de Benon, baron de Sully, de Craon, de Montagu, de l’ile Bouchard, de l'ile de Ré, etc. avait vaincu et fait prisonnier, à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, le duc d'Orléans qui, depuis, fut le roi Louis XII.
Mais ce monarque, ne vengeant pas les injures du duc d'Orléans, créa amiral de Guyenne et de Bretagne, son ancien vainqueur qui fut tué à la bataille de Pavie, âgé de 65 ans.
(4) Le titre de comte de Palluau est surprenant, car, d'après Anselme, la terre de Palluau fut acquise, en 1621, du duc de Rouanais, par Jacques de Clérembault, père du maréchal de ce nom Le duc de Rouanais, en 1621, devait être Claude Gouflier, aïeul de Armand-Louis. Le maréchal de Clérembault a toujours porté le titre de comte de Palluau il a rebâti le château et il est mort en 1665.
(5) Arthus Gouffier, duc de Rouanès, pair de France, seigneur d'Oiron, gouverneur de Poitou.
Il était alors à son château d'Oiron, à deux lieues de Thouars. Mort le 4 octobre 1695, après avoir embrassé l'état ecclésiastique.
(6) Henri de la Trémoille, duc de Thouars, prince de Talmont, né en 1599. marié le 18 janvier 1619, à Marie de la Tour, fille du 1er maréchal de Turenne et sœur de l'illustre maréchal.
(7) Louis-Armand Gouffier, comte de Caravas.