MONSIEUR,

Il m'est toujours pénible de refuser un service demandé, surtout demandé comme vous avez su le faire. Mais il le faut bien cependant.

 Une préface a toujours été, à mon avis, une chose inutile et absurde, une chose surtout dont je ne saurais pas me tirer.

Et puis vous ne vous doutez pas qu'on m'en demande, en moyenne, huit ou dix par mois. — Rien qu'à cause de cela, — je suis obligé de refuser toujours, même à mes amis ; j'ai déjà si peu de temps à moi, si vous saviez.

J'espère au moins que vous apprécierez les raisons de mon refus et que vous ne m'en voudrez pas.

Veuillez, je vous prie, agréer l'expression de mes meilleurs sentiments.

PIERRE LOTI. Paris, le 20 février 1889.

(Janvier 1910 La Réception de Pierre LOTI par la ville de ROCHEFORT ).

P.-S. — Ne serait-ce pas vous, Monsieur, qui, pendant l'été 1885, avez pris pour conduire votre yacht un marin de Royan appelé Samuel G... ? — Cette idée me vient tout à coup. —

Alors, je vous connaîtrais déjà, car Samuel G..., qui a été un de mes matelots autrefois, est resté un de mes plus intimes et plus chers amis.

Un soir, — à bord du petit bateau qu'il commandait et qui a sombré en mer à la fin de décembre, — il me pria de lire, dans un journal, la relation d'un voyage En Gironde, écrite, me dit-il, par un Monsieur dont il avait conduit le yacht pendant une saison; ;—je lus, - pour lui faire plaisir et aussi parce que nous étions séquestrés par la pluie. Je lui dis après : « Tu raconteras à « ce Monsieur qu'un soir, dans ta cabine, tu as montré son récit à un marin de tes amis qui l'a trouvé très bien. Ça lui sera égal, probablement, mais tu ajouteras que ton ami s'appelle Pierre Loti, je suis sûr alors que ça l'étonnera ; peut- être même cela lui fera-t-il plaisir. »

Je ne sais s'il s'est acquitté de ma commission, car il ignore presque le nom de Loti, qui, d'ailleurs, ne grandirait pas d'un pouce son affection pour moi.

Mais si c'est bien vous, je suis d'autant plus désolé de mon refus, — et je vous prie de croire à mes sentiments sympathiques, à cause du bon souvenir que mon ami Samuel garde du Monsieur au yacht.

Ne prenez pas la peine de m'envoyer votre manuscrit. J'aime mieux vous le dire un peu brutalement : je ne le lirai pas. Je ne lis jamais rien, même les choses les plus exquises. Mais je demeure convaincu quand même qu'il doit être vraiment joli, pour peu qu'il ressemble à cette première chose que le hasard m'a fait connaitre de vous.

P. L.

 Ecluse de Comporté Cale du port Jardins ouvriers Marais Poitevin

LA NOÉMI ET SON ÉQUIPAGE

C'est un peu dans le but que je viens de dire, et beaucoup, aussi, pour vivre pendant quelques jours de la « Vie en plein air » que je complotai avec mon ami Maurice L. de faire, au plus tôt, cette descente de la Sèvre.

Mon ami Maurice est un aimable et vigoureux compagnon qui, de quinze à vingt-cinq ans, a fait, par trois fois le tour du monde, en qualité de pilotin, d'abord, et de second, ensuite, sur un voilier marchand .

A présent, il a la nostalgie de la mer — naturellement ! et tue le temps à faire, en maître, de la photographie, à cultiver ses fleurs, et à adorer sa femme. Il n'y a que les marins pour avoir de ces idées-là !... Quand son ardeur maritime le prend, il court à Tempête (c'est ainsi qu'il appelle un vaste jardin situé au bord même de la Sèvre), il sort sa yole, Noémi

— un nom aimé ! — du garage où elle repose douillettement à l'abri des vents et des marées, et, pendant des heures, il se fait du biceps à remonter et à redescendre, à toute nage, les deux kilomètres de rivière dont il dispose.

Cette Noémi est une bien jolie yole, longue de 6 mètres et large de 120 centimètres, signée Tellier, l'habile constructeur de Paris.

Sa coque, en sapin du Canada, reluit comme un soleil; son liston doré, ses cuivres irréprochables, en font la plus séduisante embarcation qu'on puisse rêver.

Et puis d'une légèreté merveilleuse qui n'exclut, en rien, la stabilité. Avec deux bons rameurs de couple et un habile barreur on file, là-dedans, comme un dard !

— J'avoue une préférence marquée pour la voile, mais sur la Noémi, vraiment, l'aviron ne manque pas d'agrément.

L'équipage se complétait de mon jeune Pierre, l'ancien mousse du Saint-Pierre, le Fistot à son papa, en attendant que, bientôt, il devienne celui de quelque futur amiral ; il nous fallait un barreur expérimenté, nous espérions précisément, à son intention, les vacances de Pâques pour embarquer.

Le temps était beau, presque chaud, le mois d'avril semblait ne pas vouloir manquer à ses promesses : vite, nous expédions, par voiture, la Noémi à Niort en la recommandant aux bons soins de MM. les membres de la Société Nautique, et, le lendemain, 13 avril — bah ! les treize ne nous font pas peur..., nous allions, tous les trois, la rejoindre par chemin de fer.