Aout 2001 Chinon - Bérengère de Navarre vient réclamer à Jean sans Terre la dote du roi Richard Coeur de Lion

Le 12 mai 1191, jour de son mariage, Richard avait constitué pour douaire à sa femme ce qu'il possédait en Gascogne, au- delà de la Garonne, cités, villes, châteaux et domaines, pour qu'elle les tint et les possédât pendant la vie d'Eléonore.


Si elle survivait à la veuve d'Henri II, au lieu de ces domaines, le roi lui assignait après la mort de sa mère le, douaire des reines, tel que son père l'avait assigné à Éléonore, et qu'en jouissait cette princesse.


On peut voir dans les registres de Philippe-Auguste (3) l'énumération des nombreux domaines qui composaient ce douaire en Angleterre ; je n'indiquerai que ceux qui en faisaient partie sur le continent.


Il comprenait en Normandie les villes et les châteaux de Falaise, de Domfront et de Bonneville-sur-Touque; en Touraine, les villes et châteaux de Loches et de Montbazon; dans le Maine, Château-du-Loir en Poitou, le château et la ville de Mervent, Oléron, Jaunay, et Cléron avec les forêts, c'est-à-dire les parties du domaine royal réservées qui en dépendaient, et n'étaient données ni à fief, ni à cens (4).

A la mort de Richard, sa mère Éléonore vivait encore sa survie suspendait les droits que Bérengère avait au douaire des reines; la jeune veuve se trouvait ainsi réduite à un douaire provisoire qui n'était en rapport ni avec son rang ni avec ha dignité.


De plus, Jean Sans-Terre s'était violemment emparé des trésors du roi défunt et refusait de donner à la veuve de son frère la part des meubles auxquels elle avait droit voyant le domaine royal déjà grevé du douaire d'Éléonore, son avarice souffrait de le voir entamé encore par celui de Bérengère.

En face de ce prince d'une avidité sans égale, et au milieu de la lutte de Jean Sans-Terre et d'Arthur, la situation de la nouvelle douairière était des plus précaires et des plus déplorables.


Se retira-t-elle non loin de son pays, dans ses domaines de Gascogne, ou à la cour de sa sœur Blanche, comtesse de Champagne, auprès de laquelle nous la verrons plus tard, le silence des chroniqueurs ne permet à cet égard que des présomptions (5).


Ce n'est que deux ans après la mort de son mari que nous retrouvons à Chinon, Bérengère tâchant d'obtenir enfin justice de Jean Sans-Terre, qui venait d'épouser Isabelle de la Marche et de grever ainsi, en expectative, d'un troisième douaire le domaine royal (6).

Là, le 2 août 1201, nous la voyons commencer la poursuite de ce douaire, dont elle n'aura pour ainsi dire jamais que l'ombre et se fier pour la première fois aux belles paroles dont la bercera toute sa vie son beau-frère, afin de la tromper, sans relâche, par un perfide mirage.


Pour mettre fin à ses instances appuyées de l'entremise des évêques, Jean consentit à une transaction avec sa belle-sœur, reconnut ses droits et l'apaisa par des promesses dont il était moins chiche que d'argent.


Rymer nous a conservé la lettre du roi dans laquelle il fait connaître aux barons de son Échiquier qu'il a transigé avec Bérengère au sujet de son douaire, qu'il lui assigne mille marcs d'argent (7) à payer chaque année, partie sur les revenus de Segré, avec ordre d'en verser de suite moitié à la douairière.
La charte de transaction n'est pas venue jusqu'à nous; Roger de Hoveden dit seulement que Jean satisfit la princesse du douaire qu'elle réclamait, suivant le témoignage des évêques qui avaient assisté à son mariage, et qu'il lui donna, sa vie durant, la cité de Bayeux et deux châteaux en Anjou.


Il était convenu que si la transaction, qui fut confirmée par le pape, n'était pas observée, Bérengère rentrerait dans ses droits primitifs et pourrait tous les réclamer (8).


La pauvre veuve ne tarda pas à reconnaître combien étaient trompeuses les promesses de Jean Sans-Terre.
Non-seulement il ne lui paya pas les revenus qu'il lui avait garantis par la convention de Chinon, mais il ne cessa de lui prodiguer des vexations et des injustices.


Bérengère, ainsi molestée par ce prince, qui se débarrassait par le poignard de ceux qui le gênaient, privée de toutes ressources, réduite à la misère, fut forcée de sortir des provinces anglaises et d'aller mendier, comme une pauvresse, auprès de sa sœur Blanche, comtesse de Champagne (9).
 Telle une vaillante plume nous a montré naguères une autre veuve, Elisabeth de Hongrie, cruellement éprouvée, abreuvée de persécutions par ses beaux-frères, chassée de son palais et obligée d'errer comme une mendiante avec ses enfants, paupercula, tempestale convulsa, aùsque nulla consolatione.


Dès lors, une couronne royale n'était pas pour toujours un gage assuré de bonheur, et l'on pouvait voir, comme dit Bossuet, dans une seule vie de reine toutes les extrémités des choses humaines.


Dans sa détresse Bérengère eut recours à Rome, qui était alors le seul appui contre la force brutale et le dernier refuge de tous les faibles et de tous les opprimés. C'est à Rome que recouraient toutes ces pauvres femmes, victimes de toutes les violences de la société féodale, importunes à leur mari ou dépouillées par d'avides héritiers. C'est Rome qu'implore la malheureuse Ingeburge, qui, dans son abandon et dans son ignorance de notre langue, ne sait que s'écrier « Mala Francia, Roma, Roma;» c'est à Rome qu'en appellent alors Marie d'Aragon, Adélaïde de Bohême, les Infantes de Portugal pour faire respecter en elles les droits du mariage et du douaire.

Et toutes, elles trouvent un appui dans Innocent III, le grand pontife, qui fut le tuteur infatigable des orphelins, l'Intrépide protecteur des veuves, sut faire courber devant sa force morale toutes les violences et tous les despotismes et, pendant quinze ans, ne se lassa pas de défendre contre Philippe-Auguste et Jean Sans-Terre les droits d'Ingeburge et de Bérengère, ces deux rivales d'infortune qui doivent désormais marcher de pair dans l'histoire.


Le 4 janvier 1204, Innocent III ordonna au roi d'Angleterre d'observer la transaction qu'il avait faite avec sa belle-sœur, et qu'il avait violée sans souci de la confirmation du Saint-Siège, au mépris de Dieu et de sa propre renommée.


Il le pressa de lui rendre raison de son douaire et surtout de la moitié des meubles de Richard, qui lui appartenait par la loi et la coutume, lui enjoignit de cesser d'offenser ainsi le ciel en se faisant l'oppresseur d'une veuve qu'il avait livrée à la misère comme une mendiante, et le somma d'apaiser la majesté divine, en restituant à Bérengère ce qu'il lui avait enlevé.


Enfin, il chargea les abbés de Casemar, de Moutiers, de Vierzon, d'instruire l'affaire et de forcer le roi d'Angleterre, par la puissance de la juridiction ecclésiastique, à donner satisfaction à la fille des rois de Navarre (10).


Cette noble intervention auprès d'une âme aussi vile que celle de Jean Sans-Terre, fut d'abord faite en vain, et, pendant près de dix ans le pontife dut sans cesse renouveler ses instances en faveur de la pauvre veuve.


Toutefois, peu de temps après cette première entremise d'Innocent III, un événement longtemps attendu vint sembler améliorer la fortune de Bérengère.

 


Le 31 mars 1204, mourait à l'abbaye de Fontevrault la vieille Éléonore, âgée de plus de quatre-vingts ans; sa mort ouvrait enfin le droit qu'avait au douaire des reines la nouvelle douairière qui, déjà mûrie par le malheur et par l'âge (elle avait alors environ trente-cinq ans), crut enfin approcher du calme et du repos, et ne trouva dans cette situation qu'une nouvelle source de luttes et de déceptions.
 

Tout d'abord elle s'empressa d'aller trouver Philippe-Auguste qui venait de conquérir les domaines du douaire d'Éléonore, situés en Normandie, Falaise, Domfront, Bonneville sur-Touque (11).


 Une transaction intervint entre elle et le roi de France elle échangea ces villes contre celle du Mans, où elle vint se fixer et chercher enfin un asile: où le bonheur qu'elle espérait trouver lui fit encore défaut.


 Mais pour ne pas morceler le récit des dramatiques événements du séjour de Berengère au Mans, j'ai dû les condenser dans un prochain chapitre, et me borner à raconter ici les diverses phases de la lutte qu'elle soutint relativement à son douaire.


Au plus fort de sa lutte avec Philippe-Auguste, le prodigue Jean Sans-Terre, qui, sur le continent, perdait son royaume pièce à pièce, sans mettre un terme à ses prodigalités, et qui avait besoin de ses deniers pour soutenir la guerre, n'avait garde de penser aux droits de sa belle-sœur et de la laisser jouir des domaines de son douaire en Angleterre il éludait ses promesses et les ordres du pontife, et cherchait à gagner du temps.


 C'était en vain que Bérengère faisait retentir Rome de ses plaintes, et qu'Innocent III harcelait de ses reproches le cœur du monarque endurci.
 Il avait de nouveau confié l'affaire à instruire aux évêques d'Ely et de Worchester; mais personne n'avait osé aller en Angleterre plaider contre Jean et y soutenir les prétentions de la veuve de son frère.


Ce fut en vain que la pauvre reine elle-même obtint de son persécuteur un sauf-conduit pour se rendre en personne de l'autre côté de la Manche en donnant caution et en promettant que son voyage ne causerait aucun mal au royaume (27 mars 1206) (12).


 Innocent, voyant qu'il n'y avait que lui à soutenir la cause de la justice et du droit outragé, revendiqua enfin l'affaire à son tribunal, par une lettre du 3 septembre 1207 (13).


Il y avait sept ans que les droits de Bérengère étaient en souffrance, et que le pape avertissait sans cesse Jean Sans-Terre de lui rendre justice et de veiller à son propre honneur et à son salut. Il lui ordonna alors de se faire représenter à Rome par un procureur, avant l'Epiphanie, afin de répondre devant lui aux demandes de la reine relatives à son douaire et à la moitié des meubles de Richard.


Cette sommation fut encore vaine, car le 1er février 1209 les avertissements du pontife recommencent et deviennent plus pressants (14).
Jean, dit le pape, a méprisé les larmes qui tombent des yeux des veuves pour monter vers Dieu, il a accablé sa belle-sœur de fatigues et de dépenses, il a méprisé l'autorité du vicaire du Christ, qui, plus de huit fois, l'a prié de donner satisfaction à Bérengère ; il n'a pas voulu paraître devant les juges qu'il avait désignés.


 Le pontife lui avait ordonné de se présenter à son tribunal à la Nativité de la Vierge; le procureur de la reine l'a inutilement attendu à Rome pendant plus de quatre mois, Jean a tout méprisé.


Innocent III lui donne un dernier délai de six mois pour se faire représenter à Rome, ou pour transiger avec la reine et lui donner satisfaction sur les châteaux, villes et manoirs de son douaire en Angleterre et sur la laine des domaines royaux qui devait lui appartenir.


Il déclare enfin spécialement soumis à l'interdit jusqu'à pleine satisfaction les domaines réclamés, bien qu'ils fussent déjà compris dans l'interdit général qui pesait sur toute l'Angleterre depuis 1208, et ordonne aux archevêques de publier la sentence d'interdiction. »


Nous ne nous lasserons pas d'intervenir, dit-il en terminant, nous aggraverons la sentence s'il y a lieu. » Rien n'est beau comme ces éloquentes lettres d'Innocent III, comme celle énergie du nouveau Grégoire VII dont la grande et mâle figure domine tout le XIIIe siècle et qui dans ce monde où régnait la force brutale n'avait d'autre appui que son caractère de pontife pour imposer à toutes les tyrannies.

Cette grandeur morale fait encore mieux ressortir la bassesse de Jean Sans-Terre dont rien ne put amollir la dureté: il se riait des menaces comme des prières et se moquait de l'interdit.


D'ailleurs, bien que le pape eut écrit aux évêques de le publier sans crainte et de le faire observer, le courage manqua aux prélats, qui, tremblants devant les fureurs de Jean, se dispensèrent de publier la sentence sous prétexte qu'ils ignoraient si le roi n'avait pas envoyé un procureur à Rome.
Innocent III dut de nouveau venir au secours de la reine qui, elle aussi, avec une patience et une énergie rares, l'assiégeait de ses plaintes depuis dix ans il ordonna aux évêques de publier formellement l'interdit sans plus tarder.


Enfin, après bien des lenteurs, la justice l'emporta sur la violence. Excommunié, déposé par le pape, abandonné par ses barons, menacé par Philippe-Auguste, qu'Innocent III avait investi de son royaume, et dont il faisait le ministre du châtiment de Dieu, ne sachant à quel démon se vouer, réduit à implorer les Sarrasins.


Jean ne trouva enfin d'autre moyen de salut que de se jeter dans les bras du pontife qu'il avait si longtemps outrage. Il s'humilia et se soumit devant lui, se reconnut son vassal et dut obéir en tous points à ses justes exigences (1213).


La reconnaissance des droits de Bérengère fut une des conditions de la réconciliation du roi d'Angleterre avec le Saint-Siège.


 Innocent le somma de nouveau de lui rendre justice et, au dire de Guillaume de Neubridge, de lui restituer le tiers de tous les revenus de l'Angleterre qu'il avait retenus après la mort de son frère (15). Le premier signe de rapprochement entre eux est une lettre de Jean Sans-Terre, du 16 décembre 1213, qui accorde un sauf-conduit ou passeport a frère Guillaume de la Trappe et à maître Garsie clerc, représentants de la reine, pour venir en Angleterre s'aboucher avec lui.


Son passage en France rendit plus faciles les démarches que Bérengère continuait toujours avec une infatigable patience : le 8 mars 1214 à la Rochelle, il ordonnait de nouveau de bien recevoir les messagers de la reine et de les laisser librement s'entretenir avec l'évêque de Winchester et ses autres fidèles.


Le même jour il faisait part au légat et à cet évêque des réclamations qu'elle venait de lui soumettre, leur prescrivait les règles à suivre dans les négociations et promettait de ratifier tout ce qu'ils feraient dans son intérêt.


En cette année, d'ailleurs, un raccommodement avait dû sourire au monarque anglais, qui avait besoin d'alliés dans sa ligue contre Philippe-Auguste, et tentait un suprême effort pour reconquérir les domaines des Plantagenets ;


 il avait eu intérêt à tout faire pour attirer Bérengère dans son parti et la détacher, ainsi que les seigneurs manceaux, de la cause du roi de France qui, en définitive, lui avait montré peu de sympathie et de qui l'éloignaient ses anciens souvenirs et sa qualité de veuve du roi Richard.


Cependant la négociation fidèlement poursuivie par Garsie traina en longueur ainsi que le prouve une dernière lettre datée d'Havering, et postérieure aux batailles de Bouvines et de la Roche-aux-Moines et à la trêve de Chinon.


Le roi à son illustre sœur :
« Nous avons reçu vos envoyés porteurs des présentes lettres où nous vous déclarons notre volonlé relativement à ce que vous nous avez mandé nous avons exigé d'eux garantie qu'ils ne révéleront à personne, sinon à vous, ce qui été l'objet de nos pourparlers avec eux ; nous leur avons garanti à notre tour que nous ne le révélerions à personne si vous n'acceptiez pas ces propositions. Nous avons confié à la garde des Templiers la teneur de l'accord arrêté entre nous et vos députés, consigné par écrit et scellé de notre sceau (16). »


Bien que l'allure mystérieuse de ce billet puisse d'abord faire songer à l'alliance dont je parlais, il n'a certainement trait qu'aux tentatives d'arrangement de Bérengère avec son beau-frère relativement son douaire.


 Toutefois cet accord ne fut définitivement arrêté que dans la seconde moitié de l'année suivante.


Une charte de Bérengère, datée du Mans, le 25 septembre 1215, nous fait enfin connaître ses arrangements avec Jean Sans-Terre concernant son douaire, et la transaction intervenue naguère à Chinon, en vertu de laquelle la reine eût dû recevoir 1,000 marcs chaque année.
 Jean donnait actuellement à Bérengère 2,000 marcs pour tous les arrérages échus et pour l'année courante quant à l'avenir, il lui payerait annuellement 1,000 livres de lions et loyaux sterling à la maison du Temple neuf à Londres, 500 à la Toussaint, 500 à l'Ascension, et le premier payement aurait lieu à la Toussaint.


Bérengère pourrait répéter son douaire hors d'Angleterre de tous ceux qui le détiendraient, hormis du roi, transiger et finer avec eux à sa volonté : le roi ne serait pas contre elle, à moins qu'il ne fût tenu envers les détenteurs de la garantie de droit, il ne pourrait reprendre en sa main ce qu'elle revendiquerait, sauf son droit et celui de ses successeurs à la mort de Bérengère.


 Celle-ci aurait entrée en tous temps sur le territoire anglais, sans avoir à payer aucune coutume dans les ports, et aurait pour son séjour tous les sauf-conduits et sûretés nécessaires.


Si le roi enfreignait ce traité, que le pape était prié de confirmer, il serait obligé de restituer intégralement le douaire de Bérengère; mais il promettait, cette fois, de mieux tenir sa parole, et il avait fait jurer sur son âme son chevalier Geoffroy Luterell qu'il observerait fidèlement cette transaction.
Elle avait eu pour témoins, de la part de la reine, Herbert de Tucé, son sénéchal, Herbert de la Marche, Gervais de Pringé, Paulin-Boulier, R….I. de Longue-Lande, Philippe de La Suze, Philippe des Planches, chevalier, (17).


Le même traité, daté de Douvres, fut promulgué le 2 septembre au nom du roi, et envoyé le 4 septembre à Innocent III, pour être soumis à sa confirmation avec un article plus explicite encore.


En présence de l'état continuel de guerre et des dispositions des seigneurs, Bérengère pouvait croire que la rentrée de Jean dans le domaine des Plantagenets n'était pas impossible en prévision de ce retour, elle prit donc ses précautions, et s'attacha à toutes les branches de salut pour saisir ce fantôme de douaire qui semblait fuir sans cesse devant elle il n'en coûtait pas non plus beaucoup à Jean Sans-Terre de se montrer généreux en donnant ce qui ne lui appartenait plus.


Il promit donc à Bérengère que si, par traité avec le roi de France, ou par tout autre moyen, il parvenait à recouvrer la cité du Mans, elle la tiendrait et la posséderait en paix et en repos toute sa vie avec toute sa quinte, cum iota quinta.


Si les châteaux de Segré et de Mervent revenaient aussi entre les mains du roi, il les restituerait à sa belle-sœur, sa vie durant, comme partie de son douaire (18)


Telle fut, au bout de quinze ans d'instances, la transaction qui vint consacrer les droits de Bérengère: elle avait vieilli dans la lutte (elle avait alors quarante-cinq ans), mais sa patience l'avait enfin emporté sur les fureurs et l'avidité du roi d'Angleterre.


 Elle pouvait croire arriver au port et saisir enfin ce douaire et ces sterling d'Angleterre attendus depuis si longtemps : ses espérances vinrent une fois de plus échouer devant la perfidie et l'avarice de ce prince.

Jean savait bien promettre mais ne pouvait se résoudre à payer: la situation de son royaume, envahi par les Français la suite du fils de Philippe-Auguste ne lui permettait guère, il faut bien t'avouer, d'avoir de l'argent disponible dans le trésor royal.


Aussi, huit mois après cet accord, Bérengère recevait-elle de son beau-frère une lettre datée du 8 juin 1216, dans laquelle il lui apprenait que Louis était en Angleterre, que la guerre avait absorbé ses fonds et que tout son argent était dépensé il la priait de compatir à son malheur, et de vouloir bien attendre des jours plus heureux, alors il ne manquerait pas de la satisfaire et de lui témoigner mille remercîments, cum summâ gratiarum actione.


La lettre est dans Rymer (l9) ce fut tout le payement que reçut Bérengère à l'Ascension 1216


Heureusement pour elle Jean Sans-Terre termina bientôt sa vie flétrie par la débauche, l'avarice et la lâcheté. Quatre mois après cette lettre, il mourait d'une indigestion de pèches et de cidre nouveau ou de cervoise (20). Presque à la même époque, quelques mois plus tôt, mourut aussi Innocent III, le grand et l'inflexible pontife.


Mais si Bérengère perdait en lui un infatigable soutien, elle en retrouvait un autre plein de douceur et de mansuétude dans la personne d'Honorius III, qui bien qu'avec un tout autre caractère, ne cessa de la couvrir d'une protection toute spéciale.


Dès le 23 décembre 1216, il confirmait le traité qu'elle venait de conclure avec feu son beau-frère, et il lui écrivait pour lui faire connaître cette confirmation favorable à ses intérêts (21).


Le jeune enfant qui succéda à Jean Sans-Terre était lui-même le protégé d’Honorius le 15 mai 1218, le pape le pria d'observer la transaction faite entre son père et Bérengère.


Depuis plus de deux ans déjà la pauvre veuve n'avait pour ainsi dire rien reçu des revenus qui lui avaient été promis, malgré les nombreux agents qu'elle avait envoyés en Angleterre. Honorius mandait au jeune prince de payer sans retard cet arriéré et de s'empresser de satisfaire Bérengère pour qu'elle ne renouvelât pas ses plaintes, et qu'il ne se vît pas lui-même forcé de recourir à la sévérité. Il y allait de son honneur, de son salut, de ses intérêts de ne pas enfreindre le traité de son père.


Le pape écrivit dans le même sens au légat de saint Martin, aux évêques, à Guillaume le maréchal et à la reine-mère qui dirigeaient le gouvernement de l'Angleterre (22). Malgré cette pressante intervention l'affaire traîna longtemps encore en longueur. Enfin, le nouveau légat Pandolphe et les archevêques interposèrent énergiquement leur entremise pour donner satisfaction à Bérengère et une transaction intervint, au mois de juillet 1220, quatre ans après le commencement du nouveau règne.


Les arrérages dus à Bérengère s'élevaient à 4,500 litres sterling. Sur cet arriéré le roi lui paye de suite 1,000 marcs, et elle lui fait remise de 500 livres: quant au reste, il lui donnera 500 livres par an jusqu'à parfait payement. En outre, il lui payera chaque année les 1 ,000 livres sterling qui lui sont ducs, ce qui lui fait en tout 2,000 marcs à recevoir par an.


Pour la payer de cette somme, le roi lui assigna les revenus des mines d'étain de Cornouaille et de Devonshire avec tous les profits du change de sa monnaie. Si tous ces revenus font plus que la somme due à Bérengère, le surplus sera pour le roi dans le cas contraire, il suppléera an déficit.
Des agents nommés par le roi percevront ces droits au nom de Bérengère, et jureront de lui rendre fidèlement compte à elle ou à ses attorneys (23).

Au mois de janvier 1221, le pape confirma cette transaction et, en mai, il en donna avis aux évêques d'Angleterre et à la reine (24).


Ce fut le dernier accord de la veuve de Richard avec les rois anglais, et la dernière et la plus ample satisfaction qu'elle obtint. Il était temps, car elle devait être bien près de mourir quand tout l’arriéré fut payé.


 Elle avait lutté pendant vingt ans avec un inébranlable courage pour le soutien de ses droits ; elle dut déployer ailleurs la même énergie pour arracher encore quelques lambeaux de son douaire à d'autres ennemis : il était écrit dans la destinée de cette femme, que toute sa vie ne serait qu'une longue lutte et un long combat soutenu au nom de la justice et de la faiblesse contre la force et la perfidie!


Les démêlés de Bérengère avec Jean n'avaient eu pour objet que les domaines de son douaire en Angleterre restaient les biens situés sur le continent. Compris dans les domaines des Plantagenets, ils avaient changé de maître lors de la conquête et de la confiscation des provinces anglaises par Philippe-Auguste.


L'échange conclu entre cette princesse et le roi de France n'avait concerné que les villes de Normandie: restaient les châteaux, les villes de Touraine et d'Anjou sur lesquels Bérengère avait des prétentions.


La plupart avaient été confisques et donnés par le roi a ses partisans auxquels il avait grand intérêt à les assurer plutôt que de les laisser entre les mains de la veuve de son ancien ennemi et de consacrer des réclamations que le roi d'Angleterre lui-même ne reconnaissait pas.
 

La ville et le château de Loches, entre autres, faisaient partie du douaire constitué par Richard à sa femme. Philippe-Auguste, après un long siège, s'en empara en 1204 (25).

Il ne tarda pas à prendre ses précautions conne Bérengère par une charte de janvier 1205, datée de Paris, celle-ci promit au roi de France de ne pas le mettre en cause pour Loches, à moins qu'il n'en jouît lui-même elle pourrait poursuivre toute autre personne qu'elle verrait saisie de cette ville, et Philippe-Auguste ne serait pas contre elle (26).


Bientôt après, du 10 au 30 avril 1205, ce prince donnait le château et la châtellenie de Loches à Dreu de Mello fils de son connétable, qui devint plus tard seigneur de Mayenne, à charge de les lui rendre quand il en serait requis (27). C'était un ennemi de plus pour Bérengère : seulement ses démêlés avec le châtelain de Loches ne nous sont guère connus.


Chalmel dit seulement que la libéralité de Philippe-Auguste engagea Bérengère contre Dreu de Mello dans un procès qui dura plusieurs années, et que le roi étant intervenu, la reine déclara, en janvier 1214, qu'elle n'entendait point lui contester l'hommage et la souveraineté, mais seulement le domaine utile qu'elle était décidée ù défendre contre qui que ce fût.

Mais Chalmel s'est trompé sur la date de cette promesse, qui est celle de janvier 1203 (N. S.) dont nous tenons de parler et antérieure à la possession de Dreu de Mello (28). Quoi qu'il en soit, ce seigneur continua de jouir de Loches jusqu'à sa mort, et rien ne prouve que Bérengère ait vu triompher les droits qu'elle avait au domaine utile, c'est-à-dire aux revenus de cette ville.


Elle fut plus heureuse sans doute à Montbazon avec Pierre Savary (29), naguère simple seigneur de Colombiers, et qui, investi de la seigneurie de Montbazon et de Savonnières, lui resta dévoué pendant toute sa vie, et dut la laisser percevoir ses droits sur la prévôté de Monlbazon, qui avait fait partie du douaire d'Éléonore (30).


Son démêlé le plus grand et le plus intéressant eut lieu relativement à Segré avec Guillaume de la Guierche ce long procès est, sans contredit, l'un des plus curieux du temps, et nous révèle des détails pleins à la fois de tristesse et d'intérêt sur ce qu'était la procédure d'alors on est étonné d'y voir un chevalier contemporain des Richard et des Philippe-Auguste opposer des moyens de procédure qu'on eût pu croire réservés aux procureurs les plus retors du XVIIIe siècle.


Quant au triomphe de la force et de la violence sur la faiblesse et le droit que nous présente ce débat avec une effrayante réalité, c'est un spectacle de bien des temps qui doit moins surprendre nos regards blasés. Segré n'avait pas tout d'abord été constitué en douaire à Bérengère par Richard mais elle tenait ses droits sur ce château de ses transactions avec Jean Sans-Terre.


Dans la transaction de Chinon, ce prince lui avait abandonné, parait-il, deux châteaux en Anjou, et de plus il lui avait formellement assigné, sur les revenus de Segré, une partie des arrérages annuels qu'il lui devait; plus tard, dans leur dernier accord de 1215, il lui garantissait que, s'il venait à recouvrer le château de Segré, il lui en laisserait la paisible jouissance pendant sa vie. Les droits de Bérengère n'étaient donc pas douteux.


Mais Segré était possédé depuis longtemps par Guillaume de la Guierche, un des plus puissants barons de l'Anjou et de la Bretagne. Seigneur de Pouancé, de Martigné, de Châteaubriant, de Segré, il avait encore en Bretagne, et non dans le Maine, la seigneurie de la Guierche. Il avait été une première fois évincé de son fief de Segré, lors du soulèvement des barons angevins et autres contre Richard; puis, lors de la défaite définitive d'Arthur, dont il avait embrassé chaudement la cause, il en avait été dépouillé de nouveau par Jean Sans-Terre, qui en avait disposé en faveur de Bérengère.
 Après la confiscation de l'Anjou par Philippe-Auguste.


Guillaume de la Guierche était au nombre des seigneurs qui s'étaient ralliés en apparence au parti du roi de France, et il avait depuis ce temps servi ses intérêts.

Enfin, en 1214, quelque temps avant Bouvines et la descente de Jean Sans Terre en Poitou, alors que Philippe voulut s'assurer de la fidélité douteuse des barons angevins, Guillaume de la Guierche et Geoffroy de Pouancé, son fils, s'engagèrent à le servir fidèlement et à ne jamais prendre parti pour Jean Sans-Terre; ils déclarèrent qu'ils ne se refuseraient pas à livrer au roi leur maison de Segré (31).


 Quelques jours après, Jean s'emparait de l'Anjou grâce à ses intelligences avec les seigneurs, et pendant le siège de la Roche-aux-Moines, il donnait lui-même Segré à Guillaume de la Guierche pour se l'attacher (25 juin 1214) (32).


Les droits de Bérengère devaient être une lettre morte au milieu de ces confiscations et de ces donations choque jour renouvelées. Elle eut soin cependant, dans son traité de 1213 avec Jean, d'insérer qu'elle pourrait revendiquer son douaire de tous détenteurs sur le continent et transiger avec eux à son gré, et le 13 septembre 1216, elle se faisait encore confirmer cette autorisation.


Guillaume de la Guierche l'avait expulsée de Segré avec violence, elle eut recours à Innocent III pour obtenir justice de cette spoliation. Le pape chargea l'archevêque, le doyen et l'archidiacre de Tours, d'instruire l'affaire, et c'est alors que commence ce curieux procès, où l'on voit un chevalier, doublé d'un légiste, user des moyens de procédure les moins avouables pour traîner l'affaire en longueur, pour lasser, pour mater, pour réduire une pauvre femme abandonnée par tous, trahie par ses juges, et qui, dans sa faiblesse et son abandon, ne trouva d'autre appui que celui de la papauté, toujours fidèle à la cause du droit et du malheur.


Guillaume de la Guierche chercha d'abord à gagner du temps pour lasser son adversaire par des lenteurs sans fin, et proposa des exceptions dilatoires selon lui le mandat que les juges tenaient d'Innocent III était expiré par la mort du mandant; il oubliait que, depuis, le pape Honorius, son successeur, avait déjà ordonné trois à quatre fois de le citer, et qu'a la mort d'Innocent l'affaire était déjà en état; mais de plus, et c'est là la merveille, il prétendait que le rescrit apostolique était entaché d'un vice de forme, parce qu'au mot spoliarit manquait la lettre 0. Les juges, gagnés, s'arrêtèrent judaïquement devant de pareilles niaiseries, et il fallut que pour cette erreur du scribe, Bérengère importune, comme la voix du droit, allât de nouveau solliciter Honorius III. Le pape s'étonna d'un pareil déni de justice, alors que ses actes ne laissaient pas le plus petit doute sur ses intentions, et ordonna à ses délégués de procéder sans retard et de mettre fin à cette affaire. (18 octobre 1216) (33).


Alors Guillaume de la Guierche prétendit que les juges désignés par le pape n'étaient pas compétents pour une foule de raisons, d'abord parce que son principal château, son domicile, était à la Guierche, dans le diocèse de Rennes, et situe à plus de deux journées de Tours.


La reine répondait qu'il habitait aussi le diocèse d'Angers, qu'il y avait des châteaux, des revenus, et que Segré, objet du litige, était situé à la distance voulue. Guillaume ajoutait que ce n'était pas devant un tribunal ecclésiastique que Bérengère devait poursuivre son droit, mais devant le seigneur du fief (34); de plus, il était faux, selon lui, que Segré appartînt à Bérengère, qui ne lui avait été assigné pour douaire par son mari, ni avant, ni pendant son mariage, et il disait que la reine n'avait pu obtenir les lettres du pape en sa faveur que par suite d'un mensonge. Ce à quoi Bérengère opposait qu'elle était libre de le citer devant les tribunaux d'Église, que c'était à eux qu'incombait la défense des veuves; quant à Segré, il lui appartenait en vertu d'un échange avec le roi Jean, et elle avait pour elle une longue et tranquille possession.

Son adversaire ne se tenait pas pour battu et répliquait que Jean n'était pas l'héritier légitime de Richard qu'il n'avait jamais été le maître de l'Anjou, mais bien le ravisseur de son château, raptor et invasor.


Les juges s'arrêtèrent devant ces allégations, et Bérengère dut encore une fois recourir au pape Honorius. Le pontife s'étonna qu'un tribunal ecclésiastique eût été arrêté par des moyens de procédure aussi frivoles, par des exceptions déplacées en matière de possessoire il avait pitié de cette reine que la faute et la négligence de ses juges forçait sans cesse de recourir au Saint-Siège, et grevait de fatigues et de dommages sans fin; il leur ordonna de citer devant eux, sans plus tarder, Guillaume de la Guierche, s'il était évident qu'il eût un manoir en Anjou (17 janvier 1217) (35).


On pourrait croire que le puissant baron, obligé de reconnaître la compétence du tribunal, se considérerait comme vaincu il n'en fut rien. D'ailleurs, l'archevêque de Tours, spécialement chargé par Honorius de défendre la reine contre ses puissants ennemis, et de mettre fin à ce procès, était, comme nous le verrons ailleurs, au nombre des plus ardents adversaires de Bérengère. Ses collègues et lui, ayant plus de déférence pour les hommes que pour Dieu, dit le pape, écoulèrent de nouveau les frivoles exceptions et les méchants subterfuges de Guillaume.


Le rusé plaideur, cette fois, récusa ses juges, prétendant que deux d'entre eux étaient parents du feu roi Richard, et qu'ils étaient par là même alliés de la reine. Le procès fut de nouveau suspendu les juges y avaient apporté tant de tiédeur et de lâche partialité que depuis un an et demi t'affaire n'avait pas fait un pas.


 Le pape, voyant enfin que Bérengère n'avait guère à en attendre justice, confia à l'abbé de Josaphat, au doyen et au chancelier de Chartres, la surveillance de l'affaire; il leur ordonnait de veiller à ce que dans trois mois les anciens juges fissent enfin engager les débats et rendissent une sentence conforme à la raison et au droit, sans plus se laisser influencer par une coupable partialité si justice n'était pas rendue dans le délai déterminé, les nouveaux délégués devaient instruire l'affaire, sans s'arrêter à aucune des exceptions que pourrait produire Guillaume de la Guierche pour pallier sa spolialion et celle de ses complices.


 Cette lettre d'Honorius, la dernière qui ait trait à cette affaire, est du 27 juillet 1217 (36).


Qu'advint-il des prétentions de Bérengère? il est facile de le prévoir elle succomba, car Guillaume de la Guierche parait toujours être resté en possession de Segré (37). Ce débat n'était autre chose que la lutte du pot de terre contre le pot d'airain.


Le puissant baron, allié du roi, appuyé des seigneurs et des évêques qui partageaient toutes les passions et tous les intérêts de la féodalité, devait l'emporter sur une pauvre femme jalousée de tous, à peine supportée par les pouvoirs rivaux, importune aux seigneurs de France surpris de voir renaitre après le passage des provinces anglaises sous la domination française ces prétentions surannées, quoique légitimes, de la veuve du roi Richard.

 Après la révolution qui s'était accomplie au profit de la France, Bérengère, par le malheur de sa situation, y était regardée comme ennemie et traitée comme telle. De là la longue suite de procès et de malheurs qu'elle dut y essuyer, en outre de ceux que lui avait suscités l'avidité de son beau-frère. Victime du sort, les événements firent qu'elle ne trouva partout que des adversaires, ainsi que nous le verrons encore lors de son séjour au Mans, qu'il nous reste maintenant à raconter.


Au lieu de se laisser abattre, Bérengère s'était raidie contre l'infortune avec une rare énergie, qui lui provenait de sa race et qui est le cachet de son caractère ; se reposant sur la papauté et sur son droit, elle avait lutté sans peur contre tous, pour ressaisir quelques lambeaux de cette belle couronne qui n'avait fait que passer sur sa tête, quelques débris de ce douaire nécessaire dans son malheur pour assurer son existence matérielle, et sa dignité de reine au milieu de ce monde féodal impitoyable pour la misère.


Aux pieds de sa statue tombale, que possède aujourd'hui la cathédrale du Mans, se voit un lion appuyant ses griffes sur un paisible chien, emblème de la fidélité c'est comme un symbole de la force opprimant cette reine restée toujours fidèle à son mari, n'ayant jamais désespéré de la justice malgré sa faiblesse, et qui, intéressante au milieu de ses malheurs, mérite d'occuper une place dans la galerie des femmes célèbres du XIIIe siècle, à côté des Ingeburge, des Elisabeth de Hongrie, des Blanche de Navarre et de Castille.

 



Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe



 

 

Fiançailles Richard Ier d'Angleterre dit Cœur de Lion - Alix de France et Bèrengère de Navarre <==

De Chalus à Fontevraud, le cortège de la dépouille royale de Richard Cœur de Lion (avril 1199)  <==

 

 




Et recedens inde cum honore maximo Rex Angliae, perrexit ad Chinonem : et venit illuc Berengera  quondam Regina Angliae, uxor Ricardi Regis; cui Johannes Rex Angliæ satisfecit de dote sua, secundum testimonium illorum qui intersuerunt suae desponsationi, deditque ei in vita sua habendum civitatem Baiucensen cum pertinentiis suis, et duo castella in Andegavia, et mille marcas sterlingorum singulis annis recipiendas, videlicet quingentas marcas Londoniis ad Scaccarium Regis, et alias quingentas marcas apud Cadomum in Normannia.

Et le roi d'Angleterre se retirant de là avec grand honneur, alla à Chinon : et là vint Bérengère (de Navarre), anciennement reine d'Angleterre, femme de Richard le roi ; à qui Jean le roi d'Angleterre satisfait de sa dot, selon le témoignage de ceux qui ont assisté à ses fiançailles, et lui a donné pendant sa vie d'avoir la ville de Baiucensen avec ses dépendances, et deux châteaux dans l'Anjou, et de recevoir un mille marcs sterling chaque année, c'est-à-dire cinq cents marcs de Londres à l'échiquier du roi, et autres cinq cents marcs à Caen en Normandie.


(1 ) Voir sur le douaire féodal les Etablissements de saint Louis, les Assises de Jérusalem, Beaumanoir, Glanville, Litleton et, de notre temps, MM. Laboulaye, Hist. de la cond. c. et p. des femmes, Paul de Salvandy, Essai sur l'histoire des gains de survie, 1835, et les ouvrages de MM. Kœnigswater, Ginouilhac, Tardif, etc.
(2) On peut comparer au douaire de Bérengère ceux d'Eléonore de Guyenne, sa belle-mère, de ses belles-sœurs Jeanne de Sicile, Isabelle de la Marche, Marguerite veuve d'Henri Court-Mantel, de sa sœur Blanche, comtesse de Champagne, des reines de France, Ingeburge, Blanche de Castille, Marguerite de Provence, de Marguerite, soeur de Philippe-Auguste, et celui de la veuve de Guillaume des Roches, Marguerite de Sablé.
 (3) Registre de Philippe-Auguste, ms. 9778 lat. Bibl. imp. (Reg. F. de M. Delisle), f° 134, quedam addilio est respiciens litteras précédentes. On trouve aussi l'énumération de tous ces domaines imprimée dans une lettre d'Innocent III du 1er février 1209 dont il sera question plus loin.

 (4) Cette charte, imprimée dans Marténe, ampl. coll., t. I, col. 003, et citée par du Tillet, Recueil de traités, p. 67, d'après les registres de Philippe-Auguste, a été également copiée par Dom Housseau, n° 2007. Les différentes copies manuscrites ou imprimées présentent toutes des différences, ou des lacunes. Du Tillet cite seul toutes les villes constituées en douaire à Bérengère.
Le seul registre de Philippe-Auguste que j'aie consulté ne mentionne pas Château-du-Loir.
 Sur le curieux château de Mervent (Vendée) qui fut assiégé par Jean Sans-Terre, voir Congrès archéologique de France, t. XXV111, p. 160.
 Sur Jaunay (Vienne), v. Dom Bouquet, t. XXVIII, p. 98, note. J'avoue ne pas savoir à quelle localité du Poitou répond le Cleron ou Cleronum de cette charte.
(5) II est possible qu'en butte déjà à l'inimitié de Jean Sans-Terre et d'Eléonore, elle se soit retirée dès lors auprès de sa sœur dès le 1er juillet 1199, elle est témoin à Chartres de son mariage, et de l'acte par lequel le comte Thibault de Champagne règle le douaire de sa femme. (Layettes du trésor des Chartes, t. 1, p. 204.)
(6) V. surle douaire d'Isabelle, Rymer, p. 43, Martène Collectio, 1. 1032, D. Bouquet, t. XIX, p. 708. D. Housseau, n°2132.
(7) XIII solidis et IV denariis computatis pro marca, Rymer, p. 40, Rotuli litterarum palentium, Duffus Hardy, p. 26.
Quelque temps avant cette transaction, une charte du roi Jean nous apprend qu'il avait mandé Bérengere en Angleterre, et invite ses baillis à lui délivrer un sauf-conduit et à la traiter comme sa soeur à son arrivée, 28 mars 1201. Rotuli charlarum, p. 103. .
Quelques jours plus tard, Jean fait alliance avec Sanche, roi de Navarre, frère de Bérengère, Rymer, p. 41. Gautier Mauchevalier était alors prévôt de Segré. Voir rôles publiés par M. Léchaudé d'Anisy, p. 103.
(8) Hoveden apud Savile, p. 819.
(9) Ut abjecta et paupercula mendicare. Lettre d'Innocent III, dans dom Bouquet, t. XIX, p. 447. L. VI, épist. CXXXXVI, p. 396, de La Porte du Theil, 1204, 4 janvier.
(10) Voir la lettre d'Innocent III, citée plus haut.
(11) En mai 1204, Philippe-Auguste prend Falaise et les places voisines en Normandie. (V. Catalogue des actes de Philippe-Auguste, n° 814 et suivants.)
(12) Rymer, p. 45, Rotuli litteramm patentium, p. 606. Malgré ce sauf-conduit, Bérengère n'osa pas aller en Angleterre, et le 5 novembre 1206, Jean lui écrivait ironiquement de La Rochelle qu'il avait reçu ses lettres et ses messagers, qu'il les avait écoutés avec un intérêt affectueux, et lui mandait de nouveau que s'il lui plaisait devenir le trouver en Angleterre, elle n'avait qu'à y venir, qu'il l'y recevrait de bonne grâce, comme il le lui avait déjà écrit d'autres fois. (Rotuli litterarum patentium, p. 68.)
(13) Rymer, p. 45. D. Bouquet, t. XIX, p. 494. Epît. d'Innocent, 1. X, épit. CXXII, p. 09, de Baluze, t. II.
(14) Baluze, t. Il, 1. XI, épit. CCXXIII et CCXXIV, p. 2S3, et 1. XIII, épit. hXXIV. p. 447. Rymer, p. 49.
(15) G. de Neubridge, dans dom Bouquet, t. XVIII, p. 202.  1er trim. De 1866. Tome XVIII.
(16) Voir sur toutes ces lettres, Rotuli litterarum patentium, p. 106 b, 111 b, Rotuli litterarum clausarum, p, l14, 202b, et Rymer, p. 64.
(17) La plupart de ces personnages figurent souvent dans l'histoire du Maine. V. Sur le sénéchal Herbert de Tucé, le cartulaire de la Couture, l'obituaire du Pré, etc. Robert de Longue Lande figure dans une charte de Philippe-Auguste, relative aux regales, Livre blanc, édit. Lottin, p. 8, et dom Piolin, 4, 281. Paulin Buters est celui d'entre eux dont le nom se rencontre le plus souvent. Il vit ses vignes du Mans confisquées par Jean Sans-Terre, fit de généreuses donations au chapitre, fut un instant excommunié comme nous le verrons, prit part à la Croisade des Albigeois, et fut un des agents les plus zélés de la reine avant laquelle il mourut, ainsi que nous l'apprend le cartulaire de l'abbaye e de l'Epau, auprès de laquelle il possédait une prairie.
(18) V. sur ces traités, Rymer, p. 69 et 70, Roluli litterarum clausarum, p. 269, patenlium 181 b et 182. D'autres actes s'y rattachent intimement le 8 septembre, la délivrance d'un sauf-conduit perpétuel pour Bérengère et ses agents avec droits de franchise, une lettre de Jean à la reine lui apprenant qu'il tient les deux mille marcs à la disposition de son représentant, porteur d'un exemplaire de la charte partie qui a constaté leur accord le 19 septembre, un ordre du roi à Hubert du Bourg, son justicier, de remettre cette somme (Rotuli patentium 154 b.) La Porte du Theil, p. 1103, indique une lettre d'Innocent III confirmant la transaction (I. xvi)!
(19) Rymer, p. 71, Rotuli litterarum palentium p. 200…… De solucione pecunie quam vobis tenemur ad presens patienter sustincre velitis, donec eo mediante qui omnia pro ut vult disponit, nubes obscura nobiscum serenetur et regnum nostrum plena tranquillitate letetur, nosque de pecunia a nobis vobis debita cum summa gratiarum actione ad plenum vobis respondebimus.
(20) M. Capefigue a fait une singulière méprise, il a pris du cidre pour des pois, « Jean, dit-il, se reput largement de pois nouveaux, » c'est ainsi qu'il traduit: novi ciceris polatione nimis repletus. (Voir histoire de Philippe-Auguste, in-12, t. Il, p. 271.)
Un mois environ avant sa mort, Jean accordait encore à la reine un sauf-conduit d'une durée indéterminée, et la liberté de revendiquer son douaire contre tous, 13 septembre, Rotuli patentium, 197 b, Rotuli clausarum, p. 287 b.
(21) Lettres manuscrites d'Honorius III.bibl. imp. F. Moreau, 1178-1183. t. I, p. 134,ép.CLXI.
(22) heures d'Honorius, I. II, p. 261. Ep. MLXXX.
(23) Rymer, p. 82.  
(24) Lettres d'Honorius, t. IV, p. 309 et 408. Raynaldi, t. XIII, p. 317, col. I. De peur de fatiguer les lecteurs, j'ai dû passer rapidement sur ces rapports de Bérengère avec Henri III, bien que les Rotuli clausarum nous donnent de nombreux renseignements sur les messages qu'elle envoya en Angleterre, d'abord pour obtenir son payement avant la transaction, puis pour le toucher tous les six mois, une fois l'accord intervenu. On y trouve environ vingt-quatre actes relatifs à ces rapports, et les ordonnances de payement jusqu'à l'Ascension 1226. On voit figurer au nombre des agents de Bérengère, les Templiers, surtout frère Dreux et frère Simon, Raymond de Beaumont, Maîtres Garsie et Simon clercs, les sergents Martin et Pierre, et le plus souvent frère Gautier, son chapelain, probablement le même que frère Gautier de Perseigne. (V. table des Rotuli clausarum, t. 1, à partir de la page 360, et t. H. V°. Berengaria.)
(25) Le siége avait duré un an tout entier.
Tantae molis erat tantas evertere turres, dit Guillaume Le Breton.
(26) Marténe, ampl. col. i. col. 1045, M. Delisle, Catalogue des Actes de Philippe-Auguste, n° 895. Registre de Philippe-Auguste, n° 9778 lat. Bibl. imp.. f° 131. (V. carta Berengarie de creantatione facta dommo reqi.) Layettes du trésor des chartes, t. 1, p. 281 b.
(27) Martène, ampl. col. i, 1053, M. Delisle, Catalogue de Philippe-Auguste, n° 929 et 930. Layettes du trésor des chartes, 1. 1, p. 303.
(28) Chalmel, hist. de Touraine, t. t. Il, p. 92. Cet historien a été induit en erreur par du Tillet, qu'il a simplement copié.
(29) V. sur Savary les histoires de Touraine de Chalmel et de M. Bourassé, le Catalogue des Actes de Philippe-Auguste, les extraits de dom Housseau, et le cartulaire de Cormery, publiés par la Société archéologique de Touraine, etc.
(30) Nous verrons plus loin l'échange concernant Château-du-Loir Je ne connais aucun document relatif aux domaines de Bérengère dans le Poitou.
(31) Catalogue des Actes de Philippe-Auguste, 994, 1496.
(32) Bodin, Angers et Bas-Anjou, t. 1, p. 465.
(33) Lettres d'Honorius III, 1. 1, p. 45, épit. XXXIX. Ciron, quinta compilatio, p. 42.
(34) «  En la cour de sainte Eglise, dit l'ancien coutumier normand, a trop grand délai aux veuves femmes à avoir leur douaire ou leur mariage, par les appels qui sont faits de l'archidiacre à l'évêque, de l'évêque à l'archevêque, et de l'archevêque à l'apostoile, il a été établi par l'octroi de sainte Eglise que ces choses soient terminées en la cour laie. » Le défendeur ne pouvait y obtenir remise qu'une fois.
(35) Lettres d'Honorius manuscrites, t. l, épit. CLXIII, p. 175. Ciron, p. 74.
(36) Lettre d'Honorius, t. II, p. 1, ép. LIII.
(37) Les historiens de l'Anjou n'ont connu aucune de ces lettres pontificales, et n'ont nullement bien apprécié la revendication de Bérengère. Voir entre autres, l'Anjou et le Maine de M. de Wismes, article Segré par M. Pavie.