Lorsque Henri IV, qui venoit d'éteindre le feu de la guerre civile, si long-temps allumé dans le royaume, ne songeant plus qu'à taire jouir ses peuples des avantages de la paix, crut qu'il étoit de sa gloire de conquérir de nouveaux pays sans faire de malheureux, s'occupa à faire travailler au dessèchement des marais et lieux inondés, il chargea de cette entreprise, les Taffins et Humfroy de Bradeley.
Il porta toute son attention à conserver aux propriétaires leurs droits et leur propriété.
Nous rapporterons cet édit, parce que Bradeley ou Bradeleu s'occupa du desséchement de quelques marais en Poitou, et que le souverain qui l'a rendu n'a pas cru devoir ne point respecter les droits des propriétaires du marais dont il ordonnoit le dessèchement, qu'au contraire on voit qu'il les respectoit, ainsi qu'on peut s'en convaincre en le lisant, et que nous aurons encore occasion de le répéter.
Henry IV, en avril 1594.
« Voulons et ordonnons que tous les palus et marais dans notre royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance, tant dépendant de notre domaine et à nous appartenant, que ceux appartenant aux ecclésiastiques, gens nobles et du tiers-état, sans aucune exception de personne, assis et situés le long de nos rivières et ailleurs, soient desséchés et essuyés par le sieur Humffroy Bradeley et ses associés ou les propriétaires, et par eux rendus propres au labour, prairies ou herbages, se'on que leur situation et na urel le permettront.
Néanmoins avons déffendu et défendons auxdits Bradeley et propriétaires de diguer ou dépêcher les marais où l'on fait du sel, les marais en palus faits et étangs et pêcheries ou nécessaires pour entretenir l'eau dans les fossés des villes, châteaux en places d'importance, et principalement, et sur toutes choses, ne pourront toucher aux achenaux, canaux, rivières, ruisseaux ou fossés navigables, ni même aux marais ni leurs flaches, qui servent d'étendue et réceptacle pour la marée à s'y rendre, et de par-là son rapport, cours et recours à maintenir quelques-uns de nos hâvres, ports ou rivières en leur ceux en bon état, ou autre marais dont l'inondation excède le profit et émolument du dessèchement; et quant aux autres palus et marais mêlans de la qualité susdite, entendons qu'ils soient desséchés, soit par les propriétaires, ou par ledit Bradeley et ses associés, aux charges, restrictions et conditions qui en suivent.
Pour dédommager et récompenser Bradeley, ses associés, leurs hoirs et ayant - causes, tant des frais, coûts et dépens qu'il leur conviendra faire et avancer de leur bourse, à faire faire et dresser les dignes, levées, tucies, bots, chaussées, fossés, canaux, achenaux, arcades, ponts, auges, bondes, écluses, moulins à tirer l'eau, et plusieurs autres choses pour borner les eaux, vider celles qui y sont, et empêcher qu'elles n'y viennent, que leur expérience, industrie et inventions, nous leur avons, et à leurs associés, hois et ayant - causes, donné et délaissé pour nous et nos successeurs rois, la juste moitié de tous les palus et marais appartenant à nous et dépendant de norre domaine, qu'ils auront ainsi desséchés et essuyés, tant de ceux arrentés et sujets à redevance, que non arrentés et non sujets à redevance, pour icelle moitié demeurer propre à perpétuité audit Bradeley, ses héritiers, leurs hoirs et ayant-causes, en jouir, user et disposer comme de leurs vrais héritages, sans qu'ils ne puissent être dépossédés pour quelques causes et occasion que ce soit; à la charge d'en payer par eux à notredit domaine, savoir, pour ceux qui sont arrentés et chargés de cens ou autres redevances, les mêmes cens et redevances, à l'acquit des premiers preneurs; et pour ceux qui ne le sont pas, ils nous en paieront cens, par chacun an, à telle raison qu'il se paye par la coutume des lieux, avec lots, ventes, quints ou troisième, aux mutations où ils échoiront, selon ladite coutume de chaque pays.
Le semblable sera fait par Bradeley, ses associés, à leurs dépends, coûts et risques des palus et marais appartenant aux ecclésiastiques, gens nobles ou du tiers-état, pourvu toutefois que ce soit du gré et consentement des propriétaires auxquels à cette fin, pour entendre leur volonté et résolution sur le desséchement de leurs marais, nous avons ordonné et ordonnons qu'ils aient à déclarer, dans deux mois après la publication du présent édit, s'ils ont intention de dessécher leurs palus et marais eux-mêmes, à leurs propres coûts et risques, et à cette fin passer acte de leur déclaration aux greffes des eaux et forêts des lieux.
Voulons, après les deux mois passé, au cas qu'ils n'eussent fait ladite déclaration, que leurs marais soient desséchés par ledit Bradeley et associés; lesquels, pour récompense de leurs avances, frais et industrie, auront et prendront pareillement la moitié de qu'ils auront des éché, aux mêmes charges que dessus.
D'autant que plusieurs marais appartiennent en commun à divers propriétaires, ou ee trouvent tellement mêlés et enclavés les uns parmi les autres, qu'il seroit impossible à Bradeley, ou propriétaires, les dessécher, sinon conjointement et d'une même opération de levée, fossés, moulins à tirer l'eau et autres engins.
Voulons et ordonnons qu'ou lesdits propriétaires soient de différens avis pour le défaut dudit desséchement, l'avis des propriétaires ayant la plus grande partie des marais, emporte celle de la moindre part.
Ou les propriétaires, tant des marais et palus mê és que tous autres, déclareront au greffe comme dit est, vouloir faire le digage et desséchement eux-mêmes et à leurs frais et risques faire le pourront, pourvu que leurs marais ne scient de la qualité de ceux réservés ci-dessus, et à cet effet, seront tenus y faire travailler dans troit mois après ladite déclaration faite , et continuer la besogne incessamment par nombre compétent d'ouvriers; lesquels ils seront de rendre accomplis et parachevés dans le tems qui leur sera fixé et limité par le grand maître des eaux et forêts ou les maîtres particuliers des eaux et forêrs des provinces.
Au cas que les propriétai es qui auront déclaré vouloir dessécher leurs marais eux-mêmes, à leurs risques et dépends, desireront s'aider et prévaloir du maître des digues pour ses directions, expériences et inventions, en ce cas il sera tenu de se transporter à heures et tems convenables sur les lieux, ou pour le moins y envoyer à ses dépends personne dont il sera responsable, habile, valant et actuellement expérimentée, avec des instructions requises pour ordonner, désigner, commencer, poursuivre et achever la besogne et ouvrage qui sera requis et nécessaire, tout ainsi que si ledit Bradeley en étoit entrepreneur ; auqueldit Bradeley lesdits propriétaires seront tenus payer et délivrer pour ses peines, vacations et salaire, la somme de quarante sols, pour une lois seulement, pour chaque arpent, réduit à la mesure de Paris, et ce, dans deux mois après ledit desséchement fait ; et à faute de faire le paiement desdits quarante sous pour arpens dedans le tems de deux mois, nous avons déclaré et déclarons la sixieme partie desdits marais et palus desséchés, être acquise et appartenir audit Bradeley, et la lui avons adjugée et adjugeons par ses présentes, pour en jouir et disposer par lui, ses hoirs et ayant - causes, ainsi que de son vrai héritage, en payant le cens et redevances au seigneur à qui ils sont dus.
Advenant que les ouvrages entrepris et commencés à faire par Bradeley et ses associés , viennent à faillir contre leurs desirs, soit par tremblement des palus et marais faussetés de fonds , sables mouvans, vivacité et abondance des courans, violences et débordement de mer, de riviere ou de terrains, ruptute ou brisement de leurs levées et machines, ou autres défauts, de sorte que l'ouvrage ne fût parachevée, nous n'entendons qu'aucun entrepreneur en encourent et tombent en aucune autre perte et dommages que de ce qu'ils auront mis le demeurant aux propriétaires.
Voulons que le jour du dessèchement des palus et marais dépende de la nomination, arbitrage et discrétion de Bradeley, sous les restrictions mentionnées aux art. 10, 11 et 12 , et que lesdits palus et marais soient estimés et réputés digués, desséchés et essuyés réellement, actuellement et de fait du jour qu'il aura fait l'affirmation pardevant un notaire ou tabellion royal des lieux, ou qu'il aura fait à savoir ledit dessèchement être fait comme il est porté par l'article suivant, et incontinent après pourra ledit Bradeley faire tracer les terres desséchées ou marquées par des piquets, les alignemens et partitions desdites terres en deux parties les plus égales qu'il pourra, desquelles les seigneurs et propriétaires auront le choix à en prendre la moitié la plus avantageuse, à leur gré et discrétion; l'autre moitié demeurant audit Bradeley, chargée de cens, rentes et autres redevances comme dessus; et après le choix fait en la forme et maniere qu'il sera dit ci -après, lesdits propriétaires seront tenus de contribuer, pour moitié, aux frais des fossés, chemins, haies, bornes et autres défenses qu'il conviendra faire pour l'exécution dudit partage; en laquelle moitié dudit Brandeley entendons être compris tous arbres, flaches, ponts et ruisseaux qui s'y trouvent enclavés.
Pour ce que plusieurs propriétaires sont peut-être morts, absens, méconnus, mineurs ou autrement, négligeant à venir faire le choix, Bradeley sera tenu déclarer par acte au greffe des eaux et forêts des lieux respectivement, le jour du dessèchement et partition marqué, et ea outre, faire notifier aux églises paroiffia'es et places publiques, à jour et heures de service et marchés, le peuple étant affemblé, par trois dimanches ou jours de marchés consécutivement, de venir faire ledit choix; lequel ils seront tenus, dedans quinze jours après la derniere publication, faire enregistrer et en laisser l'acte susdit auxdits greffe, des eaux et forêts; et en cas qu'aucuns dedits propriétaires toient négligeants et défaillants, de faire, dans le susdit temps, ledit choix ou option, nous mandons et commettons et enjoignons par ses présentes, à nosdis officiers desdites eaux et forêts des lieux, de faire, huit jours après la quinzaine expirée, le choix et option pour les défaillans et non comparans, et laisser l'autre moitié audit Bradeley et associés, pour en jouir comme dit est, afin qu'ils ne soient privés du fruit de leurs labeurs et dépenses.
Les propriétaires qui seront en doute si le desséchement est bien fait, pourront contraindre Bradeley et ses associés, de prendre, pour un temps de sept ans en suivant et consécutifs, la moitié des terres desséchées appartenant aux piopriétaires, et de leur en payer de ferme un quart par an au plus que le total des marais ne leur souloit valoir de reveuu et avant ledit dessechement, demeurant la moitié audit Bradeley et associés, affectes et obligés à ladite ferme, et lesdits sept ans commenceront à courir du jour du choix et partage réellement exécuté et accomplis.
Ordonnons que le maître des digues demeurera chargé de l'entretien et réparation de tous et chacuns les ouvrages faits et dressés pour le desséchement, l'espace de trois ans consécutifs, après le jour du desséchement, au cas que le propriétaire ne retire la moitié de Bradeley.
D'autant que les propriétaires, pour leur commodité, voudroient retirer la moitié de Bradeley, nous voulons que lui et ses associés leur quittent et délaiffent leur moitié à juste et raisonnable prix, voire, à une cinquième partie moins qu'elle ne sera estimée; et pour le faite, iceux Bradeley et associés feront l'estimation de leurdite moitié en dedans de deux mois après le choix fait; puis laisseront à l'option desdits propriétaires, soit de donner et bailler, ou de prendre et accepter ledit prix.
Comme si lesdits Bradeley et associés estimoient à 400 écus leur part de marais desséchés, il sera au choix et option des propriétaires, de la prendre à ce prix, ou bien iceux Bradeley et associés, seront tenus de bailler et payer 500 écus pour la moitié desdits propriétaires.
Auront aussi iceux propriétaires deux mois de tems pour prendre ou laisser les mardis desséchés, si bon leur semble, à compter du jour que la moitié desdits Bradeley et associés aura été prisée, et dont apparoitra par actes qui auront été dressés au greffe desdits eaux et forêts des lieux comme ci-dessus.
Celui à qui il échoira de tirer toute la terre, aura deux ans de terme et répy, pour en faire le paiement, et à compter du choix fait par lesdits propriétaires, demeurant cependant tous deux en paisible possession de leur moitié; et à faute de paiement dans lesdits deux ans, voulons que lesdits propriétaires ou autres intéressés, en vertu des présentes, soient déchus de leurs droits de rachat, et lesdits Bradeley; ses hoirs et ayant-causes, demeureront paisibles possesseurs, à perpétuité, de la moitié à eux attribuée.
La moitié des terres desséchées qui demeurera à Bradeley et associés, ne sera tenue, obligée ni hypothéquée, sinon aux cens, rentes foncières et devoirs seigneuriaux, à commencer du jour du choix et option, sans qu'on la puisse prétendre chargée d'aucune dettes hypothèques, obligations, usufruits, usages, douaires, donations, arrérages de loyer, de ferme ou rentes ou autrement, en quelque manière que ce soit, sinon qu'elle soit retirée par les propriétaires, suivant l'article précédent.
Ordonnons et commandons au maître des digues, en cas qu'au fait de sa besogne pour le deséchement, ils viennent en des endroits à rencontrer le moyen de dérestaurer et remettre quelques vieux achenaux, rivieres ou fossés qui aient quelquefois été navigables, et à présent soient presque ou du tout déchus et gâtés, ou bien de faire de nouveaux fossés, achenaux, chemins et passages dans les marais desséchés pour la commodité de nos sujets, qu'il soit tenu de rétablir lesdits fossés et achevaux, ou dresser lesdits chemins par nouveaux alignemens, selon la commodité des lieux, à la charge qu'il sera payé séparément desdits ouvrages extraordinaire, tant par les propriétaires des marais, que les voisins mêmes des provinces adjacentes, à mesure qu'ils se pourront ressentir des profits et émolumens desdits ouvrages, ou autre y ayant intérêt, desquels il en soit requis, et selon le prix dont il conviendra avec eux de gré à gré.
D'autant que Bradeley et associes seront containts d'employer grande quantité de bois pour la construction de leurs moulins, engins et outils dont ils ne pourroient commodément chéoir s'il ne leur étoit pas par nous pourvu.
Voulons qu'au cas qu'il y ait ventes ouvertes en nos forêts , proches des lieux , ès-quels lesdits Bradeley et associés puissent acheter le bois à eux nécessaire, qu'il leur soit fait délivrance par nos officiers jusqu'à quantité de trois arpens et au-dessous en lieux plus commodes que faire se pourra; à la charge que lesdits Bradeley et associés en paieront le prix selon les dernieres coupes, et qu'il en sera autant diminué sur les ventes de l'année suivante; le tout sans abus, et en gardant les ordonnances.
Et en cas que lesdits Bradeley et associés ayent besoin de plus grande quantité de bois que de trois arpens, voulons qu'il y soit pourvu par notre grand maître des eaux et forêts aux mêmes charges que dessus.
Pour faciliter l'exécution de ce grand ouvrage, tant pour le bien public que particulier de plusieurs personnes, dont néanmoins toutes les circonstances, qualités, accidens et évènemens, retardemens ou difficultés, ne se peuvent qu'à peine reconnoitre du premier coup pour la nouveauté du fait, nous avons enjoint au grand maître de nos eaux et forêts, maîtres particuliers d'icelles, leurs lieutenans, incontinent après la publication du présent édit, de visiter tous les marais et palus étant dans l'étendue de leur charge, s'enquérir et informer de l'état naturel, qualité, situation et voisinage des villes, bourgs, villages, montagnes, rivieres et fossés, et de la commodité et incommodité que pourra apporter au pays le dessèchement d'iceux; entendre les avantages, nécessités et remontrances de nos sujets sur la facilité ou difficulté de l'exécution du présent édit, et dont ils enverront, quinze jours après la visitation faite, fidèle et ample procès-verbal au greffe du siège de la table de marbre de notre palais à Paris, pour y avoir recours au besoin, ou pourvoir par nous ou notredit grand maître et ses lieutenans, à et pour la ccmmodité des chemins, passage, navigation et contentement des propriétaires desdits marais et plaines voisines, ou particuliers y ayant intérêt, ainsi qu'il sera avisé, desquels procès-verbaux Bradeley pourra tenir copie collationnée, à ses dépends, toutefois et quantes que bon lui semblera.
Voulons que le grand maître, ses lieutenans, ou maîtres particuliers, les uns en l'absence des autres, après les desséchemens faits et publiés comme dessus partagent pour nous avec Bradeley et associés, nos marais et palus qui auront été desséchés, fassent choix et option de notre moitié, suivant qu'ils jugeront nous être plus convenable et utile; laissant l'autre moitié aux dits Bradeley et associés, dont ils les mettront en saisine et possession, de par nous, sans qu'il soit besoin en obtenir d'autres lettres de provision, don ou transport que ces présentes, ou le vidimus d'icelles, pour en jouir, user et disposer pleinement par le dits Bradeley et associés, et ayant-causes, ainsi que dit est.
Advenant procès ou débats entre les propriétaires, seigneurs fonciers, communautés ou autres particuliers prétendant intérêt sur les palus et marais desséchés, et Bradeley et associés, pour raison des desséchemens, circonstances et dépendances d'iceux, et exécution du présent édit, nous en avons commis et attribué toute cour, jurisdiction et connoissance en première instance, au grand maître enquêteur, et surintendant et général réformateur des eaux et forêts de France ou ses lieutenans et officiers ès-siège des tables de marbre primativement, à tous autres juge? , et où il n'y aura siège de table de marbre établi, en celui de notre palais à Paris, et par appel en nos cours de Parlement.
Voulons néanmoins, pour soulager ledit Bradeley, et afin qu'il ne soit contraint de consommer son tems et ses moyens en procédures de justice, que les sentences qui interviendront auxdits sièges des tables de marbre, soient par provision exécutées, pourvu que le cas soit réparable en définitif et qu'au jugement ayent assisté jusqu'au nombre de cinq juges, etc.