Pour la troisième fois en moins d'un siècle, l'Angleterre demande au gouvernement français la cession des statues tombales de Henri II Plantagenet, de Richard Coeur-de-Lion, d'Eléonore de Guyenne et d'Isabelle d'Angoulême, conservées à Fontevraud.
Les négociations engagées par le Foreign-Office auraient, dit-on, des chances sérieuses d'aboutir; et le journal parisien qui, le premier a lancé la nouvelle prétend que « d'ici peu les quatre souverains en pierre, soigneusement emballés, traverseront le détroit ». Il en prend, d'ailleurs, très gaiement son parti et il ajoute, sans commentaires ni regrets, que « ce voyage très posthume sera une nouvelle manifestation... muette de l'entente cordiale ».
Pour nous, Angevins (et Poitevin !), nous avons le droit de nous émouvoir de cette nouvelle, si surprenante qu'elle soit, et le devoir de protester contre les réclamations inadmissibles de l'Angleterre.
Les statues des Plantagenets ont été faites pour rester à Fontevraud ; elles n'en doivent sortir à aucun prix, fût-ce au prix de quelques miniatures de Jehan Fouquet.
Que l'on ne dise pas qu'il s'agit de princes anglais et que leurs effigies seront beaucoup mieux à Westminster que dans la chapelle d'une maison de détention.
Certes,
Henri II et Richard Coeur-de-Lion ont régné sur l'Angleterre; ils en ont même tiré les revenus qu'ils dépensaient en France. Mais, avant de régner sur la Grande-Bretagne, ils étaient comtes d'Anjou.
Ils sont de vraie race angevine. « Ajoutez, comme le faisait remarquer justement, en 1867, Godard-Faultrier, qu'ils n'ont pas voulu laisser leurs cendres à l'Angleterre. La preuve est faite pour Henri II ; aucune partie de son corps, lors du décès de ce prince, n'a été distraite de sa sépulture à Fontevraud.
Il en a été autrement des restes de Richard Coeur-de-Lion ; trois contrées se divisèrent sa dépouille : la terre de Chalus eut ses entrailles, Fontevraud son cadavre, la Normandie son coeur et l'Angleterre ? Rien ! Est-ce assez significatif ? »
Le gouvernement, d'ailleurs, aurait-il le droit de céder aux instances de l'Angleterre et de lui abandonner les statues des Planlagenets ? Consulté, en 1867, sur cette question par la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers, le barreau de notre ville, dans une délibération fortement motivée, qui reçut l'adhésion des sommités du barreau parisien, répondit que les statues de Fontevraud font, aujourd'hui encore, partie intégrante de la sépulture des Plantagenets et qu'elles sont, à ce titre, absolument inaliénables.
Voulût-on leur contester le caractère de statues tombales et de dépendances d'une sépulture, il faudrait, tout au moins, avec les avocats d'Angers, les ranger parmi les immeubles par destination, reconnaître qu'elles font partie du domaine de l'Etat et qu'elles ne peuvent être aliénées qu'avec le consentement de la nation et en vertu d'une loi.
Que deviendraient, en effet, les richesses artistiques de la France, si nos gouvernants pouvaient en disposer à leur guise, sans l'intervention du pays, représenté par ses mandataires légaux ?
Lorsque, en 1817 et 1819, l'Angleterre demanda à Louis XVIII de lui donner les statues de Fontevraud, sous prétexte qu'elles n'offraient, « comme objets d'art ou comme souvenirs historiques, aucun intérêt bien réel », le roi, instruit par le baron de Wismes, préfet de Maine-et-Loire, de la valeur de ces «monuments, qui appartiennent essentiellement au sol français », opposa un refus diplomatique, mais formel.
Quand, en 1866, Napoléon III, pour se ménager les bonnes grâces de nos voisins d'Outre-Manche, voulut offrir ces vénérables statues à la reine Victoria, il dut reculer devant l'indignation générale et la force des arguments juridiques.
Sera-t-il dit que la République a montré moins de patriotisme que la Restauration, moins de respect de la légalité que l'Empire, et qu'elle n'a pas hésité devant une mesure qui froisse, à bon droit, le sentiment national ?
Les événements de 1866 sont bien connus. Tout récemment, on a raconté, dans les Mémoires de la Société nationale d'Agriculture, Sciences et Arts, avec quelle vigueur et quel succès l'ancienne Académie d'Angers a protesté contre les projets du gouvernement impérial, et l'on a fait oeuvre de justice en attribuant, pour une large part, aux efforts personnels de Gélestin Port et de Godard-Faultrier la conservation des statues tombales de Fontevraud (1).
Ce que l'on connaît, beaucoup moins, c'est la tentative faite par l'Angleterre en 1817 et renouvelée en 1819, les raisons sur lesquelles elle s'appuyait pour justifier sa demande et la réplique qui lui fut adressée. Heureusement, la correspondance qui fut échangée à cette occasion entre Angers et Paris n'a pas été détruite. Je l'ai retrouvée aux Archives départementales.
A l'heure où l'attention de la France vient d'être attirée une fois de plus sur Fontevraud, j'ai cru qu'il était utile de tirer ces documents de l'oubli, ne fût-ce que pour rappeler aux Angevins le nom du baron de Wismes, préfet de Maine-et-Loire, — l'homme d'énergie et dégoût auquel ils doivent de n'avoir pas perdu, depuis bientôt un siècle, les statues des rois Plantagenets.
En 1816, l'anglais Sthothard, qui travaillait à son grand ouvrage sur les Statues monumentales de la Grande-Bretagne, vint à Fontevraud. Il trouva, avec raison, que les statues des Plantagenets n'étaient pas traitées avec le respect auquel elles avaient droit et il suggéra à ses compatriotes la pensée de les réclamer pour les transporter à Westminster.
L'idée fut accueillie favorablement en Angleterre. Les négociations commencèrent. Elles furent poussées activement et, le 25 mars 1817, le duc de Richelieu, président du Conseil et premier ministre de Louis XVIII, écrivait à son collègue Laine, ministre de l'Intérieur, la lettre suivante :
« Monsieur, le gouvernement anglais réclame divers monumens qui, lors de la destruction de l'abbaye de Fontevrault, où se trouvaient déposés les restes des princes de la maison de Plantagenet, ont été déplacés et transportés avec assez de négligence dans un édifice voisin ; j'en joins ici la note indicatrice. En m'adressant cette demande, à laquelle S. A. R. le prince Régent paraît attacher personnellement quelqu'intérèt, M. le chevalier Stuart la subordonne toutefois aux considérations qui, sous un rapport quelconque, pourraient engager le gouvernement français à retenir ces objets. Si, comme il est probable, ils n'offrent, comme objets d'art ou comme souvenirs historiques, aucun intérêt bien réel, vous penserez sans doute, Monsieur, qu'il est sans inconvénient et qu'il peut être utile de donner au gouvernement anglais ce témoignage de déférence.
« Je vous prie de vouloir bien me faire connaître à cet égard votre opinion.
« Agréez, Monsieur, etc..
Signé : « RICHELIEU ».
La note à laquelle le président du Conseil fait allusion dans sa lettre était ainsi conçue :
« 1° The monument bearing the effigy of Henri the 2nd, king of England ;
« 2° The monument and effigy of Eleonor of Guienne, queen of Henri the 2nd ;
« 3° The monument and effigy of Richard Coeur-deLion, king of England;
« 4° The monument and effigy of Isabelle d'Angoulême, queen of John, king of England. »
La préfecture de Maine-et-Loire fut saisie officiellement de l'affaire par cette lettre :
MINISTÈRE DE L'INTERIEUR — « Paris, le 26 mars 1817.
2e Division
« Monsieur le Baron, je vous envoyé la copie d'une lettre par laquelle M. le duc de Richelieu réclame au nom de l'Angleterre des monumens relatifs à la famille Plantagenet et qui existaient à Fontevraud.
« Je vous prie de me donner sur ces objets des éclaircissemens qui puissent me mettre à même de répondre au ministre des Affaires étrangères.
« J'ai l'honneur, Monsieur le Baron, de vous offrir l'assurance de ma considération distinguée.
« Le Minisire Secrétaire d'Etat de l'Intérieur,
Signé : « LAINE.
« M. le Baron de Wismes,
« Préfet du département de Maine-et-Loire. »
Quelques jours plus tard, le Préfet écrivait au Directeur de Fontevraud pour lui demander de prendre les précautions les plus urgentes et de mettre les statues à l'abri de toute nouvelle mutilation :
« Angers, le 17 avril 1817.
« MONSIEUR LE DIRECTEUR,
« Les réclamations faites par le prince Régent d'Angleterre des statues qui existent à Fontevrault et que nous avons vues ensemble ont dû rappeler plus particulièrement cet objet à mon attention.
« J'avais déjà déploré leur mutilation; mais, comme je ne me suis pas aperçu qu'elles eussent souffert depuis mon premier voyrage, j'avais pensé qu'on pouvait les laisser encore dans l'endroit où elles étaient; mais, comme je compte m'opposer à leur enlèvement et profiter de l'occasion pour demander au ministre que le gouvernement fasse les frais d'une chapelle, où ces effigies seraient placées, il est nécessaire de prendre quelques mesures de conservation.
« Je vous prie de profiter du moment où M. Derrien (2) est à Fontevrault pour les faire placer dans un lieu sûr, ou , si on les laisse dans celui où elles sont, il faudrait les ranger l'une contre l'autre et les garantir au moyen d'une palissade de tout nouvel accident. Je recommande toutes les précautions convenables. »
Les précautions ne tardent pas à être prises. Le 20 avril, le directeur de la Maison centrale de Fontevraud écrit au préfet que, le lendemain, les statues seraient « transférées du local où elles sont actuellement déposées dans le passage inusité des cloîtres à l'église, en attendant qu'elles trouvent leur place définitive dans ce dernier lieu ».
Mais déjà le préfet avait transmis son avis au Ministre. Les raisons qu'il développe, pour s'opposer à l'enlèvement des statues, n'ont rien perdu de leur valeur et les mesures qu'il propose sont, à peu de chose près, celles qu'on devrait adopter aujourd'hui. Sa lettre mérite d'être citée tout entière.
« Angers, le 19 avril 1817
« MONSEIGNEUR LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR
« Par la lettre du 26 mars, vous me demandez les éclaircissements qui vous sont nécessaires pour répondre à S. Ex. M. le duc de Richelieu, sur la réclamation faite par S. A. R. le prince Régent de quelques monuments relatifs à la maison de Plantagenet. M. le Ministre des Affaires étrangères dit dans cette lettre que, si ces monuments n'offrent, ainsi que c'est probable, aucun intérêt réel, soit comme objets d'art, soit comme souvenirs historiques, il.pourrait être utile de donner au gouvernement anglais ce témoignage de déférence.
« Ces statues, mutilées par suite de la barbarie de vandales modernes et laissées jusqu'à présent parmi des décombres, peuvent, en effet, paraître des objets peu importants en eux-mêmes ; et cependant des Anglais voyageurs, y retrouvant les traits de leurs souverains, ont pu les considérer d'un autre oeil. Mais, si l'on fait attention que ces souverains étaient en même temps comtes d'Anjou, qu'ils sont morts sur cette terre, qu'elle a reçu leur dépouille mortelle, on sentira que les monuments qui rappellent ces grands souvenirs appartiennent essentiellement au sol français.
« Henri II mourut à Chinon, en 1189, dans l'excès de la douleur que lui causa la conduite de ses fils ; son corps fut porté et inhumé dans l'abbaye de Fontevrault.
« Richard Coeur-de-Lion, son fils, blessé au siège de Chalus, petite ville du Limousin, et mort, le 6 avril 1199, des suites de cette blessure, fut aussi enterré à Fontevrault.
« Eléonore de Guienne, femme de Henri II, vint achever sa carrière dans cette abbaye et y mourut le 13 mars 1204.
« Elisabeth d'Angoulême, femme de Jean-Sans-Terre et depuis comtesse de la Marche et de Toulouse par son mariage avec Hugues de Lusignan, ne mourut pas à Fontevrault ; mais son corps y fut apporté par son fils Henri III, qui lui-même voulut que son propre coeur y fût déposé.
(Henri III de Chartres 1254) Itinéraire
« Les statues de ces illustres personnages étaient placées sur leurs tombeaux, dans l'altitude d'une personne couchée, comme c'était l'usage du temps, et elles portent l'empreinte du siècle où elles ont été placées.
Quoique mutilées, elles me semblent très précieuses. Mais, en même temps que je propose de les retenir, il me paraît convenable de les sortir de la poussière et de rendre un hommage nouveau à la cendre des souverains qu'elles représentent.
Fontevrault n'est plus une abbaye riche et la retraite des vierges du Seigneur est devenue l'asile des criminels flétris et frappés par la justice humaine ; mais la religion chrétienne se plaît dans les contrastes de la grandeur et de l'humiliation : on pourrait, dans l'église de la Maison centrale, qui est le choeur de l'ancienne église de l'abbaye, ménager une chapelle sépulchrale ; on pourrait y consacrer aussi et transformer en tombeau une tour gothique, presqu'isolée, nommée la tour d'Evraut, et dont la structure particulière appelle déjà l'attention des curieux ; on y élèverait un autel expiatoire ; les quatre statues y seraient placées ; une partie des restes de Richard, qui a été recueillie, y serait déposée et on pourrait y retracer les inscriptions qui étaient sur le tombeau de ce prince et sur celui de Henri II. Cette dernière idée, que je reproduis, appartient à un auteur moderne, qui a écrit sur les antiquités de Saumur (M. Bodin, receveur particulier de cette ville).
« Les voyageurs, dil-il, se détourneraient de leur route, « pour voir cette chapelle sépulchrale, consacrée à la « mémoire de souverains étrangers.
« Les Anglais qui viennent en temps de paix s'établir à Tours et à Angers visiteraient sans doute avec beaucoup d'intérêt, et peut-être avec reconnaissance, ce monument funéraire, qui serait pour eux un monument national. »
Si votre Excellence accueille ce projet et si elle veut consacrer des fonds à cette destination, je la prie de me faire connaître si j'aurai à faire dresser un plan ou devis des ouvrages qu'elle ordonnera, ou si elle les ferait dresser à Paris d'après l'échelle et le dessin des lieux.
J'ai donné des ordres pour que les statues fussent préservées de nouvelles mutilations. »
Après une réponse aussi nette, il était difficile de ne pas résister aux prétentions de l'Angleterre.
Que fit Louis XVIII? Les documents ne le disent pas. Peut-être crut-il prudent de garder le silence et de gagner du temps.
En tout cas, deux ans plus tard, le chevalier Stuart renouvelait sa demande, alléguant des motifs qui pouvaient être vrais avant 1817, mais qui n'avaient plus leur raison d'être en 1819.
Sa lettre, adressée au comte Decaze, ministre de l'Intérieur, était ainsi conçue :
« Paris, le 9 mars 1819.
« MONSIEUR LE COMTE,
« Le gouvernement Britannique, ayant été informé que, depuis la destruction de l'abbaye de Fontevrault près Saumur, département de Maine-et-Loire, et la violation des tombeaux dans ledit monastère, où se trouvaient déposés les restes de la maison royale anglaise de Plantagenet, les monumens des princes nommés dans la pièce ci-jointe ont été abandonnés dans les champs et bâlimens voisins, j'ai reçu les ordres du prince Régent de témoimoigner l'espoir de Son Altesse Royale que, dans le cas que le gouvernement de Sa Majesté très chrétienne n'y trouve pas d'inconvénient, ces monumens puissent être mis à la disposition de la personne que je pourrai nommer, à la suite du payement de la somme que l'administration locale ou les propriétaires du terrain pourraient exiger.
« Je suis etc..
Signé : « Le chevalier STUART. »
La « pièce » jointe à cette lettre énumérait les statues de Henri II, de Richard Coeur-de-Lion, d'Eléonore de Guyenne, d'Isabelle d'Angoulême et « les autres monumens de la famille royale d'Angleterre qui peuvent se trouver à Fontevrault ».
A peine saisi de cette nouvelle demande, le ministre de l'Intérieur s'empresse, comme la première fois, de cons il ter le Préfet. Il lui écrit :
MINISTÈRE DE L'INTERIEUR
— « Paris, le 11 mars 1819.
Bureau des Sciences et Beaux-Arts
« Monsieur le Préfet, il y a deux ans, des notes vous furent demandées relativement aux tombeaux des Plantagenets existants à l'abbaye de Fontevrault et que réclamait l'Angleterre.
« Vous fîtes voir que la remise que l'on sollicitait n'était pas praticable et il ne fut pas donné de suite à la réclamation.
« Aujourd'hui elle est renouvelée et l'on paraît croire que les monumens sont en un état d'abandon qui ferait présumer qu'on y attache peu de prix. Sans doute, on est mal informé; mais, enfin, je vous prie de me fournir à ce sujet de nouveaux renseignemens, qui me mettront à même de répondre à la lettre dont je vous envoyé copie.
« J'ai l'honneur de vous offrir. Monsieur le Préfet, l'assurance de ma considération distinguée.
« Le Ministre Secrétaire d'Etatl au département de l'Intérieur,
Signé : « Le Comte DEGAZE.
« M. le Préfet de Maine-et-Loire. »
La réponse du baron de Wismes ne se fit pas attendre. Elle est conçue en termes respectueux, sans doute, mais extrêmement énergiques, et les remarques fines et malicieuses dont elle est émaillée lui donnent une saveur toute particulière.
« Angers, le 23 mars 1819.
« MONSEIGNEUR,
« Pour répondre à la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire, le 4 de ce mois, relativement aux tombeaux de la maison royale anglaise de Plantagenet existants dans l'ancienne abbaye de Fontevrault, aujourd'hui maison centrale de détention, j'ai l'honneur
de lui rappeler que ma lettre du 19 avril 1817 ne me parait rien laisser à désirer et que tout y était prévu.
« Vous y remarquerez, Monseigneur, si elle n'a pas été égarée, que, tout en proposant de retenir les statues réclamées par l'Angleterre, j'avais l'intention de les sortir de la poussière et de les placer dans une chapelle sépulchrale.
« N'ayant reçu aucune réponse à mes propositions, j'ai seulement prévenu M. le Directeur de cette maison qu'il devait faire placer les monuments dont il s'agit dans un lieu hors de toute atteinte : ce qui a été fait.
« J'avais alors le projet d'établir, dans le devis des travaux que j'ai à soumettre à Votre Excellence pour la maison de Fontevrault, un article spécial pour la chapelle où l'on aurait placé les différentes effigies qui nous restent; mais le silence qui a suivi, de la part du ministre, la réponse toute française que j'avais faite m'a engagé à suspendre ma proposition.
« Il résulte de ces détails, Monseigneur, que les statues des princes anglais ne sont point abandonnées dans les champs et bâtiments voisins de l'ancienne abbaye, ainsi que le porte la note remise par le gouvernement Britannique, et je persiste à penser que, par des motifs faciles à apprécier, la restitution de ces objets d'histoire et d'art ne saurait avoir lieu.
Mais, afin de faire cesser ces demandes, il est nécessaire d'ordonner que des fonds seront affectés à la confection d'une chapelle sépulchrale, qui fera partie de l'église de la maison centrale; et ces fonds pourraient être pris sur ceux que l'on accorde pour les monuments publics ou pour le soutien des beaux-arts. »
Cette fois, le coup avait porté. Les négociations échouèrent et le gouvernement français, justement ému des critiques de l'Angleterre, se décida enfin à traiter les statues de Fontevraud avec un peu moins d'indifférence.
C'est ce que nous apprend la lettre suivante :
MINISTÈRE DE L'INTERIEUR Sciences et Beaux-Arts
— « Paris le 29 mars 1819.
« Monsieur, j'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le 23 de ce mois, en réponse à la mienne du 11, concernant les tombeaux des Plantagenets existans dans l'ancienne abbaye de Fontevrault, aujourd'hui maison centrale de détention.
« Vous y renouvelez la proposition que vous avez déjà faite de placer ces monumens dans une chapelle sépulcrale, qui ferait partie de la maison centrale, et demandez que des fonds soient affectés à l'exécution de ce projet sur les crédits accordés pour le soutien des beaux-arts.
« Vous pensez que cette manière d'honorer les restes de cette maison ferait cesser les réclamations du gouvernement anglais et conserverait à la France des objets d'art intéressans sous le rapport historique.
« Je vous invite, Monsieur, à suivre cette idée et à faire dresser le devis de la dépense à faire, sauf à ce qu'on examine ensuite de quelle manière il devra être pourvu au payement.
« Je vois au reste que les statues des princes anglais ne sont point abandonnées dans les champs et bâtimens voisins de l'ancienne abbaye, ainsi qu'on paraît le croire, et qu'elles ont été placées par vos ordres dans un lieu hors de toute atteinte.
« J'ai l'honneur de vous offrir, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.
« Le Ministre Secrétaire d'Etat au département de l'Intérieur,
Signé : « Le Comte DEGAZE.
« M. le Préfet de Maine-et-Loire. »
Quelques jours plus tard, l'Ingénieur en chef du Département recevait l'ordre de dresser le devis « des travaux jugés nécessaires pour placer convenablement dans une chapelle sépulcrale, dépendant de la maison centrale, les statues représentant plusieurs princes anglais de la famille des Plantagenets ».
On leur concéda, dans le choeur de l'église, le coin obscur où elles sont reléguées encore aujourd'hui. Elles n'ont jamais, quoi qu'on en ait dit, « servi de sièges à la lassitude des touristes » ; mais peut-on affirmer qu'on leur a accordé l'honneur qu'elles méritent et que réclamait, en 1867, la reine Victoria, quand elle dégagea l'Empereur de sa parole?...
Il faut que, dans la nef de la vieille basilique, dont la restauration ne tardera pas à s'achever, sous les coupoles majestueuses, qui formeront comme autant de dais d'une magnificence incomparable, les statues des rois angevins retrouvent la place qu'elles ont occupée pendant plus de cinq siècles.
Ch. URSEAU.
Académie des sciences, belles-lettres et arts (Angers).
Les quatre gisants royaux du Cimetière des rois Plantagenet - Abbaye de Fontevraud <==.... ....==> 1846 Restauration de la statue tumulaire d’Eléonore d’Aquitaine de l’Église de l’ancienne Abbaye de Fontevrault
....==> Armorial Plantagenêt – Abbaye de Fontevraud
(1) Cf. Les statues de Fontevrault et la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers, article de M. G. d'Espinay dans les Mémoires de 1902, p. 175-183. — Les Anglais eux-mêmes ont rendu justice à l'ancienne Académie d'Angers; par exemple, M. Cecil Hallett, dans une importante étude qui a paru sous ce titre : The last resling-place of our Angevin kings, dans The Nineleenlh Century du mois d'août igo3. M. Joseph Joubert a résumé pour les Mémoires de la Société (année igo3, p. i25-i63) le travail de M. Hallett, qui a fourni encore la matière d'une remarquable étude pour la Revue de l'Anjou (tome XLVII, 1903). — C'est à la Revue de l'Anjou que sont empruntées les deux planches qui ornent cette notice. Que notre savant collègue, M. Joseph Joubert, veuille bien accepter nos remerciements pour l'extrême amabilité avec laquelle il a mis ces clichés à notre disposition !
(2) L'ingénieur en chef du Département.