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PHystorique- Les Portes du Temps
11 juin 2021

Fort Boyard de la plage de Boyardville située à l'orée de la forêt des Saumonards.

Fort Boyard de la plage de Boyardville située à l'orée de la forêt des Saumonards

C’est l’époque des villégiatures. Désirez-vous, sans trop de frais passer à la mer vos vacances estivales? Veuillez alors vous adresser à l'Administration de la Marine. Moyennant une très modique somme, qui ne dépassera pas, je gage, cinquante francs même pour l'année entière, cette administration vous louera, en Saintonge, à l'embouchure de la Charente, un monument historique, vaste comme une caserne et qui a coûté au minimum dix millions.

J'ajoute que vous ne trouverez pas de demeure plus agréable pour peu que vous aimiez à vivre bien tranquille, en pleine quiétude, à l'abri des importuns, loin des flonflons des casinos.

Entre l'île d'Aix et l'île d'Oléron, entre la pointe Ste Catherine et la pointe des Saumonards (i), un fort se dresse trapu, triste, sinistre, avec quelque chose de funèbrement fantastique.

 C'est Boyard, c'est la demeure charmante dont vous pouvez aisément devenir le locataire. Ses trois étages troués de sabords qui semblent des yeux, ses murailles verdies par le flot qui semblent des écailles, son avant-port, au ras de l'eau, qui semble une langue tirée, prête à happer, me font songer à la bête de l'Apocalypse qui, surgie de la mer, ramassée en sa force, les reins tendus, serait en arrêt.

Tout de suite on s'étonne que ce mastodonte n'ait pas la plus petite ceinture de terre ou de sable. Mais il a, été édifié sur une île factice, créée et façonnée exprès pour lui.

Un banc long de deux kilomètres courant parallèlement à la côte septentrionale d'Oléron dans la direction N.-O. et S.-E. et asséchant en partie aux grandes basses mers, a servi de base à ce colosse.

C'est sous le règne de Louis XIV que le besoin de protéger le port de Rochefort nouvellement fondé, fit germer dans l'esprit de certains ingénieurs audacieux l'idée de cette oeuvre surhumaine.

Vauban, après avoir vu l'emplacement choisi, affirma qu' « il serait plus facile de saisir la lune avec les dents que de tenter en cet endroit pareille besogne. »

 Le projet fut donc écarté. Il devait être repris par le Premier Consul.

 

En l'an IX, il envoie sur la longe de Boyard, une commission présidée par M. Ferregeau, inspecteur général des travaux maritimes, qui émet l'avis de construire un fort à un seul étage, de 80 mètres sur 40, avec 15 pièces de 36 et 6 mortiers.

Il aura la forme d'un anneau elliptique à parement cycloïdal et ses assises seront élevées de deux mètres au-dessus des plus hautes mers.

Les travaux débutent en 1804 à partir d’un camp de base qui deviendra le village de Boyardville, au nord-est de l’île d’Oléron. (La plage de Boyardville est située à l'orée de la forêt des Saumonards.)

On se met immédiatement à l'oeuvre et dans les premiers jours de 1804, après avoir créé à la Pointe de la Perrotine des établissements, chantiers et dépôts auxquels on donne le nom de Boyardville, on commence l'enrochement, dont on avait fixé le centre au moyen d'un gros bloc portant une balise en fer.

II est nécessaire d'obtenir un plateau d'une longueur de cent mètres et d'une largeur de cinquante. On extrait des pierres d'Aix et de Piédemont et on les lance dans le gouffre.

Sur cet enrochement sont versés, en 1804, 10.990 mètres cubes de granit; en 1805. 15.927; en 1806, 16.226; en 1807, 20.436 et en 1808, 11.718.

Le 4 août de cette même année, Napoléon venu à Boyard décide que le fort n'aura que 40 mètres dans son plus grand axe et 20 dans son petit, avec 26 canons de 36.

Mais au mois de décembre de cette année, un ouragan terrible descelle, soulève, emporte et balaie des blocs de 8 et 10 mètres cubes.

 Après cette interruption forcée, le travail est continué sans faiblesse. Déjà l'enrochement se dessine quand, le 31 mars 1809, une frégate anglaise tire à mitraille sur les ouvriers qui précipitamment se réfugient à Boyardville, bourgade qu'ils ont bâtie dans l'île d'Oléron, comme on le sait, à proximité de leur chantier, au début de l'entreprise.

Encore une fois, tout ouvrage cesse. Pour comble, le 11 avril 1809, explosent les Brûlots. Irrité, l'Empereur renonce à défendre l'embouchure de la Charente. Boyard est abandonné.

L'île d'Aix, sentinelle impériale - la Bataille navale des brûlots 1809

(l'affaire des Brûlots de l'Ile d'Aix ou la fin de la marine impériale) L'affaire de l'Ile d'Aix, dernier épisode de l'action de nos escadres dans l'Atlantique au cours des Guerres de l'Empire et qui se termina par un désastre pour la Marine Française.

 

Enfin, en 1837, l'amiral Rosamel, ministre de la marine, sur des plans nouveaux élaborés par une assemblée de savants, poursuit l'exécution de la pensée de Napoléon. La longueur du massif sera de 65 mètres et sa largeur de 35 ; le fort aura 50 mètres dans son grand axe et 25 dans son petit et sa forme sera celle d'un rectangle allongé arrondi aux deux bouts ; il sera armé de 13 canons-obusiers de 80, de 4 de 30 et de 9 canons longs de 30.

Mais depuis 1809 l'enrochement a baissé d'un mètre environ et il faut le refaire. On estime alors que seuls des blocs de pierres cubant au moins 14 mètres, encastrés l'un dans l'autre, formant un ensemble compact, pourront se rire des colères de la mer.

La tentative réussit ; et pendant le mois de septembre 1842 quelques maçonneries s'élèvent.

Le 14 avril 1848 les fondations sont livrées au Génie-militaire pour l'érection du fort. Cette érection demande encore dix-huit années et enfin le 6 février 1866, M. Courbefoaisse, directeur des travaux hydrauliques du port de Rochefort, signe le procès-verbal d'achèvement.

Que de chaux, de sable, de ciment, de moellons et de quartiers de roches a dévorés ce Léviathan ! Martin-Nadaud — qui était du métier — prétendait que lorsque le bâtiment va, tout va. Si cet aphorisme est conforme à la vérité, le département de la Charente-Inférieure a dû être bien prospère durant plus d'un demi- siècle.

En effet, soixante-deux années ont été nécessaires à l'édification de Boyard. Cependant, pour être juste, nous déclarons que dès 1858 le fort était garni de bouches à feu.

Qui dira jamais ce que ce colosse a coûté d'existences, de peines et d'argent ? Se peut-il plus de patience et plus d'opiniâtreté? Oui, Boyard est une oeuvre (2). Non pas que la beauté y ait imprimé sa griffe, mais c'est une oeuvre toute d'audace. Car, en vérité l'audace fut inouïe d'oser planter dans la violence des courants, dans l'emportement des flots ce tube de pierres haut de 23 mètres avec des murailles épaisses de 7 et 8 mètres.

Sur son socle, en dépit de la dureté de la mer et de la fréquence des orages, le fort toujours résiste, sans un pouce de tassement. Solide, d'aplomb, il se moque des vagues ululantes qui le giflent, le fouettent, l'encapuchonnent et qui, sur son dos se brisent, s'écorchent et s'écrasent pour retomber vaincues en poussière d'écume.

Toutefois, en 1859, alors que Boyard n'était pas encore complètement terminé, on crut sa dernière heure venue.

Un cyclone tel que la Saintonge n'en essuya jamais — il dura huit jours, du 24 au 31 octobre et fit osciller le géant. Bord sur bord, les canons désamarrés roulèrent en une course furibonde et lorsque, les vents apaisés, une chaloupe de Rochefort porta secours au gardien du fort, et à sa femme, on trouva l'un en pâmoison et l'autre en démence (3).

Pauvres gens ! Pour une bouchée de pain, ces victimes du devoir se résignaient à un encellulement favorable au spleen et propice à la folie.

Néanmoins, jusqu'à ces jours derniers, sur ce rocher, il y avait trois hommes absolument perdus au milieu de l'Océan : un quartier maître torpilleur, un marégraphiste et un gardien de batterie. Le quartier maître surveillait le poste des torpilles, le marégraphiste enregistrait les mouvements du flux et: du reflux et le gardien de batterie entretenait les canons... de vieux canons se chargeant par la gueule.

Boyard est maintenant déclassé.

 S'il est vrai que son utilité fut incontestable au temps où les batteries d'Aix et celles des Saumonards ne pouvaient croiser leurs feux, il n'en est plus de même à présent... à présent surtout que M. Baudin, ministre de la marine — qui a mis la France sous la protection de l'Angleterre, — sabote la défense du littoral, de l'Atlantique en enlevant les lignes de torpilles, en supprimant le service de reconnaissance, en détruisant les projecteurs.

Pourtant, il y a peu d'années, deux techniciens de rare mérite, les généraux Borgnis-Desbordes et Delambre avaient conçu le projet de modifier, de réorganiser Boyard. Mais afin de le moderniser, il: eût fallu beaucoup d'argent. Et il en avait déjà trop englouti le monstre et sans raison ! Jamais, en effet, il ne joua le rôle qui lui avait été dévolu. Tout juste, il servit de geôle aux Communards, en 1871.

En 1871 donc, le Fort Boyard partagea avec les îles de la Charente l'honneur de recevoir des insurgés. Sa situation étant exceptionnelle et son charme irrésistible, il lui échut la gloire de donner l'hospitalité aux chefs du parti révolutionnaire. C'est ainsi qu'il eut, parmi ses invités, Assi, Bauër, Billioray, Amilcare Cipriani, Champy, lourde, Paschal Grousset, Ferré, Rastoul, Regère, Verdure et Rochefort, condamnés à la déportation dans, une enceinte fortifiée par le 3e Conseil de guerre dont le Colonel Merlin du Ier régiment du génie était président.

De novembre à décembre, de nombreux communards sont transportés de Rochefort à l'aimable prison par le Lama, la Comète et le Travailleur. A la fin de l'année, ils sont là plus de 300, au dire de Regère qui, le 2 décembre, écrit à la Tribune de Bordeaux : « Existence quelque, peu monotone et dont les incidents les plus. « fréquents sont l'arrivée presque quotidienne de nouveaux « convois.

« Nous sommes plus de trois cents au Fort. En attendant, Cavalier (Pipe en Bois) a une commutation, Billioray est atteint d'une affection du poumon, Rochefort est avec lui à l'infirmerie ; Rastoul va les rejoindre.

Grousset, Assi, Jourde, sont resplendissants de santé et de bonne humeur. »

Enjoué aussi est Henri Rochefort qui, bien que souffrant d'une péricardite aigue adresse, le 27 Juillet 1872 à Victor Hugo ce spirituel billet daté de sa cellule, la cellule n° 17 :

« Nous continuons à mener dans notre citadelle la vie de chevaux de manège. Nous tournons toute la journée sur une plate-forme circulaire, sans autre distraction que de voir la girouette tourner du suroît au noroît, comme on appelle ici le sud-ouest et le nord-ouest. »

Cette villégiature, non au bord mais au milieu de la mer, n'enchante pas ces parisiens. Les maîtres de céans, ayant sous leurs ordres deux sections d'infanterie de marine, sont de tenue sévère et, comme eux, la température est glaciale. Les interminables journées entre ciel et eau, le voisinage de Noirs de la Martinique — déportés eux aussi — que le froid assomme, l'entassement dans cette fosse aux ours trouée de niches malsaines et puantes, amènent les Communards à désirer la Nouvelle Calédonie, cette terre promise.

Boyard est un enfer et je m'explique ce pastiche des Imprécations de Camille gravé dans la pierre par un prisonnier :

Fort Boyard, où la nuit sert des tyrans heureux,

Fort Boyard, où la haine est le plaisir des dieux,

Fort Boyard, où la force enchaîne le génie,

Fort Boyard, où l'on meurt sans sortir de la vie,

Puissent les citoyens, ensemble conjurés

Saper tes fondements sur le soc assurés ;

Et si, pour renverser ce colosse de pierre,

Paris ne suffit pas, vienne la France entière !

A pas précipités, que cent peuples divers,

Passent pour le détruire et les monts et les mers,

Que lui-même sur soi renverse ses murailles,

Que l'enfer agrandi s'ouvre sous ses entrailles,

Que le courroux du ciel allumé par nos voeux,

Fasse sur lui pleuvoir un déluge de feux!

Puissé-je de mes yeux y voir tomber la foudre.

Voir ses canons en cendre et ses cachots en poudre,

 Son dernier directeur à son dernier soupir,

Moi seul en être cause et mourir de plaisir !

 

Cette lecture m'a fait passer un petit froid sur la peau. Cependant; m'est avis que certains insurgés de 1871 n'ont pas le droit de regretter cette villégiature aussi gratuite qu'obligatoire. N'est-ce pas elle qui permit à plusieurs d'entre eux de forcer les portes du Parlement. Ce qui prouve que la détention conduit à tout, même à la Nouvelle Calédonie, à la condition d'en sortir.

Et puis on raconte qu'on ne s'ennuyait pas continuellement à Boyard. Par pigeon, on expédiait dès épîtres amoureuses aux beautés de la Rochelle et du Château d'Oléron. Un des plus notables prisonniers faisait tenir chaque jour de ses nouvelles-par messager ailé à sa dulcinée, une jolie petite blonde. Cette petite blonde était une fille de Musset; Du moins, Aurélien Scholl affirme. Mais si je m'en réfère à MM. Letélié et Audiat, il est hors de doute que cette fille de Musset n’a jamais existé que dans l'imagination du brillant chroniqueur. N'importe. Dans un siècle, l'histoire fera sienne cette légende.

 

L'Histoire n'est-elle pas qu'une succession d'histoires ?

 

Quoi qu'il en soit, Boyard fut évacué en juillet 1872 et les prisonniers furent transférés à Saint-Martin-de-Ré.

C'est de ce dépôt que Rochefort, après avoir embrassé ses enfants- que Madame Adam avait conduits auprès de leur père, partit le 10 Août 1873, à cinq heures du soir à bord de la Virginie, commandant Launay, pour la Nouvelle Calédonie, d'où il s'évada le 20 Mars 1874 en compagnie de Jourde, de Paschal Grousset, de Baillière, d'Olivier Pain et de Grantilhe.

Qui veut pour cinquante francs par an habiter un monument historique, en Saintonge, à l'embouchure de la Charente, au milieu de la rade d’Aix ?

 

 

 

Gaston MAUBERGER. le Pays d'Ouest : Poitou, Saintonge, Aunis, Angoumois, journal illustré des provinces de l'Ouest et de leurs colonies ["puis" Angoumois, Saintonge, Aunis, Poitou]

 

 

 

 1808, Napoléon sur Rochefort pour inspecter le réseau de défense l’embouchure de la Charente et l’Arsenal <==

Fort des Saumonards - Saint-Georges-d'Oléron ; Correspondance inédite de Napoléon Ier après sa visite dans la région <==.... ....==> L'Actualité de l'histoire, Les Communards dans les Prisons charentaises (1871-1874) Henri Rochefort au Château d’Oléron

 


 

(1) La pointe S" Catherine est à l'extrémité sud de l'île !d'Aix et la pointe des Saumonards sur la côte nord de l'île d'Oléron, se faisant face.

(2) Sous le Second Empire, le Fort Boyard était considéré comme" un monument si remarquable que le Ministre de la Marine, et des Colonies avait donné ordre, en 1866, au port de Rochefort de faire exécuter pour l'Exposition Universelle de 1867 un modèle de ce fort, à l'échelle de 0.01.

(3) Depuis un an, Boyard est abandonné et son dernier gardien est parti. Mais on a négligé de le débarrasser de son matériel à la grande joie des voleurs de la région.

 

 

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