Jean II le Meingre dit Boucicaut, maréchal de France. (1336-1421)
Le quatorzième siècle a été l'âge héroïque de la chevalerie; c'est dans ce siècle qu'un simple chevalier a porté l'épée de connétable et a commandé dans les batailles, même aux princes du sang royal.
A côté de Duguesclin brillaient Clisson, Sancerre, Blainville, Saintré, le premier Boucicaut sous le règne suivant, c'étaient le second Boucicaut, Roye, Chateaumorant, Saimpy.
Alors les chevaliers français étaient les premiers chevaliers du monde : nul ne leur disputait la palme de la valeur.
Dans les tournois, les joutes, les pas d'armes, les combats à la foule, c'étaient toujours leurs noms que proclamaient les hérauts.
On les voyait partout où il y avait à « férir » du glaive et de la lance; ils avaient la foi des premiers croisés, et comme eux ils aimaient à porter la guerre chez les ennemis du nom chrétien. Seulement ils n'allaient plus les chercher dans les plaines de la Palestine, mais en Hongrie et en Prusse. Il y en avait peu dans ce siècle qui n'eussent pas fait une ou deux campagnes avec les chevaliers de l'ordre teutonique contre les « Sarrasins. »
Je ne puis m'empêcher de dire ici que Saintré et les deux Boucicaut étaient de la Touraine : c'est l'honneur de mon pays!
Leur renommée est égale à celle des chevaliers les plus illustres de leur époque. Duguesclin seul a rendu de plus grands services à la France.
Jean de Saintré est le héros d'un des plus jolis romans que nous aient laissés les écrivains du moyen âge.
Jean Ier, maréchal de Boucicaut, fut son frère d'armes et son rival de gloire. On trouve parmi les poésies du temps un quatrain qui prouve qu’elle estime faisaient d'eux leurs contemporains :
Quand vient à un assault,
Mieux vault Saintré que Bouciquault;
Mais quand vient à un traicté,
Mieux vault Bouciquault que Saintré.
Jean Ier, maréchal de Boucicaut, fut le premier héros de sa race.
On ne sait ni d'où il venait ni quelle était son origine quand il parut à la cour de Philippe de Valois. Tout ce qu'on peut affirmer, c'est qu'il est né à Tours, dans les premières années du quatorzième siècle, que son nom est Lemengre, changé en Lemeingre par la prononciation, et qu'il reçut, on ne sait pourquoi, le surnom de Boucicaut, qui, en vieux langage, signifie mercenaire.
Ce surnom est devenu le nom patronimique de ses enfants.
Sa famille était-elle de la Touraine? On l'ignore. Il existe en Bourgogne une famille Lemengre d'origine noble; est-ce la souche d'où est sortie la branche des Boucicaut?
Quoi qu'il en soit, Boucicaut ne tarda pas à se distinguer par sa valeur, par son adresse dans tous les exercices de la chevalerie et plus encore par son habileté dans les négociations.
Il prit part à presque tous les combats qui se livrèrent de son temps, fit la guerre avec Duguesclin et Clisson, conduisit quelquefois seul les transactions diplomatiques les plus importantes, en un mot, contribua puissamment à l'illustration des règnes de Jean II et de Charles V.
Boucicaut marchait l'égal des plus grands hommes de son siècle; et il est permis de croire que s'il eût été Breton, Duguesclin l'aurait préféré à celui que les Anglais avaient surnommé « le Boucher. »
Du moins est-il vrai de dire que Boucicaut fut un guerrier aussi illustre, un négociateur plus habile, un homme d'État plus consommé, un chevalier plus rempli des vertus que ce titre imposait, que le connétable Olivier de Clisson.
Il laissa à son fils, appelé Jean comme lui, avec une fortune médiocre (deux cents livres tournois de rentes), un nom trop grand pour être facile à porter.
Cependant Jean II l'éleva plus haut encore et en fit un des noms les plus glorieux de la monarchie.
Jean II, maréchal de Boucicaut, participa largement des gloires de son siècle; il fut, comme son père, guerrier habile et courageux, chevalier sans reproche et sans peur, négociateur prudent; mais, plus que lui, il prouva qu'il savait gouverner les peuples, et il se distingua parmi les poètes illustres de l'époque à laquelle il vivait.
Il porta sa valeur et sa renommée presque dans tout le monde connu. Aucune vie n'a été plus remplie que la sienne. Il faut l'étudier à l'égal de celles de Duguesclin et de Bayard.
Pourquoi son nom n'a-t-il pas été aussi admiré, aussi chéri de la postérité? Je l'ignore. Peut-être les grands noms, comme les livres, ont-ils leurs destinées.
Jean II est né à Tours, en 1366, dans l'hôtel de son père, où a depuis été bâtie l'église des jésuites. Cet hôtel était précédemment celui qu'habitaient nos rois quand ils venaient à Tours.
La mère de Jean II s'appelait Florie; elle était fille de Godemar de Lignières et de Marguerite de Pressigny : ce qui prouve que Jean Ier était d'une famille noble et jouissant déjà de quelque illustration quoique l'histoire n'en parle pas.
Le second Boucicaut n'avait encore que deux ans quand son père mourut. « Si fut cet enfant bel, dit son biographe «anonyme, et doucet et plaisant à nourrir, qui, au veuvage de sa mère, fut grand reconfort; car au fur qu'il croissoit, grâce et beauté multiplioient en lui. Si fut enfant bel, gracieux et de joyeux visage, un peu sur le brunet, et assez coloré qui bien lui fit. Si estoit avenant, joyeux et courtois en tous ses enfantibles faits. Et quand il fut un peu parcrû la bonne et sage mère le fit aller à l'école, et lui continua à y aller tant qu'elle l'eut avec soi en ce temps de son enfance.
De bonne heure il montra ce qu'il devait être un jour ses jeux étaient des pas d'armes, des sièges et des batailles; et partout il était le maître et le juge de ses-camarades. Il arriva qu'une fois son précepteur l'avait frappé parce qu'il avait donné un soufflet à un enfant qui l'avait démenti; et comme il ne pleurait pas, le précepteur lui dit : « Regardez; est-il bien fier ce seigneur-là ! il ne daigne pleurer. » Boucicaut lui répondit : « Quand je serai seigneur, vous ne m'oserez battre ; et je ne pleure point parce que, si je pleurais, on saurait bien que vous m'avez battu. »
Charles V, qui n'avait point oublié les services de son père, voulut qu'il fût élevé à la cour, et le plaça, en qualité d'enfant d'honneur, auprès du dauphin, depuis Charles VI.
Dès l'âge de douze ans, le jeune Boucicaut témoigna le plus vif désir de faire la guerre; il sollicita si vivement et avec tant de persévérance la permission de suivre l'armée, qu'il obtint en 1378 de faire sous Louis II, duc de Bourbon, la campagne de Normandie.
De là il passa en Guyenne avec le maréchal de Sancerre.
A son retour « Jà estoit venu Boucicaut en l'âge et au temps que amour naturellement a coutume de prendre le treu (l'impôt) et la paie de tous jeunes nobles courages. »
Boucicaut fut donc amoureux. Mais le biographe met dans le récit de ses amours autant de discrétion que le jouvencel aurait pu en mettre lui-même. Il ne nous dit point quelle fut la dame des pensées de notre héros; seulement il nous apprend que l'amour et le désir d'être aimé accrurent en Boucicaut le courage et la volonté d'être vaillant et valeureux.
Le noble enfant se prit à faire rondeaux, virelais, lais et complaintes d'amoureux sentiment : « Desquelles choses faire doucement et gaiement Amour le fit en peu d'heures si bon maistre que nul ne l'en passoit, si comme il appert par le livre des Cent ballades, duquel faire lui et le sénéchal d'Eu furent compagnons au voyage d'outre- mer. »
En ce temps-là, l'amour était pour les jouvenceaux une excitation nouvelle « à venir au haut honneur et prouesse de chevalerie. »
Et quand le roi Charles VI partit pour aller soumettre les Flamands, révoltés contre leur comte, Boucicaut voulut être du voyage.
Il fut fait chevalier de la main du bon duc de Bourbon qui l'aimait, et en la compagnie duquel il était, après la bataille de Rosebecque en laquelle il s'était signalé par un trait de bravoure extraordinaire (1382).
Il s'était «accouplé main à main » avec un Flamand d'une haute stature. Le Flamand, qui le voyait si petit, le prit pour un enfant, et le repoussant du manche de sa hache, il lui dit : « Va téter, enfant. Je vois bien que les François ont faute de gens quand les enfans mènent en bataille. »
Mais Boucicaut tira sa dague, se jeta hardiment entre les bras du colosse, lui porta au défaut de la cuirasse un coup qui lui perça la poitrine : « Les enfans de ton pays, dit-il à son tour, jouent-ils à de pareils jeux? »
Depuis ce temps, Boucicaut fut de toutes les campagnes; et d'abord, avant de retourner à Paris, il se rendit en Prusse;
Puis en 1385 il accompagna en Guyenne le duc de Bourbon, qui y prit Taillebourg, Breteuil et d'autres châteaux encore.
Comment Mesire Boucicaut après le retour de Prusse alla avec le Duc de Bourbon devant Taillebourg, et devant Bertueil, qui furent pris, et autres chasteaux en Guyenne.
Au temps de lors les Anglois occupoienr moult le Royaume de France en plusieurs lieux, c'est à sçavoir maintes villes et chasteaux que ils tenoient par force, tant en Picardie, comme en Guyenne et autre part.
Combien que Dieu mercy, par la vaillance des bons François ja en estoit le pays moult descombré, et tousjours alloit en amandanr au proffict du Roy de France, par les bons vaillans qui peine y menoient.
Entre lesquels quels bons et vaillans estoit le bon Duc de Bourbon dessus nommé, qui aux dict Anglois faisoit souvent maintes envahies, dont il yssoit à son honneur.
Et pour ce, comme dict le Proverbe commun, Que chacun aime son semblable, pourtant qu'il estoit bon, aimoit-il moult cherement Boucicaut, pour cause qu'il le voyoit hardy, et vaillant, et passer tous les jouvenceaux de son aage. Si le tenoit volontiers pres de luy, et grand plaisir avoit que il seult en sa compaignée.
Si avint la saison apres que le dict Boucicaut fut retourné de Prusse, cornme dict est, que le Duc de Bourbon s’appresta pour aller en Guyenne, mettre le siege devant aucuns chateaux que les Anglais tenoient.
Si mena avec luy moult belle compaignée.
C'est à sçavoir mille cinq cent hommes d’armes, et foison de traict. En celle compaignée ne s’oublia pas le bon Boucicaut, qui moult enuis eust demeuré derriere.
Ains tout ainsi que les belles Dames ont couslume se resjouir d'aller à feste, ou les oiseaux de proye quand on les laisse voler apres la proye, se rejouissoit celuy gracieux jouvencel d’aller en armée.
Quand le Duc de Bourbon fut en Guyenne, il meit le siege devant Taillebourg, qui moult estoit fort chastel, et fut prins par force.
==> 1385. Prise de Taillebourg par Louis II duc de Bourbon
Puis alla mettre le siege devant Bertueil, qui est une forteresse de grand force, et là trouverent moult grand defence. Là feut faict une mine dessoubs terre, laquelle feut si bien continuée, que elle perça le mur du chastel, tant que les ennemis la veindrent defendre, et là endroict à estriuer.
Contre les dicts ennemis feut des premiers Boucicaut, qui à pousser de lance et d'espée main à main vaillamment se combatir, et longuement y souffrir. Elle telle maniere, que par luy et par ceulx qui le suivoient fut pris le dicte chastel, ou moult eut grand honneur Boucicaut, et moult en priserent les bons amis.
Apres ces forteresses prises le Duc de Bourbon alla devant un autre fort chastel appellé Mauleon.
Là feur livré fort assault, et au dernier feut pris par mine, et par eschelle, où feurent faict moult de belles armes.
Le premier en eschelle feut Boucicaut, qui longuement se combatit, et tant que nonobstant les pesans coups que on luy lançoit d'amont, tant de pierres, comme d'espées, nul ne le peut garder que il ne feult des premiers sur le mur: et là feit tant d'armes que plus faire nul n'en pourrait.
Ces choses faictes, le Duc de Bourbon alla devant un autre chastel appelléle Faon, mais la prise des autres forts chasteaux, espouventa ceulx qui dedans cestuy estoient, pource que ils voyaient que moult estoit le Capitaine, et sa compaignée vaillans.
Si n’oserent attendre l'assault, ains se rendirent à la volonté du bon Capitaine. Et pareillement se rendit au Duc de Bourbon vu autre foit Chastel appelé le bourg Charante.
==> La fabuleuse histoire du Cognac à Bourg-Charente
Pour ce que tout ne se peut dire ensemble, convient parler des matieres l’une apres l’autre. Si est à sçavoir que tandis que le siege duroit devant Bertueil, veindrent nouvelles en l’ost que les Anglois s’estoient assemblez, pour aller combatte une forte Eglise de nostre Dame.
Ces choses ouyes, s’assemblerent une compaignée de Chevaliers, est Escuyers, desireux d' acroistre leur honneur, et renommée, et dirent que ils leur seroienr au devant.
Boucicaut, qui autre chose ne queroit fors advanture d'armes, voulut estre de la route, et tant qu'ils feurent par route trente Chevaliers, et Escuyers, tous de grande renommée.
Assaut du château de Bourdrun
De celle compaignée fut Capitaine et conduiseur, pour ce que le pays sçavoit, et les destours, et les adresses, un Chevalier, qui au dict siege estoit, que on nommoit Messire Emery de Rochechouart.
Si montrerent tantost à cheval les trente bons Gentils-hommes, bien habillez de leurs harnois, et tant allerent par destours que ils vindrent à rencontrer les Anglois, qui garde d'eulx ne se donnaient, et bien estoient en nombre soixante dix.
Tantost l’entrecoururenr fus, et forte et aspre feue la bataille, qui n'estoit mie pareille.
Car plus du double les Ang1ois estoient : mais nonobqtant ce tant s'y porterent vaillamment les noslres, et tant feit bien chacun endroict foy, que les Anglois furent à la parfin tous morts, et desconfits, excepté neuf qui s’enfuirent.
Ce faict, le dict Messire Emery de Rochechouart les mena advanturer devant un chastel bien garny, appellé le Bourdrunt lequel par leur vaillance ils combatirent trois fois en un jour: mais pour ce que trop peu de gens estoient ne le peurent prendre, si leur en conveint partir.
1386 joute contre le routier Sicard de la Barre devant le château de Chalucet, en Limousin.
Cy dict comment le Duc de Bourbon laissa Messire Boucicau ès frontieres son Lieuteantn, et comment il jousta de fer de glaive à Messire Sicart de la Barde
Là s’estoit tant esprouvé Messire Boucicaut, que sa vaillance, laquelle avec la force luy croisoit de jour en jour estoit congneüe et manifestée à tous ceulx qui se trouvoient en armes en place où il fust.
Parquoy si grand honneur luy feit le Duc de Bourbon que au partir de pays, apres les dessus dicts chasteaux pris, comme dict avons cy devant, et que il s’en voulut partir et venir en France, le feit son Lieutenant és frontieres et au pays de delà, et ne laisa mie pour son jeune aage, que il ne luy laissast grand' charge de gens d'armes.
Et avec luy demeurerent Messire le Barrois, Monseigneur de Chasteaumorant, et Messire Regnauld de Roye, cent cinquante hommes d'armes, et cent arbalestriers.
Si n'en fut mie deçeu le Duc de Bourbon de là le laisser. Car n’y demeura pas oisiveté, ne en vain.
Car nonobstant l'hyver, et la dure saison, alla tantost assaillir une forteresse appellée la Granche, laquelle ils combatirent par trois jours, puis fut prise. Ne se deporta pas à tant en celuy hyver, ains ainsi comme en icelle morte saison les Gentils-hommes se seulent estatre à chasser aux Connins et Lieuvres ou autres bestes sauvages, le bon Boucicaut par maniere de soulas l’esbatoit à chasser aux ennemis, et le plus souvent ne failloit mie à prendre.
Et tout ainsi comme on a de coustume prendre icelles bestes en diverses manieres, c'est à scavoir à force de bons chiens, ou par traict d'arc, et de dards, ou par bourses et filets, ou autre manières de les decevoir, ainsi semblablement le vaillant Capitaine, qui contre ses ennemis se debvoit aider de plusieurs sages cauteles, les surprenoit en maintes maniercs.
Si voulut assaillir la forteresse de Corbier, et va ordonner une embusche ,où il feut, et avec luy Messire Mauvinet, son frere, et les autres dessus dicts compaignons, tant que ils feurent vingt huict Chevaliers, et Escuyers sans plus, tous hommes d' eslite.
Et ordonna que une route de ses autres gensd'armes iroient courir pardevant la dicte forteresse. Et ainsi feut faict car il s’alla embuscher au plus pres qu'il peut du chastel, et se cacha tout coyement entre arbres, et masures, qui là estoyent.
Tantost apres veindrent courir ceulx qu'il avoit ordonnez par devant le chastel. Quand ceulx de dedans veirent nos gens courir par devant eulx, tantost faillirent dehors, et les meirent en chaffe.
Car tout de gré les nostres fuyoient. Quand ils feurent davantaige eslongnez, adonques faillit l’embusche; et prirent à courir vers la porte du chastel pour eulx ficher dedans.
Quand la Guette du chastel veid faillir l’embusche tantost escria par son signe au Capitaine, et à ceulx qui estoient avec luy faillis dehors que ils retoumassent, et ils le feirent tantost.
Mais si tost ne feurent arriver, que ils ne trouvassent ja Messire Boucicaut combatant à pied par devant la porte.
Car tout le premier devant ses compaignons, comme le plus courageux estoit là arrivé: ou il faisoit merveilles d'armes: mesmement devant que ses compaignons veinssent.
Car ja avoit pris le compaignon du Capitaine, qui le plus vaillant de ceulx de dedans estoit.
La estoyent ses gens arrivez, avant que ceulx du chastel pcussent estre retournez. Lors commencea la bataille grande et fiere: mais tant y ferit le de bon Boucicaut avec sa compaignée, que ceulx du chastel feurent tous morts et pris, exceptez cinq qui s’enfuirent, et se bouterent au chastel, tandis que les autres se combatoient.
Quand ce feue faict, Boucicaut avec les siens se va loger devant le chastel, et envoya querir tout le demeurant de ses gens.
Si meit son siege par belle ordonnance.
Quand ceulx de dedans veirent ce, ils n'oserent attendre l'assault, ains se rendirent, sauves leurs vies.
Si feit Boucicaut la forteresse raser par terre.
Et apres s’en retourna en son logis: car il en y avoit qui metier avoient de repos.
Mais comme Messire Boucicaut laissoit guairir ses gens et reposer, luy fut rapporté que un Chevalier Anglois de Gascongne, appellé Messire Sicart de la Barde, avoit par maniere d'envie dit de luy aulcunes paroles, comme en disant que il n’avoit mie le corps taillé d'estre vaillant comme on le tenoit.
Pour lesquelles paroles, nonobstant que celuy fust un des beaux Chevaliers que on sceust, et tres vaillant homme d'armes, luy manda Boucicaut, que pour ce que il le sçavoir un des meilleurs des plus beaux Chevaliers que on fceust, il de tiendroit moult honnoré d'avoir aulcune chose à faire avec luy, et pour ce le prioit que il luy voulust faire cest honneur que il luy voulust accomplir aucunes armes telles comme luy mesme voudroit choisir, et deviser.
Car il estoit jeune et novice en faict d'arrnes, si avoit bien mestier d'estre apris et enseigné d'un si vaillant homme comme il estoit.
Quand le Chevalier eut entendu ceste requeste, pour ce qu'il se sentoit bon jousteur, il luy remanda qu'il luy accomplirait volontiers un certain nombre de coups de fer de glaive.
Ceste chose accordée, la journée feut emprise, et la place où seroit.
Quand ce veint au jour deuisé, Messire Boucicaut se partit bien monté, et bien habillé, accompaigné des principaux Gentilshommes des siens, & alla devant le chasteau de Chaulucet, de laquelle garnison le dict Messire Sicart de la Barde estoit:
Car par sa grande hardisse avoit le dict Messire Boucicaut accepté la place devuant la dicte forteresse.
Là s’assemblèrent deux Chevaliers à la joute:
Le premier coup ne faillit pas Messire Sicart, ains assena Messire Boucicaut en targe si grand coup, que à peu ne le feist voler des arçons. Ne l'assena pas à celuy-coup Boucicaut, pour son cheval qui se defroya.
Si feut durement couroucé. Les lances leur feurent rebaillées, et derechef poignirent l'un contre l’autre. A celuy coup ne faillie mie Boucicaut , qui grand peine meir a bien viser. Si assena son compaignon en la visiere, que il rompit les boucles, et a peu qu'il ne luy fut voler le baciner du chef, et du coup fut estrourdy , que qui soustenu ne l'eust, il alloit par terre.
La tierce fois poignirent l'un contre l’autre, il assna Messire Boucicaut, si que la lance vola en pieces, et leschine luy feir plier.
Mais Boucicaut le assena tellement, qu'il n'eut fi bon harnois qui le garentist qu'il ne luy fischast la lance par entre les costez, et le porta par terre, si que on cuidoit qu'il fust mort: Et ainsi finit ceste joute sans parfaire le nombre des coups, qui vingt debvoient estre.
Mais l'essoine de l’une des parties acheva l'emprise.
Si s’en partit Messire Boucicaut à tres-grand honneur; et assez tost apres le Duc de Bourbon, par le commandement du Roy l'enuoya querir. Si s’en retourna à Paris. . .
Toujours fidèle serviteur du duc de Bourbon, il le suivit en Espagne, où ce prince allait secourir le roi de Castille contre le duc de Lancastre et le roi de Portugal.
A son retour, il prit le Bras-de-Saint-Pol, en Guyenne. Là, nouvel Horace, il avait soutenu seul sur le pont, pendant plusieurs heures, tous les efforts des assiégés. Ses travaux guerriers lui méritèrent le titre de lieutenant-général.
La guerre ne le retenant plus en France, il se rendit à Venise, passa à Constantinople, de là en Grèce, où il resta plusieurs mois, et revint à Venise par la Bulgarie et la Hongrie.
Il s'embarqua pour la Terre-Sainte, visita Jérusalem et le saint sépulcre.
Puis, ayant appris que le comte d'Eu était retenu prisonnier à Damas par le soudan de Babylone, il vint dans la première de ces villes, accompagna le comte jusqu'au Caire, et s'enferma pendant quatre mois avec lui dans sa prison.
Rendu enfin à la liberté, le comte d'Eu, en compagnie de Boucicaut, revint en France par Jérusalem.
Oct. 1389 Le comte d'Eu, en compagnie de Boucicaut rencontrèrent à l'abbaye de Cluny le roi Charles VI, qui allait prendre possession de la province de Languedoc.
Lorsque le comte d’EU et Boucicaut rentrèrent en France, en octobre 1389 » ilz trouverent en leur chemin le roy qui estoit a Cligny l’abbaye et s’en aloit prendre la possession de Languedoc, ou il n’avoit oncques esté ».
On sait, en effet, que Charles VI avait entrepris ce voyage au mois de septembre pour connaitre le sud du royaume, pour effacer par des mesures de répression les résultats de l’administration prévaricatrice de son oncle, le duc de Berri, et pour recevoir l’hommage de ses vassaux.
Parti de Paris le 2 septembre, le roi de France était passé par Vincennes, Nevers et Moulins ; il séjournait à l’abbaye de Cluny du 11 au 13 octobre. Se serait donc à cette date, d’après le chroniqueur, que Boucicaut et le comte d’Eu auraient rejoint la cour au terme de leur voyage d’outre-mer
Boucicaut passa alors de la maison du duc de Bourbon dans celle du Roi.
Boucicaut et les fameuses joutes de Saint-Inglevert, non loin de Calais
Le duc de Bourbon étant revenu à la cour, Boucicaut fut nommé son lieutenant pendant son absence.
C'est alors qu'il contracta avec Reynaud de Roye cette noble fraternité d'armes qui dura toute leur vie.
Pendant cette campagne, il jouta contre plusieurs Anglais, du nombre desquels étaient Pierre de Courtenay et Thomas de Cliffort, et remporta tous les honneurs de ces joutes.
Dans l'hiver de 1389, Boucicaut, Reynaud de Roye et le sire de Saimpy firent, avec l'agrément du Roi, crier dans tous les royaumes de la chrétienté que, depuis le 20 mars de cette année jusqu'au 20 avril suivant, ils tiendraient la place entre Calais et Boulogne, au lieu appelé Saint-Rion-le-Vert.
Ils annonçaient qu'ils seraient prêts à livrer la joute à tous chevaliers et écuyers qui les en requerraient, excepté les vendredis ; à savoir cinq coups de fer de glaive ou de rochet à tous ceux qui seraient ennemis du royaume et qui requerraient l'un ou l'autre, et à ceux qui seraient amis du royaume, cinq coups de rochet seulement.
Voyez, sur les joutes de Saint-Inglevert, près Boulogne, le poème contemporain en strophes octosyllabiques sur ces joutes, publié par M. le baron Jérôme Pichon (Paris, 1863, in-8°) à la suite d'une Partie inédite des chroniques de Saint-Denis (Paris, Lahure, 1864) et les Chroniques de Froissart (éd. Buchon, t. III, p. 22 et p. 40-57, liv. IV, chap. VI et VII).
Dans le Livre des faits de Jean Bouciquaut (même édition, même volume, p. 583), on trouve une relation détaillée de cette joute dans un chapitre (partie I, chap. XVI) qui porte ce titre :
« De l'emprise que messire Bouciquaut fist, luy troisième, de tenir champ trente jours à la jouste à tous venans, entre Boulogne et Calais, au lieu qu'on dict Sainct-Enghelbert. »
Cette lutte est un des faits d'armes les plus extraordinaires d'une époque plus féconde que nulle autre en combats singuliers.
En 1389, Boucicaut avait fait annoncer et publier, dans tous les pays chrétiens, avec l'autorisation du roi de France, que, pendant trente Jours, du 20 mars au 20 avril de l'année suivante (Froissart dit du 21 mai au 21 juin), il se tiendrait avec deux chevaliers, messire Renault de Roye et le sire de Saint-Py, ou de Sampy, à la disposition de tous les champions qui voudraient lutter contre eux.
Avant le jour fixé, le sire de Boucicaut se trouvait à Saint-Inglevert et faisait dresser son pavillon portant cette devise :
CE QUE Vous VOULDREZ.
Les champions ne pouvaient manquer de répondre à cet appel, qui semblait un défi aux chevaliers anglais.
Une trêve conclue pour trois ans pesait à tous les jeunes gentilshommes des deux nations, qui ne rêvaient que guerre et combats.
Aussi vint-il à Calais en 1390, une nombreuse noblesse, tant pour assister à la lutte que pour y prendre part.
L'emprise fut une des plus brillantes qui aient eu lieu en France et dans le monde entier par le nombre des chevaliers de toutes les nations qui s'y rendirent, par le courage et l'adresse qu'ils y déployèrent, par la magnificence qu'étalèrent les tenants, et par le concours immense de dames, de seigneurs et de gens d'armes qu'elle attira dans la province.
Le Roi fit à Boucicaut et à ses compagnons présents de dix mille livres, à cette occasion. Les chevaliers français s'en tirèrent avec le plus grand honneur; aucun d'eux ne fut blessé ni vaincu.
Le premier qui jouta contre Boucicaut fut le fameux Jean de Hollande frère du roi Richard d'Angleterre, qui y perdit l'avantage.
Après lui, le comte de Derby, le comte Maréchal, le seigneur de Beaumont, messire Thomas de Perci, le sieur de Clifort, le sire de Courtenay et nombre d'autres (voy. Froissart) se mesurèrent successivement avec le sire de Boucicaut et ses compagnons.
Pendant quatre jours, de nombreux chevaliers venus de toutes les parties de l'Angleterre luttèrent contre les trois seigneurs français sans leur faire aucun mal ; puis, on se sépara avec la plus grande courtoisie.
Boucicaut resta trente jours à Saint-Inglevert avec ses deux compagnons, et ce défi leur fit à tous trois d'autant Plus d'honneur que le roi s'était fort intéressé à ce combat et avait même voulu assister incognito aux premières rencontres.
Le Roi et toute la cour firent aux trois tenants l'accueil le plus flatteur et le plus empressé : l'honneur de la chevalerie française avait été maintenu envers et contre tous.
Dans un compte de l'argenterie de 1396, publié par Douët d'Arcq, un tapissier de Paris, Jean de Jandoigne ou Jaudoigne, est chargé de « rappareiller un tapis des trois chevaliers de France qui joustèrent en Engleterre. »
Ce travail est payé 16 sols parisis. Il faut probablement lire Ingelbert au lieu de Engleterre, qui ne se comprend pas. Cet article prouve que la tapisserie fut exécutée entre les années 1390 et 1396.
Puis le Roi l'éleva, en 1390, à la dignité de grand-chambellan.
Peu de temps après, Boucicaut, qui n'avait pu obtenir de suivre le duc de Bourbon en Barbarie, fit un troisième voyage en Prusse.
La campagne était finie; il revenait en France, chargé de nouveaux lauriers, lorsqu'il fut rencontré par un messager de Charles VI, qui lui dit que le maréchal de Blainville était mort, et que le Roi, se refusant à toutes les sollicitations qui lui avaient été faites, le mandait auprès de sa personne pour lui remettre le bâton de maréchal.
Boucicaut se hâta d'accourir à Tours, où la cour se trouvait alors.
23 décembre 1391 Quittance finale d'un prêt, dont Fontenay constituait la garantie, donnée par Jean II Lemaingre, dit Boucicaut, à Jean de Berry.
(Orig. Sur parchemin, faisant partie d’un recueil de documents du XIVe siècle, réunis en un volume in-folio, qui se compose de feuillets de papier sur lesquels sont collés ces documents. Communiqué par M.Maior, marchand d’objets d’art et de curiosités de Londres)
Nous, Jehan le Maingre Boucicaut, savoir faisons à touz que nous congnossons que aujourdhui Gaillart de Bye, receveur on Poitou, nous a compté la somme de quatre mil cincq cenz escuz, restans d'une obligacion de houit mil cincq cenz escuz du IXe jour du moys de juing l'an M CCC IIIIxx et cincq, que nous avoit fait Monseigneur Jehan, filz de roi de France, duc de Berri et conte de Poitou, et prometons, soubz l'obligacion de touz noz biens, tenir quipte ledit Monseigneur le duc de Berri, ses hoirs et successeurs, par cest présent, et confessons avoir miz es mains audit Guillart de Bye les lettres de gariment du chastel et ville de Fontenai le Conte pour cette somme de houit mil cincq cenz escuz.
Donné a Tours, tesmoin nostre signet, le XXIIIe jour du moys de décembre l'an mil CCC IIIIxx et unze.
C'est dans l'hôtel de son père, dans la chambre même où il était né vingt-cinq auparavant, qu'il fut admis, le 25 décembre 1391, devant le Roi, qui lui dit aussitôt :
« Boucicaut, votre père demeura en cet hôtel et git en cette ville, et fûtes né en cette chambre, si comme on nous a dit. Si vous donnons au propre lieu où naquites l'office de votre père; et pour vous plus honorer, le jour de Noël qui approche, après la messe, nous vous baillerons le bâton, et ferons recevoir de vous le serment comme il est accoutumé. »
Le jour de Noël, en effet, après la messe, chantée en l'église de Saint-Martin, le duc de Bourbon mena Boucicaut devant le Roi, qui lui remit le bâton ; et le duc de Bourgogne voulut recevoir le serment du nouveau maréchal, encore que le chancelier fût présent à la cérémonie.
Le connétable Olivier de Clisson, l'amiral Jean de Vienne, les chevaliers et toute la cour applaudirent franchement au choix du Roi.
La gloire de Boucicaut était pure, et l'envie n'avait point essayé de la flétrir.
Impatient du repos, Boucicaut fut du parlement d'Amiens, où il fut traité de la paix avec les Anglais; puis il accompagna le Roi dans le malheureux voyage de Bretagne, où se déclara la folie de Charles VI, de là se rendit en Auvergne, et l'année suivante dans la province de Guyenne, de la moitié de laquelle il avait reçu le gouvernement peu de temps après son élévation à la dignité de maréchal.
En l'année 1394, le roi de Hongrie, qui avait connu le comte d'Eu, récemment nommé connétable de France, avait fait savoir à ce prince que le sultan Bajazet marchait sur la Hongrie à la tête de quarante mille Turcs, et qu'incessamment il serait livré une grande bataille. Il le requérait de venir « travailler pour la foi chrétienne », et le priait d'amener avec lui, s'il était possible, le maréchal de Boucicaut. Sitôt que la demande du roi de Hongrie fut répandue, des chevaliers « à foison » se présentèrent pour aller « gréver les « mécréans. » La cour et la ville partagèrent cet enthousiasme, qui témoigne encore et de la foi du siècle et de la passion des Français pour les travaux guerriers et pour la gloire.
En quelques semaines, une nombreuse armée fut réunie, à la tête de laquelle marchaient des princes du sang royal et l'élite de la chevalerie française.
Le comte de Nevers, Jean-sans-Peur, fils aîné du duc de Bourgogne, en était le chef. Après lui venaient Henry et Philippe de Bar, cousins germains du Roi, le comte d'Eu et le comte de La Marche, le sire de Coucy, le maréchal de Boucicaut, le seigneur de La Trémouille, l'amiral Jean de Vienne, et plus de mille chevaliers du royaume de France.
Boucicaut y mena soixante-dix gentilshommes à ses dépens.
Le commencement de la campagne fut heureux. Avec le secours des Français, le roi de Hongrie prit plusieurs villes et châteaux sur les Turcs; mais la fortune devait changer devant Nicopolis. Déjà deux larges mines avaient été poussées jusque sous les murailles de la ville, lorsque les Turcs se présentèrent inopinément devant l'armée, et la surprirent tout occupée des travaux du siège.
Pour arrêter l'élan des chevaliers, qu'ils redoutaient par-dessus tout, ils avaient planté devant leur ordre de bataille des pieux aiguisés par le bout, et dont la pointe pouvait aller jusqu'au ventre des chevaux.
Derrière ce rempart improvisé, ils accablaient l'armée chrétienne de traits et de flèches. Les hommes et les chevaux tombaient sous cette attaque, qu'il semblait impossible de repousser.
Les soldats hongrois prirent la fuite; les chevaliers français, au contraire, se précipitèrent au milieu des pieux, espérant atteindre les Turcs malgré ce puissant obstacle. Mais les chevaux, blessés par les pointes aigues qui leur entraient dans le ventre, se renversèrent sous leurs cavaliers. La mêlée alors fut affreuse et dégénéra bientôt en une épouvantable boucherie. Les Turcs ne combattaient plus; ils tuaient des ennemis sans défense.
Cependant les Français firent des prodiges de valeur: on raconte que Boucicaut traversa deux fois l'armée turque, renversant tout ce qui se trouvait sur son passage.
A la fin il fallut céder au nombre ; le sire de Coucy et l'amiral Jean de Vienne restèrent parmi les morts. Les princes et quelques chevaliers, parmi lesquels était Boucicaut, furent faits prisonniers et conduits à Burse pour y être mis à rançon.
Le plus grand nombre toutefois eut la tête tranchée après la bataille. Boucicaut devait partager leur sort; mais le comte de Nevers le sauva en le faisant passer pour son frère.
Ce fut un grand deuil pour la France quand la perte de la bataille de Nicopolis y fut connue.
La chevalerie française avait perdu son printemps! Les princes et les évêques firent faire dans leurs chapelles des prières pour le repos éternel des morts et pour la prompte délivrance des prisonniers.
Le Roi se rendit solennellement à Notre-Dame, où il entendit une messe en l'honneur des trépassés.
Ces premiers devoirs remplis, Charles VI, le duc de Bourgogne et les autres seigneurs envoyèrent à Bajazet des messagers avec des présens pour payer la rançon des captifs; mais quand ces messagers arrivèrent, Boucicaut et le seigneur de La Trémouille avaient obtenu du sultan que les princes et les chevaliers retourneraient en France après avoir prêté serment de ne plus à l'avenir porter les armes contre lui; et déjà cette première condition du traité avait été remplie.
Ils n'eurent donc plus qu'à offrir leurs présens à Bajazet et à lui délivrer l'argent qu'ils avaient apporté.
Boucicaut ne resta pas longtemps en France sans reprendre les armes.
Il fut envoyé l'année suivante contre le comte de Périgord, qui s'était révolté, et qu'il fit prisonnier après une courte campagne.
Clément VII meurt en 1394; il est remplacé à Avignon par Benoît XIII (Pierre de Lune) malgré tous les efforts du roi de France Charles VI qui aurait désiré voir la fin du Schisme.
Pour pacifier la Provence, il y envoie des troupes commandées par le maréchal de Boucicaut, qui se trouvait le gendre de Raymond de Turenne par son mariage (1393) avec la belle Antoinette sa fille unique.
Rien n'y fait et Boucicaut fait de vains efforts auprès de son beau-père pour le déterminer à la paix.
En mars 1395, Marie de Blois déclare Raymond de Turenne coupable du crime de lèsemajesté et met sa tête à prix. Il se rit de ses menaces et pille Tarascon et Arles.
Mais, à la demande de Marie, les troupes du roi de France interviennent et s'emparent de Pertuis et de Meyrargues où Eléonore de Cominges s'était enfermée avec tous ses trésors.
Raymond de Turenne appelle du Rouergue (1398) une troupe de 3.000 hommes de ses amis, mais, par ordre du roi, le sénéchal de Beaucaire les empêche de franchir le Rhône.
Découragé, Raymond consent (1399) une paix qu'il viole bientôt, mais poursuivi et battu à Tarascon par Charles du Maine frère de Louis d'Anjou, il se noie dans le Rhône en le traversant en barque.
Charles rend la liberté à Eléonore de Cominges que la prise de Meyrargues avait mise entre ses mains et donne ce château à Boucicaut qui conduit les bandes de pillards de Raymond en Italie au secours de Louis II d'Anjou.
Puis l'empereur Manuel Paléologue ayant demandé au Roi des secours contre les Turcs, Boucicaut lui conduisit douze cents hommes d'armes, débarqua à Péra, ravitailla Constantinople, dépourvue de munitions de guerre et de provisions de bouche, et repoussa l'ennemi, qui campait sous les murs de la ville.
Ce service signalé lui mérita le titre de grand-connétable de l'Empire, qui lui fut conféré par l'Empereur.
La réputation de Boucicaut était grande dans tout le monde civilisé.
Le roi de France Charles VI ayant accordé en 1396 un secours de troupes à Sigismond Ier du Saint-Empire et de Hongrie contre les Turcs, Philippe duc de Bourgogne donna son fils Jean comte de Nevers pour la commander.
Il était accompagné du comte d'Eu, connétable, de l'amiral Jean de Vienne, du maréchal de Boucicaut et de plusieurs autres seigneurs de marque, Ladislas II Jagellon de Pologne et de Lituanie, Étienne Mușat de Moldavie, Vlad Bassarab de Valachie et le doge Antonio Venier de Venise forment une coalition à laquelle s'ajoutent des volontaires venus de toute l'Europe, et se dirigent vers Constantinople pendant l'été 1396
Ils firent des actions d'une valeur incroyable; mais dans la suite ils furent défaits à la bataille de Nicopolis, donnée le 28 septembre contre Bajazet, empereur des Turcs, qui fit massacrer les prisonniers en sa présence et aux yeux du comte de Nevers.
Il en réserva seize, du nombre desquels était le maréchal, et pour qui le comte s'obligea de payer une grosse rançon.
Boucicaut, après son retour en France, en 1399, eut ordre d'assiéger l'antipape Benoît, qui était enfermé dans le palais d'Avignon. Il s'en acquitta fidèlement, et le serra de si près, que dans peu de jours il l'allait réduire, lorsqu'il reçut un ordre de la cour de changer le siège en blocus, et de laisser entrer des vivres : ce qui fut un coup d'adresse de Benoît, qui avait su gagner quelques grands par argent.
Constantinople, investie par les Turcs vers ce temps-là, était dans le dernier danger; et Pera, qui est comme son faubourg, était sur le point d'être pris. Ce faubourg appartenait à la seigneurie de Gênes ; et le maréchal de Boucicaut, y allant avec douze cents hommes seulement, le délivra, et par conséquent la ville, en 1400.
Après qu'il eut dégagé les environs et repoussé les Turcs, qu'il battit en plusieurs rencontres, il revint en France pour solliciter un plus grand renfort, et y amena l'empereur avec lui, laissant le seigneur de Châteaumoran dans Constantinople pour la défendre.
Les Génois qui, vers 1397, s'étaient donnés au roi de France, mais qui, toujours turbulents, avaient chassé tous les gouverneurs qu'on leur avait envoyés, firent prier le Roi d'accorder le gouvernement de leur république au bon et vaillant maréchal.
Boucicaut fit son entrée solennelle à Gênes le jour de la Toussaint 1401.
Le lendemain même il punit les séditieux et les traîtres. Par des mesures de vigueur promptement exécutées, il rétablit le calme dans la ville, qu'auparavant troublaient les émeutes et les assassinats. Il institua des tribunaux, publia des règlements de police dont l'expérience ne tarda pas à démontrer la sagesse.
Le commerce reprit le cours de ses transactions, favorisées par l'ordre et la paix; et en peu de temps sa prospérité justifia complétement la confiance des Génois.
Jaloux de l'honneur et de la dignité de Gênes, le maréchal ne put permettre que le roi de Chypre s'emparât de Famagouste, qui appartenait à cette république.
La valeur de Boucicaut était célèbre dans tout le Levant, aussi bien qu'en Italie, où l'on implora son secours pour défendre Famagouste contre le roi de Chypre, qui l'investit en 1406.
Le maréchal ayant armé pour la secourir, le grand-maître de Rhodes s'entremit de l'accommodement; et pendant qu'il se traitait, Boucicaut employa ses armes contre les Turcs.
Après avoir fait conduire l'empereur Manuel de Modon à Constantinople, il alla assiéger la ville de Lescandelour, qu'il prit d'assaut; puis la paix de Chypre étant faite, il tourna ses armes vers les côtes de Syrie, parce qu'il avait guerre avec le sultan d'Égypte, pour quelques marchandises que ce Barbare avait prises aux Génois.
Les Vénitiens, jaloux de tant de prospérités et observant les démarches de Boucicaut, en donnèrent avis en diligence, par une barque légère, à tous les ports de cette côte-là : de sorte que partout où il descendait il trouvait le rivage bordé de gens armés et disposés à le recevoir.
Ainsi il manqua Tripoli et Sayette ; mais il prit Berite, qu'il emporta d'assaut. Ce succès accrut si fort le dépit des Vénitiens, qu'en 1406 ils l'attendirent au retour.
A la première nouvelle qui lui vint que Famagouste était assiégée, il équipa une flotte et y embarqua une nombreuse armée.
Mais avant de se mettre en marche, il envoya des ambassadeurs au roi de Chypre pour lui remontrer l'injustice de son agression. Le grand-maitre de Rhodes s'interposa entre les deux parties contendantes; et pendant qu'il traitait de la paix avec le monarque cypriote, Boucicaut se porta vers les côtes d'Asie et d'Afrique contre les Turcs.
La jalousie des Vénitiens le fit échouer devant Tripoli et Sayette, dont pourtant il dévasta les campagnes. Mais il emporta Bérite d'assaut; ses troupes « ardèrent et gastèrent tout, » dit naïvement son biographe.
La paix ayant été conclue entre lui et le roi de Chypre dans l'intervalle, il revenait directement à Gênes, quand il rencontra près de Modon une flotte des Vénitiens.
Le maréchal ne pouvait croire qu'ils voulussent l'attaquer « sans le défier et lui faire à savoir; » cependant il se tint sur ses gardes; car il avait été plusieurs fois prévenu de leurs mauvais desseins.
Après qu'il eut congédié la plupart de ses gens et de ses vaisseaux, Charles Reni, qui commandait leurs galères, l'attaqua sans lui avoir déclaré la guerre ;
A peine le maréchal avait-il dépassé Modon, qu'il fut vigoureusement assailli par les galères vénitiennes.
Le combat s'engagea alors; malgré l'infériorité du nombre, il eut la gloire de voir l'ennemi se retirer en désordre, lui laissant libre la route de Gênes.
Trois de ses galères lui furent enlevées où étaient Châteaumoran et trente autres chevaliers de marque; mais il emmena aussi une galère de Venise.
Les Vénitiens, moins honteux de leur lâche conduite que des suites qu'elle pouvait avoir, envoyèrent à Charles VI des ambassadeurs pour le prier d'agréer leurs excuses.
Ils s'efforcèrent de rejeter les premiers torts sur Boucicaut. Celui-ci, indigné mais contenu dans ses désirs de vengeance par les ordres exprès du Roi, écrivit du moins à Michel Steno, doge de Venise, et à Carlo Zeni, commandant des galères dans le combat de Modon, une lettre dans laquelle il relevait leurs exécrables mensonges et les défiait à tel genre de combat qu'il leur conviendrait d'adopter. Cette lettre, modèle de franchise militaire, est souvent d'une naïveté charmante.
Le maréchal avait été reçu à Gênes aux acclamations empressées de la multitude. Pendant le séjour qu'il y fit, il détermina par son habile influence le seigneur de Padoue et Vérone, la comtesse de Pise et son fils, à faire au Roi hommage de leurs seigneuries.
A quelque temps de là les Pisans se révoltèrent contre leur comte et le chassèrent.
Boucicaut voulut d'abord, par des négociations, remettre entre eux la paix et la concorde. Mais, trompé plusieurs fois par ceux de Pise, il finit par consentir à la vente que le comte Gabriel avait fait de ses droits à la république de Florence, sous la condition qu'elle ferait au roi de France hommage de sa nouvelle province. Il fut formellement approuvé par le conseil du Roi dans la conduite de cette affaire. Mais les Pisans ayant feint de se donner au duc de Bourgogne, le conseil du Roi crut pouvoir défendre aux Florentins de leur faire la guerre.
Boucicaut, dont la parole était engagée, ne se mit point en mesure d'appuyer cette défense impolitique et injuste; et Pise fut vaincue après plusieurs années de sanglans combats.
Malgré le sage et heureux gouvernement de Boucicaut, les Génois n'en revenaient pas moins de temps à autre à leurs habitudes de séditions et de révoltes.
En 1409, étant allé de Gênes à Milan pour recevoir cet État sous l'obéissance de Galeas Visconti, qui en était seigneur, aimant mieux être soumis à la France qu'au marquis de Monferrat et au seigneur de Vérone, le marquis fit soulever les Génois par la faction gibeline.
Ils profitèrent de l'absence du maréchal, qui tenait le siège devant Tortone, pour se soulever de nouveau et massacrer tous les Français qui étaient restés dans la ville, forcèrent la citadelle, tuèrent le seigneur de Fayette, lieutenant de Boucicaut, et se soumirent au marquis de Monferrat. Mais peu de temps après ils le chassèrent de leur ville.
Boucicaut, ayant tenté inutilement de se rétablir à Milan, revint en France par les Alpes, où il embrassa le parti du duc de Bourgogne.
Il fut nommé en 1415 gouverneur de la Normandie, et fait prisonnier à la bataille d'Azincourt, où il commandait l'avant-garde, le 25 octobre de la même année.
Ayant été mené en Angleterre, détenu au château d'Esbuk, dans le comté d'York, il y est mort en 1421, après six ans de captivité.
Tombeau de Boucicaut Chapelle de Saint Martin de Tours
Son corps a été rapporté à Tours, où il a été enterré dans la chapelle de sa famille, en l'église de Saint-Martin.
On voyait sur son tombeau l'épitaphe qu'on y voit lui donne le titre de grand connétable de l'empereur et de l'empire de Constantinople :
« Cy gist noble chevalier, messire Jehan dit Bouciquaut, le fils, maréchal de France, grand connétable de l'empereur et de l'empire de Constantinople, gouverneur de Gênes pour le Roi, comte de Beaufort, de Clux, d'Alest et vicomte de Turenne, lequel trépassa en Angleterre illec étant prisonnier, le vingt-cinquième jour de.... 1421. »
Ainsi que je l'ai dit, le patrimoine de Boucicaut n'était que de deux cents livres tournois de rente. Mais son mariage avec Antoinette, fille de Raymond, vicomte de Turenne, en avait fait un des plus puissans seigneurs de son temps.
Il n'eut qu'un fils appelé Jean comme lui, et qui fut tué à la bataille d'Azincourt. Antoinette conçut tant de chagrin de cette perte et de la captivité de son mari, qu'elle en mourut en 1416.
Boucicaut était d'une taille moyenne; il avait le corps maigre, la poitrine haute et large, les épaules basses et bien coupées, les cuisses et les jambes modelées admirablement. Tout en lui respirait la force et l'énergie; son visage, d'un brun clair assez coloré, était noble et d'une belle expression. Il avait le regard ferme et hardi, mais sans hauteur. Ses manières pleines de noblesse et d'élégance, son maintien calme et assuré révélaient en lui le haut et puissant seigneur, l'homme supérieur habitué au commandement et né pour dominer par le respect plus encore que par la crainte.
Il s'était livré de bonne heure et avec passion à tous les exercices de la chevalerie. Aussi nul ne le surpassait, nul ne l'égalait peut-être en force, en souplesse, en agilité.
Armé de toutes pièces, il sautait sur son cheval sans mettre le pied à l'étrier; il montait à force de bras et de jambes, sans autre aide, entre deux parois de plâtre, élevées à une brasse l'une de l'autre, sans tomber jamais ni en montant ni en descendant. Il montait également au revers d'une échelle, sans la toucher des pieds, mais seulement en sautant des deux mains ensemble d'échelon en échelon, et cela couvert d'une cotte d'acier. Je pourrais citer d'autres exemples encore de sa force et de sa légèreté.
Boucicaut s'est montré toujours fidèle aux devoirs que lui imposait l'ordre presque saint de la chevalerie. Lorsqu'après la bataille de Nicopolis il eut payé le prix de sa rançon à Bajazet, il refusa de séparer son sort de celui des princes du sang et des chevaliers qui restaient prisonniers des infidèles. Au retour de son second voyage de Constantinople, voyant que les guerres avaient laissé beaucoup de veuves et de damoiselles sans appui, il institua l'ordre de la « Dame Blanche à l'écu vert pour garder et défendre l'honneur, l'état, les biens, la renommée et la louange de toutes dames de noble « lignée. »
Et parce que Charles d'Albret, cousin du Roi, voulut être compagnon de l'ordre, il refusa de se faire nommer le premier dans les lettres qui en furent délivrées.
Les chevaliers portaient l'image d'une dame en émail blanc dans un écusson d'or émaillé de vert.
La chevalerie était alors une sorte de sacerdoce. Aussi Boucicaut croyait-il que la véritable piété était la première vertu d'un chevalier. Il remplissait avec la plus grande exactitude tous ses devoirs de chrétien, rendant partout où il se trouvait l'hommage qu'il devait à Dieu, et lui adressant ses prières avec une dévotion fervente.
Chaque jour il disait ses heures et oraisons, et, quelque pressé qu'il fût, il entendait deux messes. « Et quand le maréchal fait son oraison, dit son biographe, il fait toujours sa pétition et demande à Dieu, sous condition si c'est pour le mieux, et que, toutefois, quoi qu'il requière, comme homme fragile et désireux, que sa sainte volonté soit faite.... Le maréchal a le vendredy en grande révérence; il n'y mange chose qui prenne mort, ne vest couleur fors noire, en l'honneur de la Passion de Notre Seigneur. Le samedy jeûne de droite coutume et tous les jeûnes commandés de l'église, et nul pour rien n'en briseroit. D'avantage jamais ne jure Notre Seigneur, ne la mort, ne la chair, ne le sang, ne autre détestable serment, ne le souffriroit jurer en son hôtel. Ses valets imitaient sa pieuse conduite. Et de tels y en a qui ne souloient savoir mot de lettres, qui ont appris leurs heures et soigneusement les disent.
Le maréchal était plein de commisération pour les pauvres. Il donnait avec abondance pour soutenir les vieillards infirmes, pour soulager les veuves, marier les jeunes filles, élever les orphelins. A Paris il avait des personnes de confiance chargées de répandre en secret ses aumônes. Il secourait les couvens et les églises, aidait à la réparation des chapelles et lieux d'oraisons. « Et à tout dire, jamais ne faut à nul qui lui demande pour l'amour de Dieu. Et quand il chevauche dehors, volontiers donne l'aumône de sa main, non mie un petit denier à la fois, mais très largement.
Pendant son gouvernement de Gênes, il s'employa avec le zèle le plus éclairé et le plus ardent tout ensemble à rendre la paix à l'Église, que troublait et affligeait la rivalité de deux papes également jaloux de maintenir leurs droits ou leurs prétentions. Un jour il assembla dans son hôtel les principaux de la ville et il leur déclara sans détour qu'il désirait les tirer de l'erreur et les détacher de l'anti-pape de Rome. Mais, avant de passer outre au récit des faits concernant l'élection du pape que reconnaissait la France, il ajouta qu'après qu'il aurait fait son devoir en leur disant la vérité, ils feraient néanmoins pour eux ce que bon leur semblerait. << Car à chose qui touche l'âme et la conscience, on ne doit homme contraindre par force, ne aussi faire ne le voudroit. Car ce doit venir de pure franche volonté, ny Dieu ne veut être servi par force. »
Après l'avoir entendu, les Génois avouèrent qu'ils avaient été mal informés et s'empressèrent de rentrer au giron de la véritable Église.
Boucicaut ne s'en tint pas là: il sollicita du pape la promesse de s'en rapporter à la décision d'un concile général si l'anti-pape le voulait également, et il l'obtint. Puis il agit puissamment auprès des princes d'Italie, qu'il fit consentir à la convocation du concile de Pise en 1418. Malheureusement cette assemblée ne put que donner au monde catholique un troisième pape et ne termina rien.
On comprend tout ce qu'un pareil gouvernement dut faire de bien à la ville et république de Gênes. Chaste époux, modeste dans ses vêtemens et dans ses paroles, le maréchal ne permit jamais que les gentilshommes sous son commandement se livrassent à des actes de débauche et d'intempérance. Il voulait que les mœurs et coutumes des Génois fussent respectées par tous. Il ne souffrait ni une action malhonnête, ni un mot déplacé, ni même un regard qui pût blesser la pudeur des femmes. Boucicaut passait à cheval dans une rue de Gênes au moment où une femme arrangeait artistement sa chevelure; un des écuyers qui marchaient devant lui la vit par une fenêtre et s'écria: «Oh! la belle tête! » Et quand il fut un peu plus loin, il se retourna pour regarder la dame : « Assez, assez, » lui dit le maréchal.
Boucicaut avait apporté tant de soins à l'exacte distribution de la justice, qu'il s'acquit parmi les Génois un haut renom de justicier. Il se fit craindre et aimer à la fois parce qu'on savait que chacun était payé selon ses œuvres. La paix était telle à Gênes pendant son gouvernement que, dit son biographe, « pendant un an, pendant un an, il ne vint pas à la justice une seule plainte d'un soufflet donné ou d'une barbe tirée, au lieu qu'ils se souloient entre-tuer tous les jours comme chiens, ni que l'un die vilénie ou fasse outrage à l'autre. »
Il y avait alors une formule populaire qui prouve la confiance que les Génois avaient en leur gouverneur : « Fais- moi justice de toi-même, disaient-ils, ou monseigneur me la fera. » Belle parole, et qui suffit à l'éloge du maréchal!
MOREAU.
Heures du maréchal de Boucicaut.
L'Ordre de la Dame blanche à l'écu vert est un ordre de chevalerie créé en 1399 par Jean II Le Meingre, maréchal de Boucicaut. Inspiré par les idéaux de la chevalerie et de l'amour courtois, l'ordre se promet « d'assister les dames et demoiselles qui se complaignaient des torts qu'on leur faisait ».
Il est surtout connu par la description que Boucicaut en fait dans ses mémoires, Livre des fais du bon messire Jehan Le Maingre, dit Bouciquaut, mareschal de France.
— Vers 1410-1415 (Musée Jacquemart-André, ms. 2). 249 ff., 275x190 mm. Usage de Paris. Volume exécuté pour Jean Le Meingre, dit Boucicaut, maréchal de France, et pour sa femme, Antoinette de Beaufort, sans doute entre 1410 et 1415, l’une des courtes périodes au cours desquelles le maréchal s’est trouvé en France :
La décoration se compose de 45 grandes peintures, toutes de la main du maître, auquel ces Heures ont donné leur nom : 18 en tête pour la commémoration des saints (parmi lesquelles saint Léonard, patron des captifs, en souvenir de la capture par les Turcs et de la délivrance), saint Georges sous les traits du maréchal ; celui-ci est encore représenté, avec sa femme, au f. 26, en prière devant la Vierge.
Par la suite, le manuscrit passa à Aimar de Poitiers, cousin de Jean Le Meingre, neveu du maréchal, par testament daté de 1485, puis à la petite-fille de celui-ci, Diane de Poitiers. Aimar a recouvert en partie les armoiries et les devises de Boucicaut et de sa femme par les siennes, et il semble qu’il ait fait, sinon repeindre, du moins rafraîchir certaines images.
Durrieu, Les Heures du mar. de Boucicaut, dans Rev. de l'art chrét., t. LVI-LVII, 1913-1914 ; MARTENS, p. 194 ; BALDASS, p. 17 ; PANOFSKY, pp. 54-61, fig. 59-67 ; WINKLER, dans Kunstchronik, VIII-1955, p. 10. 202. Heures à l’usage de Paris.
Le Livre des faict du mareschal de Boucicaut (éd. Petitot, t. VII), p. 107.
Je pourrais citer vingt preuves de la reconnaissance de Benoît XIII.
Le 31 octobre 1405, il leva les censures qu'auraient pu encourir le maréchal Boucicaut et sa femme en favorisant contre Clément VII les entreprises de Raymond de Turenne, et déclara, en tant que cela pût être utile, leur mariage valide.
Le 17 juin 1406, il autorisa Boucicaut à fonder un hôpital à Sainte-Catherine-de-Fierbois, octroya des indulgences à ceux qui s'associeraient à son œuvre charitable, l'admit à participer au bénéfice des prières des moines de Montmajour il est bon d'ajouter que le maréchal avait fait abandon d'une rente que lui payaient les religieux de ce monastère comme à l'héritier de Raymond de Turenne (Arch. du Vatican, Reg. Avenion. XLVII Benedicti XIII, fol. 348 r°, 510 r°, 511 v°, 513 r°).
LES FOUILLES EXÉCUTÉES DANS L'ABSIDE DE L'ANCIENNE BASILIQUE DE SAINT-MARTIN DE TOURS, EN 1860 ET 1861.
(Lue au Congrès des sociétés savantes tenu à Paris les 21, 22, 23 novembre 1861).
La basilique de Saint-Martin était le plus célèbre de tous les sanctuaires de l'ancienne France; nos rois tenaient à honneur d'en être les premiers chanoines, et son nom se trouve glorieusement mêlé pendant de longs siècles aux plus grands événements de notre histoire.
Cependant, il y a quelques mois à peine, on ne connaissait de cette insigne collégiale que deux magnifiques tours encore debout, comme pour protester contre les dévastations qu'elles avaient vues s'accomplir à leurs pieds.
Tout l'espace autrefois couvert par le pieux édifice avait disparu en 1797 sous les voies publiques et les constructions particulières; quelques notions confuses de la forme générale du monument étaient seules restées dans la mémoire des hommes de notre siècle, et l'on ignorait même l'emplacement où s'élevait naguère le tombeau de saint Martin, objet du respect et des hommages de toute la chrétienté.
Telle était la situation des choses, lorsqu'une heureuse circonstance amena la découverte dans les archives d'Indre-et-Loire d'un plan par terre de la basilique coté avec soin et dressé en 1801 au moment de la vente du terrain et des constructions qui subsistaient encore.
Aussitôt, un riche et généreux habitant de Tours, acheta de ses deniers quelques-unes des maisons bâties dans l'abside, et commença des fouilles qui, sans avoir dans sa pensée l'archéologie pour but principal, me paraissent cependant, par les résultats obtenus, dignes de toute l'attention, des archéologues.
On a mis à nu, sur une étendue de plus de cent mètres carrés, l'énorme massif qui servait de fondation générale à l'abside de la basilique, les bases de trois chapelles de cette même abside ont été constatées, ainsi que celle de plusieurs piliers; toutes ces différentes parties de l'édifice, par leur forme et leurs dispositions respectives, sont en parfait accord avec le plan trouvé dans les archives départementales, dont elles viennent ainsi confirmer l'exactitude.
Comme le massif n'existe pas au centre de l'abside, qui n'avait à supporter ni murailles, ni colonnes, il forme là une sorte de rondpoint placé dans l'axe de la basilique.
C'est dans cet axe même qu'à été découvert un petit caveau comblé de débris et sur lequel nous reviendrons tout à l'heure.
Dans l'épaisseur du massif, on a reconnu deux évidements circulaires s'enfonçant à un mètre et demi environ au-dessous du sol de la dernière reconstruction de l'église et offrant la forme de petites chapelles. Les bases d'une autre chapelle apparaissent également à l'angle sud-est du transept, mais celle-ci est en dehors du massif qui vient s'appuyer sur elle (1).
Ce sont là les principales découvertes opérées jusqu'à ce jour dans le sous-sol de Saint-Martin.
Si maintenant l'on veut rechercher, en s'aidant des lumières de l'histoire et de l'archéologie, à quelle époque peuvent appartenu ces différentes portions de monument, on est forcé de reconnaître tout d'abord qu'il n'existe aucune trace de la basilique construite par saint Perpet sur le tombeau de saint-Martin, et célébrée par Grégoire de Tours comme l'une des merveilles de son temps.
Les caractères architectoniques du Ve et du VIe siècle font ici complètement défaut, et il est impossible d'assigner, aux parties même les plus anciennes, une époque antérieure au Xe siècle.
Il faut donc descendre plus près de nous.
L'histoire de Touraine nous apprend que, peu après l'an mil, Hervé, trésorier de la collégiale et l'un des plus grands personnages de la province, fit entièrement reconstruire à ses frais l'église de Saint-Martin, dont la dédicace eut heu en 1014.
Or, les trois petites chapelles, bien évidemment antérieures au massif, offrent par leurs dimensions, leur appareil et l'épaisseur de leurs joints, tous les caractères du XIe siècle.
De plus la disposition qu'elles affectent entre elles permet de reconstituer le plan de l'abside de l'édifice auquel elles appartenaient, et ce plan présente, non-seulement la même forme, mais presque les mêmes dimensions que l'église de Saint-Saturnin de Toulouse, encore aujourd'hui debout, et construite dans le siècle où vécut Hervé, il est donc permis de voir dans ces trois chapelles des restes de la basilique élevée par le trésorier de Saint-Martin, restes pieusement conservés lors d'une réédification postérieure.
Quant au massif lui-même, bien que les bases de colonnes auxquelles il donne naissance indiquent le commencement du XIIIe siècle, j'incline cependant à lui assigner une époque un peu plus reculée.
Une telle oeuvre n'a pu être exécutée que lors d'une reconstruction générale de l'abside, fait important qu'on doit placer vers 1175.
C'est en cette année, en effet, selon l'auteur de l'Éloge de la Touraine, le moine Jean de Marmoutier, qui écrivait dans le dernier quart du XIIe siècle, que les nobles et les principaux bourgeois commencèrent à rebâtir l'église de Saint-Martin, ruinée par le feu et tombant de vétusté.
Ses paroles sont formelles et ont toute la valeur d'un témoignage contemporain. Les autres chroniques de Touraine ne nous offrent, après cette époque, aucun exemple d'une réédification totale; et l'incendie de 1202, loin d'avoir été général, comme on l'a cru souvent, ne fut que partiel, puisque la grande chronique de Tours, écrite au XIIIe siècle, et très-probablement par un chanoine de Saint-Martin, nous montre, pendant la catastrophe même, le clergé et le peuple réfugiés dans l'église et y cherchant un abri contre les flammes.
Ce furent donc les architectes du XIIe siècle qui, éclairés par les désastres antérieurs, comprirent qu'il fallait combattre énergiquement l'extrême mobilité du sol sur lequel on était appelé à bâtir, et jetèrent ces énormes fondations d'une profondeur encore inconnue, mais d'une largeur qui varie entre 19 et 23 mètres.
Quant aux colonnes et aux autres membres de l'édifice appartenant au XIIIe siècle, leur présence s'explique par les réparations faites à la suite de l'incendie considérable, quoique partiel, de 1202.
On peut penser aussi que les travaux commencés en 1175 furent fréquemment interrompus par les luttes survenues entre Philippe-Auguste et les rois d'Angleterre, Richard Coeur de Lion et Jean Sans Terre, luttes pendant lesquelles la Martinopole fut prise et reprise.
L'âge des grosses parties de l'oeuvre étant ainsi fixé, autant du moins que le permet l'état d'avancement des travaux, il ne reste plus à déterminer que celui du petit caveau dont il a été question au commencement de cette notice.
Il serait sans doute fort à désirer que cet aedicule fût le tombeau même dans lequel saint Perpet déposa les reliques de saint Martin, lors de la construction de la basilique du Ve siècle.
Mais la nature des pierres employées, dont l'usage ne remonte pas en Touraine au-delà du XIe siècle; la forme de l'appareil, dans lequel il est impossible d'apercevoir un seul des caractères architectoniques du Ve siècle; enfin les différences essentielles qui frappent tout d'abord entre la petite construction récemment retrouvée et la description du tombeau bâti par saint Perpet en l'honneur de saint Martin que nous devons à Heberne, abbé de Marmoutier et archevêque de Tours, à la caveau dans l'axe même de l'église et derrière le maître-autel, fin du IXe siècle (2) ; tout nous oblige à refuser à ce caveau une antiquité aussi reculée, tout nous force à n'y voir qu'un ouvrage relativement moderne et sans aucun doute postérieur à la destruction complète du sépulcre de saint Martin par les protestants en 1562, destruction attestée par des textes irrécusables (3).
Que, si l'on considère cependant la place qu'occupe ce justement où l'on sait qu'était le sépulcre détruit par les protestants et rétabli après leurs dévastations, si l'on tient compte de la façon dont les chapelles de l'église du XIe siècle convergent vers ce point capital, absolument comme celles du XIIe et du XIIIe, ou ne pourra manquer de reconnaître que c'est bien là, sinon le tombeau primitif, du moins l'emplacement où reposèrent, pendant de longs siècles, les reliques du patron des Gaules.
CH. GRANDMAISON, Archiviste d'Indre-et-Loire,
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(1) Depuis que ce mémoire a été écrit, on a constaté dans le massif les restes d'une quatrième chapelle et sans doute ce ne sera pas la dernière.
(2) Mahillon, Baluze et dom Rivet attribuent à Heberne le Livre des miracles de saint Martin au commencement duquel se trouve une description de la châsse et du tombeau de notre grand évêque, et nous croyons qu'on peut sans crainte suivre le sentiment de tels hommes. Ce texte, par son ancienneté et son importance, nous semble d'ailleurs devoir être mis sous les yeux du lecteur.
« Absida siquidem ubi corpus beati Martini continebatur, quam etiam detulerant ab Autissiodoro, fusilis erat, ex auro et argento quod dicitur electrum, spissitudine duorum digitorum, auctoremque operis beatum Perpetuum, insculptor designarat suffragio litterarum et versuum, nec erat rima, foramen, fenestra, vel ostium in ea.
Hanc autem fecerat beatus Perpetuum, quando elevavit corpus ejus a terra, involutum prius in purpura rubea, et diligenter consutum, sicque in liane absidam posuit.
Fecit a etiam altare quadratum et concavum ex lapidibus tabulatis, quod magna tabula cooperuit et cum aliis caementavit.
Fecit etiam intus, aliam, absidam ex aurichalco, cupro et stanno fusilem, habens palmam in spissitudine cum ostio fusili quod gumphiis et virtevellis et quatuor clavibus firmabatur.
Fecit denique fredam desuper auro optimo et lapidibus pretiosis ornatam, tanto sacerdote condignam. »
(Col. 1390 de l'édition de Grégoire de Tours, par D. RUINART. Paris 1699).
On voit qu'il n'est point ici question de caveau, mais bien d'une simple confession placée au-dessous du sol et immédiatement sous la table de l'autel.
(3) Le plus décisif de ces textes est une inscription rapportée par Monsnier, savant chanoine de Saint-Martin, tom. II, p. 381 de son histoire manuscrite de la collégiale, et qui se lisait encore à la fin du XVIIe siècle, sur la première colonne du petit autel de Saint-Martin, où elle avait été placée par ordre du chapitre, de mandato capituli; elle portait que les Huguenots avaient en 1562, détruit entièrement a fundamento, le sépulcre, sepulcrum. de saint Martin.