Siège de La Rochelle, les fortifications du Maire Jean Guiton seront razez rez-pied, rez de terre sur ordre de Richelieu !
Quand la Rochelle se rendit, il n'y restait plus de vivant, nous assure M. Callot (1), que 5,400 personnes, dont plus de mille moururent peu après, tant les avaient usées six mois de souffrances et de privations. Le chiffre de la population au moment de l'investissement n'est peut-être pas bien rigoureusement établi. Certains témoignages nous donneraient à penser qu'il ne dépassait pas 20,000 âmes. Invoquant un recensement fait au commencement du siège, M. Callot le porterait à 28,000. Jérusalem a-t-elle été aussi durement châtiée?
Buckingham, en évacuant l'ile de Ré, avait laissé aux Rochelais une garnison de cinq cents ou six cents Anglais. De ce renfort étranger soixante-deux soldats seulement, le jour de la reddition, se trouvèrent en mesure de profiter de la capitulation.
Le dimanche 29 octobre, douze députés sortirent de la ville par la porte Neuve. Le maréchal de Bassompierre les conduisit au roi. Le roi les reçut en présence du cardinal. Dès l'entrée de la porte, ils se mirent à genoux. L'un d'eux, nommé la Goutte, prit la parole et, au nom des habitants de la Rochelle, demanda pardon à Sa Majesté.
« Le respect et la crainte, nous assure la chronique du temps, rendaient sa voix tremblante ». Ne s'y mêlait-il pas quelque frémissement intérieur? Ce n'étaient pas de vulgaires factieux que la force des armes contraignait en ce jour à se prosterner : jamais depuis Vercingétorix plus mâles courages n'avaient honoré la race française. L'unité de la patrie menacée se vengeait, mais la gloire d'une aussi héroïque résistance ne rejaillissait-elle pas sur la France entière? Le triomphe de Richelieu ne parait pas le front de la mère commune d'une plus belle auréole que la défense prolongée de Guiton.
(Jean Guiton - Réouverture de l'Hôtel de Ville de la Rochelle 07 Décembre 2019)
Richelieu et Guiton! Ce sont deux noms qui passeront ensemble à la postérité la plus reculée. La Vendée n'a-t-elle pas, aussi bien qu'Austerlitz, sa place dans notre histoire? Napoléon n'aurait pas fait mettre — j'aime à le croire du moins — les héros de la Rochelle à genoux.
« Je prie Dieu, répondit Louis XIII, quand Daniel la Goutte eut terminé sa harangue, que ce soit de cœur que vous me portiez honneur, et que ce ne soit pas la nécessité où vous êtes réduits qui vous fasse tenir ces paroles. Je sais bien que vous avez toujours été malicieux, pleins d'artifice, et que vous avez fait tout ce qui vous a été possible pour secouer
Le joug de mon obéissance. Je vous pardonne vos rébellions. Si vous m'êtes bons et fidèles sujets, je vous serai bon prince ».
Malheureusement de ces sujets, il en manquait quatorze ou quinze mille. A qui la faute? Aux assassins d'Henri IV, avant tout. A Sully aussi, qui négligea de donner à la royauté une marine nationale.
Si le roi eût possédé une marine, il n'y aurait pas eu de révolte à la Rochelle.
L'acte qui assurait aux Rochelais le pardon du roi et le libre exercice de leur religion fut signé, pour le roi, par de Marillac, pour les Rochelais, par Jean de Berne, Pierre Vielle, Rifaut, de la Goutte, de la Coste et Moquet.
Il fut fait et arrêté au château de la Sauzaye le 28 octobre 1628.
Après la reddition de la ville, Louis XIII déclara que : « Les murs, remparts, bastions et autres fortifications, fors les tours Saint-Nicolas, de la Chaîne et de la Lanterne et les murs sur la mer, depuis Saint-Nicolas jusqu'à la tour de la Lanterne seront razez rez-pied, rez de terre, et les fondements arrachez, les fossez comblez, en sorte que la charrue puisse y passer comme sur les terres de labour. »
Gaspard Coignet de La Thuilerie pour démolir les fortifications de La Rochelle
Il est intendant auprès de l'armée au siège de La Rochelle le 9 février 1628, puis intendant d'Aunis, Saintonge et Angoumois le 16 novembre 1628.
Lorsqu'il prit la direction des vastes contrées soumises à son autorité, Coignet de La Thuillerie reçut de Louis XIII, qui l'installa lui-même, une commission d'intendant de justice, police et finance des plus étendues, entrant dans les détails qui devaient préluder aux mesures énergiques dont le cardinal de Richelieu fut le promoteur.
Il lui était enjoint de faire démolir les fortifications de La Rochelle; cet ordre fut exécuté avec prudence et fermeté.
Voici du reste le texte complet de la commission envoyée à Coignet de la Thuillerie à la date du 16 novembre 1628, pour une durée de trois ans.
« Louis, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre, à nostre aîné et féal conseiller en nostre conseil d'Estat et maistre des requestes ordinaires de nostre hostel le sieur de la Thuillerie, Salut.
Ayant pieu à Dieu favoriser noz justes armes en la réduction de nostre ville de la Rochelle en nostre obéissance comme nous désirons en réserver tout le succès à sa gloire et au bien, repos et tranquilité de nostre royaume selon l'attente de noz bons et fidèles subjects, nous avons faict expédier nos lectres de déclaracion du présent mois contenant l'establissement que nous avons résolu estre faict en nostre dicte ville, pays et gouvernement de plusieurs églises, parroisses et monastères, et restablissement de celles qui avoyent estés ruinées pour le service de sa divine bonté, comme aussy l'estat et l'ordre que nous voulons estre tenu et gardé pour la conduicte et gouvernement de nostre dicte ville pour l'advenir et d'autant que par nostre dicte déclaration nous avons ordonné entre autres choses qu'il sera estably un Intendant de la justice en nostre dicte ville de la Rochelle, pays et gouvernement et en noz provinces de Poictou et Xaintonge depuis la rivière de Loire jusques à celle de Garonne et Gironde, pour avoir l'œil à l'observation des choses portées par nostre dicte déclaration, de noz ordonnances, exercice de la justice en toutes fonctions, soulagement de nostre peuple et tout ce qui concerne nostre service sçachans ne pouvoir faire plus digne choix pour remplir cette importante charge que de vostre personne, pour les tesmoignages que vous nous avez rendus de vostre suffisance, fidélité et affection au bien de nostre dict service, estans très asseurez que vous nous servirez aussy utilement et dignement en la dicte charge que vous avez faict aux autres occasions et emplois importans qui vous ont esté commis et dont nous avons toute satisfaction.
A ces causes et autres à ce nous mouvans, nous vous avons commis, ordonné et estably, commettons, ordonnons et establissons par ces présentes signées de nostre main pour avoir la charge d'Intendant de la police, justice et des finances en nostre dicte ville de la Rochelle et gouvernement et pays d'Aulniz et en noz provinces de Poictou et Xainctonge et isles adjacentes, depuis la rivière de Loire jusques à celle de Gironde et Garonne, et ladicte charge exercer durant trois ans aux honneurs, auctoritez, rang, séance et droicts qui appartiennent à la dicte charge èsdicts pays et provinces procéder aux règlements de la justice, réformation d'icelle selon les formes porteez par noz ordonnances et comme verrez estre à faire pour le mieux pour nostre auctorité, le repos et le soulagement de nos subjects vous donnans par ces présentes pouvoir d'entrer, seoir et préside ès sièges présidiaulx, bailliages et séneschaussées en audiences et causes tant civiles que criminelles, et en toutes autres justices royales sans aulcune distinction de jurisdiction quand besoin sera et bon vous semblera en ladicte qualité d'Intendant de la Justice ; ouïr les doléances de noz subjects, pourvoir et faire pourvoir sur icelles, leur rendre bonne et prompte justice sans acception, respect et considération de personne, ordonner et commander aux Prévôts des mareschaulx, leurs lieutenans, greffiers et archers, et autres noz juges, officiers et consuls de noz villes que vous verrez estre requis pour le faict et administration de la dicte justice et police, présider aux assemblées des villes qui se feront pour nostre service et autres affaires, pour présider et assister aux eslections des consuls, maires et eschevins et autres charges municipales et y faire observer l'ordre requis et nécessaire, pour le maintien de nostre auctorité voir et considérer le maniement des deniers communs et d'octroy et des autres charges et administrations publiques, tenir la main qu'il n'y soit commis aucune malversation, ni souffrir estre proposé ou délibéré en vostre présence ou de vostre sceu chose qui puisse préjudicier au bien de nostre service et à l'observation de noz dictes ordonnances, conférer avec les gouverneurs et noz lieutenans généraulx èsdicts pays et provinces de ce que besoin sera pour l'effect des présentes, vous informé et enquérir des devoirs et diligence que noz officiers desdicts lieux auront faict en l'exécution de nos edicts et déclarations faire punir les contrevenants, et à cette fin les faire mander et faire venir par devant vous toutes fois et quantes que vous adviserez leur commandant de vous obéir en ce que vous leur ordonnerez en sorte que la justice soit exercée et rendue à nos subjectz avec équité; diligence et sincérité; ouïr et régler tous procès, contentions et différends meus et à mouvoir entre particuliers et les corps des villes et communautés, les vuider et décider avec les dicts gouverneurs et noz lieutenans généraulx en ce qui concerne leur auctorilé, et, entre autres choses (appelez ceux ausquelz la congnoissance en appartient), cognoistre des diférends survenus ou qui pourront survenir entre la noblesse des dicts pays,empescher avec lesdicts gouverneurs et noz lieutenans généraulx qu'il ne se fasse aulcune assemblée ou monopoles au préjudice de nostre dict service soubs prétexte des dicts diférends, défendre, pacifier lesdicts débats entre noz officiers de judicature pour raison des droicts, émolumens, auctoritez, séances, prérogatives et prééminences de leurs charges et offices, du moins par provision, jusques à ce qu'autrement en aye esté ordonné en nostre conseil; faire observer les règlements qui auront esté donnez sur ce subject, et s'il y a aucun desdicts officiers, justiciers ou autres nos subjects qui commettent rébellion, désobéissance et contraventions à nos dicts édicts ou règlements, ou qui, par menées secrettes ou propos publics, taschent a divertir nos subjects du service qu'ils nous doivent et de troubler le repos public, informer contre eux et faire et parfaire le procès aux coulpables, suspendre, si besoin est nos dicts officiers de leurs charges et offices, commettre en leur place autres personnes qui sçachent bien s'en acquitter jusques à ce qu'il aye esté congnu et jugé de leur faulte ou innocence, et autrement ordonné par justice, renvoyant lesdicts officiers coulpables en nostre conseil avec les dicts procès, pour du tout en estre faict le chastiment, ou autrement ordonné selon que le cas le pourra mériter et quant aux autres nos subjectz qui ne seront officiers et se trouveront chargez et accusez de rébellion, désobéissance et de contravention à nos esdicts, leur faire et parfaire le procès jusques à sentence définitive, et exécution d'icelle inclusivement par jugement souverain et en dernier ressort, appeliez avec vous de noz conseilliers, justiciers et officiers des lieux où vous serez le nombre porté par nos ordonnances et tels que bon vous semblera, ou iceulx renvoyés aux juges ordinaires si vous jugez que faire se doibve pour y pourvoir et ordonner, enjoignant à touz nos justiciers et officiers des lieux ou vous serez de vous assister et obéir, vous rendre compte de ce qui sera du faict de la justice et satisfaire ce que vous leur ordonnerez pour l'effect et accomplissement des choses deppendantes du devoir de leurs dicts offices comme au semblable vous aurez l'oeil à l'ordre et à l'administration de noz finances èsdictes provinces, vous donnant pouvoir à cette fin d'entrer, seoir et présider aux bureaux des présidens et trésoriers généraulx de France establiz en noz villes de Poictiers et Limoges, vous faire représenter par noz officiers les estats de recepte et despence de nuz deniers, voir et considérer le maniement d'iceulx.
Et s'il sy commect quelque abus ou malversation, faire observer noz règlements et ordonnances sur le faict de noz dictes finances, et, en cas de contravention, faire punir les délinquans par les peines portées par noz ordonnances, tenant particulièrement la main à ce qu'il ne se face aucunes levées de deniers sur nostre pauvre peuple qu'en vertu de noz lectres patentes signées des secrétaires de noz commandements, et scellées de nostre grand sceau, informant soigneusement des exactions et violences, si aulcunes sont faictes par les gentilz hommes sur leurs justiciables et autres qui n'en osent faire poursuite par intimidation ou faulte de moyen.
Nous voulions aussy et entendons que vous assistiez en toutes délibérations et conseils qui seront tenuz par le sieur. pour l'ordre, et seureté de cette nostre ville de la Rochelle et pour les démolitions et razement des murailles et fortifications d'icelle qui ont esté par nous ordonnez, luy donniez vos advis, et tenez soigneusement la main qu'il ne sy commette aulcun abus, et ce que les gens de guerre y tiennent police et discipline sans aulcune foule et oppression de noz subjeciz, comme aussy vous ordonnons d'entendre au maniement et distribution des deniers qui seront destinez tant pour le payement des gens de guerre qui seront en nostre dicte ville de la Rochelle et en nos dictes provinces, que pour les frais de la démolition des fortiffications de nostre dicte ville, et tenir la main sur ceux actuellement employez ausdictes despences suivant les estatz que vous ferons expédier pour la solde desdicts gens de guerre et aux démolitions suivant les prix et marchez qui en seront faictz par le dict sieur. et par vous conjoinctement, faisant punir ceux qui délinqueront suivant la rigueur de noz ordonnances, voullant qu'il soit par vous procédé à l'exécution de nos lettres patentes de déclaration dudict présent mois que nous avons faict expédier sur la réduction de nostre dicte ville en nostre obéissance, et sur l'ordre, estat et police que nous voulions y estre à l'advenir observée et généralement de tout ce que vous congnoistrez estre de l'entretènement de noz dicts édicts et ordonnances, administration de la justice civile et criminelle, et autres affaires concernant le bien et le repos de nos subjectz, et en leur conservation en l'obéissance qu'ils nous doivent selon la confiance particulière que nous avons en vous de ce faire vous avons donné et donnons plein pouvoir, auctorité, commission et mandement spécial par ces dictes présentes, voullant que voz jugement et les procédures qui seront faictes en vertu d'iceulx soyent exécutées nonobstant opposition ou appellation quelconques récusation ou prise à partie pour lesquelles et sans préjudice d'icelles ne voullons estre diféré, dont nous avons interdit la congnoissance à touts autres juges.
Si donnons en mandement aux gouverneurs et noz lieutenans généraulx en nos dictes provinces de hault et bas Poictou, Xaintonge, pays d'Aulnis, ville et gouvernement de la Rochelle, gouvernement de Brouage, isles de Ré et d'Oleron et autres adjacentes que en tout ce qui sera du faict et exécution de cette présente commission, ils vous assistent, prestent main forte, et aux gens tenant les sièges présidiaulx, baillifs, séneschaulx, leurs lieutenans et autres noz justiciers et officiers, consuls ez nos villes, et autres noz subjectz quelconques qu'ils vous rendent et facent rendre toute obéissance, prestent et donnent pareillement pour l'exécution des présentes, circonstances et dépendances d'icelles tout confort, ayde, assistance et prison, si besoing est, et par vous en sont requis car, etc.
« Donné, etc. »
Louis XIII avait octroyé en janvier 1629 à Claude de Saint-Simon « toutes les terres, places et autres choses qui sont depuis les pieds des terrasses, murs, remparts et corps de garde du dedans de l'ancienne ville de la Rochelle jusques aux talus des contrescarpes des derniers fossés qui sont hors des dernières et nouvelles fortifications, y compris la nouvelle ville et les matériaux de toutes les tours nouvelles, portes, ponts, pavés, maisons, moulins, etc. »
.Saint-Simon ayant transporté le bénéfice de cette libéralité à L.Martin, élu de Nevers moyennant 21000 livres tournois, Louis XIII érigea en fief tout ce qui était compris dans la donation sous le titre de fief de Saint-Louis. Martin fut mis en possession, en avril 1630, par l'intendant de La Thuillerie (9).
Ainsi s'accomplissait le démantèlement des fortifications de la Rochelle.
Coignet de la Thuillerie,dit le P. Arcère (10), se comporta avec beaucoup de prudence et de fermeté, sans rien négliger des ordres de son prince il sut se concilier l'amitié des Rochelois qui firent frapper des jetons à sa gloire.
Sur un des revers on voit ses armes avec une légende contenant son nom et les qualités de conseiller au conseil d'Etat, maître ordinaire des requêtes, etc.
La Justice en face de La Rochelle; Armes d'azur à deux épées d'argent passées en sautoir, contournées de 4 croissants d'argent.
Sur l'autre revers est la ville de la Rochelle dans un enfoncement, sans murailles, ayant au-devant elle une justice qui la couvre tenant sa balance d'une main et son épée de l'autre et pour légende ces mots : haec mihi murus erit, avec la date 1629.
La Justice sera ma muraille
Les protestants, eux-mêmes, rendaient justice à la Thuillerie un ministre rochelois s'exprime ainsi sur son compte « l'intendant de la justice est homme entièrement équitable et qui ne se laisse pas emporter par la passion des ecclésiastiques contre nous »
Cet éloge n'est pas sans valeur et il faut ajouter que Richelieu était trop adroit pour envoyer à la Rochelle, après sa reddition, un commissaire n'ayant pas la main douce, sans tact ou sans esprit de conciliation.
Il était urgent de calmer les populations, et ce ne fut pas l'œuvre d'un jour, car plus tard l'Aunis et la Saintonge furent le théâtre de troubles violents et répétés qui gagnèrent bientôt l'Angoumois et le Poitou.
Nous arriverons au moment d'en exposer les causes dans la notice de Villemontée. La Thuillerie se ren dit célèbre par ses ambassades; à ses qualités d'administrateur il joignait celles de diplomate.
Son père, Mathieu Coignet, fut successivement secrétaire du roi, audiencier en la chancellerie de Paris, gentilhomme ordinaire, puis maître d'hôtel du roi Henri IV. Gaspard, reçu conseiller au Parlement de Paris le 27 août 1618, maître des requêtes le 23 décembre 1624, devint ensuite conseiller d'Etat et du conseil royal des finances. Nommé ambassadeur à Venise en 1637, il passa de là en Italie dont il fut rappelé pour remplir les mêmes fonctions en Hollande. Les rois de Suède et de Danemark s'étant déclaré la guerre, la Thuillerie fut dépêché vers ces deux princes en qualité d'ambassadeur extraordinaire. – II mourut en 1653, à l'âge de cinquante-sept ans.
Tel est le récit sommaire de cette existence si bien remplie. François de Villemontée, son successeur dans les provinces de l'Ouest, fut digne de lui et nous le connaîtrons mieux par la multiplicité des actes d'administration qu'il accomplit dans le Poitou/où il résida longtemps.
Société des antiquaires de l'Ouest
Ainsi fut fait comme le roi l'avait ordonné et cette destruction s'opéra avec une extrême rapidité.
Ce fut par la porte de Cougnes, le 11 novembre, que commença la démolition de l'enceinte de la ville.
« La Rochelle était naguère — dit un voyageur qui eut l'occasion de la visiter plusieurs années après le siège (2) — une ville des plus puissantes et des plus belles et des plus riches ; mais depuis le siège, auquel elle a succombé, il y a dix-huit ans, elle est tombée presque à rien. Il est déplorable qu'une aussi belle ville soit maintenant dans une aussi triste situation. Elle conserve à peine trace de ses beaux boulevards, de ses épaisses murailles, de ses profonds fossés, de ses redoutables remparts.
Cette place si forte n'est plus guère qu'un grand village, un grand bourg, et de toutes les rues on voit la campagne. Par endroits, il n'y a plus de vestiges de murailles et il ne reste plus debout que quelques portes, quelques tours antiques, qui font juger de ce qu'avaient dû être ces constructions si solides, qu'après la prise de la ville, on mit plus de quatre années entières à la démolir. »
Cependant, bien que les murailles aient été complètement rasées conformément à la volonté du roi, il semble que les différentes portes de ville, à part celle de Cougnes, furent en partie conservées. En effet, Bournaud, qui vivait en 1740, nous a laissé plusieurs dessins de ces portes démantelées.
Autour de ces vestiges devenus sans utilité au point de vue de la défense, les habitants y pratiquèrent des logements, sortes de verrues, venues s'incruster et enlaidir ces restes si précieux à la mémoire des Rochelais.
JEAN GUITON
Le siège de 1628 est inséparable du souvenir de celui qui fut l'incarnation même de la résistance.
Le maire Jean Guiton défendit sa ville avec un héroïsme sans égal, jusqu'à l'heure où la malheureuse cité dut succomber, plus par la famine que par la force des armes.
Guiton était né le 2 juillet 1585 et fut baptisé au temple Saint-Yon. (3) Il est inutile de retracer les différents épisodes de sa vie. Tout a été dit dans la savante biographie écrite par M. Callot. Le souvenir de ce chef énergique, de cet homme impassible au milieu des plus épouvantables catastrophes, provoqua une série de légendes dont l'authenticité peut être contestable, mais qui trouvèrent facilement crédit au près de ceux qui avaient fondé en lui leur dernière espérance. C'est ainsi qu'on montre encore, à l'Hôtel de Ville, une table de marbre sur laquelle se trouve une éraflure qu'on prétend avoir été faite d'un coup de poignard par Guiton, menaçant de percer ainsi le cœur de quiconque parlerait de se rendre.
Cet incident ainsi présenté n'est peut-être qu'une interprétation dénaturée du discours que Guiton prononça le jour de sa nomination à la mairie, le dimanche de la Quasimodo, 30 avril 1628, alors que les armées royales enserraient déjà la ville dans un cercle de feu. « Vous m'élevez — disait-il en tirant un poignard de sa ceinture — à la première « magistrature; j'accepte cet honneur, mais à la condition que, de la pointe de ce glaive, « je percerai le cœur de quiconque osera faire entendre des paroles de paix et parlera de « soumission. Si je m'abaisse à cette lâcheté, que mon sang expie mon crime ! Je consens « que tout citoyen devienne mon meurtrier ; l'amour de la patrie légitimera cet attentat.
« Cependant ce poignard restera sur la table du Conseil, objet de terreur pour un lâche « ou pour un perfide. (4) » Les propos suivants qu'on lui prête cadraient avec sa nature énergique : « Vous vous étonnez — disait-il à quelqu'un qui lui montrait un de ses amis mourant de faim; — il faudra bien que vous ou moi en venions là, si nous ne sommes pas secourus. » A la vue de tant de gens que la famine décimait, il déclarait qu'il suffisait qu'il en demeurât un pour fermer la porte; ou bien encore : « qu'il était prêt, si cela était nécessaire, à tirer au sort avec qui l'on voudrait, pour savoir lequel mangerait l'autre ».
Malgré ces belles paroles, faites pour relever le courage de ceux qu'il sentait défaillir, il avait un esprit trop judicieux pour ne pas comprendre que l'heure devait venir où toute résistance serait inutile. Il fut le premier à reconnaître qu'il n'y avait plus à traiter, mais à obéir.
Bien que les Rochelais eussent cherché auprès de l'Angleterre un appui, d'ailleurs illusoire, Richelieu put se convaincre, en consultant les registres du Corps de ville, que La Rochelle n'avait jamais voulu cesser d'appartenir au royaume de France.
ARMOIRIES DE JEAN GUITON.
La déclaration de Guiton au Cardinal en est la meilleure preuve : « Mieux vaut — disait-il — se rendre à un roi qui a su prendre La Rochelle, qu'à celui qui n'a pas su la défendre. » Après la capitulation, Guiton dut partir en exil; il accepta, plus tard, un comman- dement dans les flottes royales.
En 1647, sa fille Suzanne épousa Jacob Du Quesne de Malbroc, gentilhomme breton, capitaine des vaisseaux du roi, et frère du célèbre Du Quesne. (5) Au décès de la fille de Guiton, en 1672, son testament déposé chez le notaire Rabusson, (6) était scellé des armes de son père. Ce cachet est ainsi composé : « Un chevron, sommé d'une étoile, accompagné de trois larmes, deux en chef et une en pointe ; l'écu timbré du casque ou heaume orné de lambrequins de profil à deux griffes. (7) »
Guiton n'avait donc point pour blason, comme on s'est plu à le présenter, des armes parlantes composées d'un arbuste et d'un poisson (un gui et un thon). Les armes de la famille consistaient en trois merlettes.
Après une existence tourmentée, Guiton revint mourir à La Rochelle, et le registre des décès des protestants porte cette simple mention : « Le 15 mars 1654, Jehan Guiton, escuyer, sieur de Repose-Pucelle, âgé de 69 ans ou environ, a été enterré. » (Ce qui ne concorde pas avec la date de sa naissance.) Son inhumation eut lieu dans un petit cimetière situé près du rempart du front ouest, à côté de l'endroit où fut ouverte, depuis, la large voie qui mène au port de La Pallice. Par une heureuse coïncidence et sans qu'on l'eût cherchée, c'est presque sur le lieu même de sa sépulture que passe la belle avenue qui porte son nom.
Ainsi disparut, obscur et sans qu'on attirât sur lui l'attention de ses concitoyens, l'homme dont la vaillante énergie et la farouche intrépidité personnifient encore la résistance opiniâtre que La Rochelle avait vainement opposée aux armes royales pour la défense de ses franchises et de ses libertés.
Dans cette lutte disproportionnée, la Ville, livrée à ses propres ressources, devait fatalement succomber sous les efforts d'un homme de génie et s'incliner devant le grand principe de l'unité nationale.
Lorsque le peuple ressent le besoin de ressaisir sa liberté, la grande personnalité du dernier maire de La Rochelle se dresse devant lui, prend une forme réelle, tangible, qui traduit et réalise inconsciemment sa pensée.
On peut dire que l'histoire héroïque de La Rochelle finit avec le héros du dernier siège, et que la vie municipale, ayant perdu toute autonomie, se continua jusqu'à nos jours, en restant désormais assujettie aux règlements administratifs émanant du pouvoir central.
La Rochelle disparue / texte, eaux-fortes et illustrations par E. Couneau
les sieges de Ré et La Rochelle, digue de Richelieu <==.... ....==> Fortification de La Rochelle et construction de la porte Royale après le siège de Richelieu
16 Novembre 1628. — Plusieurs membres du conseil du Roi étaient d'avis que, dans la déclaration par laquelle Louis XIII devait décider du sort de la Rochelle, il fut mentionné que non seulement les Rochelais avaient appelé les Anglais, mais même s'étaient donnés à eux. Le garde des sceaux , qui ne voyait là qu'une cause d'irritation inutile, soutenait qu'au moins fallait-il avoir la preuve de la vérité de cette double accusation.
En conséquence, le 16 octobre, il se fit apporter les registres du corps de ville ; examina le traité passé entre les Rochelais et le Roi de la Grande-Bretagne, les mémoires et instructions donnés aux députés envoyés en Angleterre, et après la plus minutieuse enquête , acquit la certitude que, toujours et dans toutes leurs négociations, ils avaient fait réserve expresse de la fidélité qu'ils devaient au Roi et à la couronne de France. ( V. 14 oct. et 19 novembre.)
Cette gratuite calomnie, dont on voulait flétrir la mémoire de nos pères, fut donc effacée de la déclaration royale, qui fut publiée deux jours après. ( V. 15 janvier. )
Mais en même temps, chose à jamais regrettable, le garde des sceaux donna l'ordre de transporter à Paris, pour être déposés à la cour des comptes, tous les registres, titres, privilèges et antiques parchemins de la commune, dans lesquels étaient écrits son histoire et son glorieux passé (8) : un siècle après, tout était consumé dans l'immense incendie qui, en 1737, dévora les bâtiments de la cour des comptes. (Mervault.)
. — Ce jour-là, dit Guillaudeau, « on commença d'abattre les fortifications du costé de Maubecq. » Louis XIII les avait condamnées à être rasées, moins le front de la place du côté de la mer et les tours de Saint-Nicolas, de la Chaîne et de la Lanterne.
Ce furent les soldats d'abord que l'on chargea de cette œuvre de destruction, et si l'on en croit le manuscrit des recherches curieuses, ils ne se bornèrent pas à démolir les ouvrages de fortification, ils détruisirent encore plus de douze cents maisons dans la ville, sans que le gouvernement ni l'intendant y missent ordre.
On fit venir ensuite des travailleurs des villes voisines, qui furent taxées chacune à un certain nombre d'hommes, et on y employa jusqu'à deux ou trois mille personnes par jour. (Arch. de Fontenay.)
Le même jour, Louis XIII ordonna de conduire au château de Niort la duchesse de Rohan, qu'il n'avait pas voulu comprendre dans la capitulation, parce qu'elle avoit esté le flambeau qui avoit consummé ce peuple. (Guillaudeau. — Mém. de Richelieu.)
Il fit en même temps sortir de la ville le maire Guiton, le conseiller Tessereau (v. 10 septembre), le tribun Tharay, le ministre Salbert, Israël Torterue et plusieurs autres notables. (Colin. — Mervault.)
1630. — « On a commencé à prescher au Temple neuf, en la Ville-neuve. » ( Guillaudeau. - Colin.)
En expulsant les protestants du grand temple , qu'ils avaient construit sur la place, pour en conférer la jouissance aux paroissiens de Saint-Barthelémy, en attendant qu'il fut érigé en cathédrale ( V. 20 juin), Louis XIII avait concédé aux premiers un terrain dépendant des anciennes fortifications pour bâtir un nouveau temple, avec promesse d'une somme de 6,000 livres, pour ayder à faire les frais d'iceluy.
Il les avait en même temps autorisés à continuer leurs exercices religieux dans la salle Saint-Yon , jusqu'à ce que le temple de la Ville-neuve fut terminé. Malgré leurs réclamations, l'allocation promise ne leur fut pas donnée ; le roi les autorisa seulement à faire une quête sur les habitants de la ville de la religion prétendue réformée.
C'est à l'aide des deniers ainsi recueillis qu'avait été élevé le prêche de la Villeneuve, dont l'une de nos rues porte encore le nom ; mais moins vaste et bien plus simple que le grand temple de la place du château. (Art. accordés par S. M. à ceux de la religion, etc.) V. 1er mars — 14 juillet — 12 septembre.
Si nous sommes à peu près renseigné sur l'organisation administrative de la commune rochelaise à son origine ; si nous savons en quoi consistèrent ces privilèges que nos pères défendirent avec une ardeur que rien ne décourageait, il nous est presque impossible de dire en quoi consistait la Maison de Ville, où siégèrent les premières assemblées communales......
(1) Jean Guiton, dernier maire de l'ancienne commune de la Rochelle. Paris et la Rochelle, 1847.
(2) Extrait du journal de voyage d'Elie Brackenhoffer, né à Strasbourg, traduit par M. Henry Lehr, pasteur à Chartres (10-13 mars 1645).
(3) Jehan, fils de noble homme Jehan Guiton, échevin de cette ville, et de damoyselle Elisabeth Bodin. Perrain : noble homme Jehan Bodin, échevin de cette ville; méraine : damoyselle Françoise Henri. (Registre des protestants, au greffe du Tribunal civil.)
(4) Registres du Corps de ville.
(5) Registre des protestants, au greffe du Tribunal civil.
(6) Etude de Me Princé, notaire, successeur de Me Maubaillarcq.
(7) Mémoire de Jourdan sur les armes de Guiton, Revue de l'Aunis et de la Saintonge, 1866-1867.
(8) Cette mesure ne fut exécutée qu'eu 1631. La cour des comptes nomma à cette effet M. Bailly, l'un de ses membres , qui arriva à la Rochelle le 6 octobre. Effrayé de la quantité de titres renfermés dans la tour de Moureilles, où ne se trouvaient pas seulement les archives de la commune , mais encore les papiers les plus importants du parti protestant , il renonça à son premier projet d'en faire l'inventaire sur place , et en fit faire miles grands ballots qui furent expédiés à Paris. (Ms. de Barreau.) — V. ma XVIe Lettre Rochelaise.
(9) Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, t. XII, 1884, p. 408.
(10) Histoire de la Rochelle, t. II, p. 577.