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PHystorique- Les Portes du Temps
10 novembre 2019

Poitiers, Hôtel Fumée et les Légendes du Poitou - Mélusine, licorne et le dragon

Poitiers, Hôtel Fumée et les Légendes Poitou - Mélusine, licorne et le dragon

Construit à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle pour une riche famille de magistrats, l’hôtel comporte deux corps de logis. L'Hôtel Fumé doit son origine à Pierre Fumée de la Perrière, dont la famille était depuis longtemps connue, non seulement en Poitou, mais en Anjou et en Touraine. Originaire du sud de l’Anjou et seigneur de la Perrière, Pierre Fumée devient membre du corps de ville de Poitiers en 1463 après avoir été avocat aux Grands Jours de Poitiers en septembre 1454 et aux Grands Jours de Thouars en 1455.

Le logis sur cour, le plus ancien, est flanqué d’un escalier en vis qui dessert les deux bâtiments reliés par une galerie de circulation. Celle-ci est une construction légère à pans de bois, portée par quatre colonnes enveloppées de moulures en spirale.

La façade sur rue, du second bâtiment, est un des plus beaux exemples de l’architecture civile gothique flamboyante. Elle s’articule en deux avant-corps aux angles arrondis percés par un passage couvert de trois voûtes d’ogives.

Une moulure continue sépare clairement les parties haute et basse du bâtiment. La partie haute de l’hôtel renforce l’aspect de « château médiéval » avec les petits toits en poivrières, les créneaux et el faux mâchicoulis qui surmonte la partie centrale.

De chaque côté de la porte, qui forme un biais, deux pavillons s’avancent en saillie. Ce caractère défensif est largement  racheté par la richesse des sculptures qui ornent les fenêtres, les lucarnes, et toutes les surfaces susceptibles de se prêter à la décoration.

Au pavillon de gauche, sur l’une des consoles qui soutiennent l’encadrement de la fenêtre, remarquez ce corps, moitié poisson et moitié femme, qui porte en mains un peigne et un miroir. C’est évidemment l’image de la Fée Mélusine dont la légende est si connue en Poitou.

 

Poitiers, Hôtel Fumée et les Légendes Poitou - Mélusine, licorne et le dragon (1)

L'HISTOIRE DE MÉLUSINE

Mélusine était née brune, brune de peau sur tout le corps, brune comme une mêle  bien mûre. Son père, qui était roi au pays des Cabournes, fut déçu et irrité en la voyant si brune, si brune, et il s'emporta avec une violence extrême quand il entendit les dames de la cour chuchoter et rire, et parler de mêle à propos de l'enfant. Il dit à la reine :

« J'exige, madame, que vous quittiez à jamais le château avec cette espèce de créature dont la venue au monde me rend ridicule et déshonore notre race illustre. » Il donna des ordres sévères et précis pour que l'infortunée reine et la petite princesse, nommée déjà en dérision par tout le monde Mélusine, fussent emmenées et abandonnées loin du château royal. Et comme il était aussi malhonnête que cruel, il prit soin de recommander qu'on dérobât à la reine l'anneau fait pour elle d'un rayon de lune par la douce fée nocturne Séléna, et qui permettait de voir à l'intérieur des gens malades.

Le roi des Cabournes était redouté. Il fut obéi à la lettre. Et quand le seigneur capitaine de ses gardes qu'il en avait chargé lui rapporta l'anneau magique, il tua ce seigneur capitaine, net, pour être quitte avec lui.

Après deux jours et une nuit de voyage dans un char grossier, la reine toute triste et sa petite Mélusine avaient été abandonnées au milieu d'un bois, à un endroit où coulait un ruisseau dont l'eau brûlait les gens, et cela depuis que le braconnier Goudrille y avait lavé son coutelas après avoir tué, en manière de jeu, la biche blanche de la fée Mérienne, pendant que l'une et l'autre dormaient au soleil de midi. Heureusement pour la reine on était à la fin d'août, dans une période de sécheresse, et le ruisseau pouvait être facilement franchi sur ses grosses pierres. La reine le traversa et marcha jusqu'au soir. Ce n'est que le lendemain qu'elle arriva, épuisée et souffrant de la faim, à une petite ville célèbre pour sa Fontaine-de-Soif, Lusignan.

La mère de Mélusine eut la chance, en mendiant dans la cour de l'auberge à renseigne du Grand-Bilardier, d'en émouvoir la patronne, qui était charitable et surtout avait besoin d'une femme pour l'aider durant la semaine de la foire aux grains nouveaux qui allait s'ouvrir. La reine s'acquitta si bien de sa rude besogne que, la foire finie, la patronne du Grand-Bilardier la garda.

Le temps passa. Mélusine, toujours la peau brune, si brune qu'elle faisait penser à la peau d'une mêle chope, avait attrapé ses seize ans. Elle était vraiment laide, mais, par exemple, elle avait une vive intelligence, beaucoup de raison et un grand courage. Elle était bonne et aimait infiniment les animaux, qui sont, eux aussi, des créatures du ciel sans en avoir reçu pourtant la faculté de discernement qu'il a donné aux hommes, à peu près en pure perte.

Il advint que la mère de Mélusine dépérit d'une façon inquiétante. Personne ne pouvait dire quel mal la minait, ni Ricoine, le rebouteur bavard, ni la Grêlée, commère des sabbats, qui avait gardé d'une ancienne picote la figure toute picassée.

Cependant, Mélusine avait appris de sa mère sa naissance sur le trône et l'existence de la bague qui permettait de voir à l'intérieur des gens malades. — Elle résolut d'aller au pays des Cabournes et d'en revenir avec la bague, dût-elle la prendre malgré le roi.

Un matin de mai elle partit. Elle ne s'arrêta que le soir, à l'entrée de la forêt où les gardes de son père, par une lâche obéissance, avaient conduit leur reine et leur petite princesse. Elle mangea un morceau de pain, puis hardiment s'engagea sous les arbres.

La nuit venait, une belle nuit transparente comme celle où la douce fée Séléna, courbant et enroulant autour d'un roseau un rayon de lune, en avait fait la bague destinée à la malheureuse épouse du tyran qui régnait au pays des Cabournes.

Mélusine allait dans la forêt : Sur toutes les feuilles, sur toutes les branches et sur foutes les pierres et les mousses, tombaient du ciel d'éclatantes gouttes de lumière. Tout à coup elle se. trouva en présence d'une vieille femme qui lui dit :

 « Je suis appelée la Bistraque, sans doute à cause de mes jambes bisfournées... » Cette femme s'aidait d'un bâton pour se mouvoir et portait sur une épaule un crapaud familier qui n'était autre que son mari mué par le diable. « Je sais qui tu es et où tu vas, poursuivit la Bistraque. Tu peux y arriver très vite si tu consens à faire ce que je vais te proposer... Personne encore n'a voulu m'entendre et combien ont eu à le regretter !

— Mais qu'attendez-vous donc de moi ? madame. » Comme Mélusine lui avait dit madame, la Bistraque se sentit en confiance.

« Il faut que j'aille à Lusignan et que j'y sois avant le jour... Echangeons nos jambes.

— Echanger nos jambes !...

— Ah ! laisse-moi achever, Mélusine. Je suis assez puissante pour commander à des êtres et des choses que tu ne peux rencontrer sans mon ordre, de t'aider et secourir dans la dernière partie de ton voyage, si bien qu'au petit jour tu seras en possession de la bague de lune.

— Voyons  voyons, ma chère dame, répondit Mélusine, si vous êtes assez puissante pour faire ce que vous me dites, ne serait-il pas plus simple de parler et agir directement pour votre propre compte. Sans plus attendre, commandez donc, aux êtres et aux choses qui sont à vos ordres de vous aider dans votre voyage à Lusignan ; d'ailleurs la route est bonne.

— Mon pouvoir n'est pas universel, il se borne à cette forêt. Ecoute-moi. Ce crapaud sur mon dos, pour lui rendre la forme d'homme qu'il avait à notre mariage, je dois le tremper dans l'eau bénite, qui réduit à néant tous les maléfices du démon.

.- Alors, prenez mes jambes », dit Mélusine. Ce fut l'affaire d'un millième de seconde et la Bistraque disparut.

Comment Mélusine va-t-elle pouvoir avancer avec de telles jambes? et dont elle n'a point l'habitude, pardi. Pauvre Mélusine ! pauvre sa mère! Pourtant... mais oui... voilà, de chaque côté, les buissons et les arbres fuyant derrière elle ; ils déroulent et entraînent le chemin sous ses pieds. Et Mélusine est bientôt au bord du ruisseau qui brûlait les gens depuis que le braconnier Goudrille y avait lavé son coutelas, rouge d'avoir saigné la biche endormie chère à la fée Mérienne. Mais il a été grossi de pluies récentes, et les pierres sur lesquelles on peut le franchir en été sont recouvertes par l'eau ardente. Mélusine est embarrassée.

 « Mélusine !... » C'est un serpent qui lui parle. Elle le regarde, puis lève la tête et voit sur les branches toutes sortes d'oiseaux, et autour d'elle il y a des renards, des cerfs, des chevreuils, qui la contemplent paisiblement. « Mélusine, répéta le serpent, tu as donné tes jambes à notre vieille amie la Bistraque, et nous sommes là par son ordre.

Poitiers, Hôtel Fumée et les Légendes Poitou - Mélusine, licorne et le dragon (2)

Tu ne peux traverser le ruisseau sans te brûler si fort, si fort que tu devrais renoncer à ton voyage. Heureusement, je vais te procurer le moyen de marcher sans danger dans l'eau qui brûle les hommes, et non les bêtes. J'ai là, dans mon trou, deux peaux, celles de mon oncle serpent et de ma tante serpente. J'ai bien encore, à dire vrai, celles de mon père et de ma mère, mais comprends, je ne veux point m'en séparer tant qu'il m'en reste d'autres. Tu enfonceras tes jambes dans les peaux de mon oncle et de ma tante (un brave serpent et une brave serpente !) et tu traverseras le ruisseau sans dommage.

— Merci, dit Mélusine — Seulement, en mémoire et reconnaissance de ce que je fais pour toi cette nuit qui suit un jour de samedi, chaque samedi de ta vie tu repouilleras un instant ces deux peaux, n'est-ce pas? Mélusine

 — Je te le jure, serpent

— Mon nom est Fisson

— Je te le jure, Fisson ». Ayant fourré ses jambes dans les peaux de l'oncle et de la tante de Fisson, Mélusine passa le ruisseau sans le moindre inconvénient. Arrivée sur l'autre bord, elle s'assit, quitta les peaux, les secoua les roula et les mit soigneusement dans sa poche. Puis comme elle se levait pour reprendre sa route, une énorme chouette apparut apparut lui dit :

« Tu as donné tes jambes à notre vieille amie la Bistraque et je suis là par son ordre. Passe doucement tes mains sur mes ailes ; celles-ci s'élargiront, je te les céderai et tu pourras aisément arriver non loin des murs crénelés du château royal des Cabournes... »

Lorsque Mélusine en eut les ailes, la chouette lui recommanda : « En mémoire et reconnaissance de ce que je fais pour toi, chaque samedi de ta vie tu reprendras un instant mes ailes

 — Je vous le jure... Mais vous qu'allez-vous devenir, sans ailes désormais ?

— Baste ! ou rien ou le grand-duc des Carquelins que j'étais quand un enchanteur facétieux qui voulait me ravir le trône de mes ancêtres m'a changé en chouette.» Hélas ! à peine eut-il fini cette phrase, qu'une flèche le cloua au sol.

Mélusine se baissa sur le malheureux grand-duc... Un coup assez rude dans le dos la fit choir et elle aperçut un énorme sanglier tout essoufflé « Par ma mère, la reine Treue, j'arrive à temps ! fit-il.

Mélusine, prends cette dent que vient de me briser d'un Coup d'épieu, du côté de Coulombiers, Raymondin qui en a maladroitement tué son oncle le comte de Poitiers. Elle te servira. Je te l'apporte par le commandement de notre amie la Bistraque. Garde-la toujours et souviens-toi : je suis le prince Verrat. » Et il s'enleva et partit dans un bond prodigieux.

Mélusine prit son vol. Elle était heureuse à l'idée de pouvoir si facilement arriver au château de son père. Mais soudain ses ailes furent comme paralysées et elle retomba sur le sol. Qu'y avait-il donc ? Simplement ceci, qu'elle était à la limite de la forêt et que le pouvoir de la Bistraque n'allait pas plus loin.

Mélusine commençait à s'inquiéter, d'autant plus que ses longues ailes la gênaient pour marcher quand déjà, avec les vieilles jambes bistournées de la Bistraque, elle n'était guère avançante. Soudain une belle et lourde dinde se montra.

« Je suis la reine Perote, dit-elle, et parce que j'étais trop orgueilleuse, ne songeant qu'à humilier les plus nobles dames et grands seigneurs de mon royaume, ces grands seigneurs et ces nobles dames obtinrent de la fée protectrice de nos basses-cours qu'elle me condamne à vivre sous l'apparence où tu me vois. Honteuse, j'ai laissé le trône et quitté mon royaume.

— N'y retournerez-vous point ?

— Jamais, à moins que la prédiction du noir fantôme Bergaud la Carcasse ne se réalise : qu'une mêle ait pitié de moi et me ramène en mon pays... Vous imaginez, bonnes gens !... une mêle?

— Serait-ce moi? » haoarda Mélusine, qui rapidement expliqua d'où elle venait, où elle allait et pourquoi et comment elle ne pouvait pas voler plus loin.

« Cela va s'arranger, affirma la reine Perote ; j'ai en effet reçu, à mon berceau, de la sorcière Pibole, dont la voix mélodieuse produit des enchantements, le droit d'obtenir des vents qu'ils transportent aux lieux que je leur indique les oiseaux blessés ou perdus aussi bien que les fruits détachés des arbres. Vous êtes fruit, princesse Mélusine, bonne et opportune mêle.

 — Fruit ?... ce n'est peut-être pas très, très sûr, objecta l'honnête Mélusine.

— On peut toujours essayer » proposa, finaude, la reine à forme de dinde. Et elle commanda : « Vents soumis à ma volonté par l'enchanteresse Pibole, reconnaissez-moi et servez-moi. » Mélusine, aussitôt après avoir ouï ces paroles, sentit les vents la soulever. «

— Vite, prenez-moi dans vos bras, Mélusine ! » Mélusine prit dans ses bras la reine Perote, et les vents les emportèrent.

— Que vais-je faire de vous?» demanda Mélusine en volant

« - Quand je vous le dirai, vous ouvrirez les bras, nous serons alors au-dessus de la fontaine de Repentir et Bonnes-Résolutions. Je m'y baignerai et j'y reprendrai mon premier aspect pour retrouver ma place de reine. » Encore un instant de vol et Perote avertit Mélusine :

« Attention ! nous approchons... Princesse, pour ce que je vous dois, je vous délègue mon pouvoir sur les vents. Ne craignez point qu'ils' vous soient infidèles... Ouvrez les bras, nous survolons la fontaine de mon salut. »

 Et Mélusine ouvrit les bras.

Poitiers, Hôtel Fumée et les Légendes Poitou - Mélusine, licorne et le dragon (4)

Elle continua seule dans la nuit claire... Elle franchit les murs crénelés du château de son père et n'eut point à redouter dans le chemin de ronde les terribles mâchoires des loups voraces en liberté dès le coucher du soleil. Elle approcha de la tour où dormait le tyran. En se servant de la dent du sanglier Verrat, elle ôta de leurs plombs les vitraux d'une fenêtre et entra dans la chambre où, d'après les indications de sa mère, elle pensait trouver le roi. Il n'y avait personne. Mélusine s'était trompée de fenêtre. Au-dessous d'une grande toile d'araignée, sur un vieux meuble était un miroir. La lune qui allait disparaître après avoir brillé sans cesse avec un éclat extraordinaire, y mettait une lumière, étrange. Mélusine l'examina à cause de la lumière qu'il réfléchissait. Elle s'y regarda simplement, se sachant laide et n'enviant la beauté d'aucune autre fille.

Elle se disait avec piété que la reine sa mère infortunée avait vu autrefois sa noble image dans ce miroir et elle le caressa. Tout à coup, elle eut l'impression qu'un visage d'une finesse et d'une blancheur incomparables, s'échappait de cette glace. Elle ferma les yeux inconsciemment. Elle entendit alors ces mots, comme en rêve et pourtant réellement articulés

 « J'attendais qu'une demoiselle se regarde en moi sans nulle coquetterie, je l'attendais celle-là pour lui donner les plus beaux traits de fille au monde, le plus souple corps, le mieux fait et du plus gracieux maintien. » Il semblait maintenant à Mélusine que les vieilles jambes de la Bistraque se redressaient et la portaient légèrement... A cet instant l'huis de la chambre s'ouvrit en grinçant sous une poussée brutale. Le roi était devant Mélusine que le jour naissant baignait, pure, droite, fine.

« Qui es-tu ? » demanda la voix âpre du tyran.

Mélusine, ferme en son propos, répondit ! « Votre fille.

— Toi, la Mêle, toi, aujourd'hui si belle !...

— Si belle, répétait tout bas Mélusine.

 — ...si blanche!., s'écriait le roi

— Si blanche, répétait tout bas Mélusine

— si blanche, reprenait le roi, si... »

Il n'en put dire davantage : de surprise et saisissement il chut sans connaissance. Mélusine émue allait tenter de le ranimer, elle s'agenouillait auprès de lui... Mais brusquement, elle se rappela le but de son long voyage et le grand dépérissement de sa mère.

Elle fouilla le roi et trouva dans une poche secrète de son pourpoint de cuir la bague de lune qui devait révéler le mal où la reine exilée s'acheminait vers la tombe. Mélusine baisa son père au front, et sauta sur la fenêtre. Les vents loyaux l'y avaient attendue.

A peine Mélusine eut-elle quitté la tour qu'un jeune chevalier entra d'un pas résolu dans la chambre où le roi gisait évanoui.

« Ah bon ! dit-il, avec une certaine satisfaction, il y a déjà la moitié de la besogne de faite ! » Et il planta carrément son épée dans la poitrine du roi des Cabournes. Puis il s'en retourna du même pas résolu qu'il était venu. C'était le fils du seigneur capitaine qui seize ans auparavant avait dérobé pour le roi la bague de la fée Séléna.

Pendant que les vents la ramenaient à Lusignan, Mélusine vit sur son corsage une fine araignée dont le corps avait l'éclat d'un diamant.

 « Je suis la fée Arentelle, conta l'araignée, et tu m'as délivrée de ma captivité dans cette chambre toujours close où je naquis. J'étais derrière le miroir tout à l'heure et quand tu l'as tenu dans tes mains, j'ai passé sur ta manche. Tu pouvais me tuer, fâchée de me voir sur ton corsage. On tue généralement les araignées. Tu m'as laissé la vie. Je vais t'en récompenser selon mes moyens : Chaque fil que nous fabriquons nous transmet les pensées des fées, magiciens, génies, démons, spectres et sorciers, ainsi que tous les arrêts des destins.

Immobiles au milieu de nos toiles sensibles qui vibrent perpétuellement, nous écoutons l'avenir, et nous apprenons tout ce qui sera, par quoi s'expliquent ce qui fut et ce qui est

 — Comment l'entendez-vous » demanda Mélusine, qui aimait assez la précision. Et l'araignée exposa ceci :

« C'est le passé qui est dans un perpétuel devenir, par l'apport incessant du présent, lequel est de l'avenir devenu sensible aux hommes. Ceux de demain ont été notre cause. L'avenir est antérieur au passé.

— En somme, docte Ar an telle, conclut Mélusine, j'étais avant que ma mère fût et je suis la mère de ma mère!...Ah ! vous êtes bien une araignée.

— L'humanité tourne le dos au sens où va le temps », répliqua posément Arentelle. Puis elle poursuivit : « Mélusine, bientôt, tu rencontreras au bord de la Fontaine-de-Soif, à midi, le prince Raymondin de la maison de Lusignan. Tu l'épouseras et tu lui construiras un château sur la colline. Tiens pour assuré que ton devoir ici-bas est de détourner, par affection et raison, Raymondin de sa passion pour la chasse, où avec ses faucons et éperviers, il fait souffrir tant de bêtes. A la place, tu lui inspireras le souci de réaliser le bonheur de son peuple et de donner à chacun l'exemple d'une foi très grande.

— Moi, je pourrais cela ? fée Arentelle.

— Oui, parce que tu es bonne, intelligente et jolie, Mélusine, la plus jolie.

-- La plus jolie? C'est à n'y pas croire » murmura Mélusine, qui eut en soi un goût de miel à faire, oublier la terre. « Et après, déni anda-t-elle, qu'adviendra-t-il ? » Mais, Arentelle, sans prophétiser plus longuement, descendit au bout d'un long fil, jusqu'à un cyprès, non loin de Lusignan ; puis elle rompit le fil et dit adieu à Mélusine.

Et Mélusine, en se courbant pour rattraper la sage araignée, laissa glisser sans s'en apercevoir la dent du prince Verrat. Il valait mieux au reste qu'elle ne s'en aperçût pas.

C'est aux portes de la petite ville que Mélusine trouva sa mère. ; impatiente, la reine s'y était fait transporter. « Comme te voilà belle ! mon enfant. Je n'aurais jamais, jamais espéré te voir si belle !... Tu as été très courageuse, Mélusine, et je te bénis. Garde pour toi la bague que la fée Séléna fit d'un rayon de lune qu'elle courba et enroula autour d'un roseau de mon cher pays. Je n'ai plus besoin de rien parmi les pécheurs. Ton père a expié.

— L'ai-je donc tué ? mère.

— Non, Mélusine, son heure avait sonné. Sache qu'il ne peut entrer au ciel sans moi, sans que mon âme intercède pour la sienne. Il m'appelle, il m'attend. .Je vais vers lui ». lit la sainte femme expira.

Et un jour plein de soleil et d'espérances fleuries, Mélusine, à midi, étant à la Fontaine-de-Soif à Lusignan, vit arriver un jeune seigneur en tenue de chasse...

 « Belle dame, lui dit-il, j'ai soif, donnez-moi à boire.

— Seigneur, s'il vous plaît, penchez-vous sur la fontaine et buvez ; il y a plus d'eau en vérité que votre soif n'est grande

— Si vous êtes celle que je devais trouver ici, reprit le seigneur, vous savez mon nom et pourquoi je suis venu, car cette eau ne m'est de rien. » Mélusine le regarda longuement de son franc regard et dit seulement : «Raymondin ».

Le mariage eut lieu avec tout l'éclat convenant à une telle union. Mélusine, pour être libre de tenir ses serments avait fait jurer à son époux de ne point chercher à pénétrer dans sa chambre ni à la voir le samedi après-midi. Celui-ci y avait consenti en toute quiétude et sincérité. Ainsi Mélusine, chaque samedi, en mémoire et reconnaissance, et comme elle l'avait promis, pouillait les peaux de l'oncle et la tante du bon serpent Fisson et se mettait les ailes de chouette du grand-duc des Carquelins si fataliste et si vilainement occis.

Le château de Lusignan avait été merveilleusement construit par Mélusine. Et Raymondin, délaissant à peu près complètement la chasse, avait interdit la fauconnerie sur ses terres. Il se consacrait surtout au bien-être de son peuple, qui, au fond, le trouvait un peu godiche en raison de sa docilité aux suggestions de sa femme, mais l'aimait bien quand même. En somme, Raymondin, Mélusine et le peuple faisaient des voeux pour que ça dure.

Mais les barons de la cour faisaient exactement les voeux contraires. Ils regrettaient les grandes tueries d'animaux dans la forêt de Coulombiers, et les plus âgés ne tarissaient point dans le récit des chasses du temps de l'oncle de Raymondin, le comte de Poitiers, encore que celui-ci y eût laissé la vie.

Mélusine avait un remords, celui d'avoir perdu la dent du sanglier Verrat ; mais elle eut un fils à qui une dent poussa toute semblable à celle de ce sanglier et par là Mélusine fut rachetée. On appela l'enfant Geoffroy à la Grand Dent.

Les barons délibérèrent de tirer avantage contre Mélusine de cette dent de sanglier au fils de Raymondin leur seigneur. Ils envoyèrent secrètement un messager au frère de Raymondin le comte de Forez, qui arrivait à Lusignan peu après, un samedi, veille de la fête de Noël cette année-là

— « Mon frère, dit-il, à Raymondin, trouvez-vous donc naturelle cette dent de sanglier dans notre lignée ? Ne comprenez-vous pas que c'est oeuvre de Satan, avec qui votre femme s'enferme et a commerce chaque samedi.

— Par Mauprié! j'en aurai le coeur net » s'écria Raymondin. Incontinent il saisit son épée et monta à la chambre de Mélusine. La porte en était fermée ; il y fit un trou avec la pointe de son arme et vit Mélusine avec ses grandes ailes ; il crut distinguer que son corps finissait en forme de serpent. Fou de colère, il enfonça la porte et s'élança l’épée haute sur Mélusine, qui poussa un grand cri de terreur...

Mais les vents que la reine Perote avait soumis à Mélusine lui étaient demeurés fidèles (ils la transportaient à son gré à Niort, Parthenay, Châtelaillon, La Rochelle, Mervent). Au cri de terreur, quittant leurs jeux sur la tour, ils étaient entrés et au moment où l'épée allait s'abattre et tuer, ils emportèrent Mélusine par la fenêtre. Raymondin s'agenouilla et pleura.

Depuis, chaque fois que la veille de Noël est un samedi, Mélusine revient et appelle, d'un cri déchirant, son enfant Geoffroy à la Grand Dent.

Poitiers, Hôtel Fumée et les Légendes Poitou - Mélusine, licorne et le dragon (3)

 

La Grand’Gueule. — C’est à l’abbaye de Sainte-Croix que se rattache l’histoire de ce monstre effrayant. Cette figure, jadis très-fameuse à Poitiers, était en bois sculpté et colorié ; elle représentait un dragon ailé, la gueule béante, le corps couvert d’écailles ; sa croupe recourbée se terminait par une queue de scorpion, et ses pattes étaient armées de griffes crochues.

Relégué pendant toute l’année dans les greniers de l’abbaye de Sainte-Croix, ce monstre en sortait aux jours des Rogations avec la sainte relique de la vraie Croix, pour être porté triomphalement en tête des processions générales, au bout d’un long bâton, par un homme vêtu d’un surplis par-dessus son habit bourgeois, et coiffé d’un chapeau militaire avec une cocarde.

La Grand’Gueule était alors ornée de banderoles, de rosettes et de livrées brillantes ; et, tandis que sur son passage les uns s’inclinaient humblement, d’autres moins respectueux, mais non moins confiants sans doute dans sa puissante intervention, jetaient dans le gouffre toujours ouvert de sa gueule béante des cerises, prémices des fruits de l’année, des tartelettes et autres pâtisseries, parmi lesquelles se distinguait surtout le casse-museau, ce produit poitevin que nous avons vu détrôné, malgré son antique popularité, par un usurpateur révolutionnaire qui valait moins que lui.

Quelle était l’origine de ce singulier usage ? Que représentait cette figure étrange ? Était-ce un souvenir du fameux serpent d’airain élevé dans le désert ? était-ce le symbole allégorique de l’idolâtrie, de l’hérésie, de l’arianisme, marchant devant la croix victorieuse qui les avait terrassés et vaincus ? Était-ce une réminiscence du paganisme qui avait représenté le dieu de la lumière chassant devant lui le dieu des ténèbres ?

C’étaient là les suppositions des gros bonnets de la science. Le peuple, lui, ne voyait dans la Grand’Gueule que l’effigie authentique d’un monstre bien réel, ayant existé en chair et en os, et s’étant repu, pendant de longues années, du sang des malheureuses filles de Sainte-Croix, assez imprudentes pour s’égarer dans les souterrains des caves de l’abbaye qui lui servaient de repaire.

Puis, selon les uns, le dragon, traversant les airs à la vue de sainte Radégonde, aurait été frappé de mort tout simplement par l’effet foudroyant d’une prière fervente que la Sainte avait adressée à Dieu ; selon d’autres, il aurait succombé sous les coups d’un criminel auquel on avait fait grâce de la vie, à condition qu’il tuerait le monstre, mais qui fut empoisonné par son haleine empestée et périt dans son triomphe.

Qu’était-ce donc que la Grand’Gueule ? Nous vous conseillerons, ami lecteur, d’aller demander à nos confrères les antiquaires de Metz ce qu’était le Graouilli, dragon ailé qu’on promenait dans cette ville aux jours de saint Marc et des Rogations ; à nos confrères de Rouen, ce qu’était la Gargouille ; à nos confrères de Tarascon, ce qu’était la Tarasque ; à nos confrères de Paris, ce qu’était le monstre volant que l’on promenait aussi dans les processions, et partout avec grand renfort de pâtisseries et de gâteaux : ils vous répondront que c’étaient des monstres audacieux qui avaient commis de terribles ravages, et qui avaient succombé sous l’intervention protectrice des saints patrons du pays.

Cette identité, si remarquable dans des faits qui n’ont pu se passer identiques dans un si grand nombre de lieux différents, nous porterait à incliner vers les interprétations allégoriques qui ont pu se prêter partout aux mêmes sens, et donner lieu par conséquent partout aux mêmes manifestations.

Quoi qu’il en soit, l’effigie de la Grand’Gueule, après avoir été reléguée dans divers lieux indignes d’elle, figura pendant quelques heures dans un musée, et fut réclamée par l’autorité ecclésiastique, qui lui accorda un refuge honorable dans la bibliothèque du grand-séminaire.

Là, le poitrail du monstre déchu étale aux yeux le nom de son auteur, la date de son exécution, sa croupe impuissante, son dard inutile, et c’est en vain, croyons-nous, que sa gueule, insatiable autrefois, attend depuis de longues années sa pitance des temps passés.

Elle la trouverait difficilement, même une fois par an, dit-on, dans les reliefs des friandises qui surchargent rarement la table de ses nouveaux hôtes.

Poitiers, Hôtel Fumée et les Légendes Poitou - Mélusine, licorne et le dragon (5)

Revue poitevine La Grand'goule : les lettres, les arts, la tradition, les sites.

Guide du voyageur à Poitiers et aux environs, 1872

 Licorne. Poitiers, Hotel Fumé, Poitiers, toit de la tour du logis

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ARMMA

Accéder à la liste Existant Construit en face des bâtiments de la Prévôté, l'Hôtel Fumé constitue un des plus remarquables édifices résidentiels érigés dans la ville de Poitiers entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe.

http://base-armma.edel.univ-poitiers.fr


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 ==> A la découverte des chemins du Poitou secret et mystérieux

==> La légende du Chevalier et du dragon dans le Marais Poitevin, (Loch Ness du Poitou)

==> Légendes du Poitou et le royaume de la fée Mélusine.

==> Le château de Mélusine de Lusignan

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