Au commencement de l'année 1582, un brave général, italien d'origine, mais devenu français par les services de son illustre père (1) comme par les siens propres, Philippe Strozzi ou Strosse, rassemble en Poitou un corps d'armée qu'il doit embarquer à Bordeaux et conduire aux Açores.

Le but de l'expédition est de conserver ces iles à un allié de Henri III, Antoine, roi de Portugal, auquel Philippe II, roi d'Espagne, veut les enlever pour compléter sa conquête de la monarchie lusitanienne.

Cependant le séjour ou même le passage de ces troupes fort peu disciplinées est un fléau pour le Poitou, l'Aunis et la Saintonge, qui commencent à peine à respirer après vingt ans de guerre civile.

Reçu à Thouars chez la veuve de Louis III de la Trémouille, mort au siège de Melle, Jeanne de Montmorency (1528 - 1596), dame d'honneur de la reine Élisabeth d'Autriche, fille du connétable Anne, Strosse y apprend les déprédations et excès commis par les compagnies placées sous ses ordres.

Il écrit aussitôt aux capitaines qui les commandent (2), et en outre il délivre à la duchesse (3) les lettres de sauvegarde dont nous publions le texte.

Elles n'empêchèrent probablement pas tous les capitaines et chefs de guerre de loger et laisser fourrager leurs soldats sur les terres de madame de la Trémoille et de ses enfants; mais, expédiées à un grand nombre d'exemplaires et enforme authentique, envoyées partout où l'on pouvait en avoir besoin, présentées et signifiées à tous les détachements, ces lettres durent détourner des domaines de Thouars une partie des maux qu'ils éprouvaient déjà ou dont ils étaient menacés.

 Les habitants des autres seigneuries et localités par lesquelles passèrent les soldats, n'en furent sans doute que plus molestés et volés.

Six mois plus tard, Philippe Strosse perdait la bataille navale de Terceire. Couvert de blessures mortelles, il expira peu d'instants après être tombé au pouvoir des ennemis, heureux encore d'échapper à la férocité du général espagnol. Conformément aux ordres de Philippe II, le marquis de Santa-Cruz fit, en effet, périr par la main du bourreau tous les prisonniers français (4), parmi lesquels la noblesse de Poitou comptait Fabio de Vivonne, second fils du seigneur de la Châtaigneraie.

P. M.

SAUVEGARDE DE MONSIEUR DE STROSSY, POUR LES TERRES QUI APPARTENOIENT A MADAME, EN 1582 (5).

Philippes Strosse, chevallier des deux ordres du roi, conseillier de l'Estat et conseil privé du roy et cappitaine de cinquante hommes de ses ordonnances, a tous cappitaines, chiefz et conducteurs de compaignées de gens de pied françoys ordonnées par Sa Majesté, emploiez sur mer pour son service soubz nostre charge et commandement. Nous vous mandons et enjoignons que, passans ou repassans avecques voz trouppes par les terres et seigneuries appartenanz à madame de la Trémoille, vous n'aiez a y loger, prandre ne fourrager aucune chose que ce soict, ne en aucune faczon mollester ny travailler les subjectz de madicte dame mais au contraire, pour le service et respet que luy devons, nous vous enjoignons de rechief de les avoir en telle et sy singulliere recommandation que sy s'estoict a nous mesmes, dont nous ne recepvrons maindre contentement.

Prions et requerons tous cappitaines, chiefz, conducteurs de gens de guerre, estans tant au service de Sadicte Majesté que de monseigneur son frere, en voulloir faire le semblable en faveur de madicte dame, dont, pour recompance, nous offrons, par ces presentes d'user de revanche en touttes occasions qui s'en pourront presenter, pour le service que nous desirons faire a ladicte dame en tous endroictz que nous aurons moyen.

Enjoignant de rechief a ceuls qui sont soubz nostre charge n'y faire aucune faulte, sur l'obbeissance qu'ilz nous doivent.

Faict à Thouars, le quinziesme jour de janvier, l'an mil cinq cens quatre vingtz deux.

Ainsi signé P. STROSSE,

et scellé de cire rouge.

Et au dessoubz desdits seing et scel sont escriptz les motz samblables : « Je vous prye ne faillir a recongnoistre ce qui sera a madame de la Trémoille. »

Philippe Strozzi, colonel général de l'infanterie, étant mort en 1582, aux îles Açores, dans l'expédition pour Antoine, roi de Portugal, la terre de Bressuire fut adjugée à sa cousine Alphonsine, fille de Robert Strozzi. Alphonsine, dame d'honneur de la reine Catherine de Médicis en 1586, et fille elle-même d'un Médicis, avait épousé son parent Scipion de Fiesques, comte de Lavagne et de Calestan, chevalier de l'ordre du Saint-Esprit, conseiller d'État, chevalier d'honneur des reines Élisabeth d'Autriche et Louise de Lorraine, femmes de Charles IX et de Henri III.

Le 25 mars 1577 Louis III de La Trémoille, vicomte puis duc de Thouars meurt au siège de Melle <==.... ....==>  Sur la Terre de nos ancêtres du Poitou - Aquitania (LES GRANDES DATES DE L'HISTOIRE DU POITOU )

(1)   Guy de Laval, en la personne duquel s'éteignit la famille, vendit la baronnie de Bressuire en 1580 à Philippe Strozzi, Sgr d'Épernay, fils du maréchal Pierre Strozzi.

Pierre Strozzi, maréchal de France, tué au siège de Thionville, en 1558.

La mission de Philippe Strozzi en Guyenne pour essayer d'empêcher la guerre, est de la fin de mars 1580. Il devait calmer les catholiques et tenter de réconcilier le roi de Navarre avec le maréchal de Biron : tâche difficile, car ils avaient l'un contre l'autre de nombreux griefs.

 (2) Nous avons retrouvé la missive suivante : « Cappitaine Picadoret, ayant passé par ce quartier, j'ay eu infinies pleintes de vostre compagnye, mesmemant de madame de la Trimoulle, de laquelle vous avez logé sur ses terres au grand mescontentemant et pleinte de ses subjetz, dont je suis infiniment marry, à cause du respect que l'on doit à ladicte dame…... A ceste cause, je vous prye ne faillir a sortir incontinant des terres de ladicte dame, et par cy après vous y comporter et les respecter de façon qu'il n'en puisse venir autre pleinte……. »

(3) Thouars avait été érigé en duché dès l'année 1563. Henri IV l'éleva, en 1595, au rang de duché-pairie. Strozzi était, comme seigneur de Bressuire, voisin de Mme de la Trémoille. Le roi lui ayant donné 50,000 écus pour récompense de sa charge de colonel général de l'infanterie française, dans laquelle il avait succédé à d'Andelot, il les convertit en l'achat de cette terre. Voir Brantôme, Vies des Grands Capitaines français tom. IV, p. 313, édit. de Leyde, Jean Sambix (Elzevir), 1722, in-12.

(4) Voy. de Thou. Hist. univ., liv. LXXV.

(5) Vidimus original sur papier, délivré el signé, le 16 janvier 1582, par Bodin et de Rays, notaires à Thouars.