A peine les moines étaient-ils assis dans leur nouveau prieuré, qu'ils devinrent l'objet de générosités nouvelles. Bernard de la Roche, seigneur du lieu, voulant pourvoir à son salut et à celui de ses parents, confirma la donation précédente, et y ajouta de sa part l'église de St-Hilaire, bâtie en dehors de la Roche (de foris Rocha), avec toute la paroisse, la faculté d'y établir un cimetière, et le droit de bâtir un bourg où et quand ils le jugeraient à propos.
C'est l'origine du Bourg-sous-la-Roche (1).
De plus, il leur abandonne par don l'église renfermée dans l'enceinte du château du Luc (2), et celle du Poiré, avec les terres qui en dépendent.
L'évêque de Poitiers sanctionna cet acte par une charte datée de 1104. On voit que celle sanction a toujours été nécessaire dans la discipline de l'Eglise pour autoriser la vente, l'acquisition ou la commutation des bénéfices.
Quant à Bernard, il fut reçu pour ces bienfaits en participation des prières et bonnes oeuvres des religieux, et, pour resserrer ces liens de charité, D. Hilgod (domnus Hilgodus), qui dirigeait alors le prieuré( l'abbaye Notre-Dame des Fontenelles) voisin d'Ornay (de Oreniaco), lui donna cent livres en monnaie, en pur témoignage de gratitude (3).
Ce ne fut pas tout. Aimery, fils de Joscelin de la Roche, et sans doute neveu de Bernard, donna encore à Saint-Martin tous ses droits sur l'église de Saint-Lienne, et reçut du même Hilgod, en marque de sainte amitié, trois cents sous et une coupe d'argent.
Parmi les témoins de cet acte, on remarque un Chevrier de la Roche (Caprarius de Rocha), un Guillaume Mauclou (Willelmus Malus Clavus), un Taveau de Mareuil ( Tavellus de Marolio), el plusieurs autres dont les noms se sont perpétués jusqu'à nous.
Ce prieuré de Saint-André d’Ornay dépendait aussi de Saint- Lienne. Il lui avait été donné par un de ses chanoines, Pierre Leroux (4).
Celui-ci en se faisant moine à Marmoutiers, et laissant à son frère Robert toutes ses richesses, n'en avait excepté que cette église, plus les dimes qui devaient être prises sur la laine, les agneaux et les pourceaux de ses anciennes possessions.
Robert étant mort, Simon, son fils, sanctionna ces pieuses libéralités, les reconnut libres de toutes redevances, et se réserva seulement une rente annuelle de XII deniers, qu'on lui payerait à la Saint-Jean-Baptiste, pour service de chevauchage (5).
Il parait d'après cette clause, dont nous verrons d'autres exemples, que les héritiers des donateurs avaient coutume de prendre sur les donataires dont ils confirmaient la possession certains droits qui semblaient tenir ceux-ci à leur égard dans une sorte de dépendance (6).
(vue 360 sur les ruines du château de la Roche sur Yon du pont des Ecquebouilles)
Vers 1100.
Le bourg de Venansault (7) avait, dès ce même temps, une église dédiée à saint Pierre, où les chanoines de Saint-Lienne possédaient certaines redevances. J'y vois aussi un droit de baptistère et de sépulture (8).
Le premier de ces droits tenait à la coutume où l'on était alors de ne baptiser qu'à certaines époques de l'année, dans un petit nombre d'églises uniquement destinées à l'administration du sacrement, et disséminées à d'assez longues distances. Les fidèles pourvoyaient à l'entretien de ces édifices par des offrandes volontaires. Quant au droit de sépulture, il était beaucoup plus répandu, et se trouvait attaché surtout à des monastères, vers lesquels se portait de préférence la dévotion des peuples.
Là était un cimetière protégé par les moines, où venaient dormir du dernier repos, dans des sépulcres de pierre creusés de leurs mains, ceux qu'inspirait une fervente confiance en leurs prières.
Nous avons dans ce fait l'explication des nombreux sarcophages de Civeaux, de Saint-Pierre-des-Églises, et nous voyons ici un exemple de plus du soin que l'on avait de mettre ces cimetières sous la tutelle significative de l'apôtre qui dispose des clefs du ciel.
Vers 1110 Si les frères de Saint-Lienne trouvaient de zélés protecteurs dont la générosité favorisait leur naissante entreprise, ils n'étaient pas exempts non plus des vexations trop communes alors de la part des gens de guerre.
Un de leurs voisins, Pierre, qui n'est pas désigné autrement, trouva les Moutiers à sa convenance, et, plus fort que les pacifiques possesseurs, il mit la main dessus.
Ceux-ci recoururent à l'évêque de Poitiers, Pierre II, qui, embarrassé d'une foule d'affaires du même genre, et se voyant peut-être d'ailleurs en face d'un ennemi difficile, ne se pressa pas autant qu'ils l'auraient voulu. Ils recoururent donc au Saint-Siège, ressource ordinaire des faibles opprimés. Pascal II écrivit au pontife, s'étonnant de sa longue tolérance, et lui ordonna de forcer l'usurpateur à vider les lieux, et de le traiter, s'il s'y refusait, comme un ravisseur des biens de l'Église et un contempteur de la justice. Cette lettre est écrite vers 1110 environ (9).
Rien ne nous dit qu’elle fut la suite de ces menaces; mais elles produisirent sans doute leur effet ordinaire : après quelque résistance, l'homme d'armes cédait, et l'Église rentrait dans ses biens, à moins que l'exacteur, s'étourdissant sur les suites éternelles de ses méfaits, n'attendit, pour restituer, les sévères avertissements de la mort.
C'est ce qui arriva vers 1120 à Bernard, seigneur de la Roche, le fils sans doute de ce Bernard que nous avons vu permettre aux moines d'édifier un bourg au pied du château, et qui depuis lors (20 octobre 1111) leur avait encore cédé une place contiguë à leur monastère.
Quelques désaccords étaient survenus entre lui et les religieux. Peut-être avait-il contesté, après la mort de son père, les bienfaits de celui-ci, quelque bien donnés et acceptés qu'ils fussent. Mais une grave maladie survint; la mort s'approcha, et le remords avec elle.
En témoignage de son repentir, Bernard légua à Saint-Lienne la terre du Bugnon (de Bunio), sise dans la paroisse du Poiré (10). - De tels faits se renouvelèrent encore peu après. Un Joscelin de la Roche avait gratifié le prieuré d'une terre à lui appartenant, nommée la Maumilonière.
Après la mort de Bernard dont je viens de parler, Garath, fils de Joscelin s'en empare de force, et la garde. Dieu permet que bientôt après sa femme accouche malheureusement, et que de graves accidents fassent craindre pour sa vie. Elle supplie son mari avec larmes de pourvoir à son salut, et le ravisseur se hâte de remettre en possession le prieur Gourmil, à qui par une grande générosité il donne encore un livre qu'il ne lui devait pas (11).
(La vieille porte de la Roche-sur-Yon Porte dite des vieilles prisons du haut de la rue d’Ecquebouille)
L'histoire de ces temps où la force tenait souvent lieu des lois, et où ses abus ne pouvaient céder qu'à la religion, est pleine de semblables exemples.
Castrum de Rocha super Oyonem (la Roche sur Yon) prieuré saint Lienne <==..... .....==> Liste des seigneurs de la Roche sur Yon - Abbaye des Fontenelles
(1) Ce bourg est devenu une commune qui compte maintenant 2,000 habitants, et une cure de seconde classe. ( Cavoleau, annoté par M. de la Fontenelle, p. 743.)
(2) Le Luc est le nom de deux petites villes fort rapprochées l'une de l'autre, distantes de 15 à 20 kilo de la Roche, sur la route de Nantes aux Sables.
(3) D. Estiennot , Antiq. Bened., 4e part., Po 76.
(4) M. Marchegay s'est trompé en assignant à la charte qui constate cette donation environ 1090. Elle se rapproche plus de 1095, car elle est postérieure à la prise de possession de St-Lienne par les moines de Marmoutiers, laquelle est certainement de 1092.
(5) In servicium caballi. Ducange ne s'explique pas sur cette expression assez obscure. Je pense que ce devait être un impôt levé par le seigneur sur tous les lieux féodaux de sa dépendance pour l'entretien d'un certain nombre de cavaliers qui faisaient sous lui le service militaire.
(6) Cartular.,p. 3 et 4.
(7) De Vanalceo, aujourd'hui chef-lieu d'une commune à quelques kilom. de Bourbon; a 1,600 habitants.
(8) Cartular., p. 7.
(9) Cartular., p. 9, no x.
(10) Ibid., p. 11, no XIV.
(11) Cartular., no sv.