Légende historique du Miracle des Clefs de Notre-Dame de Poitiers
L'influence d'Aliénor d'Aquitaine, fille et héritière des anciens comtes nationaux, fut plus puissante que les armes pour ramener la soumission du Poitou et affermir le pouvoir des Plantagenets. Elle résidait ordinairement à Poitiers.
Pendant l'absence du roi Richard, son fils, en Terre-Sainte (1190), elle veilla avec soin sur ses intérêts.
Devenue après sa mort (1199) usufruitière du comté de Poitou, en vertu d'un arrangement intervenu avec son autre fils le roi Jean sans Terre, elle songea à s'attacher par un bienfait tout particulier, quoique un peu intéressé, les habitants de sa ville de Poitiers. Par deux chartes successives du mois de mai 1199, elle confirma leurs anciennes libertés civiles et leur accorda le droit de se constituer en commune jurée.
Les bourgeois s'engagèrent à défendre les droits de la couronne et durent sans doute acquitter quelque somme d'argent, comme droits de chancellerie. Mais ce n'était pas acheter trop cher une si précieuse concession.
Le premier maire de Poitiers, en l'an 1200, s'appelait Savari. C'était un familier de la cour de Jean sans Terre et d'Aliénor, qui exerçait en outre la charge de maître de la monnaie de Poitiers (2).
Un événement, dont les circonstances légendaires ont acquises une grande célébrité sous le nom de miracle des clefs, se produisit à cette époque.
Un récit consigné dans un registre de l'échevinage de 1463, rapporte qu'un clerc ou secrétaire du maire de Poitiers, gagné à. prix d'argent par des routiers Anglais, promit de leur ouvrir secrètement les portes de la ville qu'ils voulaient apparemment livrer au pillage.
L'entreprise fut fixée au jour de Pâques 1200.
Pendant que les ennemis s'approchaient avec précaution des murs de la ville, le traître s'introduisait chez le maire pour y prendre les clefs des portes. 0 prodige! les clefs avaient disparu. Eperdu, il se précipite vers les murs pour prévenir ses complices. Mais une apparition de la sainte Vierge et de saint Hilaire, protecteurs de la cité, accompagnés d'une multitude d'hommes armés, avaient déjà répandu le désordre parmi les routiers. Saisis de vertige, ils se massacrent les uns les autres ou prennent la fuite.
Au bruit de ce combat, les habitants accourent sur les murs. Le maire, dont le clerc a disparu, se rend compte de.la trahison. On cherche les clefs de toutes parts et on les trouve enfin dans l'église de Notre-Dame, entre les mains de la statue de la sainte Vierge. Les habitants se précipitent alors hors de la ville et achèvent la déroute de l'ennemi.
Nul doute, crie-t-on de tous côtés, c'est la sainte Vierge qui a sauvé la ville. Depuis ce jour mémorable, une procession générale dans laquelle on portait solennellement la statue miraculeuse, s'est toujours faite chaque année, le lundi de Pâques, autour des fortifications, aux frais du corps de ville reconnaissant (3).
(1) Mémoire sur les halles et foires de Poitiers, par Rédet. Arch. hist. du Poitou, XI, n° 101.
(2) Archives municip. de Poitiers. .Rotuli chartarum, p. 75
(3) Mémoire sur le miracle des clefs, par Lecointre-Dupont, ap. Mém. Des Antiq. De l’Ouest, 1845.
De toutes les anciennes traditions de Poitiers, aucune n'a été plus célèbre et plus populaire que le miracle des clefs. Le souvenir de la protection de Marie pour notre ville était autrefois monumenté sur la pierre à toutes les portes de la cité et dans plusieurs églises, notamment aux deux entrées de Notre-Dame-la-Grande;
tous les ans, le chapitre de cette collégiale célébrait une fête particulière pour rappeler cet événement (4); tous les ans aussi, l'hommage public d'un manteau, fait par le Corps de ville à la statue de la Vierge, et une procession solennelle autour des remparts, témoignaient de la reconnaissance des Poitevins. Ce miracle avait plus d'une fois inspiré la muse de nos poètes et exercé le pinceau de nos artistes; de pieuses dames l'avaient reproduit à l'aiguille, soit dans les broderies de leurs dentelles, soit parmi les sujets de leurs tapisseries; tous les historiens poitevins, depuis Bouchet, l'avaient à l'envi rapporté, et son récit officiel avait même été consigné, au XVe siècle, sur les registres de l'échevinage, dans les termes suivant (5) :
« Anno Domini millesimoducentesimo, decimâ quintâ mensis aprilis, Pictavis erat quidam Major, qui clericum in tantum sibi familiarem habebat, quòd eum in omnibus suis bonis et actibus quasi dispensatorem proposuerat. Undè accidit quodam die, Deo permittente , ut eum contingeret causâ negotiorum magisterii (6) sui versùs Petragoricos ire, ubi cum inimicis regis de proditione prædictæ civitatis, velut alter Judas, ignorante domino suo convenit, pecuniam magnam indè accepturus (7). Statuitur inter eos dies specialiter et hora determinatur, scilicet prædicta (8), eoque die, cum Pascha (9) Domini esset, in quâ solemnitate consuetudo regionis est ut pro majori parte diei civitas claudatur. Adveniente itaque proditionis termino, advenientes (10) et ipsi inimici, scilicet Anglici, in tantâ copiâ quòd, velut brutus (11) cujus non est numerus, terram repleverunt. Quid ultrà ! Intrat proditor fraudulenter domini sui cubiculum , credens indè (12) claves civitatis invenire; sed tamen minimè invenit; nam divinâ dispositione factum est ut claves indè delatae intra bracchia imaginis Virginis beatae Mariae-Majoris inventae sunt (13). Quapropter proditor amens factus est, portas appropinquat, hostibus loquitur, et illis appropinquantibus horror magnus invasit illos, adeò quòd, illis terga vertentibus (14), se ipsos pro majori parte peremerunt ; alii siquidem fugiebant, alii propriis gladiis se ipsos interficiebant, et alii sub pedibus equorum cadebant; quapropter (15) magna strages mortuorum ipsis facta est; videbatur siquidem illis (videre), ad modum Reginae magnae, dominam quamdam, vallatam infinitis armorum aciebus, quae, veluti leo, ad escam rugientes (16) ad bellum se contra eos disponebant ire. Namque aderat (17) quaedam venerabilis persona, pontificali dignitate decorata, quam cuncti Hilarium clamabant ad cujus preces Regina civitatem defendere satagebat. Indè clamor magnus atollitur : Quid hoc sit ignoratur. Currunt super muros cives ; quaeruntur claves, sed non inveniuntur; Major (18) tristatur; ejus clericus non reperitur; proditio tunc demonstratur. Tandem illis perquirentibus et ecclesias visitantibus, ad ecclesiam beatae Mariae-Majoris pervenerunt (19), et claves inter brachia prædictæ imaginis aspiciunt. Exultant cuncti, lætantur populi (20), aperiuntur portæ, et veluti volcres prædam rapiunt (21), expoliant mortuos ac semiviventes, quos inter eos invenerunt (22) qui rem per ordinem enarrant. Mirantur omnes, ab omnibus votum emittitur, quod de cætero per civitatis circuitum in crastino Paschæ cuncti populi processionaliter ac honorificè progrediantur (23). Hæc narrat Vincentius in suo Speculo morali , in tertio volumine, ubi tractat de vindictâ divinâ factâ orationibus sanctorum (24). Ergo pensandum est quod Christi est mater piissima sibi servientibus, quæ tanta miracula nobis dedit in diem, in hac civitate ministrat (25); quæ filium suum rogare dignetur,ut nos, qui miraculorum ejus nunc gratulamur auditu , in coelestibus perpetuo lætemur ejus aspectu, cui est honor et gloria in sæcula sæculorum. Amen (26). Istud scriptum fuit Pictavis in domo honorabilis viri, Dompni Andreæ Chaille, tunc Majoris prædictæ villæ, die quartâ mensis aprilis, anno Domini millesimo quadringentesimo sexagesimo tertio (27). »
Les récits de Bouchet (28), de Filleau (29), de Thibaudeau (30), etc. , présentaient quelques variantes.
Ces historiens plaçaient notamment le miracle des clefs en 1202, dans l'impossibilité où ils étaient de faire concorder avec le 15 avril le jour de Pâques de l'an 1200, qui tombait le 9 du même mois. Une autre différence de leur récit, et c'était la plus notable, consistait dans l'intervention de sainte Radégonde, qui se serait jointe à saint Hilaire pour intercéder en faveur de la cité dans laquelle ses précieuses reliques étaient conservées.
En cela ils étaient d'accord avec tous les monuments et avec la tradition populaire. Du reste, à l'exception de Bouchet, qui cite assez rarement ses autorités, tous nos historiens donnaient cette légende comme puisée dans le Speculum morale de Vincent de Beauvais.
En histoire et en archéologie, il est toujours utile de vérifier les citations, surtout quand les faits cités impliquent des contradictions avec des notions positives que nous possédons. Le récit du miracle des clefs était dans ce cas; il était donc nécessaire de recourir au texte même de Vincent de Beauvais.
D'une part, en effet, comme nous l'avons déjà dit, le jour de Pâques tombait, en 1200, le 9 avril, et non le 15, ainsi que l'indique la légende. En plaçant même le miracle en 1202, le 15 avril se trouve encore être une date fautive ; car, en cette année, le 15 avril était le lundi de Pâques.
Ce jour était, à la vérité, consacré à la procession commémorative du miracle, par suite d'un renvoi que nécessitait la solennité de la veille : mais le dimanche de Pâques, désigné positivement dans le Propre de N.-D. comme le jour du miracle, tombait le 14 avril.
D'une autre part, les Anglais n'avaient pas besoin, en 1200 ni en 1202, de chercher à s'emparer par trahison de Poitiers. Cette ville appartenait alors à Eléonore d'Aquitaine et au roi d'Angleterre Richard son fils; elle ne rentra sous la domination du roi de France que le 10 août 1204 (31). Bouchet, Dumoulin (32) et Thibaudeau, qui placent le miracle au 15 avril de l'année 1202, supposent gratuitement que Poitiers avait embrassé la cause d'Arthur, et que Jean Sans-Terre voulut surprendre cette ville après avoir fait son neveu prisonnier à Mirebeau (33); mais ces historiens oublient que la prise d'Arthur n'eut lieu que le premier août 1202, et que ce jeune prince n'avait pas encore fait sa levée de boucliers au mois d'avril précédent.
Une tentative sur Poitiers, en 1200, ne pouvait s'expliquer d'une manière satisfaisante qu'en l'attribuant aux routiers de Jean Sans-Terre, qui étaient alors cantonnés dans le Périgord, et qui, n'ayant point d'ennemis à combattre pour le compte du roi d'Angleterre, rançonnaient ses terres pour leur propre compte, et s'acharnaient surtout contre tous les riches monastères de l'Aquitaine.
Mais le récit de Vincent de Beauvais autorisait-il cette explication ? L'examen du texte du Speculum morale pouvait seul me permettre de répondre à cette question. J'ai donc voulu rechercher le récit primitif du miracle; j'ai, à cet effet, suivi, à la bibliothèque publique de Poitiers, page par page, paragraphe par paragraphe, je dirais presque ligne par ligne, le texte de l'énorme in-folio à deux colonnes qui forme le Speculum morale ou le troisième volume de l'édition de Douai de la Bibliotheca universa mundi de Vincent de Beauvais; j'ai parcouru aussi le Speculum historiale du même auteur, et je n'ai rien trouvé dans ces deux ouvrages qui ressemble de près ou de loin au miracle des clefs.
L'édition de Douai, toute grosse qu'elle est, pouvait cependant être incomplète. J'ai prié notre confrère, M. Barthelémy, de vouloir bien faire quelques recherches dans les éditions existant à la Bibliothèque royale. De concert avec un de ses collègues de l'Ecole des chartes, il a compulsé, lui aussi, Vincent de Beauvais avec son obligeance et sa conscience accoutumées, et n'a pas été plus heureux que moi. Etant dernièrement à Bordeaux, j'ai rencontré à la bibliothèque publique de cette ville une des plus anciennes éditions du Speculum morale.
Ce volume gothique, qui a perdu Son titre, qui ne porte ni lieu, ni date, ni pagination, remonte certainement au quinzième siècle. Or, dans cette édition comme dans les autres, absence complète de mention du miracle des clefs. Je dirai plus, il ne se trouve dans le Speculum morale aucun paragraphe qui traite de la vengeance divine opérée par l'intercession des saints (34).
Si donc il existait à Poitiers, en 1463, un exemplaire de cet ouvrage de Vincent de Beauvais qui relatât le miracle des clefs, je crois pouvoir affirmer que ce récit ne se trouvait dans ce manuscrit que par suite d'une interpolation. Ni le style ni le genre de la narration transcrite sur les registres de l'hôtel de ville ne conviennent à Vincent de Beauvais, qui, ayant à faire une très-vaste encyclopédie, exposait avec une grande simplicité et resserrait généralement en très-peu de mots les détails des faits qu'il se plaisait à entasser comme confirmation de ses principes de morale religieuse. Toutefois, si le miracle des clefs n'a plus pour lui le témoignage d'un écrivain presque contemporain ; si sa date n'est pas fixée d'une manière positive; si plusieurs de ses détails, tels que les donne la tradition, sont à bon droit suspects, pour ne rien dire de plus, s'ensuit-il que le fond de cette légende soit absolument faux ?
S'ensuit-il que la ville de Poitiers n'ait pas été, à une certaine époque, l'objet d'une faveur spéciale de ses saints protecteurs, Marie, Hilaire et Radégonde ?
Sans doute, comme l'a dit Thibaudeau, on aura voulu embellir le récit de cet événement par plusieurs circonstances que la crédulité du peuple a légèrement adoptées (35). Mais il a dû y avoir un fond vrai; autrement, comment expliquer l'origine de ces hommages annuels, faits à la statue de la sainte Vierge par le Corps de ville, et cette procession solennelle du lundi de Pâques, hommages et procession dont nous allons retrouver des traces dans les plus anciens registres de l'échevinage ?
Comment expliquer aussi l'origine de tous ces monuments élevés à Poitiers en mémoire du miracle ? A la vérité, ces monuments ne remontent pas jusqu'au commencement du XIIIe siècle; mais plusieurs étaient certainement antérieurs à la transcription faite sur les registres de la commune du récit attribué à Vincent de Beauvais.
Nous avons essayé de réunir tous les renseignements qui se rattachent à la tradition du miracle des clefs, à la procession du lundi de Pâques, et aux hommages publics que le Corps municipal a rendus presque constamment , jusqu'en 1830 , à la statue de la sainte Vierge. Nous tâcherons de trouver dans ces renseignements quelques notions, sinon sur l'événement lui-même qui a donné l'origine à ces manifestations, du moins sur les motifs qui lui ont valu une si longue et si constante popularité.
On trouve, tant aux archives du département de la Vienne que dans les manuscrits de D. Fonteneau , un grand nombre d'anciennes chartes, provenant du chapitre de Notre - Dame - la - Grande, relatives au droit qu'avaient les chanoines de cette église de garder les clefs de la ville, d'y rendre la justice et d'y exercer toutes les juridictions, depuis le lundi des Rogations, heure de vêpres, jusqu'au mercredi suivant à la même heure.
Ce droit avait été pour eux la source d'interminables procès, tantôt avec les officiers du comte de Poitou, tantôt avec le Corps de ville, tantôt avec les gens du roi.
Dès l'année 1257, la querelle commence avec le châtelain et le prévôt d'Alphonse, et elle est résolue en faveur du chapitre. C'était certes une belle occasion de faire rappeler dans la sentence un miracle de date assez récente pour que beaucoup d'habitants eussent pu en être les témoins; cependant la charte qui nous reste ne le mentionne pas (36).
Même silence dans les lettres de Philippe le Bel, du 29 juin 1303, et de Philippe le Long, de décembre 1319, ordonnant au sénéchal de Poitou de maintenir l'église de N.-D. dans la possession de ces privilèges, dont elle jouissait, dit la dernière lettre, paisiblement ou à peu près, depuis si vieux temps qu'il n'était pas souvenir du contraire (37).
Il n'en est pas question davantage dans les sentences des sénéchaux Pierre de Villeblouin, du 21 juin 1309 (38), de Jean Ozour, du 16 mai 1318, et de Pierre Quentin, du 23 mai 1351 (39), qui confirmèrent les chanoines dans leur droit de garder les clefs et d'exercer la haute et basse justice à Poitiers pendant les Rogations, malgré l'opposition du maire et de la commune. Et même dans la suite, car en 1690 la lutte durait encore, plus vive que jamais, entre le chapitre et les officiers de la sénéchaussée de Poitiers, ce n'est point le souvenir des clefs si bien gardées par leur patronne que les chanoines invoquent, mais bien une charte de Richard Cœur-de-Lion, comme comte de Poitou, charte qui leur aurait concédé ces privilèges en 1174, et qui aurait été confirmée par Philippe-Auguste, par le roi Jean, et par un arrêt de la Cour du 26 mai 1507 (40).
A la vérité, il est fait mention de miracles faits en l'église N.-D dans une charte par laquelle Jean, duc de Berry et comte de Poitou, donne aux chanoines, le 16 janvier 1384 (1385), une petite place touchant à l'église, pour agrandir les bancs ou étaux qu'ils y avaient.
Mais malheureusement cette charte ne spécifie aucun de ces miracles (41); et, nous le répétons, le document de 1463, donné comme un récit tiré de Vincent de Beauvais, est le plus ancien titre précis relatif au miracle des clefs. Il en est autrement pour l'hommage annuel de la commune à la statue de la sainte Vierge et pour la procession du lundi de Pâques. Les plus anciens comptes de la commune sont riches en renseignements sur ces solennités; et, grâce au dépouillement de ces registres, que M. Rédet a fait avec tant d'ordre et de patience, afin, comme l'a si bien dit un de nos collègues, M. Nicias Gaillard, de tenir constamment ses recherches au service de tous ceux qui en implorent le secours (42), nous pouvons indiquer les principaux articles de dépense auxquels donna lieu cette cérémonie pendant le cours du XVe siècle.
Vous savez que les plus anciens comptes des recettes et dépenses de la ville que nous possédions remontent à 1387. Ces premiers comptes sont incomplets et ne contiennent aucun article de dépense relatif à l'objet qui nous occupe; mais, dès le commencement du XVe siècle, on trouve des témoignages de la dévotion du Corps municipal envers Notre-Dame. L'hommage annuel qu'il lui faisait consistait alors en cinquante livres de cire qui devaient brûler nuit et jour (43) sur une roue ou couronne en bois peint, suspendue à la voûte de l'église.
Estienne Brigon, menuisier, qui avait fait ou plutôt remplacé cette roue, avait reçu x s. x d.; Champdiver, qui l'avait peinte, x S., et Jehan Lequeux, ciergier, vIII l. x s. pour l'achat de la cire, et xx s. pour la façon (44).
En même temps on voit figurer des dépenses relatives à la procession du lundi de Pâques.
Ainsi, dans le compte de 1416-1417, le receveur paye 50 s. pour 2 torches de cire pesant 10 livres, portées à la procession du lendemain de Pâques.
En 1429, les torches pèsent 12 livres et coûtent cent sous. L'année précédente, seize hommes avaient été employés à nectoyer les rues le lendemain de Pasques, pour cause de la procession qui se fait chascun an ledit jour. A partir de cette époque, tous les comptes renferment quelques articles de dépense relatifs à la procession.
Tantôt (1449 et 1450) c'est une gratification faite soit aux sergents de ville, soit aux sergents du roi, pour le dyner qu'ils ont tous les ans le lendemain de Pasques, et quinze sous donnés aux coutres de Notre-Dame pour sonner le sain (signum) ledit jour.
Tantôt c'est un pont que l'on construit au Pré-l'Abbesse et qui coûte 40 sous, ou (1461) le pont du château que l'on répare, et du pierrail que l'on charroie pour adouber le chemin entre le chasteau et le Pré-l'Abbesse, pour le passage de la procession; puis, en 1460, cinq sous que l'on donne à des ménestriers pour avoir corné, à ladicte procession, devant la dicte ymaige de Nostre-Dame (45).
Dans la même année, 86 journées de manœuvre avaient été mises au comblement du chemin nouvellement fait à la Chalaistre, pour passer la procession de la ville le lendemain de Pasques, à deux sous un denier pour journée, sans despens.
Ce fut surtout en 1492 que la commune se mit en frais pour le lundi de Pâques. Sans parler des sergents et du trompette de ville, qui avaient été habillés tout à neuf pour cette cérémonie, nous trouvons dans le compte du receveur Bonnion les articles de dépense suivants :
Aux archers qui ont accompagné M. le Maire et Messieurs de la dicte ville à la procession du lendemain de Pasques, qui se fait à l'entour de la dicte ville, ainsi qu'il est de coustume, et pour garder qu'on ne face scandale ne bruyt à la dicte procession, pour leur digner. . XX S.
Aux sergents ordinaires de la séneschaussée. . . . . . XX S.
A M. le Maire, sire Jehan Favreau, pour le digner qu'il a fait le landemain de Pasques à Messieurs les eschevins qui ont assisté à la dicte procession. . . . . . . . . . . XX S.
A frère Eutache Ageon, prieur des frères prescheurs, pour le sermon qu'il a fait au Pré-l'Abbesse, 2 escus d'or valant 17 s. 6 d. . . . . . . . . . . . . . . . . xxxv s.
Au coustre de N.-D. pour la sonnerie. . . . . . . . XV S.
Au portier du pont Enjoubert, pour avoir porté la chaire. . II s. vI d.
Cet article du transport de la chaire des Carmes au Pré-l'Abbesse se trouve répété dans un grand nombre de comptes. L'usage de faire un sermon dans ce pré, au passage de la procession, ne cessa qu'au XVIe siècle, pendant les troubles religieux.
Ce fut probablement après ces troubles que s'introduisit l'usage d'offrir, tous les ans, un manteau à la statue de la Vierge, comme hommage officiel de la commune, à la place de la roue de cire, dont l'entretien, confié par abonnement à Geoffelin Germond, ciergier, coûtait trente livres par an à la ville en 1560.
Dès la fin du XVe siècle, la statue était déjà revêtue d'un manteau garni de pierreries. C'est ce qui nous semble résulter de deux vers d'un poème latin composé, en l'honneur du miracle des clefs, par maître Pierre de St-Jacques, de Vitry en Champagne (46), et dédié à Pierre de Sacierges, qui cumulait alors les deux bénéfices d'abbé de Notre-Dame de Poitiers (47) et d'évêque de Luçon. Voici ces deux vers :
Ecce autem medià templi testudine magnum
Diva dedit lumen , gemmato insignis amictu.
Mais, à l'époque où écrivait Jacques de Vitry, la commune, d'après les renseignements qui nous restent, était tout à fait étrangère à l'offrande de ce manteau.
Primitivement, sans doute, on n'avait pas eu l'étrange idée d'habiller la statue et d'ajouter à ses vêtements sculptés dans le bois un costume que l'on pût changer à volonté. Les progrès des arts du dessin au XVe siècle durent faire sentir tout ce qu'il y avait de grossier et d'imparfait dans un morceau de sculpture datant du XIIe ou du XIIIe siècle.
Le manteau devint ainsi nécessaire pour masquer ces imperfections, et peut-être pour déguiser quelques outrages du temps ; et il fut plus que jamais indispensable quand les chanoines furent obligés de substituer à l'ancienne statue, qui peut-être avait péri dans le pillage de l'église en 1562, une œuvre plus moderne, mais non moins défectueuse.
L'examen attentif que nous avons fait de la statue actuelle, MM. Rédet, Beauchet et moi, nous a démontré qu'on ne saurait la faire remonter à une époque antérieure au XVIe siècle.
Le don annuel d'un manteau devint, au XVIIe siècle, le témoignage officiel de la reconnaissance des habitants de Poitiers pour la protection de la mère de Dieu. Un arrêt du conseil fixa même la valeur de ce manteau à trois cents livres; mais, du consentement du chapitre, le Corps de ville réunissait souvent plusieurs annuités, afin de rendre son offrande plus somptueuse.
La cérémonie de l'hommage avait lieu néanmoins tous les ans, quoique la commune ne présentât pas toujours un manteau neuf. On se servait d'un ancien manteau que l'on avait eu soin de ne pas exposer pendant un certain laps de temps. La remise de ce manteau se faisait avec un cérémonial que nous avons vu encore pratiquer avant 1830.
Le jour de Pâques, après les vêpres, l'épouse du maire, accompagnée des dames des échevins et des notables, et suivie du Corps de ville, se rendait à Notre - Dame. Devant elle on portait le manteau; elle en revêtait la statue, après l'avoir parée de guimpes en dentelles et d'autres ornements offerts par la piété des fidèles pour cette solennité, que le peuple appelait la toilette de la bonne Vierge. Le lendemain, les officiers municipaux venaient en grande pompe prendre la statue. Le maire et un des échevins, après l'avoir demandée à l'abbé qui la leur confiait, la portaient jusqu'à l'église Saint-Etienne, et le cortège rejoignait ensuite le clergé, qui faisait seulement le tour de l'enceinte intérieure de la ville. Devant chaque porte, le Corps de ville se détachait de la procession pour porter la statue à l'entrée de la cité; et il était toujours accompagné des chanoines de N.-D. qui ne perdaient pas de vue la statue miraculeuse.
Depuis longues années d'ailleurs (1665), le chapitre de N.-D., malgré les injonctions de l'autorité épiscopale, refusait de se joindre au reste du clergé dans les processions générales. Ce refus avait pour cause une rivalité de préséance avec le chapitre de Sainte-Radégonde, qui avait obtenu le privilège de marcher dans ces processions à droite et à gauche, devant les chapitres de la cathédrale et de Saint-Hilaire, et à la suite du chapitre de N.-D., contrairement aux prétentions des chanoines de cette dernière église, qui voulaient tenir la droite, immédiatement devant le chapitre de la cathédrale, et marcher parallèlement aux chanoines de Sainte-Radégonde, qui auraient tenu la gauche en avant du chapitre de Saint-Hilaire (48).
Voici, du reste, quels étaient, au XVIIIe siècle, l'itinéraire de la procession et l'ordre des prières que l'on y chantait :
Vers les dix heures du matin, les chanoines de Saint-Pierre-le-Puellier, les religieux mendiants et le Présidial se rendaient à la cathédrale. Aussitôt qu'ils étaient arrivés, on commençait la procession au chant du répons :
Haec est dies quam fecit Dominus : exultemus et laetemur in eà, alleluia, alleluia.
Deus suscitavit Jesum à mortuis, et dedit ei gloriam, ut fides vestra et spes esset in Deo. Alleluia, alleluia.
On sortait de l'église par la porte Saint-Michel, et on se rendait par les rues Queue-de-Vache, de Pont-Joubert et du Pigeon-Blanc, au plan de Sainte-Radégonde. Là les chanoines de cette collégiale se joignaient à la procession en prenant place immédiatement devant les chanoines de la cathédrale. On descendait, par la rue des Carolus, sur le rempart, que l'on suivait jusqu'au coin de la place des Gilliers, pendant que le clergé de la cathédrale et celui de Sainte-Radégonde chantaient alternativement les répons Exurgat Deus et Sumite psalmum, avec les versets Exterriti sunt custodes et Jesum quaritis Nazarenum.
Le chapitre de Saint-Hilaire, qui attendait la procession au coin de la place des Gilliers, prenait le côté de gauche, tandis que le chapitre de la cathédrale prenait le côté droit, et il chantait seul, depuis les Gilliers jusqu'un peu au delà de Pont-Achard, les répons Dilexit vos Dominus et Testes vos estis, avec les versets Resurrexistis per fidem et Estis in illo repleti.
La procession continuait à suivre le rempart jusqu'à la Chaussée, montait les rues des Trois-Rois et de Saint-Germain, et se dirigeait vers Saint-Cybard. Depuis Pont-Achard jusqu'à Saint-Cybard, les chanoines de la cathédrale chantaient, puis les chanoines de Saint-Hilaire répétaient chacune des antiennes Surge, Domine, et dissipentur. — Exaltetur manus tua. — Sciant omnes populi terra . - Accepisti, Domine, virtutem tuam. — In sanguine testamenti tui. Arrivés devant Saint-Cybard, les chapitres de Saint-Hilaire et de Sainte-Radégonde se séparaient du chapitre de la cathédrale, pour retourner chacun à son église, le premier par le Pilori, le second par la rue des Feuillants.
Le clergé de la cathédrale entrait dans le cimetière, chantait devant la petite porte l'antienne à la sainte Vierge Regina cœli, avec son oraison, et se rendait par les rues Saint-Denis, des Carmes et Queue-de-Vache, en chantant les litanies des Saints. A chaque invocation, les chapiers ajoutaient les Supplications : Christe audi nos, Kyrie eleison, Christe salva nos; et le chœur répétait la supplication : Rex angelorum, Deus immortalis, tu semper miserere nobis, par laquelle les chapiers avait commencé les litanies (49).
Les premiers troubles de la révolution n'interrompirent point la procession du lundi de Pâques.
En 1791, il fut arrêté que la cérémonie se ferait en la manière accoutumée, que néanmoins la ville ne fournirait point de manteau et qu'on se servirait d'un ancien. Il était d'usage que les religieuses de Notre-Dame se présentassent sur leur terrasse, au moment du passage de la procession, et chantassent l'antienne de la Vierge Regina cœli.
En 1792, elles ne parurent point, afin de ne pas faire acte d'adhésion au clergé constitutionnel qui faisait la procession. Leur absence irrita quelques ardents révolutionnaires, et la procession fut suivie d'une violente émeute que l'autorité des magistrats fut impuissante à comprimer, et qui dura jusqu'à la nuit. Les détails de cette cérémonie religieuse, si singulièrement troublée, sont trop curieux pour que je ne les transcrive pas en entier parmi les pièces justificatives de ce mémoire (50).
La procession du lundi de Pâques eut encore lieu le 1er avril 1793. Les officiers municipaux et les notables, qui siégeaient en permanence à l'hôtel de ville, se rendirent à Notre-Dame. Le curé leur remit la statue de la Vierge, après les avoir complimentés sur le zèle et l'édification avec lesquels ils remplissaient les cérémonies religieuses ; l'image fut portée autour des murs, et, après la procession, le Corps de ville rentra en séance (51).
Ce zèle édifiant à remplir les cérémonies religieuses, qui avait mérité, en 1793, aux officiers municipaux de Poitiers les compliments du curé de N.-D., ne devait pas se soutenir bien longtemps.
En 1794, il ne fut plus question de la procession du lundi de Pâques. D'autres fêtes avaient remplacé en France les antiques cérémonies de la religion de nos pères, et au lieu des images vénérées de Marie, de Radégonde et d'Hilaire, le peuple promenait dans les rues certaines déesses dont le culte éphémère fut fort peu respecté, même de leurs adorateurs.
La paroisse de N.-D. avait d'ailleurs perdu son curé constitutionnel. M. Monrousseau (52) n'avait pas tardé à répudier le titre de prêtre assermenté; et, après s'être rattaché à son évêque légitime, au moment même de la plus vive persécution contre les ministres de la foi, il remplissait à Poitiers les devoirs de son saint ministère avec une intrépidité qui lui concilia le respect et l'amour de toute la population, avec un sang-froid et une adresse qui surent toujours déjouer les recherches les plus actives des limiers de la Convention et du Directoire.
Lors du rétablissement du culte catholique, les manifestations religieuses à l'extérieur des temples furent bornées aux seules cérémonies que la lettre du concordat avait autorisées.
L'Eglise de France, d'ailleurs, en sortant de ses ruines, ne pouvait point encore renouveler le spectacle de ces anciennes processions, dans lesquelles elle étalait tous les dons de la piété des générations successives; les châsses et les statues des saints avaient péri dans la tourmente, et si quelques-unes avaient été dérobées aux iconoclastes, elles n'étaient pas encore toutes sorties de leurs cachettes, ou elles étaient tellement dégradées, qu'on ne pouvait pas les exposer décemment à la vénération des fidèles.
A Notre-Dame, notamment, on ne retrouvait plus ces lampes d'argent, ces calices, ces soleils empreints des armoiries des anciens maires, ces vieilles tapisseries qui retraçaient la mémoire du miracle des clefs et qui ornaient jadis le chœur de l'église, ces devants d'autel brodés qui représentaient la sainte Vierge tenant des clefs à la main.
Tout cela avait disparu pendant la révolution. De toutes les richesses à l'usage de la statue de la Vierge, de tous les ornements qui rappelaient le miracle des clefs, l'inventaire des effets de l'église et de la sacristie de Notre-Dame, qui avaient été conservés par les prêtres assermentés et qui se retrouvèrent après le concordat, ne mentionne plus que cinq manteaux et sept guimpes (53).
Malgré le peu de richesses que lui avait laissé la révolution, l'église de Notre-Dame de Poitiers ne tarda pas à exciter la cupidité d'un hardi voleur.
Dans la nuit du 18 au 19 février 1809, ce voleur, profitant des réparations que l'on faisait à l'église, s'y introduisit. Il dépouilla la statue de ses divers ornements, brisa le tabernacle, et enleva les ciboires avec les saintes hosties. Une cérémonie expiatoire fut célébrée en réparation de cette profanation sacrilège. Le procès-verbal de cette cérémonie est renfermé dans la statue de la Vierge, qui, grâce aux libéralités des fidèles, fut promptement réparée plus richement qu'auparavant (54)
. Quant au voleur, il échappa à toutes les recherches, plus heureux qu'un de ses devanciers, qui, au XVIe siècle, avait desrobé les clefs et lys d'argent, avecques deux doubles ducatz et quatre salutz (55) de la châsse et ymaige de Notre-Dame-la-Grant.
Ce dernier, nommé Mathurin Baudet, natif de Chizé, près Melle, fut brisé et rompu sur la roue le 28 mai, veille de la Pentecôte, 1547. Le maistre des auctes eufvres (sic) reçut de la fabrique, à l'occasion de cette exécution, une gratification de 20 sous (56).
Le vol de 1809 et la cérémonie expiatoire qui le suivit rappelèrent sans doute l'attention sur l'ancienne procession du lundi de Pâques.
Puis c'était l'époque où Napoléon, après avoir déclaré le blocus continental, ranimait par tous les moyens les anciennes haines de la France contre l'Angleterre, et remettait en honneur toutes les traditions qui pouvaient servir ses projets contre cette puissance rivale. M. Soyer, vicaire général du diocèse, et depuis évêque de Luçon, avait, dans sa correspondance, entretenu l'Empereur du miracle des clefs et de la procession annuelle qui le rappelait autrefois.
Napoléon avait goûté le projet de rétablir cette cérémonie. Le conseil municipal de Poitiers fut entraîné par l'exemple du maître; et, le 26 mars 1811, le président de la fabrique de Notre-Dame communiqua une lettre de M. le maire, annonçant que la commune faisait don à l'image de la Vierge d'une somme de 300 francs pour un manteau. La fabrique émit le vœu que l'offrande de ce manteau fût faite avec toutes les solennités accoutumées avant la révolution, et suivie de la procession autour de la ville ; mais des considérations particulières s'opposèrent à la réalisation de ce vœu, et l'allocation de la Commune ne fut pas continuée les années suivantes. Peut-être la somme accordée par le conseil municipal en 1811, jointe à d'autres offrandes, servit-elle à payer un manteau chargé d'abeilles brodées en fil d'or, dont on pare encore quelquefois la statue de la Vierge.
Le sacristain de Notre-Dame vous affirmera que ce manteau fut envoyé par Napoléon lui-même, et cette assertion se trouve même consignée dans une publication récente (57), due à l'un de nos plus respectables collègues, qui l'a puisée, je m'en suis assuré, non dans ses vieux souvenirs, mais dans les dires du sacristain, M. Girault. Les registres de la fabrique la démentent positivement.
On y trouve, sous la date du 27 janvier 1813, un marché passé par les marguilliers en exercice avec le sieur Constant Lemoine pour la broderie de ce manteau. Le prix fixé pour chaque abeille est quatre francs. Les registres de la fabrique ne font, du reste, mention d'aucune libéralité de Napoléon en faveur de Notre-Dame de Poitiers, et les archives de l'évêché non plus que celles de la préfecture ne contiennent aucun renseignement relatif à ce prétendu cadeau.
Le rétablissement des Bourbons sur le trône de leurs aïeux parut à la fabrique une occasion favorable pour proposer le renouvellement de l'hommage du manteau et de la procession du lundi de Pâques.
En 1815, elle rédigea une lettre pour demander au conseil municipal de faire revivre l'ancien usage; et comme le temps aurait manqué au Corps de ville pour préparer son offrande, les fabriciens proposèrent de faire déposer à la mairie un manteau qui, disaient-ils dans leur supplique, répondrait, par la richesse de l'étoffe et par ses attributs, à la dignité de sa destination (58).
Les événements du 20 mars suspendirent encore pour cette année ce rétablissement (59); mais, en 1816, les propositions du conseil de fabrique furent agréées, et, le 12 avril, le maire prit l'arrêté Suivant :
Art. 1er. Dimanche prochain, jour de Pâques, à quatre heures, conformément aux anciens usages, le corps municipal se trouvera à l'église Notre-Dame.
Art. 2. Les épouses de MM. les membres du conseil municipal, de MM. les adjoints, greffier, trésorier et du maire, se rendront à l'hôtel de ville, et ensuite, précédées du manteau, à l'église Notre-Dame, pour placer elles-mêmes le manteau suivant l'ancien usage (60), etc.
La procession du 15 avril 1816 fut une véritable fête nationale; j'étais alors, par hasard, à Poitiers, et mes plus anciens souvenirs me rappellent encore cette cérémonie, telle que la décrivait le journal les Affiches de Poitiers du jeudi suivant.
« La joie la plus pure, disait ce journal, animait une foule immense répandue dans les rues, sur les places, sur les boulevards, et dans les superbes jardins de Blossac. Tous les souvenirs pénibles paraissaient effacés, et l'imagination, rassurée par la vue des objets sacrés d'un culte antique et religieux, ne séparait plus le bonheur d'autrefois du bonheur à venir... Tout, en un mot, donnait à cette cérémonie le caractère le plus auguste et le plus solennel. Ces actions de grâces, qui s'élevaient vers le ciel pour remercier les saints du désastre des Anglais Sous nos murs, n'étaient-elles pas aussi une sublime protestation contre ces implacables auteurs des récentes infortunes de la France ?
Et en présence des événements nouveaux, chacun n'avait-il pas dans son cœur ces pensées que le poète du miracle des clefs, Pierre de Saint-Jacques, exprimait si énergiquement à la fin du XVe siècle ?
Nam prius ad vitrei descendet pocula fontis
Cum Jovis armigero simplex impunè columba,
Agna lupum comitem per gramina leta sequetur,
Nec canibus querent visis antra abdita dame,
Quam cunctis solido compostis fœdere rebus
Vivere desierint altis in mentibus ire,
Quas in Francum Anglus concepit caudiger hostem.
L'allocation de fonds pour le manteau fut rétablie dans le budget de 1817. Fixée d'abord à 300 fr., elle fut portée plus tard à 400 fr., puis réduite à 300 fr. dans le budget voté pour 1831.
On sait que ce budget avait été adopté avant les événements de juillet 1830. Les membres du nouveau conseil municipal, installé après ces événements, crurent avec raison ne pas pouvoir modifier les décisions légalement prises par leurs devanciers; seulement, comme le budget n'avait pas encore été sanctionné par le gouvernement, ils signalèrent à l'autorité supérieure quelques articles de dépense dont ils proposaient le rejet ou la réduction.
L'allocation pour le manteau de la Vierge ne fut point du nombre de ces articles. Toutefois le ministre de l'intérieur la réduisit d'office à 200 fr. Elle ne reparut plus dans le projet du budget de 1832, et sa suppression passa inaperçue (61).
Si la procession du lundi de Pâques n'eut pas lieu, à l'extérieur, en 1831, ce n'est pas qu'elle eût été interdite par l'autorité civile. L'autorité ecclésiastique craignit qu'elle ne devînt l'occasion de quelques désordres, et elle supprima d'elle-même une pratique qui était particulière à la ville de Poitiers, et qui ne reposait que sur une légende dont l'authenticité avait, à bon droit, paru suspecte au vénérable prélat qui gouvernait le diocèse.
Depuis ce temps, elle n'a pas été rétablie. Le clergé de la paroisse se borne à faire, le jour de Pâques, après vêpres, une procession autour de l'église, dans laquelle on porte un manteau, et le lendemain une seconde procession avec l'image de la sainte Vierge, dont on chante les litanies.
Après avoir fait l'historique de la procession du lundi de Pâques, il nous faut maintenant porter notre examen sur les monuments qui rappellent encore la mémoire du miracle des clefs.
Nous avons dit que les portes de la ville étaient autrefois surmontées des trois statues de Notre-Dame, de Saint Hilaire et de sainte Radégonde. Les statues ont disparu avec ces anciennes entrées de ville.
Cependant celles qui ornaient la porte de la Tranchée ont été conservées; et, rafraîchies par le pinceau d'un vitrier du XIXe siècle, elles ont été placées en 1837 à un petit autel, dans l'église Saint-Hilaire, avec une inscription qui mentionne leur origine et la miraculeuse délivrance de la ville par l'intervention de ses saints protecteurs.
C'est une heureuse idée de M. le curé et de MM. les membres de la fabrique de Saint-Hilaire d'avoir consacré, dans leur église, un monument à cette légende historique, glorieuse pour notre ville.
Les trois statues datent du XVII° siècle; elles ne sont pas sans mérite artistique. Pourquoi faut-il que l'ouvrier chargé de les repeindre en marbre blanc les ait si tristement empâtées, était balafré d'une veine noire si grotesque la mitre et le visage de St Hilaire
Outre les statues des portes de ville, il existait aussi à la Tranchée, et sur les ponts de Rochereuil, Joubert, Achard et de St-Cyprien, de petits oratoires dédiés à Marie et ornés de son image. A la Tranchée, les restes du petit monument, avec la niche vide de sa statue, se voient encore. lls sont en retraite, à l'extrémité de la rue de la Tranchée. Tout, dans ces restes, annonce un ouvrage du XVII° siècle. L'oratoire du pont Joubert est le seul qui subsiste encore, mais il a été tellement remis à neuf, qu'il est impossible d'apprécier la date de sa construction. Peut-être avait-il succédé à une chapelle plus ancienne, détruite lors du siège de la ville par l'amiral Coligny. ….
Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest
==> Sur la Terre de nos ancêtres du Poitou - Aquitania (LES GRANDES DATES DE L'HISTOIRE DU POITOU )
La ville de Poitiers doit à Henri II et à Aliénor la construction de sa grande enceinte de fortification, sans qu'on puisse préciser la date à laquelle elle fut entreprise. D'ailleurs le travail dut être long, car la nouvelle muraille embrassait le promontoire entier sur lequel est bâtie la ville.
(3) Cette fête se célébrait, comme double-majeure, le lendemain du dimanche de la Quasimodo, ou le surlendemain, si l'Annonciation ou la Saint-Marc étaient fêtées le lendemain.
— PROPRIUM SANCTORUM AC FESTORUM AD USUM ECCLESIE B. MARIE MAJORIS PICTAVIENSIS (Ms. appartenant à M. Robert, curé de N.-D. ), p. 56. — Le récit du miracle, tel que nous le donnons ici, avec les variantes indiquées au bas des pages, formait la seconde leçon des Nocturnes de cette fête.
(4) V. le récit que nous avons donné nous-même de ce miracle, p. 117.
(5) Magistri, dans le propre de N.-D.
(6) Et marchandèrent avec luy à mil livres de la monnoye de France,dont ils luy avancèrent une partie. — BOUCHET, Annales d'Aquitaine.
(7) Dominica, dans le propre de N.-D.
(8) Eo quo die tali Pascha, etc.
(9) Advenerunt.
(10) Bruchus.
(11) Inibi.
(13) Fuerint.
(14) Quapropter proditor amens effectus ad portas civitatis accurrit ,hostibus colloquitur, quos appropinquantes horror magnus invasit, adeô quòd, terga vertentes, se ipsos, etc.
(15) Attoniti cadebant; undè, etc.
(16) Rugiens.
(17) Aderat inter visas acies.
(18) Major urbis.
(19) Ubi autem ecclesias et varia loca visitaverunt quiritantes, tandem ad templum beatœ Mariae-Majoris perveniunt.
(20) Lætatur populus.
(21) Veluti victores prædam capiunt.
(22) Semivivos quosdam inveniunt inter eos.
(23) In crastino Paschæ quotannis processionaliter, omnium reliquiarum capsas ferentes, ac honorificè progredientur.
(24) Cette phrase n'est pas dans la leçon du propre; mais en tête de cette leçon on lit : Ex VINCENTIO BELLOVACIO, in suo Speculo morali, in tertio volumine.
(25) Ergo pensandum est, carissimi, quam proxima est mater Christi piissima sibi servientibus; quæ tanta miracula nobis in dies ministrat.
(26) Ici se termine la leçon du propre de N.-D. Tout porte à croire que le récit transcrit en 1463 sur les registres de l'hôtel de ville avait été emprunté à l'office du miracle des clefs. La phrase qui commence par les mots : Ergo pensandum est, ne peut guère laisser de doute à cet égard.
(27) D. Fonteneau, qui a recueilli ce document dans ses manuscrits, t. xx, p. 521, a ajouté la note suivante : Dans un manuscrit appartenant à M. de la Grénouillière, échevin de l'hôtel de ville de Poitiers, et communiqué par M. de la Grève, médecin, ce prétendu miracle est marqué en 1202. — D. Fonteneau avait tiré cette pièce d'un ancien recueil de documents puisés dans les archives de l'hôtel de ville de Poitiers, recueil appartenant à M. de Saint-Hilaire. (Voir le Bulletin de la séance extraordinaire de la Société du 7 septembre 1857.)
(28) Annales d'Aquitaine, 5° partie , ch. VI.
(29) Preuves historiques des litanies de Sainte-Radégonde , ch. xvIII.
(30) Abrégé de l'histoire du Poitou, ch. XVI. D'après les affirmations si positives de Thibaudeau, on devrait être convaincu que cet historien avait vérifié lui-même le texte de Vincent de Beauvais, si on ne savait avec quelle déplorable légèreté il faisait ses citations.
(31) Voir notre mémoire sur les dernières années de la domination des Plantagenets en Poitou et dans l'Ouest de la France.
(32) Histoire de Normandie, liv. xiv. — Dumoulin a copié le récit de Bouchet avec de très-légères variantes.
(33) La pièce justificative n° XI de notre mémoire déjà cité ne peut laisser de doute sur l'erreur dans laquelle sont tombés ces trois historiens.
(34)Voici ce qu'on lit dans le liv. III, 5° partie, sous la rubrique DE SACRILEGIO LOCALI : Secundô venerari debemus loca sancta propter officia divina quae ibi celebrantur, etc.....; item merita Sanctorum quorum honore ecclesiae sunt dedicata : ipsi enim honorant illos qui loca sua honorant et visitant, defendunt et liberant. In historiâ sarâ, lib. II, legitur quôd gens Hunorum a sedibus suis egressa, de Panonio véniens, in vigiliâ Pasche obsedit Metensem urbem ; sed antequam venissent, apparuit in ecclesid B. Stephani quibusdam religiosis S. Stephanus, loquens cum B. B. Petro et Paulo, ut rogarent cum eo Dominum ne civitas illa destrueretur in quâ oratorium suum multùm frequentabatur et honorabatur. Tunc illi responderunt quôd illa propter malitiam suam erat concremanda, excepto oratorio suo cum contentis in eo, quod ab eis erat obtentum suis orationibus. Quod ità factum fuit.
(35) Abrégé de l'hist. du Poitou, édit. de 1859, t. 1, p. 250.
(36) Mss. De D. Fonteneau, t XX, p. 547.
(37) Ibidem, p. 569 et 577.
(38) Ibidem, p. 577.
(39) Ibidem, p.589.
(40) Voir une note de D. Fonteneau, dans ses manuscrits, t. xx, p. 571 . —THIBAUDEAU, Abrégé de l'hist. du Poitou , t. II, p. 55, anc. édit. — Le recueil de pièces intitulé Miracle des clefs, n° v.
(41) D. Fonteneau, t. xx, p. 599. —Voici les termes de cette charte : Comme nos prédécesseurs, comtes de Poitou, pour la grant dévotion et affection que ils avoient à la dicte église, qui est moult devote et est fondée en honneur de la Vierge glorieuse et en laquelle sont fais et aviennent plusieurs miracles, etc.
(42) Voir le rapport de M. Nicias Gaillard sur les archives de la mairie, dans la première série des Bulletins de la Société.—Bulletin de la séance extraordinaire du 7 septembre 1857.
(43) A Catherine Boniface, pour fournir et entretenir le luminaire tant de ladite confrairie et de la rouhe ardant jour et nuit devant Nostre-Dame, que aussi on luminaire de l'anniversaire dudit feu Torsay, célébré en ladicte église de Nostre-Dame, sur ce qui peut lui estre deu, VIII liv.(Comptes de 1463.) * Mémoires de la Société, 1859, p. 402.
(44) V. Mémoires de la Société, 1839, p. 402
(45) V. Mémoire de la Société, 1839, p.400 et 401
(46) Petri Jacobei Victriacensis Campani de triumphatis, adjutrice Cristiferâ Marià, apud Pictones Anglis liber unus. Dans le recueil intitulé MIRACLE DES CLEFs, appartenant à la bibliothèque publique de Poitiers.
(47) Le premier dignitaire du chapitre de cette église portait le titre d'abbé.
(48) Mémoire pour le chapitre de la cathédrale sur la question de savoir s'il pouvait obliger MM. de Notre-Dame-la-Grande à assister aux processions auxquelles ils assistaient précédemment. ARCHIVES DE LA PRÉFECTURE, chap. de la cathédrale, liasse 75, n°7. — Ce mémoire très-curieux donne des détails fort intéressants sur les processions qui se faisaient à Poitiers, au commencement du XVIIIe siècle, et même encore sous l'épiscopat de M. de Saint-Aulaire, notamment sur les processions commémoratives du miracle des clefs, de l'expulsion des Anglais de la Normandie, et de la levée du siège de Poitiers par l'amiral Coligny. Cette dernière procession se faisait autour des murs de la ville, le 7 septembre, avec la même solennité que la procession du lundi de Pâques.
(49) Processionnal à l'usage de l'église cathédrale de Poitiers. POITIERS 2 Jean-Félix Faulcon, 1771. — Processionnal à l'usage de l'église royale et collégiale de Sainte - Radégonde de Poitiers. POITIERs, le même, 1774. — Ces deux processionnaux indiquent également l'itinéraire que l'on suivait aux processions commémoratives de l'expulsion des Anglais de la Normandie et de la levée du siège de Poitiers, et contiennent les prières que l'on chantait dans ces deux cérémonies à la fois religieuses et politiques.
(50) V. pièces justificatives, n°3
(51) Registre des délibérations de l’hôtel de ville de Poitiers.
(52) M. Monrousseau est mort curé de Notre-Dame, le 25 décembre 1858. Sur la demande des paroissiens, M. le ministre de l'intérieur a accordé la permission de l'inhumer dans une des chapelles de cette église. Notre collègue, M. l'abbé Dubois, a composé un poëme latin en l'honneur de ce vénérable prêtre. — PoITIERs, F.-A. Barbier, 1859, in-8°.
(53) Etat descriptif des effets qui sont dans l'église de Notre-Dame et dans la sacristie, ainsi qu'en ont été chargés les sieurs..... commissaires nommés par les citoyens, qui ont suivi le culte catholique dans ladite église de Notre-Dame, pour la surveillance de ladite église et sacristie, lesquels effets nous remettons ès mains de M. Minoret, prêtre, et nommé par M. l'évêque (Mgr Bailly), pour la surveillance de ladite sacristie. — Cet inventaire est entre nos mains.
(54) V. pièces justificatives, n° 4.
(55) Le salut était une monnaie d'or frappée en France par Charles VI, et par Henri V et Henri VI d'Angleterre, avec la représentation de la salutation angélique.
(56) Anciens comptes de la fabrique de Notre-Dame-la-Grande, aux archives de la préfecture.
(57) Vieux souvenirs du Poitiers d'avant 1789, par M. B. DE LA LIBORLIÈRE, p. 150.
(58) V. pièces justificatives, n° 5.
(59) Il est même à croire que la lettre du conseil de fabrique n'avait pas été remise à la mairie lorsqu'on apprit à Poitiers le retour de Napoléon, car elle a été retrouvée dans les papiers de M. Dauvillier, l'un de ses Signataires.
(60) Affiches, annonces et avis divers de Poitiers, du jeudi 18 avril 1816.
(61) Dans ses observations sur ce budget, le rapporteur du conseil municipal disait même que le chapitre des dépenses auquel se rattachait cette allocation était comme l'année précédente. N'avait-il donc pas remarqué cette différence de 200 francs sur le total ?