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PHystorique- Les Portes du Temps
8 juillet 2020

Le sceau de Jeanne Plantagenet, reine de Sicile et comtesse de Toulouse.

Matrice de sceau double en argent de Jeanne d'Angleterre datant de 1196-99, trouvé à l'abbaye de Grandselve, aujourd'hui conservé au British Museum

Les sceaux-matrices du moyen âge ne sont pas rares, quoi qu'en aient pu dire certains spécialistes qui, par un paradoxe étrange, s'efforcent de prouver que l'intérêt du cachet est primé par celui de son empreinte; mais certainement rien n'est plus rare que les sceaux portant le nom d'un personnage historique.

Le cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale conserve celui de Constance de Castille, femme de Louis VII; le musée de Berne s'enorgueillit de celui de Charles le Téméraire, abandonné comme chose vile sur le champ de bataille de Granson ; celui de Gille de Rais, l'odieux prototype de Barbe-Bleue, était dans la collection Dongé, et le scel aux causes du bon roi René appartenait au savant et regretté Hucher, du Mans. Au musée de Toulouse, nous trouvons le magnifique sceau de Bernard VI d'Armagnac et celui du Prince Noir pour les assises de Puymirol;

Conservés précieusement à cause des diplômes qu'ils authentiquaient, les sceaux de cire ont souvent survécu, tandis que cancelées, perdues ou ensevelies avec leurs propriétaires, les matrices ont depuis longtemps disparu : le bronze indestructible a moins duré que la cire fragile !

Quelquefois pourtant, c'est le contraire qui s'est produit, et tel est particulièrement le cas pour le sceau de Jeanne Plantagenet, comtesse de Toulouse. Aucun sigillographe n'avait été assez heureux, à notre connaissance, pour le trouver plaqué au bas de quelque charte, lorsqu'un beau jour le hasard le fit recueillir par M. le chanoine Pottier, sur l'emplacement de la riche et puissante abbaye de Grandselve.

Peu d'objets dans nos collections offrent autant d'intérêt, un intérêt plus palpitant que les sceaux; car, outre les innombrables services qu'ils rendent à l'histoire, à l'archéologie et à la diplomatique, ils ont ce caractère unique de mettre en rapport, plus que l'écriture elle-même, avec les hommes d'autrefois.

Le sceau, en effet, est quelque chose d'intermédiaire entre la signature et le portrait. Dans la majorité des cas on ne saurait, sans exagération, y voir un portrait véritable, mais il en approche tellement, il donne tant à connaître des goûts, du caractère, de l'allure, du costume de son propriétaire, qu'il constitue au plus haut degré ce qu'on pourrait appeler un document humain, en prenant ces termes dans leur expression la plus élevée.

 A ces diverses sources d'intérêt, le précieux sceau matrice de l'épouse de Raymond VI joint celui qui s'attache au nom d'une princesse chevaleresque comme l'aventureux Richard Coeur de Lion dont elle était la soeur, princesse dont la vie romanesque et sans cesse ballottée entre le trône et la captivité, le deuil et les combats, nous fait involontairement songer à l'histoire de cette Fiancée du roi de Garbe, dans laquelle tant de lecteurs ne voient qu'un conte licencieux, alors qu'en réalité, — M. Emile Montaight l'a admirablement démontré, — c'est une mélancolique et pessimiste tragédie dont la fatalité est le noeud, comme dans les drames d'Eschile.

Pour l'archéologue comme pour le simple rêveur, ces deux antiques plaques d'argent précieusement ciselées évoquent tout un monde disparu, la tragique famille des Plantagenet, le royaume normand de Sicile, le comté quasi-royal de Toulouse, les croisades et le douloureux roman de l'infortunée princesse qui dort depuis six cents ans sous les dalles funèbres de Fontevrault.

 

Publiée d'abord par M. le chanoine Pottier dans le Bullelin de la Société que ce savant a fondée et qu'il dirige avec tant de talent et de zèle, ce sceau l'a été une seconde fois dans les Proceedings of the Society of Antiquaries of London, par sir John Evans, l'illustre auteur de tant de beaux travaux sur les âges de la pierre et du bronze, ainsi que sur la numismatique anglo-saxonne.

 Le premier de ces mémoires est bien connu des érudits du sud-ouest; le second, malgré son réel intérêt, l'est beaucoup moins; aussi avons-nous pensé que ce serait peut-être rendre service à ceux de nos confrères qui s'occupent plus particulièrement de sphragistique, d'en donner une traduction fidèle, car ils y trouveront sur la mère du dernier comte de Toulouse des renseignements empruntés à des sources anglaises assez rarement consultées en France et surtout dans notre Midi.

Au reste, pour nie pas nous borner au rôle de simple traducteur, nous n'avons pas craint d'ajouter au travail si substantiel de sir John Evans de nombreuses notes historiques et critiques, véritable commentaire dans lequel nous avons condensé une partie de ce que nous aurions dit nous-même sur le sceau de Jeanne Plantagenet, si la bonne fortune nous était échue de le publier le premier. »

 

EXTRAIT DES Proceedings of the Society of Anliquaries DU 30 JANVIER 1879.

« J'ai le plaisir de présenter ce soir à la Société les empreintes d'un sceau destiné, je crois, à intéresser vivement tous ceux qui s'occupent de notre histoire nationale, car il n'a pas été publié jusqu'ici dans notre patrie. C'est le sceau de Jeanne, fille de Henri II d'Angleterre, reine de Sicile.

 Il est en argent et a été découvert dans les ruines de l'abbaye cistercienne de Grandselve (A).

 Cette abbaye, presque entièrement détruite pendant la Révolution, en 1793, faisait autrefois partie du diocèse, de Toulouse, bien que placée actuellement dans celui de Montauban. Il n'en reste plus maintenant que la porte d'entrée et une petite partie de l'hospitium (B) pour les étrangers.

Elle était située en pleine campagne (0), dans le canton de Verdun-sur-Garonne, à proximité de Bouillac, la ville la plus importante des environs, dans l'église de laquelle se trouvent encore de beaux reliquaires et des coffrets émaillés ayant autrefois appartenu à l'abbaye (D),.ainsi qu'un beau tableau de Lesueur et quelques autres objets.

La matrice, ou mieux les matrices, trouvées à Grandselve et qui font l'objet de cette communication, appartiennent à mon ami le chanoine Pottier, de Montauban, qui leur a consacré, dans le Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne (E), dont il est président, un mémoire auquel j'emprunte quelques-uns des détails suivants.

Je suis encore redevable.à M. le chanoine Pottier des empreintes placées sous vos yeux et que je suis heureux de pouvoir joindre aux collections de.la Société.

Ce sceau, comme c'est fréquemment le cas pour les femmes et les ecclésiastiques, est de forme ovale ogivée (pointed oval) (E). Sur l'une des valves, comme on peut le voir sur la planche ci-jointe, se trouvé le portrait en pied de la reine, vêtue d'une longue robe serrée à la taille (B).

Sur ses épaules est jeté un long manteau tombant jusqu'aux pieds, bordé d'hermine et retenu sur la poitrine par une double cordelette sur laquelle passe la main droite, comme l'a remarqué M. le chanoine Pottier (F).

Dans l'autre .main, à moitié étendue, est un sceptre très court, terminé par une grosse fleur de lis (G). Sur sa tête est une couronne à trois pointes terminées paires, fleurons (H). Tout autour, est placée l'inscription suivante :

+ S. REGINE,I.OHE FILIE QVONDAM H. REGIS ANGLORVM.

L'autre face du sceau représente; la reine assise sur un pliant sur lequel est placé un coussin piqué. Elle est habillée comme il a été dit précédemment mais le manteau est ramené sur ses genoux.

Sa main gauche est posée sur son coeur (I) et, de la main droite, elle tient la singulière; croix évidée de Toulouse (J). Sous ses pieds est placé un coussin ou une natte (K). ;.

La légende est ainsi conçue :

+ S. IOHE DUCISSE NARB. COMITISSE THOE MARCHISIE PROV (L).

 

La figure en pied est à peu près pareille, à celle, des sceaux de la reine Eléonore d'Aquitaine, mère de Jeanne.

L'autre effigie présente un caractère plus royal et diffère peu de celle de son père Henri II, sur ses sceaux de majesté. Il était d'usage pour les veuves de rois, même lorsqu'elles se remariaient avec un personnage d'un rang inférieur, de garder; le titre de reine.

 Sur leurs sceaux (M). La première valve de notre sceau-matrice, est probablement celle dont Jeanne se servait pendant la vie de son époux.

Le comte de Toulouse, son second mari, avait les titres de duc de Narbonne et de marquis de Provence que portaient ses ancêtres depuis Raymond de Saint-Gilles; quoique le premier ne fut guère qu'honorifique, en Provence toutefois il avait des possessions considérables.

La croix de Toulouse que Jeanne tient de la main droite semble avoir été adoptée pour la première fois par Raymond IV lorsqu'il partit pour la terre sainte. Elle est inconnue, ce me semble, à la science héraldique anglaise.

Les hérauts d'arme français la disent vidée cléchée. et pommetée. Standfort, dans son Histoire généalogique blasonne ainsi les armes de Toulouse « de gueules à la croix vidée et boutonnée d'or ; » mais cette croix n'est pas celle que l'on connaît généralement sous la dénomination de a boutonnée » (botoné) .(N). Plus exactement, c'est une croix vidée, pâtée, pointée et pommetée d'or aux trois angles de chaque bras (O).

 

Quelques notes ne seraient pas inutiles sur Jeanne elle-même.

De sa femme, Eléonore de Guyenne, Henri II eût cinq fils et trois filles, dont Jeanne était la dernière quoique le roi Jean fût encore plus jeune qu'elle; Elle était née, d'après Standfort, à Angers, en France, au mois d'octobre 1164; mais Matthieu Paris (1) et Ralph de Diceto placent cet évévement dans l'année suivante.

En 1174 (2) elle suivit son père, sa mère et son frère Jean en Angleterre, lorsque Henri II alla faire pénitence à Canterbury (P).

En 1176, à l'âge de douze ans, elle fut demandée en mariage par Guillaume II, roi de Sicile (3), qui députa pour cet objet une ambassade à Henri II. A la suite d'un conseil tenu à Londres, cette demande fut agréée, et, une ambassade alla porter la réponse favorable. On fit les préparatifs du départ, et, en septembre 1176, ou peut-être au commencement de 1177, la jeune fille arriva à Palerme, où elle fit de nuit une entrée triomphale. La ville était illuminée avec tant de profusion qu'elle paraissait toute en feu (4).

 Le 9 novembre 1176, ou le 13 février 1177, elle épousa Guillaume II et fut solennellement couronnée dans la chapelle royale de Palerme, en présence de l'évêque d'Evreux et des autres membres de l'ambassade anglaise qui l'avaient accompagnée en Sicile.

Son contrat de mariage, par lequel le roi Guillaume lui donnait Monte-San-Angelo, Siponte, et nombre d'autres villes comme douaire, est conserve dans la Chronique de Roger de Hoveden, qui a donné aussi une figure du sceau de Guillaume.

Celui-ci eut de Jeanne un fils, qui fut créé duc d'Aquilée, mais qui mourut en bas âge (1180). Guillaume mourut aussi (Q),  ne laissant pas d'autre enfant, et son trône fut usurpé par son cousin Tancrède, qui relégua Jeanne en prison.

En septembre 1190 (5), le frère de celle-ci, Richard Ier, allant en terre sainte, s'arrêta à Messine et réclama Jeanne à Tancrède, qui la renvoya, avec une escorte de galères, de Palerme à Messine, où elle reçut la visite de Philippe, roi de France, qui, d'après le chroniqueur, « la vit et en fut charmé. »

Le 30 septembre, Richard s'empara de la Bagnara, place forte où il mit sa soeur ; puis il fit des démarches auprès de Tancrède pour lui faire rendre sa dot, qui fut réglée à la somme de 20,000 onces d'or (R).

Parmi les objets réclamés par Richard, il faut noter un trône d'or que Jeanne possédait, suivant la coutume des reines de ce pays, cathedram auream ad opus ejusdem Johannae de consuetudine reginarum illius regni (6). Il est possible que le fauteuil sur lequel Jeanne est représentée assise soit ce même trône (S).

Jeanne resta en Sicile jusqu'au printemps de 1191, époque à laquelle Eléonore, sa mère, vint à Messine, amenant avec elle Bérengère de Navarre, la future épouse de Richard, qui la laissa en compagnie de Jeanne.

En avril, elles s'embarquèrent pour Saint-Jean-d'Acre (T) ; mais le navire qui les portait fut poussé par la tempête sur les côtes de Chypre, où firent naufrage plusieurs vaisseaux de l'escorte, dont les passagers furent retenus comme prisonniers par Isaac Commène, « l'empereur de Chypre. »

 Les reines elles-mêmes furent capturées; Richard ayant appris leur captivité, vint attaquer Isaac, s'empara de l'île et y célébra son mariage avec Bérengère (7).

En juin, ils arrivèrent à Acre, où Jeanne et Bérengère furent placées sous la garde de Bertrand de Verdun.

A la saint Michel 1192 (8), les reines quittèrent la côte d'Asie, et, en 1193, durant la captivité de Richard, elles passèrent six semaines à Rome, puis se rendirent à Poitiers.

Le mariage de Jeanne avec Raymond VI, comte de Toulouse qui, dans la suite, se distingua comme chef des Albigeois, eut lieu en 1196 et, dans le courant de l'année suivante, naquit son fils Raymond. Langtoft (9), cependant, antidate ce mariage en le plaçant avant la captivité de Richard,

Le roys en repayraunt devers regioun

 Fet marier sa soer of ly queus Raymoun

Le counte de Saint Gile homme de graunt renoun.

La cause réelle de ce mariage paraît avoir été une discussion entre Raymond et Richard, à propos des droits de la reine Eléonore, mère de ce dernier, sur le comté de Toulouse, droits auxquels elle avait renoncé par son contrat de mariage.

 

La vie conjugale de Jeanne ne fut pas de longue durée.

 Pendant l'été de 1198, elle était avec Raymond à la cour de Richard, à Poitiers. A leur retour, le comte de Toulouse voulut parcourir ses possessions du Languedoc et de la Provence, laissant sa femme seule dans sa capitale.

Profitant de l'absence de leur suzerain, quelques-uns des vassaux se révoltèrent, et Jeanne, en digne soeur de Richard, prit le commandement des troupes restées fidèles et vint assiéger les rebelles dans le château de Caser. Bientôt, pourtant, trahie par ses propres soldats, elle dut s'enfuir pour sauver sa vie.

Elle alla rejoindre son frère Richard pour lui demander des secours, lorsqu'elle apprit qu'il venait lui-même d'être tué au siège de Châlus. Ce second coup semble avoir été trop lourd pour elle, car, bien qu'elle eût pu rejoindre à Rouen son autre frère, dès lors roi d'Angleterre, elle ne put recouvrer ses forces, et mourut bientôt après en septembre 1199.

Elle fut enterrée, dans l'abbaye de Fontevrault, où son fils devait être enterré, lui aussi, plus tard. Il lui restait encore un autre enfant, une fille nommée Marie, qui se maria plus tard avec Barrai du Baux, prince d'Orange (X).

Tel est le bref récit de l'existence orageuse et pleine d'événements de la personne royale dont le sceau est sous vos yeux (Y), et qui ne vécut pourtant pas plus de trente-cinq ans. J'ajouterai seulement ceci, c'est que-Raymond VII, sou fils, suivit son exemple dans la légende de son sceau; car il se qualifie lui-même, dans son testament, de Filius quondam Regins Johannoe (Z). »

 

 

 

Jeanne Plantagenet, Reine de Sicile, comtesse de Toulouse fille d’Henri II Plantagenet roi d’Angleterre et d’Aliénor d’Aquitaine<==.... ....==> NOTES SUR L'ABBAYE DE GRANDSELVE fondée en 1117 par Géraud de Salles, abbé de Fontevraud.

 


 

NOTES.

 

(1) Hist. Ang., t I, p337. Ymag, Hist, t..I, p, 317.

(2) M. Paris, Hist. Ang., 1384.

(3) Chron. Rog. de Hoveden, t. II,. p;. .94

 (4) Chron. Rog. de Hoveden, t. II, p. 95.,M. Paris et Ralph de Diceto donnent la date du 9 novembre 1176. ;

(5) Op. cit. t. III, p. 55. Itin. Reg. Rie, t. I, p. 154. Voir aussi la Chronique de Langtoft, t. II, p. 43, et celle de R. do Diceto, t. II, p. 85.

(6) Chron. Rog. de Hoveden, t. II, p. 61.

(7) Chron. Rog. de Hoveden, t. III, p. 10.

(8) Chron. Ralph de Diceto, t. II, p. 106. - -

(9) Chron., t. II, p. 112.

 

(A) Il serait téméraire de résumer l'histoire de ce célèbre monastère : nous nous contentons de renvoyer à l'importante étude de M. Jouglar, publiée dans les Mémoires de la Société archéologique du Midi, t. VII, p. 179; à celle de, M. F. Pottier, L'Architecture monastique dans le Tarn-et-Garonne, dans le Congrès archéologique de 1865, et au premier volume des Documents historiques sur le Tarn-et-Garonne, de M. François Moulenq. Le sceau de Bertram III de Bruaval; abbé de Grandselve, a été, publié dans les Sceaux gascons du moyen âge, n° 83, d'après l'empreinte apposée sur un titre de. 1317,

(B) Cet édifice fut construit vers 1727.

(G) « Ma grande et bien-aimée forêt, » disait saint Bernard (F. Pottier, De Dieupentale à Grandselve, Bullet. archéolog. de Tarn-et-Garonne, p. .301).-

(D) Les autres reliquaires sont aujourd'hui dans l'église. d'Ardus, près de, Montauban (voir F. Pottier, Deux phylactères du Trésor de Grandselve, in, Bullet. archéolog. de Tarn-et-Garonne, 1.89.5, p. 344 et suiv.). Parmi les reliques, qui ont disparu, il en était une particulièrement précieuse au point de vue historique : c'était un fragment de la vraie croix, enfermé dans la croix en vermeil léguée à l'abbaye par le célèbre Foulques, évêque de Toulouse et de Marseille. C'était avec cette croix que le belliqueux prélat avait béni l'armée de la croisade albigeoise (L'Eglise abbatiale de Grandselve et ses reliques, par l'abbé Galabert, in Bullet. archéolog.- de Tarn-et-Garonne, t. XV, p. 212).

(E) Sceau inédit de Jeanne d'Angleterre, comtesse de Toulouse (Bulletin archéologique de Tarn-et-Garonne, t. V, pp. 261-270).

(E') C'est proprement la forme dite ogivée. M. le chanoine Pottier le décrit ainsi : « 11 est gravé avec une rare perfection, et présente une particularité » dans la manière dont il a dû être mis en usage. Ce n'est pas le sceau et le » contre-sceau dans leur forme habituelle, avec attache saillante au revers, mais » une double matrice plate, munie, à chacune de ses extrémités, d'un appendice » percé d'un trou dans lequel entrait une tige d'argent fixée à la partie correspondante » (Mémoire cité, p. 261).

(E'') Jeanne est revêtue d'un ample bliaud très étoffé, plus semblable à la stola antique qu'au vêtement étriqué que nous venons de nommer. Celui-ci était ajusté à la taille, tandis que la robe de Jeanne est assez ample pour que les plis, en retombant, cachent la ceinture. On retrouve le même costume sur le sceau de Marguerite, comtesse de Foix (1281) (Sceaux gascons du moyen âge, n° 199). En somme, sauf l'hermine dont est doublé son manteau, les vêtements de la comtesse de Toulouse sont ceux que porte la femme connue sous le nom de Galla Placidia sur le célèbre diptyque do Monza. La survivance du vêtement antique est manifeste, mais il nous est impossible de décider s'il faut y voir une mode particulière au Midi, ou si le graveur arrangeait les choses d'après les modèles romains qu'il avait sous les yeux.

(F) Cette attitude est fréquente sur les sceaux féminins des douzième et treizième siècles. Nous la trouvons sur ceux de Constance de Castille (1134-1160), de Blanche de Castille (1248), d'Yolande de Bretagne (1259), d'Isabelle, reine de Navarre (1271), de Blanche d'Artois (1275), de Marguerite de Provence (1294), etc. Au siècle suivant, on le retrouve encore, mais les graveurs interprètent plus librement un type convenu. Leur oeil, qui ne copie pas encore la nature, en a la vision plus large et plus précise; d'hiératique, l'art devient réaliste, en attendant qu'il en arrive à comprendre et à exprimer la beauté.

(G) Il est impossible de voir là un sceptre; car le sceptre est essentiellement caractérisé par le bâton de commandement, verge assez longue .que termine un emblème quelconque. Or, ici, il n'y a que l'emblème, le fleuron terminal, la grosse fleur de lis naturel ou mieux d'iris, que la reine tient du bout des doigts par l'extrémité du pétiole. Tous les sigillographes ont interprété comme nous cette représentation qui apparaît sur tous les sceaux de reine et de princesse avant celui d'Isabelle de Hainaut, l'épouse de Philippe-Auguste.

Cette reine portant pour la première fois un sceptre véritable (Collection des Archives Nationales, n° 1537), et ce qui ne laisse aucun doute, de l'autre main une fleur d'arum ou de lis d'eau (Viollet-le-Duc, Dictionnaire du mobilier français, t. IV, p. 323, fîg. 2). Ajoutons que quelquefois la princesse représentée tient une fleur de chaque main; c'est le cas pour le sceau de Constance de Castille, conservé au Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale. Qu'on nous permette ici une petite digression sur les sceptres. Celui de Charlemagne, décrit dans le roman de Gui de Bourgogne (vers 1842 et suiv.), était orné de quarante-cinq anneaux qui bruissaient au, moindre mouvement (Viollet-le-Duc, loc. cil., t. IV, p. 321). Cotte bizarre décoration nous fait songer aux sceptres (?) do l'âge du bronze, que l'on a comparés à ceux de certains prêtres de l'Extrême-Orient.  

 (H) Les fleurons de cette couronne se terminent en fleur de lis. II faut noter qu'ils sont perpendiculaires au bandeau, et non divergents comme sur presque toutes les couronnes connues. Etait-ce une modo particulière aux souverains de la Sicile? La chevelure paraît flotter librement derrière la tête, ce qui nous éloigne beaucoup .des deux lourdes tresses si chères, à cette époque, aux damés françaises, qui les entouraient de multiples torsades de rubans. Sur la seconde valve du sceau, les cheveux de Jeanne se répandent de mémo en liberté sur le dos, mais, sur le front ils sont disposés en boucles innombrables; genre de coiffure qui, si nous ne faisons pas erreur; n'a pas encore été signalé par les historiens du costume. C'est encore là, sans doute, une modo méridionale, plus voisine des modes d'Italie que de celles de France.

(I) Cette main paraît s'appuyer aux cordons du manteau; c'est la répétition en contre-partie de l'attitude décrite d'après le sceau précédent. Notons que cette position de la main s'observe surnombre de monuments romains de basse époque. Voir le diptyque du consul Félix (428), Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, de M. Saglio, t. II, fig. 1906.

(J) Constance, femme de Raymond V, comte de Toulouse, tient de même, sur son sceau, une petite croix, qui n'est autre, apparemment, que celle de Saint-Gilles (Lequoy de la Marche, Les sceaux, p. 204). Raymond V lui-même est figuré sur son sceau de majesté tenant de la main droite une épée, et soutenant de la main gauche un château à trois tours, le château Narbonnais sans doute. Du reste, le beau-père do Jeanne est drapé à l'antique, ce qui est à rapprocher du caractère déjà signalé dans le costume de sa bru. On n'a pas assez fait attention jusqu'ici à l'importance vraiment très grande des traditions de l'art classique, dans celui des sceaux du moyen âge. Nous aurons à en signaler d'autres exemples encore au cours de ces notes, en attendant que nous en fassions l'objet d'une étude spéciale.

(K) « Un coussin à étoffe quadrillée, » dit M. le chanoine Pottier (loc. cil., p. 264), «est placé sous ses pieds. » L'examen attentif de l'excellente empreinte que nous avons sous les yeux permet d'affirmer que cet objet n'est pas plus une natte qu'un coussin. Pour une natte, il a trop d'épaisseur, et pour un coussin, pas-assez. C'est une sorte.de marchepied plat, carré, orné d'un réseau de carrés posés en diagonale, encadré d'une large bordure privée d'ornements; et dont nous ne trouvons pas d'équivalent dans les nombreuses reproductions de sceaux que nous avons étudiées. Par contre, ce marchepied apparaît sur certains diptyques consulaires, sur celui d'Areobindus (Dict. des antiq. grec, et rom., II, fig. 1911), quoique celui qui y est représenté soit proportionnellement plus épais que celui de notre sceau, et surtout sur celui d'Anastase (l'an 517; Ibid., t. II, fig. 1907), ou ce scabellum est exactement pareil, à l'ornementation près, à celui de la mère de Raymond VII.

(L) Je n'entrerai pas, et pour bien des raisons, dans une discussion paléographique; mais je ne puis me dispenser de noter les différences que présentent les lettres dans les deux inscriptions, franchement onciales, — quand c'est le cas; — dans la seconde, elles ont une allure plus régulière dans la première. Il est certain, en tout cas, que chacune de ces légendes a été gravée av.ee des poinçons différents : d'où la conclusion inévitable qu'elles ne soit pas l'oeuvre d'un même tailleur de sceaux ; ce qui permet de croire, avec sir John Evans, que si la seconde a été faite à Toulouse, la première est bien celle dont se servait Jeanne, pendant qu'elle était reine do Sicile, et que, par conséquent, cette première valve est l'oeuvre d'un orfèvre italien, qui d'ailleurs était, à notre humble avis, beaucoup moins artiste que son confrère languedocien.

 (M) « Les veuves de rois, remariées en secondes noces, à des comtes, conservaient la qualité de reine sur leur sceau.» Nouveau traité de diplomatique (t. IV, p. 251), cité par le chanoine Pottier (loc. cit., p. 262).

(N) Boutonnée, dans ce cas, devrait être traduit, d'après les règles héraldiques, par bourdonnée.

(O) La croix à Toulouse est vidée, cléchée, pommetée et alezée d'or sur champ de gueules. Dans son subjectif roman : La Croisade albigeoise, M. Roschach a trouvé une expression des plus imagées pour la dénommer, et cette dénomination : o la croix d'or aux douze pommeaux, » vaut une définition. Il y aurait une étude très intéressante à faire sur la forme qu'elle a eu, suivant les époques. Elle, était tellement populaire dans la région, surtout associée à l'agneau des armes de Toulouse, que sur le sceau de l'abbaye do Saint-Jean-de-la-Castelle, l'agneau de Dieu, désigné du doigt par saint Jean-Baptiste, la porte sur son épaule (Sceaux gascons, n° 275).

(P) Pour l'expiation du meurtre de Thomas Becket, qui, il n'est pas inutile de le rappeler, fut un moment gouverneur de Cahors après la conquête du Quercy par Henri II. « Le chancelier resta pour assurer .les conquêtes que l'on avait faites. Il fortifia Cahors, emporta de vive force trois châteaux, considérés comme imprenables jusqu'alors, et jouta contre un chevalier français dont il ramena le cheval comme preuve honorable de sa victoire, » dit Lingard, cité par Guillaume Lacoste, Hist. génér. de la province de Quercy, t. II, p. 69.

(Q) En 1189, à l'âge de trente-deux ans. Sancto Germano dit de lui : « Legis et Justitiee cultus tempore suo vigébat in regno ; sub erat quilibet sorte contenais, ubique securitas, nec latronum metuebat viator insidias, nec maris nauta offendicula piratarum » (Script. Rerum Ital., t. VII, p. 965), cité par Gibbon, ch. LVI (édit. Buchon, Paris, 1836), t. II, p. 617. M. le chanoine Pottier donne une grande part de ces éloges à la jeune épouse du prince sicilien : « Douée de grandes qualités, on peut supposer, dit-il, que cette jeune reine ne fut pas étrangère aux actes qui méritèrent à Guillaume le surnom de Bon. Sous son règne, l'armée de Sicile soutint contre-Andronic, empereur de Constantinople, une guerre mêlée de succès et de revers, il est vrai, mais put acquérir-un grand renom de valeur; les arts furent en honneur ; les magnifiques cathédrales de Palerme et de Montréal sont encore debout pour en fournir le témoignage » (loc. cit., p. 267).

(R) Richard revendiquait en outre le legs que Guillaume II avait fait, à son beau-père Henri II, et qui consistait en « une table d'or de douze pieds de » longueur sur un et demi de largeur, une tente de soie assez spacieuse pour » contenir deux cents personnes, soixante mille mesures de vin, autant de blé, etc. » (Lingard, t. II, p. 499, cité par M. le chanoine Pottier, loc. cit., p. 268)".

(S) L'hypothèse est séduisante, mais quelque peu discutable. Quoi qu'il en soit de l'origine du fauteuil sur lequel la comtesse de Toulouse est assise, il est fort intéressant à étudier, car nous y trouvons un type peu commun dans les monuments de l'époque. M. le chanoine Pottier l'a rapproché des fauteuils à têtes d'animaux, véritables pliants d'apparat qu'on trouve sur la plupart des sceaux royaux de majesté, et qui sont à la fois les premiers des trônes et les ancêtres de nos fauteuils, si nous en croyons les étymologistes. Celui-ci est plus original dans sa forme, plus sobre d'ornementation; un simple pliant aux montants guillochés et terminés en haut et en bas par de grosses boules également couvertes de ciselures.

 Ce pliant est simple, c'est-à-dire qu'il n'a pas les montants à rainures qui, dans les trônes des rois de France et dans celui dit de Dagobert, consolidaient l'ensemble et cachaient, quand le siège était replié, les montants en X pivotant autour d'un axe central, distinction qui paraît avoir échappé aux principaux spécialistes dont les opinions ont été passées en revue par M. H. Havard dans son excellent Dictionnaire du mobilier.

Sauf les dimensions des éléments constitutifs, ce siège est absolument pareil au pliant romain de -bronze conservé au Musée du Louvre, dans la salle des bijoux antiques, et qu'on a appelé à tort sedia curulis, car cette classique chaise, — tous les monuments consulaires, bas-reliefs, dyptiques et médailles le proclament, — avait les montants doublement arqués, de manière à ramener leurs extrémités supérieures et inférieures dans un même plan perpendiculaire. Notons encore la ressemblance que présente le coussin posé sur ce siège avec celui du Christ de l'Evangéliaire de Charlemagne, jadis conservé au Musée des Souverains, et concluons, sans étendre plus loin cette trop longue note, que le siège de Jeanne de Toulouse est bien digne d'une étude approfondie.

(T) Dans ce voyage, la soeur de Richard Coeur de Lion eut l'occasion de connaître Géraud de Labarthe, archevêque d'Auch, conseiller intime du fougueux monarque, anglais, et aumônier de son armée, qui assista, dans l'île de Chypre, au couronnement de la princesse Bérengère (Sceaux gascons, n° 5).

N'est-il pas permis de penser que cet éminent prélat ne fut pas étranger au mariage de Raymond VII avec la jeune veuve du roi de Sicile, et qu'en tout cas il dut favorablement disposer celle-ci en faveur de l'abbaye de Grandselve, à laquelle il s'intéressait assurément, puisqu'il fut témoin, en 1181, de la confirmation des droits accordés à cette abbaye par le comte do Bigorre, Gaston de. Béarn.  

(U).« Dictus cornes anno Domini M.CXCVI illustrera dominam Johannam sororem Ricardi régis Angliae, post mortem Guillermi régis Siciliae cujus uxor fuerat, in uxorem duxit, et ex ea genuit dictum Raymundum ultimum, anno Domini MCXCVII, quem peperit apud Bellicardum, Diocesis Arelatensis » (Ayméric de Payrac, Chronique manuscrite, Bibl. Nat., lat. 4991 A, f°174 V°, col. 2).

Le comte de Toulouse était marié en troisièmes noces avec Bourguigne, fille d'Amaury de Lusignan. Il la répudia pour épouser Jeanne. D'après Guillaume Lacoste (Hist. de Quercy, t. II, p. 127), ce mariage fut célébré en Angleterre, le 20 octobre 1196.

(V) Aymeric de Peyrac est si rarement cité, que nous nous faisons un devoir de reproduire les paroles de l'humble chroniqueur moissagais sur ces tragiques événements : «  Quae postquam de partu surrexerat, cùm esset mulier animosa et provida et zelans injurias viri quod multi milites et magnates ostendebant, contra dominos sancti Felicis castrum eorum, qui dicitur Caser, obsedit et expugnavit ; sed parvum sibi profuit, quibusdam qui erant cum ea ministrantibus arma obcessis et necessaria proditionaliter et ocultè. Vix sera ei liquit de castris egredi, donec immisso igne a proditoribus, flamme occurrerent  exeunti, cujus injuriae dolore permota ad fratrem , regem Ricardum proferebat injuriam ostensura. Quem cùm mortuum invenisset, cùm pugnans esset, duplici oppressa dolore mortua est, et ipsà sepulta ad pedes matris suae Alienar regine Anglias, juxta fratrom suum Ricardum sepultum ad pedes  Henrici patris sui in ecclesia Fontis Ebrandi » (Loc. cit., f° 174 v°, col. 21.

(X) Un dos descendants de cette fille, Agout des Beaux, était capitaine général en Languedoc et sénéchal de Toulouse en 1341. Ses sceaux, où se trouve la croix de Toulouse en partie, sont plaqués sur des ordonnances où il nous apparaît comme dirigeant les opérations militaires en Gascogne contre les Anglais!... (Sceaux gascons, n° 258). 

(Y) Je viens de comparer scrupuleusement avec deux bonnes empreintes les gravures du sceau de Jeanne qu'ont publié M. le chanoine Pottier et l'illustre président de la Société royale des Antiquaires de Londres.

La seconde est infiniment supérieure à la première, mais ne présente pas pourtant la fidélité désirable en pareille matière. Les proportions du corps sont altérées, — la tête particulièrement est grossie,.— les traits du visage mal saisis, les plis des vêtements superficiellement reproduits. Pour une oeuvre de cette importance, une reproduction photographique semble de rigueur.

(Z) Raymond VI s'était tant de fois marié, qu'il était indispensable à Raymond VII de spécifier le nom de sa mère, alors surtout qu'il avait hérité d'elle, l’Agenais et probablement aussi le Quercy, malgré les affirmations contraires, mais non convaincantes, des historiens, de cette province.

 

 

 

Société archéologique du Midi de la France.

 

 

 

 

 

 

NOTE BIBLIOGRAPHIQUE

Les chroniqueurs anglo-normands Robert de Torigni, Roger de Hoveden, Peter Langstoft, Raoul de Coggeshale, Gervais de Canterburv, Raoul Dicet, Benoît de Peterborough, etc. mentionnent les événements principaux de la vie de Jeanne d'Angleterre, mais on lira avec plaisir le roman de Jean Renart, traduit en français moderne par André Mary en 1925.

Sur la Reine de Sicile, Mgr Testa, archevêque de Montreale, a donné une bonne relation dans sa bibliographie de Guillaume en 1769, complétée en 1844 par Huillard-Bréholles dans ses Recherches sur l'histoire des Normands en Italie méridionale. La troisième croisade a été racontée par ceux-là même qui y ont participé : Ambroise, dans l'Estoire de la guerre Sainte, traduite en français moderne par Gaston Paris en 1897 et Peter Langstoft, sans oublier les Anecdotes et beaux traits de la vie du Sultan Saladin, par Behâ ed-Din, paru en 1884 dans le recueil des historiens des Croisades.

La monumentale Histoire générale du Languedoc renferme de nombreux renseignements sur la Comtesse de Toulouse, dont une note de Paul Meyer sur Les femmes et les enfants de Raymond VI, au tome 7.

Le meilleur travail sur la mort de Richard Cœur de Lion, à Chalus, nous semble être celui de l'abbé Arbellot, en 1878.

Le cimetière des Rois, dans l'abbatiale de Fontevraud, est décrit par Honorat Nicquet en 1642, et le mausolée à arcade, aujourd'hui disparu, magnifiquement gravé dans A Genealogical History of the Kings of England, par Sandford, en en 1677. Louis Courajot a donné une étude très détaillée sur les gisants dans la Gazette des Beaux-Arts du 1er Décembre 1867, et l'architecte Louis Magne a fait paraître son rapport de fouilles dans le Congrès archéologique de 1910, tome 2, page 155.

Il nous plaira enfin de signaler que la meilleure biographie de Jeanne d'Angleterre a été écrite par une femme ; nous la devons à Mary-Anne Everett Green, qui a écrit soixante-huit pages, solidement documentées, dans ses Lives of the Princesses of England, parues à Londres en 1850, complétées par une notice de Miss K. Norgate dans le vingtneuvième volume du Dictionary of National Biography, Londres 1892.

 

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