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PHystorique- Les Portes du Temps
2 février 2024

LES DEUX AGNES ABBESSES DE SAINTES 1134 après 1153; 1162-1174

Parmi les membres de la famille de Barbezieux dont il n'est pas possible, dans l'état actuel de nos connaissances, d'établir la filiation certaine, le plus connu, sans contredit, est une femme qui se fit remarquer, au XIIe siècle, entre les abbesses de Notre-Dame de Saintes.

 

Successivement la Gallia, Besly, dans son Histoire des comtes de Poitou, Boudet, moine de Saint-Jean d'Angély, qui écrivit l'Histoire de Notre-Dame de Saintes, l'abbé Grasilier, éditeur du Cartulaire de cette abbaye, et le nouvel et très érudit historien des Comtes de Poitou, M. Alfred Richard, ont reconnu, dans cette Agnès de Barbezieux, la fille d'un comte de Poitou, et ont donné comme dates extrêmes de son abbatiat les années 1134-1174.

 

Nos recherches sur les seigneuries de Barbezieux nous ont entraîné à douter, à priori, de l'exactitude de ces conclusions. Comment le nom d'une famille féodale, assez puissante pour jouir de la plus absolue indépendance, pouvait-il être porté par la fille d'un comte de Poitou, duc d'Aquitaine ?

 

Et, de fait, un examen attentif des chartes du Cartulaire de Notre-Dame de Saintes (2) nous a permis de reconnaître qu'il y avait eu deux abbesses du nom d'Agnès la première, fille du comte de Poitou, Guy-Geoffroy la seconde, appartenant à la famille de Barbezieux.

 

Il est même possible de préciser l'année de l'élection d'Agnès de Barbezieux, et, dans la plupart des chartes qui les citent, de distinguer quelle Agnès est en cause.

 

 En 1182 Aimar, évêque de Saintes (1167-1188), prononça une sentence en faveur de l'abbesse Agnès de Barbezieux (3). Elle terminait de longues dissensions à l'occasion desquelles était déjà intervenu Jean aux Belles-Mains, évêque de Poitiers (1162-1181), comme légat du Saint-Siège.

 

Les parties avaient comparu devant lui à Saintes.

 

L'abbesse de Notre-Dame, « Agnès de Barbezieux », invoqua la sentence rendue par l'évêque de Saintes, Bernard (1141-1166), en faveur de « l'abbesse Agnès, fille du comte Guy ». Le légat, ne pouvant prolonger son séjour, remit à d'autres le soin de trancher le différend.

 

 En fin de compte Aimar confirma, en faveur de « l'abbesse Agnès de Barbezieux », la décision prise par Bernard son prédécesseur, au profit de l'abbesse « Agnès, fille du comte ».

 

 Voilà donc les deux abbesses nettement distinguées, dans un même acte.

 

 Un autre (4) oppose « la première abbesse du nom d'Agnès » à l'abbesse Agnès de Barbezieux.

 

C'est en 1161 qu'apparaît, pour la première fois, Agnès de Barbezieux. Alors simple religieuse, « soror », elle assiste, avec Agnès Morel, Marie de Montchaude, prieure de Saint-Julien, qui remplace l'abbesse (5).

 

En 1162 c'est la prieure de Marennes, Ymberge de Périgord, avec qui elle paraît dans deux actes importants (6) elle est encore citée, la même année, de suite après Agnès Morel, devenue sacristaine (7) on la retrouve enfin, toujours en 1162, avec le litre d'abbesse (8). Agnès de Barbezieux fut donc élue abbesse de Saintes en 1162.

 

Nous voici, dès lors, en mesure de constater que plusieurs actes du cartulaire de Saintes ont été inexactement datés par l'éditeur de ce cartulaire. Les chartes n°« LXX, CVIII, CXXIV, CCVII, écrites du temps d'Agnès de Barbezieux, ne sont pas antérieures à 1162. Il est d'ailleurs impossible de savoir pourquoi les nos LXX et CCVII sont indiqués comme datant de 1137 et de 1148-1152.

 

 Quant aux n° CVIII et CXXIV ils mentionnent Geoffroy de Rançon. M. l'abbé Grasilier a cru, par suite, que ces actes devaient avoir été rédigés vers 1146, Geoffroy de Rançon, fait-il remarquer, ayant commandé, en 1147, les croisés Saintongeais et Poitevins (9).

 

Peu importe de savoir où M. Grasilier a puisé ce renseignement il suffira de remarquer qu'il y a eu, en réalité, plusieurs Rancon du nom de Geoffroy.

 

Si maintenant on se reporte aux actes de date certaine se référant aux deux abbesses, on remarquera de suite que jamais Agnès de Barbezieux n'ajouta à son titre d'abbesse le qualificatif d' « humilis », que ce qualificatif est, au contraire, celui habituellement choisi par la « fille du comte » (10).

 

Dès lors, nous sommes autorisés à attribuer à la « première Agnès » les actes de date incertaine où nous le retrouverons.

 

Il y en aurait un dans ce cas (11), si l'on s'en rapportait à l'éditeur du cartulaire. Mais, en réalité, Guillaume, évêque de Saintes (1127-1140), intervenant dans l'acte, celui-ci ne saurait être, de toute façon, postérieur à 1140.

 

De même qu'Agnès de Barbezieux ne s'est jamais qualifiée d' « humilis », Agnès, son prédécesseur, ne s'est jamais titrée de « venerabilis ». On ne nous objectera pas l'acte XLVII du cartulaire c'est une charte rédigée par la chancellerie royale en dehors, par conséquent, du milieu où s'écrivaient habituellement les chartes relatives à Saintes, sans que l'abbesse eût à intervenir pour régler cette question protocolaire.

 

Une telle exception confirme la règle que nous voulons établir.

 

Deux autres actes n'y contredisent pas davantage, bien que donnant le titre de vénérable à l'abbesse Agnès et datés de 1134-1151 par l'abbé Grasilier (12).

 

Quand bien même, en effet, ils relateraient une convention passée par la fille du comte Guy, ils ne prouveraient pas que celle-ci ait jamais pris le titre de vénérable, car ce sont des notices, et qui peuvent avoir été rédigées longtemps après la mort de cette abbesse.

 

En outre l'éditeur s'est basé, pour donner la date de 1151, sur la présence, comme témoin, de Guibert de Didonne. Or cette présence n'a aucune signification, au point de vue chronologique il suffit de tire la charte invoquée à ce sujet par l'abbé Grasilier pour s'en convaincre (13).

 

L'abbé Grasilier fait de Guibert de Didonne un seigneur de Didonne, et Guibert ne l'était pas il le présente comme d'une génération postérieure à celle d'Hélie, seigneur de Didonne, et Guibert appartenait à la génération antérieure à celle d'Hélie.

 

Rien ne s'oppose donc à ce que les deux actes en question soient postérieurs à la première abbesse Agnès.

 

Nous constatons qu'Agnès, fille du comte Guy, s'est toujours qualifiée d' « humilis abbatissa » dans les actes nombreux qui lui sont certainement attribuables. Aucun des actes où l'abbesse Agnès est titrée de « venerabilis abbatissa » ne peut lui être attribuée, sauf une exception qu'explique l'intervention de la chancellerie royale.

 

Nous constatons, par ailleurs, qu'Agnès de Barbezieux s'est certainement titrée de « venerabilis abbatissa ». dans deux actes (14).

 

Nous en concluons que, jusqu'à preuve du contraire, les actes de date douteuse où le titre de « venerabilis » est donné à l'abbesse Agnès doivent être attribués à Agnès de Barbezieux. Ainsi en est-il des CXII, CXIII. CXIV, CXV, CCVIII, CCL.

 

Sous les n° CXVII et CXLVIII sont des actes qui datent de la première abbesse Agnès on y trouve, comme simple religieuse, Ymberge, qui était prieure avant l'abbatiat d'Agnès de Barbezieux.

 

Il reste, en définitive, cinq actes du Cartulaire de Saintes que les remarques précédentes ne permettent pas d'attribuer de préférence à telle ou, telle Agnès. Ce sont les nos XXXVI, LXV, LXXI, CXIX et CCX.

 

M. Alfred Richard n'a pas voulu affirmer l'ascendance de l'abbesse Agnès (15) « l'abbesse de Notre-Dame de Saintes, Agnès de Barbezieux, qu'Aliénor reconnaît, en 1141, pour sa tante, est probablement une des filles de Guillaume VII, car il ne nous semble pas que cette abbesse, qui fut à la tête du monastère de Saintes de 1134 à 1174 au moins, puisse être identifiée avec la religieuse du même nom que le duc, vers 1112, appelait aussi sa tante. »

 

La filiation de l'abbesse de Saintes ne fait cependant aucun doute, malgré la confusion qui paraîtrait, à première vue, possible entre toutes les Agnès, femmes ou filles de comtes du Poitou, du milieu du XIe au milieu du XIIe siècle.

 

Agnès, épouse de Guillaume le Grand, comte de Poitou, se remaria ensuite avec Geoffroy Martel, comte d'Anjou. Agnès et Geoffroy fondèrent Notre-Dame de Saintes un peu avant 1047.

 

Agnès prit le voile dans ce monastère et y mourut.

 

Guillaume et Agnès eurent une fille, Agnès, qui épousa l'empereur d'Allemagne Henri III.

 

Guy-Geoffroy-Guillaume, fils, lui aussi, de Guillaume et d'Agnès, eut deux filles du nom d'Agnès la première, de son union avec Mathilde la seconde, de son troisième mariage avec Audéarde de Bourgogne.

 

Agnès, fille de Mathilde, épousa, en 1069, Alphonse, roi de Léon, et fut répudiée vers 1077. Agnès, fille d'Audéarde, épousa, en 1081, Pierre, roi d'Aragon et, en secondes noces, en 1109, Hélie, comte du Maine, qui mourut en 1110.

 

Guillaume VII le jeune, fils de Guy-Geoffroy, eut une fille, Agnès, épouse, avant 1117, d'Aimery V, vicomte de Thouars, remariée, en 1135, avec Ramire II, dit le Moine, roi d'Aragon, et quatre autres filles sur lesquelles on ne sait rien (16).

 

 La « première abbesse Agnès » est positivement dite, dans une charte rédigée avant sa mort, en 1174 (17), « filia Guidonis cumitis ». Comme elle vivait encore en 1153 (18), il parait bien difficile de l'identifier avec la fille de Mathilde qui aurait eu, cette année- là, 84 ans, en outre des années écoulées avant son mariage.

 

L'abbesse de Saintes doit être, beaucoup plutôt, la fille d’Audéarde de Bourgogne, veuve pour la seconde fois en 1110. A moins que Guy-Geoffroy ait eu une troisième fille du nom d'Agnès.

 

La mention la plus ancienne de l'abbesse Agnès date du 21 août 1111 ou 1112.

 

Elle vit, ce jour, à Saintes, son neveu Guillaume VII, comte de Poitou (19).

 

Une charte de 1133 (20) la désigne comme simple religieuse le premier acte connu de son abbatiat fut de présider à un duel judiciaire en 1134 (21).

 

Elle succédait à Sibille de Mortain, nièce de Guillaume le Conquérant, belle-sœur du comte de Toulouse, et tante par alliance du comte de Poitou Guillaume VII (22).

 

 On ne saurait préciser la date de sa mort.

 

Nous croyons, cependant, qu'entre cet événement et l'élection d'Agnès de Barbezieux, il dut se passer quelques années.

 

La fille du comte Guy-Geoffroy, apparaît, en effet, pour la dernière fois, en 1153, et Agnès de Barbezieux ne fut pas élue abbesse avant 1162.

 

 Sans doute, après des abbesses comme Hersende de Lusignan, Sibille de Mortain, Agnès de Poitou, le couvent de Saintes ne put se résoudre à élire une abbesse qui n'appartînt pas à une famille de grande noblesse, et la charge demeura quelque temps sans titulaire, Agnès de Barbezieux se trouvant encore trop jeune pour en remplir les fonctions.

 

Ce sont, en 1156, la sacristaine Théodore (23); en 1161, la prieure de Saint-Julien, Marie de Montchaude (24) en 1162. la prieure de Marenne, Ymberge, et la sacristaine Agnès Morel (25), qui interviennent dans les actes les plus importants pour l'abbaye, toujours assistées d'Agnès de Barbezieux, simple religieuse.

 

Agnès fut, cependant, un moment cellerière (26).

 

Le rôle d'Agnès de Barbezieux comme abbesse, pour être moins considérable qu'on ne l'avait cru jusqu'ici, eut, cependant, une réelle importance. Sans entrer dans les détails, il est possible de le montrer par quelques traits.

 

Agnès soutint énergiquement les droits de son monastère et recourut, pour les sauvegarder, à Bernard (27) et à Aymar (28), évêques de Saintes, à Jean aux Belle-Mains, évêque de Poitiers et représentant du Saint-Siège (29) en appela même au pape (30). Cependant elle sut, quand il le fallut, et pour obtenir des transactions avantageuses ou nécessaires, composer à prix d'argent avec les parties adverses (31).

 

Elle obtint, dans une affaire, le plein appui du prévôt du roi de France (32).

 

D'ailleurs Aliénor, duchesse d'Aquitaine, demeura toujours affectionnée pour le monastère que sa tante avait gouverné pendant de longues années.

 

 Nous la voyons recommander personnellement à Agnès une de ses protégées qu'elle désirait voir prendre le voile à Notre-Dame (33).

 

La duchesse contribua aussi, sans nul doute, à obtenir de son second époux, le roi d'Angleterre Henri II, confirmation des privilèges de l'abbaye dans l'île d'Oléron.

 

Quand Henri assiégea Saintes et ruina la ville, en 1174, le moulin de Notre-Dame fut en partie détruit (34).

 

 « Agnès de Barbezieux obtint du roi un mandement qui fut adressé au sénéchal du Poitou, à tous les agents et fidèles du roi, de l'Aquitaine, et particulièrement de la Saintonge le roi leur recommandait de tenir en paix les propriétés de Notre-Dame, de ne pas exiger de ses hommes ou de ses prieures des devoirs ou coutumes, de force ou par crainte ; en un mot, il leur ordonnait de défendre les propriétés de l'abbaye comme les siennes » (35).

 

 C'est qu'Henri, indépendamment de l'affection d'Aliénor pour Notre-Dame, devait tenir grand compte de l'appui que lui apportait le seigneur de Barbezieux, frère ou neveu de l'abbesse Agnès.

 

L'évêque Aimar fit don à Agnès, pour les besoins de ses religieuses, de l'église d'Herpes, « en considération de sa vertu et de sa piété qui, de jour en jour, et par la grâce de Dieu, croissait toujours davantage » (36). S'il ne s'agit pas là, comme nous le croyons, d'une simple formule de style, quel plus bel éloge pourrait-on faire de l'abbesse Agnès de Barbezieux !

 

==> Ducs d' Aquitaine et Comtes de Poitou et plus

==> Liste des ÉVÊQUES DE POITIERS BARONS DE CHAUVIGNY.

==> Pont-l'Abbé. Une belle église du XIIe siècle (Ecclesia sancti Petri de Pontilabio), placée sous le patronage de l'abbesse de Saintes.

==> Notice Historique sur le Château de Taillebourg des seigneur de Rancon

==> 1er aout fête patronale Saint-Pierre-ès-Liens - la lanterne des Morts de Rancon

==> En 1174, poursuivant son fils Richard, Henri II Plantagenêt met le siège à Saintes endommageant l'église Saint Pierre

 

 

 


(1) Elie Vinet, c., 2e édit dans Cavrois, p. 100.

(2) Grasilier (l'abbé Th.), Cartuliares inédits de la Saintonge, II. Cartulaire de l'abbaye royale de Notre-Dame de Saintes, de l’ordre de Saint-Benoît. Niort, Clouzot, 1871, in-4°.

(3). Cartulaire de Saintes, n° LXXXII.

(4). Id., n° CXXIV.

(5). Id., n° CCIII.

(6). Id., n° CXXXVII, CXXXVIII.

(7). Id., n° XXXIII.

(8). Id., n°5 XXXIV-XXXV.

(9). Cartulaire de Saintes, note de la p. 90.

(10). Id., n° XLVI, LXV, LXXXVIII, CXVI, CCIX, CCXIII, CCXLIII.

(11). Id., n° LII.

(12). Id., n° CXII-CXIII.

(13). Grasilier (l'abbé Th.), Cartulaires inédits de la Saintonge. I. Cartulaire de l'abbaye de Saint-Etienne de Vaux, de Tordre de Saint-Benoît. Niort, Clouzot, 1871 ch. XXIX.

(14). Cartulaire de Saintes, l. c, n° XLI et CCLI.

(15). L. c., t. I, p 495, note I.

(16).. Alfred Richard, c. passim.

(17). Cartulaire de Saintes, n° LXXXII.

(18). Id., n° IX.

(19).. Alfred Richard, l. c., t. I, p. 462.

(20). Cartulaire de Saintes, n° CXXII.

(21).. Id., n° CCXVIII.

(22). Alfred Richard, L c., t. I, p. 462.

(23). Cartulaire, n° XXXII.

(24). ld., n° CCIII.

(25). Id., XXIII, CCXXXVII, CCXXXVIII.

(26). Id., n° XXXIX.

(27). Id., n° XXXIV, XXXV, XLI, CXIV, CCVIII, CCLI.

(28). Id., nos LXXXII, CCIV.

(29). Cartulaire de Saintes, n° XLI, LXXXII, CCLI.

(30). Id., n°XLI, LXXXIl.

(31). Id., n°» LXXIV, LXXXH, CII, CXIV, CXV, CCVI, CCVIII.

(32). Id., n« CCL.

(33). Id., n» LXXXVI. Alfred Richard, c., passim.

(34). Id., n' LXXIV.

(35). Alfred Richard, 1. c., t. I, p. 177.

(36). Cartulaire, n° CCIV.

 

 

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