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PHystorique- Les Portes du Temps
13 août 2022

1336-1391 La région de Carcassonne pendant la première partie de la Guerre de Cent Ans Discours Historique

La guerre de Cent Ans, a écrit D. Vayssète, (1) eut de grandes suites pour le Languedoc en particulier. « En effet, son principal théâtre ayant été dans la Guyenne, le Languedoc, qui en était limitrophe, en soutint l'effort pendant plus d'un siècle, tant par les subsides continuels que cette province fournit à nos rois que par les services de la noblesse et des peuples du pays, qui, pendant tout ce temps-là, furent presque sans cesse sous les armes, et combattirent pour la défense du royaume et des droits de la couronne ».

Et le savant bénédictin reproche aux historiens français d'avoir « ignoré, omis ou altéré » la plupart des circonstances qu'il veut en rapporter.

 Rien de plus juste que ces observations elles peuvent s'appliquer même aux grands historiens, narrateurs plus que critiques, des deux premiers tiers du XIXme siècle. Ils négligent, ils oublient le Languedoc, et ne semblent pas se douter que nos rois, vaincus dans le nord et dans le centre, dépossédés dans l'ouest, étaient perdus s'ils eussent été encore tournés par le midi, et si les trois sénéchaussées de Toulouse, de Carcassonne et de Beaucaire n'eussent opposé à leurs ennemis de ce côté un rempart solide, que ceux-ci purent bien ébrécher par intervalles, mais qu'ils ne purent jamais forcer complètement.

Aussi ces princes n'eurent-ils pas l'insouci des historiens ils ne cessèrent jamais de manifester dans leurs paroles et dans leurs lettres, malheureusement aussi par leurs appels constants d'hommes et d'argent, tout le fonds qu'ils faisaient sur le fidèle concours des peuples de ces contrées.

Au surplus, si injustice est moderne, l'erreur est ancienne. Les chroniqueurs, même contemporains, ont laissé beaucoup à faire aux érudits des âges suivants pour établir la vérité.

Le plus illustre d'entre eux, maître Jehan Froissart, de Valenciennes, pèche par l'information et par les sentiments.

Sa méthode est d'interroger l'un et l'autre sur ce qu'il â vu ou entendu il recueille ainsi de précieux détails mais que de témoignages imparfaits, intéressés, que de légendes "même il doit enregistrer le fait s'altère si vite, se transforme si vite en légende.

 D'autre part il ne connaît et ne veut connaître que le monde qu'il fréquente, celui des princes, des chevaliers, tout au plus celui de la riche bourgeoisie la masse du peuple ne compte pas pour lui, il a pour elle un cœur de pierre. Il est donc continuellement faux, parce qu'il ne s'occupe que d'une partie de la nation, et qu'il ne voit les choses que par les yeux de ceux dont il s'occupe.

Le premier soin du roi de France Philippe VI, quand il se vit menacé de sa guerre par Edouard III, roi d'Angleterre, fut de visiter le Languedoc.

Dès le 30 janvier 1336 nous le trouvons à l'abbaye de Prouille, venant de Toulouse et du Toulousain, et peu de jours après à Carcassonne.

Il alla ensuite à Narbonne et à Béziers, où il fit son entrée le 8 février, séjourna à Montpellier du 15 au 22 février, passa à Nîmes et à Beaucaire.

Arrivé à Avignon le 3 mars, il donna des lettres en faveur des pareurs et parmentiers de la ville de Carcassonne, qui déjà depuis longtemps florissait par la fabrication des étoffes.

 Il flattait également les grands seigneurs ayant des intérêts dans la région, spécialement les comtes Jean d'Armagnac et Gaston de Foix, perpétuels rivaux, donnait au premier le riche comté de Gaure, aux portes de Toulouse, à l'autre 3.000 livres tournois, plus les revenus du moulin de Caumont, dans la sénéchaussée de Carcassonne, pour bien s'assurer leur concours en cas de guerre.

 C'est de ce côté en effet qu'éclata d'abord l'orage un différend de justice en Guyenne entre les deux rois, en 1336, fut l'occasion des premières hostilités. La justice entre des rois n'est pas facile à rendre..

 

 Edouard III ayant été condamné par le Parlement de Paris comme duc de Guyenne, Philippe VI envoya des commissaires, dont un était Raimond Foucaut, procureur en la sénéchaussée de Carcassonne, pour saisir ses châteaux dans ce pays.

On les reçut, dit Auguste Molinier, comme on recevait parfois les gens de justice au XIVme siècle, et même depuis : ils furent insultés, bien battus, et chassés.

Les seigneurs gascons du parti anglais, toujours prêts à entrer en guerre, « moult convoiteux », dit Froissart, firent aussitôt le dégât sur les terres françaises ; Edouard III équipa une flotte le roi de France, de son côté, envoya d'autres commissaires ; seulement, sans doute pour qu'ils n'éprouvassent pas le même désagrément que les premiers; il convoqua les milices du Languedoc à l'effet de les seconder (30 avril 1337).

Pierre de la Palu, seigneur de Varambon, sénéchal de Carcassonne, partit le 13 mai 1337 pour les aller joindre à la tête de la noblesse du pays.

 

La guerre de Cent Ans était commencée.

Le 20 mai suivant Philippe VI mandait au comte de Foix de se tenir prêt à marcher, et peu après envoyait en Guyenne le connétable de France Raoul de Brienne, comte d'Eu et de Guines, qui se joignit aux comtes de Foix et d'Armagnac. Ils eurent quelques succès. Mais le roi dut rappeler son connétable, et pour ne pas choisir entre les deux comtes, ce qui eût été s'aliéner celui qu'il aurait exclu, il les nomma tous deux, le 8 juillet 1338, ses lieutenants « dans les parties d'Agénois, de Bordelais, et de toute la Gascogne et la Langue d'Oc ».

 Ces seigneurs avaient de grands intérêts dans diverses parties du Languedoc et de la sénéchaussée de Carcassonne.

 Les d'Armagnac tinrent le comté de, Rouergue les comtes de Foix, de nombreux châteaux dans l'Albigeois.

En 1310 le comte de Foix avait cédé aux d'Armagnac, à titre d'échange, le château d'Alairac, avec Arzens et Preixan, autres terres de la châtellenie de Montréal. La ville de Montréal même avait passé d'abord des comtes de Carcassonne aux comtes de Foix, non sans contestation de la part des rois de France, qui tenaient le château, et en firent un important chef-lieu administratif.

Le châtelain royal de Montréal exerçait sa juridiction sur Limoux, le Razès, et les terres des seigneurs de Mirepoix." La première localité' du comté de Foix proprement dit en allant de Carcassonne vers l'ouest était Belpech, aujourd'hui dans notre département.

 La rivalité violente, accompagnée d'hostilités presque incessantes, qui divisait les Maisons de Foix et d'Armagnac, tenait surtout aux prétentions des d'Armagnac sur le Béarn, que retenaient injustement, à leur dire, les comtes de Foix. Jean de la Roche, seigneur d'Heller, sénéchal de Carcassonne, alla joindre Gaston II de Foix dans le temps même de la nomination de celui-ci comme lieutenant du Roi, en juillet 1338, et le seconda utilement avec ses troupes en Gascogne.

Le 26 du même mois, Philippe VI écrivit au comte de Foix de se rendre à Amiens, où l'on attendait les ennemis.

Le comte y alla en effet en septembre, avec 338 nobles du pays.

Les Anglais ne se présentant pas, le roi revint à Paris au commencement d'octobre.

Il donna alors à Gaston, pour le payer de ses senices, la moitié de la vicomté de Lautrec, qui était du ressort de la viguerie royale d'Alby, sous la juridiction supérieure du sénéchal de Carcassonne (2).

Le comte contribua beaucoup, en janvier 1339, à la prise de l'important château de Penne en Agénois.

Il se trouvait en octobre de la même année, avec le comte d'Armagnac et « presque toute la noblesse de Languedoc et de Gascogne, selon D. Vayssète, à l'ost de Buironfosse, près de la Capelle en Thiérache, dans le département actuel de l'Aisne

Le 23 octobre les deux armées et les deux rois étaient en présence on crut qu'une bataille décisive allait se livrer. Froissart énumère et nomme complaisamment, à cette occasion, les chefs de l'armée française : quatre rois, six ducs, trente-six comtes ; venant aux seigneurs du midi, sur lesquels apparemment il était moins renseigné, il se borne à ajouter : « Et de Gascogne et de Languedoc tant de comtes, de vicomtes et de sénéchaux, que ce serait un détri à recorder » – qu'il faudrait un long temps pour les rappeler.

 Ce n'est pas la seule fois que le fameux chroniqueur ait fourni l'exemple de cette négligence pour le Midi.

La bataille qu'on attendait ne se donna pas. Aucun motif précis n'en a été allégué appréhensions réciproques, terreurs superstitieuses, obstacles entre les deux armées que ni l'une ni l'autre ne voulut franchir la première, on ne sait..

 En 1340, le 11 avril, la noblesse de la sénéchaussée de Carcassonne partit sous le sénéchal Jean de la Roche pour rallier l'armée royale. L'événement marquant de cette campagne fut le siège de Tournay par le roi d'Angleterre les Anglais échouèrent.

Le comte de Foix et son frère le vicomte de Castelbon, ainsi que le vicomte de Narbonne Aimery, eurent une grande part dans ce succès.

Pendant ce siège, le sénéchal de Carcassonne avait été chargé de défendre Saint-Amand contre les gens du Hainaut.

« Adonc- je prends ici le récit du chroniqueur – était gardien et capitaine de Saint-Amand un bon chevalier de Languedoc et sénéchal de Carcassonne, lequel avait bien imaginé et considéré la force de la ville et disait bien que ce n'était pas forteresse tenable contre un ost, non mie qu'il s'en voulût partir, mais voulait demeurer et garder en son loyal pouvoir : mais il le disait par manière de conseil Toutefois il décida les moines de l'abbaye à se retirer à Mortagne avec leur-trésor.

 Les miliciens de Valenciennes, au nombre de bien 12.000, s'il faut en croire l'historien, se présentèrent d'abord, et assaillirent la place tout un jour sans succès, subissant même des pertes sérieuses ; « Allez boire votre goud ale » – votre bonne bière – leur criaient, par dérision les assièges du haut des murailles.

 Le comte de Hainaut, déjà irrité contre les gens de Saint-Amand, qui avaient brûlé l'abbaye de Hasnon, et essayé d'en faire autant de celle de Vicoigne, quitta le siège de Tournay avec 3.000 hommes d'armes à la nouvelle de l'échec des siens, et partit pour Saint-Amand, bien résolu à ne pas faire de quartier ses défenseurs.

Il fut repoussé d'un côté mais il s'avisa que d'un autre la forteresse n'était protégée que par les murs de l'abbaye, qu'il était facile de percer.

Sa troupe pénétra par- là dans la ville jusqu'à la place du marché. « Et là était le dit sénéchal de Carcassonne en bon convenant (en bon ordre), sa bannière devant lui, qui était de gueules à un chef d'argent et à deux demi-chevrons au chef, et était à une bordure d'azur endentée.

 Là, de-lez lui, s'étaient recueillis plusieurs compagnons de son pays qui assez hardiment reçurent les Hennuyers, et se combattirent vaillamment tant qu'ils purent mais leur défense ne leur valut néant, car Hennuyers y survinrent à trop grand' foison.

 Mesmement le sénéchal de Carcassonne y fut occis dessous sa bannière, et plus de 200 hommes d'armes, que environ lui que assez près ».

Froissart exagère ces braves Carcassonnais ne furent pas tous occis : le sénéchal fut seulement fait prisonnier, avec Guillaume de Thézan, seigneur de Castanet, et Guillaume Raimond de Baziège. Jean de la Roche ou de la Roque, ce qui est assez particulier, avait pris pour lieutenant Pierre de la Roque, dit chevalier de Fontiès-d'Aude, miles de Fontiano.

Il n'en faut conclure aucune parenté entre ces seigneurs, la différence des armes le prouve.

Les de la Roque, seigneurs de Fontiès au XVIe siècle, portaient de gueules à trois roses d'or, deux et un. C'est donc à tort très-probablement qu'on a fait deux frères du sénéchal et de son lieutenant. 

Dans cette même campagne de 1340, le comte Jean d'Armagnac contribua, sous les ordres du duc de Bourgogne, à la défense de Saint-Omer, et à la défaite complète du traître Robert d'Artois devant cette ville le 26 juillet 1340.

En 1341 le Languedoc fut menacé par un nouvel ennemi, le roi de Majorque Jacques II, en différend avec le roi de France au sujet de la souveraineté de Montpellier.

Le sénéchal de Carcassonne, nommé capitaine pour cette guerre, donna à garder le château de Caramany en Fenouillèdes à Isarn de Hautpoul, damoiseau de Pezens, réunit une armée à Saint-Paul de Fenouillèdes, prit de si bonnes dispositions que le roi de Majorque n'osa engager la lutte.

Malgré la défense que Philippe VI avait faite à la noblesse du Languedoc, le 7 février 1342, d'aller combattre en Espagne ou ailleurs hors du royaume, Gaston II de Foix, d'un caractère aventureux, emmena son frère le vicomte de Castelbon et un corps de noblesse au secours du roi Alphonse de Castille contre les Maures. Il mourut à Séville, au mois de septembre 1343, des suites, dit-on, des fatigues qu'il avait subies au siège d'Algésiras.

Il laissait pour héritier son fils Gaston III, le célèbre Phébus, alors âgé de douze ans, sous la tutelle de sa mère Eléonore de Comminges.

Gaston III épousa le 11 août 1349, au Temple de Paris, Agnès de Navarre, sœur du roi de Navarre Charles le Mauvais alliance qui ne fut pas heureuse.

En 1344 Philippe VI nomma le duc de Normandie Jean, son fils aîné, plus tard le roi Jean II, son lieutenant dans le royaume et en particulier dans le Languedoc. C'était un triste cadeau qu'il faisait à la province. Le duc Jean était brave, mais violent, obstiné, partial. Il donna aussitôt l'idée de son caractère et de ses talents.

Le sénéchal de Carcassonne, le connaissant mal, tenta de profiter de son arrivée pour réprimer les excès tyranniques de Gui de Comminges, sorte de brigand à moitié fou et d'une méchanceté atroce, qui s'appelait le roi de l'Albigeois, et qui en fut la terreur pendant vingt ans.

Nous voyons, par les plaintes du sénéchal, que Gui de Comminges avait, comme les autres seigneurs terriens du pays, une maison à Carcassonne, où il devait résider sous ses ordres un certain temps de l'année, « afin, dit le sénéchal, de veiller à la garde de cette ville royale (la Cité), qui est une des principales du royaume, le chef, la clef et le boulevard des parties de la Langue d'Oc. »

Ainsi les nobles du pays venaient a tour de rôle tenir garnison dans la Cité, et y seconder la compagnie des mortes-payes, c'est-à-dire des sergents à paye amortie ou perpétuelle, instituée par Saint Louis, corporation privilégiée dont chaque membre pouvait transmettre ou même aliéner sa charge à qui bon lui semblait, pourvu que le successeur pût rendre le même service.

 La garde des clefs appartenait alors à Jean II de Lévis, « si come sciaient avoir ses prédécesseurs porte un acte royal du 21 janvier 1346 - Gui de Comminges était de trop haute noblesse, et le duc Jean trop peu touché des réclamations des sujets, pour que le sénéchal obtînt gain de cause. Le duc fit accorder grâce entière, ou l'impunité complète, à ce bandit, qui, lui, mettait en chemise les gens de justice chargés de requérir contre lui, comme il fit au sous-viguier de Toulouse et à sa suite.

L'année suivante, moyennant un subside de 13.000 livres, le duc autorisa les habitants de la ville basse de Carcassonne à posséder une Cour de Justice, et à construire un bâtiment devant servir de siège au sénéchal et à ses officiers, sous prétexte que le château de la Cité, où la justice s'était toujours rendue, avait été brûlé, et vu l'incommodité d'avoir à gravir la colline de la Cité pour intenter et suivre les procès.

 Cette fois, sur l'opposition des gens de la Cité, le Gouvernement royal s'empressa de remettre les choses dans l'ancien état, nonobstant les lettres surprises au Prince, par lettres-patentes du 20 avril 1345.

L'acte dressé en conséquence de cet arrêt porte la mention, assez singulière, que ceci se passa 31 ans après que le comté de Foix eût été ôté du ressort de la sénéchaussée de Carcassonne.

 

Nous arrivons aux grands revers des années 1345 et 1346.

 

Bertrand, comte de l'Isle-Jourdain, mari d'Isabelle de Lévis, dame de Saissac, perdit d'abord la ville de Bergerac, qui se rendit le 24 août 1345 à Henri de Lancastre, comte de Derby, cousin du roi d'Angleterre, et un des meilleurs capitaines de son temps.

Le fils aîné de Jean de Lévis II, nommé aussi Jean, seigneur de Mirepoix, avait été tué sous les murs de la place. Le même comte Bertrand fut vaincu complètement à Auberoche, le 21 octobre suivant, par son adversaire anglais, avec une armée composée presque entièrement d'hommes des trois sénéchaussées de Toulouse, Carcassonne, Beaucaire, dans laquelle étaient le sénéchal de Toulouse, les comtes de Périgord et de Comminges, les vicomtes de Carmaing, de Villemur et de Bruniquel, Aimery vicomte de Narbonne, Guillaume de Pierrepertuse, seigneur de Cucugnan et de Solalges. 3.000, hommes, parmi lesquels presque, tous les chefs, furent tués, blessés ou pris.

Pendant ce temps le sénéchal de Carcassonne Girard de Roussillon, avec ses milices, en septembre 1345, du s'avancer vers Angoulême, où le roi lui-même se rendit nous le voyons au mois d'octobre à Marmande.

De concert avec le duc Pierre de Bourbon, que Philippe VI avait adjoint à son fils comme Lieutenant général, il manda à la noblesse de la sénéchaussée de se trouver à Agen le 8 novembre avec 2.000 sergents à pieds.

 

Le comte de Foix eut ordre d'y aller également : mais le sénéchal lui-même servit en Saintonge du 12 novembre 1345 au 8 janvier 1346.

 

Le duc de Bourbon séjourna à Agen jusque vers le début d'avril 1346, entouré de nombreux seigneurs languedociens.

 

C'est alors que le duc Jean de Normandie entreprit le siège d'Aiguillon.

Les préparatifs furent immenses. 100.000 hommes, dit-on vaguement; plus raisonnablement 6.000 chevaux et 50.000 hommes de pied, furent réunis à Toulouse, avec un train d'artillerie comprenant le tiers des machines et engins des sénéchaussées de Carcassonne et de Beaucaire.

La petite place d'Aiguillon, sise entre le Lot et la Garonne à leur confluent, ne valait certes pas la dépense d'un tel effort.

A ce siège, commencé vers la fin d'avril 1346, assistaient Girard de Roussillon, son lieutenant Amalric de Voisins et toutes les forces de sa sénéchaussée, les vicomtes de Castelbon, de Villemur, de Carmaing, les Lévis, les sénéchaux de Toulouse et de Beaucaire, le fameux Gui de Comminges, tandis que le comte de Foix et le sénéchal de Périgord assuraient les communications.

 L'impéritie du chef rendit vain tout ce puissant, armement, et inutiles toutes ces précautions. Il ne sut même pas maintenir la discipline et la cohésion dans cette masse d'hommes.

Dès le 16 mai Amalric de Voisins donnait des ordres très sévères pour arrêter la désertion des auxiliaires Génois et Lombards. Cet Amalric, qui paraît avoir joué un rôle important à ce siège, était des seigneurs d'Alzau; il avait un logement dans la Cité, et jouissait d'une forte assignation de fonds pour le mettre en état de servir en temps de guerre.

 Les barons d'Arques formait l'autre branche de cette famille, venue, comme beaucoup d'autres, de l'Ile-de-France au temps de la croisade des Albigeois.

Les Voisins étaient possessionnés dans le voisinage de Carcassonne, à Maquens, Villalbe, Couffoulens, Roulens ils tinrent aussi Pezens, Puyvert, eurent au moins des terres à Bram, Limoux, Cuxac-d'Aude.

Il n'y eut, d'après Froissart, qu'un effort très-sérieux contre la place d'Aiguillon, et il fut fait par les milices des trois sénéchaussées, auxquelles devaient succéder à midi celles du Rouergue, du Quercy et de l'Agénois.

 Ces braves gens enlevèrent un pont fortifié sur la rivière, arrivèrent au fossé, et, à l'aide-d'une barque qu'ils y introduisirent, parvinrent à faire tomber le pont-levis, sur lequel ils se précipitèrent, malgré les projectiles de toutes sortes que leur lançaient les assiégés.

Mais ils manquaient des moyens de forcer la porte ou d'escalader les murailles, la journée s'avançait : ils durent se retirer; les assiégés revinrent, et rétablirent leur pont « plus fort que devant.

 Le siège fut levé le 20 août 1346. Les chefs des défenseurs, le hennuyer Gautier de Mauny et le comte anglais de Pembroke, acquirent un grand renom pour avoir ainsi résisté victorieusement à une si grande armée pendant quatre mois.

Et ce honteux échec n'était rien encore auprès de la défaite de Crecy, qui se produisit quelques jours après, le 26 août.

Les troupes languedociennes ne purent paraître à cette bataille. Parmi les seigneurs on cite Jacques II de la Jugie, d'une famille encore plus considérable que celle de Voisins, favorite des papes d'Avignon et des rois de France, qui tint la seigneurie de Rieux-Minervois, et de grands biens dans diverses parties du pays.

Le 23 août, à Agen, le duc Jean désigna le comte d'Armagnac pour le remplacer en Gascogne et Languedoc;

 le même jour il autorisa la ville de Toulouse à restaurer ses défenses, abattues en partie en 1229 travail qui dès 1352 était à peu près terminé.

Les murailles alors construites ont duré en partie jusqu'au XIXe siècle.

En février 1347, les villes de Carcassonne, Limoux, Montréal et d'autres reçurent également la permission de se fortifier, nonobstant les ordres contraires donnés au temps de la Croisade des Albigeois:

Les désastres de Crécy et d'Aiguillon faisaient craindre une attaque prochaine du Languedoc.

La chute de Calais, du 4 août 1347, événement lointain, eut pourtant encore de certaines conséquences dans ce pays, parce que Philippe VI rémunéra les habitants de Calais expulsés en leur accordant divers avantages, et particulièrement les offices vacants cinquante furent ainsi envoyés dans la sénéchaussée de Carcassonne, et y occupèrent des postes royaux, non sans opposition, à ce qu'il paraît.

 Plusieurs familles de Calaisiens s'établirent dans la ville.

En septembre 1347 le pape Clément VI moyenna une trève entre tes deux Couronnes.

 Mais un fléau succédait à un autre, et en amenait un autre. Ce fut après la guerre la famine, puis la peste, la terrible peste noire de 1347-1348, qui enleva, d'après Froissart, bien le tiers des habitants de l'Europe occidentale - et l'assertion, d'après des documents et des témoignages authentiques, n'est pas-exagérée.

Le fléau éclata en Provence, venant d'Orient, comme toujours, vers la Toussaint de 1347, et y dura seize mois, ne laissant subsister, à ce qu'on prétend, que le tiers de la population.

Il passa de là dans le Languedoc; on affirme qu'à Narbonne seulement il mourut 30.000 personnes.

 A Carcassonne l'épidémie sévit du commencement du carême de 1348 à la Pentecôte.

L'évêque Gaucelin de Jean distribua tous ses revenus pour le soulagement des malades et des misérables. Tous les religieux Cordeliers (mineurs Franciscains) périrent, en partie victimes de leur zèle, ainsi que quarante-six Dominicains (ou Jacobins) avec leur prieur.

On enterrait les cadavres au cimetière de Saint-Amadou, hors des murs de la ville basse, dont, paraît-il, on ignore encore aujourd'hui l'emplacement.

A Béziers, il ne restait plus personne pour administrer la ville, tous les magistrats et leurs officiers étant morts à Limoux les impôts ne furent pas levés cette année, faute de contribuables. A Montolieu, ville alors importante, surtout par son abbaye et par son château de Mailast, et dans beaucoup de localités, il fallut agrandir le cimetière.

 Une des victimes, à ce qu'on présume, fut le comte Bertrand de l'Isle-Jourdain, devenu lieutenant royal le 31 décembre 1347, et qui mourut le 12 août 1348.

Sa veuve, la dame de Saissac, fonda un hôpital à Carcassonne en 1360. Il y eut, comme il arrive en pareil cas, des excès de toutes sortes, des turpitudes comme celles des Flagellants, qui reparurent ; on s'en prit aux Juifs, à de prétendus empoisonneurs ; cinq malheureux furent suppliciés à Carcassonne, quatre à Narbonne, deux à la Grasse, beaucoup jetés en prison.

 

Et les préparatifs de guerre ne cessaient pas.

Narbonne recevait, comme Toulouse et Carcassonne, la permission de relever ses murailles (30 décembre 1349).

En janvier 1350 Pierre de Beaumont, sénéchal de Carcassonne, conduisit ses troupes à l'armée de Gascogne les hostilités étaient recommencées, malgré La trêve conclue.

 Le roi Philippe VI mourut cette année, le 22 août. On lui doit la fondation de la ville ou bastide de Revel, en 1341.

Son successeur, Jean II, vint tenir les Etats de la Province à Montpellier le 8 janvier 1351, et vingt-deux villes du Languedoc se firent représenter aux Etats Généraux tenus à Paris le 15 mars suivant.

 Il s'agissait toujours de subsides les Etats accordèrent 50.000 livres tournois; et d'appels de gens de guerre, les sénéchaux de Toulouse et de Carcassonne fournirent 2.000 arbalétriers et 100 hommes d'armes.

Le clergé de la province tenait aussi son assemblée, car la discipline ecclésiastique elle-même souffrait par le malheur des temps. Pierre de la Jugie, troisième fils de Jacques II, archevêque de Narbonne, réunit ses suffragants en concile à Béziers le 7 novembre 1351.

C'est ce fameux cardinal de Narbonne, qui fit bâtir le palais archiépiscopal de cette ville, l'église et le château de Capestang, le château de Leuc, la maison de l'officialité à Limoux, et ériger son tombeau à St-Just de Narbonne.

 

L'apparence de trêve qui existait encore entre la France et l'Angleterre cessa le 12 septembre 1352.

Les Anglais commirent d'affreux ravages dans la sénéchaussée de Toulouse, et le jeune comte de Foix vint dans cette ville pour la défendre. Malheureusement le roi Jean nomma le comte d'Armagnac lieutenant royal dès la' fin de novembre de cette année : ce qui excita la jalousie de Gaston.

 De plus son beau-frère Charles le Mauvais ayant fait assassiner Charles de la Cerda, connétable de France, le roi ordonna aux comtes d'Armagnac, de Comminges et à d'autres d'attaquer la, Navarre : Gaston III alors dévasta l'Armagnac.

Les Anglais profitaient de ces troubles en 1354 ils recommencèrent leurs courses dans le Toulousain.

La guerre s'approchait, du Carcasses : le roi commanda d'Avignon, le 3 février 1355, au sénéchal de Carcassonne défaire travailler aux fortifications de toutes les places et de tous les châteaux de sa sénéchaussée mesure qui eût été assurément fort utile, si on eût pu l'exécuter avant l'orage qui fondit précisément cette année-là sur le pays.

 

La région de Carcassonne pendant la première partie de la Guerre de Cent Ans (1336-1391) Discours Historique

C'est alors en effet que le roi d'Angleterre Edouard III envoya en Guyenne son fils le prince de Galles Edouard, dit le Prince Noir.

 

A peine débarqué à Bordeaux, ce prince organisa, avec 15 à 18.000 hommes, Anglais et Gascons, vieux routiers ou habitués aux armes, une grande reconnaissance offensive, voulant éprouver la force de cette muraille du Languedoc qui avait arrêté jusque- là ses compatriotes, et voir s'il ne serait pas possible d'atteindre par là le Rhône, et de prendre ainsi à revers les rois Valois : « chevauchée grande et belle, dit Froissart, où les gens d'armes firent grandement bien leur profit. »

 En réalité cette expédition, sans résultat stratégique, fut, comme la qualifie très justement Auguste Molinier, un simple exploit de brigands, fort impolitique, car, en cherchant à se faire redouter, les Anglais accrurent la haine encore plus que la terreur qu'ils inspiraient.

 

Nous en possédons, dans la chronique anglaise de Geoffroy le Backer, un récit qu'il est intéressant de comparer à celui de Froissart, comme l'ont fait MM. Joseph Poux, archiviste du département de l'Aude, et Henri Mullot, conservateur de la Bibliothèque municipale, dont la savante étude a éclairci plusieurs parties obscures de ces deux narrations.

Le Prince pénétra dans la sénéchaussée de Toulouse le 26 octobre 1355, et passa à trois lieues au sud de la ville sans l'attaquer.

« Pour ce temps, dit Froissart, la cité de Toulouse, n'était mie grandement menre que la cité de Paris ; mais le comte d'Armagnac fit abattre tous les faubourgs ».

Il avait réuni, selon le chroniqueur, jusqu'à 49.000 hommes; nous savons qu'il avait mis en réquisition tous les hommes valides au-dessus de quatorze ans. Il disposa tout ce monde pour la défense de la place, déjà munie, on l'a vu, de bonnes murailles, résolu d'ailleurs à ne pas se risquer en pleins champs avec ces recrues contre les troupes aguerries du Prince anglais.

Celui-ci passa la Garonne le 28 octobre vers Portet et le confluent de l'Ariège, et coucha près de là à la Croix-Falgarde.

Le 29, par Castanet, il arriva à Montgiscard, qui fut brûlé.

 

Le chroniqueur français fait à ce propos une curieuse remarque :

« La forteresse, dit-il, n'était fermée fors de murs de terre et de portes de terre couvertes d'estrain (de chaume, stramen), car on recouvre en ou pays, à grand'dire, de pierre nequedent », car on ne recouvre jamais de pierre, à vrai dire, dans ce pays.

Le 30 l'armée logea à Avignon et, dont, observe A. Molinier elle se garda bien d'attaquer le château, sis sur une hauteur, et qui peut-être l'eût arrêtée longtemps.

Elle incendiait partout ce qui pouvait être livré aux flammes, particulièrement les moulins à pastel, alors une des grandes industries du Lauraguais.

Le 31 octobre les Anglais étaient à Castelnaudary, que Froissart appelle Neufchâtel d'Aury, «  une moult grosse ville et bon châtel (in grandi oppido, dit de même le Backer), et remplie de biens et de gens mais elle n'était fermée, ni le château aussi, fors de murs de terre, selon l'usage du pays ».

Tout fut renversé et brûlé, 1’hôpital et les couvents comme le reste, même l’église Saint-Michel où beaucoup d'habitants s'étaient réfugiés.

Les Anglais étaient pressés; dans le pillage ils dédaignaient les pennes (les étoffes), ne faisaient compte que de vaisselle d'argent ou de bons florins.

 Leur procédé était simple ils saisissaient un bourgeois, le battaient et le blessaient jusqu'à ce qu'ils en eussent tiré ce qu'ils désiraient. Froissart place ensuite l'arrivée à Villefranche, où évidemment les Anglais avaient passé en venant à Castelnaudary : il a brouillé ses souvenirs, lui ou celui qui l'intruisait.

Le Backer commet une erreur pareille au sujet de Canet-d'Aude. Villefranche est qualifié aussi par notre chroniqueur « une bonne ville, et grosse, et bien séant, où demeuraient grand'foison de riches gens.

Et il ajoute : « Sache que ce pays de Carcassonnais, et de Narbonnais, et de Toulousain, où les Anglais furent en celle saison, était en devant un des gras pays du monde, bonnes gens et simples gens, qui ne savaient que c'était de guerre. Si trouvaient les Anglais et les Gascons le pays plein et dru, les chambres parées de kieutes (de tapis) et de draps, les écrins et les coffres pleins de bons joyaux. Par Villepinte et Aizonne, qui fut incendié le 2 novembre.

Les ennemis arrivent le 3 novembre devant Carcassonne, « belle ville, dit le Backer, fort riche et bien construite, plus vaste que Londres entre les murs villam pulchram, praedivitem et bene aedificatam, amplorem Londoniis infra muros ».

Le P. Bouges observe en effet que la ville, ou, comme on disait, le Bourg de Carcassonne, avait alors deux fois l'étendue de la ville d'aujourd'hui, bien qu'elle ne fût pas aussi peuplée.

Froissart lui donne « bien 7.000 maisons ».

 Malheureusement elle n'était ceinte que de murs de terre, sauf du côté de la rivière, où une forte muraille de pierre avait été élevée contre les inondations.

 

Cette enceinte datait de 1276.

 Entre la ville et la Cité, dit le Backer, la rivière courait sous un pont de pierre, au pied duquel était situé un bel hôpital, « sub ponte petrino, ad cujus pedem pulchrum hospitale erat situatum » : témoignage curieux et important au sujet de l'antiquité de cet hôpital, qui a été contestée.

Le sénéchal Thibaut de Barbazan, l'ancêtre de Barbazan sans reproche, un des libérateurs du territoire sous Charles VII, s'était enfermé avec ses hommes dans la Cité, comme c'était pour lui l'ordre et le devoir.

Les Carcassonnais défendirent-ils leur ville quand même ? Le Backer le donne à penser, sans y insister autrement, lorsqu'il parle d'un sir Basset Drayton, fait chevalier à ce moment, ainsi qu'on avait accoutumé, avant les batailles, qui dresse sa bannière, selon l'usage, et s'élance pour gagner ses éperons, comme on disait.

Le Prince de Galles, dans une lettre à l'évêque de Winchester, où lui aussi qualifie Carcassonne de « belle ville et grandes, déclare qu'il y avait dedans beaucoup d'hommes d'armes et de gens des communes, mais, ajoute-t-il, à notre, venue ils guerpirent la ville, et s'enfuirent à l'ancienne, qui est un moult fort châteaux. »

Il est clair qu'il s'agit ici des hommes d'armes et des milices que le sénéchal emmena avec lui ; comme les habitants vaincus se replièrent de même dans la Cité, le Prince ne distingue pas : ce qui se comprend d'après le texte de cette lettre, compte-rendu très-sommaire, où le plus important des opérations seulement est signalé en quelques mots.

D'autre part un des principaux officiers de l'armée anglaise, John Wingfeld, dit positivement dans une autre lettre que l'on prit Carcassonne : « Et prist la ville de Carcasoun, qu'est plus graunt, plus fort et plus-belle qu'Everwick. »

Et si l'on voulait soutenir que pris ne signifie pas autre chose ici qu'occupé, il reste Froissart, qui certainement, son récit tout entier le prouve, écrivait d'après des témoins oculaires, et qui nous conte : que les habitants avaient tendu à l'entrée de chaque rue jusqu'à dix ou douze chaînes que derrière cet obstacle bien insuffisant, « ils recueillirent faiticement – accueillirent bravement les Anglais ; qu'Eustache d'Aubercicourt franchit les chaînes un des premiers ; que les défenseurs, criblés de flèches par les archers anglais, furent déconfits et boutés hors de leur ville » ; que plusieurs enfin se sauvèrent dans la Cité, où l'on avait préalablement fait retirer les femmes et les enfants.

Le pont de l'Aude en effet restait libre, protégé par l'artillerie de la Cité. Seulement je ne sais où Auguste Molinier a pu prendre ce qu'il écrit, que les bourgeois, « aidés par quelques sergents et bidaux laissés par les officiers royaux, se défendirent de rue en rue, et périrent presque tous ». A-t-il simplement amplifié le récit de Froissart?

Le 3 et le 4 novembre l'armée se reposa dans le Bourg, dont elle occupait les trois quarts, et se refit « avec du vin muscat et toutes victuailles en abondance, tant des délicates que des nécessaires, « habundams vino muscato et caeleris victualibus, tam delicatis quam necessariis ».

Froissart célèbre également « ces bons vins et ces bons muscades de Narbonne. C'est alors que les bourgeois retirés dans la Cité tentèrent de sauver la ville de l'incendie en faisant offrir au Prince une somme énorme, que le Backer donne en toutes lettres, deux cent cinquante mille écus d'or.

Le chef anglais aurait répondu fièrement : «  qu'il n'était pas venu pour chercher de l'or ou poursuivre justice, ni pour vendre des cités, mais pour les prendre, quod huc non venit pro auro et justitia prosequenda, nex ut venderet, sed caperet civitales »

Il est fâcheux pour cette grandiloquence que, au dire du même chroniqueur, qui nous rapporte le fait, une localité qu'on pense être Pexiora, où était une commanderie de l'Ordre de St-Jean de Jérusalem, se fût rachetée le 1er novembre précédent au prix de 10.000 florins.

 Froissart affirme qu'un peu plus tard Homps se racheta pour 12.000 écus.

Le Prince n'était pas en veine de magnanimité tous les jours, à moins de supposer des vols, peu probables, de subalternes.

Quant à la somme elle-même qu'auraient offerte les Carcassonnais, il leur eût été certainement impossible de la rassembler, surtout en quelques jours. L'or alors était rare, extrêmement cher, les preuves en sont partout dans l'histoire de ces temps. Le P. Bouges réduit la somme à 25.000 écus d'or mais n'est-ce pas arbitrairement,? Auguste Molinier maintient 200.000 écus d'or. ·

Le 6 novembre le Prince ordonna l'incendie du Bourg. Il essaya le même jour, d'après le P. Bouges, de forcer 1’entrée de la Cité.

Il était naturel qu'il cherchât à se rendre compte de l'état de la forteresse, à découvrir quelque partie vulnérable, peut-être à provoquer un combat ou une panique.

Il dut, lancer dans ce but quelques bandes d'enfants perdus par le pont de l'Aude, où l'artillerie de la Cité, selon Froissart, en atteignit quelques-uns ; mais il est sûr, MM. Mullot et Poux l'ont suffisamment démontré, que l'armée entière ne passa pas l'Aude.

Et cependant, ajoute le P. Bouges, si le Prince eût connu l'état de la place, il s'en fût rendu maître facilement sans coup férir. L'eau manquait, par suite d'une longue sécheresse, pour la foule des réfugiés.

C'est bien en effet par la privation de l'eau qu'on réduisait en général les châteaux de ce pays.

Seulement le chef anglais ignorait ce détail, et il n'entrait pas dans ses plans d'organiser un blocus.

Convaincu que la place, comme dit Froissart, « ne faisait mie à prendre il poussa de l'avant en hâte par la rive gauche de l'Aude, et après avoir franchi cette rivière à Castelnau, arriva dès le 8 novembre devant Narbonne, « dont la Cité était forte, dit le Backer, avec de bonnes murailles.

Le faubourg, appelé le Bourg, était vraiment plus grand et mieux construit que celui de Carcassonne : «  Civitas fortis et bene murata….. Habuit etiam sububium, vocatum Burgum, revera majorem et melius aedificatum quam illum de Carcassona ».

Le Prince de Galles s'exprime à peu près de même :

«  Nous venîmes à la ville de Narbonne, qu'était noble ville et grant, assez plus que n'était Carcassonne ». Et Wingfeld « La dite ville (de Narbonne) est poi meyndre de Loundres », un peu moins grande que Londres.

Là deux évêques envoyés d'Avignon par le Pape firent demander audience au Prince, qui refusa de les recevoir, déclarant qu'il ne pouvait traiter sans l'autorisation du roi son père, auquel ils devaient préalablement s'adresser.

Les Anglais cette fois livrèrent l'assaut à la Cité, séparée du Bourg par l'Aude, comme à Carcassonne, et où se trouvaient, à ce qui fut rapporté au Prince, le vicomte Aimery avec 500 chevaliers les ennemis furent repoussés après un violent combat, qui dura pendant la nuit du 8 au 9 et toute la journée du 9.

Cet échec commença à inquiéter le chef anglais.

Il apprenait de plus, il l'explique lui-même, que l'armée de Toulouse s'était mise en mouvement, et le suivait ; il représente même sa marche en arrière comme ayant pour but d'atteindre et de combattre cette armée : Nous les poursuivîmes à grandes journées, dit-il, mais ils retournèrent vers Toulouse.

Auparavant, il alla vers le nord rallier un corps qui assiégeait Capestang ; il sut là une autre mauvaise nouvelle : les milices de la sénéchaussée de Beaucaire s'avançaient vers Béziers sous les ordres du connétable Jacques de Bourbon.

 La situation des Anglais, entre deux armées ennemies et deux places imprenables, devenait dangereuse : le Prince se replia rapidement, épandant la destruction et, l'incendie à l'aide de corps détachés.

 Le 12 il couchait à Homps, au lieu, dit le Backer, où d'Armagnac avait couché la nuit précédente.

Un des deux chefs évitait l'autre. On accusa fort d'Armagnac. Le Backer d'autre part est difficile à entendre. MM. Muliot et Poux pensent que le Prince, après avoir brûlé Azille, Pépieux, la Redorte, fit un crochet vers le nord par Siran, la Livimère, Ventajou (ces deux derniers lieux furent anéantis) mais ils sont ainsi forcés d'ajouter une journée à l'itinéraire de le Backer, qui d'ailleurs déclare positivement que l'armée laissa à droite l'étang de Marseillette, Carcassonne et l'ancienne route.

 Est-il impossible que le Prince ait envoyé de fortes reconnaissances sur ses ailes, qui le ralliaient après avoir fait de longs détours ? Quoi qu'il en soit, Peyriac et Conques, au nord de l'Aude, furent brûlés, et le Prince coucha le 13 (le 14 selon MM. Mullot et Poux) à Pennautier, au-delà du pont, dit le Backer, ses forces occupant aussi Villalier.

On incendia Pezens et la région, et un arriva le dimanche 14 (ou le 15) à Prouille, où vivaient, dit le Backer cent Prêcheurs, et cent quatorze dames recluses dites Prêcheuses (dominicaines).

Evidemment les Anglais avaient trouvé sur leur chemin Montréal, qui fut pris et mis à sac mais puisque Limoux eut le même sort, sans que  la marche du Prince fût arrêtée, il faut bien qu'une colonne ait été détachée et envoyée de ce côté.

 Le Prince préserva de tout dommage le grand monastère qui l'hospitalisait, et en reconnaissance les religieux le reçurent, lui et beaucoup d'autres, en confraternité spirituelle, in spiritualem confraternitatem.

 On aurait tort de voir dans cet acte une signification politique ; les sentiments des religieux et religieuses de Prouille ne pouvaient être douteux. Nous voyons par une pièce de nos archives que les dames de N. D. de Prouille avaient prêté au roi de France; avant 1345, une somme de 250 livres, qui n'était pas encore restituée à la date du 14 août1368, où Charles V donna l'ordre de le faire.

De son côté, le gouvernement royal veillait attentivement à préserver de toute atteinte cette grande maison, refuge respecté des filles nobles de tout le pays.

En 1360, le 8 avril, le comte Jean de Poitiers, fils du roi de France Jean II, annulait un acte des commissaires royaux qui avaient fait saisir les provisions du couvent à Fanjeaux, Villasavary, Villeneuve-la-Comptal, pour en garnir les forteresses.

Le 8 février 1365 le duc d'Anjou, à Carcassonne, prenait d'autres mesures pour la défense du couvent.

 La piété du Prince anglais ne l'empêchait pas de continuer à lancer ses bandes incendiaires par tout le pays.

Dans le voisinage, le bel oppidum de Fanjeaux, Lasserre, Villasavary en furent les victimes.

 Enfin le 15 novembre (ou le l6) les Anglais étaient arrivés à Belpech, qu'ils durent prendre de force le château se rendit. Le Prince défendit de faire le dégât: dans le pays à cause du comte de Foix, qui en était le seigneur.

Gaston III vint de sa personne à sa rencontre. Le Backer nous apprend à cette occasion que le comte n'avait encore que 20 ans, qu'il n'était pas chevalier, et qu'il venait de s'échapper des prisons du « Couronné de France » (les Anglais ne disent pas le roi), où il avait été retenu deux ans.

Ces détails sont inexacts le comte avait 24 ans et non pas 20, et sa prison, qui dura peu, est de 1356.

Le Prince Noir repassa la Garonne à Monthaut et revint à Bordeaux.

 

La courageuse défense et les malheurs des populations de la sénéchaussée de Carcassonne leur valurent du moins de vives sympathies.

Dès le 22 novembre 1355, à la première nouvelle du désastre, le roi Jean écrivait aux Carcassonnais pour tâcher de les consoler, leur annoncer l'envoi d'une puissante armée sous le, duc d'Orléans, les exhorter-«  à garder, dans de telles adversités, la constance de leurs fidèles aïeux », avec promesse de les récompenser « comme de spéciaux et sûrs amis, tanquam speciales et fideles amicos ».

Cette lettre fut suivie de l'ordre au comte d'Armagnac de faire réparer et fortifier la ville basse dans le plus bref délai? On jugea nécessaire de rétrécir beaucoup l'enceinte, qui fut fermée cette fois de murs de pierre et de fossés.

Ce grand œuvre était achevé, ou du moins la ville entièrement garnie, avant avril 1359 : car on a encore, à diverses reprises, travaillé depuis à ces défenses. M. Cros Mayrevieille a exprimé l'opinion, d'après des études faites sur l'état du sous-sol, que le Bourg rebâti en 1355 différait de l'ancien non seulement par la diminution d'étendue, mais par ce fait que les rues ne furent pas toutes rétablies exactement selon le même tracé.

 Les deux grands faubourgs bâtis aux environs des couvents des Jacobins et des Cordeliers datent de plus tard.

 

Jean comte de Poitiers, puis duc de Berry, contribua par ses libéralités avancer l'ouvrage.

 Il prorogea d'un an les impositions, et le roi défendit aux créanciers des habitants de les faire saisir ou emprisonner jusqu'à un certain délai. Il se produisit quelques difficultés : en raison du rétrécissement de l'enceinte, on avait interdit aux bouchers de tuer dans l'intérieur de la ville : ils réclamèrent, rappelant les pertes qu'ils avaient subies par l'incursion du Prince de Galles et l'incendie de la ville, représentant que les portes étaient fermées la nuit, ce qui les gênait extrêmement.

Par un nouveau règlement, de juin 1359, ils obtinrent de pouvoir tuer et écorcher les animaux dans leurs maisons.

Carcassonne toutefois ne recouvra pas son ancienne prospérité.

En 1283 et 1304, d'après le recensement ordonné par Philippe le Bel, la-ville avait 1273 feux taillables, non compris 843 feux de pauvres, qui ne payaient rien, et certaines personnes payant à part, à savoir les nobles, 43 notaires, 9 médecins, 12 lombards (banquiers), 30 juifs, 40 sergents, 15 avocats, 9 prêtres et 250 autres clercs.

Or, en juillet 1372, des lettres de Charles V fixaient à 807 seulement le nombre des feux d'imposition du Bourg (ou de la ville) de Carcassonne

 

L'ordre donné pour la réparation de Carcassonne fut étendu à toutes les villes de la région.

On fortifia Béziers, Narbonne, les places de l'Albigeois et du Castrais.

Le 15 décembre 1355 le sénéchal Thibaut de Barbazan commettait Bernard-Raimond de Durfort pour-visiter les châteaux de ces deux derniers pays  la fin d'août 1356 le roi Jean, se trouvant à Chartres, confirmait les privilèges accordés par le comte d'Armagnac aux habitants d'Avignonet, Fanjeaux, Castelnaudary, Montgiscard, Mas-Saintes-Puelles, pour les aider à rétablir leurs villes ou villages.

Il accordait dans le même temps et pour la même cause à ceux d'Alzonne des exemptions d'impôts, et le droit de prendre gratuitement du bois dans les forêts royales, en vue particulièrement de reconstruire leur église et leur hôpital.

La crainte du retour des Anglais engagea les Etats du Languedoc, réunis à Toulouse le 16 mars 1356, à voter un subside considérable, malgré l'appauvrissement d'une bonne partie du pays.

Il n'y eut qu'une défection, celle du châtelain ou gouverneur de Termes, au diocèse de Narbonne, qui arbora le drapeau rouge et livra sa place aux Anglais au commencement de 1356.

 Le 5 avril de cette année le roi Jean fit arrêter Charles le Mauvais pour ses cabales contre l'Etat, et aussi, dit-on, le comte de Foix, bientôt mis en liberté, puisque nous le voyons dès l'été qui suivit recommencer sa guerre perpétuelle contre les d'Armagnac.

 A la fin de 1357 il partit avec une troupe de chevaliers pour aller combattre les païens de la Prusse dans les rangs des chevaliers teutoniques.

 

Les Languedociens étaient peu nombreux à la journée de Poitiers, ou de Maupertuis du 19 septembre 1356, bien plus funeste encore que celle de Crécy.

On cite le vicomte de Narbonne Aimery VII, qui fut grièvement blessé et resta prisonnier du Prince Noir avec le roi, de France, ainsi que le sénéchal de Toulouse, le comte de Castres et Vendôme Jean VI, un des membres importants de la sénéchaussée de Carcassonne (la baronnie de Lézignan fut dans cette Maison), Jacques II de la Jugie, également blessé et pris (il mourut deux ans plus tard dans son château de la- Livinière près Pépieux), enfin sept chevaliers, la plupart tués ou pris. Froissart ne nomme personne du Midi. 

Dans les agitations qui suivirent, le Languedoc fit voir une fidélité, une dignité, une intelligence de la situation, qui n'existaient guère ailleurs.

Tandis qu'à Paris éclataient la révolution d'Etienne Marcel, et dans les campagnes voisines le soulèvement des Jacques, les Etats de la province, dès le 13 octobre 1356, à Toulouse offraient une armée entière, 13.000 chevaux et 2.000 fantassins, avec l'argent pour les solder, et ordonnaient un deuil d'un an, « sans cointises quelconques (sans parures), et que aucun ménestérieus, jugleurs (ménétriers et jongleurs) ne joueraient de leurs mestiers

Seulement ils imposèrent des conseillers au comte d'Armagnac (3).

 

Il y eut néanmoins en mai 1357 une émeute Toulouse pour le fait des impôts. Les Etats faisaient plus qu'ils ne pouvaient les taxes votées ne se recouvraient pas dans un pays ruiné. Les émissaires du roi de Navarre agitaient le peuple. Les gens de guerre, n'étant plus payés, se mirent à piller :

c'est l'origine de ces Compagnies de routiers, qui firent tant de mal.

Ce n'était pas le jeune comte de Poitiers, âgé de 16 ans au plus, envoyé dans le Languedoc par le Dauphin Charles, régent du royaume, avec le titre de lieutenant général, qui était capable de trouver des remèdes à une telle situation.

Encore les chevaliers du Midi rendirent-ils un service notoire au Dauphin lui-même, expulsé de Paris et menacé par les Jacques, ou paysans soulevés.

La propre femme du Régent, avec la duchesse d'Orléans et bien 300 dames ou demoiselles des premières Maisons de France, surprises par l'insurrection, n'ayant plus leurs maris, leurs fils et leurs frères, pris ou morts à Poitiers, pour les défendre, s'étaient réfugiées dans le Marché de Meaux, îlot fortifié entre la Marne et un canal, accompagnées seulement du duc d'Orléans et de quelques hommes d'armes.

Les Jacques marchaient pour les assaillir : elles étaient perdues sans un secours vraiment providentiel.

 Gaston Phébus revenait justement de combattre en Prusse et de chasser en Scandinavie, avec son cousin Jean de Grailly, captal de Buch, et une soixantaine de bonnes lances.

Ces chevaliers se jetèrent dans l'île pour protéger les dames. Comme les Jacques se ruaient à l'assaut, le 19 juin 1358, la porte de la forteresse s'ouvrit toute grande, et cet escadron d'élite fondit sur les paysans. Un des chevaliers qui prirent part au combat, ou plutôt au massacre qui suivit, contait plus tard Froissart qu'ils en avaient tué plus de 6.000. Ils en étaient tous « lassés et tannés dit le chroniqueur.

Ce fut la fin de l'insurrection, parce que les gens des châteaux reprirent courage, et exterminèrent le reste des Jacques.

 

Les Etats du Languedoc continuaient leurs démonstrations de fidélité.

A la fin de 1358 une délégation de quatre membres, avec une suite, se rendit à Londres « pour s’informer de la santé du roi, en rapporter des nouvelles dans le pays, et lui offrir les corps, les biens et les familles de tous les habitants de la Province pour sa délivrance ».

On peut juger que Jean fit bon accueil aux envoyés, qui lui apportaient, outre ces compliments, une somme fort ronde en or; il accorda divers avantages aux villes qu'ils représentaient, en particulier l'autorisation à ceux de Carcassonne de faire procéder à la vérification des feux qui s'étaient conserves après la peste et la guerre, afin d'établir plus équitablement les charges (4 mars 1359).

Ces effusions amicales en effet étaient accompagnées de demandes réitérées d'argent.

 Le pays était si épuisé que les Etats réunis à Toulouse vers la fin du même mois de mars durent recourir à l'odieuse gabelle sur le sel.

Et l'on avait sur les bras, outre les gens de guerre licenciés ou déserteurs, l'ambitieux comte de Foix, qui attaquait d'Armagnac, envahissait, les domaines royaux, exigeait le gouvernement du Languedoc, et, ne l'obtenant pas, battait les Toulousains, brûlait les faubourgs de leur ville.

La guerre dura avec lui de janvier 1359 à juillet 1360, malgré l'intervention du pape Innocent VI, les ambassades et les efforts du comte de Poitiers, incapable de résister.

Les gens de Narbonne d'un autre côté voulaient qu'en retour de leurs sacrifices on leur permît d'établir un port à proximité de leur ville, parce que le port royal d'Aigues Mortes s'ensablait de plus en plus ils ne l'obtinrent pas.

Le 4 mars 1360 le roi Jean décida que le port d'Aigues-Mortes serait restauré, et demeurerait le seul du Languedoc « C'était, dit fort bien Auguste Molinier, sacrifier les intérêts de tout le pays à ceux d'une bourgade, création factice, dont la décadence était chaque jour plus évidente au point  que le roi dut permettre de contrevenir en certains cas à sa propre ordonnance.

Le mariage du comte de Poitiers avec Jeanne d'Armagnac, sœur du comte Jean II, le 24 juin 1360, en montrant à Gaston de Foix qu'il ne l'emporterait pas sur son rival, le détermina, contre toute attente, à faire la paix.

Il l'accorda le 7 juillet 1360, à Pamiers, aux instances de Jean le Meingre, dit Boucicaut, et des envoyés pontificaux, mais au prix de 200.000 florins d'or ; et comme il gardait les places prises à d'Armagnac, celui-ci s'empressa d'en réclamer autant, avec menaces de guerre et il fallut aviser à les satisfaire tous deux.

 

Une paix encore bien plus coûteuse venait alors d'être conclue entre les deux Couronnes de France et d'Angleterre à Brétigny, près de Chartres, le 8 mars 1360.

 

 Le Languedoc y perdait toutes ses anciennes annexes, le Périgord, l'Agénois, le Quercy, le Bigorre, et il fallait payer l'énorme rançon du roi, 3 millions d'écus d'or.

 Les seigneurs gascons et languedociens refusaient, comme les habitants de la Rochelle, de porter leur foi au monarque Anglais Jacques de Bourbon, envoyé du roi Jean, négocia pendant un an pour les amener à y consentir.

Le comte de Poitiers, désigné comme otage, ne se pressait pas de partir; il s'y résigna quand le roi l'eut fait duc de Berry et d'Auvergne en compensation du Poitou, abandonné aussi aux Anglais, en lui conservant même son gouvernement du Languedoc, où il se fit représenter par des lieutenants.

La sénéchaussée de Carcassonne fut celle qui contribua le plus, selon D. Vayssète, au payement de la rançon du roi.

 

On continuait d'en fortifier hâtivement les places. Les couvents même se garnissaient tant qu'ils pouvaient. Nous voyons que sur une réquisition du procureur du Chapitre de la Grasse de mars 1361, adressée à l'administrateur de l'abbaye, exposant que les ennemis avaient déjà occupé plusieurs lieux de la sénéchaussée dans le voisinage du monastère, d'ailleurs fortifié et défendable, le dit administrateur y établissait un capitaine avec des hommes d'armes, et tout ce qu'il fallait pour la défense.

La ville de la Grasse était fortifiée la même année.

Comigne, qui dépendait du couvent, fut également mis dès 1363 en état de résister, sur la demande de ses syndics, avec un capitaine pour la garde du château.

A Montolieu, on réédifiait le château royal de Mallast, sur la Dure : si bien que, durant l'année 1361, le Bègue de Vilaines, alors sénéchal de Carcassonne, le défendit victorieusement contre des bandes d'aventuriers,  qui ne purent que brûler la ville, seulement palissadée.

 Ils n'en continuèrent pas moins de rôder dans l'Albigeois.

Le traité de Brétigny en effet, si cher qu'il eût coûté, n'était pas la paix : il ouvrait au contraire une lutte nouvelle, tout aussi désastreuse que l'autre.

Depuis vingt-quatre ans que durait la guerre, il s'était formé une classe de capitaines et de soldats d'aventures, déshabitués de tout travail, inaptes à tout métier, propres seulement à combattre et surtout à détruire.

Quand on voulut, la paix signée, obliger ces gens à quitter les forteresses, ils se révoltèrent et se mirent à courir le pays, prenant les châteaux, contraignant les villages et les villes dégarnies à pactiser avec leurs chefs.

Ils abondèrent en Bourgogne, en Champagne, en Languedoc, surprirent Pont-Saint-Esprit sur le Rhône, occupèrent plusieurs places de la sénéchaussée de Beaucaire, tuèrent le sénéchal.

 

 En janvier 1361 le pape Innocent VI, menacé dans Avignon, prêcha une croisade contre ces bandits; le roi Jean écrivit au sénéchal de Carcassonne de se transporter dans la sénéchaussée de Beaucaire pour tâcher de les arrêter.

Un de ces aventuriers, un certain Jean Gouje (Gucci), de Sienne en Italie, qui opérait en Provence, eut la fantaisie de s'appeler roi de France, prétendant être Jean Ier fils de Louis X, mort en 1316.

 Le pape et le roi se débarrassèrent de ceux de Pont-Saint-Esprit en leur donnant de l'argent, moyennant quoi ils consentirent à suivre le marquis de Montferrat en Italie, sauf à revenir quelques mois plus tard.

Mais il y en avait d'autres une armée royale sous les ordres de Jacques de Bourbon fut complétement vaincue par eux à Brignais, près de Lyon, le 6 avril 1362 ; Jacques de Bourbon y fut blessé mortellement avec un de ses fils.

La ruine des campagnes avait produit en 1361 la disette, qui fut suivie de la peste, comme en 1348.

Le maréchal d'Audencham, ou d'Audrehem, dont Emile Molinier a écrit l'histoire, nommé le 20 septembre 1361 capitaine général en Languedoc, réunit les Etats à Montpellier à la fin de mai 1362 pour aviser aux moyens d'arrêter les bandes : et lui-même soudoyait des routiers castillans qui en juillet 1361 avaient dévasté le Fenouilhèdes, malgré les efforts de Pierre de Voisins, châtelain de Rennes-le-Château.

Finalement on employa encore l'argent, Henri de Transtamare, frère ennemi de Pierre le Cruel roi de Castille, reçut la baronnie de Cessenon, dans la sénéchaussée de Carcassonne, de fortes sommes pour lui et les Compagnies d'aventure, et parvint à les entrainer en Espagne (juillet-août 1362) elles passèrent à Carcassonne, le 21 septembre.

 Le comte de Foix, en novembre suivant, obtint la sortie de celles qui depuis trois ans réduisaient le pays de Mirepoix en solitude, si bien que tous les habitants avaient fui en Aragon ce qui n'empêcha pas le même comte d'engager à son service une partie des routiers d'Henri de Transtamare et d'Audrehem à leur passager.

 Avec ces secours il défit complètement le comte d'Armagnac à Launac le 5 décembre l362 : les comtes d'Armagnac et de Comminges, le sire d'Albret, une foule de chevaliers furent fait prisonniers, et durent fournir d'énormes rançons à leur vainqueur.

 D'Armagnac seul fut taxé à 300.000 florins d'or !

Un des principaux épisodes de la guerre contre les routiers, dans notre sénéchaussée, fut le siège de Peyriac-Minervois, que ces gens avaient surpris le 11 novembre 1363.

D'Audrehem vint aussitôt, le 16 novembre, les attaquer mais la saison avancée l'obligea de se retirer, entre le 28 novembre et le ler décembre. Il reprit le siège le 16 mai 1364, avec la noblesse et les milices des trois sénéchaussées.

Le château fut enfin enlevé d'assaut dans la nuit du 18 au 19 juin 1364.

Tous les aventuriers qu'on put saisir furent mis à mort, sauf sept, que le maréchal enferma au château de Trèbes. Mais La fureur de la population était telle contre les brigands, que les Carcassonnais vinrent assaillir le château pour les enlever. D'Audrehem les ayant fait transporter dans la Cité, on tenta encore de s'en emparer, et ils ne furent sauvés que par la hauteur des murailles.

C'est, au milieu de ces tristes événements que le roi Jean mourut à Londres, le 8 avril 1364.

L'état du Languedoc était lamentable, le désordre partout terrible.

Les marchands ne se risquaient plus hors des murailles qu'en caravanes armées. On ne distinguait plus entre les brigands et les gens du roi, on les recevait de la même façon; les évêques même et les couvents repoussaient ceux-ci par les armes: le gouvernement royal donna plusieurs lettres d'absolution pour des cas pareils.

On n'obéissait qu'alla force. Les monastères étaient en lutte continuelle avec leurs vassaux, malgré, les interventions royales en leur faveur. A Saint-Hilaire, à la Grasse surtout, les consuls et la population d'une, part, les abbés et les religieux de l'autre furent pendant de nombreuses années en démêlés violents, ils allaient parfois jusqu'aux coups.

 Le viguier de Narbonne voulut à la fin, en 1381, intervenir à la Grasse : il fut chassé par les armes, lui et sa suite. Ne sachant à quel moyen légal recourir pour s'affranchir, les habitants avaient imaginé d'acheter la bourgeoisie d'Aigues-Mortes, dont les coutumes, octroyées par saint Louis,  nous présentent, dit M. Robert Mitchel, le maximum de franchises que les sujets du roi purent atteindre (4). » La démoralisation atteignait la famille.

On cite avec effroi le drame de Montréal en 1374. Deux frères, Hugues et Raimond d'Arzens, s'étaient pris d'une haine mortelle l'un contre l'autre.

Pendant trois ans, par leurs dévastations réciproques, ils désolèrent les environs de Montréal.

Pierre des Gardes, évêque de Carcassonne, secondé par les principaux habitants de Montréal, tenta en vain de les réconcilier. Leur père alors, un vieillard octogénaire, les fit venir auprès de lui dans sa maison, se mit à genoux devant eux, les supplia de cesser leur discorde, déclarant que s'ils refusaient il se tuerait incontinent. Comme ils restaient insensibles et obstinés, le père fit ce qu'il avait dit, il se plongea un poignard dans le cœur.

Les deux frères furent emprisonnés, et le sénéchal de Carcassonne les condamna à être bannis du royaume à perpétuité.

Le roi confirma la sentence. Charles.V, dit le Sage, fils et successeur de Jean II, s'efforça du moins de réparer les maux du royaume.

C'était une lourde tâche, puisqu'il fallait, pour l'accomplir, chasser les Anglais et les routiers, ancrés les uns et les autres dans le pays

Au mois de novembre 1364, il nomma son frère puîné Louis, duc d'Anjou, lieutenant général, en Languedoc.

 C'était un prince bien doué, qui gouverna assez prudemment, tant qu'il n'écouta pas sa folle ambition d'être roi. Cette passion le perdit et troubla le Languedoc.

Le sénéchal de Carcassonne était alors Arnaud d'Espagne, seigneur de Montespan, qui tint cette charge jusqu'à sa mort le 4 août 1383, et la transmit, chose rare à cette époque, à son fils Roger d'Espagne.

 Le 28 mars 1365, le Duc confirma les privilèges des sergents de la Cité de Carcassonne, en donnant à cette ville royale les titres connus de « tête, maîtresse et clef de tout le Languedoc, quae caput est et magistra et clavis totius linguae Occitanae »

Ces sergents, d'après des lettres du maréchal, d'Audrehem datées de Nîmes, le 16 avril 1364, avaient entre autres droits celui assez singulier de transit, sans leudes ni péages, par tout le royaume, dans de certaines limites sans doute.

Dès le début du règne, Charles V, eut, à réprimer les trames de Charles le Mauvais, qui s'entendait avec le Prince de Galles et les Compagnies de routiers.

Le célèbre Bertrand Duguesclin battit à Cocherel, en Normandie, le 16 mai 1364, les partisans du roi de Navarre, qui se résigna à faire la paix, le 6 mars 1365, moyennant la cession de la baronnie de Montpellier.

A la fin de cette année 1365, Duguesclin réussit à emmener les Compagnies, 30.000 hommes environ, de nouveau en Espagne, par Carcassonne, pour soutenir Henri de Transtamare contre Pierre le Cruel

 Tout n 'était pas encore parti, car en mars 1366 les brigands dévastaient les environs de Carcassonne. Ce fut bien pis quand ils revinrent d'Espagne ; le duc d'Anjou fit alors attaquer, au mois d'août, une forte bande, aux environs de Montauban, par une armée que commandait Guy d'Azay, sénéchal de Toulouse, et dans laquelle se trouvaient les deux autres sénéchaux, le vicomte Aimery de Narbonne, les vicomtes de Carmaing et d'Uzès, et d'autres chefs.

Les Languedociens dispersèrent une première troupe, à Montech le 13 août, et se heurtèrent le lendemain à Villedieu, entre le Tarn et la Garonne, à la Compagnie principale.

Ce fut une des plus chaudes affaires de toute la guerre.

Les Français chassèrent d'abord leurs ennemis jusque dans la ville de Montauban mais là ils furent arrêtés. Le gouverneur anglais et la population soutenaient les brigands.

Froissart conte que les femmes même avaient amassé des pierres dans le haut des maisons, et les lançaient furieusement sur les assaillants. Les routiers reprirent courage, et à leur tour repoussèrent les Français hors de la ville. Une bande de 400 hommes, qui venait de loin et qu'on n'attendait pas, se jeta encore sur eux par derrière. Après sept heures d'un combat acharné, ils furent vaincus. Les trois sénéchaux furent pris, avec les trois vicomtes, une centaine de chevaliers, et beaucoup de personnes notables des trois sénéchaussées (14 août 1366). Il est vrai que le pape défendit aux prisonniers, libérés sur parole, de payer leur rançon.

Auparavant, quand on attendait le retour des bandes, les officiers de la sénéchaussée avaient ordonné aux habitants des châteaux d'Alairac et de Preixan, appartenant au comte Jean d'Armagnac, de se fortifier et de brûler les faubourgs.

L'ordre ne fut pas exécuté, et le comte fut si furieux de la désobéissance des manants qu'il incendia lui-même ses châteaux.

Le 10 février 1367 Montolieu fut de nouveau occupé par les brigands, et eut beaucoup de peine à se relever.

En 1378 le duc d'Anjou exemptait les habitants de tout subside sauf un franc par feu, attendu, portent ses lettres, que ce lieu était dépeuplé par les courses des bandes, la famine et la peste, « au point qu'il faudra que les consuls et les particuliers l'abandonnent, et se transportent en mendiant dans quelque pays éloigné, si on ne les aide de quelque secours ».

Henri de Transtamare, délaissé par les Compagnies, ne put d'abord conserver le trône de Castille.

 Il fut vaincu avec Duguesclin à Najera ou Navarette, le 3 avril 1367, par le Prince Noir et les mêmes gens qui venaient de l'asseoir sur ce trône.

Duguesclin resta prisonnier

 Henri, sauvé par la vitesse de son cheval, arriva à Orthez, où Gaston Phébus l'accueillit bien, puis gagna Toulouse et le château de Pierrepertuse, où il finit par s'établir avec sa famille (5), après avoir vendu au roi de France, pour avoir de l'argent, son comté de Cessenon, Servian et Thézan.

 Il retourna bientôt en Espagne, en mars 1368, avec Duguesclin délivré, fut vainqueur à Montiel, poignarda son frère après la bataille, et resta roi de Castille.

Ce fut un utile allié pour la France.

 A ce moment Louis d'Anjou, poussé par sa malheureuse ambition, essayait de conquérir la Provence sur la reine Jeanne de Naples.

Avec quelques troupes de routiers, qu'il emmena, et Duguesclin, il mit le siège devant Tarascon le 4 mars 1368, l'obtint par entente avec les habitants, puis assaillit la ville d'Aix sans succès (6).

 D.Vayssète lui attribue la pensée d'avoir ambitionné le royaume d'Arles. Le pape d'Avignon, qui se croyait menacé lui-même par cette tentative, parvint à l'en détourner.

Le Duc se réconcilia avec la reine Jeanne, en fut adopté ensuite, et se vit alors héritier de son royaume.

En attendant, tout ce qu'il avait gagné avait été de faire envahir le Languedoc par les Provençaux, qui détruisirent les bâtiments du port d'Aigues-Mortes.

 

Les Anglais heureusement s'étaient brouillés avec les Gascons.

Le Prince Noir, revenu malade et ruiné de sa victorieuse campagne de Navarette, demanda de l'argent à ses sujets français.

 Les villes firent des conditions ; les seigneurs, d'Armagnac, d'Albret et les autres, qui déjà avaient dépensé dans cette campagne, refusèrent absolument, et eurent l'idée d'en appeler au roi de France.

En avaient-ils le droit ? Charles V le soutenait, prétendait que le roi son père n'avait jamais abandonné explicitement son droit de souveraineté sur les pays cédés.

Quoi qu'il en soit, il accueillit les Gascons à bras ouverts, les comblas d'argent et d'honneurs.

Une princesse du sang, Marguerite de Bourbon, sœur de la reine de France, était à marier on la donna à d'Albret, qui l'épousa le 4 mai 1368.

 Le duc d'Anjou, s'attendant au renouvellement de la lutte, prit à sa solde des compagnies de Bretons, ordonna de fortifier l’ampliatio nova, la nouvelle extension ou bastide de Castelnaudary, qu'il avait fait bâtir à nouveau en lui assurant tous les privilèges des bastides royales, conclut une série de conventions avec d'Armagnac et les seigneurs, chacun recevant sa commission par exemple Armand Bérat), seigneur de Seissac, fut chargé, le 14 janvier 1369, de défendre Najac ; le vicomte de Narbonne Aymeri VII reçut l'ordre de terminer les fortifications de sa ville ; il devint amiral de France le 28 décembre 1369, malgré son impopularité, car il était détesté comme un tyran, et ce doit être contre lui que se produisit le soulèvement de la noblesse dont le détail est exposé dans une pièce, non datée, de nos archives départementales.

 Le Prince de Galles fit jeter en prison les officiers du sénéchal de Toulouse chargés de le citer devant le Parlement de Paris, le 25 janvier 1369; mais dès les premiers mois de cette année presque tout le Querci redevenait français, le Rouergue suivait, puis la ville de Montauban(en août 1369).

Pour en finir, le roi rappela d'Espagne Duguesclin et le nomma connétable.

En juillet 1370 une armée que celui-ci commandait avec le duc d'Anjou, dans laquelle servaient les trois sénéchaux avec les principaux chefs gascons elle vicomte de Narbonne, fit de rapides progrès dans l'Agénois et le Périgord la place d'Aiguillon, qui s'était si bien défendue en 1346, se soumit sans résistance.

En même temps le duc de Berry prenait Limoges, que le Prince Noir reprit le 19 septembre 1370, y ordonnant le massacre de la population; l'incendie et la subversion totale de la ville.

Ce furent ses adieux à la France, il retourna en Angleterre pour y mourir avant le roi son père. La fortune abandonnait de plus en plus les Anglais.

 

La descente du duc de Lancastre dans l'automne de 1373 n'aboutit à rien qu'à des dévastations sur sa route dans une partie de la France.

La campagne de 1374 fut très heureuse dans le Midi, malgré une terrible famine, durant laquelle le setier de blé se vendit jusqu'à 20 francs d'or à Toulouse. On prit deux des châteaux des Compagnies les plus redoutés, celui de Lourdes sur un officier du comte de Foix, celui de Mauvézin, au vicomte de Castelbon malheureusement, Lourdes fut ressaisi par les routiers.

Le vicomte de Castelbon se soumit. On enleva encore la Réole, le 27 août 1374 le sénéchal de Carcassonne fut laissé pour y commander.

La trêve de Bruges, du 27 juin 1375, arrêta les hostilités.

Le duc d'Anjou en profita pour revendiquer encore une couronne, celle de roi de Majorque. Il équipa une flotte, nomma Arnaud d'Espagne son maréchal, se disposa à franchir les Pyrénées ce qui n'eut d'autre conséquence que d'amener dans le Fenouilhèdes les troupes du roi d'Aragon Pierre IV, possesseur du royaume de Majorque, et de donner plus d'audace aux bandes, qui cette année 1376 menacèrent Nîmes et Alais.

Le pape Grégoire XI accommoda le roi d'Aragon et le Duc. Celui-ci eut alors le bonheur de terminer une affaire grave, celle de la réconciliation de Phébus avec le comte d'Armagnac et avec la France.

 On peut croire que le comte de Foix ne se donna pas gratuitement: pour 100.000 francs, dédommagement disait-il, de ce qu'il perdait du côté du roi d'Angleterre, il promit, le 25 janvier 1377, à Tarbes, de servir le roi de France contre les Anglais ; le 3 février suivant, dans la même ville, les deux comtes jurèrent la paix.

 Gaston de Foix gardait ou obtenait une partie de l'Albigeois, Mauvézin et d'autres châteaux son fils Gaston le jeune devait épouser Béatrix, fille du comte Jean II, celle qu'on surnommait la gaye, c'est-à-dire la jolie Armagnagoise.

Une réconciliation solennelle se fit le 3 avril entre les deux familles, qui se combattaient cruellement-depuis près de cent ans.

Le contrat de mariage fut signé le lendemain. L'union ne fut pas consommée en raison de l'âge des jeunes époux elle devait ne l'être jamais.

Cette année les routiers coururent l'Albigeois, s'établirent à Sorèze ; mais l'Auvergne, spécialement le château de Carlat, était le grand réduit de ces brigands.

On remit à plus tard à en finir avec eux, parce que le roi Edouard mourut le 23 juin 1377 et que Charles V ordonna aussitôt la reprise des hostilités contre les Anglais, pour profiter de la minorité de Richard II, fils du Prince Noir, qui succédait à son aïeul.

 

Le Duc et Duguesclin prirent cette année cent-vingt places ou châteaux en Guyenne.

 Le Languedoc malheureusement soutirait de plus en plus des exigences du Duc ; on en vint à la révolte ouverte.

La ville de Nîmes se souleva la première, en mai 1378.

L'année 1379 fut mauvaise : les bandes de Perducat d'Albret et autres capitaines de Carlat marchèrent en septembre vers Béziers, annonçant l'intention d'assiéger Carcassonne ; les officiers de la sénéchaussée mandèrent en hâte leur chef Arnaud d'Espagne, occupé dans le Comminges.

Les débats recommencèrent avec le roi d'Aragon; les côtes du diocèse de Béziers furent ravagées en octobre par les Aragonais. Les Communes du Languedoc, qui déjà au mois de mars avaient accordé au Duc un subside de six francs huit gros par feu, ce qui était deux ou trois fois la taxe ordinaire, furent sommées en octobre de fournir une imposition exorbitante de douze francs par feu, payables un franc par mois pendant un an. Cette fois on éclata. Les commissaires envoyés à Montpellier pour lever ce subside furent massacrés, le 25 octobre 1379, avec tous leurs officiers sauf un seul, au nombre de 80 selon les uns, de 107 selon les autres.

 L'exemple fut suivi le 31 à Clermont-l'Hérault. On entendit dans les campagnes le sinistre cri de Mort aux riches !

Le duc d'Anjou partit d'Avignon avec des troupes, s'arrêta d'abord à Nîmes le 17 janvier 1380 pour châtier J'insurrection, entra dans Montpellier le 20 au milieu d'un peuple entier à genoux, criant miséricorde, les consuls ayant la corde au cou. Il fut heureux que pour lui la cause du mal pût guérir le mal: comme il voulait, surtout de l'argent, après avoir rendu une terrible sentence, il se laissa fléchir par le cardinal d'Atbano ; on en fut quitte pour une forte amende et la punition des meurtriers.

La ville de Carcassonne était, ce semble, restée sage ; le Duc y entra néanmoins comme un vainqueur le 17 février 1380, à la tête de soldats auxquels il avait permis tous les excès, et qui les continuaient.

Mais ce fut la fin : le sage roi Charles V, averti par les clameurs et les révoltes des peuples, ôta à son frère le gouvernement du Languedoc.

Le Duc en partit au mois de mai 1380.

Les bandes, profitant toujours du désordre, s'emparèrent en ce temps de Châteauneuf de Randon en Gévaudan, dans la sénéchaussée de Beaucaire; et de Thurei ou Turie en Albigeois.

Les députés du Languedoc demandèrent au Roi un capitaine, s'engageant à payer l'expédition il envoya Duguesclin.

On sait que le grand connétable mourut devant Châteauneuf de Randon le 13 juillet 1380, dans le moment où la place capitulait.

 Charles V était alors résolu, paraît-il, à nommer Gaston Phébus gouverneur du Languedoc,

Dès 1379, avant la prise de Turie, les gens d'Alby et du comté de Castres gavaient sollicité la protection du Comte de Foix, possessionné dans cette région, et le comte leur avait promis, moyennant une contribution raisonnable, « de garder si bien le pays que pas un n'y perdrait une poule ».

Dans le fond, il semble qu'il ait pourtant craint de mécontenter la Cour de France en agissant sans mandat, et qu'il ait attendu d'être officiellement désigné, puisqu'il laissa prendre Turie; qui même fut assiégé sans succès du 17 octobre 1380 au février 1381.

 Charles V, lui dépêcha, en 1380, le cardinal d'Amiens Lagrange, un de ses conseillers intimes, auquel devait s'adjoindre le sénéchal de Carcassonne: mission qui resta sans résultats par la mort du roi, survenue le 16 septembre suivant, avant que la nomination fût expédiée, et par la disgrâce du cardinal qui suivit aussitôt ce décès.

Gaston n'en fit pas moins d'énergiques efforts pour obtenir ce gouvernement, rêve de sa vie entière. D'Armagnac voulait qu'il fût confié à son beau-frère le duc de Berry le nouveau roi Charles VI n'avait que 12 ans, et le duc d'Anjou était régent durant sa minorité.

 Gaston eut le dessous, Jean de Berry fut nommé le 19 novembre 1380.

 Ce fut une désolation dans le Languedoc on savait trop comment le duc de Berry, plus avide encore que son frère d'Anjou, traitait ses sujets du Berry, du Poitou et de l'Auvergne.

On tenta de résister.

 Répondant aux sollicitations des gens des sénéchaussées de Toulouse el de Carcassonne, dont il était l'idole, Gaston envoya à Toulouse Aimery de Roquefort, seigneur de la Pomarède, qui réunit dans cette ville les députés des trois Etats de la Sénéchaussée, et comme ils hésitaient, car on connaissait déjà la nomination faite, s'adressa aux capitouls qu'il entraîna.

 Sur une lettre d'eux, le comte partit du Béarn le 6 janvier 1381 avec une nombreuse troupe, et vint loger à Saint-Cyprien. Il avait pour lui tout le Toulousain sauf quelques places, la ville de Montauban, la partie de l'Albigeois sise au sud du Tarn, que lui assuraient les vicomtes de Lautrec et de Saint-Paulin, les villes de Béziers et de Nîmes.

A Carcassonne on était divisé.

La Cité, comme il était naturel, soutenait le parti royal, le Bourg était pour le comte de Foix. On dit même que celui-ci y étant venu, il y eut des conflits à main armée entre les habitants des deux villes.

A Narbonne, où la division était la même, ce fut bien pis les bourgeois chassèrent le vicomte Aimery, qu'ils détestaient, et une vraie guerre civile s'en suivit. Le vicomte bloqua quoique temps la ville avec un corps de Catalans; les Narbonnais, pour se venger, assiégèrent dans Fabrezan sa femme Béatrix d'Arborée (en Sardaigne), prirent et pillèrent le château de Marcorignan, puis celui de Montredon en Narbonnais, assiégèrent encore celui de Portel « avec des bombardes et des canons ».

Cette guerre ne cessa qu'en janvier 1382, sur les sommations du sénéchal de Carcassonne, quand déjà depuis longtemps les bourgeois avaient reconnu le duc de Berry. `

 

Dès le mois de janvier 1381, Charles VI avait écrit au comte de Foix pour le prier de s'entendre avec le nouveau gouverneur; Gaston répondit de Mazères, le 4 février, avec hauteur, déclarant son refus motivé de se soumettre au Duc, mais ajoutant qu'i) était prêt à reconnaître tout autre lieutenant.

Le ton de cette lettre blessa la Cour et le roi, et rendit inutile une délégation des capitouls de Toulouse et des consuls de Carcassonne, envoyée à Paris à l'instigation du Comte.

Le jeune roi alla même en cérémonie prendre l'oriflamme à Saint-Denis le 3 avril démonstration vaine, machinée par les princes pour impressionner les peuples.

La Cour agissait mieux en révoquant, le 14 mars 1381; toutes les impositions établies depuis Philippe le Bel, particulièrement, dans ta sénéchaussée de Carcassonne, flatterie excessive cette fois, puisqu'on ne pouvait gouverner sans impôts, et en maintenant tous les privilèges du pays.

Le 6 avril, Gaston de Foix convoqua une assemblée des communes du Languedoc à Mazères pour le 24 avril suivant, afin, disait-il, d'avoir leur avis au sujet des propositions d'accommodement que le duc de Berry lui avait fait porter par deux chevaliers.

Le sénéchal de Carcassonne, pour traverser le dessein du comte, tint dès le 20 avril une assemblée particulière des communes de sa sénéchaussée ce qui fit que l'Assemblée de Mazères ne se composa guère que de députés Toulousains.

 Cependant le duc de Berry était arrivé : il se trouvait, le 23-juin avec le comte d'Armagnac, dans les environs d'Alby.

De cette ville il envoya au comte de Foix l'évêque de Langres et un noble de Toulouse, Le Galois YsaIguier, pour négocier avec lui.

Gaston, déjà probablement fatigué de son rôle et en voyant les difficultés, accueillit bien ces députés, et donna de telles assurances de sa volonté de faire la paix, que le duc de Berry licencia aussitôt ses bandes de routiers.

 Elles se mirent, selon la coutume, à piller le pays mais elles furent attaquées le 21 juillet, date probable, à Rabastens, par Aimery de Roquefort et le comte d'Astarac, neveu du comte de Foix, et mises en complète déroute 400 des routiers furent noyés dans le Tarn.

 Il est donc faux, j'abrège ici les données accumulées par Aug. Molinier, qu'il y ait eu le 15 ou le 16 juillet une bataille près de Revel entre le Duc et le Comte, dans laquelle ce dernier aurait triomphé, comme l'ont écrit D. Vayssète et tous les historiens après lui. On a simplement confondu avec l'affaire de Rabastens.

Le 8 août les deux princes achevaient de se réconcilier à N.D. de Marceille, près Limoux, et communiaient ensemble, partageant la même hostie, selon une coutume du temps. La paix définitive fut conclue à Capestang au mois de décembre suivant, par l'entremise du cardinal d'Amiens, envoyé du pape.

Mais on s'habituait à l'émeute.

La fidélité languedocienne chancelait par la continuation des brigandages, le poids des impôts, l'accroissement de la misère. Un triste indice de cette décadence se voit dans la révision, ou, comme on disait, la réparation des feux ordonnée par Charles V et terminée en 1377.

On constate par les chiffres, qu'on trouve dans les Ordonnances du roi de France, que le nombre des feux avait baissé dans toutes les localités, souvent des deux tiers et davantage.

Durant ce siècle le Languedoc passa de 100.000 feux à moins de 30.000 : c'est-à-dire que plus de deux tiers de la population avaient disparu, ou avaient été remplacés par des misérables sans feu ni lieu et par des brigands.

Le 8 septembre 1381 une violente émeute éclata à Béziers dix-neuf personnes, dont les consuls, furent massacrés.

Le 21 novembre c'était au tour de Nîmes. Les Carcassonnais eux-mêmes fermèrent leurs portes au Prince, qui fit ravager le pays, enlever d'assaut la-Redorte, Azille. On ne lui sut que peu de gré d'avoir négocié, en juin 1382, le départ des routiers.

Ce fut principalement, il est vrai, l'œuvre du pape : les députés des Communes des trois sénéchaussées, s'étant rendus auprès de lui à Avignon, obtinrent, par son intermédiaire, des chefs des Compagnies la promesse de quitter la contrée moyennant 30.000 francs d'or.

 Mais d'autres menaçaient au nord d'Armagnac ne parvenait pas à en débarrasser son comté de Rouergue et même dans les trois sénéchaussées, les routiers furent aussitôt remplacés par des bandits d'une autre sorte.

 C'est justement à ce moment, en juin 1382, que se produisit le soulèvement des tuchins (brigands des bois, outlaws).

Le tuchinat n'était pas seulement une jacquerie, une révolte brutale et inintelligente de paysans il n'eut ce caractère bien marqué que dans la sénéchaussée de Beaucaire– tous les mécontents l'appuyèrent, nobles, bourgeois, par intérêt ou par vengeance, même de hauts seigneurs, le comte de Foix par exemple, à ce qu'on prétend.

 Les tuchins trouvèrent de nombreux amis dans Carcassonne. On profitait de l'embarras des gouvernants pour réclamer contre le poids, la répartition, la nature des impôts. Les Communes toutefois n'osèrent, refuser leurs subsides au sénéchal de Carcassonne lorsqu'il arma contre les séditieux ; il eût été trop dangereux de laisser triompher un mouvement qui affectait de telles tendances.

 La même cause du reste succombait dans le nord.

La victoire de Roosebecque, du 11 novembre 138~remportée sur les rebelles de Flandre par le jeune Charles VI, assisté du duc de Berry, et aussi, assure-t-on, des comtes de Foix et d'Armagnac, et la répression de l'émeute des Maillotins de Paris, éncouragèrent le gouvernement à rétablir partout les anciennes impositions.

Les députés des Communes du Languedoc, appelés à Lyon, accordèrent des aides sur toutes les marchandises vendues (juillet-septembre 1383).

Puis il fallut, payer l'octroi de lettres de rémission, que !e roi accorda le 8 mars 1384, pour les révoltes des villes et le tuchinat: soit une amende de 800.000 francs d'or payable en quatre ans, sauf des exceptions en faveur de sujets restes fidèles, auxquels on fit payer encore cette nouvelle grâce.

En 1385 recommença la lutte contre les Compagnies. L'argent n'avait pas réussi à les éloigner, au contraire.. Un bon capitaine envoyé par le roi, Gaucher de Passac, auquel se joignit le sénéchal de Carcassonne, enleva une série de châteaux aux Anglais, faisant pendre sans pitié les garnisons.

Il était temps, car en 1386 ces brigands avaient appalicié, comme on disait, tout le pays, c'est-à-dire conclu des patis, des pactes avec les habitants jusqu'aux portes de Toulouse.

Autour de Montauban seulement ils occupaient quatorze châteaux-forts, tandis que des Bretons, mis en garnison au Termenès pour empêcher les Aragonais d'y venir enlever les habitants, pillaient le sud de la sénéchaussée de Carcassonne.

Froissart raconte avec verve et de curieux détails cette guerre de châteaux, souvent croûtés, selon son expression (ayant des grottes, des souterrains), habitude de ces régions dont il rapporte l'origine à la guerre de Renaud de Montauban contre Charlemagne, Renaud les ayant fait « ordonner de telle façon » par le conseil de l'enchanteur Maugin ou Maugis son cousin. Passac avait avec lui les sénéchaux et les milices de Toulouse et de Carcassonne, les sires de Barbazan, de Bénac, le comte de l'Ile- Jourdain baron de Saissac, nombre de chevaliers, un corps d'arbalétriers génois.

 C'était la bonne manière on y gagna plus qu'on n'avait, fait avec l'or.

Le 25 juin de cette année 1386 Jean III d'Armagnac, qui avait succédé à son père Jean II, mort le 25 mai 1384, voulut néanmoins emmener la noblesse à une grande expédition contre l'Angleterre, qu'on préparait, à l'Ecluse; les supplications générales l'engagèrent à y renoncer.

L'expédition du reste n'eut pas lieu.

Dans le même temps le duc de Lancastre, oncle du roi d'Angleterre, marié a une fille de Pierre le Cruel, prétendit enlever le royaume de Castille à Henri de Transtamare.

Le roi de France secourut celui-ci d'où trois passages de troupes, c'est-à-dire de bandits, aller et retour, en décembre 1385, à la fin de 1386 et en 1387.

 A celui de 1386 les Carcassonnais n'osèrent de quelque temps sortir de leur ville.

 Les bêtes même s'en mêlaient le 4 juin 1386, à Paris, le duc de Berry autorisait les habitants de l'Albigeois à chasser pendant un an les loups, sangliers, cerfs, chevreuils des forêts royales, qui n'étant plus chassés s'étaient multipliés, et infestaient les alentours.

On essaya de nouveau du moyen de l'argent, en 1387, pour se délivrer des Compagnies, et de nouveau on eut tort. D'Armagnac conclut le 6 juillet un accord avec les chefs de Cariât et autres, qui s'engagèrent à se retirer des places moyennant250.000 livres.

Les Etats du Languedoc réunis à Rodez s'empressèrent de voter cette somme. Ce ne fut pas sitôt tait les routiers livrèrent bien leurs places, mais restèrent dans le pays.

Le 26 février 1388 on trouve encore à Carcassonne des commissaires royaux envoyés pour les vuides, c'est-à-dire pour obliger les bandes à vider le pays.

 

Le roi, devenu majeur, prit le gouvernement du royaume à la fin de novembre 1388.

Il était bon et cherchait la justice, malgré sa détestable éducation.  Il commença par aviser à l'état du Languedoc. Des plaintes lui arrivaient de toutes parts sur les exactions des receveurs du duc de Berry, particulièrement de son trésorier et favori Jean Bétisac.

Plus de 40.000 personnes, lui affirmaient les députés du' Languedoc, étaient passées en Aragon; le pays, s'il n'avisait, allait devenir un désert.

Après avoir conclu une trêve de trois ans avec le roi d'Angleterre, Charles VI partit de Paris le 2 septembre 1389, accompagné de son frère Louis duc de Touraine (plus tard duc d'Orléans), de son oncle maternel le duc de Bourbon, du connétable Olivier de Clisson, et de 400 hommes d'armes.

Il était le 30 octobre à Avignon, où il assista le 1er novembre au couronnement du duc d'Anjou comme roi de Naples ;

le 15 novembre à  Montpellier, où il fit une entrée solennelle et somptueuse le 20 novembre à Béziers, où selon Froissart, suivi par presque tous les historiens, il aurait fait arrêter et juger  Bétisac, natif de cette ville.

Celui-ci se défendit en montrant les reçus du duc de Berry. On ne pouvait impliquer un des premiers princes de sang dans des poursuites de cette nature pour ne pas faire cette peine à « bel oncle de Berry », comme disait le roi, on trouva autre chose: on aurait conseillé à Bétisac, comme seul moyen de salut, de se déclarer hérétique, parce que dans ce cas il serait remis aux gens d'Eglise, qui l'épargneraient, et qui au contraire l'auraient livré au bras séculier.

Les gens de justice et les clercs ne furent peut-être pas si retors, ni si coupables.

D'après l'Anonyme de Saint-Denis, dont l'autorité paraît à D.Vayssète supérieure à celle de notre chroniqueur, quelque peu fantaisiste parfois, Bélisac fut brûlé non à Béziers, mais à Toulouse le 22 novembre, pour crime contre les mœurs. Personne, du reste, ne se soucia de vérifier le bienfondé de l'accusation pour tout le monde Bétisac, qui s'était enrichi lui-même, avait mérité son sort.

 Le 26 novembre le roi était à Carcassonne. Comme à Montpellier, comme à Toulouse le 29 novembre suivant, la réception fut factueuse.

Nous en avons les détails : les six consuls parurent en robe d'écarlate fourrées de petit vair avec des agréments d'or, les bourgeois en manteaux noirs fourrés, les officiers des quatorze compagnies de milices richement costumés, leurs soldats en uniforme.

 Tout ce luxe, ces vêtements, ce dais de drap d'or à Montpellier, ces rues « encortinées » de Toulouse (garnies et couvertes de tapis ou d'étoffes), et le reste, contrastent singulièrement avec ce que 1’on clamait sans cesse alors du dénuement du pays. Y aurait-il des accommodements même avec la misère?

« Et fit le roy crier dans les rues de Carcassonne, dit le contemporain d'Orronville, que tous les gens à qui on avait forfait vinssent devers lui, car il était venu au pays pour faire raison à un chacun ».

Effectivement il destitua tous les officiers et en nomma d'autres, remit les tailles arriérées aux fugitifs, donna quatre ans pour s'acquitter aux débiteurs du trésor, abolit les taxes.

 Les grâces ne coûtaient guère, si ce n'était pour les maintenir.

Le roi resta à Toulouse, au château, plus d'un mois, du 29 novembre 1389 au 7 janvier 1390, recevant des hommages de partout.

Le plus éclatant et le plus précieux fut celui de Gaston de Foix.

Froissart a raconté longuement les superbes fêtes qui se donnèrent cette occasion. Ce qui était plus important, c'était le traité qui suivit l'hommage, le 5 janvier 1390, traité par lequel le comte de Foix, n'ayant plus d'héritier mâle légitime, abandonnait au roi son opulente succession.

Charles VI se rendit de Toulouse à Mazères, où Gaston devait lui rendre son invitation. Arrivé près de la ville, il vit venir à lui une quantité de bœufs gras et de moutons, avec de beaux chevaux portant des colliers à sonnettes d'argent, le tout conduit par cent paysans de bonne mine.

Le roi fut tout surpris ensuite de reconnaître les soi-disant paysans dans les brillants chevaliers qui l'accueillirent à Mazères.

Il revint à Paris par étapes. Il était à Narbonne le 7 janvier, à Montpellier le 21, à Lyon le 31.

Dans un grand conseil tenu à Paris après Pâques, il destitua définitivement le duc de Berry.

Gaston Phébus ne survécut pas longtemps au traite de Toulouse. Il mourut frappé d'apoplexie, à 60 ans, le 22 août 1391.

Le roi eût pu annexer directement son Etat il le laissa néanmoins aux Castelbon, les plus proches parents. Les éloges dithyrambiques qu'a prodigués au comte Gaston Froissart, qui fut son hôte durant trois mois en 1388, ne doivent pas empêcher de remarquer, certaines taches dans la vie de son héros comment, par exemple, il poignarda son cousin Pierre Ernault de Béarn parce qu'il refusait de lui livrer le château de Lourdes comment il tint huit mois en prison dans sa tour d'Orthez le vicomte de Castelbon, son, cousin- germain, et le rançonna à` 40.000 francs ; comment il malmena et humilia sa propre femme, peuplant son château de ses favorites et de ses bâtards, au point que la pauvre dame se retira auprès de son frère le roi de Navarre ; bien d'autres actes tyranniques, et surtout la fin étrange et lamentable de son fils, le jeune Gaston, en 1382.

Cet enfant, âgé de 15 à 16 ans, avait été envoyé par lui à la Cour de son oncle Charles le Mauvais, avec mission de ramener, s'il pouvait, sa mère, et de rapporter 50.000 francs, que le roi de Navarre retenait indûment.

 Le jeune Gaston fut parfaitement accueilli, mais ne réussit pas dans sa négociation, et son méchant oncle imagina de se servir de sa confiance et de sa crédulité pour se débarrasser du comte de Foix. Il lui remit en secret, avant son départ, un sachet contenant une poudre qui, disait-il, inspirerait à son père, s'il en mangeait un peu, un désir violent de revoir sa mère, au point qu'il n'aurait plus d'autre pensée.

 On croyait fort alors aux philtres et aux poudres magiques : le jeune Gaston prit le sachet, et le cacha sous ses vêtements.

1336-1391 La région de Carcassonne pendant la première partie de la Guerre de Cent Ans Discours Historique

Après son retour à Orthez, et avant qu'il eût eu l'occasion de se servir de la poudre, le sachet fut découvert on constata qu'il renfermait un poison violent.

Le comte, « moult imaginatif », très-soupçonneux, dit Froissart, fut convaincu que son fils avait voulu l'empoisonner de concert avec sa femme et le roi de Navarre : il le fit jeter dans la tour du château, où le malheureux enfant se laissa mourir de faim.

Ce drame attrista les dernières années du brillant comte. Il a laissé un ouvrage, Le Miroir de Phébus, Des déduits (des plaisirs) de la chasse, et une chanson, A quellos Mountagnos, qui prouve sa popularité, puisque pendant plus de cinq cents ans les montagnards de son pays l'ont chantée, et qu'ils la chantent encore aujourd'hui.

Je m'arrête à ce point, dans le moment où les heureux débuts du gouvernement personnel de Charles VI faisaient espérer la fin des maux de la France et du Languedoc.

Hélas, cette attente fut déçue.

La tentative d'assassinat de Pierre de Craon sur le connétable Olivier de Clisson, et la folie du roi, qui suivit, inaugurèrent bientôt une nouvelle période de calamités publiques.

Certes, les souffrances sociales sont grandes encore à notre époque mais les comparera-t-on à celles dont j'ai essayé de tracer le tableau ?

 Le savant commentateur de l'Histoire du Languedoc, Auguste Molinier, qui m'a souvent guidé dans cette étude, ne peut s'empêcher de s'étonner de la fidélité que conservèrent toujours les populations de cette province, malgré tant de sacrifices, au milieu de tant d'épreuves et de misères.

Ne peut-on voir dans cette constance un espoir et une garantie pour l'avenir ?

 Le cœur des Languedociens n'a pas changé sans doute, et si l'unité de la patrie se trouvait quelque jour encore menacée, soit du dedans soit du dehors, ils retrouveraient certainement pour la défendre les vertus, trop méconnues, de leurs ancêtres.

 

Carcassonne, le 24 avril 1913.

Mémoires de la Société des arts et des sciences de Carcassonne

 

 

 

Septembre 1370, sac de Limoges par les soldats du Prince Noir (prince de Galles) <==

 

 

 


 

 (1) histoire Générale de Languedoc, t. IX, édition Privat, Toulouse 1885.

(2) La sénéchaussée de Carcassonne étendait alors sa juridiction sur douze diocèses, ceux de Carcassonne, Narbonne, Saint-Pons, Agde, Béziers, Lodève, Alet, Saint-Papoul, Mirepoix, Alby, Castres, Pamiers. L'abbé Sabarthés, Dictionn. topogr, du dép. de l’Aude.

(3)   Sur les réunions d'Etats qui se succédèrent à cette époque et sur la façon dont se gouverna le Languedoc, on peut voir l'ouvrage de M. Paul Dognon : Les institutions politiques et administratives du pays de Languedoc, du XIIIe siècle aux Guerres de Religion, Toulouse 1895.

 (4) Robert Michel : L'Administration royale dans la sénéchaussée et de Beaucaire au temps de Saint-Louis, Paris, 1910. `

 (5)   V. la Notice sur les châteaux de Quéribus (château de Cars) et de Pierrepertusse, par M. le Docteur Courrent, Carcassonne, 1906

(6). Paul Fournier, Le Royaume d’Arles et de Vienne, Paris, 1891. D. Vayssète met Arles à la place d’Aix.

 

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