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PHystorique- Les Portes du Temps
26 septembre 2019

Droit de la Motte, la justice féodale des seigneurs

Droit de la Motte, la justice féodale des seigneurs

Dans nos campagnes on voit auprès de la plupart des anciennes maisons seigneuriales, auprès même de maisons de simples métairies ou closeries qui n' étaient point chef-lieu d'un fief, des élévations de terre, circulaires, couvertes d'un vieux gazon, très anciennement faites de main d'homme, en forme de cône tronqué, ou d'une calotte sur laquelle plusieurs personnes peuvent aisément monter et se placer. Quelques-unes sont entourées de fossés ou douves, dont la terre paraît avoir été extraite pour les former. On les appelle ordinairement la Motte ou la Butte.

Le droit de Motte était un droit remontant aux premières époques de la féodalité, et en vertu duquel les vassaux d'un domaine situé en pays de plaine étaient tenus d'apporter, à une place désignée, un certain nombre de charretées de terre pour y élever une butte ou motte, du haut de laquelle le seigneur pût apercevoir d'un seul coup-d'œil toute l'étendue de ses possessions.

Suivant la tradition de notre pays (et même de plusieurs autres lieux), ces mottes étaient anciennement le tribunal sur lequel le Seigneur tenait ses assises pour rendre la justice à ses vassaux, recevoir leur hommage et leurs redevances sous un chêne, au pied duquel était une grosse pierre qui était le siège du juge.

En effet, elles sont toujours sur un terrain de nature hommagée, noble, féodale. C'est-à-dire de faire connaître dans tous leurs détails les choses pour lesquelles il avait rendu son hommage. Il fut tenu, en outre, à déclarer tous les hommes, tant nobles que roturiers, aux assises prochaines.

Si elles ne servaient plus de tribunal, elles étaient encore le signe extérieur du droit de justice attaché au fonds, comme le gibet était celui du droit de justice criminelle. Lorsqu'on en voit sur de petits corps d'héritage qui n'ont aucune apparence d'ancienne seigneurie, il faut se rappeler que l'immeuble le plus modique, s'il était hommage, avait aussi la justice foncière.

C'était à cette motte féodale qu'à certains jours de la semaine, il tenait aussi ses assises, et que son bailli ou sénéchal rendait la justice en son nom.

C'était là aussi que les vassaux venaient payer leurs redevances. Enfin, ces mottes étaient le chef-lieu d'un fief principal. Aussi l'on trouve dans de très-anciens actes que tel arriére-fief, tel bois, tel moulin relevait de la motte de tel endroit, pour signifier qu'il dépendait du seigneur de ce lieu.

Bientôt après, une tour, emblème de la puissance du seigneur, fut érigée sur ces buttes.

D'âge en âge on les a considérées comme une marque d'honneur du fonds, ce qui en a fait conserver un grand nombre, surtout par les petits propriétaires. Il est probable qu'il y en avait auprès de tous les châteaux ; la plupart de celles-ci ont disparu dans les jardins et les décorations.

Le terme « féodalité » est issu du latin médiéval feodum, « fief »,

Le régime féodal s'est organisé au Xe et au XIe, siècle, mais les éléments qui le constituent ont commencé de se développer bien plus tôt. Parmi ces éléments on en distingue trois fondamentaux le vasselage, le bénéfice et l'immunité.

On a rattaché le vasselage au patronat romain et gallo-romain, ou à la clientèle celtique, ou au germanique. C'est inexact, car le patronat et la clientèle établissaient des rapports de dépendance entre des personnes de condition différente, tandis que le vassal est et reste une personne libre, de même condition que son seigneur. Le vasselage n'est donc, à vrai dire, ni romain, ni gaulois, ni germanique; il est mérovingien et carolingien.

L'acte par lequel on contractait primitivement le lien de vasselage est la recommandation. Celui qui s'était ainsi engagé devenait l'homme de son seigneur; aussi l'acte par lequel on devenait le vassal d'autrui s'est-il appelé hommage. C'est la nécessité qui poussa les gens à se recommander; elle devint impérieuse au VIII  siècle, à l'époque des rois fainéants; au IXe, à l'époque des invasions sarrasines, hongroises et normandes; au Xe enfin, pendant les luttes de la royauté française contre l'aristocratie, l'Eglise et l'Allemagne. A l'origine, le roi seul avait eu des vassaux; bientôt après, tout seigneur de quelque importance eut aussi les siens.

Pour s'assurer la fidélité de son homme, de son protégé, de son vassal ou, mieux encore, pour le mettre en état de remplir ses obligations personnelles, le seigneur lui donnait d'ordinaire un bénéfice. Le premier sens du mot est « bienfait » il désignait les générosités qu'un homme riche et puissant, faisait à ses protégés. A l'origine, c'étaient sans doute des têtes de bétail (all. Vieh, d'où fevum, fief); à l'époque où nous sommes, ce sont des exemptions de charge, des fonctions, des terres, des églises, des droits d'usage dans les forêts, etc.

Les bénéfices carolingiens pendant le cours du Xe siècle, deviennent peu à peu héréditaires. On peut considérer cette évolution comme achevée au XIe siècle. Le mot de bénéfice disparait alors pour ne laisser subsister que le mot fief. Comme les bénéfices étaient presque toujours associés à des fonctions et à des droits de souveraineté, on employait le mot honneur (honos) pour désigner à la fois les fonctions et les terres conférées par le suzerain au vassal.

Depuis lors, le possesseur d'un bénéfice reçut, non pas la propriété, mais seulement la jouissance de la terre. Sans doute il y avait encore des propriétés pleines et entières on les appelait des alleus (1). Les alleutiers étaient libres sur leurs terres ils n'étaient soumis à aucune des obligations imposées aux vassaux mais le nombre des alleus n'a cessé de décroître. Ils se maintinrent dans le Midi jusqu'au XIIIe siècle pour le moins dans le Nord, ils n'ont laissé que de rares souvenirs, devenus presque légendaires le « royaume » d'Yvetot des siècles derniers n'est sans, doute qu'un ancien alleu que la féodalité n'avait pas absorbé. La règle fut désormais qu'il n'y avait pas de terre sans seigneur, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas de terre qui ne fût soumise aux obligations féodales.

Naturellement le maître de la terre ne la concédait pas à tous ses protégées aux mêmes conditions. Il avait deux besoins essentiels soigner sa personne et défendre sa vie. Il prit donc à son service des bras pour combattre avec lui, et d'autres pour cultiver, ses champs, fabriquer ses vêtements et ses armes, construire ses maisons et ses forteresses.

Or les gens du moyen âge, imbus de l'esprit guerrier des Germains, considéraient le métier militaire comme le plus noble des états au temps des invasions et des guerres intestines, il était le plus utile. Aussi les nobles l’accaparèrent-ils.

Les artisans, les laboureurs, les roturiers en un mot, furent confinés dans les métiers serviles; les simples hommes libres tombèrent dans une demi-servitude avec d'infinies variétés dans les conditions individuelles, tandis que les plus hardis forment une classe privilégiée de nobles que les Mérovingiens n'avaient pas connue.

Bientôt on réserva le nom de bénéfice (ou de fief) pour désigner les terres concédées à charge de service militaire ou de tout autre service réputé noble, et celui de censive pour désigner les autres. La qualité des personnes s'imprima ainsi à la terre. De même que le travail était noble ou servile, la terre fut noble ou roturière. Enfin la condition des terres à son tour entraîna celle des personnes en règle générale, le possesseur d'un fief fut noble, celui d'une censive roturier; et, comme les terres données en fief étaient inégales en importance, il y eut pour les personnes nobles une hiérarchie réglée par la hiérarchie des terres.

Tout naturellement aussi, l'on retrouve dans le monde féodal les anciennes divisions administratives du temps de Charlemagne duchés, comtés, etc., mais transformées. La féodalité n'est pas uniquement un régime social où la condition des terres et celle des personnes sont réglées d'une manière nouvelle et originale c'est aussi un régime politique où la souveraineté est démembrée au profit des possesseurs de fiefs, au moins des plus grands d'entre eux.

Cette évolution s'opéra, elle aussi, peu à peu l'immunité en fut une des causes les plus efficaces. A l'époque mérovingienne, l'immunité était l'exemption de certaines redevances ou de certaines charges publiques, la collation de droits financiers ou de droits de justice, accordées par le roi surtout à des églises et à des monastères.

Charlemagne fit souvent remise des droits de douane, de marché, de péage. Louis Ier et ses successeurs allèrent jusqu'à concéder le droit de battre monnaie. Tous les droits régaliens furent donc peu à peu conférés à l'immunis.

Les laïques, de leur côté, s'emparèrent des fonctions publiques ainsi les comtes, qui exerçaient tous les pouvoirs au nom du roi, devinrent de véritables souverains dans leurs comtés quand ils furent héréditaires. A la vérité, il n'y eut jamais qu'un nombre relativement restreint de ces souverains féodaux, mais les plus minces seigneurs eurent cependant une part de la puissance publique puisque, à l'instar des riches propriétaires romains, les possesseurs de fiefs avaient le droit de rendre en leur propre nom la justice à leurs vassaux et qu'en outre les grands vassaux, successeurs des anciens fonctionnaires, s'arrogèrent le privilège de concéder à leur tour des droits qu'ils avaient reçus ou usurpés.

Le territoire se couvrit ainsi de seigneuries grandes et petites, relevant les unes des autres. Au premier rang, se plaçaient les grands fiefs, qui portèrent indifféremment pendant longtemps les titres de duché, de comté, de marquisat.

Citons par exemple le duché de France, qui disparut après 987, celui de Bourgogne, qui à cette époque appartenait à un frère d'Hugues Capet, et celui d'Aquitaine; puis ceux de Normandie et de Bretagne, dont les possesseurs jouirent d'une indépendance presque absolue. Au nord, le comté de Flandre était si puissant, et le comté ou marquisat de Toulouse au sud était si éloigné que l'action royale ne s'y faisait guère sentir. Le duché de Gascogne ne faisait pas en réalité partie du royaume de France tout le rattachait au contraire au royaume de Navarre mais un mariage le réunit à l'Aquitaine en et dès lors les pays situés au sud de la Dordogne et de la Gironde suivirent les destinées des pays compris entre la Garonne et la Loire.

Ces grands fiefs étaient d'anciennes divisions administratives et politiques dont les chefs avaient conquis lentement une indépendance d'ailleurs contestée. Joignez les seigneuries ecclésiastiques, anciens comtés possédés parues évêques, comme ceux de Tournai, de Beauvais, de Noyon, de Laon, de Reims, de Chalons, de Langres.

Le comté de Paris, donné par Hugues Capet à Bouchard de Montmorency, passa ensuite au fils de celui-ci, lequel devint évêque de Paris, et depuis, presque tous les fiefs du comté de Paris relevèrent de l'évêché. Ces vassaux avaient à leur tour des arrière-vassaux et ainsi de suite, si bien qu'il serait impossible de dire exactement le nombre de fiefs qu'il y eut en France à une époque quelconque du moyen âge.

Cette organisation fédérative substitua une société nouvelle et un ordre nouveau à l'ancienne société franque dissout par l'anarchie, mais les règles féodales laissaient une large place à l'exercice arbitraire de la force. Cette société, en effet, étant militaire et l'autorité publique étant très faible, les seigneurs se considéraient comme en droit de se faire justice à eux-mêmes en guerroyant contre leurs voisins. Il faudra des siècles à la royauté pour mettre fin à la coutume des guerres privées.

Il faut voir maintenant comment, en règle générale, on entrait en possession d'un fief, quelles obligations le vassal et le seigneur contractaient entre eux, enfin comment était administré un grand fief.

On entrait en possession d'un fief par l'acte de foi et d'hommage. Il est malaisé de distinguer l’hommage, qui n'est que l'ancienne recommandation, et la fidélité, que les sujets devaient toujours jurer à leur souverain. « Le contrat vassalique résulte précisément de l'union de la fidélité avec l'hommage ».

 Ces deux actes s'accomplissaient dans des formes différentes pour hommage; le vassal agenouillé mettait ses mains jointes dans celles du seigneur, qui le relevait ensuite et lui donnait le baiser de paix. Le serment de fidélité était prêté sur les évangiles ou sur les reliques. La cérémonie de l'hommage avait quelque chose d'humiliant, aussi de puissants feudataires s'y sont-ils parfois refusés mais cela ne changeait rien au fond des choses; on devenait l'homme de son suzerain en devenant son fidèle. Les mots vassus, fidelis, sont synonymes.

Puis on sentit le besoin de conserver par écrit le souvenir de cet acte ce fut l'aveu; procès-verbal de l'acte par lequel on s'était reconnu, avoué l'homme d'un seigneur d'autre part, le seigneur demanda qu'on indiquât aussi par écrit tout ce que contenait le fief c'est le dénombrement. Enfin; au XIVe siècle, il n'est plus resté de tout cela que deux pièces: l'une rédigée par devant le notaire et attestant la prestation de foi et d'hommage, l'autre contenant l'aveu et le dénombrement.

En même temps que le suzerain recevait l'hommage de son vassal, il lui remettait entre les mains un objet matériel qui représentait ou était censé représenter, matériellement le fief lui-même ; cette cérémonie symbolique s'appelait investiture. On conférait ainsi l'investiture d'un champ avec une motte de terre, d'un bois avec une branche d'arbre à un prélat, on donnait des gants, une crosse, un anneau pastoral, etc. Le vassal de son côté devait payer pour recevoir l'investiture, sans laquelle le contrat n'était pas valable.

Ces cérémonies achevées, le lien de vasselage était formé. Il était plus ou moins étroit, suivant par exemple que l'hommage était simple ou lige. L'hommage lige, qu'on ne rencontre d'ailleurs guère avant le XIII e siècle, entraînait des obligations plus précises et se substitua peu à peu dans la pratique à l'hommage simple.

Le lien qui rattachait le vassal au suzerain se déliait naturellement par la mort de l'un ou de l'autre alors même que les fiefs furent devenus héréditaires, ils ne passèrent pas de droit à l'héritier. On considérait que, le fief étant tombé, il fallait que le vassal le relevât, qu'il le rachetât pour cela payait un droit dit de relief ou de rachat qui variait à l'infini mais, ce droit acquitté, le suzerain ne pouvait refuser l'hommage de son vassal.

Le vasselage devint ainsi, non seulement un moyen pour les seigneurs d'avoir des gens dévoués, mais aussi le mode le plus général pour acquérir la possession du sol. Une terre, qu'on achèterait aujourd'hui avec de l'argent, se payait alors en services personnels.

La terre roturière s'acquérait comme la terre noble le roturier obtenait la censive en devenant l'homme du seigneur qui lui en délivrait la possession ou saisine par une cérémonie analogue à celle de l'investiture le tenancier faisait rédiger une « déclaration » semblable au dénombrement; il transmettait la terre à ses héritiers, mais ceux-ci devaient aussi racheter l'héritage s'il le vendait, l'acquéreur devait payer un droit dit de lods et vente qui s'élevait d'ordinaire au cinquième du revenu.

Le vassal devait au suzerain certains services personnels réputés nobles les trois principaux étaient le service militaire, le service de cour et le service de justice.

Le service militaire (Ost ou chevauchée) était dû à toute réquisition du suzerain et aux frais du vassal. Celui-ci devait se présenter en armes et à cheval; le cavalier était en effet l'homme d'armes par excellence, si bien que dans la langue latine de l'époque miles signifie toujours chevalier. De bonne heure, les vassaux obtinrent que cette obligation fût restreinte; l'homme lige par exemple ne dut servir à l'armée qu'une fois l'an et seulement pendant un temps déterminé, fixé souvent à quarante jours. Quand le seigneur rendait la justice, il s'entourait de ses vassaux, qui étaient tenus de venir à sa cour, soit pour être juges, soit pour être jugés. Enfin les vassaux avaient le devoir d'assister le suzerain de leurs conseils pour l'administration du fief. Dans certains cas exceptionnels, le vassal devait en outre une redevance en argent, ainsi pour payer la rançon du suzerain pris à la guerre, pour l'aider à marier sa fille ainée ou quand il armait son fils aîné chevalier, enfin quand il partait pour la croisade. C'est ce qu'en France on appelait l'Aide aux quatre cas.

Si le vassal manquait à l'une ou à l'autre de ces obligations, il se mettait en état de félonie ou de forfaiture et le suzerain pouvait lui reprendre son fief; tant qu'il s'en acquittait fidèlement, le suzerain devait non seulement le maintenir dans son fief, mais le défendre contre tout ennemi.

A la mort d'un seigneur, ses enfants recueillaient son héritage. Les règles de succession variaient suivant les pays. Ici, les héritiers mâles pouvaient seuls se partager la terre; là, les femmes étaient admises à succéder, bien qu'elles fussent incapables de porter les armes. Le plus souvent la principale portion d'un grand fief, le chef-lieu d'une baronnie, formait un bien indivisible qui passait à l'ainé des fils. Les droits exclusifs d'aînesse et de masculinité se généralisèrent rapidement et, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, ils ont imprimé un caractère particulier aux institutions féodales ils ont contribué à donner à la noblesse française un caractère de caste qu'au début elle était loin d'avoir.

Les fiefs étaient d'étendue très variable. Comme les villae romaines et mérovingiennes, ils pouvaient contenir des terres arables, des prés, des vignes, des bois, des pressoirs, des moulins, des églises ou des chapelles. D'ordinaire le seigneur ne se réservait la jouissance directe que d'une partie de ses terres; c'était son domaine, que les paysans exploitaient au moyen de la corvée les autres terres, distribuées à des personnes plus ou moins dépendantes, étaient les tenures. Les tenanciers nobles étaient les vassaux; quant aux tenanciers non nobles, ils étaient comme nos locataires ou nos fermiers, mais avec cette différence que leur location était perpétuelle la redevance ou cens était fixe.

Souvent aussi leur personne n'était pas libre; l'esclavage antique avait presque partout cédé la place au servage les serfs étaient des personnes, mais ils étaient attachés à la terre qu'ils cultivaient pour eux et pour le seigneur de père en fils. Leur condition variait à l'infini, comme aussi les redevances dont ils étaient tenus envers leur seigneur. La plus misérable était celle des serfs taillables et corvéables à merci, dont le seigneur pouvait prendre les biens en leur imposant des redevances ou tailles arbitraires, et desquels il pouvait exiger, sans aucune rémunération les travaux les plus considérables. Ils étaient dits aussi mainmortables, parce qu'ils avaient la main morte pour transmettre leurs biens, et que le seigneur s'en emparait à leur décès.

Dans son domaine et sur les terres de ses roturiers, le seigneur (ou plus exactement le grand seigneur), était une manière de souverain. C'est en son nom et à son profit qu'il faisait la guerre, battait monnaie, rendait la justice, percevait les impôts. Dans les plus grands fiefs, les fonctionnaires portaient souvent le même nom et étaient revêtus des mêmes charges que chez les rois carolingiens on y retrouve en effet le sénéchal, le connétable, le bouteiller, le chambrier, le maréchal, le chapelain.

L'administration était dans la main des viguiers (vicarii) comme à l'époque carolingienne, auxquels se joignirent plus tard les prévôts (prepositi) ou, dans le Midi, les bailes (bajuli) dans les villages, les paysans du seigneur étaient surveillés par des intendants ou maires de même condition qu'eux, et il en était de même dans les villes.

 La justice n'était pas rendue à tous dans les mêmes tribunaux; la règle générale était en effet que chaque homme devait être jugé par ses pairs, c'est-à-dire par ses égaux; mais elle était mal observée et c'est bien plus tard qu'apparut ce qu'on appelle le jury.

Le suzerain présidait lui-même les assises de sa cour, sauf pour les causes non féodales, où il se faisait représenter par dès prévôts, ou bien par des vicomtes en Normandie et par des viguiers dans les provinces méridionales.

Tous les seigneurs n'exerçaient pas les mêmes pouvoirs judiciaires ceux qui avaient le droit de haute justice pouvaient seuls juger certains crimes comme le meurtre, l'incendie, le rapt et le viol ils pouvaient condamner à mort, frapper le condamné de l'épée ou l'accrocher, soit à la simple potence, soit au gibet à plusieurs piliers, après l'avoir fait « traîner» avant de l'envoyer pendre. Ceux qui avaient seulement la basse justice ne pouvaient condamner à mort.

Les revenus que le seigneur tirait de ses fiefs étaient nombreux. On peut distinguer : 1° ceux qu'il réclamait en qualité de souverain exerçant les droits régaliens, comme l'aide aux quatre cas, les émoluments de justice, le droit de bris et d'épave, le droit de formariage exigé des serfs qui désiraient se marier hors de la seigneurie, le droit d'aubaine, qui mettait à sa disposition les biens des étrangers morts sur ses terres, etc. 2° ceux qu'il percevait plutôt à titre de propriétaire foncier. Ces derniers étaient très divers. On peut cependant ranger d'un côté les produits réguliers du domaine et de l'autre les produits variables des terres inféodées et des censives. 1° Pour se nourrir lui et sa famille, le seigneur prélevait une partie de la récolte de ses tenanciers (dîme ou champart) il se faisait héberger par eux; il prenait les plus belles pièces de boucherie ou les plus beaux poissons. Pour aménager ses terres et ses maisons, il exigeait la corvée, des charrois, etc; il se réservait le droit d'avoir seul des greniers, des fours, des moulins, des pressoirs, des aires, et faisait payer les paysans obligés d'y venir battre, moudre ou cuire leurs grains, presser leur raisin, leurs pommés ou leurs olives. Il prélevait des droits d'octroi à la porte des villes (tonlieux), des droits de péage sur les routes et sur les rivières, des droits de marché les forêts, la chasse et la pêche lui étaient en grande partie réservés. 2° Les terres inféodées lui rapportaient des droits de relief ou rachat, de Îods et vente.

Tout cela ne fournissait pas de gros revenus il y avait peu d'argent monnayé et les seigneurs ne thésaurisaient guère. La richesse venait toute de la terre, dont les fruits étaient consommés sur le lieu même. C'est aussi pourquoi la possession de la terre était si convoitée, pourquoi les bénéfices furent constitués surtout en terre, pourquoi les fiefs devinrent héréditaires. La féodalité provient de causes économiques aussi bien que politiques et sociales.

 

 

On a cru, pendant longtemps, voir l'origine du Gouvernement féodal dans les usages des Romains ; c'est que l'on avait alors plus de connaissance des Lois romaines que de notre ancien droit national. Les idées sont aujourd'hui fixées sur ce point et tout le monde est d'accord, que ce système singulier nous vient des anciens peuples du Nord ; de ces nations qui échappées de leurs forêts vers le commencement de l'ère chrétienne, se répandirent sur toutes les parties de l'Europe, brisèrent le joug sous lequel Rome les tenait asservies, et s'établirent enfin far les débris de ce vaste Empire.

On ne trouve pas, il est vrai, chez ces anciens peuples le Gouvernement féodal tel que nous l'avons vu depuis ; mais on en aperçoit le germe dans leur caractère, dans leurs manières, dans leurs usages; et c'est ce germe qui développé par la conquête, par les circonstances qui la préparèrent, par les événements qui la suivirent, qui a donné naissance à ce système bizarre, étonnant, le plus singulier que présent l'histoire des nations : système tellement lié aux institutions et au fond du caractère de ces peuples, qu'ils 1'ont établi partout d'une maniéré presqu'uniforme, quoique séparés , pour la plupart, par des mers, par des déserts, par la forme de leur Gouvernement, par des inimitiés particulières.

L'idée de distribuer aux conquérants les terres du peuple conquis, et d'attacher à cette libéralité l'obligation du service militaire, est infiniment Simple. Aussi n'a-t-elle pas échappé à la plupart des nations. Tel était surtout l'usage des Romains, dans l'établissement de ces colonies qu'ils plaçaient comme des Citadelles vivantes sur les confins de leur Empire : pourquoi donc le Gouvernement féodal n'a-t-il pas dès-lors pris naissance ? Pourquoi la même pratique chez les Germains a-t-elle produit des effets si différents ?

Le docteur Lingard, tome 1er de son histoire d'Angleterre, fait un résumé historique de l'origine du régime féodal. J'en présente ici l'analyse.

« Tacite nous apprend que chez les Germains chaque Capitaine ou Chef était accompagné d'un certain nombre de partisans qui faisaient son cortège en temps de paix et le suivaient au comte bat en temps de guerre. Ce parentage artificiel réunit ces hordes du Nord quand elles en sortirent pour chercher des aventures. Elles conservèrent ce système dans leurs nouveaux établissements. De là découle le système féodal. Des écrivains pensent qu'il fut introduit en Angleterre par Guillaume-le-Conquérant ; mais il lui donna seulement une forme plus positive. Les premiers germes du régime féodal existaient chez les Saxons, même dans les premiers temps de leur gouvernement, et ils s'y développèrent longtemps avant l'extinction de leur dynastie (le mot même de Vassal a été usité en Angleterre du temps d'Alfred ). Les Vassaux anglo-saxons étaient divisés en deux classes. Les uns étaient Vassaux par choix. D'autres étaient Vassaux par tenure ou mouvance de fief. Ils tenaient de leurs Seigneurs des propriétés à vie, ou même héréditaires, sous l'obligation du service militaire. On ne peut douter que les conquérants de la Bretagne se soient partagé les terres conquises. Ceci est prouvé par l'état des propriétés foncières qui leur appartenaient à toutes les époques subséquentes, et par l'arpentage général qui en a été fait originairement. Chaque district,  chaque royaume, avait été partagé entre autant de familles qu'il y avait de portions de terres  nommées hides. Il paraît que le Roi prenait la plus grande portion de ces divisions ; le reste se répartissait entre les Chefs, ses Vassaux immédiats. Chacun de ceux-ci, agissant de la même manière, se faisait un petit empire, et, se réservant une part considérable, distribuait le reste à ses compagnons sous différentes tenures. On voit en consultant le Domesday (le livre terrier ou l'arpentage que fit faire Guillaume-le-Conquérant ; c'est le cadastre féodal de l'Angleterre), que ce n'est pas ici une histoire inventée à plaisir.

Ce livre authentique présente un tableau exact de l’état de la contrée, non-seulement sous le Normand Guillaume, mais encore sous Edouard, son prédécesseur, anglo-saxon. On doit conclure que toutes les terres des Anglo-Saxons  leur imposaient originairement l'obligation du service militaire. Les barbares avoient acquis leurs nouveaux établissements par l'épée, ils entendaient les conserver par le même moyen.  

L'auteur traite ensuite des tribunaux anglais, anciens, des temps dont il vient de parler, qui se sont maintenus jusqu'à nos jours, avec des modifications, et qui avaient une grande analogie avec notre justice seigneuriale, haute, moyenne et basse.

On n'a rien écrit de plus précis, de plus positif, sur cette matière. Ce n'est point une opinion, c'est un résultat de monuments authentiques. Les preuves qu'il donne pour l'Angleterre sont aussi les preuves pour la France.

Les Angles et les Saxons, les Saliens, les Ripuaires, étaient des peuplades de la Germanie. Elles avoient des usages uniformes, à quelques nuances près, et elles les apportèrent dans les lieux de leurs conquêtes. Nos anciens Jurisconsultes (Ch. Dumoulin, Ch. Loyseau) avaient enseigné la même origine du système féodal parmi nous, mais ils n'y avaient pas ajouté les motifs de conviction que nous offre le docteur Lingard.

Nous avons, dans l'histoire de la Baronie de Craon, un exemple d'un pareil jugement, et en même temps de la peine infligée à la félonie conformément à ce que nous avons. Guérin, Seigneur de Craon, était Vassal de Geoffroi-Martel, Comte d'Anjou.

En l'an 1051 il voulut se soustraire à l'obéissance du Comte et rendit hommage pour sa terre au duc de Bretagne. Geoffroi assisté de ses Pairs prononça la confiscation (ou commise) de la Baronie de Craon. ( D. Morice , Hist. de Bretagne. Ménage, Hist. de Sablé)

 

Histoire du droit en France - Conflits et justice <==.... ....==> LES JURIDICTIONS BAS – POITEVINES

==> Les Marches communes du Poitou, d'Anjou, de Bretagne et l’organisation judiciaire et lois anciennes de la province du Poitou.

 


 

1. A l'origine dans la loi salique, l'alleu désigne l'héritage, en général. Puis on trouve des terres concédées in alode, c'est-à-dire pour être possédées héréditairement en toute propriété. Plus tard, on dit un alleu pour indiquer une terre ainsi possédée.

 

Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme

 

Essais historiques sur la ville et le pays de Laval... Duchemin de Villiers, Jacques-Ambroise

Traité des fiefs de Dumoulin, analysé et conféré avec les autres feudistes. Par M. Henrion de Pensey.

Histoire de l'Europe au moyen âge, 395-1270 (Nouvelle édition refondue) / par Charles Bémont, ... et Gabriel Monod, ...

 

Dr John Lingard (5 Février 1771-1717 Juillet 1851) était un prêtre catholique anglais et historien, l'auteur de l'Histoire de l'Angleterre, de la première invasion par les Romains à l'adhésion de Henri VIII , en 8 volume de travail publié en 1819.

 

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