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PHystorique- Les Portes du Temps
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25 décembre 2023

Un Conte de Noël des chevaliers de la Table Ronde

 Nous aimerions à poser un décor, ou riant ou sauvage, ou champêtre ou d'intérieur, séduisant et tiède. Ce soin artistique nous échappe, attendu qu'au point où commence notre conte, la nuit est épaisse, l’obscurité absolue, et, bien que nos héros s’agitent au plein air, dans la campagne, on ne saurait les apercevoir. Cependant, notre connaissance du lieu nous permet de vous guider, si vous voulez bien accepter notre main...

Nous sommes en pays de Cornouailles et reportés à treize siècles en arrière — ce qui est d'un puissant atavisme, — pays sous la domination du mystérieux roi Artus, chef des Bretons, fondateur de l’ordre des chevaliers de la Table Ronde.

C’est en la nuit de Noël. Du grésil tombe qui fouette le visage et le glace.

Nous sommes près d’une chapelle, humble et primitive, qui vient d’être érigée par saint Birin, premier évêque de la Venta Belgarum, qui deviendra Winchester-la-gothique, première capitale de la Grande-Bretagne. (Pardonnez-nous cet accès d’érudition naïve; ne faut- il pas dire où et quand se déroule ce récit ?)

Le celtique rugueux que vont parler nos personnages sera seul hors du point, autrement dit translaté en français très vulgaire.

Deux hommes, un genou sur l’une des marches de la chapelle, prient au dehors; tous deux portent une tunique de peau serrée à la taille par un ceinturon, tous deux sont coiffés du casque sommaire que vous verrez plus tard sur la tête d’une statue de Rollon ; une seconde peau, très ample, leur tient lieu de chlamyde ou manteau; l’un porte une épée longue, comme sera la Durandal de Roland, et au casque, comme un barde, une plume de cygne ; l’autre n’est armé que d’une simple dague.

 

L’homme à la dague est Merlin l’Enchanteur, déjà connu de vous; l’homme à l’épée est un paladin, Tristan, l’un des vingt-quatre chevaliers de la Table Ronde.

 Ce dernier est amoureux de la belle Iseult, actuellement en prière auprès de la crèche de l’Enfant Dieu, qu’éclairent une douzaine de torches fumeuses tenues par des paysans. Elle écoute l’Evangile expliqué par l’évêque. Iseult est fort belle.

 Iseult est orpheline, mais elle est riche: elle possède de nombreux et gras troupeaux, des bois et de vastes terres.

Iseult n’a que vingt ans, mais elle est mûrie autant par la nécessité de surveiller son domaine que par le chagrin d’avoir perdu sa mère et son père. Elle est, d’ailleurs, secondée dans cette tâche par de fidèles serviteurs, au nombre desquels se trouve le berger Yan, son ami d’enfance, qu’elle aime profondément sans le savoir.

La messe est finie; la porte s’ouvre, le sol micacé scintille sous la lumière blafarde des torches. Paysans et paysannes sortent et regagnent leurs masures. Iseult apparaît la dernière.

La jolie jeune fille a revêtu, pour la cérémonie chrétienne, sa plus belle tunique de peau serrée à la mode mérovingienne par deux ceintures : au-dessous des bras et à la taille. Une pèlerine de soie pourpre, grossière, pourvue d’un capuchon abaissé ne laissant voir que l’ovale de sa figure, complète son costume pudique. Elle a grand air, descendant lentement les marches de l’église, encore toute pénétrée de recueillement. Elle ressemble à sa contemporaine sainte Radegonde.

Deux jeunes paysans, vêtus de peaux de moutons comme de petits saint Jean-Baptiste, tiennent haut des torches pour éclairer ses pas. Le chevalier Tristan l’aborde respectueusement et lui dit à demi-voix :

— Iseult, belle Iseult, reine de beauté, trésor d’amour, Iseult, belle Iseult!

Qui me parle ?

— Un paladin de la Table Ronde, le chevalier Tristan, qui vous aime comme son épée, comme son roi... n’ayez pas peur!

— On n’a pas peur lorsqu’on sort de la chapelle. Quel service attendez-vous de moi, vaillant chevalier?

— L’honneur d’être conviés, mon compagnon et moi, au festin que vous offrez cette nuit à vos gens, en réjouissance de la naissance de Jésus.

— Un chevalier! je ne le puis. Votre présence ferait trop de peine à Yan.

— Je vous adore, belle Iseult! je mendie à genoux le bonheur d’être admis à votre table, sous vos regards sublimes, dussé-je n’y demeurer qu’un instant et remettre ensuite mon âme à Dieu.

— Je ne puis, vaillant chevalier, mon Yan m’aime, il mourrait de terreur jalouse.

— C’est vous, Iseult, qui l’aimez, tandis que lui...

— De grâce, vaillant chevalier, passez votre chemin; ne faites pas à mon pauvre cœur, ranimé en ce moment, une blessure nouvelle.

— La quatrième loi de notre chevalerie m’ordonne de ne faire violence à personne. Allez donc en paix, belle Iseult, soleil du matin, fleur de la vie, et que Dieu et mon roi veillent sur vos joies!

La jeune fille rejoignit ses gens et gagna sa maison en leur compagnie. Au moment où elle allait y pénétrer, la flamme des torches lui montra deux mendiants à barbe grise et longue, grelottant sous des haillons, qui lui demandèrent, avec l’hospitalité, quelques miettes de la collation.

— Entrez, dit Iseult, soyez les bienvenus ! prenez place à table, l’un à ma droite, l’autre à ma gauche.

Un quartier de porc rôti fumait sur la table ; des sébilles remplies de lait, des assiettes de cuivre venues de l’Orient, et des escabeaux marquaient les places. Cet intérieur était chauffé et mis en puissante lumière par d’énormes bûches flambant dans le foyer. Chacun se mit debout devant son couvert.

Avant de s’asseoir, Iseult, se souvenant des paroles du prêtre, prit sa coupe de bois des deux mains, avec une vénération égale à la piété solennelle de l’officiant élevant le Saint Graal, et dit le Bénédicité.

Le repas fut joyeux, le berger Yan, assis en face de la maîtresse, et par son ordre, se montrait fier d’occuper une place d’honneur, sans deviner que la maîtresse caressait en secret le plaisir de la lui voir tenir, un jour, de droit. Yan parlait des troupeaux qui prospéraient dans les plantureuses prairies fertilisées par le voisinage de la mer. Et Iseult l’écoutait avec intérêt, avec amour.

Tout le monde s’extasiait sur la bonne qualité du rôti ainsi que sur l’excellent goût du lait, du beurre et du fromage. La maîtresse remerciait, en disant qu’elle devait cette prospérité au dévouement de ses serviteurs. Les deux pauvres surenchérissaient, ajoutant qu’ils n’avaient, jusqu’ici, jamais fait un aussi copieux et aussi délectable repas.

— Et pour reconnaître votre accueil, dit l’un d’eux à Iseult, nous sommes prêts à donner satisfaction au désir qu’il plairait à la maîtresse de nous exprimer.

— Insensés ! répondit Iseult, vous oubliez que vous ne possédez rien. Quel témoignage espérez-vous donc pouvoir m’offrir? Que pouvez-vous faire?

— Des miracles, répartit l’autre mendiant, avec un sourire convaincant.

— Comme Merlin l’Enchanteur, dit la jeune fille sur un ton quelque peu narquois, comme le grand Mer- lin, l’ami de notre roi Artus ?

— Tout comme lui! dit le premier pauvre.

— Malheureux! riposta Iseult, vous commenceriez vos miracles par celui de vous assurer des vêtements, un gîte et de la nourriture.

— Eh bien ! vous le voyez, très gente dame; n’avons- nous pas, grâce à votre bon cœur, il est vrai, et la nourriture et le gîte? Mettez à l’épreuve notre gratitude.

Incrédule, Iseult voulut donner une leçon à ses hôtes étranges et rabattre un peu leur irrespectueuse et orgueilleuse proposition. Elle se pencha vers l’un d’eux et lui dit tout bas :

— Pour surveiller mes serviteurs et mes biens, j’aurais besoin de tout voir. Mes yeux sont insuffisants; or, faites que mes yeux aient la faculté de voir en même temps en arrière et en avant de moi.

— C’est fait ! Et aussitôt, sans tourner la tête, elle aperçut une de ses servantes, qui se tenait debout derrière elle, lui tirer la langue en signe de moquerie, afin de faire rire les autres. Iseult, qui se croyait aimée et respectée de tous

— ses bontés ne devaient-elles pas l’assurer de ces immunités?

— ressentit une douleur morale très vive devant cette manifestation décevante. Son joli visage devint subitement soucieux.

Elle se leva, nerveuse, marcha pour se distraire. A peine venait-elle de tourner le dos qu’elle surprit un des mendiants s’emparer d’une sébile et la glisser sous ses vêtements. ( Je le lui ferai rendre ), se dit-elle, moins affligée de cet acte d’ingratitude que du précédent. De plus en plus chagrine, irritée, elle ouvrit la porte et se mit à respirer de l’air glacial. Tout en regardant au dehors le sol diamanté par le grésil, elle vit, à l’intérieur, son Yan embrasser tendrement sa voisine. Cette fois, l’impression fut si déchirante qu’elle tomba évanouie.

Un des mendiants se précipite à temps pour la recevoir dans ses bras. On l’asseoit; ses domestiques l’entourent, et, avant que ceux-ci lui eussent rafraîchi le visage par une aspersion d’eau pure, elle reprend soudainement sa lucidité. D’abondantes larmes inondent ses joues.

 — C’est vous qui l’avez voulu, gente demoiselle, dit un pauvre, c’est vous qui avez demandé cette faveur; vous avez douté de nous. Constatez maintenant qu’il n’est pas bon de tout voir sur cette terre. On y serait trop malheureux.

— J’étais si heureuse! je croyais à tout, et en tous ceux que j’aimais, dit la tendre Iseult, scandant ses paroles par de lamentables sanglots.

— Ne pleurez plus, belle Iseult, dit l’autre mendiant; que vos yeux, beaux comme l’azur, doux comme la charité, reprennent leur sérénité divine. Que votre cœur ressaisisse sa confiance et sa paix. Ce que vous avez vu et qui vous afflige n’a pas eu lieu. Vous avez été le jouet d’une vision. Regardez qui vous parle !

— Un chevalier du roi! s’écria-t-elle.

— Oui, le chevalier Tristan de la Table Ronde, qui vous aime, et qui a eu l’audace de vous le dire, cette nuit, au sortir de la chapelle; Tristan, que son ami Merlin l’Enchanteur, ici présent, a voulu venger de votre indifférence par excès d’affection pour moi, ce dont j’aurais mauvaise grâce de lui tenir rancune, puisqu’il m’a facilité le bonheur de passer sous votre toit un instant délicieux, inoubliable.

Et il ajouta : — Yan, ton Yan, ton meilleur sujet, le plus dévoué, t’adore sans oser te le dire et ne songe qu’à te plaire discrètement. Puisque tu l’aimes, belle Iseult, qu’il devienne ton époux !

Moi, fidèle observateur des lois deuxième, troisième et septième de la Table Ronde, je vais courir les aventures périlleuses, défendre les faibles de tout mon pouvoir, exposer ma vie pour la patrie. Adieu, Iseult bien-aimée, rêve d’or, astre d’amour! adieu, fleur du printemps, qui m’as fait connaître un instant le plus cher de notre âme, le plus céleste rêve : l’espérance ! adieu, je pars et je jure de dire ton nom radieux en exhalant mon dernier souffle. Viens, Merlin, viens, ami; voici l’aube, allons saluer notre roi !...

Jean Alesson

 

==> Le Château de cristal de Merlin et Viviane. Quand les légendes et l’histoire naissent des eaux profondes de Brocéliande

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