Il n’y a peut-être pas d’évènement historique, autre que ces conférences, dont les auteurs de l’histoire de France et les chroniqueurs des trois provinces d’Angoumois, Poitou et Saintonge, aient parlé avec une plus grande impartialité ; mais, chose éminemment regrettable, tandis que la plupart de ces auteurs se bornaient à une brève narration de cet évènement, les autres tronquaient l’ordre des faits, ne parlaient que d’une partie, soit du commencement, soit de la fin des conférences, donnaient des dates erronées ou n’en mentionnaient aucune ;
— en sorte qu’aujourd’hui l’on trouve peu de sujets historiques qui aient été aussi mal étudiés et mal approfondis dans leur ensemble, et qui soient aussi peu connus dans leurs détails.
Certes, nous n’avons pas la prétention, dans cette courte étude historique, d’avoir tout pesé, examiné et contrôlé, mais, ayant compulsé à Paris un grand nombre de textes imprimés ou manuscrits, qui ont trait à ces conférences, nous pensons que notre travail sera de beaucoup le plus complet et aussi le plus véridique.
Depuis les sanglantes batailles de Jarnac et de Moncontour, un troisième parti avait surgi dans cette France monarchique, tour à tour réclamée par les Valois, les Guise et le roi de Navarre : ce parti, c’était la Ligue.
Depuis 1585, le duc de Guise, chef de ce parti, tenait Paris, où le roi n’avait plus aucune autorité.
L’hiver de cette année 1585 fut très rigoureux et fut cause que, de part et d’autre, on suspendit les hostilités.
Le duc de Mayenne, général de l’armée royale, destinée à opérer en Guiénne, étant venu à Châteauneuf (Charente) sur la fin de décembre, y fut rejoint quelques jours après par le maréchal de Matignon, gouverneur de Bordeaux, et par les députés de Saintonge et d’Angoumois, qui demandaient qu’on attaquât d’abord Pons, Taillebourg et Saint-Jean-d'Angély, villes qui se trouvaient au pouvoir du roi de Navarre.
Mais cet avis fut différé à cause des rigueurs de la saison, et, le 25 février, les troupes de Mayenne entrèrent en Périgord pour ensuite agir en Guienne.
Le duc d’Epernon revint en hâte à la cour, où tout était en suspens, en attendant l’issue projetée d’une entrevue entre la reine-mère et le roi de Navarre, parce qu’il paraissait certain que dans l’année où l’on entrait il viendrait une armée d’Allemands au secours des huguenots.
La reine mère, qui avait pouvoir absolu sur le duc de Guise depuis leur dernière confédération, et, qui désirait aussi s’attacher le duc de Bouillon pour s’en servir après à traiter avec l’étranger, s’il en était besoin, intervint à propos du siège de Verdun, qui tenait pour la Ligue, et fit accorder une trêve entre les deux ducs, que la diversité de religion et une haine particulière avaient acharnés l’un contre l’autre.
Les affaires n’allaient pas mieux dans le Dauphiné.
Lesdiguières, qui assiégeait Chorges, perdit, par le froid excessif de cet hiver, une partie de son armée. Henri III était las de la guerre.
Aussi, vers le milieu de février 1586, le duc de Nevers, nouvellement détaché de la Ligue, était venu de son gouvernement de Picardie au Louvre, mandé par le roi, qui lui reconnaissait une certaine habileté dans les négociations.
Dans son entrevue avec Henri III, ce prince lui fit part de ses tendances pour la paix.
— Ah ! sire, la paix avec les huguenots ! y pensez-vous?
— Certainement, mon cousin, et je ne la crois pas impossible en adoucissant l’esprit du roi et de la reine de Navarre, et même en portant le prince de Condé.
— Comment, sire, vous naguère encore si fougueux contre les hérétiques, vous auriez changé à ce point ! Après vous être déclaré si ouvertement contre eux, vous penseriez à en faire des amis ?
— Qu’importe! lui répondit le roi, impatienté, si le salut du trône est là.
— Cependant, sire, vous commandez, et seul vous pouvez....
— Hélas! vous ignorez donc les cabales et les liaisons pernicieuses que les ligueurs déploient dans l’intérieur comme au dehors du royaume ! Pour moi, cher duc, je trouve que la moins dure des conditions est de traiter avec le roi de Navarre.
Le duc fit un léger haussement d’épaules en signe d’incrédulité.
Huit jours plus tard, le duc de Nevers était de retour à Amiens, auprès de sa femme et de son fils. Mais Henri III, dont les ligueurs contrariaient le sommeil, envoya le cardinal de Lenoncourt et de Poignyau roi de Navarre, à Nérac, pour le faire consentir à une conférence avec la reine Catherine, en Poitou,
— ce que le prince accepta, malgré toutes les oppositions de son conseil et de ses ministres.
Henri III, ayant obtenu un demi-succès, prit alors des mesures pour la conférence.
Un matin, il se rendit chez sa mère, à l’hôtel de Soissons, qu’elle habitait, entourée de nécromanciens et d’astrologues, pour la disposer à faire ce voyage dans l’intérêt du trône et de sa famille.
Catherine répondit quelle y porterait des paroles de paix.
— Oui, ma mère, souvenez-vous qu’il y a quelques années, en menant Marguerite à Henri de Navarre, à Nérac, vous m’avez réconcilié avec lui. Je vous confesse que je n’ai d’espoir qu’en vous pour mener cette affaire à bonne fin.
— Oh ! mon fils, ne vous y trompez pas : le roi de Navarre ne fera que ce que son parti voudra qu’il fasse. Mais, en haine des Guise, je ferai, moi, toutes les concessions compatibles avec notre honneur.
— Bien, ma mère, partez vers Henri de Navarre, et dites-lui combien la paix m’est chère. Catherine se dit, sans doute, qu’elle userait dans cette entrevue des mêmes armes qu’à Nérac, c’est-à-dire qu’elle mènerait avec elle son cortège ordinaire, composé des femmes les plus séduisantes, moyen qu’elle employait souvent auprès de ceux qu’elle voulait mettre dans ses intérêts, et dont elle connaissait le penchant à la galanterie.
A Nérac, se disait-elle, Henri de Navarre reçut sa femme froidement, mais, en voyant avec plaisir les personnes dont la société enjouée avait autrefois charmé sa prison, au Louvre, il fit la cour à Mademoiselle de Fosseuse, sur qui Marguerite avait beaucoup d’empire. Aujourd’hui, les temps sont changés: Marguerite, chargée de calomnies, traîne une vie errante de château en château, tantôt libre, tantôt prisonnière; et, quoique à peine âgée de trente-deux ans, ses charmes et sa beauté sont perdus à jamais.
— A quoi pensez-vous, ma mère? demanda le roi.
— Je songe à vos intérêts, mon fils. Puis, tout bas, elle ajouta:
— Je lui mènerai Christine de Lorraine: avec cette belle enfant, je lui arracherai sûrement une paix avantageuse.
— Eh bien ! quand partirez-vous? ma mère.
— Dès que M. de Nevers sera rendu.
— Je vais le rappeler aussitôt mon retour au Louvre.
— Ecrivez-lui d’ici, mon fils. Je vais faire prévenir M. de Lansac fils, qui vous servira de secrétaire.
Un instant après, M. de Lansac entrait dans l’appartement. On lui expliqua ce dont il s’agissait.
— Veuillez dicter, sire, dit le secrétaire de la reine mère, en prenant une feuille de papier et en s’asseyant devant un pupitre.
— Ecrivez à M. de Nevers :
« Mon Cousin, — la Reine, ma mère, n’attend plus que vous pour commencer son voyage, et vous prie de mettre promptement les meilleurs ordres que vous pourrez dans votre gouvernement, et de vous rendre auprès de moi. Je me promets de si bons succès de la conférence qui est résolue, que je n’auray point de repos que vous ne soyez aux mains avec nos ennemis.
La reine, ma mère, y porte un esprit de paix. Vous la seconderez en ce bon dessein; et j’espère plus d’avantages de votre négociation que si vous m’aviez gagné deux batailles.
Nos bons amis en murmurent tout haut, et en sont encore plus étonnés. Mais tout leur venin est dans leurs paroles et dans leurs lettres. Dieu veuille qu’ils ne le répandent pas plus avant. Monsieur de Pisani (1) m’a écrit qu’ils ont donné l’alarme au Pape, de quoy je vous ay donné le gouvernement de Picardie.
Ils font très bien. Car votre fidélité, qui est à toute épreuve, leur doit être fort suspecte. II n’y aura rien à faire en cette province-là pour eux, tant que vous y serez. Venez donc, au nom de Dieu; et apportez toutes les plus fortes raisons que vous avez pour persuader les huguenots à la paix. Je prie Dieu, mon cousin, qu’il vous ait en sa sainte garde.
« A Paris, ce cinquième Avril 1586 ». (2)
Lorsque le secrétaire eut achevé sa dernière phrase, il tendit la plume au roi en lui disant :
— Sire, daignez signer. Le roi apposa sa signature au bas de la lettre et la fit ensuite revêtir du sceau de l’Etat.
— Allons, ma mère, dit le roi en prenant congé de Catherine, c’est un premier pas de fait ; le second regarde votre majesté.
— Soyez tranquille, mon fils, j'espère bientôt décider le roi de Navarre à traiter avec vous. il Quelque temps après, le duc de Nevers se rendit à Paris ; il n’y demeura qu’autant de temps que la reine-mère l’y retint.
Catherine eut plusieurs entretiens avec le roi et ses ministres, desquels entretiens il semblait résulter que la paix était le but où tendraient tous leurs désirs.
Mais le peuple de Paris, qui savait les négociations que le roi poursuivait avec Henri de Navarre, en était fortement irrité. C’était là aussi le crime dont la Ligue l’accusait.
Si l’on en croit Davila (Tome VIII), Henri III était de bonne foi dans son désir de se réconcilier pleinement avec le roi de Navarre ; il espérait remployer, de concert avec l’armée allemande, qui devait venir à son aide, à surprendre et à écraser les Guise.
Mais deux obstacles s’opposaient à leur réunion : l’un était la religion, car Henri III ne voulait reconnaître le Béarnais pour successeur qu’autant qu’il se ferait catholique ; l’autre, la brouillerie de la reine Marguerite sa sœur avec son mari.
Celle-ci, dont la vie licencieuse avait offensé les deux cours, avait été arrêtée à Cantal, en Auvergne, et ensuite transférée à Usson sous la garde du marquis de Canillac, lequel, disait-on, captivé par sa captive, l’avait lui-même remise en liberté.
Henri III reconnaissait qu’une réconciliation entre elle et son mari était désormais devenue impossible. Aussi s'était-il arrêté au projet de profiter des irrégularités de la dispense du pape pour déclarer nul le mariage du roi de Navarre avec Marguerite et lui faire épouser à sa place Christine, fille de son autre sœur, la feue duchesse de Lorraine, qui était alors d’ âge nubile et élevée auprès de Catherine.
C’était en vue de cette conférence que Biron avait conclu un armistice avec le roi de Navarre, et qu’ils avaient déclaré neutre le territoire de Marans ; mais la goutte à laquelle Catherine était sujette, et dont elle eut un accès dans l’été, retarda la négociation.
Probablement ce retard induisit en erreur les écrivains contemporains, dont chacun donne aux conférences une date différente (Davila les place au mois d’août, le duc de Nevers et de Thou au mois de décembre, d’Aubigné au mois de mars suivant).
Les représentations du nonce du pape, les plaintes du duc de Guise et les invectives du peuple parisien, eurent peut-être aussi quelque part aux délais du roi.
Catherine se chargea de tranquilliser le duc de Guise. Elle lui dit que leur but à tous deux était absolument le même ; elle protesta qu’elle ne désirait pas moins vivement que lui l’extirpation complète de l’hérésie ; mais elle lui communiqua les renseignements qu’avait obtenus la cour sur l’armement formidable qui se préparait en Allemagne, et qu’il importait de tromper le roi de Navarre, de le repaître de vaines espérances, de l’engager à congédier ses auxiliaires, qu’il n’avait pu rassembler sans dissiper pour cela toutes ses ressources ; que c’était là l’ouvrage auquel elle s’apprêtait, et qu’après avoir isolé ce chef des huguenots elle le livrerait à sa merci (3).
Le roi de Navarre avait trop de correspondants secrets à Paris pour n’être pas bien vite averti des espérances que Catherine donnait aux ligueurs.
D’un autre côté, le duc de Guise, en se séparant d’elle, se demandait si c'était bien son adversaire, et non lui, que la reine- mère se proposait de tromper.
L’un et l’autre étaient trop habiles pour ne pas redoubler de précautions et même de défiance.
Au commencement de juin, Henri III alla aux eaux de Pougues. De son côté, la reine mère quitta Paris et se rendit à Blois. Comme elle ne pouvait encore, pour plusieurs difficultés, conférer avec le roi de Navarre, Henri III s’éloigna encore davantage de Paris et poussa jusqu’à Lyon. Ce fut durant l’été que l’état des négociations permit aux intéressés de décider que les conférences commenceraient dans les premiers jours d’octobre, à moins d’ajournement imprévu.
Il y avait dix-huit mois que l’on travaillait à ce rapprochement, non pas sans peines ni difficultés, et de lui semblait dépendre la fin des troubles du royaume. Mais divers incidents l’avaient toujours retardé; tantôt c’était les affaires du roi de Navarre, tantôt c’était la goutte dont souffrait la reine mère.
Cependant, un matin, Catherine de Médicis, accompagnée d’un brillant cortège, dans lequel les femmes les plus séduisantes par leurs attraits, leur jeunesse et leur naissance, abondaient, laissa le château de Blois et se dirigea vers Chenonceau, où elle arriva le 12 septembre et resta un mois.
Henri III, inquiet sans doute de ce que ses affaires n’avançaient pas, vint 1’y trouver.
De son côté, le roi de Navarre, ayant quitté Nérac au commencement de mai, visitait ses cantonnements.
Il arrive à Bergerac le 7 mai 1586, va le lendemain à Verteillac ; le 10 il se trouve à Villebois-La-Vallette; le 11 et le 12 il soupe et couche à La Rochefoucauld ; le 13 à Verteuil ; il va ensuite en Poitou ;
Le 19 il dine à au château de Javarsay, soupe et couche le 20 à Celles ; le 24 soupe et couche à Lusignan.
Le 30 mai il dîne à Chizé, soupe et couche à Surgères ; le 1er juin il dîne à Surgères et va couchera La Rochelle.
Après quelques jours de repos dans cette ville, il recommence ses pérégrinations en Saintonge et revient à La Rochelle, où nous le trouvons du 21 septembre au 11 octobre.
Le 23 septembre il écrit à M. de Scorbiac, conseiller au parlement de Toulouse, et lui dit: « On nous a fait quelques ouvertures d’entrevue : mais d’autant que je n’ay point aperçu qu’on y marchât de bon pied, vu qu’après tant de mauvais traitements et ruines qu’on nous a procurés on nous voulut montrer quelques arrhes de bonne volonté, je n’ay pas fort entretenu cette négociation. Je vois bien que nous ne pouvons avoir soulagement en nos afflictions que premier nous n’ayons nostre secours. Assurez-vous toujours de ma bonne volonté et en faites estât, car je désire vous en faire paroistre les effets lorsque l'occasion s en présentera, etc. (I) »
Le roi de Navarre écrivit de La Rochelle, le 25 octobre, à M. de Saint-Genie, pour lui recommander de ne pas dégarnir le Béarn de troupes.
Il était encore dans cette ville le douze Novembre, lorsqu’il adressait une lettre à M. de Harambure pour lui dire que M. des Essarts, gouverneur de Taillebourg, était prévenu pour y recevoir sa troupe, l’y faire loger et porter les vivres nécessaires. « Allez-y avec les compagnons, ajoute-t-il encore, incontinent la présente reçue ; et si vous apprenez quelque chose des ennemis, donnez-m en avis aussitôt. »
De son côté, la reine Catherine, ayant quitté Chenonceaux vers le 18 octobre, se trouva à Tours le 19, vint coucher â Chinon le 20, et passa les journées des 21, 22 et 23, au château de Champigny, appartenant au duc de Montpensier, — lequel duc la reçut royalement et se joignit à son escorte.
La reine mère se rendit ensuite à Loudun, puis de là à Mirebeau, où, le 7 novembre, les députés de Poitiers l’allèrent saluer.
De Mirebeau elle vint à Parlhenay, puis de cette ville à Saint-Maixent, où elle arriva entre 10 et 11 heures du matin, le mardi 11 novembre, et y séjourna jusqu’au 3 décembre suivant, temps qu’elle employa à écrire un grand nombre de lettres au roi de Navarre, à M- de Beauchamp, au maire et aux échevins de Fontenay, ainsi qu’à beaucoup d’autres. (4)
Michel le Riche, dans son Journal , nous rend compte du séjour de la reine mère à Saint- Maixent; le sieur de Pontcarré, qui était un des personnages de la suite de Catherine, la logea même chez lui.
« La reine mère, dit-il, faisait souvent assembler le conseil au logis de Balizy, où elle était logée. Le jeudi 13, il fut résolu que les seigneurs de Rambouillet, de Lansac et autres, partiraient le lendemain pour aller vers le roi de Navarre, à La Rochelle....
L’on disait qu'il était accordé que le lieu de la conférence seroit aux Petits-Chasteliers, entre Saint- Maixent et la Mothe, auquel lieu de la Mothe logerait le roi de Navarre. »
On voit établi dès ce moment le principe des résidences séparées des deux interlocuteurs, avec le choix d’une localité intermédiaire pour conférer.
« Le 25 dudit mois, jour et teste de Sainte- Catherine, elle Fit taire le service de la dite fête solennellement, en l’église Saint-Saturnin.
— Décembre 1586. Le lundi 1er, ayant la reine mère reçu nouvelles du roi de Navarre qu'il choisissait le lieu de Cognac et Jarnac pour l’entrevue et conférence, elle envoya vers ledit sieur roi pour avoir assurance, pour elle et tous ceux qui l'accompagnoient à la dite entrevue, qu’il ne leur seroit fait ni mal ni outrage.
Le mercredi 3 décembre, la reine mère et toute sa cour partirent de ville (toujours St- Maixent) et s’en allèrent coucher à Melle...
La reine passa ensuite par St-Jean-d’Angély, Matha, et arriva à Cognac le 8 décembre.
Son premier soin, en voyant ce que l’abandon et les guerres civiles avaient fait du château de François 1 er, fut de signer, dès le lendemain, une ordonnance concernant les réparations urgentes à y faire.
Ce fut donc pendant le séjour de la reine à Saint-Maixent que fut choisi le lieu de la conférence entre Cognac et Jarnac.
On avait d’abord décidé qu’un pont serait établi sur la Charente, soit à la Trache, paroisse de Saint- Brice, soit à Bourg, — pont sur lequel aurait lieu l'entrevue.
Dans ce but, Catherine de Médicis avait, dès le 30 novembre, écrit de Saint-Maixent à MM. les maîtres des eaux et forêts d’Angoumois et à leur lieutenant à Cognac pour faire abattre des arbres dans le Grand-Parc, qui était un domaine de la couronne.
Cinquante pieds d’arbres furent coupés, équarris et amenés sur le quai de Cognac, d’où ils devaient être transportés par gabares au lieu désigné. Mais, peu de jours après, le projet du pont fut abandonné, on ne sait pourquoi.
Pendant ce temps, les deux cours échangeaient journellement leurs idées et leurs propositions.
L’abbé de Guadagne portait les paroles de l’un à l’autre parti. Mais le roi de Navarre témoignait la plus grande défiance ; il hésitait, ne voulant exposer ni sa personne ni son parti. Catherine, pour le décider à une conférence, avait été obligée de se remettre, pour ainsi dire, entre ses mains, et de convenir d’aller en Angoumois, au milieu des troupes protestantes.
Ayant renoncé au projet de faire construire un pont sur gabares, Catherine et son royal gendre se décidèrent pour le château de Saint-Brice, appartenant à M. Daniel Poussard de Fors, l’un des chefs les plus ardents du parti réformiste.
Le roi de Navarre, ayant visité les troupes cantonnées en Saintonge et en Aunis, était rentre à La Rochelle le 12 novembre, et il y demeura jusqu’au 6 décembre.
Il en partit ce jour-là, dans la matinée, avec les chefs qui devaient l’accompagner à la conférence, et alla dîner à Surgères, puis, le soir, soupa et coucha à Saint-Jean-d’Angély. Il resta les 7 et 8 décembre dans cette ville.
Le 9, après avoir dîné à St-Jean, il en partit pour aller souper et coucher à Thors, où il demeura toute la journée du lendemain.
Le 11 décembre, après dîner, il partit de Thors pour aller souper et coucher à Jarnac.
Le roi et les personnages de sa suite, fort bien escortés, logèrent au château de cette ville, où ils furent reçus princièrement par messire Léonor Chabot, baron de Jarnac, sire de Montlieu et de Sainte- Aulaye, gentilhomme de la Chambre, capitaine d’une compagnie de 50 hommes d’armes des ordonnances du roi de Navarre, qu’il avait servi dans toutes ses guerres.
Le château de Saint-Brice, qui, de part et d’autre, venait d’être choisi pour l’entrevue de Catherine de Médicis avec le roi de Navarre, est situé à une courte distance de Cognac, dans la vallée de la Charente, dont les eaux reflètent les massifs et les tourelles.
Edifié au commencement de la Renaissance, il n’a point la légèreté et l’élégance des constructions que le règne de Henri II fit naître plus tard.
Mais on n'en admire pas moins son architecture, ses jardins et ses charmilles, où les oiseaux de la vallée viennent dire sur le bord des eaux leurs plus douces chansons.
Ce château avait été édifié en partie par messire Jean Poussard de Fors et Catherine Gasteuil, sieur et dame de Saint-Brice, et par Charles Poussard, leur fils, maître d’hôtel et panetier ordinaire du roi, puis gouverneur de Dieppe et vice-amiral des côtes de Normandie.
M. de Fors, gentilhomme poitevin par sa naissance, était, selon Michel le Riche, l’un des mieux réputés de tout le pays. Après avoir servi Henri II et Charles IX durant les premières guerres religieuses, il passa à la cour du roi et de la reine de Navarre, et se fit protestant.
Il vint mourir au château de Saint- Brice, le 10 septembre 1582.
Daniel Poussard, son quatrième fils, eut par attribution la terre de Saint-Brice ; celle de Saint-Trojan, sa voisine, fut donnée à Suzanne, sceur de Daniel, mariée à Louis d’Ocoy de Couvrelles.
En attendant l’arrivée du roi de Navarre à Jarnac, Catherine de Médicis, accompagnée de Christine de Lorraine, sa petite-fille, de MM S de Sauve et d’Urfé, ses dames d’honneur, des ducs de Nevers et de Montpensier, de MM. de Rambouillet, de Lansac, de Biron et de Retz, vint, le 10 décembre, dans l’après-midi, visiter le château de Saint-Brice, où devaient se tenir les conférences.
Elle y réunit son conseil pour la première fois. A l’issue de ce conseil, elle envoya un courrier au roi Henri III, lequel courrier emporta aussi une lettre du duc de Nevers pour le même prince.
Nous ne connaissons pas le contenu des missives écrites le 10 décembre par la reine mère, mais nous avons la lettre que le duc de Nevers écrivit après une entrevue particulière avec le roi de Navarre, le 8 décembre, à Saint-Jean-d’Angély, —car il ne faut pas oublier que le 10 le roi était à Thors et qu’il n’arriva à Jarnac que le lendemain.
Voici la lettre de M. de Nevers à Henri III :
« Sire,
La reine vostre mère a de si grands soins de donner avis à vostre Majesté de toutes les choses qui se passent entr’elle et le roy de Navarre, et de lui envoyer des courriers aux moindres apparences d’accommodement ou de rupture, que je n’y sçaurais rien ajouter.
C’est pourquoi je ne lui parlerai point des conférences qui regardent le gros de cette affaire-là, ni le succès que votre majesté en doit attendre; je lui dirai seulement quelle est la disposition du roi de Navarre à l’égard de vostre Majesté, et de l’estât présent de la France. Tel que vous avez vu ce prince, Sire, tel il est aujourd’huy. Les années, ny les embarras, ne le changent point. Il est toujours agréable, toujours en joué et toujours passionné, à ce qu’il m’a cent fois juré, pour la paix et pour le service de vostre Majesté. Il m’a dit, de l’abondance de son cœur, qu’il voudrait avoir assez de forces pour vous défaire en un jour de tous les auteurs de la Ligue, sans vous obliger mesme à y donner vostre consentement. Il vous tesmoigneroit combien vostre repos lui est cher, combien vostre gloire le touche, et combien il souhaite de vous voir aussi puissant et aussi bien obéi que vous le méritez.
Il m’a fait l’honneur de me conjurer de vous en assurer de sa part; et pour me porter à cela, il n’y a sorte de belles paroles et de marques d’estime pour moi qu’il n’ait bien voulu employer. Il m’a protesté qu il me croyoit, après luy, le meilleur serviteur qu’eust vostre Majesté. Que, comme tel, il me prioit de vous donner les conseils d’un homme de bien et d’un homme éclairé. Qu’il sçavoit l’opinion que le feu amiral de Castillon avait de moi. Qu’il luy avoit succédé en cela; et que je serois responsable des malheureux événemens qui accompagnent les guerres civiles, si je ne contribuois de tout ce qui étoit en ma puissance, pour parvenir à une paix dans laquelle les huguenots pussent vivre en liberté de conscience sous l’autorité de vostre Majesté, et par laquelle les traîtres et perfides Ligueurs reçussent le chastiment que leur félonie devoit attendre de Dieu et des hommes. Que s’il étoit tout seul intéressé dans l’accommodement que la reine mère lui propose, et qu’il n’y allast que de toute sa fortune, il n’y apporteroit pas la moindre difficulté. Qu’il la supplieroit de luy donner une place dans son coche pour aller trouver dès demain vostre Majesté, sans autre condition et sans aucune autre sûreté que celle de son innocence.
Après mille semblables protestations, je luy ai répondu en peu de mots: Que tout le mal que l’on craignoit, et que tout le bien pour lequel vostre Majesté et la reine vostre mère se donnoient tant de peine, ne dépendoient que de luy. Qu'il avoit le feu et l'eau entre ses mains.
Que le sort de la France estoit, après Dieu, comme remis à son arbitrage. Qu’ il ne luy restoit qu’une chose à faire pour estouffer la Ligue, pour lever tout le prétexte de la guerre civile, et pour rétablir l’autorité de vostre Majesté. Que je disois beaucoup, mais que je ne disois rien qui ne fust vray.
— Hé! que faut-il que je fasse? me dit-il avec un visage fort ouvert.
—Il faut, Sire, lui répondis-je, que vous vous fassiez catholique. Vous êtes de la race de Saint-Louis : soyez de sa religion. Croyez ce qu’il a cru. Croyez ce que vous avez cru longtemps. Revenez à l’église dans laquelle vous avez esté baptisé. Quittez le parti des rebelles pour celui du roy. Vous êtes regardé aujourd’huy comme son fils et son plus proche héritier. Rendez à un si bon père ce que vous lui devez. Donnez-lui sujet de vous conserver une aussi grande et aussi belle succession qu’est la couronne de France, et que l’apparence d’une réformation prétendue ou la jalousie de quelques princes estrangers n’obligent pas la moitié de l’Europe à prendre les armes contre vous.
« Le roy de Navarre ne me répondit point avec l’aigreur que j’attendois du changement de son visage. Il me dit seulement qu'il y avoit trop de points de trop grande conséquence dans ce que je lui avois dit pour y répondre sur le champ. Qu’il me diroit en peu de mots qu’il prenoit Dieu à tesmoin de son intention, et quil vouloit qu’il le punit très rigoureusement s’il n’avoit dans le fond du cœur le désir de la paix et l’amour de vostre Majesté. Qu’il ne demandoit rien avec tant d’ardeur que de pouvoir mourir l’épée à la main contre les Espagnols et les Ligueurs, qui estoient les seuls irréconciliables ennemis de la France.
« Que s’il plaisoit à vostre Majesté de luy faire la grâce de se fier à luy, ou pour le moins de ne point croire les pernicieux conseils des hypocrites qui veulent vostre perte et la sienne, et de ne le point attaquer par mer et par terre, avec toutes les forces de l’Estat, il n'y aurait rien à quoy la considération de vous plaire ne le portast.
« Je n’aurois jamais fait, Sire, si je vous disois tout se qui se passa entre le roy de Navarre et moi dans cette conversation. J’en ay recueilli deux choses que je diray à V. M. : l’une est que le roy de Navarre veut la paix, à quelque prix que vous la lui vouliez donner; et l’autre, qu’il voudrait bien que V. M. le mît à la teste de ses armées, pour ranger les Ligueurs à leur devoir, et humilier l’orgueil de la maison de Lorraine.
Ce qui est le plus pressant, c’est que, quoi que disent les principaux d’entre les Huguenots qui sont auprès du roy de Navarre , nous ne nous en retournerons point d’ici sans rien faire.
Si nous n’avons la paix, je ne doute point que la reine votre mère n’obtienne une trêve du roy de Navarre. Je prie Dieu qu’il vous comble de bénédictions, qu’il vous rende victorieux de tous vos ennemis, et que, vous donnant une heureuse lignée, il vous accorde une longue et paisible vie.
De vostre Majesté,
Le très-humble, etc. (5)
Ludovic de Gonzague.
« A S. Brix, le 10 de décembre 1585 . »
Louis de Gonzague, duc de Nevers, issu des ducs de Mantoue, était né en Italie le 18 septembre 1539. Il avait épousé la sœur aînée de François de Clèves, duc de Nevers, tué à la bataille de Dreux. Henriette de Clèves avait apporté le duché de Nevers en dot à son mari. Marie de Clèves, sa sœur, épousa le prince de Condé, fils de celui qui fut tué à la bataille de Jarnac.
Catherine, son autre sœur, devint la femme du duc de Guise, celui-là même qui, en 1586, était le chef de la Ligue.
Le duc de Nevers avait quarante-sept ans à l’époque de la conférence.
C’était un zélé catholique, incapable de transiger avec sa conscience. De plus, c’était un esprit souple, adroit, circonspect.
« Il faut craindre M. de Nevers, disait le roi de Navarre, avec ses pas de plomb et son compas à la main.» Louis de Gonzague avait longtemps fait la guerre aux huguenots.
Dans une de ces rencontres, il avait été blessé à la jambe, près du genou, d’un coup de pistolet, et faillit en mourir. . demeura boiteux toute sa vie, et fort en colère contre les huguenots. Malgré son dévouement à Henri III, il ne rompit jamais complètement avec la Ligue.
IV
Pendant que Catherine de Médicis est assise dans le petit appartement du château de St- Brice, où les artistes de la Renaissance ont peint l’histoire de Psyché et de l’Amour, et que ses regards se reposent avec quelque attention
sur les fleurs et sur les fruits peints sur les lambris, voyons ce qu’était alors cette princesse.
Catherine, née à Florence en 1519, était fille de Laurent de Médicis, duc d'Urbin, et de Madeleine de Boulogne, de la maison d'Auvergne; elle comptait à peine 13 ans lorsqu’elle fut amenée en France pour épouser le prince Henri, second fils de François Ier
Elle était nièce du pape Clément VII, qui régnait alors. François Ier fondait de grandes espérances sur cette alliance (4 octobre 1533), mais la mort du pape, survenue l’année suivante, mit à néant ses espérances.
Le fils aîné de François 1 er étant décédé avant ce prince, Henri devint l’héritier du trône, sur lequel il monta en 1547.
La jeunesse de Catherine se passa à la cour de France sans grand éclat.
Catherine ne se révéla comme reine qu’après la mort de son mari, tué dans un tournoi en 1559.
Pendant les guerres religieuses, elle déploya, comme régente et comme mère, une activité extraordinaire. Malheureusement, elle introduisit à la cour la ruse et la perfidie florentines. Sully, dans ses Mémoires, reconnaît « que ce n’est point donner à la conduite de Catherine et de son fils un nom trop tort, que de l’appeler un prodige presque incroyable de dissimulation.»
Pour beaucoup de ses contemporains, le caractère de cette reine fameuse était une énigme, et dans le réseau d’intrigues qui couvrait sa longue carrière on ne voyait ni plan fixe ni profonds desseins.
Pour lutter contre les difficultés inouïes de son temps, elle mit en œuvre, pour y faire face, toutes les ressources de son astuce italienne, tout ce qu’elle tenait de l’expérience et des traditions de son pays.
Catherine, depuis la mort de ses deux fils, était toujours vêtue de noir.
Sa démarche était vive; elle était de grande et riche taille, les années ne l’avaient point courbée. Au moment des conférences, elle était âgée de 67 ans, bien qu’elle ne le parût pas. Sa figure, excessivement calme, conservait un reste de beauté et paraissait d’un blanc mat sous le chaperon noir qui maintenait ses cheveux d’un blond- cendré.
Elle avait une certaine ressemblance avec ces patriciennes de Venise que nous a léguées le pinceau du Titien.
Le conseil de la reine se composait ce jour :
1° De François de Bourbon, duc de Montpensier, fils du feu duc de Montpensier et de Jacueline de Longwig, âgé de 47 ans et veuf depuis plusieurs années de Renée d’Anjou, marquise de Mézières.
2° De Ludovic de Gonzague, duc de Nevers, époux de Henriette de Clèves.
3° D’Armand de Gontaut, seigneur et baron de Biron, maréchal de France depuis 1577, fils ainé de Jean de Gontaut-Biron et d’Anne de Bonneval, âgé de 62 ans.
4° De Nicolas d’Angennes, seigneur de Rambouillet, gouverneur de Metz et du pays messin, ancien ambassadeur en Allemagne et à Rome, époux de Julienne d Aquencii, homme d’un mérite distingué et qui avait fait une étude approfondie des belles-lettres.
5° De Louis de Saint-Gelais-Lusignan, seigneur de Lansac, baron de la Mothe-Saint- Héraye, conseiller d’Etat, naguère chargé de missions importantes qu’il fit réussir par son habileté. Il était âgé de 73 ans.
6° D’Albert de Gondi, duc de Retz, maréchal de France, né à Florence vers 1520, protégé de la reine Catherine, qui lui avait tait épouser, en 1565, Claude-Catherine de Clermont, dame de Dampierre, veuve de Jean d’Annebault, et l’une de ses dames d’honneur.
Ce que le conseil décida le 10 décembre 1586 a été tenu secret. Du reste, pour attaquer les questions importantes, on attendait l’arrivée u roi de Navarre.
Parmi les personnages qui avaient accompagné la reine mère dans sa première visite au château de Saint-Brice, on voit encore figurer Catherine de Bourbon, abbesse de Notre-Dame de Soissons, tante du roi de Navarre, fille de Charles de Bourbon, duc de Vendôme, et de Fançoise d’Alençon, âgée d’environ 49 ans; Charlotte de Beaune, épouse de Simon de Fize, seigneur de Sauve, secrétaire d’Etat, dame d’honneur de la reine Catherine; Renée de Savoie, femme de Jacques, comte d’Urfé, dame d’honneur et grande confidente de la reine.
Auprès de cette dame se tenait la jeune Christine de Lorraine, âgée de 20 ans, princesse aimable, élevée à la cour par son aïeule, et joignant aux agréments de la figure des vertus dignes de son rang. Christine était la troisième enfant de Charles III de Lorraine et de feu Claude de France, seconde fille de Henri II et de Catherine de Médicis. Elle avait perdu sa mère il y avait douze ans ; comme elle avait d’autres sœurs, notamment Antoinette et Catherine, son aïeule l’avait fait venir au Louvre pour lui faire donner une brillante éducation.
Après s’être promenés dans les jardins et sur la terrasse qui s'étend sur toute la longueur de la façade du château de Saint-Brice, Catherine et les personnages de sa suite s’apprêtèrent à revenir à la ville.
La reine mère, qui avait amené avec elle, dans son lourd carrosse, Christine, ses dames d’honneur et les ducs de Nevers et de Montpensier, les prit aussi au retour.
Les autres montèrent à cheval, suivant la voiture de la reine. La petite troupe suivit le chemin qui passe par le bourg de Saint-Trojan, la commanderie de Boutiers, le Solençon, longe ensuite le Grand-Parc, traverse le faubourg Saint- Jacques et franchit le fleuve la Charente sur un pont fort étroit, fort ancien, qui paraît dater de l’époque des fortifications de la ville.
Elle arriva au château au moment où la nuit prend la place du jour.
Le château de Cognac, situé sur une petite plate-forme au bord de la Charente, formait une masse immense de bâtiments, édifiés partie par le comte Jean d’Orléans, partie par le roi François ler, son petit-fils.
Une longue galerie enterrasse voûtée, ayant vue sur la rivière, servait de salle des gardes. Parmi les fenêtres de cette salle, il s'en trouvait une, au milieu, formant balcon, sur l’architecture de laquelle les artistes de la Renaissance avaient sculpté la salamandre, ainsi que des médaillons représentant le comte Jean, Louise de Savoie, Marguerite de Rohan, François ler , la reine Claude, sa première femme, et Marguerite de Valois, sa sœur.
Fêtes au château de Cognac
Il y avait dans ce château d’assez riches appartements, où des fêtes brillantes avaient été données par le roi François 1er en 1526, lors de son retour de Madrid, et en 1530, après son récent mariage avec Eléonore d’Autriche, sœur de Charles-Quint.
Charles IX et Catherine de Médicis, après la pacification des troubles de 1562, suivie de l’édit de mars 1563, ayant visité plusieurs villes du midi dans le dessein d’y affermir la tranquillité, vinrent à Cognac avec toute leur cour, au mois de septembre 1565, et y donnèrent des fêtes qui attirèrent toute la noblesse du pays.
Mais, depuis 1565, il s’était passé bien des évènements ; le château de Cognac, pendant les guerres civiles de 1569 à 1585, avait presque toujours été occupé par les troupes, qui y avaient commis de nombreuses dégradations.
Nous avons vu que la première pensée de la reine mère avait été pour la remise en état des principaux appartements.
Elle comptait y donner des fêtes pendant son séjour, car c’était son goût de faire danser en tous lieux et en toute saison, au milieu des affaires les plus épineuses, dans l’espoir qu’elle adoucirait les esprits et qu’elle calmerait les haines par la frivolité et la galanterie.
« A l’exemple de la cour, dit M. de Péréfixe, le bal et les mascarades régnaient dans tout le royaume, même chez les huguenots, malgré les remontrances de leurs ministres.
En effet, il n’y a rien qui dissipe davantage l’esprit et qui soit plus capable de dissoudre les forces et lame que le son ravissant des violons, l’agitation continuelle du corps, et le charme des dames. »
La reine Catherine passa les journées des 11 et 12 décembre 1536 au château de Cognac.
Si elle sortit un instant en ville ou si elle alla faire ses dévotions à l’église Saint-Léger, cela parut si simple que la chronique ne nous en a rien dit.
Elle suivait sans doute avec un certain intérêt les travaux de réparation qu’une foule d’ouvriers peintres, décorateurs et tapissiers, exécutaient dans la salle des Etats, dans la salle du Conseil, dans le cabinet du roi, et même dans la chapelle, où François I er' avait reçu le baptême.
Le 13, après son déjeuner, elle donna ordre à Messieurs de son conseil, et à son escadron volant de dames et demoiselles d’honneur, de se préparer à partir pour le château de Saint- Brice, où elle allait entamer les conférences avec le roi de Navarre (6).
La reine avait son carrosse pour elle et ses dames confidentes, un autre contenait les demoiselles d’honneur, un autre les membres du conseil, et, enfin, plusieurs chevaux furent mis à la disposition des pages et des chevaliers d’honneur de la reine.
A leur arrivée au château de Saint-Brice, tous ces personnages, qu’un pâle soleil d’hiver n’avait qu’à demi réchauffés, se répandirent dans les appartements, devant les grandes cheminées de pierres sculptées, où flambait la bûche traditionnelle, agrémentée de plusieurs rondins de chêne.
Une demi-heure ne s’était pas écoulée que le son d’une trompette se fit entendre; de nombreux cavaliers marchaient en rang serré, suivant le chemin qui côtoie au nord les dépendances du château.
C’était le roi de Navarre qui arrivait, « très bien accompagné », dit un chroniqueur du temps, « par un régiment », ajoute un autre.
Le roi de Navarre, grand, élancé, la figure ouverte, avait alors 33 ans ; il était né au château de Pau, le 14 décembre 1553.
Parmi les chefs qui l’accompagnaient, on remarquait le beau et chevaleresque vicomte de Turenne, le héros des tournois et des divertissements de la cour de Nérac, âgé de 31 ans; le prince de Condé, dans la famille duquel la courtoisie était héréditaire, et qui pouvait être âgé de trente ans : veuf de Marie de Clèves, il avait récemment contracté un second mariage à Taillebourg, avec Charlotte deTrémouille; puis venait François de La Rochefoucauld, seigneur de Montguyon, baron de Montendre, âgé d’environ 46 ans; Rosny, qui plus tard fut connu sous le nom de Sully, grand, un peu maigre, dédaigneux, et seulement âgé de 27 ans. Jacques- Nimpart de Caumont, baron de la Force, — fils de François de Caumont, tué dans son lit, à Paris, le jour de la Saint-Barthélémy, — âgé de 31 ans et marié depuis quelques années à Charlotte de Gontault, fille d’Armand, seigneur de Biron, maréchal de France ; et quelques autres personnages de la cour du roi de Navarre.
Cette belle troupe était prudemment fait escorter, dit un auteur, car on craignait toujours quelque trahison de la part de la rusée Florentine.
La reine Catherine et les personnages qui l’avaient accompagnée à Saint-Brice allèrent sur la terrasse recevoir le roi de Navarre. Henri salua la compagnie avec grâce et le sourire aux lèvres. Il prit les mains de sa belle- mère, l'embrassa, et celle-ci lui rendit ses embrassements et caresses avec une libéralité qui lui était habituelle.
Pierre Mathieu nous a conservé sur cette première entrevue des détails fort circonstancies et qui doivent prendre place, ici, comme un commentaire fourni par les paroles mêmes de la reine mère et du roi de Navarre.
Après les compliments et politesses de la reine, celle- ci lui dit :
— Eh bien ! mon fils, ferons-nous quelque chose de bon?
— Il ne tiendra pas à moi ; c’est ce que je désire, reprit le roi de Navarre
— Il faut donc que vous nous disiez ce que vous désirez pour cela.
— Mes désirs, madame, ne sont que ceux de Votre Majesté.
— Laissons ces cérémonies, et me dites ce que vous demandez.
— Madame, je ne demande rien, et ne suis venu que pour recevoir vos commandements.
— Là, là, faites quelque ouverture.
— Madame, il n’y a point ici d’ouverture pour moi.
— Mais quoi, ajouta la reine, voulez-vous être la cause de la ruine de ce royaume, et ne considérez-vous point qu’autre que vous, près le roi, n’y a plus d’intérêt?
— Madame, ni vous, ni lui, ne l’avez cru, ayant levé huit armées pour essayer de me perdre. — Quelles armées, mon fils ? Vous vous abusez. Pensez-vous que si le roi vous eût voulu ruiner il ne l’eût pas fait? La puissance ne lui a pas manqué, mais il n’en a jamais eu la volonté.
— Excusez-moi, Madame ! ma ruine ne dépend point des hommes : elle n’est ni au pouvoir du roi, ni au vôtre.
— Ignorez-vous la puissance du roi et ce qu’il peut ?
—- Madame, je sais bien ce qu’il peut, et encore mieux ce qu’il pourrait faire.
— Eh ! quoi donc ? ne voulez-vous pas obéir au roi?
— J’en ai toujours eu la volonté : j’ai désiré lui en témoigner les effets, et l’ai souvent supplié de m’honorer de ses commandements pour m’opposer, sous son autorité, à ceux de la Ligue, qui s'étaient élevés en son royaume au préjudice de sas Edits, pour troubler son repos et la tranquillité publique.
Là-dessus, la reine, tout en colère, dit :
— Ne vous abusez point, mon fils, ils ne sont point ligués contre le royaume. Ils sont Français, et, tous les meilleurs catholiques de France, qui appréhendent la domination des huguenots ; et pour vous le dire en un mot, le roi connaît leur intention, et trouve bon tout ce qu’ils on fait. Mais, laissons cela; ne parlez que pour vous, et demandez tout ce que vous voulez : le roi vous l’accordera.
— Madame, je ne vous demande rien ; mais, si vous me demandez quelque chose, je le proposerai à mes amis et à ceux à qui j’ai promis de ne rien faire ni traiter sans eux.
— Oh! bien, mon fils ! puisque vous le voulez comme cela, je ne vous dirai autre chose, sinon que le roi vous aime et vous honore, et désire vous voir auprès de lui, et vous embrasser comme son bon frère.
— Madame, je le remercie très humblement, et vous assure que jamais je ne manquerai au devoir que je lui dois.
— Mais quoi ? ne voulez-vous dire autre chose ?
— Et n’est-ce pas beaucoup que cela?
— Vous voulez donc continuer d’être cause de la misère, et, à la fin, de la perte de ce royaume?
— Moi, Madame, je sais qu’il ne sera jamais tellement ruiné qu’il n'y en ait toujours quelque petit coin pour moi.
— Mais, ne voulez-vous pas obéir au roi? Ne craignez-vous point qu’il ne s’enflamme et ne s’irrite contre vous ?
— Madame, il faut que je vous dise la vérité: il y a tantôt dix-huit mois que je n’obéis plus au roi.
— Ne dites pas cela, mon fils.
— Madame, je le puis dire, car le roi, qui m’est comme père, au lieu de me nourrir comme son enfant et de ne me perdre, m’a fait la guerre en loup; et quant à vous, Madame, vous me l’avez faite en lionne.
— Eh quoi! ne vous ai-je pas toujours été bonne mère?
— Oui, Madame; mais ce n’a été qu’en ma jeunesse: car, depuis six ans, je reconnais votre naturel fort changé.
— Croyez, mon fils, que le roi et moi ne demandons que votre bien.
— Madame, excusez-moi, je reconnais tout le contraire.
— Mais, mon fils, laissons cela; voulez-vous que la peine que j’ai prise depuis six mois, ou environ, demeure infructueuse, après m’avoir tenue si longtemps à baguenauder ?
— Madame, ce n’est pas moi qui en suis cause; au contraire, c’est vous. Je ne vous empêche pas que vous reposiez en votre lit ; mais vous, depuis dix-huit mois, vous m’empêchez de couchée dans le mien.
— Eh quoi! serai-je toujours en cette peine, moi qui ne demande que le repos?
— Madame, cette peine vous plaît et vous nourrit: le repos a toujours été le plus grand ennemi de votre vie. Si vous étiez en repos, vous ne sauriez vivre longuement.
— Comment ? Je vous ai vu autrefois si doux et si traitable, et à présent je vois sortir votre courroux par vos yeux, et l’entends par vos paroles.
— Madame, il est vrai que les longues traverses et les fâcheux traitements dont vous avez usé à mon endroit m’ont fait changer et perdre ce qui était de mon naturel.
— Or bien, puisque vous ne pouvez faire de vous-même, regardons à faire une trêve pour quelque temps, pendant lequel vous pourrez conférer et communiquer avec vos ministres et vos amis, afin de faciliter une bonne paix, sous bons passeports, qui à cette fin vous seront expédiés.
— Eh bien ! Madame, je le ferai.
— Et quoi! mon fils, vous vous abusez. Vous pouvez avoir des reistres, et vous n’en avez point.
— Madame, je ne suis pas ici pour en avoir nouvelles de vous.
Ainsi se termina cette première entrevue. On remit au surlendemain, lundi, la suite de ces conférences.
On remarqua que, pendant l’entrevue, laquelle eut lieu dans le salon dit de Psyché, à cause des peintures qui en décoraient les lambris, le prince de Condé et le vicomte de Turenne, bien accompagnés, se défiant des artifices de la reine mère, faisaient la garde à la porte, afin de délivrer le roi de Navarre si on attentait à sa liberté.
VI
Arrivons à la troisième conférence.
La dernière entrevue de Henri de Navarre avec Catherine eut lieu le 17 décembre.
La veille, la reine-mère avait exposé au vicomte de Turenne, qui était venu lui faire sa cour au château de Cognac, toutes les raisons qu’elle croyait bonnes pour arriver à une réconciliation sincère des deux partis.
Dans cette entrevue, le point de religion fut remis sur le tapis. La reine-mère dit franchement au roi de Navarre qu’il ne lui fallait jamais espérer repos ni contentement tant qu'il demeurerait obstiné en son hérésie, et que le vrai et unique moyen d'attirer sur lui les bénédictions célestes, d’abattre ses ennemis, de plaire au roi et d’être reconnu au rang que sa naissance lui donnait dans l’Etat, c’était de reprendre la religion de ses ancêtres.
A cela, le roi de Navarre répondit qu’ayant été instruit et nourri en la religion qu’il professait et estimait être la meilleure, ce serait témoigner qu’il faisait bien peu de cas de sa conscience s’il changeait si légèrement, pour des espérances temporelles ; que si sa religion était condamnée en un concile libre, il était prêta l’abjurer, à employer ses moyens et sa vie pour l’abolir entièrement, et à embrasser de tout son cœur la catholique romaine (7).
La reine proposa au roi de Navarre et au vicomte de Turenne de suspendre l’exercice de la religion protestante pour une année, et de faire une trêve, afin que, pendant ce temps, on pût assembler les Etats généraux, auxquels on s’en rapporterait sur les mesures à prendre pour la pacification des troubles du royaume.
Le roi de Navarre répondit qu’il ne pouvait consentir à cette proposition, ni aucun de ses partisans, parce qu’une affaire de religion ne peut et ne doit se traiter que dans un Concile légitimement assemblé ; qu’il l’avait toujours demandé, et que c'était par là qu’il fallait commencer ; que l’on ne devait point compter sur les Etats ; que, si l’on en jugeait par ceux de Blois, on ne pouvait presque pas douter que les Ligueurs ne gagnassent les suffrages des députés ; et qu’au lieu de prendre des mesures pour la paix, ils ne forçassent le Roi à consentir à toutes leurs volontés ; que, si on voulait assembler un Concile, il était prêt à consentir à une trêve, pendant laquelle on lui remettrait des lettres du Roi pour envoyer à tous les Députés des provinces, et leur marquer un lieu d’assemblée, où ils ne manqueraient pas de se rendre; mais qu’il ne voulait ni ne pouvait prendre un parti sans les consulter (8).
Cette condition fut aussi peu du goût de la reine-mère que les siennes du goût de ses adversaires. Catherine, qui avait reçu un courrier dans la matinée, finit par déclarer que le roi était résolu à ne souffrir en son royaume d’autre religion que la sienne.
Sur cette réponse, les conférences discontinuèrent.
Au sortir de l’entrevue, Henri de Navarre s’en retourna à Jarnac, et fit connaître à ses conseillers restés dans cette ville que la reine-mère lui avait commandé de leur déclarer l’intention du Roi de ne permettre que la religion catholique.
D’un commun accord, la Rochefoucauld - Montguyon et Caumont la Force furent députés vers Catherine pour la supplier humblement de leur déclarer si telle était la dernière et inaltérable résolution de Sa Majesté,
« voulant avant toutes choses en être éclairés, parce qu’ayant depuis vingt ans porté les armes pour leur religion, il ne serait pas raisonnable de quitter à présent l’exercice d’icelle ; qu’ils avaient tous résolu de s’unir et mourir pour la conserver. »
Catherine, à son tour, envoya le duc de Montpensier et le maréchal de Biron « pour s’excuser qu’elle avait ainsi cruellement parlé », et demanda que la trêve fut prorogée jusqu’au sixième janvier suivant. Ce qui fut accordé.
La reine-mère dépêcha M. de Rambouillet vers Henri III pour lui dire ce qui s’était passé dans ses entrevues avec le roi de Navarre, et en rapporter de nouvelles conditions.
Ensuite elle se hâta de faire annoncer que la trêve de deux mois naguère publiée en Poitou, Angoumois et Saintonge, serait continuée jusqu’au sixième jour de janvier.
Catherine voulait gagner du temps (9).
Le roi de Navarre, qui savait désormais à quoi s’en tenir sur les intentions de sa belle-mère, quitta Jarnac le 18 décembre, dans l’après-midi, et alla coucher à Thors.
Plusieurs de ses amis l’accompagnaient, escortés par deux régiments; après avoir passé par St-Jean-d’Angély, il se dirigea sur La Rochelle, oû il arriva dans la soirée du 20 décembre.
Le prince de Condé se rendit à Taillebourg auprès de Charlotte de la Trémouille, qu’il avait épousée depuis peu de temps.
Séduits par les fêtes que se préparait à donner la reine Catherine au château de Cognac, le vicomte de Turenne, Caumont la Force, gendre du maréchal de Biron, et quelques autres chefs du parti réformiste, ne s’éloignèrent pas du pays.
VIII.
Dix jours avaient suffi à la reine-mère pour faire restaurer les grands appartements du château de Cognac.
Elle n’était pas d’humeur à attendre le retour de M. de Rambouillet dans une inaction préjudiciable à ses intérêts. Elle voulait masquer le contre-temps d’une conférence interrompue et dont l’issue était incertaine par des fêtes et des bals.
C’était son goût, comme l’a dit un véridique historien, de faire danser en tout lieu et en toute saison.
De plus, elle avait beaucoup à se faire pardonner dans un pays où la réforme avait fait de nombreux prosélytes : elle crut y réussir en attirant à ses fêtes la noblesse protestante, à laquelle elle offrait un gage de réconciliation.
« On se livra aux plaisirs, aux festins, ballets et fêtes galantes, dit le grave Sully dans ses Mémoires ; mais, pendant que l’amour était devenu l’affaire la plus sérieuse de tous les courtisans, Catherine ne s’occupait que de sa politique (10). »
Naturellement, Sully blâme la politique de la reine et celle du roi Henri III, au moment de ces conférences (1586) ; « le traité d’alliance entre les deux rois sembloit promettre, dit-il, toute autre chose. Le procédé de la cour a certainement quelque chose de bien singulier. Ce seroit un mystère absolument incompréhensible, si l’on ne savoit dans quelles variations est capable de se jeter un Prince livré à l’irrésolution, à la timidité et à la paresse. En matière d’Etat, rien n’est pire que cet esprit d’indécision. «
Au conseil de la reine Catherine, si l’on y prenoit un parti, ce n’étoit que pour le moment et jamais pour la fin ; et c’étoit toujours d’une manière si timide, qu’on ne remédioit au présent même que très-imparfaitement. Le défaut de tous les esprits qui n’ont jamais embrassé que de petites et frivoles intrigues est de se représenter ce qui est proche de manière à s’en laisser éblouir, et de ne voir ce qui est loin qu’au travers d’un nuage.
A ce défaut, la reine- mère en joignoit un autre, — c’est l’usage de je ne sais qu’elle dissimulation affectée, ou plutôt une étude misérable de duplicité et de déception, sans laquelle elle s’imaginoit qu’il ne peut y avoir de politique. »
Sully blâme aussi le roi Henri III de n’avoir pas employé le remède qui lui était offert, c’est-à-dire la jonction des troupes du roi de Navarre avec les siennes, afin de pousser vivement les Guises et la Ligue, ennemis de son autorité.
En l’année 1586, « Catherine eut recours à ses finesses ordinaires, et crut avoir beaucoup fait, parce qu’elle fit beaucoup de pas. »
Dans ses entrevues de Saint-Brice avec le roi de Navarre, « elle chercha tantôt à le séduire, tantôt à le faire trembler à la vue des forces considérables qui aboient fondre sur lui, et dont elle avoit, disoit-elle, jusqu’ici suspendu les coups. Enfin elle n’oublia rien de ce qu’elle crut capable de l'engager à changer de religion.
On peut bien croire qu’elle ne voyait qu’à regret la Ligue en état d’opprimer le roi de Navarre : parce que son intérêt n’étoit pas que cela arrivât.
Mais quelle sûreté donnoit- elle à ce Prince de la démarche téméraire et hors de saison où elle vouloit l’engager ? Et n’avoit-il pas lieu de croire que cette proposition d’abjurer sa religion, quelle mettoit sans cesse en avant, n'étoit au fond qu’un piège adroit pour le priver du secours des protestants, lui faire contremander les troupes qui lui venoient d’Allemagne, l’attirer à la cour, le perdre, et après lui tous ses partisans ? »
Laissons le marquis de Rosny peser pour ou contre son parti la politique de la reine, et introduisons-nous au château de Cognac, à la suite des invités, à la fête du 18 décembre.
On entrait au château par la principale porte, qui était du côté de la ville.
Après avoir franchi les douves sur un pont de bois, on se trouvait dans une première cour, ayant à gauche la maison du portier, et à droite les écuries.
C’est dans cette cour, au nord, que se trouvait la porte, qui donnait accès à un petit pont jeté entre le rempart et la campagne, et par laquelle on sortait du château pour aller au Petit-Parc.
En face de la porte d’entrée de la première cour étaient les appartements du gouverneur du château, ayant à côté une salle pour la garde. On pénétrait dans ces appartements par une porte donnant sur un large vestibule, dans le coin gauche duquel était un escalier conduisant à une terrasse.
Après avoir traversé ce corps de bâtiments sous une voûte, on passait dans la seconde cour, oû se trouvait le château proprement dit, construit par Jean d’Orléans, et la chapelle.
Entre cette chapelle et les appartements autrefois occupés par la duchesse d’Alençon, sœur du feu roi, étaient la salle des Etats et une galerie assez vaste.
A gauche, se trouvaient les cuisines, et au-dessous les caves. La grande cuisine avait une de ses fenêtres ouvrant à l’ouest sur la fontaine dite de François Ier , qui était en dehors de l’enceinte du château et servait aux habitants de la ville.
A côté des cuisines étaient l’office et la boulangerie, ensuite une chambre dans laquelle était le puits du château.
C’est dans un vestibule, à côté des cuisines, que se trouvait le grand escalier qui conduisait aux chambres du premier et du second étage.
Les appartements de la reine, situés au premier, communiquaient au moyen d’un petit cabinet et d’un couloir à la chapelle (11).
L’ensemble de ce bâtiment était grandiose. Ses nombreuses fenêtres donnaient d’un côté sur la ville, de l’autre sur la rivière. Des tours en poivrières se trouvaient aux angles, et, par un beau jour d’été, la toiture en ardoises de ces divers constructions scintillait au soleil.
La plupart des fenêtres étaient garnies de vitraux, François I er n’avait pas écrit ici comme à Chambord, avec son diamant,
Souvent femme varie.
Bien fol est qui s’y fie,
il y avait tracé quelques-unes des devises amoureuses qu’il avait composées pour madame de Châteaubriant, et qu'un coup de vent avait, hélas ! emportées comme la feuille et le serment de la romance.
Catherine de Médicis avait fait installer un orchestre à l’extrémité de la galerie dans laquelle on devait danser.
Les réceptions et présentations avaient lieu dans le vaste salon oû François Ier avait assemblé, en 1526, après le traité de Madrid, les députés des provinces, et que l’on appelait la Salle des Etats.
Catherine y avait fait mettre les armes de France et de Médicis, avec sa devise : Ardorem extincta teslantur vinere flamma.
La noblesse de Saintonge et d’Angoumois, catholique ou protestante, était accourue à cette fête royale.
C’était une bonne aubaine pour elle, qui, à cause de l’éloignement, ne pouvait assister aux fêtes du Louvre. Nous ne suivrons pas dans leurs détails les diverses péripéties de cette fête, oû l’on put admirer les plus belles dames et les cavaliers les plus accomplis.
On exécuta plusieurs danses et ballets. Ce fut d’abord la Gaillarde, par les filles d’honneur de la reine.
La gaillarde était une danse qui réunissait tout ce qui peut charmer les yeux, en développant les grâces des jeunes filles.
Après cette danse vinrent d’autres divertissements.
Pendant ce temps les conversations s’animaient et les intrigues galantes faisaient leur chemin. Ce fut peut-être ce soir-là que le viconte de Turenne nota cette pensée que nous trouvons dans ses Mémoires : « Les plaisirs et les jalousies prévalent ordinairement dans les grandes affaires plus que la raison. »
Un groupe de danseurs et de danseuses exécuta ensuite la Volte.
Cette danse, où toutes les séductions se donnaient libre carrière, produisait sur les sens un effet encore plus sûr que son aînée la gaillarde. Car, dit un auteur contemporain, le danseur et la danseuse, se prenant la taille de trois ou quatre pas, ne faisaient que tourner, virer, s’entre-soulever et bondir.
La Pavane, une autre danse favorite des demoiselles d'honneur, réunissait tout ce que l’entrain et la grâce peuvent avoir d’attraits, par les poses, tours et détours, fleurettes drues et menues, bonds et sauts légers et adroits. (12)
A quatre heures du matin on dansait encore, lorsqu'il fallut songer à se retirer. Nous laissons à penser si les hôtelleries de la ville et les logis des notables habitants turent encombrés !
Cette première fête fut suivie, deux jours après, d’une chasse dans la forêt royale, située entre Cognac et Cherves; puis, le surlendemain, d’une pêche dans l’étang du Solençon; puis de visites aux abbayes de la Frenade et de Chastres, etc., etc.
La reine-mère écrivit de Cognac à un grand nombre de personnages. Elle n’y négligeait certes pas ses affaires.
Ainsi, le 17 décembre, elle y signe une ordonnance concernant les tailles de Poitiers.
Le même jour, elle écrit à M. de Malicorne, plus une lettre à plusieurs personnages de Guienne.
Le 18, elle écrit à M. le maréchal de Matignon, à Bordeaux, et une autre lettre au marquis de Pisani, ambassadeur de France à Rome.
Du 18 au 28 elle adresse plusieurs lettres datées de Cognac, dont une au parlement de Bordeaux, une autre à M. de Malicorne, gouverneur du Poitou.
Le 27, elle écrit au roi de Navarre ; et, le 31 décembre, elle signe une ordonnance adressée à MM. les maîtres des eaux et forêts d’Angoumois, par laquelle elle fait don des bois coupés dans le Grand-Parc pour la construction d’un pont sur la Charente (projet qui n’eut pas de suites), et à l’église de Saint-Léger, pour les réparations de sa charpente.
Le 1 er janvier 1587, elle adresse deux lettres au roi de Navarre et une à M. de Grignols.
Le 3 janvier, elle écrit à M. de Bellegar- 3 e ; et, le 5, à M. de Malicorne. (13)
La reine-mère et le roi de Navarre délibérèrent au sujet d’une autre entrevue, et à cette fin la dite dame, avec toute sa cour, quitta Cognac le 5 janvier et se dirigea sur Saint-Jean- d’Àngély, puis de là à Niort et à Fontenav-le- Comte.
Le roi de Navarre, de son côté, alla de La Rochelle à Marans. « Ils furent alors en soupçon l’un de l’autre, dit Michel le Riche dans son journal ; et, ne pouvant se voir, le roi de Navarre envoya au dit Fontenay le vicomte de Turenne pour conférer avec la reine. »
Dans cette entrevue, le vicomte, pour donner une grande idée du parti du roi de Navarre et rabaisser les Guise, dit à Catherine que ces dernier savaient perdu dans cette récente guerre ce qui leur restait de leur ancienne réputation ; qu’ils n’avaient rien à attendre de l’Espagne, dont toutes les forces étaient occupées dans les Pays-Bas; qu’ainsi ils n’avaient plus d’autres ressources que les conjurations et les menées de quelques séditieux.
Enfin, le vicomte dit que pour la perte de trois ou quatre mauvaises places, le roi de Navarre en avait gagné six plus considérables, et fortifié cinquante autres, et que le secours étranger devait arriver avant peu.
Alors le duc de Nevers interrompit le vicomte de Turenne, et lui demanda si le roi de Navarre était tellement engagé avec les princes d’outre- Rhin qu’il ne fût plus maitre de traiter avec Henri III.
Turenne répondit que cette affaire était encore entière, et que si le roi voulait lui donner des ordres, il s’engagerait à faire venir cette armée auxiliaire sous les auspices de S. M: et à l’employer contre les ennemis de l’Etat et les perturbarteurs de repos public.
La reine-mère, n’ayant pas goûté cette proposition, les menaça de la rigoureuse exécution des Edits du roi, de deux grandes armées de terre, l’une commandée par Henri III en personne, l’autre par le duc de Guise, et de l’armée navale de Chastes, qu’on équipait sur les côtes de Normandie, — qui toutes ensemble devaient envelopper La Rochelle.
Après tous ces discours, le vicomte lui demanda s’il ne remporterait point des paroles plus pacifiques que celles-là? Elle lui répondit que la dernière résolution du roi était qu’il n’y eût qu’une seule religion en son royaume.
Le vicomte lui répondit:
—- « Qu’une seule religion ! ma foi, nous le voulons bien, pourvu que ce soit la nôtre; autrement, on peut s’attendre que nous nous battrons bien et qu’il y aura du sang répandu. » Cela dit, il fit la révérence et se retira.
Ainsi finit cette conférence. Le roi de Navarre voulut aussitôt en rendre compte aux églises réformées et à tous les princes protestants, leur faisant entendre tout au long pourquoi il y avait consenti, et quelles raisons l’avaient porté à faire des trêves pour quelques jours. Car il craignait que ses ennemis prissent de là occasion de le rendre suspect à son parti et de semer des bruits qui eussent pu endormir ce parti par la trompeuse espérance de la paix.
La reine-mère, qui était allée de Fontenay à Niort, reçut en cette ville des lettres de Henri III, qui la priait de revenir au plus tôt à Paris, pour arrêter l’insolence de la Ligue, qui voulait faire un coup de désespoir.
Elle quitta Niort le 7 mars 1587, passa un jour à Saint- Maixent, puis se dirigea sur Poitiers, où elle séjourna, et arriva le 26 du même mois à Paris.
Les conférences commencées à Saint-Brice ne purent être renouées, et la guerre recommença.
Moins de dix mois après, les catholiques et les protestants en vinrent aux mains, et la sanglante bataille de Coutras fut toute à l’avantage de ces derniers.
La trêve de Saint-Brice n’avait donc servi aux deux partis qu’à mieux s’observer pour se mieux combattre.
Deux ans après Henri de Navarre montait sur le trône de France, sous le nom de Henri IV.
P. de Lacroix, L'Écho de Jarnac
Les Guerres de Religions en dates <==.... .... ==> Lettre d’Henri de Navarre à Corisande, dite « Lettre de Marans » La Rochelle, 17 juin 1586
Le 25 mars 1577 Louis III de La Trémoille, vicomte puis duc de Thouars meurt au siège de Melle <==.... ....==> Des Séjours de Henri de Navarre (Henri IV) à La Rochelle.
Coup de Jarnac Vivonne et Jarnac, le dernier duel judiciaire en France <==.... ....==> juin 1561 - Lettres Guy Ier Chabot, baron de Jarnac à la reine mère Catherine de Médicis.
(1) Jean de Vivonne, marquis de Pisany, en Saintonge, ambassadeur du roi Henri III à Rome.
(2) Cette lettre est authentique. Elle a été publiée dans les Mémoires du duc de Nevers, recueillis par Gomberville. »
(3) Recueil des lettres de Henri IV; 8 volumes in- 4 ; 1843 .
(4) Correspondance de la reine Catherine de Médicis, manuscrits. Bibliothèque Nationale, ancien fonds, série 3301, n 23 à 138.
(5) Mémoires du duc de Nevers, tome I, pages 765 et suivante».
(6) La première entrevue de la reine Catherine avec le roi de Navarre eut lieu le samedi 13 décembre 1586 , ainsi que le disent MM. de Thou et l’auteur de la Lettre d’un Gentilhomme français à un sien ami étant à Rome, contenant le discours du voyage de la reine mère.
Les auteurs, qui ont, comme Petitot, dans son tome 20 de la collection des Mémoires , mis la date du 18 octobre, et le commentateur des Mémoires de Sully, qui a inscrit celle du 25 septembre, ont commis une erreur, erreur que M. Marvaud a reproduite dans ses deux histoires de Cognac et d’Angoumois. Dupleix ne cite aucune date ; Mézerai, Sismondi, parlent du 15 décembre; mais celui qui se trompe le plus, c’est d’Aubigné, qui donne la date de mai 1587. »
(7) Dupleix, Histoire de France, Tome IV, page 195 .
(8) De Thou, Histoire universelle, tome IX, p. 619, in-4«.
(9) Sully sut par mesdames d’Uzès et de Sauvé que la reine-mère cherchait par toutes sortes de moyens à sacrifier le roi de Navarre à la Ligue. Tout cela dans le but de conserver le trône à Henri III, et de plaire à la population de Paris.
(10) Mémoires de Maximilien de Béthune, d’abord marquis de Rosny, puis duc de Sully, né à Rosny en 1159.
(11) Plan du château de Cognac, aux Estampes de la Bibl. Nat. V» 19.
(12) Journal de Henri III, par Pierre de l’Etoile. — Collect. Petitot.
(13) Lettres inédites de Cath. de Médicis, Manuscrits, Bibl. Nationale.