L'île d'Aix, sentinelle impériale - la Bataille navale des brûlots 1809
(l'affaire des Brûlots de l'Ile d'Aix ou la fin de la marine impériale)
L’affaire de l’Ile d’Aix, dernier épisode de l’action de nos escadres dans l’Atlantique au cours des Guerres de l’Empire et qui se termina par un désastre pour la Marine Française.
Elle ne fût point, comme pourraient le laisser supposer certains titres d’ouvrages écrits à ce sujet, une simple attaque de brûlots. Leur action fût préparée avec soin très minutieux, ils furent sans doute la cause déterminante de la victoire anglaise, mais la perte de cinq vaisseaux Français et la mise hors de combat de tout le reste de l’Escadre Française, ne sont que le résultat des opérations entreprises par les Anglais au lendemain de l’attaque des Brûlots.
Au cours de ces opérations on constata de graves défaillances dans l’escadre Française. «’L’épouvante et la terreur furent semées dans toute l’Escadre et aucun vaisseau ne fut exempt de cette terreur, pas même le vaisseau AMIRAL, pas même non plus le Regulus commandé par le Capitaine Lucas, le héros de Trafalgar.
(Napoléon plage de l'Anse la croix Ile d'Aix)
Genèse de l’affaire des brûlots de l'Ile d'Aix
La concentration des Escadres Française et Anglaise devant l’Ile d’Aix
Vers le milieu de l’année 1808, les colonies françaises des Antilles vinrent à manquer de vivres, « les négociants étaient insuffisants pour les approvisionner » ; aussi l’Empereur décida-t-il au mois d’Octobre, d’envoyer les divisions de Lorient et de Rochefort y porter le nécessaires et des troupes.
Mais les Anglais tenaient un blocus étroit de nos ports et ils purent pendant très longtemps en interdire la sortie à nos deux divisions. L’Empereur songea alors à utiliser l’Escadre de Brest, sous le commandement du Contre-Amiral Willaumez, pour les débloquer. Dans ses instructions, il prescrivit à ce chef d’Escadre de refouler les forces anglaises stationnant devant nos ports de l’Atlantique, d’opérer si possible la jonction avec les deux divisions indiquées, de les accompagner jusqu’au Antilles et de faire ensuite route sur Toulon.
Une violente tempête d’ouest contraignit les forces de blocus devant Brest, à s’éloigner de nos côtes. Mettant à profit l’absence de surveillance qui résulta et un changement du vent du Nord, l’amiral Willaumez appareilla de Brest le 21 Février 1809 de grand matin, avec 8 vaisseaux et 2 frégates.
Tout paraissait se prêter à une réussite complète de sa mission. Malheureusement par une erreur regrettable sur l’heure de la marée, il ne se présenta qu’a la nuit alors que le vent du Nord était tombé. Une petite brise de S.E, défavorable à une sortie de Lorient, succéda le 22 au vent favorable de la veille. Désespérant dans la soirée de voir apparaitre Troude, l’amiral Poursuivit sa route vers Rochefort et se présenta le 24 au matin dans le pertuis d’Antioche. Le capitaine de Vaisseau Bergeret avait pris tout récemment le commandement de la Division armée en rade de l’Ile d’Aix.
Malgré les instructions précises que lui avaient envoyées l’Empereur, d’opérer sa jonction avec l’escadre Willaumez dès son apparition devant Rochefort, en dépit des renseignements qui lui furent transmit au sujet de l’appareillage de cette force navale, enfin malgré l’ordre de rallier qui lui fut donné dès 10 heures du matin, ce n’est que la nuit que Bergeret réussit à se joindre à l’Escadre…..
L’escadre Française s’était retirée vers l’embouchure de la Charente.
La pointe de l’embouchure qui se prolonge à peu près dans le N.W jusqu’à celle de l’Aiguille n’est séparée que de la petite Ile d’Enette que par un plateau de roches. A quelques centaines de mètres dans la même direction se trouve l’Ile d’Aix qui est comme le prolongement ininterrompu de la terre de Fouras. Pratiquement, le passage entre ces deux Iles n’est possible qu’avec des embarcations.
De l’autre côté à la pointe Sud de l’embouchure de la rivière se voit la petite Ile Madame entourée dans tous les sens, le Sud excepté, par les Palles, plateau de roches qui en a plusieurs fois la surface. Un haut fond de 10 à 15 pieds réunit les Palles à la longe de Boyard, grand banc de sable qui s’étend parallèlement à la côte septentrionale de l’Ile d’Oléron et à mille et demi de celle-ci. En bordure et à l’est de ce banc se trouve l’enrochement Boyard qui découvre en permanence.
Pour entrer en rivière il faut donc passer entre les Palles et Fouras, passage réduit aux proportions d’un chenal étroit par un haut fond de vase qui le borde des deux côtés. Les fonds qui ne sont encore que de 5 pieds sur la ligne Ile madame- Pointe de L’Aiguille, augmentent ensuite assez rapidement quand on descend la Charente. La rade de l’Ile d’Aix fait suite à ce chenal. Ouverte au N.W., elle est pratiquement limitée au SW. Par la longe de Boyard. La limite Est ---- coïncide approximativement avec le méridien de la pointe sud de l’Ile d’Aix.
Pour profiter de la défense que peuvent offrir les batteries de l’Ile d’Aix et des Saumonards sur Oléron, les navires doivent se tenir dans l’est de la ligne qui les joints. Ainsi pour les vaisseaux calant de 22 à 27 pieds la rade se réduit à un triangle d’à peine un mille et demi de côté. On ne peut donc vraisemblablement envisager la présence de plus de douze navires à la fois sur cette rade.
Après avoir traversé la rade de l’Ile d’Aix, la Charente débouche dans la vaste rade des Basques séparée de la première par un couloir d’un mille de large et de deux milles de long.
Le courant de marée traverse ces rades en direction S.E au flot N.W au jusant , sa vitesse peut atteindre 3 nœuds.
Au sud de la Longe de Boyard se trouve la rade des Trousses assez étroite aussi. On n’y pouvait guère se rapprocher qu’a extrême limite de portée de canon, des vaisseaux au mouillage de l’Ile d’Aix. Cette rade ne devait par conséquent pas offrir aux Anglais une position avantageuse. En outre pour accéder, il fallait passer dans l’étroit chenal commandé par la batterie des Saumonards qui pouvait y tirer à bout portant.
A pleine mer le haut fond reliant les Palles à la longe de Boyard était franchissable par les navires de toutes catégories, la mer y marnait de 12 à 15 pieds.
(Destruction de la flotte française dans la rade des Basques par Thomas Whitcombe, 1817)
Le mouillage de l’Ile d’Aix était défendu par certain nombre de batteries. Depuis de longues années elles étaient l’objet des préoccupations de Napoléon. Déjà en l’An XII, il avait envoyé le Général Savary se rendre compte des dispositions existantes et de celles qu’il y aurait lieu de prendre pour rendre la rade meilleure.
M. l'abbé Lacurie , dont la profonde érudition est justement appréciée par l'Institut des Provinces, nous a gratifiés, en 1851, d'une carte représentant la contrée des Santons au temps des Romains. Ce précieux document place l'embouchure de la Charente aux environs de Tauniacum (Tonnay-Charente).
Voici qu’elles furent les conclusions de cet inspecteur :
Les batteries de l’Ile d’Aix et des Saumonards sont insuffisantes, il faudra augmenter le nombre des pièces de 30 et des mortiers des premières et établir sur la côte des Saumonards une très forte batterie de canons et de mortiers.
Enfin il devient nécessaire de construire une batterie d’égale force sur l’enrochement Boyard.
Le nombre des canons fut augmenté par la suite, mais les batteries laissèrent encore beaucoup à désirer. Le 8 Mars 1808 lorsque le Colonel Lacoste, aide de camp de l’Empereur, fut envoyé à son tour les inspecter, il les trouva dans un bien mauvais état de défense.
En résumé, il y avait de nombreux canons sur l’Ile d’Aix mais les ouvrages fortifiés étaient dans un triste état de délabrement. En outre, même face à la rade, l’Ile était accessible à des troupes voulant y débarquer et il était nécessaire d’exercer une surveillance très attentive pour ne pas se laisser surprendre.
Les bords de la Charente, eux, étaient défendus par le fort de l’Ile Madame, remis en état en 1794. Deux batteries en dépendaient. Le tout était en bon état quoiqu’un peu insuffisant. Sur la rive droite, le Vergeroux et le fort La Pointe étaient l’un et l’autre bien armés, mais à Fouras et à l’Aiguille, beaucoup d’affûts ne valaient rein, quelques pièces aussi étaient défectueuses.
La portée des canons employés était d’environ 200 toises soit près de 4000 mètres. La batterie des Saumonards devait donc pouvoir atteindre des bateaux passant au Nord de la longe de Boyard. Mais à de pareilles distances, on ne pouvait évidemment compter que sur une médiocre efficacité du tir. Les Anglais purent le constater quand ils vinrent le 1 er Avril, bouleverser tous les travaux entrepris sur l’enrochement Boyard.
Enfin, mentionnons que les batteries étaient munies de fours à réverbères pour tirer des boulets rouges dont la portée était légèrement supérieure à celle des autres.
Les Français se croient à l’abri sous les canons des îles d'Aix et d'Oléron.
Le 11 avril 1809, l'escadre française, composée de onze vaisseaux de ligne et quatre frégates, était dans la rade de l'île d'Aix. A cinq heures du soir, les vents dans la partie de l'O.-N.-O. variables, elle était mouillée sur deux lignes d'embossage endentées et très-serrées dans la direction du N.-E. et S.-O.
Les frégates en avant-garde. Tous les vaisseaux affourchés S.-E.-sur-E. et N.-O.-sur-O. Les ancres de bossoirs empennellées ayant 100 brasses de câble dehors, et la distance entre chaque vaisseau étant aussi de 100 brasses d'étrave à étrave; les mâts de hune étaient callés et bridés en trois endroits aux bas mâts.
Le vaisseau le Tonnerre, serre-file de la seconde ligne, était mouillé à deux encâblures et demie des hauts fonds que marque la bouée des Palles;
Le Calcutta à la tête de la première ligne ;
La frégate l'Indienne en avant-garde près l'Estacade;
Le Tourville était le second de tête de la seconde ligne.
L'armée-anglaise, composée de douze vaisseaux, six frégates, quarante bâtiments transport, trente-un brûlots, six brûlots frégates et trois machines infernales, formant en tout quatre-vingt-dix-huit bâtiments, occupait la rade des Basques.
A cinq heures et demie, plusieurs frégates ennemies paraissent remorquer des bâtiments de différentes grandeurs ; l'une vient-mouiller à l'accord de Boyard, dans la partie du Nord; une seconde frégate et une corvette s'approchent également de l'armée française et forment une ligne d'observation entre elles et l'armée ennemie.
Tout présageait une attaque sérieuse de la part de l'ennemi ; le branle-bas de combat était fait à bord de l'armée française, quoique l'ordre n'en eût pas été donné par l'amiral. Chacun était à son poste et s'attendait à repousser avec courage une attaque de vive force. Tout était enveloppé dans les plus épaisses ténèbres; le silence le plus profond régnait de toutes parts : on n'entendait que le bruit lent et sourd des vagues qui venaient, expirer sur le flanc des vaisseaux.
Tout-à-coup une explosion terrible fait retentir les airs, la terre est ébranlée, le ciel paraît en feu, les flots eux-mêmes semblent vomir des flammes; cette lumière immense et subtile, cette lumière fatale, plus prompte, plus terrible et plus éclatante que la foudre, disparaît presque aussitôt; tout rentre dans la plus profonde obscurité ; un silence de mort règne de toutes parts. Il est bientôt interrompu par une explosion plus violente que la première; mille feux brillent dans les airs: des fusées incendiaires, des grenades, des obus éclatent avec fracas et couvrent l'escadre d'une pluie de feu et de fer qui porte la mort sans donner l'effroi.
Sous ces coups réitérés l'estacade est rompue. A la lueur de ces lumières funèbres, on distingue plusieurs bricks et trois-mâts qui viennent l'aborder. Bientôt tous sont en feu ; ils franchissent sans peine l'estacade brisée.
C'est en vain que les forts de l'île d'Aix, des Saumonnard et toute l'escadre, dirigent sur eux les feux de leur artillerie. Êtres inanimés ne pouvant recevoir la mort, mais destinés à la donner, portés par les vents et par les courants, ils atteignent le but que leur a marqué de loin le perfide insulaire.
L'escadre est entourée de ces trente bâtiments en feu, parmi lesquels sont des vaisseaux et des frégates; tous lancent des pétards, des fusées incendiaires, tirent des coups de canon et de caronade. Les artifices qu'ils renferment dans leur sein s'allument successivement et font de fréquentes et de terribles explosions; la rade n'est plus qu'un vaste incendie, l'eau bouillonne sous les bombes, les boulets, les matières inflammables qui s'y répandent de toutes parts; la mer semble irritée de porter cette charge nouvelle.
Des bras, des mains de fer s'élancent autour de ces machines infernales, qui, telles que des génies malfaisants, ne peuvent éviter d'être consumées par les flammes qu'elles recèlent dans leur sein et veulent entraîner dans leur ruine tout ce qu'elles peuvent approcher et saisir.
Quel pinceau pourrait rendre les horreurs de cette nuit affreuse! Quelles expressions pourraient en faire connaître tous les dangers! C'est cependant là, au milieu de ces flammes dévorantes, au milieu de ces machines de mort et de destruction, qu'il faut se transporter pour juger la conduite de ceux qui ont eu à les combattre ou à les éviter.
L'escadre, dans cette position fatale, ayant à soutenir un combat d'un genre nouveau et depuis longtemps inusité, exposée à périr sans gloire et sans résistance, ne put tenir plus longtemps en place.
Le vaisseau l'Océan menaçait d'aborder le vaisseau le Tonnerre en abattant sur tribord; celui-ci, empressé d'imiter sa manœuvre sous le premier rapport et d'en prévenir l'effet quant au second, coupe son câble de N.-O.
Le Patriote, également embarrassé, tombe en grand dans son évolution sur le Tonnerre; pour dégager l'un et l'autre d'eux-mêmes et d'un brûlot enflammé qui n'en était qu'à longueur d'espard, le cable de S.-E. fut filé par le bout, tandis qu'on coupait les manœuvres dormantes et courantes qui le retenaient : dans ce moment même l'Océan manœuvrant pour éviter les brûlots qui le menaçaient, aborda par la hanche le vaisseau le Tonnerre et le força par cela même à abattre sur tribord. La dérive qui s'ensuivit nécessairement fit échouer le Tonnerre sur les Palles, le cap au Sud.
Vers le même temps, trois brûlots portés par les courants allaient infailliblement tomber sur le Calcutta ; il parvint à en couler un par le feu de son artillerie et à éviter les deux autres en coupant son câble du N.-O., mais un nouveau péril l'attendait.
Peu de temps après, plusieurs autres brûlots se dirigent sur lui ; il arme les deux seules embarcations qu'il avait pour les détourner. La rapidité des courants le prive de ce moyen courageux : il est forcé de couper son câble du S.-E., ce qui le fait abattre sur bâbord. Le peu de voilure qu'il peut orienter ne lui permet pas d'éviter suffisamment pour courir sur l'entrée de la rivière; il est contraint, pour ne pas aborder l'armée, d'échouer vers minuit sur la pointe Sud des Palles, où il laisse tomber l'ancre de bâbord, afin d'attendre la pleine mer.
Des brûlots enflammés et sous voiles se dirigent tribord et bâbord sur la frégate l'Indienne. L'escadre tire sur eux; les boulets passent dans la mâture de la frégate, qui se trouve ainsi entre deux feux et dans une position où il est impossible de tenir; elle file alors le câble de N.-O. et vient à l'appel du S.-E. Cette manœuvre ne la met pas à l'abri de deux brûlots qui se croisent sous son beaupré. Au moment d'en être abordée, le bout-dehors engagé dans les manœuvres de l'un des brûlots, elle coupe son câble du S.-E. en abattant sur tribord et envoie de bâbord plusieurs volées aux brûlots; elle allait aborder le Varsovie, elle l'évite, range le Foudroyant, et passe en poupe du Tonnerre en carguant ses huniers pour prendre mouillage en dedans des lignes dans les eaux du général, dont le capitaine ne voulait pas s'éloigner.
Comme il faisait cette manœuvre, il est obligé de faire une nouvelle arrivée pour éviter un brûlot qui avait traversé les lignes. Il aperçoit l'Océan hissant son grand foc; il met la route au S.-E. sous le grand foc et le petit hunier cargués.
Un trois-mâts de la force d'une frégate, n'offrant à la vue qu'un brasier ardent jusqu'à la flottaison, arrivait sur la frégate l'Indienne, porté par le courant et le vent. Le capitaine laisse arriver ; la frégate s'arrête. Le brûlot approchait toujours; il conserve de la voile pour franchir.
Les vases étaient si molles, que la frégate flottait et qu'elle ne pouvait plus dessouiller sans alléger; il fait jeter à la mer partie de son artillerie. Le brûlot n'était plus, de son arrière, qu'à la portée de pistolet ; il ne peut l'éviter qu'en se traînant péniblement sur les vases, et s'en éloigne de trois encablures.
Le brûlot range la frégate par tribord, et elle le pare. Trois brûlots lancés alors par le passage d’Enette, dans le Nord de l'île d'Aix, éclairent sur la position de la frégate ; elle avait cette petite île par sa hanche de bâbord et se trouvait échouée sur les vases de la pointe de l'Aiguille:
Un de ces brûlots se dirige sur la frégate ; on dispose des épars et une embarcation, pour le détourner : il passe à dix toises de l'arrière. Les deux - autres sont arrêtés et se consument, l'un sur Enette, l'autre sur les récifs de l'Aiguille. La frégate reste échouée dans sa position. -
Cependant la frégate la Pallas avait appareillé pour éviter une frégate-brûlot qui tombait sur elle; elle aborde le Tourville, casse son tangon : celui-ci, pour éviter d'être incendié, coupe son câble de tribord.
Le Régulus, accroché par un brûlot, tombe avec lui sur le Tourville, qui, pour l'éviter, coupe le câble de bâbord, appareille sous le petit foc, cargue d'autres voiles et gouverne pour éviter les brûlots qui l'entouraient; cette manœuvre le force à échouer sur les Pâlies.
Dans cette perplexité, l'équipage, comme le capitaine, redouble de courage et de travail pour écarter de ce vaisseau, à force de rames, ces masses flottantes de feu qui' loin de s'éteindre dans l'eau en reçoivent une dévorante activité. Par un prodige d'efforts et de fatigues, ce jour-là, le Tourville fut sauvé des dangers qui s'étaient multipliés autour de lui, et son capitaine conserva l'espoir de le mettre à flot au moment où la mer serait pleine. L'armée entière était dans la position la plus critique et dans le plus grand désordre : obligée de manœuvrer dans une rade étroite, au milieu d'une nuit obscure, pêle-mêle avec quarante brûlots de grandeurs différentes, dont les feux seuls chassaient les ombres de la rade et les reportaient plus épaisses sur les côtes qu'on ne pouvait apercevoir; pour éviter un brûlot, s'approchant d'un autre, s'abordant réciproquement, se heurtant, se brisant au milieu du fracas et des horreurs qui les environnaient.
Aussi à l'exception du Cassard et du Foudroyant, que le hasard protégea, comme ils en convinrent eux-mêmes, tout s'échoua : ce qui ne pouvait être autrement, puisque les lignes étaient établies le plus près possible des fonds.
Le 12 au matin, le jour vint éclairer le spectacle le plus affligeant.
Des brûlots encore enflammés gisaient sur les vases de Fouras, du port des Basques et des Palles et semblaient menacer encore nos vaisseaux également échoués ou brisés sur les rochers ; le Tonnerre et le Tourville, sur une même ligne, étaient sur les Palles, le Calcutta sur l'extrémité du même banc, et l’Indienne sur la pointe de l'Aiguille.
Rien n'avait été négligé pour retirer ces vaisseaux de leur affreuse position. Ils avaient été allégés par tous les moyens possibles; on avait élongé, autant qu'on l'avait pu, ancres, amarres, grélins; on avait constamment viré dessus avec toute la force imaginable ; on avait orienté toute la voilure dont on pouvait se servir pour le même but; on s'était démuni de presque toute l'artillerie: vaine précaution, travaux inutiles, rien ne peut mouvoir ces masses énormes. On manquait d'ailleurs de secours indispensables.
Ils étaient tous échoués de manière à ne pouvoir opposer à l'ennemi qu'une résistance nulle et ne pouvant se prêter aucun secours réciproque.
Pour décider entièrement leur sort, il ne fallait plus que l'approche de l'ennemi. Le Cassard et le Foudroyant, qui seuls pouvaient lui en imposer, rentrent en rivière; l'entrée de la rade est libre, l'ennemi en profite. A une heure, des bâtiments de toute grandeur y entrent en rangeant le banc de Boyard; ils attaquent successivement nos vaisseaux échoués sur les Palles, ils les criblent, et ils ne peuvent se défendre.
Le Calcutta, le premier, est le plus exposé à leur rage ; il succombe après avoir opposé une résistance opiniâtre, inouie dans sa position ; il sauve son équipage et ne laisse à l'ennemi qu'un vaisseau enflammé.
La Ville-de-Varsovie et l’Aquilon subissent bientôt un sort plus cruel, car une partie de l'équipage est prisonnière: le pavillon anglais flotte à la place du pavillon français amené.
Déjà les boulets ennemis avaient dépassé le vaisseau le Tonnerre, déjà leurs bâtiments se dirigeaient sur lui. Sa destruction, en partie consommée par les flots, devenait maintenant assurée; il cède à la fatalité, mais du moins il veut encore être maître de son sort; il veut sauver son équipage, sauver l'honneur du pavillon et ne laisser à l'ennemi que des débris enflammés : il met le feu à son vaisseau déjà crevé.
L'Anglais, espérant sans doute retirer et s'approprier les vaisseaux la Ville-de-Varsovie et l'Aquilon, ne les avait pas incendiés ; mais, au milieu de la nuit, s'apercevant qu'il ne peut effectuer ce premier projet, il en conçoit un autre et cherche à faire de ces deux vaisseaux un nouveau moyen de destruction : il y met le feu.
Ces deux machines énormes s'allègent par l'action du feu, et, portées par le vent et la marée, se dirigent vers le Tourville. Dans l'impossibilité de les éviter si elles l'abordent, voulant du moins sauver son équipage, le capitaine prend la résolution de se tenir à une certaine distance du vaisseau dans ses embarcations. La grosse mer, la violence du vent, le privent encore de cette ressource; il est forcé de céder à leur impulsion et s'éloigne, malgré lui, pour quelques instants. Bientôt il s'aperçoit que ce qu'il a pris pour des brûlots est échoué et ne.se meut plus; il réunit son équipage, retourne à bord, parvient à mettre son vaisseau à flot et rentre heureusement dans le port de Rochefort.
Cependant l'ennemi continuait à canonner et à bombarder le Régulus et la frégate l’Indienne, qui riposte pendant trois jours avec le plus grand courage. Mais il est un terme à tous les efforts; la destruction totale de la frégate, les brûlots préparés pour l'incendier, la possibilité de lui couper la retraite, les dispositions d'une attaque qui allait l'anéantir, perdre son équipage et son pavillon font un devoir au capitaine de prendre une dernière résolution : il débarque son équipage, assure son pavillon et livre alors aux flammes une frégate déjà perdue et sans ressource.
Tels sont, avec la plus grande exactitude et surtout avec la plus grande vérité, les faits principaux sur lesquels repose cette cause.
Constitution d'un des brûlots de l'île d'Aix - 12 avril 1809-
Le premier brûlot avait été conduit par Cachrane. Il renfermait 1500 barils de poudre, vides dans des pièces de deux établies dans la cale, ouvertes, et au- dessus étaient 400 bombes chargées et amorcées, 3000 grenades à main. Ces pièces étaient assujetties par des câbles et des coins en bois, les vides comblées par du sable humide et battu. Il portait dans ses hunes 50 fusées de l'invention du colonel Congrève, (Naval Chronicle n° 125).
L'opinion anglaise et les brûlots -
" On annonce une attaque pour détruire l’escadre française dans la rade des Basques. Le Colonel Congrève est parti avec des brulots d'une invention nouvelle et promet d’incendier les onze vaisseaux. Les esprits sont bien partagés sur cette expédition et quelques personnes sont effrayées, de voir ce qu'on enseigne à l'ennemi et qu’on l'autorise à recourir au moyen le plus puissant de détruire notre marine. Vivons- nous dans un siècle où une nation puisse cacher à une autre ces horribles découvertes et se servir d'un moyen de destruction qui sera bientôt imité, ou surpassé par ceux qui en auront souffert ?
Les Français sont-ils moins avancés que nous dans les secrets destructeurs de la mécanique et de la chimie ? Ils montrent de l’horreur pour ces compositions et ces machines que nous-même nommons infernales.
Faut-il les forcer à y recourir par tous les motifs de la plus légitime défense ? On ne change pas impunément les lois de la guerre ni celles du droit des gens. Quel intérêt avons-nous à user des brûlots quand nous avons tant de vaisseaux victorieux ? Nos plus belles flottes peuvent donc être à leur tour livrées à l’entreprise de quelques intrépides incendiaires ?
Les vieilles forteresses de notre île peuvent donc s'abimer en quelques heures dans les mers ? Voilà ce que le colonel Congrève, et ce que notre Ministre veulent apprendre à un ennemi dont nous avons tant à craindre le génie, la haine, et le courage".
( British Review 6 avril 1809 au sujet de l’attaque de la Flotte française en rade de l’île d’Aix, attaque qui eut lieu le 12 avril.)
Le brûlot dans la bataille navale du large : (17e et 18e siècle) / travail de M. le L. V. Arden
L'affaire de l'île d'Aix : 11 - 24 avril 1809 / par M. le L. V. Louis Branellec
Histoire des brûlots de l'île d'Aix : Marine française. Tome 1 / par Julien Lafon
En souvenir de l'affaire des Brûlots les 11 et 12 avril 1809,. et du combat héroïque du commandant LUCAS à bord du REGULUS.
1808, Napoléon sur Rochefort pour inspecter le réseau de défense l’embouchure de la Charente et l’Arsenal <==.... ...==> Napoléon de Rochefort à Sainte Hélène (juillet 1815)