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PHystorique- Les Portes du Temps
11 juin 2023

MIETTES D’HISTOIRE de L’UNION CHRÉTIENNE DE LUÇON

Luçon vers le milieu du XVIIIe siècle

Située à l'extrémité de la plaine bas-poitevine, au bord du marais qui fut jadis la mer, Luçon comptait près de quinze siècles d'existence et quelques centaines d'habitants, lorsqu'une bulle du pape Jean XXII vint ériger en siège épiscopal l'abbaye bénédictine de Notre-Dame, qui lui donna son nom (1).

Depuis, elle était entrée dans l'histoire, modestement, à l'instar des petites villes épiscopales, si nombreuses dans l'ancienne France.  

Pourtant cette bourgade, que l'Église avait arrachée à d'obscures destinées en dressant au-dessus de ses humbles maisons la flèche d'une cathédrale, fut peut-être de toutes, la plus glorieuse.

Car, si d'autres peuvent revendiquer une appellation plus sonore, un aspect plus pittoresque, elle, seule peut, avec fierté, montrer au cœur de son histoire la pourpre et le grand nom de Richelieu.

Quand le futur cardinal vint, en 1608, prendre possession de ce siège, qui semblait depuis vingt-cinq ans comme un apanage de sa famille (2), il eut à cœur de réparer les ruines accumulées par un demi-siècle de guerres civiles.

La cathédrale fut restaurée, l'évêché rebâti; la ville sortit de ses décombres.

Il y fonda un séminaire qu'il confia à l'ordre naissant de l'Oratoire, et un hôpital qu'il offrit aux Capucins. Dans son diocèse, l'ordre et la paix refleurirent.

 Et lorsqu'il cessa définitivement de s'intéresser à la petite ville, cet homme étonnant l'avait marquée d'une empreinte qu'elle gardera près de deux siècles encore.

Seigneur temporel et baron du lieu (3), en même temps que chef spirituel du diocèse, l'évêque de Luçon exerçait sans conteste sa domination pacifique; et c'est de sa main que les habitants, à la fois ses sujets et ses fidèles, recevaient leurs juges et leurs pasteurs.

Autour de la cathédrale, gravitaient la vie et l'activité luçonnaises (4).

Dressée en plein marais, au flanc du domaine épiscopal, l'église Notre-Dame offrait, dans son architecture, un mélange curieux de tous les styles.

Chaque siècle en passant y avait gravé son caractère : depuis le transept, contemporain de l'époque romane, jusqu'au fronton massif, jusqu'à la flèche ajourée et grêle qu'un artiste, amateur des contrastes (5), substitua, cinq siècles plus tard, à la façade gothique écroulée.

Sans être de proportions grandioses, son vaisseau était vaste encore, et la population tout entière y tenait à l'aise aux jours de fête, quand officiait l'évêque entouré du corps imposant et nombreux des chanoines.

Le vénérable chapitre, qui formait le conseil épiscopal et, par un délégué, gouvernait la paroisse, possédait une partie notable des maisons luçonnaises.

Dans la plupart des rues, et parfois sur toute leur longueur, autour de la place Belle-Croix, jusqu'en face de la cathédrale, s'élevaient ainsi quelques tranquilles demeures, hôtels modestes, avec par derrière un grand jardin, où le chant des oiseaux familiers troublait seul le grave silence.

Plutôt isolés, accolés parfois aux maisons canoniales, les hôtels nobles et les logis bourgeois affectaient la même quiétude et la même gravité. Là habitaient les gentilshommes ruraux qui avaient leurs terres dans le voisinage, ou les officiers de justice et les hommes de loi qui relevaient de la ville et des baronnies.

Représentants de l'évêque, comme les chanoines, ceux-ci exerçaient les soins tracassiers de l'administration temporelle, tandis que le clergé symbolisait la charité et vaquait à la prière.

Le gros de la population était constitué par les artisans, les marchands, les « gens d'église », qui vivaient surtout de la cathédrale; des laboureurs et des fermiers qui cultivaient les domaines d'alentour, quelques pêcheurs ou mariniers, dont les barques légères dormaient sur l'eau calme du canal aménagé en port.

Au nord, l'église paroissiale Saint-Mathurin, isolée au milieu de son cimetière, le séminaire et le vaste enclos des Ursulines; à l'ouest, les Capucins; au sud, le couvent de l'Union chrétienne, l'hôpital et ses dépendances ; puis, vers l'est, des fermes ou des métairies relevant du chapitre, des maisons nobles ou des communautés religieuses bordaient la ville et achevaient de la situer dans son cadre rural.

Tel était Luçon vers le milieu du XVIIIe siècle, à l'époque où nous nous proposons de jeter un coup d'œil sur ses annales.

 

Les religieuses dont la mission était d'éduquer les nouvelles converties, s'installent en 1681 dans la maison de Pont-de-Vie, achetée par Mgr de Henri de Barrillon, évêque de Luçon (1671 à 1699) aux Lazaristes, qui l'occupaient depuis 1641. (==>  Etablissement à Luçon d’une maison de missionnaires de Saint-Lazare, sous les auspices du cardinal de Richelieu)

 

Arrêt du Conseil, du 17 janvier 1708, portant que le roi permet à la Supérieure de l’Union chrétienne de Luçon de rendre la rivière le Clain navigable depuis Châtellerault jusqu’à Vivonne.

 

Les religieuses de l’Union chrétienne de Luçon demandèrent au roi l'autorisation de rendre navigable le Clain, qui passe à Poitiers, depuis Vivonne en amont jusqu’à Châtellerault où il se jette dans la Vienne.

Pour des religieuses, voilà une entreprise qui n’est certes pas banale, et vous ne serez peut-être pas moins surpris d’apprendre que le conseil du roi fit bon accueil à la demande, et réclama l’avis de l’Intendant de la province, Mgr Doujat.

Celui-ci répondit qu’en 1531 on avait déjà établi la navigation du Clain de Poitiers à Châtellerault, qu’il n’y avait guère plus de trente ans qu’elle avait cessé, et que la navigation de Poitiers à Vivonne était possible, au dire des ingénieurs ; qu’au surplus il n’y avait qu’à faire visiter la rivière, de Châtellerault à Vivonne, par des gens experts.

Un arrêt du Conseil, du 8 février 1707, confia cette visite à deux experts, l’un, Pierre Segretain de la Raimonnière, choisi par l’Intendant, l’autre, Pierre Chollet, mandataire des religieuses.

Leur rapport fut favorable, et inspira un nouvel arrêt du Conseil, du 17 janvier 1708, portant que le roi permet à la Supérieure de l’Union chrétienne de Luçon de rendre la rivière le Clain navigable depuis Châtellerault jusqu’à Vivonne, à la charge par ladite Supérieure ou ses ayants droit d’indemniser ou rembourser les propriétaires des moulins et héritages situés le long de ladite rivière, du dommage qu’ils en pourraient souffrir; et avant que de rien entreprendre sur lesdits moulins et héritages, veut que tous les ouvrages nécessaires pour rendre ladite rivière navigable ayant été mis dans leur perfection, il soit arrêté au Conseil un tarif des droits qui seront levés sur les bateaux ou marchandises passant sur ladite rivière ; desquels droits Sa Majesté fait dès à présent don à la Supérieure de l’Union chrétienne de Luçon, pour en jouir par elle ou ses ayants droit à perpétuité.

Enfin, un dernier arrêt, du 24 mars 1708, approuva les plans et devis présentés par les religieuses, et autorisa la Supérieure à commencer les travaux.

 A une époque où les grandes routes étaient rares, et d’un entretien assez coûteux pour être souvent négligé, les rivières, ces chemins qui marchent, offrirent au commerce le meilleur et le plus économique moyen de transport; l’utilisation d’une rivière qui traversait une grande ville, était très indiquée, et depuis longtemps il avait été question de rendre le Clain navigable.

 On en avait causé sous Charles VII, et il y avait eu alors d’assez grosses dépenses engagées ; on avait repris l’affaire sous François I er ; mais les guerres religieuses, qui désolèrent le Poitou au seizième siècle, avaient fait ajourner l’entreprise commencée.

Malgré la perte presque complète des archives de l’Union chrétienne de Luçon, nous savons qu’en 1708 la supérieure était madame Charlotte Marchand de la Garcillière-Mullenière, d’une famille de petite noblesse des environs de Saint- Martin-de-Brem ; en tout cas, c’était une femme de tête, et qui avait son idée, comme vous allez voir. Une fois en possession des arrêts du Conseil du roi qui assuraient son privilège, la Supérieure n’essaya même pas d’entreprendre à son compte les travaux dont elle avait fourni les plans et devis ; elle chercha un sous-traitant à qui, moyennant une commission honnête, elle rétrocéderait purement et simplement les droits qu’elle avait obtenus.

Celui-ci s’arrangerait ensuite de l’affaire à ses risques et périls, à la condition toutefois que ce nouvel entrepreneur fut agréé par le roi.

Elle mit dix ans à le trouver, et, le 30 avril 1718, elle fit « cession au sieur Jacques Bridou de Belleville, ingénieur de Sa Majesté, de la permission à elle accordée par l’arrêt de 1708, moyennant cinq mille francs de rente qui lui paierait le nécessaire. »

 Pas un coup de pioche n’avait été donné ; les 5,000 fr. de rente dédommageaient amplement la Supérieure de sa patience et de ses peines, et lui laissaient, avec le courtage, l’honneur et la réputation d’une femme d’affaires fort entendue.

Quoique ingénieur de Sa Majesté, et normand, le vieux Bridou de Belleville, trouva, après réflexions, la charge un peu lourde pour ses épaules, et, par acte passé devant notaire le 10 mai 1719, il céda au vieux Lefebvre de Bellefonlaine le quart sur la totalité de son privilège.

Tant que les dames de l’Union chrétienne de Luçon n’avaient pas levé le lièvre de la navigation du Clain, personne n’en avait eu cure; une fois la question lancée, l’idée en vint à tout le monde, et les concurrents, flairant une opération fructueuse, se mirent en campagne.

Des pourparlers entamés avec les concessionnaires n’ayant pas abouti, l’un des concurrents de la dernière heure, Louis-Bernard du Breuil-Hélion, chevalier, seigneur de la Guéronnière et de Combes en Poitou, passa par-dessus la tête de Bridou de Belleville et de Lefebvre de Bellefontaine, et demanda directement au roi « qu’il lui soit accordé le privilège du canal de navigation qui était à faire depuis Saint-Léonard au-dessus de Limoges, passant par la saignée de la rivière de Vienne, ès environs de Chabanais, pour être conduite dans les sources des rivières de Clain et de Cloire passant par Vivonne, Poitiers et Châtellerault. »

 M. de la Guéronnière noyait habilement dans un projet considérablement agrandi le projet modeste des concessionnaires primitifs; il n’y allait pas d’ailleurs par quatre chemins, et présentait « requête à Sa Majesté tendant à ce qu’il lui plût évoquer à son Conseil les contestations survenues par suite de l’intervention et de l’opposition du sieur de Belleville, et offrant de payer aux religieuses de l’Union Chrétienne de Luçon une rente de quinze cents francs. »

Il n’avait pas osé évincer tout à fait les promotrices du projet, qui avaient sans doute encore quelque influence en haut lieu ; mais il le réduisait à peu près à la portion congrue, à moins, car tout est possible en affaires, qu’il n’eût acheté d’avance, par un pot-de-vin sérieux, leur acquiescement et leur silence.

Le résultat fut qu’un nouvel arrêt du Conseil du roi, du 19 décembre 1723, révoqua le privilège accordé aux religieuses par l’arrêt de 1708, ensemble le traité passé entre la communauté et le sieur de Belleville, annula tous engagements pris pour rendre le Clain navigable, et autorisa M. de la Guéronnière à présenter, sous trois mois, une Société pour l’entreprise d’une navigation, de Saint-Léonard à la Loire, sous la réserve d’une rente de 1500 fr. à payer au couvent de l’Union chrétienne de Luçon.

A la lecture de cet arrêt, Bridou de Belleville ne songea plus qu’à se retourner au mieux de ses intérêts ; sans rancune en affaires, en bon Normand qu’il était, il tendit la main à la Guéronnière, et les deux ennemis de la veille devinrent les associés du lendemain ; Lefebvre de Bellefontaine resta seul sur le carreau.

Les deux amis s’adjoignirent un troisième compagnon, le sieur Beaupied, sous-secrétaire du roi, titre tout honorifique, et à eux trois, ils demandèrent en 1732, d’étendre cette navigation jusqu’à la mer, sous le nom de « canal de Poitou », par Lusignan, Saint-Maixent, Niort et Marans.

 A l’appui de leur demande ils durent produire un état de leur fortune, c’est-à- dire des ressources dont ils disposaient pour mener l’entreprise à terme.

La fortune de M. de la Guéronnière consistait en la terre de la Guéronnière, paroisse d’Usson-du-Poitou, estimée 87,800 fr. ; en la terre de Luzigny, même paroisse, de 12,5000 fr., et en la terre de Combes, de 62,500 fr.; total : 232,300 livres.

L’avoir de Bridou de Belleville consistait en terres en Normandie, et dans le quart et demi d’une maison à Paris, rue des cinq diamants, un total : 280.500 fr. Claude Beaupied, écuyer, sous-secrétaire du roi, demeurant à Paris, quai de Bourbon, offrait beaucoup plus de surface, une surface de 610,760 fr., consistant en une maison à Paris, une autre à Montreuil-sous-Bois, un intérêt de 22,000 fr. dans des mines de charbon d’Auvergne. (On se demande pourquoi tous les charbonniers à Paris sont auvergnats : c’est de naissance), un intérêt de 20,000 fr. sur la manufacture royale d’Orléans.

Remarquez que ces trois associés, pour entreprendre un travail aussi considérable que le Canal de Poitou, n’avaient pas d’argent liquide.

Les députés du Commerce, consultés par ordre du roi, estimèrent précisément « que la fortune immobilière des requérants ne leur permettait pas de mener à bien l’entreprise, que la navigation proposée ne serait pas d’un grand secours aux villes de l’intérieur qui n’ont qu’un petit commerce », et ils proposèrent le rejet (3 avril 1740).

Le Conseil du roi adopta leurs conclusions, et le Clain attend encore un concours plus heureux d’ingénieurs et de capitalistes.

On trouve dans le dossier, conservé aux Archives départementales de la Vienne, cote C, 47, une curieuse collection de lettres écrites par les associés et par leurs femmes à de puissants protecteurs, dont l’histoire n’a pas retenu les noms, ce qui ôte tout intérêt à cette correspondance.

Plaignons au moins les dames de l’Union chrétienne de Luçon, qui avaient eu l’initiative du projet, qui l’avaient mené au point de s’en faire, sans peine et sans responsabilité, tout tranquillement 5,000 fr. de rente, qui s’étaient résignées vu le malheur des temps, à 1,500 fr. de rente, et qui finalement, après trente-deux ans d’incertitudes et d’alternatives plus souvent tristes que riantes, virent sombrer leur fortune et leurs espérances sur cette rivière non navigable, sans tirer un denier de leurs rares et singulières aptitudes techniques et commerciales.

Fontenac.

 

Avant la Révolution, le couvent de filles de l'Union chrétienne occupait l'emplacement du carmel actuel, édifié à partir de 1850 en réutilisant les deux bâtiments non détruits de l'ancien couvent, respectivement datés de 1730 pour le bâtiment rue du Grand-Carmel, de 1750 pour le bâtiment rue Hector-Neullier.

La fondation vers 1780 du couvent de l’Union chrétienne de Luçon, appelé le Petit Saint-Cyr, a été racontée par Mr Jean Brumault de Beauregard, ancien chanoine de Luçon, mort évêque d’Orléans, et frère du fondateur ;

Cette notice a été publiée par M. Bitton dans l’Annuaire de la Société d’émulation de la Vendée, année 1888.

C’était un établissement d’instruction pour les jeunes filles de la noblesse et de la bourgeoisie du pays, même pour les filles peu fortunées, qui pouvaient y recevoir presque gratuitement une éducation en rapport avec leur état.

 Au moment de la Révolution, le couvent est affecté au logement des militaires, puis mis en vente comme bien national, le pensionnat avait pour supérieure Mme Auneau, et comptait au nombre des sœurs Mesdames Françoise de la Roy, Jeanne Grelier, Suzanne Vinet, et deux dames de Tinguy, Il y avait environ quatre-vingts élèves.

Après l’élection de l’évêque constitutionnel, la municipalité de Luçon fit fermer à son instigation toutes les chapelles des communautés pour empêcher les prêtres insermentés d’y dire la messe.

Cette mesure ne suffit pas aux rancunes du nouvel élu.

Le 19 novembre 1791, il demanda aux administrateurs du département de prendre la maison de l’Union chrétienne pour en faire le séminaire, sous prétexte qu’il serait plus rapproché de la cathédrale.

 A cette nouvelle les Sœurs rédigèrent une pétition pour être conservées dans leur maison, et la municipalité de Luçon, à qui l’administration centrale renvoya l’affaire, opina pour le statu quo.

 

Ce ne fut qu’un court répit ;

L’intolérance des exaltés se remit bientôt en campagne, et les Sœurs reçurent l’ordre de licencier leurs élèves pour le 15 février 1792.

 Elles demandèrent un sursis jusqu’au 1er mai, on le leur refusa ; elles s'avisèrent alors d’un autre moyen.

Un M. Dupuy, président du district de Cognac, écrivit que :

« les Religieuses de l’Union chrétienne de Luçon ont marqué à la dame Neigle de relever sa fille de leur maison, d’après un arrêté de la municipalité de Luçon, et que cette dame est fort embarrassée pour placer sa fille, attendu qu’elle est obligée d’aller joindre son marqui est en Amérique.

Le directoire du district de Fontenay délibéra sur la communication, et « considérant que la municipalité de Luçon parait avoir pris relativement aux pensionnaires de l’Union chrétienne un arrêté dont la nature et l’importance exigent qu’il soit approuvé par l’administration avant de pouvoir être exécuté, que cela est d’autant plus nécessaire qu’il peut se trouver dans ce couvent beaucoup de pensionnaires dans le même cas et peut être dans une position plus embarrassante encore que la dame Neigle, vis-à-vis desquelles la stricte exécution de cet arrêté pourrait entraîner des inconvénients; que d’ailleurs les religieuses de l’Union chrétienne y ont formé une opposition sur laquelle il n’a pas encore été statué, la municipalité de Luçon à qui cette opposition a été communiquée le 4 de ce mois n’y ayant pas encore répondu,

« Est d’avis qu’il y a lieu de surseoir à l’exécution de l’arrêté dont il s’agit jusqu’à ce qu’il ait été approuvé par le département. »

Les autorités de Luçon s’obstinèrent, et, à une époque où le « modérantisme » était un crime, gagnèrent à leur cause le département :

« Du 22 février 1792.

« Vu la pétition présentée par les Filles de l’Union chrétienne de Luçon tendante à ce que le délai qui leur a été accordé par la municipalité de Luçon de cesser l’éducation publique et de leur pensionnat le 15 de ce mois à défaut par elles d’avoir prêté le serment prescrit par l’arrêté du directoire du département le 5 décembre dernier, soit prorogé jusqu’au 1er mai prochain,

 « Vu aussi la délibération de la municipalité de Luçon du 26 janvier dernier,

« Le renvoi au directoire du département du 3 de ce mois,

« Le soit communiqué à la municipalité de Luçon en date du 3 de ce mois,

«  La réponse de ladite municipalité du 8 mai,

« Le renvoi du directoire du département du 18,

« Le directoire, considérant que l’article 2 de l’arrêté du Conseil général du département du 5 décembre porte qu’au défaut de prestation de serment de la part de ceux qui par état sont voués à l’instruction publique, ne pourraient tenir aucun pensionnat d’instruction, et qu’il résulte de la pétition des Dames de l’Union chrétienne de Luçon ainsi que de l’avis de la municipalité qu’elles ont refusé de prêter le serment exigé,

 « Est d'avis d’arrêter qu’il n’y a pas lieu à délibérer. ». (Arch. dép. Vendée).

 

Après la fermeture du pensionnat, l’autorité ne tarda pas à fermer le couvent lui-même ; les religieuses se retirèrent dans des maisons particulières de Luçon, où le Comité de surveillance les poursuivit de visites domicilaires sans résultat, notamment le 16 avril 1793.

Mme Françoise de La Roy, originaire de Benet, fut, avec d’autres, envoyé en prison à Fontenay le 4 ventôse an II, puis de là à Niort au moment de la prise de Fontenay par les Vendéens en mai 1793 ;

elle partagea la captivité de M mes De- bien et Rose Frouin des Ursulines de Luçon.

La chute de Robespierre leur rendit la liberté. Mme de La Roy se retira à la Copechagniôre avec une pension de 400 1. et y mourut en décembre 1809.

 

Il y eut dans le troupeau quelques défaillances, auxquelles les malheurs du temps, et sans doute aussi des incidents dont la trace est aujourd’hui effacée, vaudraient des circonstances atténuantes.

Le 4 octobre 1793, Mme Suzanne Vinet, née à la Commanderie de Launay en Sainte-Cécile, ex-religieuse de l’Union chrétienne de Luçon, prêta dans cette ville le serment de liberté et d’égalité, et signa en 1798 l’attestation qui suit :

« Je soussignée Suzanne Vinet, demeurant à Luçon, certifie n’avoir jamais rétracté les serments exigés par la loi.

« A Luçon le 21 messidor an VI de la République française une et indivisible.

« Suzanne Vinet ».

Le 2 nivôse an II, une autre religieuse de l’Union chrétienne, Jeanne Grelier, prêta le serment civique.

Elle ajouta que « retirée dans une chambre au-delà de la ville, elle n’avait eu connaissance de la loi qui exigeait d’elle le serment civique, mais qu’aussitôt qu’elle l’a su, elle s’est présentée, et déclare qu’elle s’est conformée et se conformera toujours aux lois de la République.

 « Le procureur syndic entendu, l’assemblée reçoit le serment de ladite Jeanne Grelier ».

Un autre document mentionne qu’elle a résidé à Luçon depuis le 9 mai 1792 jusqu’au 15 messidor an VI, c’est-à-dire à peu près jusqu’à sa mort, car une pièce du 26 frimaire an IX déclare qu’elle est décédée depuis longtemps. (Arch. mun. Luçon).

Lors de la fondation de l’Union chrétienne à Luçon, une des premières novices entrées dans la communauté avait été Mlle e de Chevigné, d’une famille noble des environs.

Elle s’y trouvait encore à l’époque de la Révolution, et, à la suppression, M. de Chevigné, son frère, offrit à sa sœur une retraite dans son château de la Grassière, avec autant de maîtresses et d’élèves qu’il en pourrait recevoir. Vingt élèves et quelques sœurs acceptèrent sa généreuse hospitalité.

C’est de cette petite colonie dont parle Mgr de Mercy dans une lettre à M. Paillou du 8 octobre 1794.

 Mindrisio, 8 octobre 1794.

«…. Ce qui est bien singulier et ce qui m’a fait grand plaisir c’est une lettre que M lu de Villedieu du Poitou écrit à son père qui est à la Haye. Vous savez que Mlle de Villedieu étaient dans le pensionnat de l’Union chrétienne. Mlle de Villedieu mande à son père : « Mlles de Villedieu. Mme de Chevigné et le petit troupeau se portent bien et sont dans une retraite sûre. »

« Je ne peux vous rendre ce que cette nouvelle m’a causé de joie. Elle me rassure sur beaucoup de choses quoiqu'elle ne contienne pas d’autres détails. »

Il y avait pourtant près d’un an que cette nouvelle n’était plus exacte.

 Les défaites des Vendéens avaient eu leur contrecoup à la Grassière, et la pieuse colonie, menacée de l’arrivée des Bleus, n’avait cru pouvoir mieux faire que de passer la Loire à Varade avec l’armée catholique, le 18 octobre 1793.

Après avoir suivi quelque temps l’sarmée, la déroute du Mans dispersa les maîtresses et les élèves ; quelques-unes périrent dans le combat, d’autres s'échappèrent du Mans à grand’peine. Celles qui ne purent fuir furent jetées dans les prisons, où elles moururent.

Les habitants en recueillirent plusieurs qu’ils rendirent à leurs familles après la pacification ; de ce nombre fut la nièce de MM. Brumault de Beauregard qui resta deux mois cachée chez un marchand de dentelles.

Mme de Chevigné put gagner Ancenis, où elle mourut.

En 1798, les bâtiments sont acquis par Charles Arnault de la Grossetière. (6)

 

Un seul document a été retrouvé sur les Soeurs de la Sagesse de Luçon, qui, lors de la fermeture de leur couvent, regagnèrent la maison-mère de Saint-Laurent-sur-Sèvre.

Filles de la Sagesse, vouée aux soins infirmiers et à l'enseignement, fondée en 1703 par le Bienheureux Grignion de Montfort.

 

« Aujourd’huy 7 mars 1792, les officiers municipaux de Luçon, en conséquence du délibéré de ce jour, se sont transportés en la maison des Sœurs de la Sagesse, située en cette ville, pour leur faire connaître les dispositions de l’arrêté du directoire du département de la Vendée, du 1er février dernier, et après que la lecture leur en a été faite par le secrétaire greffier, nous leur avons demandé si elles entendaient s’y conformer, en leur qualité de fonctionnaires publics, dans leur département de l'instruction des jeunes enfants qui viennent journellement dans leur maison tant pour s'y faire instruire, soit de la morale chrétienne, soit à filer et à dévider du coton.

Les dames de la Sagesse au nombre de quatre, nommées sœur Amédée, supérieure, sœur Reine, sœur Barnabé et sœur Madeleine, ont déclaré unanimement que l’arrêté dont on vient de donner lecture ne pouvait les concerner, parce qu’elles ne sont pas fonctionnaires publiques ; à quoi nous avons répondu que cette qualité était absolument inséparable des fonctions qui leur avaient été confiées.

 « Qu’au surplus, quand elles ne seraient point fonctionnaires publiques, la commune qui les avait reçues avait attaché la condition qu’elles seraient fidèles à la loi du royaume, et que, se refusant aujourd'huy à ce serment de fidélité, elle ne pouvait plus accepter leurs services ; en conséquence nous avons notifié aux dites sœurs en parlant à la sœur Amédée que, conformément à l’arrêté du 1er février, elles pussent à évacuer dans huitaine la dite maison, leur déclarant qu’elles seront remplacées définitivement à cette époque.

« Et comme il est instant, attendu le refus des dites sœurs, de commettre provisoirement des personnes qui puissent surveiller et inspecter les enfants, y établir l’ordre nécessaire et les faire marcher sur la ligne constitutionnelle dont les Sœurs n'ont pu et ne peuvent que les écarter, nous avons commis les personnes de Louise Maréchal, veuve Picard, Marie Chauvin, veuve Oger, auxquelles nous avons fait prêter le serment civique ordonné par la loi, lesquelles ayant comparu se sont chargées de toutes les fonctions que la commune avait assignées dans le principe aux dites Sœurs de la Sagesse, et principalement de la surveillance des enfants, de leur enseignement, enfin de la régie de ladite maison, jusqu’à ce que nous y ayons autrement pourvu.

Et, pour dès cet instant mettre en possession de ladite maison, nous avons assigné aux dites dames veuve Oger et veuve Picard la chambre haute dite de l’infirmerie pour coucher, et les avons conduites dans la cuisine, de laquelle nous les avons mises en possession, et leur avons ordonné de traiter doucement, humainement et amicalement les dites Sœurs de la Sagesse, et à ces dernières d’avoir pour les personnes commises les égards et la déférence qu’elles auraient pour nous-mêmes.

« Comme il est d’une nécessité indispensable de mettre des gardiens aux scellés que nous allons apposer, nous avons choisi les nommés Beliveau père et fils auxquels nous avons recommandé, pour la conservation et l’intégrité desdits scellés, de venir coucher dans ladite maison, où nous leur avons assigné la chambre Saint-Jean ; et, après lecture faite dudit procès-verbal, il a été signé par ladite dame Picard et les soussignés, la dame Oger ayant déclaré ne le savoir, et lesdites Sœurs ne le vouloir. »

« Ont signé : Maigre, maire, Morand, Sourouille, Parenteau, P. Serre, Arloing, Boismoreau.

Pour copie conforme :

Hilariot, secrétaire. » (Arch. dép. Vendée).

MIETTES D’HISTOIRE de L’UNION CHRÉTIENNE DE LUÇON

 

 L’hôpital de Luçon était desservi par des Sœurs de Saint- Vincent-de-Paul ; leur admirable dévouement et la mission toute de charité qu’elles remplissaient avec tant d’abnégation ne les sauvèrent pas de la persécution.

 L’évêque Rodrigue ayant voulu leur imposer un aumônier assermenté, elles adressèrent au directoire du district de Fontenay, le 28 juillet 1791, une pétition par laquelle elles demandaient, « qu’il leur fût permis d’avoir des aumôniers à leur choix, de choisir leurs confesseurs, d’être autorisées à appeler auprès des mourants les ministres qu’ils demanderaient, d’avoir la liberté d’instruire les enfants dans les principes religieux qu’ils avaient reçus, de conserver l’ecclésiastique qui en était chargé, et de conserver une clef du tabernacle de leur chapelle »

On leur répondit par un refus.

Nouvelle pétition, le 14 septembre 1791, « tendante à être conservées dans leurs fonctions malgré que la municipalité leur ait notifié de sortir, à ce qu’il leur soit permis d’exercer publiquement leur culte, de se servir de prêtres non conformistes pour faire célébrer le service divin, et que l’instituteur des enfants qui est à l’hôpital soit congédié pour sa mauvaise conduite, et d’être autorisées à appeler des prêtres non conformistes pour administrer les malades ».

« Vu la pétition ci-dessus et les procès-verbaux dressés par la municipalité de Luçon les 8, 10,12 et 17 de ce mois.

« Le directoire du district de Fontenay renvoie le tout à la municipalité de Luçon pour faire rapporter les lettres patentes portant établissement de l’hôpital et le contrat qui a dû être passé avec les Sœurs de la Charité lorsqu’elles ont pris l’administration dudit hôpital, et donner son avis, pour être ensuite par le directoire délibéré ce qu’il appartiendra .»

Toutes ces procédures aboutirent à l’expulsion des Filles de Saint-Vincent-de-Paul de l’hôpital de Luçon, au nom de la liberté, de l’égalité, et de la fraternité.

Carmel de Luçon a été fondé en 1847, par le Carmel de Nantes, à la demande de Mgr Baillès, alors évêque de Luçon, pour prier particulièrement pour ce diocèse en ruine à la suite de la Révolution. 

 

 

 

 

 

Le Patriote de la Vendée : Journal politique, agricole et commercial. Organe d'union républicaine.

Le clergé de la Vendée pendant la Révolution : 1789-1802 / par Edgar Bourloton

La révérence mère Saint-Benoît (Charlotte-Gabrielle Ranfray) (1755-1828), fondatrice et première supérieure générale de l'Institut des Ursulines de Jésus par l'abbé A.-D. Poirier

 

 

 

==> La navigation du Clain - le moulin de Chasseigne à Poitiers appartenant à l’abbaye de Nouaillé

Voyage Historique sur l’église - cathédrale de Luçon<==

Sur les pas de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, Mission dans le Diocèse de Luçon <==

Armand Jean du Plessis de Richelieu, de la Sorbonne à l’évêché de Luçon (Time Travel 1606) <==

 

 


 

(1) L'abbaye de Notre-Dame de Luçon remontait par ses origines, vers la fin du vue siècle, aux moines de saint Philibert, fondateur de Jumièges, puis de Noirmoutier. (Cf. E. Jaud, Saint Philibert : sa vie, son temps.)

La bulle qui détachait de l'immense diocèse de Poitiers, pour être érigés en sièges particuliers, les diocèses de Luçon et de Maillezais, est du 13 août 1317.

(2) Sur le siège de Luçon et la famille de Richelieu, voir A. de La Fontenelle de Vaudoré (Histoire du monastère et des évêques de Luçon, t. I, p. 331 -426).

(3) Il existait, dans le principe, à Luçon deux seigneuries : l'une ecclésiastique, qui avait pour chef-lieu le bail de Saint-Philibert (Beauregard, Hist. [mss] des Évêques de Luçon, p. 150 - 51);  l'autre laïque, dont le siège était aux halles. Celle-ci passa des vicomtes de Thouars aux sires de La Trémoille. Anne de Laval, duchesse douairière de La Trémoille, la vendit 8 août 1549) à Milon d'Illiers, vingt et unième évêque de Luçon, qui la légua avec le titre à ses successeurs. (Cf. Bitton, la Seigneurie laïque de Luçon : Annuaire de la Société d'émulation de la Vendée, 1887, p. 132 et suiv.)

(4) Il y avait aussi une église paroissiale, située d'abord tout près de la cathédrale et dédiée à saint Philibert. Mais à l'issue des guerres de religion, comme elle tombait en ruines, le titre paroissial fut transporté à l'église Saint-Mathurin, alors simple chapelle du cimetière. Restaurée et agrandie, mais toujours d'humble aspect, un peu isolée au nord de la ville, elle n'avait guère que son titre pour attirer la population autour de sa modeste chaire.

(5) Sur la cathédrale et la ville de Luçon, Cf. Ingold, Luçon et Saint-Michel-en-l'Herm dans les Paysages et Monuments du Poitou.

(6) ARNAULT de la GROSSETIÈRE. Armes d'azur à trois étoiles d'or, deux en chef, une en pointe, accompagnées en pointe d'un croissant de même (Armorial général). Aliàs de gueules à trois merlettes d'argent.

La famille ARNAULT DE LA Grossetière appartient à l'ancienne bourgeoisie du Bas-Poitou.

François Arnault, sieur de la Picardière, avocat au parlement, fit enregister son blason à l'Armorial général de 1696 (Mauléon) il figure dans plusieurs actes avec la qualification de sieur de la Grossetière.

Joachim Joseph ARNAULT, sieur de la Grossetière, écuyer, négociant à Moricq, intéressé dans les affaires des Marais d’Angles, capitaine aide major des gardes-côtes de la compagnie de St-Benoist-sur-Mer, était en 1778 contrôleur ordinaire des guerres à Luçon.

Gabriel Charles Louis ARNAULT de LA GROSSETIÈRE, né à Angles le 30 mars 1769, docteur en médecine à Luçon, où il est décédé le 19 mai 1810.

Il avait épousé à Fontenay-le-Comte en l’an VI Rose Bénigne de SAYVRE de GUIERCHES, née à Fontenay-le-Comte le 12 mai 1777, décédée au château de la Frenaudière à St-Sornin le 7 novembre 1844, fille de Louis Marie de SAYVRES, sieur de Guierches, ancien lieutenant général au siège de Fontenay-le-Comte, et de Marie Suzanne Jacquette CHEVALLEREAU, cette dernière, descendante de Me René PICHOT, sieur de La Gaubardière, et de Renée FRAPPIER du LANDREAU.

 

 

 

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