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PHystorique- Les Portes du Temps
7 février 2023

Vers 1690, Un mousquetaire dont le régiment passait par Saumur vient visiter l’Abbaye de Fontevrault

Vers 1690, Un mousquetaire dont le régiment passait par Saumur vient visiter l’Abbaye de Fontevrault

Vers 1690, un officier, dont le régiment passait par Saumur, s'en détacha pour aller visiter l'Abbaye de Fontevrault.

Nous transcrivons son récit qu'on a présenté comme un document historique :

 « Il y a une grande abbaye tout proche (de Saumur) qui se nomme Fontevrault. Je quittai là le régiment qui s'en allait à Montreuil-Bellay, bourg ; et moi, je m'en fus à 1’abbaye de Fontevrault qui est au milieu des bois, à trois lieues de Saumur, et six de Chinon ; c'est la plus grande abbaye de filles qu'il y ait en France.

 De loin, le couvent paraît comme une petite ville, car il a sept ou huit petits clochers qui sont autant de chapelles bâties par la dévotion de différentes abbesses. Il y a couvent d'hommes et couvent de filles.

Dans celui des hommes il y a environ cinquante religieux ; ils ont une église assez grande, fort propre ; leur bibliothèque est fort belle. J'y vis une porte qui s'ouvre des deux côtés et un grand pupitre à quatre qui se tourne sans que les livres puissent tomber ; il y avait de beaux globes et d'autres machines de mathématiques faits par un religieux qui est mort ; il n'y a rien de rare dans le reste de cette maison. A celle des filles, il y a une église fort petite et fort propre ; il y a trois tombeaux de rois anglois avec celui du bienheureux dom Robert d'Arbrissel, fondateur de cet ordre.

Ce saint homme était breton, du village d'Arbrissel, proche Nantes. Cet homme fut du monde et puis se donna à Dieu. Il fut docteur de Sorbonne et grand prédicateur. On parle bien diversement de sa vie ; on en parle peu favorablement pour la bonne Pétronille, fille d'un des seigneurs de Montsoreau, village sur le chemin de Richelieu à une lieue de là.

Cette Pétronille est de cette maison de Montsoreau qui sont les premiers fondateurs de cette abbaye qui depuis a été enrichie par trois rois anglois.

L'abbesse est supérieure pour le spirituel et temporel des hommes et des filles ; elle donne des démissoires aux hommes pour se faire prêtres ; elle les reçoit et les établit dans leurs offices ; leur couvent est dans la même enceinte et tous les jours la dépense se fait par l'Abbesse, comme à ses filles.

Le revenu de cette abbaye est de 200.000 livres. Le comte de Clermont lui fait de rente deux bœufs par semaine et autant de boisseaux de blé qu'il y a de jours à l'an ; cette abbesse a pour sa bouche 20.000 livres ; il se dépense de sucre pour 10.000 livres tous les ans pour les confitures.

Il y a deux cents religieuses qui sont séparées en trois couvents où l'on dit l'office tous les jours ; il y en a deux où on met celles qui ont besoin de repos ; il y a en France plusieurs couvents de cet ordre auxquels il y a des prieures qui changent tous les trois ans. L'abbesse a droit de visite ; elle leur envoie un commissaire pour faire l'élection qui ne serait pas valide sans cela.

Si les religieuses ne se peuvent accorder à la première assemblée', elle y peut pourvoir comme elle a fait à Bonneuil où j'ai passé. Il y a aussi d'autres maisons d'hommes en Bourgogne dont elle est supérieure.

Il y a des bâtiments dans l'enclos qui paraissent fort grands ; je n'y pus entrer. Je vis le parloir de Madame où il y avait bien de bons tableaux ; il s'y trouva une parfaite et jolie religieuse nommée de Saint-Ouen qui m'en ouvrit les fenêtres pour me faire voir encore partie de l'enclos où je fus étonné d'apprendre qu'à ce milieu près il n'y eut pas un arbre à se mettre à couvert.

Cette aimable religieuse me procura l'honneur de voir Madame de la Celle, sœur de Madame de Montespan, car, étant près de monter à cheval, un intendant et un autre officier me vinrent prier de sa part que je ne m'en allasse pas sans lavoir, et je vis une grosse femme bien blanche et belle encore, plus honnête, et encore plus de mérite ; elle me donna des lettres malgré moi pour Richelieu.

 En la quittant, je trouvai une collation prête et les officiers qui me ramenèrent chez moi ».

Nous n'avons pas voulu interrompre le récit de cet officier, mais puisqu'on s'est plu à le considérer comme un document, nous devons y ajouter quelques précisions et y relever beaucoup d'inexactitudes.

« Il y a couvent d'hommes et couvent de filles » ceci est exact ; mais le narrateur oublie de dire que si les hommes sont subordonnés aux femmes et soumis à l'abbesse omnipotente, le couvent d'hommes est complètement séparé de celui des femmes dans lequel ils ne peuvent pénétrer que pour les grandes cérémonies à l'église abbatiale où ils sont encore séparés des femmes par une grille.

Naguère, il y avait dans chaque prieuré fontevriste, comme à l'abbaye, couvent d'hommes et couvent de femmes, les hommes étant subordonnés aux femmes suivant la règle de fondation de l'Ordre.

(L’église Saint-Michel, église paroissiale de Fontevraud)

A l'époque où l'officier visita l'abbaye, il n'y avait plus de double monastère d'hommes et de femmes qu'à Fontevrault.

Les « globes et machines de mathématiques faites par un religieux qui est mort » étaient l'œuvre du père Lardier, archiviste de l'abbaye, mort en 1660. Ce moine était un travailleur infatigable qui a écrit, sur toutes choses , 71 volumes in-folio de 1000 à 1200 pages chacun, qui tous sont demeurés manuscrits et dont huit seulement nous sont restés.

Le « grand pupitre à quatre » qui fait l'admiration du visiteur, parce qu'il se tournait sans que les livres puissent tomber, méritait une meilleure appréciation, parce que c'était une merveille de sculpture dont on peut se rendre compte puisqu'il a été conservé à Fontevrault.

Il en existe une réplique à l'église de Varennes-sous-Montsoreau.

« L'église du monastère de femmes est fort petite et' fort propre ». Notre officier ne se souvient pas bien, car la magnifique église abbatiale était déjà, bien avant cette époque, spacieuse comme on en voit peu. Ou bien il n'a vu qu'une des chapelles des petits monastères adjoints au grand : La Madeleine, Saint-Benoît ou Saint-Lazare.

L'église abbatiale de Fontevrault a d'ailleurs bien d'autres mérites archéologiques.

Outre qu'elle représente un des plus beaux spécimens de l'architecture du XIIe siècle en Anjou et un des premiers exemplaires des voûtes domicales, elle est remarquable par l'élégance audacieuse de ce style qu'on a appelé le style Plantagenet.

« Il y a trois tombeaux de rois Anglais ». Il y avait et il y a encore quatre tombeaux de Plantagenet, et en plus, les tombes de Jeanne et de Raymond, comte de Toulouse.

 Le mausolée, nouvellement élevé (1639) sur ce cimetière des rois d'Angleterre, était assez considérable pour ne point passer inaperçu. Et nous ne parlons pas des autres sarcophages qui étaient dans cette église et que ne mentionne pas ce visiteur inattentif.

« On parle peu favorablement de Robert d'Arbrissel pour la bonne Pétronille, fille d'un des seigneurs de Montsoreau ». On voit que cet officier a prêté l'oreille aux malveillances qui se débitaient sur le compte du Fondateur de l'Ordre et qu'on avait exhumées depuis peu à propos des démarches entamées pour sa canonisation.

Mais il a mal compris, ou bien les récits qu'on lui a faits étaient eux-mêmes falsifiés. Car Pétronille, première abbesse de l'Ordre, n'a jamais été mise en cause dans cette accusation, qui d'ailleurs ne reposait que sur des racontages.

Et Pétronille de Chemillé n'était point la fille d'un seigneur de Montsoreau, elle était de la maison des seigneurs de Craon.

C’était Hersende de Champagne, première supérieure de l'Ordre, du temps de Robert, alors qu'il n'y avait pas encore d'abbesse, qui était la femme et non la fille d'un seigneur de Montsoreau.

« Cette abbaye a été enrichie par trois rois anglois » ; cela laisserait supposer qu'il n'y eut que trois rois anglais qui s'intéressèrent à elle.

 Combien d'autres princes anglais, français et espagnols furent ses bienfaiteurs, et combien d'attaches eut cette abbaye avec l'Angleterre où elle avait plusieurs prieurés comme Ambresbury et Westone, pour ne citer que les plus connus.

L'abbaye de Fontevrault était appelée abbaye royale, non seulement parce qu'elle eut à sa tête plusieurs abbesses du sang royal d'Angleterre et de France, mais parce que beaucoup de princesses du sang royal y furent élevées et que les rois de France l'honorèrent de leur protection et de leurs bienfaits, la considérant comme un fief royal.

Notre officier, qui paraît avoir visité bien superficiellement cette abbaye si intéressante, n'omet pas cependant de donner le compte du revenu et des dépenses, particulièrement « la dépense en confitures », ce qui indique son état d'esprit.

Nous ne nous arrêterons pas à réfuter ses chiffres, mais nous lui reprocherons de ne pas parler, dans sa description, du pensionnat de jeunes filles, indépendant du noviciat, qui comptait alors les plus grands noms de France.

« Il y a en France, dit-il, plusieurs couvents de cet Ordre » ; s'il se fut mieux renseigné, il n'aurait pas manqué d'en citer le nombre, digne de remarque, qui était de cinquante-sept à cette époque. Il était encore plus considérable auparavant et il y en avait en Angleterre, en Espagne, en Italie et même en Afrique.

 De nombreux autres Ordres étaient associés de prières avec l'Ordre de Fontevrault.

Il eut, « l'honneur de voir Madame de la Celle, sœur de Madame de Montespan » : il veut évidemment parler de l'abbesse, Gabrielle de Rochechouart-Mortemart.

 Nous ne pensons pas que l'abbesse ait jamais porté le nom de Madame de la Celle et l'autre sœur de Madame de Montespan était Madame de Thianges.

« Je vis une grosse femme bien blanche et belle encore, plus honnête, et encore plus de mérite ».

Voilà comment il la dépeint.

Evidemment, il ne l'a pas vue avec les mêmes yeux que Mignard qui en a fait un portrait ravissant. Il est vrai que c'était quinze ans plus tôt. Gabrielle avait quarante-cinq ans, lors de la visite de l'officier, mais, au dire d'autres contemporains, elle était fort belle encore et avait conservé tout son charme.

Notre officier, qui avait certainement entendu parler d'elle, car on la citait partout pour une des femmes les plus belles et les plus séduisantes de son temps, fut peut-être déçu de se trouver en face d'une femme qui n'était plus jeune. Il l'était peut-être trop lui-même. Mais, s'il eut un entretien avec elle, et on doit le supposer puisqu'il parle de son « honnêteté et de son mérite », on ne comprend pas qu'il reste muet sur son intelligence, sa grâce, son esprit et ses manières princières, qui la firent appeler « la reine des abbesses ».

Dix ans plus tard, en 1700, elle faisait encore sensation à la cour de Versailles, quand elle traversait les salons dans son costume sévère de Fontevriste. Et nous le savons par des femmes, qui l'ont beaucoup jalousée.

Mais Gabrielle de Rochechouart brilla encore plus par sa grande érudition. Elle savait l'italien, l'espagnol, le latin, je grec et même l'hébreu. Elle avait étudié soigneusement la théologie et la philosophie, même toutes les philosophies, puisqu'elle traduisit Platon et discuta les théories de Port-Royal.

 Ce sont ses émules contemporains qui nous l'apprennent : Segrais, Rapin, Racine, Boileau, Mgr Huet.

 De cela notre officier ne dit mot.

 Les Mousquetaires peuvent entrer dans un couvent en curieux, mais celui-ci prouve qu'ils n'en sortent pas historiens.

 

Société des lettres sciences et arts du Saumurois.

 

 

 

Fons-Ebraldi - Robert d'Arbrissel et La légende du bandit Evraud<==

le Cimetière des Rois d'Angleterre à l’abbaye de Fontevraud <==

 

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