18 mars 1152 Le concile de Beaugency prononce l'annulation du mariage entre le roi de France Louis VII et Aliénor d'Aquitaine pour cause de consanguinité

Vers ce temps, Louis avait perdu son sage conseiller Suger; il était un instant livré à lui-même. Que se passa­ t-il alors entre les deux époux? C'est ce qu'on ne peut que conjecturer par l'événement qui suivit. Or, voici cet événe­ment dans le récit le plus simple d'une Chronique contempo­raine:

Tandis que Louis et Aliénor entreprenaient une tournée des fiefs de la reine pour assurer le transfert d'autorité en prévision d'une séparation, on apprenait la mort, à Château-du-Loir le 4 septembre, de Geoffroy Plantagenêt.

Fin février, après avoir passé Noël à Limoges et séjourné à Bordeaux, Aliénor et Louis se séparaient aux confins nord du Poitou.

Le roi, faible, scrupuleux et jaloux, n'eut pas de repos, et demanda au pape la permission d'assembler un concile à Beaugency-sur-Loire.

Les archevêques de Reims, de Bordeaux, de Sens, de Rouen, s'y rendirent le 18 mars 1152.

Dans cet intervalle, Louis retira les garnisons qu'il avait mises à Bordeaux, Blaye, Limoges et autres principales villes et châteaux d'Aquitaine; il se rendit aussi à Beaugency, et somma la reine aussi d'y comparaître.

Le concile a lieu dans l’église abbatiale.On vit entrer une multitude de seigneurs, de barons et d’abbés, parmi lesquels  était le célèbre Bernard de Clairvaux, l’apôtre des croisades, qui commandait à plus de cent monastères, et qui eut pu commander des armées.

Et quand vient le moment de la délibération, le roi assiste au compte-rendu tandis qu’Aliénor reste au château.

Sombre château de Beaugency... il fait si froid, en ce mois de mars, gris et brumeux !

Et ce n’est pas la grande flambée qui pétille dans la cheminée de la salle austère où la reine attend qui va réchauffer son âme glacée...

L'évêque de Langres, qui représentait le roi, exposa la demande et les raisons que Sa Majesté avait de la faire, fondées sur les atteintes portées à la fidélité conjugale; et après avoir assez crûment articulé les fautes réelles ou supposées de la reine, demanda le divorce. «Le roi, dit-  il, ne peut plus se fier à cette femme; il ne serait jamais assuré de la lignée qui proviendrait d'elle. »

Geoffroi, archevêque de Bordeaux , président du concile , né sujet de la maison de Guienne, se chargea de plaider la cause du bien et de défendre l'honneur de sa reine; il écarta, avec adresse et avec les ménagements que les circonstances exigeaient, toutes les questions délicates, toutes les assertions offensantes pour la réputation d'Éléonore, et allégua des raisons graves, d'une nature politico-religieuse, contre la dissolution, qu'il prévoyait devoir être une honte et une source d'incalculables malheurs.

« Si le roi, dit-il, n'avait eu que ce moyen à alléguer pour parvenir à la séparation qu'il paraissait demander, elle ne pourrait pas avoir lieu, non-seulement parce qu'on convenait de sa part qu'il n'y avait aucune preuve certaine de l'infidélité qu'on reprochait à la reine,  et que tout se réduisait à des soupçons mal fondés, mais parce que, si ces motifs étaient ceux du divorce, les époux ne pouvaient ni l'un ni l'autre passer à de secondes noces; qu'à l'égard de la parenté, il n'en était pas de même: qu'on ne pourrait disconvenir qu'elle était prouvée dans le degré prohibé, les deux époux étant issus, l'un l'autre, par les femmes, de la maison de Bourgogne, et étant alliés du quatrième au cinquième degré. Mais que, dans ce cas, s'il plaisait au roi, on pouvait se flatter d'une dispense à laquelle on donnerait bien plus volontiers la main qu'à une dissolution. »

Cette parenté « prohibée et incestueuse » consistait en ce que Hugues-Capet, bisaïeul du grand-père de Louis VII, avait épousé Adélaïde (ou Adèle) d'Aquitaine (dite aussi Adélaïde de Poitiers ou de Poitou) soeur de Guilhem Fier-à-Bras, trisaïeul d'Éléonore.

Cela faisait six générations ; les canons n'admettaient des mariages légitimes qu'après le septième. Les plus chers intérêts de la France furent ainsi sacrifiés aux prescriptions du droit ecclésiastique.

Avec Éléonore, tous les États de Guilhem X sortaient de la maison royale, à laquelle il n'allait plus rester, outre Loire, que le comté de Bourges. Éléonore n'avait pas donné d'enfant mâle au roi.

Après quoi on vient lui annoncer la nouvelle, rapportée par Boucher dans les Annales d’Aquitaine :

« Ils en prirent la charge à grand regret car bien savaient que la chose serait fort déplaisante à la pauvre reine, laquelle incontinent qu’elle en fut par eux avertie tomba évanouie d’une chaise où elle était assise et fut plus de deux heures sans parler ni pouvoir pleurer ou desserrer les dents... »

Fut prononcé le 21 mars 1152 que les deux filles nées de l'union royale sera confiées à la garde de leur père. La sentence ne fut pas soumise au pape, qui n'intervint pas, parce qu'aucune des parties ne réclama c'est un pape qui le déclare.

 La réputation de la reine était en lambeaux, mais du moins n'y eut-il ni répudiation, ni scènes publiques comme l'ont affirmé à tort certains historiens romantiques en mal de "scènes à faire".

La légende d'Aliénor la scandaleuse prit cependant forme dont se feront l'écho plusieurs compositions de troubadours et qui fera fantasmer les moines de l'abbaye d' Ottobeuren en Bavière, comme en témoigne le chant 10 des Carmina Burana, « Were diu werlt aile min » :

 

Si tout le monde était à moi,

Des ripes de la mer jusqu 'au Rhin,

J’y renoncerais volontiers

Pour tenir la reine d'Angleterre

Couchée dans mes bras.

 

 

La Reine  retourna à Blois; mais le comte Thibaut de Blois vou­lant l'épouser par force, eam per virm nubere volente, elle s'enfuit de nuit et, par suite de cette évasion, vient à Tours ; et comme Geoffroy Plantagenet, fils de Geoffroy, comte d'Anjou, frère de Henri, voulait la prendre pour épouse et l'enlever au port de Piles, avertie par ses anges,  elle retourna par une autre voie dans son pays d' Aqui­taine, et là Henri, duc de Normandie, la prit pour épouse; ce qui mit entre lui et Louis, roi de France, une grande  discorde. »

 

De divortio regis Ludovici et Aleenoridis regine.

Sequenti tempore, preterita non longa annorum revolutione, accesserunt ad regem Ludovicum quidam propinqui et consanguinei sui et convenerunt eum, dicentes quod inter ipsum et Aleenoridem, conjugem suam, linea consanguinitatis erat, quod etiam juramento firmare promiserunt.

Audiens hce rex, noluit eam contra legem catholicam ulterius uxorem habere.

 Proinde Hugo Senonensis archiepiscopus (1), convocavit utrumque, regem videlicet Ludovicum et reginam Aleenoridem, ante presentiam suam apud Baugentiacum (2).

Qui convenerunt ibidem precepto ipsius, die veneris ante dominicam de (A) ramis palmarum (3), ubi etiam interfuerunt Sanson Remensis (4), Hugo Rothomagensis (5) et (B) Burdegalensis archiepiscopi (6), quidam quoque suffraganei ipsorum necnon optimatum et baronum regni Francie non minima pars.

Quibus congregatis in castro supra memorato, predicti consanguinei regis juramentum quod facturos se fore (C) promiserant exequuti sunt, videlicet quod rex et regina Aleenor, sicut supra taxatum est, affinitate consanguinitatis propinqui erant (7), et sic inter eos matrimonii copula soluta este (D).

 Quo peracto Aleenor terram suam Aquitaniam celeriter requisivit, quam sine mora Henricus, dux Normannie, qui postea in regnum Anglorum sublimatus fuit, uxorem sibi accepit (8)

 Rex autem Ludovicus duas filias quas de Aleenoride genuerat maritis desponsavit, primam scilicet Mariam Henrico, comiti palatino Trecensi, juniorem vero, videlicet Aaliz, fratri ejus Theobaldo, comiti Blesensi.

Proinde rex, volens secundum divinam legem vivere que precipit ut vir adhereat uxori sue et suit duo itz carne una (9), propter spem successive prolis que post ipsum regnum Francie regeret, Constantiam, filiam imperatoris Hispanie (10), conjugio sibi junxit, et Hugo, Senonensis archiepiscopus, Aurelianis eam in reginam inunxit (11) et cum ipsa regem coronavit.

Qui postquam per aliquod tempus pariter permanserunt, rex genuit ex ea unam (E) filiam, nomine Margaritam.

Dispositione vero Romane ecclesie eadem Margarita sociata fuit matrimonio Henrico, filio Henrici regis Anglorum et Aleenoridis, uxoris sue, qui postea in solio regni Anglie sublimatus fuit.

Vilcassinensem autem terram dedit rex Margarite filie sie in matrimonio, quam Henricus, rex Anglorum, puter illius Henrici, ipsi immunem concesserat (12)

 

 

La vie d’Aliénor d’Aquitaine<==.... .....==> Après le concile de Beaugency de 1152, la duchesse Aliénor d’Aquitaine déjoue par deux fois des tentatives d’enlèvement

 

 

 

 


 

Les ponts au moyen âge sur la Loire depuis l'an mil.

Sur la fin du IXe siècle, la dynastie des Carolingiens cessait de régner. Hugues Capet, fils de Hugues le Grand, comte de Paris, était élu roi de France par tous les barons du royaume avec le consentement de la nation, et en l'année 987 l'empire germano-franc n'était déjà plus qu'un souvenir.

 

(A) In G

(B)  Entre et Burdegalensis, il y a un blanc dans A.

(C)  Se facturos G.

(D) Ici, à la marge, dans A, d’une main contemporaine, la note suivante : Anno incarnationis dominice M°C° LIII°, dimisit abbatiam Hugo Cripeiensis, que uno anno sine pastore fuit. Que completo, Gaufridus abbas substitutus est, qui post duos fere annos curam pastoralem reliqui, egritudine cogente, cui successit Theobaldus.

(E)   unam deest G.

 

 

(1)   Hugues de Toucy (1142-1168)

(2)   Beaugency

(3)   Le concile de Beaugency fut tenu le 21 mars 1152

(4)   Samson de Mauvoisin (1140-1161)

(5)   Hugues d’Amiens (1129-1164)

(6)   Geoffroy de Lorroux (1136-1158)

(7)   Voici la généalogie de Louis VII et d’Eléonore, telle que la donnent les Bénédictins (Hist. De France, XII, 117) ; elle est assez peu certaine :

Thibaut Tête d’Etoupe, duc d’Aquitaine

Guillaume Fierabras

Adélaide, femme d’Hugues Capet

Guillaume le Grand

Robert 1er

Guillaume VIII

Henri 1er

Guillaume IX

Philippe 1er

Guillaume X

Louis VI

Eléonore

Louis VII

 

 (8) Le mariage d’Henri II et d’Eléonore fut célébré dès le 18 mai 1152. La guerre indiquée plus haut, entre ce prince et Louis VII, suivit cette union.

(9) Evang. S Mat., XIX, 5.

(10) C’est-à-dire fille du roi de Castille, Alfonse VIII; ce mariage date de 1154.

(11) D’où plainte de l’archevêque de Reims, Samson. (Voir à ce sujet Luchaire, Institutions, I, 142.)

(12) Le mariage entre le jeune roi Henri Court Mantel et Marguerite, fille de Louis VIII, eut lieu en 1161 (Robert de Torigni, I, 329 ; Roger de Hoveden, I, 217-218). Henri Court Mantel fut associé à la couronne par son père en 1170 ; il mourut en 1183.