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PHystorique- Les Portes du Temps
14 juin 2021

L'Actualité de l'histoire, Les Communards dans les Prisons charentaises (1871-1874) Henri Rochefort au Château d’Oléron

L'Actualité de l'histoire, Les Communards dans les Prisons charentaises (1871-1874) Henri Rochefort passe de Fort-Boyard au Château d’Oléron puis à Saint-Martin

L'Actualité de l'histoire, Les Communards dans les Prisons charentaises (1871-1874) Henri Rochefort passe de Fort-Boyard au Château d’Oléron puis à Saint-Martin

 

 Dès le Moyen-Age la côte charentaise avec ses estuaires remontés par la marée (Sèvre, Charente, Seudre), ses îles d'Oléron, de Ré, d'Aix et Madame, ses rades abritées, connut une intense activité maritime et se hérissa de tours de défense et de forteresses dont La Rochelle conserve de magnifiques témoins.

Les guerres continuelles, puis la création par Colbert du port de Rochefort substitué au Brouage ensablé de Richelieu et de Mazarin, la protection du trafic rochelais, entraînèrent sous la haute direction de Vauban la création d'un formidable système de défense destiné à déjouer tous les assauts.

 Il comporte d'abord l'ensemble qui ceinture la rade entre Oléron, Aix et la Côte.

Au nord, la ligne principale va du fort des Saumonards à l'Ile Madame en passant par le fort Boyard bâti sur un récif, le fort Liédot d'Aix, le fort Enet isolé à marée haute et la citadelle de Fouras.

Au sud, défendant l'étroit pertuis de Maumusson, la citadelle du Château d'Oléron et le fort du Chapus également isolé par la haute mer.

 

Des positions secondaires ont renforcé la défense. Enfin l'Ile de Ré possède l'énorme citadelle de Saint-Martin où s'étaient brisées les attaques anglaises.

Ces forteresses sont toujours été la providence des services pénitentiaires et concentrationnaires jusqu'à nos jours (1).

 

En 1871, le gouvernement de Versailles utilisa largement les possibilités offertes par un appareil devenu en grande partie sans objet militaire, mais qui conservait tous les avantages d'un rigoureux isolement et d'une surveillance facile. On y amena d'abord un grand nombre de prévenus avant même la chute de la Commune, puis on les remplaça par les condamnés à la déportation qui y attendirent l'embarquement pour la Nouvelle-Calédonie.

Ainsi furent créés plusieurs dépôts dont les Archives versées aux A.D. de la Charente-Maritime, nous permettent non pas de rédiger une étude exhaustive, mais d'apporter des matériaux supplémentaires à l'histoire de ce qui fut l'épopée communarde.

 

Il s'agit donc surtout d'un résumé de documents officiels : correspondance administrative, rapports, pièces comptables, registres d'écrou, papiers de prisonniers qui n'en sont pas moins précieux pour une contribution modeste à l'établissement de la vérité.

 

 

1871

Les prisonniers affluèrent dès avril 1871, et jusqu'en janvier 1872 les prévenus surtout furent nombreux : on les entassa à l'Ile Madame, à Enet, à Fort-Boyard, au Château et à Fouras, prison la plus supportable d'après Elisée Reclus.

D'autres demeurèrent en rade sur des pontons. Le 20 mai meurt au Château Paul Cohas, employé, lieutenant des « Vengeurs de Paris ». Bien que l'enterrement soit discret, les prisonniers saluent leur camarade par les cris de « Vive la République, vive la Commune ! ».

Les prévenus sont finalement dirigés sur les Conseils de Guerre ou bénéficient d'un non-lieu : les condamnés les remplacent. Dès le 11 juillet 1871, la Préfecture reçoit des ordres de l'Intérieur pour les élargissements. Les hommes peu ou pas mêlés aux événements ont été plus heureux que des centaines d'autres, victimes d'effroyables méprises, et exécutés sommairement (25.000 tués pour la Commune, 877 dans les troupes de Versailles). Ils reçoivent 1 fr. 20 de pécule. On arrache les insignes militaires aux gardes nationaux « ce qui offrirait des inconvénients pour le retour à Paris ». Il leur est interdit de descendre avant destination, sous prétexte que certains d'entre eux ont, au début, trop joyeusement fêté leur libération. Tous les mouvements sont opérés sous la surveillance de la gendarmerie et la tour de la Lanterne (2) sert d'asile provisoire à La Rochelle.

Des convois spéciaux sont organisés par Poitiers et Orléans.

Le 21 décembre, Saint-Martin-de-Ré et le Château d'Oléron sont désignés pour recevoir les déportés dont certains sont déjà arrivés. Ces ordres sont réitérés le 11 janvier 1872, d'où la nécessité d'une organisation durable.

 On prévoit 1.400 détenus, ce qui entraîne l'utilisation de Fort Boyard et des Saumonards. Les règlements sont ceux prévus par la décision concernant Doullens en 1835 et par le Code des Prisons : l'Administration pénitentiaire sera responsable sous la haute surveillance du Préfet représentant l'Intérieur.

Le 15 août 1871, la Comète a débarqué au Château 160 déportés. Leur nombre est alors de 447 au Château et 523 aux Saumonards. Pour faciliter l' « instruction », on échange, le 19 août, 431 détenus des Saumonards contre 412 d'Oléron. Peu à peu, tous les déportés sont incarcérés.

 

1871-73 : L'ATTENTE ET LES DEPARTS

Au début de novembre, un reporter du Figaro raconte sa : « Visite aux Chefs de la Commune » dans le cadre d'une enquête ' intitulée « Courrier des Iles ». (Le numéro est joint à la correspondance). René de Pont-Jest a profité d'une chaloupe officielle pour se rendre au Fort-Boyard.

 Il signale la présence en rade de deux prisons flottantes : la Pandore et la Foudre.

Le Fort-Boyard est une prison « lugubre » aux murailles goudronnées de 60 pieds de haut avec trois étages de batteries, et l'auteur d'évoquer Dante : « Lasciate ogni speranza ». Il est reçu par : le Directeur Marquet et l'officier commandant les troupes de garde Guillard, capitaine d'infanterie.

Les condamnés sont au deuxième étage avec un « bon régime » : un demi-litre de vin par jour, deux repas de viande fraîche par semaine, une cantine qui leur donne « ce qu'ils veulent ». Il semble que ces renseignements soient assez exacts : le directeur fut blâmé pour sa « générosité ».

Le représentant du Figaro juge qu'ils sont mieux qu'à Versailles au IIIe Conseil de Guerre et il note qu'Assy est le principal mécontent : il prétend que sa condamnation l'autorise « à défricher un endroit ». Billioray est malade. Ce même numéro du Figaro contient des articles nombreux qui se rapportent à la Commune.

Un Américain, Jonathan Halifax, écrit en faveur ! des veuves des gendarmes exécutés « tandis que les bandits et les voleurs font publiquement des souscriptions en faveur de leurs frères détenus sur les pontons ». Il termine par une phrase méprisante sur Cluseret qui se battit dans les armées du Nord - au cours de la Guerre de Sécession. Un certain Xavier Eyma demande la suppression des journaux qui défendent la Commune notamment Le Siècle, et il insulte Victor Hugo à l'instar i de Francisque Sarcey et de Xavier de Montépin ! Enfin ce journal ' férocement anticommunard condamne un voeu de M. Ordinaire « nommé Conseiller général du Rhône » (3).

 Il dit entre autres choses : « Considérant que l'Industrie parisienne et par suite celle de Lyon et de la France entière ont à souffrir de l'absence d'un nombre considérable d'ouvriers détenus sur les pontons ou détenus dans les colonies. Considérant que redoutant les dénonciations tous ceux qui n'ont pas été arrêtés se sont retirés dans des territoires étrangers pour restaurer la valeur de l'Article de Paris vis-à-vis de l'étranger, pour soulager la misère des familles, il faut amnistier : en défendant la propriété, le travail, l'apaisement nécessaires. « La force développe les idées de haine et de vengeance ».

Il souligne que « ces hommes sont presque tous anciennes victimes de Juin et du 2 Décembre aigris et persécutés ». « L'amnistie n'est pas une question de politique mais de prospérité et d'ordre ».

 

On sait qu'en effet l'économie française se ressentit longtemps de la répression, les fusillés et les prisonniers étant en majorité des travailleurs qualifiés et des ouvriers d’art (530 bijoutiers, 636 ébénistes, 819 typographes, 1.491 cordonniers, 224 fondeurs, 179 horlogers, 2.664 serruriers-mécaniciens, 106 instituteurs, etc.). Un tel voeu, à un tel moment, est remarquable, mais les vainqueurs, comme on le sait, visaient surtout à détruire le parti révolutionnaire.

 

LES HOMMES

Le nombre total ne semble pas avoir dépassé 1.200 survivants (4). Comme l'indiquait le reporter du Figaro, la plupart des chefs de la Commune se trouvaient là.

 Rochefort, le célèbre directeur de la Lanterne (la feuille du registre d'écrou le concernant a disparu) ; Assy, membre du Comité Central, premier gouverneur de l'Hôtel de Ville ; Billioray, membre de la Commune et du Comité de Salut Public ; Jourde, le délégué aux Finances de la Commune ; Arthur Arnould ; Régère, membre de la Commune, ainsi que Rastoul, Trinquel si énergique devant les juges du IIIe Conseil de Guerre malgré les invectives de Gaveau, l'hystérique commissaire du gouvernement qui dût être plus tard réintégré dans un asile d'aliénés. (On sait que parmi les autres accusateurs Grimel fut condamné à 5 ans de prison pour vol, Douville à 20 ans de travaux forcés pour faux et vols.)

Il faut ajouter Verdure, Humbert, Da Costa, Champy, Paschal Grousset, délégué aux relations extérieures, Trinquet. Da Costa et Humbert étaient condamnés aux travaux forcés. Les déportés appartiennent à toutes les professions et situations sociales, il n'y manque ni des industriels, ni des propriétaires à côté des maçons et des cordonniers, des journalistes et des médecins, ce qui atteste le caractère profond du mouvement communaliste ; les travailleurs manuels forment naturellement l'immense majorité. Les motifs de condamnation varient peu : commandement de bandes armées, excitation à la guerre civile, construction de barricades ou aide à cette construction, attentat contre le gouvernement (Saint-Etienne), port d'armes et d'uniforme, port et usage d'armes, envahissement des domaines publics, occupation d'édifices, d'églises, interruption de l'exercice d'un culte.

 Les uns ont été condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée, les autres, à la déportation simple, mais dans les dépôts le régime est le même pour tous.

 

 Henri Rochefort et Rastoul passent de Fort-Boyard au Château d’Oléron  puis à Saint-Martin où se trouve Billioray.

Le directeur de la prison d'Oléron était un nommé Ferrand, autrefois gardien- chef à Clairvaux, bonapartiste et clérical, ayant dans son cabinet, tout en touchant les appointements de la République, les portraits de Napoléon III et d'Eugénie de Montijo.

Par un raffinement de férocité, il avait parqué les déportés dans des basses-fosses infectes, situées au niveau de la mer, bien qu'il eût d'autres bâtiments inoccupés à sa disposition. La vie dans ces cases humides était intolérable. Les détenus, au nombre d'environ trois cents, y étaient entassés par soixante à la fois. Les prisonniers prussiens, qui avaient été enfermés là au temps de la guerre, y avaient laissé en les évacuants, des monceaux de vermine que le manque de soin n'avait fait qu'accroître.

 D'énormes rats d'eau couraient constamment sur la figure des condamnés pendant leur sommeil. Il n'y avait pas de matin où l'on ne trouvât sept ou huit de ces odieux animaux noyés dans le baquet où les déportés venaient puiser leur eau.

C'est pendant qu'il subissait toutes les tortures de cette existence, à laquelle il avait été si peu habitué, que les journaux bonapartistes racontaient que Henri Rochefort avait à sa disposition une voiture à deux chevaux qui, le promenait toute la journée dans l'île.

Un autre supplice s'ajoutait à ceux-là. Les officiers de la garnison, sous l'inspiration du directeur, avaient pris l'habitude de venir et d'amener leurs amis voir passer les détenus qui traversaient chaque soir une cour pour aller se coucher.

Naturellement, l'ancien membre du gouvernement de la Défense nationale était l'objet d'une curiosité toute particulière et les galonnés de Metz ne se faisaient pas faute d'échanger à haute voix des réflexions qu'ils essayaient de rendre désagréables pour le prisonnier désarmé. Après deux ou trois jours de ce régime. Rochefort n'y tint plus et écrivit au directeur la lettre suivante :

« Monsieur le directeur, depuis quelque temps, à l'heure où nous traversons la cour de la caserne, nous trouvons sur notre passage des officiers en uniforme et une société de dames qui paraissent se complaire à nous humilier de leur présence. Je vous avertis que si demain ce scandale se reproduit et si j'entends à mon sujet la moindre parole blessante, je sors des rangs et je vais souffleter le capitaine qui commande cette troupe de gens mal élevés. »

« HENRI ROCHEFORT. »

Le directeur, très troublé, fit appeler immédiatement le détenu et l'assura que ce n'était pas lui, mais les Arabes avec lesquels il était alors détenu, que les officiers et leurs femmes venaient voir. Mais le lendemain, la place était évacuée, et depuis, personne ne se retrouva sur le passage des déportés.

Les Arabes qui étaient alors à la citadelle d'Oléron et qui, plus tard, furent transportés à la citadelle de Saint-Martin-de-Ré, avaient été condamnés, au nombre de quatre-vingts, à la déportation dans une enceinte fortifiée pour l'insurrection algérienne de 1871. Parmi eux, on remarquait plusieurs caïds, des cheiks et des marabouts : Rochefort s'était lié avec les principaux d'entre eux qui lui donnaient des leçons d'arabe et à qui il donnait des leçons de français. L'un d'eux, Tahar-Ben Resguy, avait été élevé au collége d'Alger et parlait très couramment notre langue. C'était lui qui servait d'interprète.

Dans les premiers temps les rapports avaient été assez froids, les Arabes ayant cru que Henri Rochefort était un officier français. Or, soumis au régime des bureaux arabes dont le capitaine Doineau fut l'ornement, les malheureux marabouts, cheiks et caïds avaient pour nos militaires qu'ils appellent dans leur langage imagé des « grandes capotes » une aversion indestructible. ~ Ce fut seulement quand ils surent que leur compagnon de captivité était lui-même une victime „ des conseils de guerre qui les avaient condamnés qu'ils lui ouvrirent leur cœur. Ils avaient la naïveté de s'imaginer qu'Henri Rochefort pouvait les empêcher de partir pour la Nouvelle-Calédonie, car les Arabes ont de la mer qu'ils nomment « la bleue » une terreur folle. Ils lui demandaient constamment de solliciter leur grâce et Rochefort dut écrire à plusieurs reprises à divers députés au nom de ces infortunés.

M. Edmond Adam promit à son ami Rochefort de s'occuper d'eux, et, en effet, un jour qu'il dînait chez M. Thiers, l'ancien préfet de police parla à son amphitryon de la situation des pauvres indigènes, et il ajouta que c'était M. Rochefort qui lui avait écrit à ce sujet.

A quoi M. Thiers, toujours diplomate, répondit : « Eh bien, puisque M. Rochefort ne sait rien me demander pour lui, qui l'empêche de m'écrire directement à propos des Arabes? Dites-lui qu'il m'adresse des détails sur leur procès et il peut être sûr que je ferai droit à toutes ses réclamations. »

 

C'était, comme on le voit, mettre le prisonnier dans la cruelle alternative de laisser ces intéressants indigènes croupir en prison sous un climat meurtrier pour eux ou de mettre entre les mains de M. Thiers une lettre dont les formules épistolaires pouvaient être reprochées plus tard à celui qui l'aurait écrite comme un abaissement de sa dignité.

Rochefort nous a avoué qu'il avait été durant quelques jours très indécis sur ce qu'il devait faire ; il rédigea même pour ses co-détenus les Arabes un commencement de pétition au président de la République. Mais à la troisième ligne le cœur lui manqua, il se dit que puisque lui souffrait bien sans se plaindre et sans rien demander, les Africains en pouvaient faire autant et il déchira sa supplique inachevée. Les Algériens furent déportés. Henri Rochefort le fut aussi.

 

 

L'ORGANISATION DES DEPOTS

L'article du Figaro donne déjà une idée de cette organisation. On compte par dépôt un directeur, un greffier-comptable, un commis, un gardien-chef et 11 à 14 gardiens dont plusieurs auxiliaires, tous anciens sous-officiers.

Chaque dépôt est occupé par un détachement de troupes. Un médecin effectue des visites régulières. Les fournitures sont données à l'entreprise par soumission (Boumeau-Millot). Les directeurs ont été changés plusieurs fois pour raisons diverses : manque d'esprit d'organisation ou d'énergie surtout au Fort-Boyard trop exigu, Marquet et Drouhin notamment.

Ce dernier malgré les harangues moralisantes qu'il avait pris l'habitude de faire aux détenus pendant la promenade est ainsi jugé par le Préfet dans un rapport au Ministre : « Il a fait preuve d'une grande faiblesse et créé de sérieux embarras à l'administration supérieure...

Cédant aux exigences des détenus, il leur a concédé des abus de toute nature qui n'ont pu être supprimés qu'à grand'peine après son départ ». Mais les directeurs voient la chose d'autre façon. Pour souligner le rôle du gardien-chef Ferraci, Marquet écrit dans un rapport daté de Port-Louis le 28 mars 1872 : « A l'arrivée des condamnés aucune disposition n'était prise pour les recevoir. Pendant deux mois ils ont couché sans lit, sans draps, la paillasse ou le matelas reposait sur la pierre. Vêtus seulement des habits apportés par eux, plusieurs étaient dans un état vraiment misérable. Les rechanges de linge ne pouvaient être effectuées à temps. Souvent, pendant trois, quatre et même cinq jours nous avons attendu le pain et la correspondance. Cette dernière devait nous venir d'Oléron et combien de fois le pain reçu a-t-il été imbibé d'eau de mer !

« Le vin et le café n'ont été accordés que huit jours avant mon départ. Enfin pendant quatre mois, en présence d'une population encore exaltée, tout à coup enlevée à ses habitudes, aigrie par les privations de toute nature et bien décidée à se faire tuer plutôt que de céder à la force, nous avons eu la même garnison formée de soldats et d'officiers ayant combattu dans les rues de Paris et appelant de tous leurs voeux, ils ne s'en cachaient pas, une nouvelle lutte qui leur fournit un motif de représailles, une occasion d'obtenir des décorations... »

Drouhin rapportait au ministre le 14 janvier 1872 : « Le Fort Boyard n'a jamais été destiné à la détention. 50 militaires s'ont trop près des détenus où se trouvent plusieurs personnages importants de la Commune : Rochefort, Paschal Grousset, Verdure, Assy, Régère, etc.. Ces hommes peuvent à la longue acquérir une certaine autorité sur nos soldats.

 En cas de mauvais temps le fort est isolé : Six jours au début du mois. Les vivres sont alors raréfiés, la correspondance manque, les murmures s'accentuent et dégénèrent alors en sédition. Les soldats aigris peuvent prendre fait et cause pour les détenus, une lutte et une évasion peuvent s'ensuivre, ce qui serait une malédiction pour le gouvernement... sans compter les épidémies ».

Tout en accordant une augmentation de rations, le ministre répond que Boyard est défectueux mais sûr.

D'autre part, la loi sur la déportation « traîne ». « On en aura 1.400, donc il faudra en mettre encore davantage à Saint-Martin et créer un troisième dépôt ». La garnison est changée, Marquet remplacé par Drouhin qui cède la place à Ollivier. Le premier rapport de ce dernier est significatif : il parle de réserves insuffisantes de nourriture, de saleté, de manque de linge. « Les détenus se plaignent avec raison ». « Ils ne se gênent pas pour dire qu'ils ont fait partir deux directeurs qui étaient de connivence avec l'entrepreneur pour les voler. Le service est difficile, mais les employés de l'entreprise sont négligents. Plusieurs individus ont refusé la soupe sous prétexte qu'elle était mauvaise, on leur donnait du vin en remplacement ».

Pour la sous-préfecture de Rochefort, Drouhin semblait « avoir perdu la tête ». Ollivier était jugé comme « énergique » pour avoir « réprimé des rébellions à l'Ile d'Aix et rétabli la discipline dans la population très insoumise de ce dépôt ». Il avait empêché plusieurs évasions et reçu les louanges du général et du préfet maritime. D'ailleurs les gardiens eux-mêmes avaient un mauvais moral puisque le gardien-chef Lafosse avait démissionné.

Olivier utilisa des mouchards : il s'aperçut ainsi que des soldats étaient ravitaillés en pain par les détenus ! « Nous savons parfaitement ce qui s'y dit et ce qui s'y fait. Si certains condamnés sont tranquilles beaucoup d'autres attendent et cherchent même l'occasion de faire ce qu'ils appellent une affaire pour faire parler d'eux ».

On juge ainsi de ce que pouvait être, fin avril 1872, l'atmosphère de Fort Boyard.

 Le 4 mai le fort manquait encore totalement de vin et de charbon. Les détenus ont éprouvé de nombreuses « pertes », soit en colis à eux adressés, soit en divers objets leur appartenant. Au surplus,les relations n'étaient guère meilleures dans l'administration elle-même. Si Marquet et Drouhin se sont plaints du greffier Aurely qui «  a reçu plusieurs heures dans son bureau le frère de Paschal Grousset », le greffier menacé de sanctions n'hésite pas pour sa défense à accuser Marquet, Drouhin et l'entrepreneur de malversations, par exemple d'avoir donné des vivres de cantine aux détenus sans argent afin que le débet soit au compte du Trésor. Il signale au Préfet que les achats n'étaient pas enregistrés à l'arrivée mais que lui, a pris le soin de transcrire les mémoires.

En résumé, un « trou » de 1.360 fr 79 (5) a été fait dans la caisse et Marquet a eu de l'avancement ! Aurely proteste et demande la venue d'un Inspecteur général : peu après, il est nommé au Château.

A Oléron on note en juillet un coup de feu tiré par un soldat à travers la grille d'une embrasure (en violation des règlements) et qui fait deux blessés. Un mouchard nommé Durand, accusé par ses camarades d'avoir causé à Versailles une condamnation à mort, est évacué par l'administration sur les Saumonards.

A deux reprises, il a été sévèrement « corrigé » par les autres détenus. « La haine contre lui augmente de jour en jour » on l'a retiré des mains de ses agresseurs « la figure ensanglantée et les vêtements déchirés ». Un déporté mis au cachot a juré de le tuer à la sortie. Les détenus Bouchez de Fort Boyard et Clauzet du Château deviennent fous, le premier se croyant guetté par l'empoisonnement est fou furieux. Les deux hommes sont expédiés à Bicêtre.

Le directeur de Saint-Martin parle d'un complot avorté en mai 1872 à l'arrivée de « 160 fortes têtes de Fort Boyard ». 160 détenus ont été enfermés dans une casemate humide. « 103 ont fait leur soumission », 2 ont été inconvenants, le dernier a été maintenu pour « immoralité ». Mais il semble que la Préfecture n'ait guère pris le « complot » au sérieux et que l'imagination des directeurs a plus d'une fois dépassé la mesure.

Enfin des conflits éclatent entre gardiens et militaires, les premiers refusant les « marques de respect » aux officiers.

LES LOCAUX

Fort Boyard fut sans doute le pire de ces bagnes : « conditions hygiéniques inqualifiables » dit un rapport de février 1872 qui rappelle la promiscuité et les inconvénients des « températures élevées de l'été prochain ».

La citadelle du Château d'Oléron ne semble guère mieux pourvue : des deux rapports du docteur Luzet et du directeur Ferrand il ressort que si l'état de santé général est bon, l'entassement a des conséquences très graves : les châlits sont posés ras de terre à 40 cm. les uns des autres. Ils constituent ainsi des « nids à insectes et à rat ». Les parasites sont une « cause de souffrance et d'irritation qui entraîne les maladies cutanées et une irritation nerveuse avec absence de sommeil ». Le directeur propose les fumigations sulfureuses et la chaux vive, pas de parquetage mais la surélévation des lits, enfin les bains de mer qui auront lieu d'ailleurs assez fréquemment : le rapport de Ferrand note que l'état d'esprit est bon « en général ». On a installé 9 baignoires. Balayage et nettoyage sont aux frais de l'entreprise ainsi que le matériel de couchage.

A Saint-Martin, mieux pourvu, ce dernier comprend un lit de camp, un traversin de crin, un matelas, deux draps et deux couvertures.

 

HYGIENE CORPORELLE

Les détenus sont obligatoirement rasés deux fois par semaine, on leur coupe les cheveux une fois par mois, mais le manque de linge est fréquent, et une partie disparaît au blanchissage.

 

MALADES

Chaque dépôt a une infirmerie avec pharmacie. Un médecin fait des visites mais l'administration se refuse à admettre les grands malades dans les hôpitaux ordinaires malgré l'aggravation de leur état : on n'a confiance ni dans les infirmiers ni dans le public « assez porté à favoriser les évasions ».

 

LA NOURRITURE

C'est évidemment un problème essentiel. Comme les autres fournitures, elle est livrée à l'entreprise (Bouineau au Château, Fort Boyard et Saumonards, Millot et Bouyer à Saint-Martin).

Le cahier des charges donne de nombreuses indications théoriques. L'entrepreneur fournit une boisson d'été à base d'eau, de mélasse, d'acide tartrique, de gentiane, de houblon, de feuilles de noyer et d'essence de citron. C'est au moins ce que devront recevoir les détenus en juin, juillet, août. Le reste du temps un quart de vin, du café. Les rations alimentaires sont calculées pour 100 hommes à une livre chacun et deux rations par jour. L'essentiel consiste en la soupe. Pour 100 hommes : 30 kilos de pommes de terre, 8 kilos de carottes ou autres légumes de saison (pois, fèves, haricots ou choux), 1 kilo d'oseille cuite, 1 kilo de pois ou lentilles ou haricots ou gruau, 1 kilo de sel, du poivre, 1 kg 500 de beurre ou 1 kg 250 de graisse de porc. Lors de la germination, les pommes de terre seront remplacées par du riz, des légumineuses ou 16 kilos de légumes verts. Dimanche, Assomption, Toussaint et Noël : un service gras de 15 kilos de viande pour 100 individus (150 gr. par homme) plus des légumes. Pour 100 rations de 1/2 litre de soupe, 5 kilos de pain à tremper, de farine blutée à 22 % (ou 78 %). Le pain est fourni d'abord par l'autorité militaire ensuite par l'entrepreneur. La ration journalière est de 750 gr. de pain. C'est le régime des prisons militaires (nous verrons ce qu'en pensaient les détenus).

Enfin les déportés ont droit à la cantine, tout au moins en principe ceux qui ont de l'argent et certains n'en manquent point comme Perin et son fils « qui dépensent 25 fr. par semaine », Assy « qui doit recevoir de l'argent de « l'Internationale ». Cependant les détenus sont en état d'interdiction légale et leur argent est déposé au greffe (masse minima de 1 fr. 50). Les fonds de collectes extérieures sont refusés sur ordre de la Préfecture, ainsi l'envoi de 200 fr. fait par un certain Mazuyer à Caulet de Tayac et à trois codétenus du dépôt de Saint-Martin. La cantine permet l'achat de 500 gr. de pain par jour, de « deux portions ou plats, soit de viande soit de poisson, légumes, oeufs, beurre, fromage, lait ou fruits, 0 1. 50 de vin ou un litre de bière ou de cidre ».

La soumission Bouineau indique la valeur des prestations par jour pour le Château. Par homme valide, 0 fr. 52 ; par malade, 0 fr. 90. Combustible et éclairage sont aux frais de l'entreprise qui semble avoir été payée régulièrement.

Au Fort Boyard, la viande de cantine était fournie crue et la cuisine privée se faisait dans la casemate.

Le directeur d'Oléron écrit au préfet qu'il a reçu 20 condamnés de Boyard au mauvais esprit. « Ils veulent se lever et se coucher quand bon leur semble, manger dans le dortoir et non au réfectoire si cela leur plait, et circuler partout selon leur bon plaisir ».

 

L'HABILLEMENT

Il consiste surtout en effets militaires usagés et en sabots. Assy a enlevé ses galons mais a conservé son képi de colonel au moins jusqu'en novembre 1871. Avec 286 détenus on n'a pu au Fort Boyard changer de linge, 800 chemises et 860 draps ne revenant pas du blanchissage !

 

LES OCCUPATIONS

1) Les détenus ne sont pas astreints au travail. L'entrepreneur peut demander des volontaires. Celui qui accepte reçoit les 3/10e de son gain. Les tarifs du salaire journalier sont ainsi fixés à Oléron : lingerie, 0 fr. 50 ; maçon, 1 fr. 25 ; peintre (9 baignoires), 1 fr. 25 ; matelassier, 0 fr. 60 ; écrivain, 1 fr. ; manoeuvre, 1 fr. 25 ; le mètre de table est payé à un menuisier

1 fr. 40 et le mètre de banc 0 fr. 55. Aux Saumonards, l'écrivain reçoit 0 fr. 50.

Le travail manuel libre est interdit parce qu'il exige des outils, aussi en dehors de passe-temps divers les détenus se livrent-ils à la lecture et à l'étude : journaux, livres, cours.

 

2) LES JOURNAUX

Ce fut l'une des premières revendications et l'administration a été divisée à ce sujet. C'est ainsi que Ferrand leur était hostile ou tout au moins à la plupart. Certains détenus adressèrent des demandes individuelles d'autorisation, d'autres des demandes collectives.

Dès novembre 1871, Régère reçoit l'Indépendance de Bordeaux, Grousset, Champy, Jourde et Assy obtiennent une liste « préfectorale » : Le Temps, le Soir, le Journal des Débats, le Courrier de La Rochelle (6) et le Journal Officiel, L'Ordre (7) est interdit. A ces noms s'ajoute celui du Sémaphore de Marseille. Ainsi les Communards sont au courant des événements et nul doute que la lecture des journaux ait fait naître de nombreuses discussions et de nombreux espoirs.

Cependant il semble qu'en décembre 1872 on se soit inquiété à Paris de cette entrée des journaux dans les dépôts, ce qui entraîne une réponse de janvier 1873 (Directeur de Saint-Martin) assez curieuse : « Le droit de se tenir au courant de la vie politique a été accordé depuis dix-huit mois sans qu'il en ait résulté aucun fait d'indiscipline. Une mesure de réaction (sic) donnerait lieu aux récriminations les plus passionnées.

Aujourd'hui personne, ou peu s'en faut, ne parle plus d'amnistie et nos détenus sont bien délaissés par la presse radicale. Il suffirait assurément d'une circonstance de ce genre pour faire renaître au sujet de leur situation présente et future des polémiques éminemment regrettables (voir ci-dessous l'affaire du Times, N.D.L.R.). Sans doute, la lecture des journaux n'a pas pour effet de rendre les détenus meilleurs, mais il est certain aussi 0qu'elle ne saurait contribuer à les rendre pires. Sans influence appréciable par leur moralité sur leurs opinions, ou pour parler plus exactement sur leurs passions, elle me paraît avoir cet incontestable avantage de leur faire connaître l'état réel des choses et de leur démontrer l'inanité des espérances de prochaine délivrance dont les prisonniers politiques aiment généralement à se bercer.

 Il y a seize mois, lors de l'installation du dépôt, les condamnés semblaient très rassurés sur leur sort et leur attitude était celle de gens attendant une révolution aussi inévitable que prochaine. Aujourd'hui, leurs allures se sont bien modifiées. Ils ont vu jour par jour le gouvernement s'établir, se constituer, se fortifier. Ils n'ont certes pas abjuré leurs erreurs et ne se sont pas soumis, mais dans une certaine limite ils se sont résignés. Chez la plupart d'entre eux, le sentiment dominant est Incontestablement celui du découragement. En serait-il de même si la relation exacte et circonstanciée des faits qui se sont déroulés depuis l'époque de leur incarcération ne les avaient nécessairement arrachés à leurs chimériques espérances pour les rattacher quelque peu au monde réel ? Permettez-moi d'en douter... » L'homme ne manque pas de finesse.

En tout état de cause, les journaux continuèrent de pénétrer dans les dépôts non sans protestations de la part de Ferrand, notamment contre Le Soir. « Il semble s'être donné la tâche de recueillir dans les journaux de province pour les insérer ensuite dans ses propres colonnes en les accompagnant de réflexions presque toujours approbatives, des lettres émanant des maires de diverses communes et contenant des protestations plus ou moins acrimonieuses contre certains actes ou discours récents de M. le Ministre de l'Intérieur ». Il est décidé à arrêter les numéros douteux pour « obtenir le respect des détenus » (lettre au préfet). C'est ce qui fut fait partout.

Des revues furent également autorisées. Rousseau, licencie es Sciences préparant le Doctorat, lut en 71 la Revue scientifique, Verlet demande La Revue des deux Mondes (qu'il reçoit), La Revue de Philosophie positive ou La Revue des Cours littéraires, « toutes publications étrangères aux entraînements de la politique ».

 

3) LIVRES

Les détenus en reçoivent de l'extérieur :

Boint : de Victor Hugo, les poèmes (Feuilles d'automne, Voix intérieures, Les rayons et les ombres) ; d'A. Barbier, Iambes et Poèmes ; de Michelet, L'Histoire de France, celle de la Révolution, Le Directoire, L'origine des Bonaparte ; de Bùchner, Science et Nature ; de L. Hamel, Histoire de la Révolution Française ; de Moleschott, La circulation de la vie.

De Secondigné se voit accorder L'Histoire de la Révolution, de Louis Blanc, et L'Histoire de dix ans. Ouvrages et noms d'auteurs suffisent à exprimer l'état d'esprit des déportés les plus cultivés. D'autre part, ces livres circulaient et étaient certainement commentés.

Chaque dépôt dût constituer une bibliothèque en conformité avec les instructions officielles de 1864 et 1866 jointes aux catalogues. Ces livres sont fournis au Château par Florentin (de Marennes) à Saint-Martin par Dupont (de Paris). Nous avons la liste de ce dernier dépôt où voisinent Walter Scott, Corneille, Buffon, l'Homond, Rondelet, Thierry, Duruy, de Bonnechose, Lebrun, Souvestre, Mayne Reid, Bernardin de Saint-Pierre, De Foë et son éternel Robinson, plus le Cours d'agriculture en quatre volumes d'Ysabeau et La botanique au village, de Berthoud. A ces ouvrages « préparatoires » l'administration prévoyante joignit la distribution de nombreux exemplaires (un par vingt hommes en moyenne) d'un Voyage à la Nouvelle-Calédonie !

 

4) ETUDES

Très tôt les déportés demandèrent la création de cours et à se livrer à un travail intellectuel méthodique. Il en fut ainsi à Fort Boyard dès 1871, à Oléron où une salle fut spécialement réservée pour les travailleurs, enfin et surtout à Saint-Martin dont nous avons un emploi du temps et un rapport de Gallet.

Rapport par Gallet (secrétaire), G. Arnold (moniteur général), Gremlich (bibliothécaire) (26 juin 1872). Elèves inscrits : 160 (sur 400) ; assidus : 130.

Les abandons sont dus aux travaux manuels, zèle et assiduité des autres. « L'enseignement a surtout un caractère élémentaire et mutuel ».

Résumé :

Lecture (Professeur Avril : 20 élèves.

Ecriture (Baury, Pirotte, Monchau) « un des plus nombreux et des plus suivis » : 50 élèves.

Grammaire (.Clément, Beautrement) à deux degrés : 40 élèves.

Arithmétique (Poirier, Fédelas, Lecomte) (numération écrite et parlée, trois règles, fractions ordinaires et décimales) : 60 élèves.

Géométrie élémentaire (Van Haël) : 15 élèves. Il manque de compas (interdits).

Dessin d'ornement (Durand) : 20 élèves. Débuts pour beaucoup ; il faudrait des plâtres.

Histoire et géographie (Arnauld) : Plutôt une récréation qu'un enseignement (20 élèves). Il s'agit de « l'Histoire réelle de notre pays ». On en est actuellement à « l'entrée des Francs en Gaule ». La géographie universelle du globe terrestre, ensuite seront étudiées les différentes parties et subdivisions.

Anglais : 1er et 2° degré (Mansuy et Arnold) avec 15 et 8 élèves (ces derniers sont presque tous professeurs).

Ni Rochefort, ni Rastoul, arrivés à Saint-Martin le 16 mai, n'ont participé à ces cours qui avaient lieu chaque jour, matin et soir. Rastoul a demandé à organiser une consultation gratuite pour la population de Saint-Martin, ce qui a été refusé. Arnold, architecte de la ville, a levé le plan de la citadelle. En principe, l'administration n'est pas hostile à ces cours où le directeur a envoyé un jeune gardien « intelligent » lorsqu'il ne pouvait s'y rendre lui-même. En effet, ils constituaient une garantie supplémentaire de discipline en occupant les détenus.

La Préfecture refusa cependant d'autoriser la constitution d'une chorale. Par une lettre du 22 mai 1872, un certain Janssoulé en fit la demande à l'intention des offices du dimanche et « comme il l'avait fait à Versailles » : « Les Communards (sic) peuvent croire, aimer et se dévouer ». « Il est vrai que ceux-là se moquent des calomnies et des colères vaines des co-détenus ignorants, les ennemis de la République dont ils ne comprendront jamais les principes, essentiellement honnêtes ». Il faudrait donc former « une école vocale ». « Avec le chant sérieux on chasse l'ennui qui fait naître les idées telles. Ces mêmes jeunes gens qui s'idéalisent en traduisant de nobles chants peuvent, par l'ennui, s'abandonner aux inspirations mauvaises de la haine et de la démagogie ». A cette lettre, l'auteur joignait les paroles et la musique de deux chants choraux, à caractère nettement religieux et dont le premier est techniquement remarquable :

Au seul mot de Patrie et Fils des Gaulois superbes, composés dans les prisons de Versailles le 19 septembre 1871. Le préfet refusa pour motif de discipline. Il est probable qu'on entrevit des troubles possibles. En effet, bien des divisions existaient parmi les déportés, aux opinions beaucoup plus diverses qu'on ne le croyait à l'époque.

 

LES RELATIONS FAMILIALES

La correspondance était énorme, bien que réglementée, les visites autorisées : Mme de Rochefort avait une autorisation illimitée (8). Plusieurs détenus se marièrent, notamment à Oléron, au besoin après sommations respectueuses aux parents. Les nouveaux mariés (malgré au moins une protestation) n'obtinrent pas de rester seuls, sans gardien. La police recherchait les familles dont les détenus étaient sans nouvelles. Billioray reçut ; visite de sa femme, de même Arnold, Grousset celle de son frère, Rastoul celle de sa compagne Mme Lopez et des enfants qu'il avait d'elle. Nombreux étaient ceux dont la situation était tragique, ainsi ce Jaussoulé, dont la mère est morte de chagrin, dont la femme vient de décéder et dont le père est infirme !

 

LES DECES

Ils ont été peu nombreux... Quatre aux Saumonards et à Oléron avec cérémonie religieuse et cercueil de quatrième catégorie. Notons qu'au point de vue religieux on indique pour Saint-Martin, en août 1872, 399 catholiques et 11 protestants qui reçurent la visite du ministre rochelais Gustave Good. Il semble qu'on ait eu l'idée d' « évangéliser les détenus pour les ramener dans la bonne voie ».

 En fait, le clergé était considéré par les Communards comme le principal soutien du parti de l'ordre après avoir été celui de Napoléon III.

 

L'ATTITUDE DES DEPORTES

Malgré l'existence avérée d'un nombre très réduit de mouchards, il ne paraît pas que les Communards aient cédé à leurs adversaires sur le plan des idées, ni sur celui de leur situation de prisonniers. Peut-être sont-ils dans l'ensemble relativement résignés et aspirent-ils souvent en fait à un départ qui leur ouvrira de nouvelles perspectives et surtout celle de l'évasion que bien peu d'ailleurs réussiront. En tout cas, ils n'ont jamais cessé de manifester leur mécontentement.

Nous possédons un certain nombre de protestations, voire de revendications en règle. La plus importante est celle du 28 mars 1872, longue de cinq pages et annotée « à classer » au crayon rouge. Elle provient du Château d'Oléron et porte plusieurs signatures, dont celles de Verlet, Wauters, Gauthier, etc.. La rédaction est de Verlet. Ils demandent : le cahier des charges, la liberté de correspondance, la suppression de la masse, le droit de reverser au compte d'un camarade, des denrées moins réduites et moins chères à la cantine, le droit de faire acheter à volonté, que le tabac ne soit pas mesuré, l'achat d'un litre de vin par jour, l'autorisation de recevoir des colis, un éclairage libre et individuel, une discipline plus tempérée, notamment en ce qui concerne les peines collectives et les diminutions de rations, Il n'y a pas de règlement pour la durée des punitions et le cachot est infect. D'après le Directeur, on ne peut y demeurer plus de quatre jours sans danger. Or certains ont été maintenus de dix à quinze jours pour des motifs futiles. Les gardiens manquent de politesse.

 On exige la liberté de réunion avec conférences sur des sujets industriels, scientifiques et politiques. D'autres journaux doivent être autorisés, ainsi que le travail manuel. La nourriture est plus abondante qu'en février mais laisse à désirer. Le dimanche et le jeudi, on ne distribue qu'une soupe, et les légumes sont détestables. Aussi les signataires réclament-ils la désignation parmi les détenus d'une commission de 12 membres (deux par chambrée) chargée de réceptionner les vivres en vérifiant les quantités et les poids et d'assister à leur emploi. Deux membres seraient de service chaque jour. Les vêtements sont trop vieux, le linge contient de la vermine, il peut avoir été souillé par des syphilitiques ; les chemises sont sans boutons. On ne donne ni mouchoirs, ni bas, ni serviettes et des sabots sans chaussons !

Ce à quoi l'administration tenait par-dessus tout, ainsi que le Ministère, c'était à ce que rien ne sorte à l'extérieur des dépôts pour remuer l'opinion.

Or, en octobre-novembre 1872, éclata l'affaire du « Times ». Le 24 octobre, le journal français Le Temps publie l'analyse d'une lettre adressée par 29 détenus du Château d'Oléron au grand quotidien anglais et que ce dernier s'est empressé de reproduire.

C'est, en fait, le double d'une lettre déjà adressée au Président de la République Thiers, par un nommé Parraton, qui semble avoir été un remarquable agitateur. Aux demandes d'explication qui lui sont adressées, le directeur Ferrand répond par une justification et annonce la révocation de deux gardiens auxiliaires « convaincus d'intelligence avec le détenu ». Le préfet qui transmet ces informations demande au ministre s'il faut publier une réponse dans la presse pour « défendre l'administration accusée de fermer les oreilles aux réclamations qui lui sont soumises ».

Le ministre dit qu'aucune réponse n'est due à des accusations « sans fondement » et il approuve les révocations. Parraton est un « meneur », il a été envoyé du château à Saint-Martin lors du transfert de Rochefort et Rastoul. « Il a été cause qu'un grand nombre de ses camarades ont été punis ». « Mais il faut examiner les faits ».

Ceux-ci sont les suivants : tabac insuffisant et en vrac (sera livré en paquets désormais), linge insuffisant (faux), vivres (ceux accordés par décisions ministérielles) : « la majorité » est satisfaite, appels trop fréquents (à Saint-Martin on comptait les détenus dans les chambrées) d'où plaintes de « MM. de Rochefort et Rastoul ». Détournements de fonds (Parraton n'a rien, mais à l'avenir supprimer le fonds de réserve des détenus). La décision ministérielle correspond aux faits indiqués et aux explications corrélatives. Cependant, en novembre, le reporter du Times, Charles Austin, obtient à Paris l'autorisation de visiter le dépôt du Château. « Laisser visiter, donner toutes explications, respecter le règlement relatif à la personne des prisonniers ».

Le système de couchage avec châlits de bois à terre a été reconnu mauvais par l'inspecteur général, il faut le remplacer par des châlits en fer du type militaire. Il faut utiliser les autres bâtiments de la caserne et permettre ainsi ,1a désinfection des chambrées actuelles avec blanchissage, pyrèthre et chlore. Enfin la cour est trop restreinte pour le nombre de détenus, elle est insuffisamment aérée et infectée par les égouts ». Le ton est de la plus grande fermeté comme il sied à des gens qui ne se ; considérèrent jamais comme des malfaiteurs mais comme les vaincus provisoires d'une lutte justifiée.

Cet envers du tableau rejoint d'ailleurs, on le voit, certains rapports administratifs. ; D'autres protestations sont à citer : de Ferrat (Saint-Martin) contre les sanctions de nourriture et la suppression de cantine « en raison de réclamations », de Janssoulé sur la nourriture « du pain, de l'eau chaude et de l'eau pour boisson c'est au-dessous de la nourriture qu'on nous offrait dans les premiers jours ; de haine et de vengeance ». Champy (Château) réclame une visite du préfet. Roanne (Château) se plaint de la nourriture, du manque d'espace (80 mètres carrés pour 300 hommes du tabac, des entraves à la correspondance, de la coupe de la barbe et de la moustache, des cheveux ras (comme les forçats de droit commun), de la cantine. Perrin, architecte de profession, demande au préfet Tenaille-Saligny « à qui adresser sans danger une  nomenclature des réclamations générales qui nous sont interdites sous menace du cachot ». Il évoque le manque de bonne foi du fournisseur, la qualité et la quantité exigibles n'étant jamais données. Il faut protéger de malheureux prévenus qui ne peuvent obtenir des juges ».

Cette lettre de novembre 1872 échauffe la bile du directeur : il met en garde le préfet contre « ce discoureur très dangereux, le même individu qui avait si bien interprété l'allusion que vous avez faite aux mesures expéditives de 1852, se fait l'avocat d'office des détenus du quartier F ». L'administration ne peut admettre que le plus instruit ou le sans-le-sou prennent la défense de leurs camarades.

(On devrait pouvoir retrouver les résultats de l'enquête.)

Deux Anglais s'étaient déjà présentés pour distribuer des livres religieux dans les dépôts, mais l'autorisation leur avait été refusée.

 

LES DEPARTS

A partir de mai 1872 commencèrent les embarquements pour la Nouvelle-Calédonie. Les détenus reçurent l'autorisation de se faire photographier à l'intention de leurs familles. Peu à peu, les Saumonards, Fort Boyard se vidèrent, de même le Château, les derniers déportés étant concentrés à Saint-Martin.

Nous avons des indications sur les départs suivants :

1) La Danaë, avec 303 détenus dont 166 d'Oleron et 137 de Saint-Martin, le 3 mai 1872. La liste nominative porte en tête 20 noms à l'encre rouge : ceux des déportés jugés « dangereux pour insubordination et mauvaise conduite ». Le numéro 1 considéré comme « très dangereux » est Jules Frigaux, cuisinier de 23 ans, né à Condé-sur-Noireau. Il est de « caractère vindicatif et violent ». On a réuni les pères et les fils ! Les condamnés semblent résignés, mais on a noté « par-ci par-là » dans le public des « gestes de compassion ».

2) Le 2 juin 1872, La Guerrière, avec 125 détenus et sans commentaires.

3) Le 6 octobre 1872, Le Var : 203 détenus d'Oléron et des Saumonards où il en reste encore 495. Un Allemand nommé Junker a été éliminé. L'aviso La Comète a fait le transport. « Au départ du Château a eu lieu une tentative de manifestation à laquelle ont essayé de s'associer une dizaine de leurs camarades restant au dépôt. Cette manifestation s'est traduite par des cris et des chants séditieux qui n'ont cessé que devant l'intervention énergique et réitérée de l'administration ».

 Des sanctions ont suivi. Aux Saumonards, il y a eu, d'autre part, des cris de Vive la Commune! Ainsi le troisième départ a été marqué par une nette réaction des déportés, l'aveu officiel n'en peut réduire la portée réelle. Même aspect à Saint-Martin où l'on crie : Vive la France ! Vive la République ! Vive la Commune ! Vive Madame Rastoul !

4) Le 31 décembre 1872, départ de L'Orne avec 322 détenus. 32 déportations ont été commuées en prison ou bannissement (la durée partant de la date du commencement de la peine).

Les 11 et 12 janvier, le fort des Saumonards se vide au bénéfice du Château et de Saint-Martin.

5) Le 18 juin 1873, départ du Calvados remplaçant La Garonne indisponible : il n'emmène pas moins de 560 condamnés. On a embarqué à Saint-Martin le 16. Nous avons des détails assez nombreux.

La commission sanitaire instrumente le 12 au Château et le 13 à Saint-Martin pour opérer le dernier tri. Chaque homme est muni de son « trousseau », soit dans un sac de toile : trois chemises, un pantalon de drap, deux pantalons! de toile, deux blouses de toile, une vareuse de drap, un tricot de laine, une cravate de laine noire, deux paires de souliers, une flanelle, une trousse avec aiguilles et fil, une brosse, un képi, trois mouchoirs, fourniment militaire.

A Saint-Martin, l'embarquement a dû se faire au port de la ville avec défilé aux cris de : Vive la République ! et au chant de La Marseillaise.

Au Château, où l'on avait dès la veille transbordé les bagages, les détenus ont été divisés en quatre brigades avec piquets de 30 hommes. Sans aucune manifestation, ils se sont rendus sur quatre rangs à l'embarcadère. Gaigé emmenait son fils de 10 ans ! Un déporté reçut sa grâce in-extremis, un autre trop tard, plusieurs jours après le départ ! Les derniers enfermés d'Oléron (dont on parlait de faire une maison centrale) furent dirigés | sur Saint-Martin. Ils étaient 62.

Là se termine la documentation déposée dans nos Archives f départementales. Sans permettre de résoudre tous les problèmes et sans répondre à toutes les questions, soit à travers le style l compassé ou revêche des uns, soit dans celui plus vibrant et passionné des autres, elle laisse filtrer quelques reflets de ce qui fut la grande holocauste propitiatoire à la IIIe République.

Claude Fernand LAVEAU, Agrégé d'Histoire, Attaché de Recherches au C.N.R.S. de Paris,

NOTES

N° 1. — Jourde, Ballière, Paschal Grousset, Rochefort, Olivier Pain et Granthille s'évadèrent avec l'aide d'un capitaine de navire autrichien. En 1875, Rastoul et dix-neuf de ses camarades partirent en barque de l'Ile des Pins et disparurent. Trinquet fut repris après une tentative, tandis que son compagnon se noyait.

N° 2. — Fournier, maire de La Rochelle et bonapartiste, donne en 1871 (29 avril) dans son « journal » inédit quelques renseignements supplémentaires sur Fort Boyard : les condamnés ont reçu de nombreux colis. On pense qu'ils sont « détenteurs d'armes ». Les plus exaltés sont Assy et Régère. Rochefort est à l'infirmerie ; quant à Paschal Grousset, il paraît « triste et abattu ». L'excitation est d'autant plus grande que les navires destinés à la déportation sont arrivés (La Danaë et La Guerrière). Fournier a recueilli les confidences du préfet Tenaille-Saligny qu'il n'aime pas parce que « partisan du 4 Septembre » et maire de « ce coupable gouvernement » dans le 1er arrondissement de Paris. Le préfet est inquiet à la suite de sa dernière visite au fort. Un des condamnés est allé jusqu'à lui mettre la main sur l'épaule « en l'apostrophant ». Directeur et garnison ont été changés. Il s'agit ou de partir au plus vite ou de transporter 54 des plus exaltés dans la citadelle de Saint-Martin « où il y a des moyens d'isolement, des cachots, ce qui manque à Boyard ». A Paris, on ignore encore que Boyard est isolé au milieu des flots et qu'on ne peut y aborder par mauvais temps, d'où des ordres et des réponses du plus haut comique. Ainsi un jour le ministre de l'Intérieur ordonne d'employer les détenus aux travaux des champs !

Pour 400 détenus, il y a à Boyard 100 à 150 soldats et les détenus seraient mieux traités qu'eux. Des rumeurs d'incendie et de délivrance par la force ont couru. Mais le départ ne semble pas proche. « On n'est pas pressé de s'en séparer ». Certains « ont des amis très haut placés et très influents dans les ministères ». Et Fournier ajoute : « Je ne demandais pas tout cela au préfet qui n'en fait pas mystère ». D'autre part, on dit que « Régère serait porteur de valeurs considérables ».

Ce témoignage corrobore ce que nous disions plus haut. Il est intéressant de noter que des influences ont joué jusque dans les sphères gouvernementales contre les déportations (9) et qu'en tout cas le Fort Boyard où se trouvaient les chefs de la Commune était devenu le cauchemar de l'administration.

 

Henri Rochefort (Paris-Nouméa-Genève) / Olivier Pain

Les Communards dans les prisons charentaises (1871-1874), Laveau (Claude-Fernand)​ 

 

 

 

 

Fort Boyard de la plage de Boyardville située à l'orée de la forêt des Saumonards. <==

 

 


 

(1) Ex. de 1940 à 1946. 30

(2) Dite des Quatre-Sergents.

(3) Député à l'Assemblée nationale. 32

 (4) Nombre total des déportés : 3.709 plus 20 femmes et 102 Arabes en onze départs de 1871 à 1874 sur la Nouvelle-Calédonie.

(5) Francs-or 1872.

(6) Républicain.

(7) Bonapartiste.

(8) Rochefort avait reçu la visite d'une certaine Mme Coras. Cette dernière « chaperonnait » une soi-disant « fille » qui se prétendait enfant d'Alfred de Musset. Rochefort écrivait à cette Tessum Onda : « Ne vous tourmentez pas ma petite blonde, on ne me fait pas de mal. Je vous écrirai tous les jours ». Les deux « associées » s'étaient établies à Rochefort.

(9) On sait qu'après la chute de Thiers ce dernier fut régulièrement et violemment accusé par les presses légitimiste et bonapartiste d'avoir promis aux chefs survivants de la Commune l'instauration de la République et d'avoir freiné les déportations, notamment celle de Rochefort.

 

 

 

 

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