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PHystorique- Les Portes du Temps
3 juillet 2023

1968 DÉCOUVERTES FORTUITES EFFECTUÉES A LA BONDE DU JOURDAIN Commune de l'Ille-d'Elle (Vendée) par André BUJEAUD

1968 DÉCOUVERTES FORTUITES EFFECTUÉES A LA BONDE DU JOURDAIN Commune de l'Ille-d'Elle (Vendée)

Trois années se sont écoulées depuis que cette découverte nous fut signalée par Monsieur François Eygun (2), directeur de la circonscription des Antiquités Historiques de Poitiers et que fut publié par Maître Jean Gambier (3), conservateur du Musée Vendéen de Fontenay-le-Comte, une étude sur « l'Age du Marais Poitevin », relatant les circonstances des trouvailles et décrivant les objets recueillis.

Ces textes ayant éveillé notre attention, grand fut notre désir de reconnaître le site et d'examiner les vestiges.

Notre souhait fut réalisé grâce à l'amabilité de Maître Gambier, qui nous proposa de nous piloter sur les lieux et de nous présenter tant les objets figurant au Musée de Fontenay que ceux restés entre les mains des exploitants.

Nous croyons utile aujourd'hui de soumettre à nos lecteurs les résultats de l'étude à laquelle nous nous sommes livrés ; ceux-ci constituant un complément au travail de Maître Gambier.

Nous rappellerons dans les pages qui suivent, les conditions dans lesquelles se sont effectuées ces découvertes, puis nous établirons une rapide analyse des objets recueillis et nous terminerons par un aperçu du site placé dans son contexte antique.

 

Les travaux de curage et d'élargissement du canal de Pomère et de la Sèvre Niortaise, commencée en 1958 (4), révélèrent entre le début de ce canal et le lit du fleuve, près du lieu-dit « La Bonde du Jourdain », en 1959, un seuil constitué de pierres calcaires plates et un grand nombre de fortes poutres enchevêtrées (5).

Les déblais, constitués de ces restes et des boues alluviales d'origines fluviatiles, furent entreposés pêle-mêle, sur la rive vendéenne, en la commune de l'Ile-d'Elle.

Après que ces tas furent séchés, les bulldozers les répandirent sur les terres attenantes, à l'endroit de leur dépôt provisoire.

Lors des premiers labourages, des objets qui n'avaient pas été remarqués jusque là, furent mis au jour ; bien souvent brisés soit par les engins mécaniques ayant effectués le curage ou l'étalement des déblais, soit par les charrues.

Ces objets, recueillis dans les terres, sur une zone restreinte correspondant à un secteur déterminé du lit de la Sèvre, sont :

Bulletin_de_la_Société_des_[

A) MONNAIES

 Toutes ces monnaies romaines sont fortement usées, aussi doiton considérer qu'elles ont été perdues très longtemps après leur date d'émission.

Ce sont toutes des moyens ou des grands bronzes (6). Il est indispensable de rappeler que ce type de monnaies était encore en circulation sous les mérovingiens, puisqu'à cette époque la majorité des pièces frappées était en or ou en argent ; aussi ces bronzes conservèrent-ils leur valeur intrinsèque bien après leur mise en circulation.

Les références données en fin de description de quelques unes des pièces se reportent à l'ouvrage de M. H. Cohen, « Les monnaies frappées sous l'empire romain », 2e édition.

AUGUSTE (27 av. J. C. - 14 ap. J. C.)

 — MB ; son buste lauré à droite. R) ….*, type à l'autel de Rome et d'Auguste à Lyon. Surcharge AVG sur le droit (7). Cohen 237 ou 240.

(*) R : Signifie revers.

— MB ; ….., son buste (?) à droite. R) ….

CLAUDE (41-54)

— MB ; son buste à droite. R) ; Musée de Fontenay, catalogué sous le n° 156 (8).

— MB ; ., son buste à droite (?). R)…. (7).

DOMITIEN (81-96)

- MB ;….. DOMITIAN AVG GERM COS son buste lauré à droite R) IOVI C(ONSERVA)TORI, Jupiter debout au centre, se dans le champ (7). Cohen 305 ou 306.

— MB ; (IMP) CAES DIVI VESP F DOMIT….., son buste lauré à droite.

R) TRP cos VII….. II PP, frappe de 80 ap. J.C. Musée de Fontenay, catalogué sous le n° 155 (8). Cohen 555 et suivants.

NERVA (96-98) OU TRAJAN (98-117) — Monnaie indiquée par les habitants de la Bonde du Jourdain, elle a été emportée par des anglais.

TRAJAN (98-117) — GB ; AVG GERM son buste lauré à droite. R) ….(7).

HADRIEN (117-138) OU VESPASIEN (69-79)

— GB ; ….buste lauré à droite……. R)……. (7).

 

B) CERAMIQUES

De nombreux fragments de poteries furent recueillis sur le site ; ces morceaux portent tous des traces de cassures récentes, ce qui semble indiquer que la plus grande partie de ces poteries était encore entière avant l'intervention des engins mécaniques ; aussi certains tessons éparpillés dans les champs purent-ils être recollés.

Céramique sigillée grise (9)

 Cette céramique, étudiée récemment, à longtemps été appelée « wisigothique » parce qu'elle était abondante dans les sites du territoire occupé par ce peuple ; elle est datée de la fin du Ve et du VIe siècle.

Une trentaine de morceaux de vases différents appartenant à cette catégorie de céramique a été rencontrée à la Bonde du Jourdain.

Seules quelques formes ont pu être reconstituées.

Nous nous référons, tant pour la typologie des formes que pour le catalogue des sceaux et poinçons, à l'étude de J. Rigoir (10).

Planche II Bulletin_de_la_Société_des_[

Les numéros mis en fin de description se reportent à la planche II de cet article.

— Assiette avec pied, forme 4, engobe à aspect métallisé ; fond décoré avec poinçons en rouelles (11), planche II n° 1 et 8 ; catalogué au Musée de Fontenay sous le n° 162.

— Assiette creuse, forme 4, engobe à aspect métallisé, fond plat avec ébauche de pied ; molette très effacée sur le pourtour du fond, décor étoilé à palmettes fortement usées (12) ; planche II, n° 2 et 11.

— Assiette, forme 4 (13), planche II n° 3.

— Assiette, forme 1, engobe à aspect métallisé, décorée sur le marli d'une molette à points qui se retrouve sur le contour du fond ; ce dernier est décoré par une série de poinçons identiques à palmettes, en étoile (14). Ce poinçon est inédit. Planche II n° 4 et 9.

— Assiette, forme 4, sans décor, planche II, n° 5.

— Bol hémisphérique, forme 6, décoré extérieurement par des molettes usées (15).

— Grande coupe, forme 11, non décorée (16).

— Couvercle de vase Il est à remarquer qu'un morceau de fond de cruche est percé d'un trou effectué après cuisson et dont le diamètre est d'environ 20 mm.

- Un morceau de céramique dite « gallo-belge », en terre grisnoire, fortement noircie à la fumée, portant un décor fait à la molette (c. f. planche u, n° 7 et 10). Une molette identique fut rencontrée par nous, sur le même type de vase, lors des fouilles de la villa gallo-romaine de l'Anglée, à Sainte Hermine (Vendée). La céramique gallo-belge est datée dans notre région du II-Ille siècle.

Ce tesson est catalogué au Musée de Fontenay sous le n° 161.

— Un morceau de col d'amphore grise (c. f. planche II, n° 6).

— Quelques autres fragments de poteries diverses furent récoltés, mais ils n'ont pas apporté d'éléments intéressants.

— Plusieurs morceaux de tuiles romaines (tegulae et imbrices).

 

C) METAUX

— Un coupe en étain portant un décor perlé dans le fond et sur le pied, face extérieure. Elle a un aspect légèrement doré (c. f. planche I, n° 7).

— Un embout de lance à ailerons, en fer (c. f. planche I, n° 2).

La douille, portant deux ailerons, semble avoir été soudée à la lame.

On remarque des traces de bois à l'intérieur de la douille.

Ce type de framée est daté des V-VIe siècles (17).

 Elle ressemble à celle trouvée dans le Marchoux, à Fontenay-le-Comte (18).

— Des épées en fer emportées par des anglais (19).

— Un embout de pieu, en fer (c. f. planche I, n° 6).

Le pieu en bois était enfoncé dans une douille, formée de quatre lames en fer, se réunissant en une lourde pointe. Le pieu était fixé à cette douille par des clous transperçant les lames ; mais seules trois lames comportaient cette fixation.

— De nombreux clous en fer, de tailles et de formes diverses, ont été récoltés (c. f. planche i, n° 1, 3, 4 et 5). Ils portent tous des traces de bois et devaient servir à maintenir les poutres entre elles ; le tout formait l'armature du pont dont nous allons parler plus loin.

 

D) BOIS

 — Des morceaux de poutres, d'environ 2,50 m. de long, équarries sur 0,40 m., ont été rencontrés. Les plus longues poutres, qui ont été remarquées, mesuraient près de 6 m. ; comme elles gênaient les travaux agricoles, elles furent entassées et brûlées sur place (20).

 

E) OSSEMENTS

— Des ossements animaux : bovidés, cerfs et daims. Seules les cornes comportaient des traces de coupes ou de tailles (21).

D'après les objets antiques récoltés et étudiés ici, on peut conclure que le site semble avoir été abandonné au VIe siècle (céramique sigillée grise et framée), sans pouvoir toutefois fixer l'époque de construction de ce pont.

De chaque côté du seuil constitué par ces antiquités, existent les traces d'un ancien chemin empierré, bien connu des archéologues, c'est la fameuse chaussée de Charlemagne (22), qui traversait de part en part l'ancien « Lacus Duorum Corvorum » d'Artémidore d'Ephèse, cité par Strabon.

Il semble bien que ce soit un pont romain qui ait été mis au jour. Il nous est révélé par la voie le desservant, ainsi que par les poutres et les pierres plates constituant le pont de bois et ses assises latérales.

Les restes de cette chaussée correspondent à l'altitude de deux mètres au- dessus du niveau de la mer, et plus ; donc si les digues, les canaux et les écluses du Marais Poitevin n'existaient pas, ces substructions seraient submergées lors de hautes mers, qui atteindraient à cet endroit la cote 2,50 m. (23).

Ce fait troublant, déjà remarqué par des observateurs perspicaces, fut interprété de diverses façons ; en particulier, M. Louis Papy considère que cette chaussée s'est enfoncée dans les vases, hypothèse improbable du fait que d'autres repères archéologiques, espacés dans le temps, confirment la thèse d'une légère variation du niveau terre-mer, de la côte vendéenne, depuis la préhistoire (24). (Nous reviendrons plus tard sur ce problème).

Cette voie antique devait être établie sur un talus, afin qu'elle ne soit pas submergée lors des hautes marées et lors des crues.

Elle quittait la terre ferme au Thairé (25), sur l'ancienne presqu'ile du Gué-de-Velluire, pénétrait dans le Marais Poitevin, traversait la Sèvre à la Bonde du Jourdain et rejoignait le Thairé-le-Fagnoux.

 Tout ceci laisse supposer que le Golfe Picton n'était plus qu'un vaste marécage à cette époque ; aussi cette chaussée devait servir à la fois de voie de passage, de digue d'assèchement et de protection du marais oriental.

Si ce chemin, dont l'importance devait être capitale, fut abandonné par la suite, c'est que le pont et peut-être une partie de la chaussée furent démolis par l'action des lames des hautes mers ; et seule la remontée lente de la mer a pu empêcher la reconstruction de ceux-ci (26).

La portion de ce chemin traversant le marais fut alors laissée à l'abandon et les hautes vagues vinrent détruire petit à petit les restes de cette digue, tandis que les alluvions fluviatiles recouvraient tout le marais et effaçaient la présence de cette chaussée.

 

 

 

Camp néolithique de Champ Durand - Nieul Sur L'Autise, Sauvéré Vendée <==

 ==> Résumé historique des origines et de la formation du Marais Poitevin - L'histoire de la mer à Niort, dans l'antiquité romaine

==> Description de la villa et du tombeau d'une femme artiste gallo-romaine, découverts à Saint-Médard-des-Prés (Fontenay)

==> Reconstitution historique d’une moisson au vallus dans le village Gaulois de Saint Saturnin du Bois

==> Le Marais Poitevin et la navigation sur la Sèvre Niortaise (Time Travel)

 

 


 

(1) Nous tenons à remercier ici Maître Jean GAMBIER, qui s'est toujours montré avec nous d'une grande complaisance ; ce rapport doit beaucoup au compte-rendu fait par lui, peu après la découverte décrite ici, dans son étude sur « l'Age du Marais Poitevin », voir nota (3).

Nous remercions également les exploitants demeurant à la Bonde du Jourdain : Monsieur et Madame Roux, qui nous ont aimablement prêté les objets qu'ils avaient en leur possession, soit la majorité des poteries et métaux découverts ; et Monsieur CHAUVEAU, qui a fait don généreusement au Musée de Fontenay-le-Comte des monnaies romaines et des débris de poteries qu'il avait récoltés.

(2) Gallia, tome XIX, 1961, fascicule 2, p. 431.

(3) Bulletin de la Société d'Emulation de la Vendée, 1961-1962, p. 99 à 101.

(4) On se référera à la « Petite Histoire de l'Ile-d'Elle » de M. Henri TISON, ch aDitre « dessèchement des Marais ». n. 38 à 55.

 (5) Découverte analogue à celle faite sur la rive gauche de l'Arnoult à Champagne, Charente-Maritime, dont la description est faite dans Gallia, tome XIX, 1961, fascicule 2, p. 424 à 426, figures 46 à 51.

(6) Les indications MB et GB, figurant en tête de la description des monnaies, correspondent respectivement aux abréviations de moyen et grand bronzes.

(7) Monnaies appartenant à Monsieur Roux.

(8) Monnaies données par Monsieur CHAUVEAU au Musée de Fontenav.

(9) Cette céramique gris-noire doit son appellation non pas tant au fait qu'elle ressemble à la céramique sigillée rouge, parce qu'elle possède aussi une engobe, mais surtout parce qu'elle est souvent décorée de poinçons ou de sceaux.

(10) Jacqueline RIGOIR « La céramique paléochrétienne sigillée grise » dans Provence Historique, tome x, 1960, p. 1 à 93.

(11) RIGOIR, op. cit., p. 43, n° 41.

(12) RIGOIR; op. cit., p. 25, n° 14 et p. 82, n° 124.

(13) RIGOIR. OP. cit.. p. 82. n° 122.

(14) RIGOIR: op. cit., p. 66, n° 60.

(15) RIGOIR, op. cit., p. 83, n° 131.

(16) RIGOIR, op. cit., p. 28, n° 28.

(17) SALIN « La Civilisation Mérovingienne », tome II (, Les techniques, p. 13 à 23.

(18) BROCHET, « La Vendée à travers les Ages », 158.

(19) GAMBIER, Op. cit., p. 100.

(20) GAMBIER, op. cit., p. 100 et Gallia, 1961, p. 431.

(21) Détermination de Monsieur Patte, professeur à la Faculté des Sciences de Poitiers, directeur de la circonscription des Antiquités Préhistoriques.

Les nombreux ossements animaux rencontrés semblent être postérieurs à l'abandon du site (VIe siècle).

  (22) Voir en particulier : LIÈVRE : Les chemins gaulois et romains entre la Loire et la Gironde.

PAPY : La cote atlantique de la Loire à la Gironde. ainsi que la bibliographie signalée dans Gallia, 1961, p. 431.

(23) Amplitude à La Pallice : + 2,92 m.

(24) Par variation du niveau terre-mer, nous entendons ici exhaussement ou affaissement local du terrain, le niveau de la mer n'ayant qu epeu changé depuis la préhistoire.

(25) Voir le schéma, planche I, établi d'après la carte au 100.000e éditée par l'I.G.N.

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Sur ce dessin on remarque : les anciennes îles de Vix et d'Elle, les presqu'îles du Gué-de-Velluire et du Thairé-le-Fagnoux ; le lit de la Sèvre Niortaise et les canaux de Pomère et de Vix dans leur emplacement actuel. Le pointillé figure le tracé du chemin de Charlemagne.

(26) Pour le site, ce qui a pu sembler être une remontée de la mer est en réalité un mouvement épirogénique négatif c'est-à-dire un affaissement de la terre ferme.

 

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