Palais-des-comtes-Salle-des-Pas-Perdus 1170 Cours d'amour d’Aliénor d’Aquitaine à Poitiers et Marie, comtesse de Champagne

Marie de France, aussi connue sous le nom de Marie de Champagne, née en 1145, est la première fille de Louis VII le jeune roi de France et d'Aliénor d'Aquitaine.

 En 1160, sa seconde femme Constance venant de mourir, le roi Louis VII contracte aussitôt un troisième mariage (qui lui donnera un fils, Philippe-Auguste) avec la jeune Adèle de Champagne, la sœur du comte Henri.

Il se trouve que, pour Marie, la reine Adèle, sa belle-mère, va devenir aussi sa belle-sœur.

Le comte de Champagne Henri Ier a bien mérité son surnom d'Henri le Libéral ou Henri le Large. De plus, homme cultivé, il connaît le latin et aime lire les classiques. Les questions de théologie et de philosophie le préoccupent : il est en relations avec Pierre de Celle et Jean de Salisbury. On trouve près de lui l'écrivain Pierre Comestor.

A 37 ans, Henri se décide enfin à épouser la princesse Marie, en 1164; elle a alors 19 ans. En même temps, la jeune Aélis, sœur de Marie, épouse le frère d'Henri, Thibaut, comte de Blois.

Le comte Henri a emmené sa jeune femme dans ses châteaux, nouvellement construits, de Troyes, de Provins et de Bar-sur-Aube.

 

C'est sous le comte Henri qu'aurait également été bâtie la Tour César à Provins.

    Un premier enfant naît bientôt : c'est Henri, le 29 juillet 1166, jour de la Saint-Loup. Aussi, le comte, tout joyeux, offre-t-il à l'abbaye de Saint-Loup un Evangéliaire dont la reliure précieuse contenait un anneau de la comtesse Marie - c'est le ms. 2.275 de la Bibliothèque de Troyes. Puis trois autres enfants vont naître : Scholastique, ensuite Marie en 1173, et Thibaut en 1179.

 

Mais la comtesse Marie va se rapprocher de sa mère.

Elle participe à la cour lettrée d’Aliénor d'Aquitaine à Poitiers (1170-1173) et tient elle-même une cour brillante et protège ou encourage plusieurs écrivains, dont Chrétien de Troyes, Gace Brulé, Gautier d'Arras, Guyot de Provins, Huon d'Oisy, Geoffroi de Villehardouin.

 

En effet, depuis 1169, Aliénor s'est installée en Aquitaine avec son fils préféré Richard Cœur-de-Lion, âgé de 12 ans. Elle tient sa cour à Poitiers, où elle protège les poètes.

C'est là qu'elle reçoit, en 1170, sa fille Marie, comtesse de Champagne, et c'est là que Marie, alors âgée de 25 ans, va prendre le goût de la poésie des troubadours.

Tout un cercle de jeunes filles et de jeunes femmes entourait Aliénor.

Une sorte d'ivresse intellectuelle comparable à celle des Femmes savantes s'était emparée d'elles et, moitié par flatterie, moitié par goût, les poètes leur inventaient des jeux de salon auxquels elles participaient volontiers.

Le plus célèbre de ces jeux est ce qu'on a appelé les Cours d'amour, qui n'avaient rien d'un tribunal. (salle des Pas-Perdus)

Né dans les châteaux du Midi, ce divertissement de la Chambre des Dames, mis en honneur par Aliénor, fut imité par ses filles et les amies de celles-ci : Marie, comtesse de Champagne; sa sœur Aélis la comtesse de Blois; leur cousine germaine Isabelle, comtesse de Flandre, et Ermengarde de Narbonne.

La dame du lieu, comtesse ou duchesse, présidait la réunion composée de demoiselles et de jeunes seigneurs venus se délasser entre deux tournois ou deux guerres. Un cas, le plus souvent fictif, était examiné.

Par exemple, « fallait-il blâmer ou non la dame infidèle à son ami parti à la Croisade et qui la laissait sans nouvelles ? ». La « présidente » prononçait le jugement qu'un clerc s'empressait de noter.

A Poitiers, c'était le prêtre André qui remplissait cet office; il a rassemblé ces jugements plus tard pour Marie qui le fit venir en Champagne. C'est lui, le chapelain André, qui codifia aussi les règles de l'amour courtois dans son volume « De l'art d'aimer, De Arte honeste amandi » : un homme, pour être aimé, doit non seulement être preux, honnête et loyal, — mais il doit désormais se faire le serviteur de sa dame, lui obéir en toute chose, rester fidèle et discret.

On imagine bien la jeune « et brillante » comtesse Marie enflammée par ces théories, elle qui vient de la cour champenoise, cultivée mais assez austère. Elle aussi, de retour en Champagne, va tenir une cour formée d'une soixantaine de demoiselles. Elle aussi va prononcer des jugements d'amour, attirer des poètes et leur demander des vers.

Et justement, elle a la chance qu'un poète, dans la région, montre déjà un talent certain.

C'est Chrétien de Troyes.

 

Dès 1169, on le trouve dans l'entourage d'Aliénor d'Aquitaine, à Nantes et à Poitiers.

Est-ce la recommandation de la jeune comtesse Marie qui l'y a conduit ?

Près de la reine Aliénor, Chrétien s'est initié à la poésie des troubadours, à leurs théories courtoises.

La comtesse Marie a vu Chrétien à l'œuvre : Erec et Enide est de la fin de 1170.

 

En 1173, la reine Aliénor ayant été mise en prison par son mari, la comtesse de Champagne était rentrée dans ses états et Chrétien de Troyes l'y rejoignit; il serait alors devenu chanoine de Saint-Loup.

Marie lui commande des vers à sa louange, malheureusement ils sont froids et compassés.

Chrétien continue surtout d'écrire ses romans : Cligès (vers 1171 ou 1176) inspiré en partie par la Champagne, et Ivain (vers 1172-1175) où Chrétien s'amuse à faire le portrait d'une jeune veuve, Lucine, qui pourrait bien être une des dames de compagnie de la comtesse.

Et les ouvrières de la soie qui déplorent leur misère ne sont-elles pas celles d'une fabrique troyenne ?

Toutes ces œuvres donnent à « Madame de Champagne » l'idée de commander à son poète un roman dont elle donne le thème, roman tout différent des précédents par son sens, à savoir l'idéal courtois : c'est Le chevalier à la charrette ou Lancelot (vers 1177).

Marie avait lu en latin ou entendu raconter, chez sa mère Aliénor, la Vie de saint Gildas.

Elle en a retenu l'épisode de l'enlèvement et le nom des personnages de l'histoire bretonne; mais les symboles ont disparu. La romanesque comtesse les remplace par une histoire d'adultère. Et l'ouvrage est surtout un traité d'amour courtois : le chevalier devra être dévoué à sa dame et ne craindre ni la mort, ni la honte. Par lui, seront aussitôt exécutés les ordres les plus insensés de celle qu'il aime. Ce thème finit par déplaire à Chrétien, qui obtint de la comtesse de Champagne de faire terminer le roman par un confrère, Geoffroi de Lagny.

Entre 1178-1181, Chrétien devint le protégé de Philippe de Flandre, et écrivit pour lui et son pupille Philippe-Auguste le Conte du Graal.

Mais Marie n'a pas été privée de poètes pour autant.

A l'exemple de sa sœur, la comtesse de Blois, et de ses frères d'Angleterre, avec qui elle est en relations, elle aime à s'entourer d'écrivains.

Son frère Richard Cœur-de-Lion lui dédie des vers de sa prison. « Comtesse sœur », lui dit-il.

De Saintonge, vient le troubadour Rigaut de Barbezieux, qui chante Marie : « Pros comtesa e gaïa. que campanes avetz enluminat ».

Et voici auprès de Marie des trouvères français : le champenois Jean le Névelon, qui dédie au comte Henri son roman La vengeance d'Alexandre, inspiré de celui que connaissait la reine Aliénor; Bertrand, de Bar-sur-Aube, qui élabore la Chanson de Girart de Vienne, en mêlant les légendes diverses de Girart de Roussillon et de Guillaume d'Orange, à la demande de la comtesse elle-même ou de sa fille Scholastique, mariée à Guillaume V de Vienne. Celle-ci protégea, après sa mère Marie, le bizarre ménestrel Guiot de Provins.

Si Marie connut un peu le chevalier champenois Gace Brûlé, bon musicien, protégé de son frère Geoffroy de Bretagne, elle a eu surtout l'honneur d'inspirer un des plus nobles poètes, Conon de Béthune, qui aurait écrit pour elle la chanson « A la meilleure qui soit née ».

Elle reçut aussi, avec son mari, l'humoriste Gautier Map, d'Oxford (1179).

Lorsque les dames de sa cour étaient réunies, la comtesse Marie rendait des jugements d'amour, en général marqués d'un bon sens un peu terre-à-terre (par exemple : il vaut mieux qu'une dame riche aime un homme pauvre, chacun y trouve son compte.

Mais c'est en 1176 — elle a 31 ans — qu'elle décrète nettement « qu'amour ne peut exister entre mari et femme », car il requiert la liberté du choix, la jalousie et le secret. Ce jugement est conforme aux règles d'amour de ce temps; mais les troubadours convenaient bien que l'amour peut exister avant le mariage, qui en est la conclusion.

Un autre jeu de la Chambre des Dames était le jeu-parti, souvent en vers, qui se pratiquait chez la reine Aliénor, — et auquel Geoffroy de Bretagne, frère de Marie, excellait.

Mais voici terminée une période de la vie de la comtesse de Champagne. En effet, le comte Henri, son mari, est parti en 1179 pour la 2e croisade; il meurt en rentrant, le 16 mars 1181, à 54 ans. Marie lui fait élever un tombeau magnifique dans la collégiale SaintEtienne.

La voici veuve, à 36 ans, avec quatre enfants mineurs.

Elle devient régente de Champagne pour 5 ans. Puis son fils ainé Henri, parti en 1190 à la 3e croisade, y meurt accidentellement en 1197.

C'est son frère, Thibaut III, à 18 ans, qui va lui succéder.

La cour de Champagne est devenue plus grave. Marie fait traduire des Psaumes (1181-1198) : « Eructavit », et la Genèse, par Everat (1190-1192).

Depuis 1185, Geoffroi de Villehardouin, le futur historien, est le maréchal du jeune comte et de sa mère.

Mais le chagrin de la mort brusque de son fils aîné va hâter la fin de la comtesse Marie, d'autant plus qu'elle venait de perdre ses sœurs Marguerite et Aélis. Elle meurt le 11 mars 1198 à 53 ans et est enterrée à la cathédrale de Meaux.

Elle avait eu la joie de voir son fils Thibaut III aimé et apprécié de tous; ses filles, devenues à son exemple protectrices des poètes : Scholastique, femme de Guillaume V de Vienne; et Marie, épouse du jeune Baudouin de Hainaut, qui contribuera à l'éclat littéraire de la Flandre. En outre, le petit-fils de la comtesse Marie, Thibaut IV, comte de Champagne, sera le célèbre chansonnier. - ?

Marie ne laissera-t-elle que le souvenir d'une étourdie, amusée des flatteries de poètes et délibérant sérieusement des questions superficielles ? Non, car, délibérément, elle a protégé les écrivains, elle a contribué, après sa mère et avec son frère Richard Cœur-de Lion, à établir des contacts entre les troubadours d'Aquitaine et les trouvères du Nord de la France.

Dirons-nous, comme son admirateur Everat : « A elle doivent prendre exemplaire Toutes les dames qui or vivent » ?

Ce serait peut-être exagéré. Mais nous pouvons lui pardonner le caractère un peu pédant de ses « Cours d'amour » en faveur de, l'impulsion réelle qu'elle a donné aux lettres et aux arts en Champagne ».

 

 

 

Procès-verbaux des séances de la Société académique d'agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du département de l'Aube

http://base-armma.edel.univ-poitiers.fr/monument/palais-des-comtes-salle-des-pas-perdus-poitiers/

 

 

 

Pâques le 5 avril 1170, au château de Niort, Aliénor présente aux barons Poitevins, Richard comte de Poitou âgé de douze ans.<==....

La vie d’Aliénor d’Aquitaine (la pensée poétique et chevaleresque des troubadours) <==