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PHystorique- Les Portes du Temps
2 octobre 2023

Prisonniers de la Révolution — Mlle. LA TREMBLAYE à Mortagne sur Sèvre

 

En mars 1793, la guerre civile, la guerre religieuse pour lui donner son vrai nom, éclata tout à coup en Vendée avec une force et une unanimité qui témoignaient de la profondeur des blessures faites au peuple chrétien et de son inébranlable attachement à la foi.

 Pour ces braves et simples paysans qui n'avaient jamais séparé l'amour de leurs autels de celui de la patrie, la mort valait mieux qu'une vie sans culte, sans prêtres et sans Dieu.

Les soldats jaillirent de chaque coin du territoire chaque paroisse fournit son contingent de volontaires, hommes mûrs, jeunes gens ou vieillards, décidés à reconquérir la liberté de leur foi.

 Dans les jours qui suivirent la déroute de Cholet et le passage de la Loire à Saint-Florent-le-Vieil (18 octobre 1793), les débris de l'armée catholique et royale commencèrent à affluer à Angers en bandes nombreuses.

Tous n'avaient pu passer le fleuve et suivre en Bretagne leurs camarades.

 Ils erraient dans les campagnes, ne sachant où aller, isolés ou en bandes.

Isolés, ils étaient impitoyablement massacrés par les patrouilles républicaines; en troupes assez nombreuses pour se faire respecter, on leur parlait de se rendre et ils se dirigeaient sur Angers, où ils avaient l'espoir de trouver un gîte et un morceau de pain en échange de leurs armes.

La même affluence de fuyards égarés se produisit dans cette ville, deux mois plus tard, et pour les mêmes causes, au retour de l'expédition d'Outre-Loire, après la bataille du Mans (13 décembre).

Tous ces malheureux, à très peu d’exceptions près, hommes, femmes et jusqu'à des enfants, furent, les uns fusillés sans jugement, les autres fusillés après un jugement dérisoire.

La volonté raisonnée du Comité de salut public et de la Convention de détruire tous ceux qui avaient porté les armes dans les rangs des Vendéens n'est pas douteuse.

Saint Just disait à la Convention le 10 octobre 1793 :

« Il n’y a pas de prospérité à espérer tant que le dernier ennemi de la liberté respirera : Vous avez à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents mêmes. »

 

Le Comité de salut public écrivait dans son adresse aux armées du 23 octobre 1793 :

« Les défenseurs de la République viennent de détruire les repaires des rebelles de la Vendée. Ils ont exterminé leurs hordes sacrilèges. Le reste va tomber sous la hache populaire. » —

Deux jours après, les représentants Bellegarde, Ruelle, Boursault, Fayau, Gillet et Méaulle adressaient aux habitants de la rive droite de la Loire une proclamation, dans laquelle on lisait :

« Marchons ensemble, et noyons dans la Loire ou exterminons sur la rive les lambeaux de l'armée catholique et royale. »

Le 18 décembre 1793, Francastel écrivait, d'Angers, au Ministre de la Guerre :

« Il n'est point de commune, d'ici à Ancenis, où il ne se soit réfugié de ces coquins, demandant à déposer leurs armes. Beaucoup ont été amenés à Angers ; ils restent provisoirement en prison ; mais la justice sera faite. » (1)

Quelques jours plus tard, il écrivait encore :

« Des milliers sont ramassés dans différentes communes et expient promptement leurs forfaits » (2).

Il faut se rappeler, pour bien comprendre l'arrestation de tant de victimes, que le représentant du peuple, la Commission militaire et le Comité révolutionnaire d'Angers, n'étaient pas les seuls agents du « gouvernement révolutionnaire. »

Dans chaque ville ou gros bourg, il existait un autre Comité révolutionnaire, chargé d'appliquer les arrêtés et tenu de rendre compte de sa conduite : c'était un filet universel et serré qui enveloppait et maintenait captifs les citoyens du département.

 Les opérations de ces petites assemblées consistaient principalement à recevoir les dénonciations, faire des visites domiciliaires, arrêter les suspects, les interroger, élargir ceux qu'elles reconnaissaient non coupables, envoyer les autres à la Commission militaire, enfin surveiller les généraux et les municipalités.

Le Comité révolutionnaire de Cholet, dans les quatre mois de novembre et décembre 1793, janvier et février 1794, fit arrêter ou reçut dans ses prisons 731 personnes.

Dans ce nombre Cholet comptait pour 216, Maulévrier la Séguinière 62, Mortagne 31, Chanteloup 29, Les Epesses 23, la Tessouale 23, le May 16, Vezins 15, Trémentines 13, les Gardes 12, le Longeron 12, Saint-Léger 6, etc.

De ces 731 détenus, le Comité fit remettre en liberté 267 personnes. 11 en mourut 2 en prison, 1 fut fusillé à Cholet et 18 s'évadèrent.

 — Le Comité retint dans ses prisons et envoya à la Commission militaire environ 400 personnes.

Presque toutes périrent à Saumur, à Doué, à Angers, par la fusillade, la guillotine ou les maladies pestilentielles ; très peu sortirent vivantes des prisons de l'implacable commission militaire (3).

Depuis le 28 novembre 1793 jusqu'au 12 février suivant, plus de sept cents soldats de l'armée catholique et royale comparurent devant le Comité révolutionnaire d'Ingrandes, la plupart volontairement.

Tous furent conduits par la garde nationale de cette commune au Comité révolutionnaire d'Angers.

Leurs noms sont conservés aux archives de Maine-et-Loire.

Parmi eux, la plupart furent fusillés aux Ponts-de-Cé, mais quelques-uns firent partie des fusillades du Champ-des-Martyrs.

De son côté, le juge de paix du canton de Chalonnes-sur-Loire envoya (4) au Comité révolutionnaire d'Angers, « pour y être interrogés de nouveau et jugés selon la loi », 55 hommes et 21 femmes.

 Presque tous avaient été arrêtés par la garde nationale de Chalonnes.

 

27 mars 1794 RAPPORT DE LA COMMUNE DE MORTAGNE, AUX REPRÉSENTANTS DU PEUPLE

PRÈS L'ARMÉE DE L'OUEST,

Nantes, 1e 7 Germinal, l'an deuxième de la République Française, une & indivisible.

CITOYENS REPRÉSENTANTS, LA Commune de Mortagne sincèrement attachée au système Républicain, & qui n'a d'autre crime que de se trouver malgré elle au centre de l'abominable contre, révolution de la Vendée, vous doit le compte fidèle qu'elle sait de l'évacuation presque générale de la ville & de ce qui peut y avoir donné lieu.

Les Brigands n'ont pas tellement été écrasés à Angers & au Mans, qu'il en est repassé la Loire environ cinq à six mille.

Sur un mot de proclamation du Citoyen Cambon, pour lors Commandant de Cholet, une grande partie des Révoltés étoit rentrée dans ses foyers et avoit même rendu les armes; il est de notoriété publique dans le pays que si tout ce qui restoit d'hommes dans les campagnes a repris les armes et se bat avec le courage du désespoir, c'est parce que l'armée du Nord & la division aux ordres du Citoyen Huchet, ont mis à mort hommes, femmes; enfants & vieillards.

 Les Brigands n'ont point actuellement de canons, ou du moins nous n'en entendions pas le tonnerre.

Le Citoyen Lefort, Commandant la ville de Mortagne, commença à faire relever les brèches des anciens remparts, ces travaux se sont continués avec plus d'activité encore par le Citoyen Fouquerole qui lui a succédé; sept à huit cents hommes des soixante-douzième; soixante-dix-septième Bataillon & du troisième Bataillon de l'Orne, joint à environ cent cinquante Républicains, tristes restes des citoyens de Mortagne, morts en défendant la Liberte, formoient toute la Garnison.

Pendant plusieurs semaines il a été impossible à la Commune & au Commandant, d'apprendre aucunes nouvelles des Colonnes Républicaines, ni des Garnisons de Montaigu & de Tiffauges, & ce qu'il y avoit de plus triste, c'est que tous les Cavaliers que le Commandant envoyoit en ordonnances ne revenoient jamais; il y a toute apparence qu'ils étoient massacres par les Brigands qui obstruaient tous les chemins au poins que personne n'osoit voyager.

Le trois Germinal, la Garnison ayant besoin de Fourrages, détacha deux cents hommes environ pour protéger le convoi.

De ce nombre étoient trente à quarante Citoyens de Mortagne; une armée de Brigands qui parut tout-à-coup, les cerna & les battit de manière qu'il n'en rentra que dix à douze dans la ville.

 De suite cette armée qui pouvoit être de deux mille hommes se présenta en bataille hors la portée du fusil devant les remparts, & se retira le soir sans rien tenter.

Le lendemain sur les neuf heures du matin, cette armée qui s'étoit beaucoup grossie parut au même endroit & y planta deux pavillons blancs.

Deux autres colonnes se présentèrent devant la porte Nantaise & la porte Rochelaise où elles firent de fausses attaques; ces trois colonnes pouvoient monter à cinq à six mille hommes.

La générale eut bientôt rassemblé la Garnison, & tous les Citoyens en état de porter les armes furent occuper le poste qui leur étoit connu d'avance.

A onze heures, les Brigands attaquèrent les portes de Saint-Louis & de Potiers par un feu épouventable, le Commandant de la Place, le Citoyen Lenorrnand, chef du troisième Bataillon de l'Orne, dont le nom nous est particulièrement connu, & les autres chefs voloient sur les remparts recommandant spécialement de ne tirer que lorsque les Brigands seroient à portée sûre.

Les assiégeants prenant pour timidité cet acte de prudence s'avancèrent alors avec des échelles pour monter à l'assaut, poussant des cris épouvantables.

Ce fut pour lors qu'il se fit un feu d'enfer de part & d'autre, qui dura pendant six heures et demie, presque sans relâche.

Les Brigands ne pouvant plus tenir au feu de la place furent contraints de se retirer, promettant de revenir le lendemain; pendant le combat, on voyoit les femmes porter les rafraîchissements nécessaires aux Soldats et crier avec eux : vive la République.

La Commune vous fait l'éloge du Commandant de la place, des chefs ce de tous les soldats.

 Tous étoient bien disposes à vaincre ou mourir, puisque les portes de la Ville avoient été murées en dedans au contentement général; à dix heures du soir la Commune étoit disposée à dresser son procès-verbal de cette action mémorable, lorsqu'elle apprit que le Conseil de Guerre venoit d'arrêter qu'on évacueroit la Ville à une heure après minuit, avec le plus de secret possible pour se rendre à Nantes; ce parti étoit nécessaire parce que la Ville étoit sans munition de guerre, & qu'à peine en restoit-ii pour se défendre pendant la retraite en cas d'attaque.

Le bruit de l'évacuation s’étant répandu dans la Ville, ceux qui furent avertis & qui eurent assez de force pour entreprendre le voyage, partirent sans hésiter; nous pouvons vous assurer, citoyens Représentants, que presque tous ceux qui ont resté eussent également parti sans leur âge avancé, on leurs infirmités, ou des enfants en bas âge, car vous voudrez bien remarquer qu'il n'y avoir aucunes voitures de transport pour les infortunés citoyens de Mortagne, néanmoins le nombre qui est parti est considérable & chacun n'a pû emporter qu'un bien foible trousseau sous sen bras.

Le départ se fit sur les deux heures; le secret, l'ordre & le silence furent parfaitement observes pendant la retraite.

Rendus à Tiffauges, le pont se trouva coupé & le fort évacué depuis deux jours.

Dans cette cruelle position, le Commandant, au lieu d'aller à Montaigu, comme étoit le projet, fit prendre la route de Clisson.

A peine arrivés au Bourg incendié de Getigné, à demie lieue de la Ville, l'avant-garde trouva des brigands armés, déterminés à disputer le passage, il fallut se battre, les brigands furent repoussés jusqu'à Clisson, ou ils furent encore délogés;

Rendus au Palet, on apperçut environ trois ou quatre cents paysans embusqués dans une gorge de Montagne, au bas de laquelle étoit une petite rivière dont ils avoient grossi le gué en fermant les pâlies d'un moulin; les Républicains réunis aux citoyens de Mortagne, sans avoir égard à l'avantage du poste, attaquèrent les brigands avec un feu si vif qu'ils n'y purent tenir, ils voulurent se retrancher sur la montagne, ce fut inutilement, les soldats passèrent la rivière & les chassèrent encore; en un mot, voir l'ennemi, l'attaquer & le vaincre, furent l'affaire d'un instant; les brigands ont perdu plusieurs d'entre eux dans ces trois actions, & la République n'a eu qu'un homme de blessé.

Tout le convoi fut contraint de passer la rivière à gué, les enfants n'en furent pas exempts eux-mêmes ainsi que les femmes.

Enfin, après vingt-six heures de marche sans s'arrêter, & par des chemins difficiles & détournés qui firent faire 13 lieues pour 10 , qu'il y a de Mortagne à Nantes, la troupe et le convoi arrivèrent à trois heures du matin sous les murs de Nantes, à neuf heures, tout est entré dans la ville, & c'est delà que la Commune de Mortagne s'empresse de vous donner ces détails qui vous instruiront que les brigands ne sont pas tous détruits & que vraisemblablement ils auront entré dans Mortagne après le départ de la garnison.

 Peut - être ignorez-vous que Mortagne n'a pas reçu une seule loi de la Convention pendant tout le temps de la contre-révolution.

Nous sommes avec fraternité, vos frères de la Commune de Mortagne.

Certifié conforme à l'original, et délivré par nous soussignés Membres de la Commune de Mortagne.

Signé BUREAU, Maire, SACLIER, Officier Municipal; LAFUY, LAURIER, Officiers-Municipaux; BARÉ, Notable ; GOÛRIN, aîné, Notable; GROLLEAU, Notable; LUCAS, Officier-Municipal; BODIN, Secrétaire-Greffier,

 

Déclaration de dix-neuf citoyennes réfugiées de Mortagne l’arrivées à Nantes le 2 avril, à dix heures du soir. (Nantes.)

« Mortagne a été évacué le 25 mars à deux heures du matin. Les brigands, qui en ont été prévenus, y sont entrés le matin au nombre de six mille hommes. L'arbre de la liberté a été coupé, le château incendié ainsi que les portes de la ville, les fortifications ont été démolies environ cinquante charretées de grains et farines ont été enlevées et conduites sur la route des Herbiers. Pareille opération a eu lieu le lendemain. »

 Le 26, douze ou quinze maisons de patriotes ont été brûlées. Marigny, chef de brigands, déguisé en chaudronnier, a tué deux femmes, et en a maltraité une troisième.

La colonne de Grignon est entrée à Mortagne le 28 mars entre onze heures et midi; celle de Cordellier y est arrivée le même jour à deux heures après-midi.

Les deux colonnes sont parties le lendemain avec les soussignées à huit heures du matin et les ont conduites à Montaigu d'où elles ont été escortées par un détachement jusqu’à Nantes. »

 

 

2 avril 1794 Déclaration des Citoyens de Mortagne réfugiés à Nantes, & arrivé le 13 Germinal 10 heures du soir.

Nous soussignés déclarons que les Républicains commandés par le citoyen Fouquerole , Commandant temporaire de la place de Mortagne, ont évacué cette place le cinq Germinal, à deux heures du matin;

Que Landrau Lerovre, est allé ledit jour sept heures du matin, prévenir les brigands que la place étoit évacuée & qu'ils sont entrés dans la Ville au nombre de six mille, qu'ils ont d'abord coupé l'arbre sacré de la Liberté, qu'ils se sont ensuite tous portés dans les magasins de grains, qu'ils en ont enlevé ledit jour environ cinquante charrettes chargées tant de grains que farines, qu'ils ont enduits sur la route des Herbiers, & qu'ils ont continué la même opération le lendemain sur les huit heures du matin jusqu'à la fin du jour & toujours sur la même route.

 Que le même jour, sur les cinq heures du soir, ils ont brûlé le ci-devant Château.

Que le six dudit mois, ces scélérats de brigands ont brûlé dans la soirée environ douze ou quinze maisons, appartenant aux Républicains; sçavoir : celles des citoyens Merlet, Paquet, Gélot , la veuve Fournier, Lucas, Bareau , Bureau, Chouteau, Légalité , de Launay , Gourin , boucher ; Gourin , cordonnier; des Fontaines, Bodin, Libeau , Lambert, & Chemineau , & d'autres , dont nous ne sçavons pas les noms.

Que le soir de leur arrivé, ils ont brûlé les portes de la Ville, & démoli les fortifications en disant que les pataux n'avoient plus tant de force.

Que leur Général Marigny, déguisé en Chaudronnier, & décoré de deux croix, annonçant le signal de la tyrannie, a tué la citoyenne Jeanne Drapeau, en lui reprochant d'avoir travaillé pour les Républicains, & Catherine Brouard, femme du citoyen Louis Bureau , & qu'il a maltraité & sabré la citoyenne Gelot ;

Qu'ils ont emmené les cuirs & peaux qui se trouvoient dans les magasins militaires; Qu'ils n'ont fait aucune résidence dans la place de Mortagne, & qu'ils se sont retirés tous les soirs sur la route des Herbiers, & qu'une grande partie s'éparpilloit dans les campagnes, tant sur la route de Vreusau , de Cholet, que de Saint-Laurent.

Que la colonne Républicaine, du citoyen Grignon, est entrée le huit Germinal; dans la place de Mortagne, entre onze heures &: midi & que la colonne du citoyen Cordelier est arrivée le même jour à deux heures de l'après - midi, & a bivouaqué autour de la Ville.

Et que les deux colonnes sont parties avec les soussignées, le neuf à huit heures du matin, qu'ils ont conduites jusqu'à Montaigu, & qu'à Montaigu, un détachement les a accompagnées jusqu'à Nantes.

 Les citoyennes veuve Drapeau, Gourdon, Thomaseau , Paquier , Gaborau , Leialiant , Vincendau , Marie Paquier , Loursen, Libeau , veuve Renoud ; Denau, Brin , ont déclaré ne sçavoir signer & ont certifié la déclaration sincère & véritable.

Fait au Comité de surveillance de la Société Républicaine de Vincent-la-Montagne de Nantes, le 14 Germinal de l'an deuxième de la République Française, une et indivisible & impérissable.

Signé LACHOUTEAU, la citoyenne GELOT, MARIE PAGUEAU, MARIE HUCHON, ROSE PEGNEAU, GABRIELLE GOURDON,

 

 

 

 

LE PRISONNIER A MORTAGNE-SUR-SÈVRE (22 AVRIL 4 JUILLET). — ELOGE DES HABITANTS. — Mlle. LA TREMBLAYE. — LIBÉRATION D'UN GRAND NOMBRE DE DÉTENUS. — ÉVACUATION DE MORTAGNE.

J'eus tout le temps dans la suite de le connaître. J'ai été prisonnier pendant quatre mois à Mortagne (5) et détenu dans le couvent sans en sortir pendant ce long- espace de temps.

Je dois dire que mon sort me parut moins rigoureux à Mortagne qu'à Beaupréau-

On paraissait moins exalté que dans les premiers jours, l'animosité contre les prisonniers n'était pas manifestée avec autant de fureur, et alors nous avions moins à craindre pour notre vie.

Le lendemain à 10 heures, on nous apporta des vivres : on donna par dix hommes un plat de soupe, une ration de pain et de viande. Les bœufs gras de la Vendée qui vont chaque année garnir les marchés de Poissy, pour être de là transportés pour l'approvisionnement de la capitale (6), ne pouvaient avoir de débouchés cette année-là ; ils restèrent dans le pays et furent livrés pour nourrir les Vendéens sur des bons royaux délivrés par les chefs et payables sur le trésor à la rentrée du roi.

Chaque maison de Mortagne était chargée de faire la soupe pour dix prisonniers, et tous les jours à 10 heures on la portait au couvent, c'était pour la journée.

Je dois dire que les habitants de Mortagne s'acquittaient de ces soins avec une sorte de satisfaction, ils paraissaient se prêter à tout ce qui pouvait concourir au soulagement des détenus.

Pendant quatre mois qu'on m'a tenu dans cette ville, je ne les ai pas vus s'écarter un instant des sentiments d'humanité et de modération dont ils firent preuve envers nous dès les premiers jours.

Je n'ai connu dans cette ville que deux hommes de la classe des artisans qui eussent des principes opposés : ces deux scélérats voulurent faire égorger les prisonniers dans une occasion dont je rendrai compte dans la suite.

Mais ils furent contenus par la masse des habitants et forcés de renoncer à leur projet criminel.

Les hommes chargés de la garde des prisonniers étaient également doux et humains. Ils semblaient compatir à nos maux, et loin de vouloir les aggraver ils nous plaignaient et paraissaient désirer qu'on nous rendit notre liberté.

On voit qu'il y avait bien du changement dans ma position depuis ma captivité à Beaupréau.

Mais j'étais toujours prisonnier, et la liberté est le premier des biens.

Parmi ceus qui se faisaient remarquer par leur humanité et le bon traitement envers les prisonniers, je citerai Charbonneau, Boutillier du Coin, Morin, Bassonnière, Meleux, Girard, Turpaut, Blanchard, Boutillier des Homelles, Boutillier Saint-André.

Je dois aussi faire mention de Sapinaud, commandant de la place de Mortagne, qui a toujours fait preuve de douceur et de modération (7).

Les femmes aussi témoignaient aux prisonniers un intérêt qui leur était bien précieux.

 On sait à quel point ce sexe aimable possède l'art de consoler les malheureux et de soulager leurs peines. En voyant qu'elles prenaient part aux nôtres, j'en sentais alléger le poids. Au milieu de mes malheurs, je n'avais pas cessé d'être sensible. A 25 ans, tout ce qui se rapportait aux femmes avait le droit de m'intéresser par-dessus tout. Mais si dans la jeunesse on est plus vivement ému des charmes d'un sexe toujours fait pour plaire, dans l'âge plus avancé on sait mieux apprécier son mérite.

Il existait alors à Mortagne une femme qui était l'ornement de son sexe. Les vertus et les belles qualités réunies en elle lui avaient concilie l'estime Générale.

Ce que j'en entendais dire chaque jour aux personnes de tous les partis, de toutes les opinions, me donna un grand désir de la connaître. Mais je n'avais pas la liberté de sortir, et en outre voudrait-elle recevoir un prisonnier qui lui était inconnu?

Malgré ces obstacles, je persistai dans mon dessein, cherchant l'occasion de le mettre il exécution.

Je m'adressai un jour à la sentinelle de garde pour savoir si je pourrais sortir une heure. Ce factionnaire me demanda pour quel motif je désirais sortir et où je voulais aller.

 Je lui dis sans hésiter que je voulais parler à Mlle de la Tremblaye, que j'avais à lui dire des choses importantes. Il me répondit que puisque je voulais aller au château, il me laisserait sortir, et me dit de n'être pas trop longtemps.

Je sortis à l'instant, je traversai la ville sans que personne prit garde à moi et j'arrivai chez Mlle de la Tremblaye.

Outre que j'étais absolument inconnu d'elle, je dois dire que mon costume n'était pas fait pour me faciliter l'entrée au château.

J'étais vêtu d'une mauvaise redingote, trouée aux deux bras, qui me servait le matin dans ma chambre et avec laquelle je n'eusse pas sorti dans les rues de Beaupréau.

Mais comme je l'avais sur moi au moment qu'on vint me surprendre et m'emmener sur la place, je n'eus même pas le temps de prendre d'autres vêtements, et depuis ce moment n'ayant pu rentrer dans mon domicile ni me faire rien apporter j'étais resté ainsi habillé depuis deux mois.

Je n'y avais même pas pensé jusqu'au moment dont je parle ici, et je n'aurais pas fait mention de cette circonstance très peu importante sans la visite que je voulais faire et qui me lit apercevoir qu'ainsi vêtu je n'étais pas présentable.

Je faisais ces réflexions en chemin, mais je n'eus même pas l’idée de rétrograder.

Je pensai que Mlle de la Tremblaye ferait peu d'attention à mes habits et que ma position serait mon excuse. J'entrai au château, je m'adressai aux domestiques et m'annonçai en leur disant : « Veuillez demander à vos dames (sa sœur demeurait avec elle; si elles permettent à un prisonnier de se présenter chez elles. »

On vint aussitôt me dire que ces dames me recevraient volontiers, et on me fit passer au salon.

 Je vis là les deux demoiselles de la Tremblaye qui eurent la complaisance de m'accueillir avec une grande honnêteté. Mais je trouvai assis près d'elle un autre individu que je ne cherchais pas et auquel j'étais loin de penser dans ce moment.

C'était un prêtre que je connaissais parfaitement et que je ne veux pas nommer parce qu'il est existant et habite dans le pays (8).

 J'avais passé plusieurs années au même collège avec lui, et à cette époque nous avions été assez liés ensemble pour nous reconnaître partout. Mais les événements nous avaient séparés, et ces opinions n'étaient pas faites pour nous réunir. Je fus si fâché de le voir là que j'aurais bien voulu être ailleurs, et je craignais que bien loin de remplir l'objet de ma visite cet individu ne fût cause que j'eusse à m'en repentir.

Je présumai sans me tromper ce qui allait arriver. Mais je ne pouvais reculer, et résolus de me tenir ferme contre l'attaque et de m'armer de courage pour la défense.

 En parlant de cet incident et en rapportant ce qui se passa entre cet ecclésiastique et moi, je n'ai point intention de porter contre lui une accusation de fausses maximes et d'intolérance.

Si son début fut peu conforme à la douceur et à la charité chrétienne, il parut s'en repentir à la fin de la querelle, car il m'en fit une véritable; et dans la suite je ne m'aperçus pas qu'il entreprit de rien faire ou dire contre moi et à mon préjudice; et si je fus outré contre lui d'abord, j'admis ensuite ses excuses et je ne lui en ai jamais voulu depuis.

 Mais cette scène fut si singulière, si imprévue, elle eut lieu dans une circonstance si remarquable, dans une maison où je n'étais jamais entré et en présence de femmes respectables que je voyais pour la première fois, en sorte que je dois en faire mention.

J'avais à peine adressé les premières paroles à Mlle de la Tremblaye que le tiers incommode rencontré si mal à propos au château de Mortagne, se tournant vers moi d'un air d'importance et très peu prévenant, m'apostropha, avec un ton d'aigreur qui commençait déjà à confirmer mes soupçons.

Il me dit : « Je vous connais, Monsieur, et depuis quelque temps j'ai beaucoup entendu parler de vous, et je savais que vous étiez prisonnier dans le couvent de Mortagne. »

 Je répondis : « Je vous connais aussi, Monsieur, et je me rappelle que nous avons passé ensemble nos premières années au collège de Beaupréau. Je me rappelle encore que nous avions alors quelques liaisons d'amitié. Vous dites que vous avez entendu parler de moi; pour moi, je n'ai jamais entendu parler de vous. Vous saviez que j'étais prisonnier à Mortagne, et moi j'ignorais que vous fussiez dans la même ville et surtout dans la maison où je vous rencontre en ce moment. »

 Je m'arrêtai là, ne voulant pas prendre l'offensive dans une altercation que je prévoyais et redoutais en même temps, en disant toute ma pensée qui était : « Si j'avais su que vous étiez ici, je n'y serais pas venu ! »

L'abbé. — Les temps sont bien changés depuis les années de collège. Nous avions tous alors les mêmes sentiments touchant la religion et les prêtres, et je sais qu'actuellement, Monsieur, les vôtres ne sont plus tels qu'ils étaient dans ce temps-là, vous êtes partisan des idées nouvelles, et enfin vous avez la réputation d'être un patriote

Le prisonnier. —Je ne sais pas, Monsieur l'abbé, comment vous êtes si bien instruit de mes sentiments à l'égard de la religion et des prêtres ; je ne vous en ai jamais parlé ; je n'ai jamais été à lieu de manifester mon opinion sur ce point, et un homme tel que vous devrait savoir qu'on ne doit jamais émettre des assertions de ce genre sur des ouï-dire et porter un jugement sans preuves. Quant à mes opinions politiques, je n'en dois compte à personne. Vous dites que j'ai la réputation d'être patriote, je ne puis le nier : si c'est un crime, vous devez croire que la captivité où l'on me tient me le fait expier d'une manière cruelle.

L'abbé. — C'est un double malheur pour vous, Monsieur, d'être partisan d'un faux système et d'opinions erronées, et d'en être la victime.

Le prisonnier. — Dans ce cas, Monsieur, celui qui porte un cœur généreux gémit sur les erreurs de la victime, plaint son malheur et ne cherche point à l'aggraver par des reproches inutiles et surtout déplacés dans un moment où celui qui l'éprouve vient solliciter la bienveillance de personnes respectables qui peuvent lui rendre de grands services si elles s'intéressent à son sort. Je crois donc. Monsieur l'abbé, que vous auriez pu vous dispenser d'interrompre mon entretien avec ces dames et me faire perdre dans une altercation désagréable un temps que j'espérais mieux employer et une occasion que je retrouverai peut être difficilement.

L'abbé — Je ne suis pas de votre avis, Monsieur; ce que je vous dis je dois vous le dire, et mes reproches sont justes puisque j'ai appris que vous aviez contribué à persécuter les prêtres.

Le prisonnier. — Ce que vous dites là, Monsieur l'abbé, est de toute fausseté, c'est une calomnie atroce.

— Et m'adressant aux demoiselles de la Tremblaye : « Je vous demande pardon, leur dis-je, de ce qui se passe devant vous et si je parais trop animé dans cette discussion, mais on m'accuse devant vous et je dois me défendre. »

Elles me dirent que cela était juste. — Alors adressant la parole avec feu à l'abbé, je lui dis : « Où avez-vous pris ce que vous venez de dire? Sachez que je n'ai jamais persécuté ni dénoncé personne. Apprenez que des prêtres ont été cachés en grand nombre dans mon pays, j'en étais instruit, on m'invitait à les poursuivre, et jamais je n'ai fait une seule démarche contre eux, et je défie qui que ce soit au monde de prouver ce que vous venez d'avancer avec tant d'imprudence. Vous n'avez pas réfléchi. Monsieur, avant de porter une telle accusation. En effet, il est bien surprenant, Monsieur, que vous vous permettiez un tel propos sans l'appuyer de preuves. Je vous somme de déclarer ce qui a pu vous y porter. »

L'abbé répondit : « Je n'ai pas de preuves par moi-même, je l'ai oui-dire. »

 — « Eh quoi? lui répliquai-je, c'est sur des ouï-dire que vous m'accusez ainsi en présence de ces dames, dans un moment où étant prisonnier livré à la discrétion de mes ennemis une telle parole divulguée pourrait me conter la vie! Non sans doute, Monsieur, vous n'y avez pas réfléchi, vous prêtre d'une religion qui ne prêche que la paix et la tolérance, qui l'ait un devoir de l'oubli et du pardon envers ceux qui seraient répréhensibles et surtout qui défend de calomnier, de médire ou de faire ou dire du mal il son prochain. J'aurais cru, Monsieur, que dans la triste position où je me trouve, cette même religion, l'humanité, le souvenir de notre jeunesse et enfin l'influence que votre état vous donne dans le pays, auraient été autant de motifs qui vous eussent porté à me secourir, au lieu de m'attaquer de la sorte. Vous le voyez, Monsieur, vous m'avez mis dans le cas de ne plus vous ménager, et, quoi qu'il en puisse arriver, je vous déclare que je ne veux plus vous entendre, et ici doit se terminer cette trop longue et fatigante discussion. Je suis prisonnier, mais mon à me est libre, je ne dois compte à personne de mes opinions et ma conduite est irréprochable. Dans tous les cas, Monsieur, je ne dépends pas de vous, vous n'avez pas le droit de me juger, et je repousse tout ce qui peut venir de vous, surtout vos calomnies atroces qui ont excité mon indignation. »

Je prononçai ces paroles d'un ton très animé et avec une telle vivacité que l'abbé n'eut pas le pouvoir de m'interrompre. Il m'avait piqué au vif, je voulais rabattre sa morgue et son ton pédantesque que je trouvais insultant. J'y parvins. Lorsque j'eus fini de parler, je réitérai mes excuses aux dames témoins de ce singulier colloque en leur observant que la faute était à M. l'abbé qui m'avait attaqué et contre lequel je devais me défendre.

 Ces dames dirent qu'il avait eu tort de le faire, et l'abbé parut confondu.

Alors il reprit la parole et, d'un ton très radouci, il me dit : « Monsieur, je vous prie, ne soyez pas fâché, et ne gardez pas de rancune de ce qui vient de se passer. Je conviens que j'ai eu tort de vous accuser sans preuves, que tout soit oublié. Rappelons-nous le temps de notre jeunesse où nous fûmes amis, et soyons-le encore. Je vous affirme que je n'ai plus contre vous les fâcheuses préventions qui ont engagé cette discussion. Je vous dis plus, si je puis vous être utile et vous rendre quelques services, je le ferai avec plaisir. Je vous jure que je vous parle sincèrement, la religion ainsi que les circonstances nous font un devoir d'oublier cette querelle. Permettez-le moi, et avant de nous quitter embrassons-nous comme frères. »

En entendant ces paroles de paix, je fus aussi satisfait que j'avais été molesté d'abord. Je m'avançai vers l'abbé et l'embrassai de bon cœur; il parut le faire de même.

 Je lui dis alors : « Monsieur, j'accepte avec plaisir ce que vous me proposez. Dans ma position j'ai besoin d'amis et je dois craindre de me faire des ennemis plus que dans toute autre. J'accepte également l'offre de services que vous me faites et vous invite à mon tour à oublier la vivacité avec laquelle je viens de vous parler. Mais elle était justement motivée parce qui avait précédé. Je dis, comme vous, que tout soit oublié, et que les dames respectables devant lesquelles cette singulière scène s'est passée veuillent bien croire que vos reproches ne sont pas fondés, parce que j'ai besoin ici d'une réputation intacte. »

L'abbé sortit, et je restai seul avec les demoiselles de la Tremblaye.

Notre conversation reprit sur ce qui venait de se passer. Ces dames me dirent que j'avais bien fait de ne pas manquer à relever les indiscrétions de M. l'abbé, et de lui donner une leçon qu'il avait méritée par ses discours et le ton inconvenant qui les avait accompagnés. Elles parurent elles-mêmes fort mécontentes de sa conduite chez elles, et me témoignèrent à cette occasion combien elles avaient à souffrir de ce qui se passait dans ces temps déplorables.

Je m'adressai alors à Mlle de la Tremblaye l'aînée, qui était celle dont le mérite et les belles qualités généralement reconnues dans le pays m'avaient donné le désir de la connaître.

 Je lui dis que la voix publique m'ayant appris combien elle était généreuse et disposée à rendre service aux opprimés, j'étais venu à ce titre solliciter sa bienveillance, et qu'elle me permit de la réclamer non pour me faire obtenir ma liberté, ce qui me paraissait trop difficile dans ce moment, mais dans le cas où des événements qu’on ne pouvait prévoir porteraient nos persécuteurs à vouloir attenter à ma vie.

Je lui parlai de quelques circonstances où ce malheur pourrait m'arriver.

La suite de ces mémoires prouvera que mes craintes n'étaient que trop bien fondées, et on verra alors combien l'intervention de cette femme bienfaisante me fût utile, et que l'intérêt qu'elle prit à moi contribua grandement à me tirer des mains de quelques scélérats qui avaient résolu de me faire périr.

Je fus sauvé par son influence et par l'humanité du commandant de Mortagne.

Après que j'eus exposé le motif de ma visite au château de Mortagne, Mlle de la Tremblayc me répondit de la manière la plus obligeante et la plus affectueuse.

 Elle me dit qu'elle prenait part à mon malheur, que j'avais bien fait de me présenter chez elle, que si elle avait quelquefois l'occasion de me rendre service elle le ferait avec une grande satisfaction. Elle ajouta tout ce qu'elle crut être capable de me porter quelques consolations, et je fus satisfait au-delà de ce que j'aurais pu l'espérer du succès de ma démarche.

Elle me dit encore qu'avant de m'avoir vu, elle avait entendu parler de moi, comme prisonnier, par des personnes qui avaient paru plaindre mon sort.

Elle me demanda ensuite quelques détails sur ce que j'étais, ce que je faisais avant l'insurrection et sur les circonstances qui m'avaient livré aux insurgés, et enfin sur tout ce qui avait rapport aux causes et aux événements de ma captivité.

Je lui rapportai succinctement ce qui m'était arrivé depuis deux mois, les motifs qui m'avaient obligé à fixer mon domicile à Beaupréau, la manière dont on s'était emparé de ma personne ; et j'ajoutai que la différence d'opinion était l'unique motif de la persécution que j'éprouvais, on n'avait rien d'ailleurs à me reprocher, depuis que j'étais détenu ma conduite antérieure avait été scrutée avec une sévère exactitude, et saris doute on n'avait aucun fait répréhensible et aucun grief il présenter contre moi, car on était venu me dire à la prison de Beaupréau :

 « Il est heureux pour vous qu'étant patriote vous n'ayez pas vexé ou dénoncé les royalistes ou les prêtres, car aujourd'hui vous le paieriez bien cher. Vous devez vous féliciter de ne vous être pas fait d'ennemis personnels dans la Révolution. »

 Il est probable que dans ce cas la vengeance eut été terrible et ma perte ont été inévitable.

J'ajoutai que néanmoins il m'avait paru que d'Elbée avait une certaine animosité contre moi à raison de l'opinion, et aussi parce que j'étais venu il Beaupréau occuper une place comme fonctionnaire public, que d' Elbée était d'un caractère jaloux et vindicatif, qu'il avait sollicité des places dans l'administration et dans l'état-major des gardes nationales de ce pays-là, sans pouvoir en obtenir aucune, et qu'alors il s'était déclaré l'ennemi des patriotes; au reste, je ne pouvais deviner le motif de sa haine, s'il en avait contre moi; puisque je ne lui avais jamais parlé et n'avais jamais eu aucun rapport avec lui.

Après m'avoir écouté, Mlle de la Tremblaye me dit :

 « Je plains sincèrement votre sort, et, comme je vous l'ai dit, je vous rendrai service si je le puis. Mais sachez que moi-même je suis victime des événements. Votre opinion est la cause de vos malheurs, je suis aussi très contrariée par l'opinion ; je pense à peu près comme vous, mais ma position, mon nom, ma famille me font un devoir de dissimuler et je suis liée ici par la nécessité. Mais quelle que soit la manière de penser de chacun, elle est libre et ce n'est pas ce qui m'occupe. Ce sont les événements, les faits dont je suis vivement affectée, cruellement désolée.

Je prévois dans l'avenir les plus grands malheurs, que pouvons-nous attendre autre chose de tout ce qui se passe? Que peut la faible population de nos pays contre toute la France?

D'ailleurs, nous voyons aujourd'hui que le fanatisme déshonore la religion; la fureur de l'esprit de parti a fait commettre des crimes épouvantables.

Vous savez ce qui s'est passé à Machecoul (9), à Challans (10) ; vous savez que notre ville de Mortagne pleure la perte de 35 de ses plus notables habitants commandés en qualité de gardes nationales pour aller porter des secours à Tiffauges le 13 mars, et assassinés dans cette dernière ville ainsi que leur commandant par la plus infâme trahison.

 C’étaient tous nos voisins, nos amis, des hommes estimables; et Dudoit, ancien capitaine retraité qui les commandait, était généralement aimé et respecté et il mérite tous nos regrets (11).

Pour moi, je ne puis me consoler de ces malheurs. — J'éprouve, en outre, bien des sortes de désagréments. Je suis obligée d'ouvrir ma maison à toutes sortes de personnes qui affluent de tous côtés dans Mortagne ; il semble que le château soit devenu une hôtellerie publique.

Vous avez vu tout à l'heure l'abbé qui vous a intenté une mauvaise querelle : il se regarde ici comme chez lui. Celui-là et bien d'autres me gênent sans cesse. Je suis obligée de voir et d'entendre des choses qui sont loin de me plaire, il faut que je tienne table ouverte pour des gens de toute espèce dont la société et les discours sont un fardeau pour moi. Mais je ne puis me soustraire à ma destinée, et je dois ces sacrifices à mon nom et à ma famille. »

Mlle de la Tremblaye parlait dans la sincérité de son âme. J'avais vu des pleurs échapper de ses yeux au récit qu'elle venait de me faire de l'assassinat de 35 habitants de Mortagne cruellement égorgés à Tiffauges le 13 mars, et surtout lorsqu'elle prononça le nom du capitaine Dudoit.

 J'appris dans la suite qu'elle prenait un intérêt particulier à ce capitaine qui l'aimait et la recherchait en mariage. Elle avait alors environ 33 ans. On sait qu'autrefois dans la caste nobiliaire il arrivait souvent qu'on sacrifiait les cadets et les filles pour l'avantage des aînés qui absorbaient la fortune de la maison, afin de soutenir l'éclat de la famille.

Mais la Révolution avait donné à Mlle de la Tremblaye l'espoir de former des liens dont les préjugés l'avaient éloignée : elle espérait être unie à l'infortuné Dudoit, sacrifié à Tiffauges.

Ma séance avait été longue au château de Mortagne.

J'y étais resté plus de 4 heures, qui s'étaient écoulées bien promptement pour moi. Je témoignai ma reconnaissance à ces dames et pris congé d'elles pour rentrer dans le couvent, où je me rendis sans aucun événement.

 Quelques jours après, l'abbé y vint pour un prisonnier dangereusement malade ; il me parla aimablement, me renouvela ses offres de service, mais je n'ai pas eu l'occasion de les réclamer, et je ne le revis plus depuis ce jour-là.

Vers le milieu du mois de mai, on annonça aux prisonniers que les chefs royalistes avaient intention de faire proposer un échange aux autorités républicaines.

 Cette nouvelle fit une grande sensation parmi nous, comme on peut le penser.

Bientôt après, deux prisonniers habitants de Saumur et pris dans le château du Bois-Grolleau furent désignés par les chefs pour aller faire part de cette proposition aux administrateurs du département de Maine-et-Loire à Angers.

Les deux députés se préparèrent aussitôt à partir; ils se nommaient Frémery et Huguet de Saumur.

Il me fut permis d'écrire et de donner par eux de mes nouvelles à ma famille, qui depuis deux mois ignorait si j'étais encore vivant. Je reçus réponse par la même voie, et ce fut pour les uns et les autres une consolation bien grande d'avoir pu communiquer par écrit.

Les deux députés donnèrent leur parole d'honneur de revenir eux-mêmes rapporter la réponse.

Ils revinrent au jour fixé, mais bien mécontents du résultat de leur démarche.

Les autorités républicaines avaient refusé nettement toute proposition d'échange ou tout autre arrangement que ce pût être.

 Je ne ferai aucune observation ici sur cette fatale réponse, mais elle plongea les prisonniers dans la plus vive affliction.

Cependant les chefs royalistes plus généreux résolurent malgré ce refus de renvoyer les prisonniers de Mortagne.

Il fut décidé dans le Conseil qu'il en partirait chaque jour un détachement de 30 à 40 hommes.

Le premier détachement partit le lendemain. Les prisonniers furent conduits à Cholet, de là par la route de Saumur jusqu'à la ligne de démarcation qui bornait le pays conquis.

 Ils étaient conduits jusqu'à l'extrémité de ce pays par une escorte de Vendéens, là ils se séparaient et les prisonniers libérés se rendaient à Saumur.

Tous les prisonniers de Saumur et de Montreuil-Bellay, les dragons faits prisonniers à Beaupréau, ceux de Beaupréau et autres qui se trouvaient à Mortagne furent ainsi renvoyés successivement dans le courant du mois de mai.

Quand je me présentai pour demander à être renvoyé ainsi que les autres détenus, on me répondit que D'Elbée ne voulait pas me rendre la liberté.

Cette réponse m'affligea sans me surprendre : je savais que D'Elbée m'en voulait plus qu'à tout autre, mais j'en ignorais la cause et je ne l'ai jamais connue. J'aurai encore une fois dans la suite à faire remarquer une nouvelle preuve de l'animosité de D'Elbée à mon égard. Je lui fis demander pourquoi il s'opposait à ce que je fusse mis en liberté avec les autres détenus à cette époque du mois de mai : il ne voulut pas m'en faire dire les motifs.

Enfin je ne fus délivré que par l'armée républicaine, qui entra à Châtillon-sur-Sèvre, le 9 octobre.

Cependant après le départ des prisonniers je fus moins resserré. J'eus la liberté de descendre dans le jardin du couvent et de m'y promener, ce qu'on ne permettait pas aux autres prisonniers qui avaient remplacé les premiers.

 

Je fus logé dans une chambre où j'étais seul, et alors je pus me procurer un mauvais matelas qui était moins dur que la mince poignée de paille qui recouvrait le carreau et me servait de lit.

 Mais, d'un autre côté, j'éprouvai un autre genre de privation : on cessa de distribuer les vivres aux prisonniers. Je n'avais pas de quoi payer pour en acheter, j'étais donc réduit à recevoir le nécessaire tantôt d'une main tantôt d'une autre.

Il m'était bien dur, sans doute de me voir dans une telle extrémité, mais la faim ne peut calculer les convenances. Au surplus, les bons habitants de Mortagne qui m'envoyaient quelques provisions, y joignaient, tous les procédés capables de ménager mon amour-propre.

Je demandai des livres, et je pus m'en procurer. Je lisais pendant les jours entiers, et ainsi je trouvais moyen d'adoucir l'ennui de ma captivité. J'eus encore une fois la faculté de sortir, j'étais alors connu à peu près de tous les habitants de Mortagne.

J'allai voir les plus notables chez eux, partout je fus accueilli d'une manière affectueuse.

Chacun me plaignait, en taxant d'injustice le général D'Elbée qui prolongeait ainsi ma captivité. On ajoutait une chose que je savais bien, savoir que les chefs militaires de la Vendée s'étaient arrogés un pouvoir despotique dans le pays, dont tout le monde commençait à trouver le poids insupportable. Il y avait peu de personnes dans la classe aisée du pays insurgé qui ne gémissent des malheurs auxquels la guerre civile les exposait et qui ne fussent épouvantées des suites plus terribles encore que pouvaient avoir les événements.

Après avoir fait cette tournée dans la ville, au moment que j'étais prêt à rentrer au couvent, quelques personnes que je connaissais m invitèrent il entrer dans une auberge avec elles. Je cédai par complaisance plus (lue par goût.

Dans ce moment, un nommé Gesbron d Argonne, de Saint-Florent-le-Vieil, qui se trouvait à Mortagne me vit entrer là. Il courut aussitôt chez Sapinaud pour lui dire qu'un prisonnier était dans la ville.

Sapinaud conduit par le dénonciateur vint me trouver dans l'auberge ; il me dit que je n'aurais pas dit sortir sans son ordre, et que j'eusse à rentrer de suite au couvent.

 Il fallut obéir, mais j'étais outré contre Cesbron d'Argonne. Je lui dis en présence de Sapinaud que cette conduite de sa part était une indignité, et que c'était faire le mal pour le plaisir de le faire. Cet homme prouva dans la suite sa haine contre les prisonniers, dont il s’était fait le geôlier pour les dépouiller et qu'il voulut ensuite faire fusiller à Saint-Florent-le-Vieil.

Le mois de juin se passa sans événements remarquables pour les prisonniers.

Les succès des Vendéens étaient alors à leur plus haut période, nos gardes et bien d'autres soldats royalistes ne manquaient pas chaque jour de venir nous raconter leurs faits militaires et nous vanter leurs exploits. Nous étions également instruits de leurs revers. Rien ne se faisait, n'était projeté que nous pussions ignorer.

Les soldats Vendéens disaient tout, mais cela ne pouvait nuire à leur cause : nous n'avions ni la volonté ni le pouvoir de nous opposer à leurs progrès. Nous pouvions juger qu'ils auraient un terme, parce que leurs forces s'épuisaient insensiblement, et ne recevant pas de secours du dehors il fallait bien qu'ils finissent par succomber.

Ils le sentirent bientôt eux-mêmes, mais le gouvernement tyrannique qu'on appelait alors républicain leur fermait toutes les voies qui auraient pu conduire à la paix, et ne leur laissait que la chance des combats et les tentatives du désespoir.

Depuis longtemps je n'entendais parler que de victoires et de conquêtes par les armées catholiques et royales.

 Bressuire, Thouars, Parthenay, Fontenay-le-Comte, Doué-la-Fontaine, Montreuil-Bellay, Saumur avaient cédé à la force de leurs armes (12) ; Angers s'était rendu sans se défendre ; Nantes était le but où tendaient les Vendéens victorieux.

Déjà ils spéculaient sur les richesses que renfermait cette ville ; déjà ils partageaient en idée cette proie, qu'ils pensaient ne pouvoir leur échapper.

Les chevaux, les chariots, les voitures de toute espèce filaient des deux côtés de la Loire vers cette ville dont la prise occupait toute la Vendée.

Mais le succès ne répondit pas à l'attente générale des royalistes. Le 29 juin, elle fut attaquée, et dès le même jour les assaillants repoussés prirent la fuite de toutes parts et rentrèrent dans leurs limites.

A 9 heures du soir, un faux courrier annonça à Mortagne la prise de Nantes : j'entendis le son des cloches qui célébrait déjà cette grande nouvelle, mais une heure après elle fut démentie et la tristesse vint succéder à la joie.

Dans la nuit, on entendit le mouvement des fuyards qui revenaient de Nantes, et le lendemain on apprit les détails de cette affaire si fatale aux Vendéens.

De cette époque, la fortune commença à leur devenir contraire, et leurs affaires allèrent toujours en déclinant.

Malgré les succès qu'ils avaient obtenus, ils voyaient qu'ils n'étaient pas plus avancés que le premier jour ; ils ne savaient pas conserver leurs conquêtes, parce qu'après les combats ils se séparaient pour rentrer dans leurs foyers.

 Depuis plus de 3 mois la guerre enlevait leurs soldats, et ils n'avaient aucun moyen de remplacer les hommes qu'ils perdaient chaque jour.

Le 5 de juillet, j'entendis une grande rumeur dans la ville et un mouvement parmi ses habitants qui annonçait des événements extraordinaires (13). Vers le soir, je vis entrer dans la prison beaucoup de gens armés.

On allait et on venait sans cesse, sans que je pusse savoir ce qui se passait. Je voyais sur les figures quelque chose de sinistre qui m'inquiétait beaucoup.

 Enfin je vis paraître quelques-uns de ceux que je connaissais plus particulièrement : Bassonnière, Charbonneau, Morin. Ils avaient l'air morne et triste comme tout le monde.

Tous les jours je les voyais sans armes, mais dans ce moment ils étaient armés de fusils, sabres, pistolets à la ceinture, etc. Je leur demandai la cause de tout ce que je voyais. Ils me dirent : «  Nous sommes serrés de près et peut-être perdus. Les républicains sont en force à Châtillon-sur-Sèvre, à 3 lieues de Mortagne, et marchent sur nous. Une autre colonne avance par la route des Herbiers, venant également à Mortagne. Nous allons évacuer cette ville dans 2 heures. Mais sauvez-vous si vous le pouvez et tâchez de vous cacher, parce qu'on parle de faire égorger les prisonniers cette nuit avant le départ.

Marigny (14) et quelques scélérats, dont 2 habitants de Mortagne, ont formé ce projet.

Les habitants de Mortagne s'y opposent fortement, mais dans le trouble et la confusion et pendant la nuit il peut arriver de grands malheurs. Adieu, me dirent-ils, vous et nous tous, nous sommes menacés de la mort et peut-être-nous ne devons plus nous revoir. On va venir dans une heure enlever les prisonniers pour les conduire à Cholet. Tâchez de vous sauver. »

Depuis 3 mois 1/2 j'avais été menacé cent fois de la mort et je devais être en quelque sorte accoutumé à cette idée, mais la nature nous commande de la repousser, et quelque malheureux que soit l'homme il cherche à prolonger son existence.

Ces paroles et le danger imminent qu'elles m'annonçaient me causèrent donc une grande frayeur. Je remerciai ceux qui par cet avis me prouvaient qu'ils prenaient intérêt à moi, et je cherchai les moyens de me sauver de la cruelle bagarre qui se préparait contre les prisonniers.

J'ai dit qu'après le départ des prisonniers, au mois de mai, j'avais obtenu un local séparé; j'y étais seul, tandis que les prisonniers qui avaient remplacé les premiers étaient logés par chambrées à l'étage supérieur.

Je communiquais au jardin, ce que les autres ne pouvaient faire. Alors je résolus de sortir de mon logement pour ne pas me trouver dans la mêlée dans un moment où des scélérats avaient formé le projet de nous faire fusiller sur la place de Mortagne.

 Je frémissais sur le sort de nos malheureux camarades: dans le cas où ce crime affreux eut été commis, il est probable qu'on m'eût repris le lendemain et j'aurais éprouvé le même traitement. Mais dans ces cas-là on éloigne le plus possible l'instant fatal.

Ne pouvant être utile aux autres, je ne pouvais mieux faire que de chercher à me sauver moi-même. Dans un enlèvement nocturne de 300 prisonniers j'étais bien assuré qu'on ne pourrait s'apercevoir de l'absence de l'un d'entre eux.

Je sortis à l'entrée de la nuit et j'allai au jardin.

Lorsque j'y fus descendu, j'observai avec attention tout ce qui se passait dans le couvent et au dehors, en calculant d'après ce que je pouvais entendre. Il était 10 heures, l'obscurité profonde de la nuit me favorisait et on ne pouvait me voir.

Dans l'intérieur, les prisonniers renfermés paraissaient être livrés au sommeil, car ils n'avaient pu rien savoir de ce qui se passait.

Dans la ville on entendait le mouvement d'hommes qui se mettent en marche, des cris de frayeur, et souvent on proférait avec effroi ces paroles :

« Voilà les Bleus ! Ils viennent sur nous ! Ils sont près d'entrer à Mortagne ! Ils tuent les femmes et les enfants ! Nous sommes perdus, etc. »

A 11 heures, j'entendis ouvrir la porte extérieure du couvent. Je présumai qu'on venait s'emparer des prisonniers. Il fallait traverser une partie du jardin pour entrer dans l'intérieur de la prison: j'allai dans la partie opposée et je me couchai ventre à terre dans un endroit d'où je pouvais observer tout sans être vu.

Alors j'entendis un grand bruit et je vis une grande quantité d'hommes armés portant des flambeaux et munis de cordes, qui paraissaient très animés contre les prisonniers et proféraient des cris menaçants contre eux. C’était le moment critique, on peut juger combien j'étais agité de sentiments pénibles et de la crainte des événements.

Réveillés par cette alerte et frappés des cris affreux qu'ils entendaient, les prisonniers se crurent perdus.

Ils furent liés 2 il 2, suivant l'usage, furent rangés sur deux lignes, et on leur donna le signal du départ. Cette opération avait duré il peu près une heure: à minuit ils descendirent du couvent et je les vis défiler par le jardin. Ils furent tous enlevés, on ne laissa que les malades et blessés qui ne pouvaient marcher.

Cependant j'étais dans la plus cruelle anxiété sur le sort qu'on leur réservait. J'écoutais pour savoir si on allait attenter à leur vie ; je n'entendis point de coups de feu dans la ville, mais je ne pouvais prévoir ce qu'on ferait en route. Heureusement nous en fûmes quittes pour la peur.

J'appris le lendemain par ceux mêmes qui avaient fait partie de leur escorte qu'ils avaient été transférés à Cholet sans aucun accident.

 Marigny et deux hommes de Mortagne, l'un couvreur, l'autre perruquier, dont j'ai oublié les noms, cherchèrent à ameuter les soldats vendéens contre eux pour les faire fusiller, mais 50 à 60 jeunes gens de Mortagne se réunirent en armes pour s'y opposer; ils dirent au féroce Marigny que s'il faisait périr un seul prisonnier ils allaient le fusiller lui-même à l'instant.

Cette menace qui n'eût pas été vaine, fit son effet. Marigny était lâche autant que cruel, il fut obligé de céder. Les jeunes gens déclarèrent qu'ils allaient eux-mêmes escorter les prisonniers jusqu'à Cholet, afin qu'on ne pût leur faire aucun mal en route, et ils les y conduisirent dans la nuit.

A 2 heures du matin, les prisonniers étaient hors de Mortagne, la ville était évacuée, et il n'y restait plus que les femmes et ceux des habitants qui ne prenaient pas les armes.

 Le calme fut un peu rétabli, et les républicains ne paraissant pas on attendit les événements du lendemain dans des frayeurs qui agitaient toute la population.

Dans ce moment je rentrai dans la chambre que j'occupais pour satisfaire au besoin du sommeil. J'étais à peine endormi que je fus réveillé par un bruit épouvantable. J'éprouvai en même temps une violente secousse qui me porta, sans que j'aie pu savoir comment cela s'était fait, du grabat où j'étais couché à l'autre extrémité de la chambre. Je fus tout étourdi du coup, j'avais les membres froissés, je ne savais dans le premier moment où j'étais.

Enfin reprenant peu à peu mes sens, je crus que cette violente détonation était produite par le canon des républicains entrant à Mortagne.

J'entendis alors des cris affreux dans les cours du couvent, comme de personnes blessées, ce qui me fit croire encore que l'on se battait dans les rues. Mais je fus bientôt détrompé.

C'étaient en effet des hommes blessés à mort qui jetaient ces cris effrayants mais non par les causes que je présumais.

On avait laissé dans les cours du couvent un caisson qui était rempli de poudre et de balles ; 7 à 8 soldats du pays avaient eu l'imprudence de porter de la lumière près de ce caisson et s'occupaient à faire des cartouches, le feu avait pris à la poudre et l'explosion terrible du caisson avait brûlé les hommes qui étaient là.

Ces malheureux étaient dans un état effroyable, leurs corps étaient noirs comme du charbon, ils se sentaient brûlés vifs, ils criaient qu'on jetât de l'eau sur eux : on le fit, mais ils n'étaient pas soulagés, ils périrent tous dans des souffrances cruelles.

La détonation avait été si forte qu'on croyait dans la ville que le couvent avait sauté.

Pour moi, comme je viens de le dire, j'avais été jeté à dix pieds de distance par la commotion.

Le caisson qui avait fait explosion, contenait une grande quantité de poudre, il était sous la fenêtre de la chambre que j'occupais. Cependant je ne voulais pas qu'on sût que j'étais là. On me croyait sans doute parti avec les autres prisonniers, j'attendis le jour pour voir ce qui allait se passer et me décider sur ce que je pourrais faire de mieux dans cette circonstance.

J'appris le matin que l'armée des républicains commandée par Westermann (15) n'avait pas avancé au-delà de Châtillon-sur-Sèvre ; la colonne qui venait par la route des Herbiers s'était arrêtée avant d'arriver à cette ville, et les forces des royalistes se concentraient à Cholet.

Lorsque je descendis au jardin, je vis le commandant de place Sapinaud qui fut surpris de me trouver là, il me croyait rendu à Cholet avec les autres.

 Je lui dis qu'ayant entendu la veille les menaces de fusiller les prisonniers, je m'étais esquivé pour éviter ce malheur et j'avais été bien près d'en éprouver un autre par l'explosion du caisson.

Il me dit qu'il allait partir avec le dernier détachement qui se repliait sur Tiffauges, que j'allais être transféré dans cette ville et que dans une heure on allait se mettre en marche.

 

 

 

Vieux château de MORTAGNE pendant la Guerre de Vendée - Louis Sapinaud de La Verrie <==.... ....==> Prisonniers de la Révolution — Mlle. LA TREMBLAYE à Mortagne sur Sèvre

 La garnison de Mortagne du boucher de la Vendée (François-Pierre-Joseph Amey) arrive aux Herbiers le 21 Janvier 1794 <==

 

 


 

Marguerite DELÉAGE de RIVAU, mère du chevalier de Robin et du marquis de la Tremblaye, seigneur de Mortagne, et Mlle de PAROI, femme de ce dernier.

Charles-Eugène ROBIN, le plus jeune fils de Henri-René ROBIN de la TREMBLAYE et d'Anne-Marguerite DELÉAGE de RIVAU, portait le nom de marquis de Mortagne, dont il avait acquis la terre du duc de Villeroy, en 1775.

Il était parti jeune en Amérique, où il avait épousé successivement deux créoles, qui lui avaient apporté une fortune immense; il se maria en troisièmes noces à Mlle de Paroi. Il fut tué on 1792, par les nègres révoltés.

Son frère aîné, Amable ROBIN, connu sous le nom de chevalier de Robin, né en 1739, fut un lettré et un poète distingué.

 Chevalier de Malte, il fut ami de Voltaire avec qui il eut un commerce de lettres et de petits vers. Il voyagea beaucoup et publia des relations intéressantes de ses voyages.

Le chevalier de la Tremblaye avait salué avec ivresse les premières lueurs de la Révolution, mais son enthousiasme s'était grandement refroidi quand il avait vu celle-ci faire table rase des privilèges et des distinctions nobiliaires, et saper l'institution monarchique.

 Tandis qu'il continuait à résider dans la capitale, sa mère, qui devait être fort âgée, habitait avec ses filles, les châteaux de la Tremblaye et de Mortagne, où ces dames ont laissé le plus honorable souvenir.

Le chevalier de la Tremblaye, malgré le soin qu'il prit de ne point se mettre en évidence, ne put traverser la Terreur sans se voir appréhender et conduire à la prison de la rue de Sèvres dite des Oiseaux.

Cette prison était en apparence moins prison que beaucoup d'autres; sa position à l'encoignure du boulevard, le jardin dans lequel on se promenait alors, donnaient à la malheureuse société qui y était détenue une apparence de liberté, et annonçaient que cette maison renfermait plutôt des gens voués à la haine qu'à la mortelle vengeance du parti opprimant.

 La plus grande partie des détenus était du nombre de ceux qui avaient ci-devant joui des honneurs et de toutes les aisances que procuraient les places qu'ils avaient occupées.

La paix et la tranquillité qui régnaient dans ces lieux semblaient en avoir repoussé la crainte sourde des jugements iniques et cruels qui planaient sur la tête des détenus des autres maisons d'arrêt.

Depuis plus de six mois, sur 160 malheureux qui y étaient renfermés, deux seuls prisonniers avaient été tirés de la maison pour être immolés, lorsque, le 7 thermidor (deux jours avant la chute de Robespierre), on vint en enlever onze qui furent traînés au tribunal de sang et de là à la mort (Mémoires sur les prisons). M. de Saint-André dit que le chevalier fut rendu à la liberté après le 9 thermidor, mais ce ne fut pas immédiatement, car il était encore aux Oiseaux dix mois plus tard; et c'est là qu'il employa ses loisirs à composer son poème d’Amable et Jeannette, dont nous avons, par anticipation, donné l'analyse et dont l'épitre dédicatoire se termine ainsi : À la maison d'arrêt, dite des Oiseaux, rite de Sèvres, ce janvier 1795.

Dans le premier des quatre chants, le poète partage l'opinion de ceux qui attribuent à sa famille une origine écossaise (a); il y passe rapidement en revue les champs de bataille on ses ancêtres ont combattu, et exprime l'espoir de voir son neveu en soutenir l'honneur.

Longtemps avant que la fleur gallicane

Eut, par les mains de Sorel et de Jeanne,

Repris l'éclat, la vie et la fraicheur

Qu'avait flétris la fureur anglicane

Avant ces jours d'opprobre et de malheur,

Un beau laurier, d'une noble origine,

Fut d'Albion sur ces bords transplanté ;

De ses rameaux l'antique majesté

Brilla jadis aux plaines de Bouvine,

Se déploya dans la lice à Rocroy,

A Marignan, aux champs de Fontenoy ;

De siècle en siècle il a repris racine

Et vit encor dans un pur rejeton,

Dont la vigueur d'avance me répond,

Sans rien ici préjuger sur la mine,

Qu'il soutiendra l'honneur de son vieux tronc.

Le chevalier de la Tremblaye mourut à Paris, vers 1807, à l'âge de 68 ans, et voici ce que nous lisons à son sujet dans le Factum d'un procès intenté par le marquis de Mortagne, son neveu :

 « Après la mort du marquis de Mortagne, son fils, le marquis actuel, prit la sage précaution de remplir au greffe la prudente formalité destinée à constater sa renonciation à la succession d'un père qui ne laissait que des dettes à payer.

 Le défunt avait un frère, Claude-Amable-François Robin de la Tremblaye, homme plein de mérite et des plus recommandables, qui, quoique cadet de sa maison et chevalier de Malte, avait eu soin de conserver sa fortune, au moins en partie, et le bonheur de n'être pas dépouillé de ce qu'il possédait pendant le régime des sequestres et des proscriptions. Il avait bien eu sa part des privations et des tribulations, suite inévitable de l'état où se trouvaient les classes élevées de la société pendant et après même les tempêtes révolutionnaires mais enfin, malgré la nécessité d'acquitter certaines dettes, résultant des cautionnements donnés pour son frère ainé, malgré les déprédations et les pertes occasionnées par la guerre civile, il lui restait une fortune immobilière assez considérable qui, à son décès, devint le patrimoine de son neveu, devenu son héritier.

De sorte, Eugène Robin de la Tremblaye, marquis de Mortagne actuel, ne possède d'autres biens que ceux de son oncle. »

Un des premiers soins d'Eugène Robin de la Tremblaye fut de publier un choix des manuscrits littéraires laissés par son oncle. Ils parurent sous ce titre : Oeuvres posthumes du chevalier de la Tremblaie (Paris, Debray, 2 vol. in-12, 180S).

Le tome premier contient Amable et Jeannette, poème en quatre chants, des contes, dix-huit fables ; le tome second se compose de Lettres sur l’Histoire de France et Lettres sur l’Histoire d'Angleterre adressées à un enfant (son neveu).

On lit dans l'avant-propos : » En publiant quelques-unes des productions de M. le chevalier de la Tremblaie que la mort vient d'enlever aux lettres dont il avait toujours fait ses délices les plus chères, l'éditeur n'a eu d'autre motif, d'autre désir que de rendre un hommage plus étendu à la mémoire d'un ami, d'un second père. »

J. BROQUE. Société des sciences, lettres et beaux arts de Cholet

(a). Suivant Borel d'Hauterive, les Robin de la Tremblaye viennent d'un Robin Canolle d'origine écossaise, vivant au milieu du XIIIe siècle, et ils produisirent eux-mêmes, deux cents ans plus tard, les Robin de Barbentane, famille provençale qui subsiste encore.

Ce Robin Canolle, toujours d'après le même auteur, s'enrôla en 1248 sous la bannière du duc d'Anjou, frère de Saint Louis, qu'il suivit dans la septième et la huitième croisade.

En 1289, on retrouve son fils au service de Philippe-le-Hardi, et peu après ses descendants reçoivent du duc d'Anjou In seigneurie de la Thibaudière avec les armes et devise suivantes : De gueules, à deux clefs d'argent en sautoir, surmontées de la coquille de saint Jacques aussi d'argent et accompagnée de trois triolets (trèfles) d'or.

In te, Domine, speravi : non confundar. – (Note du Président.)

 

Gabriel Louis François de Neufville, dernier duc de Villeroy (8 janvier 1731- Il périt sur l'échafaud le 28 avril 1794 à Paris), duc de Beaupréau et d'Alincourt, duc de Retz, seigneur de Machecoul, baron de Pouancé et de La Guerche-de-Bretagne, marquis de Neufville, comte de Sault, capitaine des gardes du corps du roi, lieutenant-général des armées, pair de France, gouverneur du Lyonnais, chevalier des ordres du roi, maréchal de camp ;

Ses biens, y compris sa bibliothèque, furent confisqués après son arrestation, en son hôtel particulier sis rue de Varennes, à Paris. En l'absence de reliures armoriées, les volumes lui ayant appartenu sont aussi identifiés par la présence, au coin inférieur de la contregarde ou premières gardes, de la mention manuscrite « Villeroy », portée avant leur transfert au dépôt des Cordeliers ou directement à la Bibliothèque nationale, selon les pratiques en usage pendant la période révolutionnaire de noter ainsi rapidement la provenance des volumes saisis et entreposés dans les dépôts littéraires. Parmi ces volumes figurent aussi ceux appartenant à sa femme, Jeanne-Louise Constance, née d'Aumont.

 

(1) Le 18 décembre 1793, Juteau écrivait, d'Ancenis, au comité révolutionnaire de Saumur : « On ne cesse de trouver des brigands cachés. On les tue où on les trouve. On ne cesse pas non plus de faire toutes sortes de perquisitions », pour qu'aucun ne nous échappe. .

(2) Archives Nationales, AA, 42.

(3) M. Loyer a publié l'histoire du Comité révolutionnaire de Cholet l'Anjou Historique, années 1901 et 1902.

(4) Du 18 décembre 1793 au 7 février 1794.

Nous pouvons encore nommer parmi les pourvoyeurs de la guillotine et de la fusillade, le citoyen Lugan, commandant de la force armée des Ponts-de-Cé, les comités révolutionnaires d'Ancenis et de Saumur, le juge de paix du canton de la Pommeraye, les municipalités de Beaulieu, Denée et la Chapelle-Hullin, le citoyen Chollet, agent national du district de Segré, la garde nationale d'Angers, le général Moulin, commandant à Saint-Florent-le-Vieil, etc., etc.

(5). Mortagne-sur-Sèvre, chef-lieu de canton de l'arrondissement de la Roche-sur-Yon ; sur un coteau surplombant la rive droite de la Sèvre Nantaise.

(6). Anjou Historique, mai 1907, page 649.

(7) Sapinaud de la Rairie, né le 3 décembre 1760, et mort en 1829 au château du Sourdy (près la Gaubretière), où il était né. — Boutillier des Homelles, de Mortagne, était membre du Conseil supérieur des Vendéens à Châtillon-sur-Sèvre; mort le 26 août 1801 à Mortagne.

(8). Hilaire-Jacques Marie-Louis Guillon, né à Denée le 13 mars 1760, était vicaire à Saint-Maurille d'Angers quand éclata la Révolution.

 Après son refus de sonnent à la constitution civile, il alla quelque temps dans sa famille à Denée.

Dès le début de juillet 1791, il alla habiter Mortagne et Saint-Laurent-sur-Sèvre, où il resta jusqu'au 15 octobre 1793.

Il est probable qu'il passa alors la Loire avec l'armée vendéenne. Quoi qu'il en soit, il habita de nouveau Mortagne et Saint-Laurent depuis le mois de juillet 1794 jusqu'au mois d'octobre suivant. Il se relira alors à la Tessouale, ou il resta jusqu'en juillet 1798.

Le 27 de ce mois, il fut arrête à Maulévrier, emprisonné à Angers, condamne à la déportation par arrêté de l'administration centrale du département du 3 novembre et conduit à Saint-Martin- de l'île de Ré, où il fut interné le 5 décembre I1798.

 Il en sortit le 1 février 1800. Trois mois après, le 15 mai, étant à Angers, M. Guillon demande au préfet sa radiation provisoire de la liste des émigrés arrêtes le 1er octobre 1793 : le 8 juin, le citoyen Montault lui accorda la radiation provisoire.

Il revint à Denée au commencement de 1802 ; le 2 mai de cette année, il alla à Angers, pour faire entre les mains du préfet la promesse de fidélité à la Constitution de l'an VIII, moyennant quoi il fut le 8 juin suivant rayé définitivement par le préfet de la liste des émigrés.

Il fut nommé chanoine honoraire à la fin de 1802, resta prêtre habitue à Saint-Maurice, puis devint aumônier de Mme Eveillon.

En 1817 il se mit à son ménage, et mourut le 21 juin 1827.

(9) Machecoul, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Nantles.

(10) Challans, chef-lieu de canton de 1’arrondissement des Sables-d Olonne.

(11) Le baron de Douhet avait accompagné Lafayette en Amérique.

(12) Les Vendéens étaient entrés à Bressuire le 2 mai 1793, le 5 mai ils s'étaient emparés de Thouars, le 9 ils étaient à Parthenay, le 25 ils gagnaient la bataille de Fontenay-le Comte, le 7 juin ils remportaient une victoire à Doué-la-Fontaine et une autre le lendemain à Montreuil-Bellay, le 9 juin avait eu lieu la prise de Saumur. Quand les autorités constituées d'Angers eurent connaissance de tous ces succès, elles... abandonnèrent la ville, et l'armée Vendéenne, y entra sans coup férir.

(13). L'auteur se trompe manifestement de date. C'est le 5 juillet qu'eut lieu la magnifique victoire remportée à Châtillon par les Vendéens, et non pas le 9 juillet, comme le croit l'auteur. De là son erreur.

Westermann arriva à Châtillon le 3 juillet, à sept heures du soir, et la cavalerie poursuivit l'armée Vendéenne sur la route de Mortagne. C'est évidemment la nuit suivante que les prisonniers quittèrent Mortagne.

(14) Bernard de Marigny, commandant de l'artillerie vendéenne. Fusillé au château de la Girardière, près Cerizay (Deux-Sèvres), le 14 juillet 1794, sur l'ordre de Stofflet,

(15). D'une activité invraisemblable, le général Westermann ne cessa de harceler les Vendéens et contribua puissamment, malgré ses fautes, à leur destruction finale.

 On l'a surnommé le Boucher de la Vendée, et il aimait à se parer de ce titre. Rentré à Paris, il fut décrété d'accusation et arrêté avec Danton et ses amis, condamné à mort et exécuté avec eux le 5 avril 1794.

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