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PHystorique- Les Portes du Temps
14 juillet 2023

L'EMPREINTE DE L'AMPHITHÉATRE DE POITIERS DANS LE PLAN DE LA VILLE

L'EMPREINTE DE L'AMPHITHÉATRE DE POITIERS DANS LE PLAN DE LA VILLE 2

Il ne s'agit pas de revenir sur l'étude exhaustive consacrée à l'amphithéâtre de Poitiers que nous devons à Bourgnon de Layre et dont on ne soulignera jamais assez la haute valeur. Si consciencieux que fût ce travail, il était, du point de vue de l'illustration, tributaire des moyens en usage à l'époque, limités au dessin encore que ceux-ci, en ce qui concerne notre sujet, soient excellents.

Cependant, le temps écoulé fait son œuvre aussi bien dans le sens négatif que dans le sens positif.

 Depuis 1843, les vestiges de l'amphithéâtre, tout au moins les vestiges visibles sont allés en s'amenuisant.

Nous en avons été les témoins en ces dernières années. Si cela peut être une consolation, notre époque n'en est pas la première responsable.L'EMPREINTE DE L'AMPHITHÉATRE DE POITIERS DANS LE PLAN DE LA VILLE

En tous temps, les préoccupations utilitaires l'emportent facilement sur le respect du passé. Bourgnon de Layre suppose, non sans vraisemblance, que l'amphithéâtre a pu servir de carrière quand une partie de l'antique Limonum a été circonscrite par l'enceinte destinée à la protéger contre les invasions.

Il pense qu'on en retrouverait des matériaux remployés dans les parements de la muraille. Dans cette hypothèse, à supposer que l'édifice date du ne siècle et que la fortification de la cité remonte, comme on le pense, au IIIe, les beaux jours de l'amphithéâtre auraient été assez brefs.

Toujours est-il qu'en vertu d'un processus dont Poitiers est loin d'avoir le privilège, l'invasion de l'amphithéâtre par des propriétaires particuliers y aménageant des maisons et des jardins était déjà largement avancée vers le milieu du XVe siècle ainsi que le prouve la copie d'une enquête du 29 juillet 1442 conservée dans les manuscrits de D. Fonteneau, à la Bibliothèque Municipale de Poitiers.

Suivant une confusion dont on trouve de multiples exemples, l'amphithéâtre y était mis à l'actif des Sarrazins (2). La dilapidation de cette pièce importante du patrimoine monumental de la ville se poursuivait encore à la fin du XVIe siècle.

Au cours de la séance du corps de ville du 3 août 1598, l'échevin Adam Blackwood dénonçait les démolitions auxquelles se livrait le sieur La Croze, contrairement, disait-il, à l'utilité publique et à l'intérêt des étrangers qui viennent visiter le monument.

A la suite de son intervention, le conseil, ayant déjà recours à une solution qui, depuis, a fait maintes fois ses preuves, chargeait une commission composée du maire Marc Jarno et d'un échevin d'examiner la situation et de faire un rapport.

D'autres témoignages de la colonisation de l'amphithéâtre sont fournis par un procès-verbal de visite daté du 6 février 1626 où ce qui devait être l'un des Vomitoria est ainsi décrit :

« Sommes entrés dans une vieille ruine ayant son entrée sur la dite grande cour à main destre, laquelle ruine est voûtée de voûtes à l'antique et fort anciennes. »

Il y est fait allusion aux maisons bâties dans les ruines et dont les toits en appentis sont appuyés contre les murailles (4).

Les précieuses vues que nous devons à l'érudit Roger de Gaignières donnent une idée de l'état de ruine dans lequel se trouvait l'édifice en 1699.

L'arène proprement dite était occupée par le jardin de l'hôtel d'Evreux ou des Vreux ainsi nommé parce qu'il avait appartenu à Raoul du Fou qui, en même temps qu'abbé de Nouaillé, avait été évêque de ce diocèse normand. ==> CHATEAU DU FOU HISTOIRE — SEIGNEURS DU FOU

 Le mur périphérique ou podium de l'arène était encore visible ainsi que deux étages d'arcades qui avaient, autrefois, porté les gradins.

Ce sont des éléments de cette partie de l'édifice qu'on peut encore voir en élévation, rue du Bourcani, rue du Petit-Bonneveau et — détail moins connu — au fond des Grands Garages du Centre, entre la rue Carnot (ancienne rue des Trois-Piliers) et la rue Magenta où ils atteignent la hauteur du troisième étage.

Ce peuplement de l'ancien amphithéâtre s'était nécessairement accompagné de l'établissement plus ou moins empirique d'une voirie et d'un exhaussement considérable du sol dû vraisemblablement à l'entassement des décombres.

Bourgnon de Layre a eu l'excellente idée de superposer son essai très poussé de restitution de l'amphithéâtre à un plan du quartier né de sa ruine.

On est frappé par les tracés faits de courbes elliptiques correspondant à la forme générale du monument, par des tronçons de rues conformes aux entrées ou aux vomitoria et par le dessin cunéiforme des parcelles bâties souvent prolongées par des jardins modelés sur les cunei entre lesquels se répartissaient les gradins.

Ainsi, les rues du Petit-Bonneveau et Bourcani épousent le contour de l'un des paliers ou moeniana de la partie ouest de l'édifice (5).

La rue des Arènes à peu près sur les deux tiers de son parcours, est conforme à son pourtour oriental.

Vers le Nord-Est, elle venait buter, comme elle le fait encore aujourd'hui, sur un pâté de maisons pour aller se raccorder, par un coude assez brusque à la rue Corne-de-Bouc (actuelle rue Rabelais). Celle-ci est tracée à l'écart, à l'est, de l'amphithéâtre.

Cependant elle en épouse la forme générale, parallèlement à la rue des Arènes. Or, d'après Bourgnon de Layre, cette dernière est conforme au palier le plus élevé et au mur périphérique.

Les parcelles bâties comprises entre ces deux rues concentriques venaient sans doute s'appuyer contre le grand mur extérieur.

Quant aux voies rayonnantes, le plan Bourgnon de Layre en indique une très nette sans, toutefois, lui donner un nom. Elle est conforme à l'extrémité sud du grand diamètre, donc à l'une des entrées principales.

Elle a été absorbée, comme nous le verrons dans un instant, par l'actuelle rue Magenta.

Arène de Poitiers 3d

A considérer les choses dans leur ensemble, la configuration générale du quartier n'a pas tellement varié depuis l'époque où travaillait Bourgnon de Layre.

La disparition de l'hôtel d'Evreux et, plus encore, de son jardin et l'implantation d'une vie commerciale active lui ont cependant fait perdre le caractère semi-champêtre qu'il avait encore vers le milieu du XIXe siècle.

 Le point de départ en a été la vente, en janvier 1857, de la majeure partie de l'ancien amphithéâtre qui était devenu, dans l'intervalle, la propriété des Hospices de Poitiers.

L'acquisition en a été faite pour la somme de cent mille francs par une société constituée au vue de l'exploitation.

Sur ces opérations se sont greffés l'ouverture de la rue baptisée du nom de la victoire de Magenta en 1859, la construction du marché Saint-Hilaire et le percement de la rue de l'Est (actuelle rue du Maréchal Foch).

Le carrefour entre les deux voies nouvelles et le marché que nous avons vu, en ces dernières années, céder la place à un bloc à appartements situent exactement l'ancienne arène elliptique. Les excellents documents que je dois au talent et à l'obligeance de M. Pierre Girault, géomètre, et de M. Daire, expert en photographie aérienne, montrent, grâce à des moyens techniques supérieurs à ceux dont Bourgnon de Layre disposait, ce qu'est encore aujourd'hui l'empreinte laissée dans la ville actuelle par l'amphithéâtre de l'antique Limonum.

Faut-il rappeler à ce sujet que la Société des Antiquaires de l'Ouest n'est pas restée, comme on le dit parfois, indifférente aux évènements.

Dès le mois de décembre 1855, mise en alerte par l'annonce de la vente décidée par les Hospices, elle en délibérait et, renouvelant le geste du conseil de ville de 1598, elle nommait une commission chargée d'agir simultanément auprès de l'Etat en vue d'obtenir une mesure de classement, auprès de la ville de Poitiers et auprès de la société qui se proposait d'acquérir l'ensemble.

Dans un article paru dans le Journal de la Vienne, le 7 avril 1857, un de mes lointains prédécesseurs, H. Chemioux, proposait de construire le marché à la place de l'hôtel d'Evreux et, ainsi, de sauvegarder le jardin qui eût été converti en jardin botanique à l'usage de la Faculté des Sciences et de l'Ecole de Médecine.

On y aurait fait passer, conformément à un vieux projet qui remonte au temps de l'intendance de Blossac, la voie rectiligne envisagée depuis longtemps destinée à relier les promenades crées par cet intendant à la place d'Armes (ancienne place Royale).

Mais, au lieu d'être bordée de magasins, elle eût traversé un espace verdoyant à la fois agréable et utile.

 La place prévue pour le marché eût facilité — le problème se posait déjà ! — le stationnement des charrettes (7). Malgré l'ardeur de Chemioux, sa proposition ne reçut aucune suite.

Avouons que ce passé est pratiquement irrévocable ; mais il n'était peut-être pas inutile de souligner la trace indélébile laissée dans le visage de la cité par l'antique amphithéâtre de Limonum.

René CROZET.

Bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest et des musées de Poitiers

 

 

Amphithéâtre de Saintes - Stadium Gallo -Romain Puy du Fou <==

 Jeux du cirque et les arènes de Poitiers pour remonter l'histoire <==

 

 


 

(1) BOURGNON DE LAYRE : L'amphithéâtre ou les arènes de Poitiers, dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1re série, t. X, 1843, p. 137-273, 6 pl. hors-texte.

(2) Tome XXII, p. 519 : « Certaine grant voulte d'ouvrage sarrazin fait de briques ».

(3) B. LEDAIN, Les Maires de Poitiers, dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 2e série, t. XX, 1897, p. 743.

(4) Dom FONTENEAU, tome LXXIV, p. 12. - -

(5) On peut admettre grosso modo que le grand axe de l'amphithéâtre était en direction Nord Sud ; la partie Ouest se trouvait donc entre l'actuelle rue Magenta qui correspond à cet axe et la rue Carnot (ancienne rue des Trois-Piliers).

(6) Qu'ils veuillent bien, l'un et l'autre, trouver ici l'expression de mes sincères remerciements.

(7) Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1re série, t. VII, 1853-1855, p. 337 et t. VIII, 1856-1858, p. 23, 102-103 et 169.

Pour la petite histoire, j'ajoute que la lettre de H. Chemioux marquée par la phraséologie de l'époque est assez savoureuse. L'auteur avait ouvert une souscription pour tenter de sauver les arènes. Il avait reçu, entre autres, une contribution de 300 F que le donateur se disait prêt à doubler ; mais, d'autre part, il avait essuyé des rebuffades. On devine que sous l'affaire de la création du marché se cachaient assez mal de sourdes rivalités entre les quartiers nord de la ville, soucieux de ne pas prêter la main à une concurrence inquiétante pour le marché Notre-Dame et les quartiers sud désireux d'avoir leur propre halle. Chemioux, ayant échoué dans sa tentative de souscription, préconisait la création d'une loterie comparable à celle qui, à Amiens, a permis à la Société des Antiquaires de Picardie et à la Ville de disposer du somptueux hôtel qui abrite sa propre bibliothèque et le musée de Picardie. Les arènes sont comparées sur le mode lyrique à Job qu'il faut délivrer de son fumier et dont il faut guérir les ulcères. La lettre se termine par l'avertissement célèbre : Caveant consules !

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