4 mars 1589 Le Serment de Henri IV à Châtellerault
Lors de l'inoubliable manifestation qui a marqué le 8 septembre 1944 la libération de Châtellerault occupée depuis le 23 juin 1940, nous nous sommes plu à montrer que dans des circonstances analogues notre pays avait eu l'heureuse chance de trouver les hommes qui avaient su dire les paroles de réconfort, de discipline et d'espoir.
Celles qu'avait prononcées le Président du Gouvernement provisoire de la République Française venaient de la même inspiration que celles qu'avait lancées de Châtellerault Henri IV, le 4 mars 1589.
Dans les deux cas c'est le même appel au grand devoir d'union pour sauver le pays, c'est le même accent, la même objurgation pathétique.
En mars 1589, les passions politiques et religieuses avaient brisé l'unité intérieure de la Nation, surveillée et guettée à l'extérieur par un adversaire qui entendait bien mettre à profit l'occasion tentante.
Héritier présomptif de Henri III, le roi de Navarre voit se dresser contre lui la Ligue, la reine Marguerite sa femme, le pape Sixe-Quint qui le dépossède, « lui et sa postérité, de ses prétendus royaumes », puis plus tard le terrible Comité des Seize qui n'hésite pas à conspirer avec l'étranger.
Pendant quatre ans, Henri IV tient le maquis, passe au travers de cent embuscades au péril de sa vie, échappe à plusieurs tentatives d'assassinat, voit croître peu à peu autour de lui les forces de l'intérieur que l'intrépidité et la renommée ; du chef enthousiasme, remporte enfin le grand succès qui assure son autorité. Puis les Guise sont assassinés, Henri III semble avoir du coup retrouvé son autorité royale. Les Etats Généraux réunis à Blois comprendront-ils le tragique de la situation?
C'est à eux que s'adresse le roi de Navarre qui, trois mois après, deviendra Henri IV.
Il séjourne à Châtellerault où il a établi son Quartier -Général.
Il est décidé à sauver la France des factieux. Il soutiendra Henri III. La voisine, Diane de Poitiers, de son château de Puygarreau, l'aide dans son projet.
Et c'est de Châtellerault, le 4 mars 1569, que part le manifeste du roi Henri IV à l'adresse des Etats Généraux.
Aucun chef du Gouvernement ne parla langage si haut, si noble, si empoignant, si énergique, si français.
« Jamais mon pays n'ira après moi, écrit-il. Son utilité précédera toujours la mienne, et toujours on verra mon mal, mes dommages, mes afflictions courir devant celles de la Patrie. »
Il adjure les catholiques et les hugenots de mettre fin à leurs luttes. Il les somme « de dépouiller les misérables passions de guerres et de violences qui dissipent et démembrent ce bel état, qui nous ensanglantent du sang les uns des autres, et qui nous ont déjà tant de fois fait la risée des étrangers et à la fin nous feront leur conquête ».
Il s'adresse ensuite aux trois ordres, aux villes.
« Toi, peuple, dit-il, quand ta noblesse et tes villes seront divisées, quel repos auras-tu? Le peuple, le grenier du royaume, le champ fertile de cet Etat, de qui le travail nourrit les princes, la sueur les abreuve, les métiers les entretiennent, l'industrie leur donne les délices à rechange, à qui auras-tu recours quand la noblesse te foulera, les villes te feront contribuer. »
Et il lança ce cri : « Nous sommes dans une maison qui va fondre, dans un bateau qui se perd, et n'y a nul remède que la Paix. Je la demande pour moy, pour tous les Français, pour la France. » Il ajoute : « Quant à ceux qui retiennent encore le nom et le parti de la Ligue, je les conjure comme Français de penser à eux : qu'ils se contentent de leurs pertes comme je fais des miennes; qu'ils oublient le particulier pour le public; qu'ils donnent leurs passions, leurs querelles, leurs vengeances et leurs ambitions au bien de la France leur mère. »
Et il termine par ce serment : « Finalement, après avoir fait ce qui est mon devoir en cette si solennelle protestation que je fais, si je reconnais les uns ou les autres, ou si endormis ou si mal affectionnés que nul ne s'en émeuve, j'appellerai Dieu, témoin de mes actions passées, à mon aide, pour celles de l'avenir, et vrai serviteur de mon roy, vray Français, digne de l'honneur que j'ai d'être premier prince de ce royaume, quand tout le monde en aurait conjuré la ruine, je proteste devant Dieu et les hommes qu'au hasard de dix mille vies, j'essaierai tout seul de l'empêcher. »
Henri IV soulignait la valeur de son serment en s'emparant de la Haye, de Montluçon et de Bourgueil, passait en Berri, prenait le château d'Argenton, puis le Blanc, imposant partout son autorité, obligeant les gentilshommes ligueurs à se soumettre, c'est-à-dire à combattre avec lui, ou à se démettre, ce qui signifiait pour eux l'obligation de se terrer sous sa haute surveillance.
En trois semaines, tout était réglé. Notons que le roi de Navarre mène ses opérations avec de très faibles effectifs. Il est rare qu'il soit à la tête de plusieurs milliers d'hommes.
Souvent quelques centaines. Parfois cinquante.
Mais quelle âme! Et quel style! « Mon faucheur, écrit-il à de Batz le 12 mai 1586, mets des ailes à ta meilleure bête.
Pourquoi? tu le sauras de moi à Nérac; hâte, cours, viens, vole; c'est l'ordre de ton maître et la prière de ton ami. »
Puis, c'est le bon compagnon. « Je te prie, Crapaud, viensmoi trouver », écrit-il à de Lestelle le 19 avril 1589, après avoir quitté Châtellerault, et amène ce que tu pourras, ce que tu voudras, car en quelque façon que je te vois tu seras le bienvenu. Ce que nous avons fait jusqu'ici pour rien compté au prix de ce que nous ferons à cette heure. »
Crapaud? C'était le surnom familier de Lestelle. Et de la même façon Le Borgne désignait Harambure, Souvré masquait La Gode.
Et voici le ton du commandement, au moment où il veut faire enregistrer par le Parlement qui s'y oppose l'édit de Nantes dont le texte a été rédigé à Châtellerault : « Ce que j'en ai fait, dit-il aux Conseillers, est pour le bien de la Paix; je l'ai faite au dehors, je la veux faire au dedans de mon royaume. Vous devez m'obéir. Si l'obéissance était due à mes prédécesseurs, il m'est dû autant ou plus de dévotion, parce que j'ai rétabli l'Etat. Je couperai la racine à toutes factions et à toutes les prédications séditieuses, j'ai sauté sur des murailles de ville, je sauterai bien sur des barricades. Je suis Roi maintenant et parle en Roi.
Je veux être obéi. A la vérité les gens de justice sont mon bras droit, mais si la gangrène se met au bras droit, il faut que le gauche le coupe. Quand mes régiments ne me servent pas, je les casse. »
Mais ses régiments le servaient.
Comme la nation, d'instinct, ils reconnaissaient et suivaient son panache « toujours au chemin de l'honneur et de la victoire ».
Louis RIPAULT, Maire de Châtellerault. 1944
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Lettre du roy de Navarre aux trois Estats de ce royaume, contenant la déclaration dudit seigneur sur les choses advenues en France depuis le vingtroisiesme jour de décembre 1588