Les voies de communication terrestres et fluviales en Poitou sous le règne de Henri IV, Sully, Androuet du Cerceau
Tel est le tableau des voies ou grands chemins du Poitou que les documents contemporains d'Henri IV permettent de tracer.
On peut, avec l'aide de quelques-uns d'entre eux, se rendre un compte précis de l'état technique de ces routes, de leur prix de revient et d'entretien et des ouvrages d'art, tels que les ponts, qui en jalonnaient le tracé.
Les procédés modernes d'établissement des routes n'étaient pas encore en usage.
Elles sont donc pavées, à la mode romaine, restée toute puissante jusqu'à l'invention du macadam. Au-dessous du pavé, on répand une couche de sable.
Les matériaux de construction sont empruntés aux carrières et aux sablières du pays, tantôt éloignées, tantôt rapprochées, ce qui produit de notables différences dans les prix du pavage.
En général, on rencontrait dans le Poitou de « bonnes pierres blanches à bâtir » (1), et il était facile d'y employer la chaux vive, qu'on y produisait en grande quantité.
Certaines régions fournissaient même de la pierre dure, la Gâtine, le Montmorillonnais, par exemple.
On en avait mis en exploitation une carrière excellente non loin de la grande route de Paris à Poitiers, à Damassault, paroisse de Bonneuil-Matours.
Elle servit à la construction du pont de Chàtellerault.
En une seule adjudication, on demanda à un entrepreneur la fourniture de 6.000 blocs, dont 3.000 mesuraient chacun 8 pieds de long (2 m. 59) sur 3 de large (0 m. 972), et pied et demi d'épaisseur (0 m. 48). Le prix du pied cube (0 m. 32) de cette pierre revenait sur place à 2 s. 11 d. (2).
Mais les frais de transport devenaient très onéreux quand on ne disposait pas d'une voie d'eau.
Pour porter les pierres de taille de Damassault à Châtellerault, il fallut les amener jusqu'à la Vienne à Chitré, au moyen de charrois, pour lesquels on réquisitionnait en toutes saisons, sauf celle de la moisson, charretiers et laboureurs, indemnisés par les entrepreneurs.
De Chitré, on les amenait par des chalands (3).. D'ordinaire, on avait recours aux carrières moins éloignées, telles que celles de pierre tendre d'Antogné, près de Châtellerault (4).
Fallait-il aller quérir pierre et sable seulement à une lieue de la route, le coût de la toise de chemin à réparer pouvait s'élever d'une livre, c'est-à-dire du quart au cinquième en sus du prix moyen, quelquefois même à 11. 50 ou a 11. 75 en plus.
Quand le terrain s'y prêtait, en plaine, dans les terres de varenne ou de sable, le pavage se faisait aisément et à moindres frais; la toise carrée (3 m. 79) ne revenait guère qu'à 45s. ou 50 s..
Le travail se compliquait dans les terres argileuses, grasses, boueuses, où il fallait construire des levées ou chaussées.
Sur la route de Paris à Poitiers, par exemple, non loin de Jaulnay, dans une section de ce genre, la toise coûte 3 livres. Ailleurs, sur le même chemin, auprès du bourg de Clan, une levée de 750 toises ne peut être établie qu'au prix de 4 1. la toise.
Un peu plus loin, à peu de distance de Poitiers, près du village des Anses, la toise revient à 1. 10 s. pour une levée de 15 pieds (4 m. 80) de large et d'un pied et demi (0 m. 486) de haut.
En un autre endroit, sur le grand chemin de Lusignan à Saint-Maixent, près du pont de la Maladrerie, on a le type d'une chaussée plus forte encore, puisqu'elle est édifiée sur une épaisseur de 3 pieds (0 m. 97); la largeur n'est ici, il est vrai, que de 7 pieds et demi. Le prix, toutefois, n'arrive qu'à 3 l. la toise, tandis que, sur le même chemin, à la sortie de Saint-Maixent, vers Niort, il s'élève à 4 l. 5 s., et, pour une section de la route de Niort à la Rochelle, à 4 1.. Dans cette dernière section, la largeur de la levée est de 18 pieds (5 m. 83), la hauteur, de deux (0 m. 648).
Les chaussées sont établies de manière à assurer la pente des deux côtés pour l'écoulement des eaux. Quand les terres sont trop meubles, « effondrantes », suivant le terme local, la levée est renforcée de murailles en maçonnerie et moellons, « à chaux et à sable », épaisses de un à deux pieds, comme près de la Guironde et à Boutinet, sur les routes des environs de Niort.
Sur le grand chemin de Paris à Poitiers, aux abords de Port de Pille, ces murs de chaussée, sur une longueur de 113 toises, présentent une épaisseur de 2 pieds 8 pouces et des revêtements de pierre de taille d'une largeur de 13 pouces (0 m. 331).
Parfois, la chaussée elle-même est garnie, comme dans cette partie de route, de chaînes de pierres de taille et de « boulices, hérissonnées et grossoyées à chaux et à sable », placées de trois toises en trois toises. Ce travail de maçonnerie revient en général entre 3 1. 10 s. et 4 l la toise.
L'écoulement des eaux exige assez souvent rétablissement de petits ouvrages d'art, qu'on nomme les arceaux et les outreaux.
On a la description de quelques-uns. Celui du Pas-du-Ruisseau, sur la route de Port-de-Pille à Châtellerault, mesure 3 pieds de long (0 m. 072) sur une hauteur de 2 pieds (0 m. G48). A la Croix-du-Bourdon, sur le grand chemin de Paris à Bordeaux, près de Poitiers, trois petits ouvreaux maçonnés ont un pied carré d'épaisseur, et ils coûtent 4 1. 10 s. la toise.
Sur le chemin de Poitiers à Lusignan, à Bellejouanne, on trouve aussi trois ouvreaux de dimensions analogues (1 pied carré -= 0 me. 105); ailleurs, dans la vallée d'Airon, sur la route de Saint-Maixent à Niort, il en est d'autres où le travail coûte 31. 10 s. la toise. Parfois enfin, il faut creuser des tranchées (5).
La largeur des chemins royaux variait d'ordinaire, suivant les coutumes des provinces, entre 24 et 64 pieds (6), c'est-à-dire de 7 m. 77 à 20 m. 73.
Les grandes routes du Poitou, si l'on en juge par les procès-verbaux d'inspection de 1611, ne présentaient pas d'aussi puissantes dimensions. Leur largeur est généralement de 15 pieds à l'époque d'Henri IV, c'est-à-dire de 4 m. 86. Elle s'abaisse parfois jusqu'à 13 ou 14 pieds (4 m. 21 à 4 m. 53), même sur le grand chemin de Paris à Poitiers; rarement elle descend à 12 pieds, comme à Villevert, sur le grand chemin de Châtellerault à la Rocheposay; rarement aussi elle s'élève au-dessus de 15 pieds jusqu'à 18 (4 m. 86 à 5 m. 85).
D'ailleurs, à certains endroits où il eût fallu creuser des tranchées, la largeur se rétrécissait à un point tel que les chevaux, carrosses, chariots, charrois « ne pouvaient ni aller ni venir », c'est-à-dire passer de front, et que les essieux des véhicules touchaient les terres ou les rocs des deux côtés.
Ce cas se présentait même sur la première route du Poitou, celle de Paris à Bordeaux.
Là, à l'entrée du bourg industriel de Croutelle, il eût fallu élargir le chemin de 4 pieds (1 m.. 296) sur chaque côté pour lui donner sa largeur normale, creuser dans le roc sur 60 toises de long et 3 pieds de profondeur, pour rendre la circulation aisée.
Le même fait s'observait sur la route de Niort à Fontenay, à la vallée rocheuse de Tourfort, où, sur 80 toises de long, il eût fallu élargir la voie dans des proportions identiques (7).
On sait qu'en bordure des routes, depuis l'ordonnance de 1554, il était d'usage de planter des ormes : Sully veilla à l'exécution de ces prescriptions.
Ces arbres offraient, si l'on en croit Laffemas, l'avantage de protéger les chemins contre les empiètements des riverains en déterminant leurs limites, et d'assurer aux voyageurs l'ombre utile pendant les journées d'été (8).
En outre, d'après un document (9) administratif de l'année 1601, les ormes devaient servir à remonter l'artillerie.
En Bas-Poitou, la construction, et le régime des chemins présentaient des différences notables.
La route d'eau y était « la voie de communication par « excellence ». La route de terre y servait surtout dans les temps d'inondation ou de sécheresse qui interrompaient la navigation. Le chemin terrestre ou bot, aménagé le long des canaux (achenaux) qui sillonnaient le Marais, était une levée assez haute pour n'être jamais couverte par les eaux, assez large pour comporter une voie charretière ou chemin (charault), capable de défier les poussées des inondations (10).
La Popelinière décrit par exemple en ces termes la route de Charron à Surgères. « Cette avenue (est) comme un chemin eslevé de terre et couvert de menues pierres au milieu des prayries, sur lequel, si l'eau est trop grande comme elle est en plein hiver, on va presque à pied sec jusqu'à Marans » (11).
Ici, l'oeuvre de viabilité était étroitement subordonnée à celle des desséchements, qui, reprise sous Henri IV par la Compagnie hollandaise de Bradley, ne devait aboutir à des résultats effectifs qu'après 1640.
Des travaux d'art qu'exigèrent à cette époque la construction ou la restauration des routes, les plus coûteux et les plus malaisés étaient ceux des ponts.
La carte si curieuse du Poitou due à Pierre Rogier (1579) en indique un grand nombre (12).
Même dans le Marais, on rencontrait des ponts en pierre, tels que ceux de Curzon, de la Besse, de la Bardelle, sur les routes de Nantes ou de Luçon à la Rochelle.
L'un des plus grands, celui de la Charrie, sur l'achenal de Luçon, se trouvait ruiné en 1599.
A la suite des guerres civiles, on en avait employé les pierres à la construction d'un fort (13). Mais dans cette région on faisait aussi un fréquent usage des gués ferrés ou pavés et des bacs ou gabarres pour la traversée des rivières.
Des services de bacs existaient par exemple à Saint-Benoit, sur-Lay, entre la Nevoire et la Grève, dans le Marais de la Sèvre, sur le chemin de la Rochelle.
A Braud, entre Luçon et l'ile de Ré (14), se trouvait un gué vaseux, « vrai chemin de marécage », comme l'appelle Estienne, praticable seulement à marée basse, et où, en hiver, le voyageur, suivant l'expression d'une chronique locale du XVIe siècle, risquait fort « de se mouiller jusqu'aux fesses » (16).
Le reste du Poitou était assez bien pourvu de ponts, dont certains fort connus, comme ceux de la Rocheposay, de Chauvigny, de Poitiers, de Fontenay.
Bon nombre dépendaient des seigneurs un état du XVIIIe siècle signale 55 de ces ouvrages, tels que ceux d'Apremont, d'Alloué, d'Argenton, qui se trouvent dans ce cas, sans compter les ponceaux (17).
L'entretien ou la réparation des autres incombait aux communautés qui durent en entreprendre la réfection ou l'amélioration.
Ainsi à Poitiers, en 1595, on reconstruit, pour l'exhausser, l'arche principale du pont Saint-Cyprien; en 1602, une autre arche est restaurée. Aux mêmes dates, le pont Joubert, sur lequel passait la route de Limoges, était réparé, en même temps qu'on rendait plus accessible l'entrée de cette route vers le coteau de Maubernage.
En 1601, on entamait les travaux de restauration du pont de Rochereuil, et en 1604 on reconstruisait les arches, détruites deux ans auparavant par une inondation (18).
En dehors des villes, l'édification et le rétablissement des ponts incombait au roi.
On connait l'activité déployée par Henri IV et Sully dans tout le royaume pour mener à bien ces utiles travaux.
Dans le Sud, l'Est, le Nord et l'Ouest, les ponts de Toulouse et de Grenoble; sur la Seine, le Pont-Neuf et le pont de Rouen; sur la Loire, les ponts d'Amboise et de Blois (19); sur la Charente, ceux de Cognac, de Merpins et de Saint-Sulpice (20) étaient rétablis par leurs soins.
Le Poitou leur dut, à cet égard, peut-être plus que les autres provinces.
A Port-de-Pille, ils firent construire sur la Creuse un pont de bois d'une largeur de 14 pieds. Ils ordonnèrent, à deux lieues de Niort, la reconstruction des ponts de Meré et de Grip, sur la route de Saint-Jean-d'Angély; ils établirent, sur le grand chemin de Lusignan à Saint-Maixent, le pont de La Chapelle-de-Grâce, près de la première de ces villes; sur la route de Châtellerault à Poitiers, le pont de Longéve (21).
Des travaux semblables étaient annuellement projetés, si l'on en juge par le procès verbal d'inspection de René Androuet du Cerceau.
De toutes ces entreprises, la plus belle fut l'achèvement du pont de Châtellerault, l'un des plus célèbres travaux d'art du commencement du XVIIe siècle.
Il est, dit André Duchesne, qui le visita peu après son achèvement, « d'une si supérieure et si remarquable architecture, qu'il n'a guère son pareil dans tout le royaume » (22).
Ce pont remplaça une construction en bois qui, elle-même, avait succédé, à la fin du XIVe siècle, à un édifice en pierre du XIe, et que les inondations avaient ruiné Catherine de Médicis, apanagiste du duché de Châtellerault, avait obtenu en 1564 des lettres patentes, qui permirent de commencer l'année suivante la réédification ordonnée dès 1556 par Henri II.
En 1578, on commençait à s'occuper de construire les piles dans le lit de la Vienne, et les travaux, auxquels Henri III avait destiné de nouveaux fonds, se poursuivirent lentement. La guerre civile les rendait malaisés.
Henri IV, qui appréciait l'importance d'un ouvrage destiné à faciliter la circulation « sur l'un des plus grands passages du royaume », avait recommandé, pendant son séjour à Châtellerault (18-26 mars 1589), de conduire le travail « à sa perfection ».
Il stimula l'activité de ses agents, envoya son meilleur architecte, Charles Androuet du Cerceau, pour en diriger l'exécution, et consacra à cette oeuvre, depuis 1594, une partie des ressources de l'impôt royal.
En mars 1595, il ne restait plus qu'à construire les voûtes de quatre arches qui émergeaient à six pieds hors de l'eau.
Mais en 1599, une inondation, survenue dans la nuit du 2 janvier, vint détruire une des arches situées près de la rive.
On voulait de plus donner à cette construction un aspect monumental par l'édification d'une porte et de deux grandes tours.
C'est seulement en 1609 que ce bel édifice fut achevé par les soins de René Androuet du Cerceau, fils de l'architecte principal décédé en 1606.
(Le Pont Henri IV de Châtellerault, monument Historique du XVIe siècle. )
La reconnaissance publique lui assigna le nom de Pont-Henri-IV, qu'il a conservé depuis trois siècles.
Une inscription, aujourd'hui disparue qu'a vue Zinzerling en 1610, était placée sur l'une des tours, à l'entrée du pont.
Elle associait à l'honneur de l'œuvre entreprise et achevée le souverain et son ministre Sully, gouverneur du Poitou, qui, s'ils n'avaient pas eu l'idée première de ce grand travail, en avaient du moins le principal mérite (23)
Un certain nombre de ces ponts étaient encore en bois, par exemple ceux de la Loire, Nantes, de Fontenay sur la Vendée, de Port-de-Pille sur la Creuse (24).
On n'avait pas tardé à reconnaître que si les dépenses d'établissement s'élevaient moins haut que les frais des ponts de pierre, les difficultés et les dépenses d'entretien des premiers dépassaient de beaucoup celles des seconds.
Le pont de bois de Châtellerault qui subsistait encore en 1595, en attendant l'achèvement du pont de pierre, était d'accès difficile et même dangereux, malgré l'énormité des sommes qu'exigeait annuellement sa conservation. « Par son entretenement, en raison de sa grandeur et largeur, dit un document officiel, il avait fallu ruiner les forêts royales circonvoisines » (25).
De plus ces édifices résistaient mal aux inondations.
Au temps d'Henri IV, on construisait encore des ponts de bois, mais c'étaient les ponts de pierre qui paraissent avoir eu la préférence. On commençait aussi à reconnaître les désavantages que présentaient le défaut d'alignement et de parallélisme des piles, l'irrégularité de leur emplacement, la trop faible élévation ou le développement insuffisant des arches, l'inconvénient des empâtements énormes par lesquels les anciens constructeurs s'étaient efforcés à suppléer à l'insuffisance de profondeur des fondations.
L'art de la construction avait fait de réels progrès, comme le prouve l'édification du pont de Châtellerault, où l'on essaya de faciliter l'écoulement des eaux et la solidité de l'ouvrage par les soins apportés aux détails de l'établissement des piles et des arches.
Dans les villes, telles que Poitiers, les travaux exécutés alors montrent le souci de rehausser les arches et d'élargir les chaussées des ponts trop surbaissés et trop étroits qui dataient du Moyen-Age (26).
Leur longueur s'est accrue. Ainsi les ponts de pierre de la Nonnain, sur la route de Chinon à Poitiers, ont un développement d'une demi-lieue (2 kilom. 2) (27); le pont de Lusignan mesure 225 toises ou 436 m. 50; celui d'Homme, sur la route de Niort à Fontenay, 92 toises ou 178 m. 48 celui de Châtellerault, 72 toises, c'est-à-dire 137 m. 78, et, avec les portes, 144 mètres.
Quant à la largeur, elle variait suivant l'ampleur du travail. A Châtellerault, elle atteignait 10 toises 3 pieds 6 pouces, soit environ 21 mètres au milieu au pont de la côte de Genillé, près de Lusignan, 18 pieds de « dehors en dehors », soit 5 m, 83 à celui de Notre-Dame de Grâce, sur la route de Lusignan à Saint-Maixent, 15 pieds, dans les mêmes conditions, soit 4 m. 86 de même à Boutinet, sur le grand chemin de Niort à Saint-Jean. Le pont d'Homme, qui n'avait que six pieds de large, malgré ses grandes dimensions en longueur et le nombre de ses arches, était jugé trop étroit pour le passage des charrettes.
Du Cerceau estime, en 1611, qu'il faut l'élargir de 4 pieds, et le porter ainsi à dix pieds, c'est-à-dire à 3 m. 24.
D'autres ponts, tels que ceux de la Maladrerie de Saint-Maixent et du Pied de Fondvieil, sur la route de Niort à la Rochelle, n'avaient que 7 ou 8 pieds de largeur. L'architecte du roi semble avoir été d'avis qu'il convenait d'attribuer, même aux plus petits, une largeur uniforme de 15 pieds (4 m. 86), égale à celle des chaussées (28).
On était parvenu à donner aux fondations plus de solidité et aux arches plus d'ampleur. Pour établir les premières, on se servait de bàtardeaux qui permettaient d'arrêter et d'épuiser l'eau pendant les travaux.
On employait, comme au pont de Châtellerault, pour la partie immergée, des pierres de taille très dures, telles que celles de Damassault que l'on avait fait venir à grands frais.
On avait reconnu que la pierre de tuf des environs de la ville fondait dans l'eau ou éclatait à la gelée.
C'est pourquoi, dans cette construction modèle, les piles de la partie émergée elle-même étaient bâties de pierre dure, de moindre qualité, mais encore fort bonne et plus belle par le poli (29).
On observe aussi ce fait au nouveau pont de Lusignan, bâti à cette époque. A Port-de-Pille, où l'on avait négligé cette précaution et où l'assiette seule des piles et contrescarpes était en pierre dure, les grandes eaux, les gelées et le verglas avaient fait éclater, depuis 1608 jusqu'en 1610, les pierres tendres qui servaient de revêtement ou parement, de sorte qu'il fallait prévoir une dépense de 20001. en 1611 pour y remédier (30).
On soignait également davantage le travail des arches.
Celles du pont de Châtellerault, chef-d'œuvre du genre, admirées pour leur hardiesse et leur grandeur, étaient au nombre de neuf et mesuraient 9 m. 80 d'ouverture. « Leurs voûtes, dit un spécialiste, sont construites suivant des anses de panier dont les flèches vont en augmentant jusqu'à l'arche centrale qui est presque en plein cintre.
Les têtes de voûte présentent de grandes cornes de vaches qui se marient très bien avec les avant et les arrière-bacs des piles, dont la presque totalité est comprise dans dans la largeur utile du pont » (31).
Du côté du faubourg Chàteauneuf, un petit pont de 3arches faisait suite au grand. L'ensemble était donc de 12 arches. Après le pont de Châtellerault, on peut citer le pont de Grip, sur la route de Niort à Saint-Jean, avec 7 arches, et le pont d'Homme, sur la route de Niort à Fontenay celui-ci comptait 6 arches, à savoir 4 grandes et 2 petites.
La plus grande avait 9 pieds de large (2 m. 19), les autres 9 àl 8 pieds (1 m. 94 à 2 m. 59) les plus petites, 4 pieds (1 m. 29).
Au pont de Lusignan (pont de la Chapelle de Grâce), deux des quatre arches ont 5 pieds d'ouverture, et les deux autres, 4 pieds. En revanche, le pont de Genillé, près de la même ville, n'a que 3 arches, mais elles sont de 10 pieds (3 m. 24) chacune. Celles du pont de la Maladrerie, à Saint-Maixent, au nombre de deux, ont 5 pieds et 1/2 de large. Le minimum pour les ponts de une à deux arches semble avoir été de 3 à 4 pieds d'ouverture (0 m. 97 à lm. 29).
La hauteur variait beaucoup. Elle était, au-dessus de l'eau et de la principale arche, de 11 pieds (3 m. 56), au pont d'Homme, et s'abaissait ensuite aux extrémités au niveau du sol au pont de la Chapelle de Grâce, à Lusignan, elle atteignait 6 pieds et 1/2 au pont de la côte de Genillé, 7 ou 8 pieds au pont de la Maladrerie de Saint-Maixent, 5 pieds et 1/2. Pour les petits ponts, elle pouvait s'abaisser à 3 pieds (environ 1 m.) (32).
De solides parapets en pierre dure les bordent. Au pont de Châtellerault, ils ont un pied d'épaisseur (0 m. 324), 10 toises 4 à 5 pieds de longueur; à leurs extrémités, ils s'appuient sur deux murs. De chaque côté, ils sont bordés d'une sorte de trottoir « ou platebande de pierres plates de 3 pieds 6 pouces de large, supportée de distance en distance par des corbelets et sur laquelle passent les promeneurs » (33).
Au pont d'Homme, ceux dont on prévoit la construction en 1611 doivent avoir deux pieds de haut (0 m. 648), un pied et demi d'épaisseur (0 m. 48) et être bâtis a à chaux et à sable ». Au nouveau pont de Lusignan, on leur a donné 11 toises (21 rn. 34) de longueur, ils ont été revêtus de tables de pierre dure assujetties par des liens de fer. Pour les ponceaux de une à deux arches, on se contente de parapets d'un pied et demi de hauteur, d'un demi-pied ou d'un pied et demi d'épaisseur. Ils sont traversés par des chaussées pavées qu'on s'efforce d'entretenir pour « obvier au dépérissement ».
Ces travaux d'art coûtent parfois fort peu. Ainsi le ponceau prévu par Du Cerceau près de Saint-Gaudin, sur un ruisseau dérivé de la Sèvre niortaise, n'est évalué qu'au prix de 250 1.. Celui de Saint-Gaudin même, sur la route de Niort à la Rochelle, s'élève à 700 1., mais il y a deux petites arches et une large chaussée de 23 toises; le pont de Chair de Cou, sur la Guironde, coûte 2.600 livres.
Les réparations de celui de Port-de-Pille. la réfection des piles et des fondations ainsi que de leurs revêtements, comportant jusqu'à huit assises de pierre dure, y compris celles de la chaussée, sont estimées au chiffre de 2.030 livres. Celles du pont d'Homme, qui consistent à resaper les arches et à en refaire trois ou quatre à neuf, sont évaluées, y compris 60 toises de pavé, à 4.000 livres (34).
Quant à la dépense d'une œuvre d'art, telle que le pont de Châtellerault, elle a exigé, pendant plus de 40 ans, de grosses sommes. On avait voulu édifier un monument, et on y réussit, mais moyennant de grands sacrifices d'argent.
A l'issue du pont, les du Cerceau élevèrent la porte grandiose et les tours élégantes qui comptent parmi les chefs-d'œuvre de l'architecture civile du commencement du XVIIe siècle.
La porte haute, large, avec une voûte hardie, était surmontée d'un magnifique pavillon et flanquée de chaque côté de deux bâtiments carrés d'une sobre élégance, entourés de fossés semi-circulaires où coulait l'eau de la Vienne, et couronnés de deux grosses tours rondes, dont la silhouette se détachait au loin (35). Le pavillon seul avait coûté 8.000 livres.
Les dépenses totales du pont de Châtellerault, évaluées à une moyenne de 5.000 livres par an, dépassèrent certainement 200.000 livres, c'est-à-dire un million et demi à deux millions d'aujourd'hui (36).
Elles donnent une idée de l'importance des travaux entrepris sous l'administration si active de Henri IV et de Sully.
P. BOISSONNADE, Professeur à l'Université de Poitiers,
Les voies de communication terrestres et fluviales en Poitou sous le règne de Henri IV et l’œuvre du Gouvernement Royal. <==.... ....==> Juillet 1604, Réception royale par le corps de ville de la Rochelle au duc de Sully, gouverneur du Poitou.
Les monuments anciens, consacrés à un usage public, doivent être envisagés sous divers aspects dont l'ensemble, réuni, condensé et soumis à une étude approfondie, conduit à des déductions profitables à la vérité. Et les faits sont d'autant plus certains qu'ils sont justifiés par des textes contemporains dont l'authenticité défie la critique.
(1) Mémoires de Robert du Dorat sur le Poitou et la Marche, 1650 (Mis. Coll. Fonteneau, XXIX, 1° 47).
(2) Bail an rabais de In fourniture des pierres pour le pont de Châtellerault, 25 mars 1565 ; p.p. A. Barbier, dans Mem. Soc. Antiq. Ouest, 1900, p.32 à 34.
(3) Ibid., p. 32.
(4) Pr.-v. de visite (1611), dans Labbé p. 330.
(5) Pr.-v. (1611); ibid., p. 325, 379.
(6) Delamare, Traité de la Police, t. IV, p. 475.
(7) Pr.-v. (1611), p. 325 à 379.
(8) Palma. Cayct, Chronologie septénaire; II, 282. Isaac Laffemas, Hist. du commence dans Arch, cur. Hist. de France, t. XIV, p. 115 à 1 17.
(9) Voir, dans la Revue Henri IV (tI.I,p 59), l'article de M. Jadart.
(10) CLOUZOT, op. cit., p. 160 sqq.
(11) LA POPELINIERE, Hist. des troubles; 1. XI, 319.
(12) Bibl. munic, de Poitiers, AA, 27.
(13) Clouzot, op. cit p. 167, 169, 171.
(14) Ibid., p. 171, 176.
(15) Guide des Chemins p. 111
(16) Chronique de Langon, p. p. La Fontenelle, 1841, p. 104.
(17) Etat des ponts….. (18° s.), déjà cité.
(18) Reg. des délib. mun. de Poitiers, 1598-1604 (Arch. mun., n 57 à 61).
(19) G. Fagniez, L'économie sociale de la France sons Henri IV, p. 185.
(20) Arrêt du Conseil, 1er jun 1594 (Bibl. Nat; ms. fr. 18.159, f° 165).
(21) Pr.v. v (1611), p. 325, 373, 337, etc..
(22) Du Chesne, Les Antiquités et recherches des villes de France, 1609, II,644..
(23) A. Baubier, Le pont de Châtellerault (Mém. Soc. Ant. Ouest, 1900, p. 7, 12, 18, 48 à 60) exposé diffus, qui vaut surtout par les pièces justificatives extraites du reg. 38 des Arch. mun, de Châtellerault. Lalanne, Hist. de Châtellerault, t. I, p. 1 27 sqq.- Reg. du Bureau des finances de Poitiers (1594-1 595) aux Arch. départ. de la Vienne (C 75, 76).
(24) Jodocus Sincerus, p. 132. – B. Fillon, Rech. sur Fontenay (1847, in-8), t. 1, p.130.– Pr.-v. (1611), p. 325.
(25) Lett. pat. du 20 mars 1576, dans Barbier, op cit., p. 8 et P. j., n 4.
(26) Pr,-v. de visite du Clain, 25 aviil 1596, p. dans les Affiches du Poitou, 13 sept. 1781. – Reg. dél. mun. Poitiers, 1598-16055, n 58-61.
(27) Guide Estienne, p. 209.
(28) Pr.-v. (1611) p. 326, 358, 376 à 380.
(29) Description du pont de Châtellerault, par Roffay DES Pallus (̃1739). Bibl. Nat., ms. fr. 14.595; Bibl. mun. de Poitiers, ms. de la Coll. Fonteneau; ms. de la Soc. Ant. Ouest, autres copies.
(30) Pr.-v. (1611), p. 326.
(31) R. Morandière, Traité de la construction des ponts, cité par BARBIER, op. cit., p. 76.
(32) Descr. du p. de Ch., par Roffay. – Pr-v. (1611), p. 326, 348, 358, 373 à 379g, 348 à 353, 380.
(33) Descr. du p. de Ch., par Roffav. .
(34) Pr.-v (1611), p. 380, 358, 378, 379, 396.
(35) Descriptions dues à Zinzerling (p. 158), Golnitz (p. 298), Roffay des Pallus, A. Barbier (op. cit. p. 84), Lalanne (op. cit. 1. p. 131), A. Labbé, Les tours du pont de Châellerault (1896, in-8"). .
(36) Le calcul résulte des documents réunis par A. Barbier.