Dans le Poitou, l'évolution sociale se poursuit au XIIIe et au XIVe siècle, avant la guerre de Cent Ans
Les progrès accomplis dans l'ordre social et économique rendaient, à vrai dire, les populations du Poitou à peu près indifférentes à la perte d'une indépendance politique, dont elles n'avaient recueilli dans la période précédente que les fruits amers.
C'est probablement pour s'attacher plus intimement les habitants d'Oléron, que Jean sans Terre, dans un diplôme expédié le 28 février 1205, leur accorda de nouveaux priviléges :
« Sachez, dit-il, que nous avons concédé et, par cette présente charte, confirmé à nos fidèles hommes d'Oléron et à leurs héritiers, la décharge de tous droits de lastage, taillage , et autres vexations , sauf les devoirs qui nous appartiennent, sur la prévôté d'Oléron, et les services de milice et de chevauchée qui nous sont dus.
Nous leur concédons pareillement toutes les franchises et libres coutumes que le roi Henri, notre père, le roi Richard, notre frère, et notre mère, la reine Eléonore, ont octroyées à nos hommes de La Rochelle, et voulons que toute terre leur soit acquise irrévocablement, lorsqu'ils l'auront possédée sans trouble ni contradiction pendant un an et un jour.
Nous ordonnons, en conséquence, que nos fidèles hommes d'Oléron jouissent intégralement et honorablement desdites décharges, franchises et libres coutumes en toute paix et sécurité, ainsi qu'il est dit ci-dessus. »
L'évolution sociale qui se poursuit au XIIIe et au XIVe siècle, avant la guerre de Cent Ans, aboutit à la substitution d'une noblesse nouvelle à l'ancienne féodalité. Cette noblesse, éprise de luxe et de plaisirs, gaspilleuse et imprévoyante, aliène ses domaines et vit surtout du service ou des largesses du roi.
Le corps ecclésiastique reste le plus riche du Poitou. Bien que le mouvement des donations en faveur du clergé séculier se soit ralenti, évêques et chapitres bénéficient de la richesse acquise, de la plus-value de la propriété foncière, de l'accroissement de la richesse mobilière.
Les créations de nouvelles divisions paroissiales et la progression du revenu des dîmes sont des indices certains de la stabilité de la puissance sociale de l'Eglise séculière poitevine.
Le diocèse de Poitiers en arrive à compter plus de 1.000 paroisses.
Il est devenu si difficile à administrer qu'en 1317, le pape Jean XXII en détache une partie (les 2/5) pour former les évêchés nouveaux de Maillezais et de Luçon en Bas-Poitou.
L'Eglise monastique rencontre alors plus de faveur que l'Eglise séculière.
On ne crée plus guère, il est vrai, de chapitres; on ne fonde plus qu'un petit nombre d'abbayes, quatre ou cinq seulement, dans cette période. Mais celles qui s'étaient créées à l'époque précédente comptent parmi les plus riches de France.
La générosité des fidèles se porte au XIIIe siècle et au XIVe sur les nouveaux ordres religieux. Ainsi s'établissent des couvents de Dominicains ou Jacobins, dont les membres se vouent à l'enseignement et à la prédication, à Poitiers, à Saint-Maixent, à Fontenay, à Parthenay, à Thouars.
Les Franciscains ou Cordeliers de leur côté, moines populaires par leur piété, leur charité, leur éloquence, sont appelés dans les mêmes villes, ainsi qu'à Niort, à Châtellerault et à Loudun.
Un peu plus tard, apparaissent des couvents de Carmes à Poitiers, ainsi qu'à Loudun, et d'Augustins dans la capitale du Poitou. L'influence sociale de ces ordres fut très considérable; les donations affluèrent en général à leur profit.
Au-dessous des grands corps aristocratiques et ecclésiastiques, la classe bourgeoise avait beaucoup progressé, surtout dans les villes et les bourgs murés. Son ascension, due d'abord au développement de l'industrie et du commerce, fut accélérée par l'accession de la plupart de ses membres à la propriété foncière urbaine ou rurale, et par les services qu'ils rendirent dans les fonctions administratives, judiciaires et financières.
De puissantes familles bourgeoises surgissent alors qui se classent bientôt dans une nouvelle noblesse, celle des fonctionnaires. Elles acquièrent des biens nobles. Parfois, elles sont anoblies par les rois. Certaines, celles des Berland à Poitiers, des Gilliers à Lussac, entrent même dans la vieille aristocratie.
Les descendants de la dernière figureront dans la plus haute noblesse de France, bien que le fondateur de sa fortune ait été un simple hôtelier.
La masse du tiers-état, économe et laborieuse, soucieuse avant tout d'ordre, a été en Poitou le plus solide appui du gouvernement capétien. Elle s'est contentée de libertés restreintes.
La plupart des bourgeois poitevins ont vécu, non sous le régime communal ou des chartes de commune, mais seulement sous celui des privilèges restreints ou coutumes, comme celles de Charroux, de Parthenay, de Bressuire, de Thouars, d'Argenton, de Fontenay, qui leur assurent la liberté civile, la liberté commerciale, des exemptions de redevances onéreuses, et une faible participation à la vie administrative.
De même, le peuple des artisans et des paysans est parvenu à une amélioration si réelle de son sort qu'il n'aspire guère à l'émancipation politique.
Dès la fin du XIIe et du XIIIe siècle, les colliberts et les serfs du Poitou achèvent de devenir des hommes libres, c'est-à-dire des villains et des hommes de métier francs.
Le servage n'est plus qu'une exception qui survit à peine sur quelques points, notamment dans la Marche poitevine. Presque partout, les détenteurs de la terre sont devenus de vrais propriétaires, en possession de la liberté personnelle, libres de se marier où il leur plaît, de vendre, d'acheter, de tester. Ils ne sont plus tenus à l'égard des anciens détenteurs du sol qu'au paiement de rentes ou cens en argent et en nature.
D'innombrables transactions ont limité leurs obligations envers l'autorité seigneuriale. Ils ont fait abolir ou ont racheté les anciens impôts les plus onéreux, tailles et capitations, limité leurs corvées, leurs fournitures de vivres et de logement, leurs obligations militaires, déterminé d'une manière précise les monopoles, les droits de police et de justice seigneuriaux.
L'union du paysan avec la terre est au XIIIe siècle un fait accompli.
Les grands domaines restés aux mains de la noblesse et de l'Eglise se concèdent dès lors surtout à des métayers ou censitaires. Le fermage ou bail à temps apparaît au XIVe siècle et progresse rapidement.
La terre est déjà occupée par une multitude de petits exploitants, qui s'en disputent la culture, si bien qu'une nouvelle catégorie, celle des salariés agricoles ou journaliers, vignerons, hotteurs, se constitue à côté de celle beaucoup plus nombreuse des petits propriétaires, des métayers et des fermiers.
Les salaires qu'on lui attribue paraissent assez élevés pour le temps. Jamais la condition des artisans libres des villes et des habitants des campagnes n'a été supérieure pendant toute la période médiévale et moderne à celle qu'ils avaient atteinte au XIIIe siècle et au XIVe.
L'aisance est très répandue, l'alimentation abondante et confortable, la vie matérielle assez large. Parfois même, le goût d'un luxe solide se manifeste dans l'habillement et l'ameublement.
La population s'accroît; elle atteignait en 1328 à peu près 500.000 âmes réparties entre 116.000 feux.
Aussi, est-il permis de placer l'apogée de la prospérité du Poitou au Moyen Age pendant le siècle antérieur à la guerre de Cent Ans.
La rapide amélioration de l'état social provint à la fois de la restauration du principe d'autorité et du développement de l'activité économique. Aux formes anciennes et encore importantes de la production, c'est-à-dire à l'exploitation des eaux et des forêts, et à la culture pastorale, s'ajoutent d'autres variétés de mise en valeur des ressources du sol, plus considérables encore.
De nouvelles conquêtes sont faites par les défricheurs, petits ou grands propriétaires, aux dépens des landes, des broussailles et des bois.
Les marais du Bas-Poitou sont assainis, en partie desséchés, convertis en admirables prairies et en terres de culture ou en vignobles, au cours du XIIIe siècle, par le syndicat des grandes abbayes de cette région. .
La prospérité agricole du pays fut alors à son comble. L'exploitation des bois, l'élevage du gros et du menu bétail, la production des laines, la culture des céréales, des châtaigniers et des arbres fruitiers, l'apiculture qui fournit en abondance le miel et la cire; la viticulture qui prit une grande extension, enrichirent le Poitou à un point presque incroyable : « Etait le pays, dit Froissart à propos « de l'invasion de 1346, rempli de vivres et les granges pleines de tous biens, de blés, de foins et d'avoines, et les celliers pleins de bon vin. »
L'activité industrielle ne le cédait guère à l'activité agricole.
Sur la côte, les sels du Bas-Poitou faisaient vivre une partie de la population.
À la sortie du village le Bouhet ou de la Brée les Bains, en direction de Saint George d’Oléron, se trouve un petit parking aménagé dans un virage qui fait face à la cabane de saunier « le grain de sel » que l’on ne peut pas manquer sur le bord de la route et le sentier des Douaniers.
L'exploitation de minerais de fer et des carrières de pierre était particulièrement développée. Les métiers se constituaient en grand nombre dans les villes et dans les bourgs, spécialement ceux de l'alimentation.
La fabrication des draps de laine et des toiles; le travail des cuirs et des peaux, tannerie, corroierie, mégisserie; celui de la construction, maçonnerie, menuiserie, serrurerie; le façonnage du bois ; la verrerie et la céramique occupèrent un nombre croissant d'artisans, répartis en petits ateliers urbains ou ruraux. Il en était de même du travail des métaux communs et précieux, armurerie, ferronnerie, métallurgie du fer et de l'acier, orfèvrerie, fabrication des monnaies.
Les principaux centres industriels qui se développèrent furent ceux de Poitiers, de Châtellerault, de Saint-Maixent, de Parthenay, de Niort et de Thouars.
Au XIIIe siècle certaines spécialités poitevines, par exemple les produits métallurgiques, acier et fer, et les armes et pièces d'armes, gardent encore leur renommée européenne. Emancipés de la servitude ancienne, les artisans se groupent en métiers libres et en métiers assermentés ou jurés.
A Poitiers, on compte jusqu'à 18 de ces derniers, qui se constituent entre 1243 et 1380, sur un ensemble d'environ 60 professions industrielles. L'accès de ces professions est alors aisé.
Si une hiérarchie s'établit, comportant la distinction entre patrons (maîtres), ouvriers (valets) et apprentis, elle n'a rien de rigide ni d'oppressif.
Des règlements très simples, destinés à assurer la loyauté de la fabrication et de la vente, régissent les métiers, qui sont placés sous le contrôle de l'autorité souveraine, municipale ou seigneuriale. Dans le petit atelier, des rapports fraternels existent entre maîtres et varlets, affermis par la communauté de la vie quotidienne et par la confraternité religieuse.
L'horizon de la petite industrie est borné. Mais la vie des artisans, simple et étroite, est, comme celle du paysan à la même époque, parvenue à réaliser cet idéal de médiocrité paisible qui est peut-être la véritable forme du bonheur matériel.
C'est surtout la classe commerçante qui arrive avec le plus de facilité à accroître sa fortune. Bien que les moyens d'échange soient encore limités, bien que la réglementation douanière manque de souplesse, une certaine tendance à l'unité se fait jour.
Les mesures en usage dans le domaine royal et la monnaie royale se généralisent. Les Templiers, les Juifs, les Lombards organisent le crédit; ils ont des maisons en Poitou, de même que les changeurs.
La libre circulation des produits du sol et de l'industrie est devenue plus sûre, grâce à une meilleure police.
A Niort et à la Rochelle, il a suffi au XIIIe siècle de décréter une sorte de franchise douanière pour amener l'essor du commerce extérieur.
Les routes sont remises en état. On améliore les fleuves et la batellerie y circule plus activement. De véritables ports fluviaux apparaissent alors, tantôt spontanément, comme celui de Châtellerault, tantôt grâce à l'octroi de franchises et à l'exécution de travaux, comme ceux de Niort et de la Boutonne.
Des services de messagers ou de chevaucheurs sont organisés par les princes, les corporations religieuses et marchandes.
Les commerçants obtiennent, par des saufconduits et des sauvegardes royales, la protection de l'autorité. Aussi, la circulation commerciale prend-elle une intensité jusque-là inconnue.
La prospérité des grandes foires de Poitiers, de Niort et de Fontenay date de cette période. Les halles (cohues) de ces villes voient affluer à certaines époques les marchands de France et de l'étranger. Une multitude de marchés se créent, en vertu d'autorisations royales ou seigneuriales.
Le Poitou qui n'avait guère sur sa côte, basse et sablonneuse, que de petits ports, tels qu'Olonne, Talmont, Beauvoir, possède enfin trois grands centres de trafic avec l'extérieur.
Au nord, c'est Noirmoutier, où les Hanséates viennent charger le sel et les produits agricoles de la province. Au sud, c'est Niort, qui reçoit par son avant-port Marans et par la Sèvre les métaux bruts, les peaux, l'huile de poisson, le blanc de baleine, les épices, importés par les navires de la Hanse, de Bruges ou de Venise.
C'est surtout la Rochelle, devenue depuis la fin du XIIe siècle le grand port de l'Aquitaine du nord et le débouché naturel du Poitou.
Par la côte et par la mer, la province envoie en quantités croissantes ses blés, ses laines, ses sels, ses vins, ses bois bruts et ouvrés, sa poterie et ses produits métallurgiques en Espagne, dans la Flandre, en Angleterre et dans le Nord.
C'est la plus belle période que le commerce poitevin ait connue pendant les dix siècles du Moyen Age. Elle n'a pas été de longtemps égalée.
L'essor de la richesse donne à la civilisation matérielle un éclat qui dépassa de beaucoup celui de la civilisation morale et intellectuelle. L'ardeur des croyances s'amortit dans cette atmosphère nouvelle.
Histoire de Poitou P. Boissonnade
Les Seigneurs du Poitou, le Servage et affranchissement de collibert (Château Montreuil Bonnin proche de Poitiers) <==.... ....==> Noirmoutier en héritage, le Vaillant Guy de la Tremouille et Marie de Sully pendant la Guerre de Cent ans