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PHystorique- Les Portes du Temps
28 novembre 2023

1214 La Bataille de Bouvines

1214 Bataille de Bouvines

En l'année 1210, Othon de Brunswick, fils du duc de Saxe, avait été, malgré l'opposition du roi de France, couronné empereur par le pape Innocent III sous le nom-d'Othon IV.

Pour obtenir la préférence sur son jeune rival, Frédéric de Hohenstaufen, petit-fils du grand Barberousse, Othon avait solennellement promis de respecter les territoires appartenant à l'Eglise, de restituer ceux que l'empire retenait indûment et de n'entreprendre aucune action contre les vassaux directs de la papauté, « le serment ayant été juré et les actes publics faits et confirmés par le seing impérial » (1).

Mais, pour l'empereur d'Allemagne, alors comme maintenant, serments et traités n'étaient que chiffons de papier.

Les cérémonies de l'investiture à peine terminées, Othon signifiait au pape sa volonté de ne rien lui rendre, pas même la Toscane, autrefois léguée à l'Eglise de Rome par la comtesse Mathilde ; puis il s'emparait de presque toute la Romanie et des principaux châteaux de la Pouille, qui était pourtant tout entière du domaine de saint Pierre..

Mais c'était une plus riche proie que, dès avant son investiture, il avait convoitée: n'est-ce pas toujours vers la France que se sont - tournés les regards des Teutons, non vers la douce France, la terre de grâce et de beauté, mais vers la terre opulente, où l'on mange bien et où l'on s'enrichit.

Profitant du besoin qu'avait le roi d'Angleterre, Jean Sans-Terre, d'un allié puissant pour soutenir ses prétentions sur la Saintonge, le Poitou, l'Aquitaine et d'autres domaines encore, prétentions toujours renouvelées malgré les défaites que lui infligeait Philippe-Auguste, il lui promit de lever pour lui jusqu'à 100,000 hommes, à condition qu'il fournît l'argent nécessaire.

C'était bien, comme de nos jours, de l'invasion, de la destruction même de la France qu'il s'agissait.

« En 1208, Othon et son oncle Jean d'Angleterre, dans leur forfanterie, ne projetaient rien moins que de réduire le roi de France à la possession de Paris, d'Orléans et d'Etampes, comme au temps du bon roi Robert » (2).

En 1214, on ne laissait même plus ce pauvre domaine au roi de France : « Déjà, s'attendant à la victoire, ils avaient partagé tout le royaume, distribuant audacieusement, d'après les arrangements d'Othon, au comte Renaud le Vermandois, Paris à Ferrand et d'autres villes à d'autres hommes. » (3)

Il fallait abolir la royauté capétienne et avec elle la France dont elle commençait à faire une nation.

Mais, sans en témoigner de crainte, Philippe-Auguste avait vu le péril ; une partie de son armée était engagée en Poitou contre Jean Sans-Terre, car, ainsi que de nos jours, les Allemands, semble-t-il, l'avaient prémédité, une attaque venue de la mer par l'Ouest devait appuyer la ruée de l'Est.

N'importe, il rassemble tout ce qu'il peut de troupes, entre en Flandre, dont le duc Ferrand était des alliés d'Othon, ravage le pays et pousse audacieusement en avant, désireux d'éloigner la guerre de ses propres domaines.

Ce fut le 27 juillet 1214 que les deux armées en vinrent aux mains, dans la vaste plaine en avant du pont de Bouvines.

 On ne croit pas qu'Othon eût sous ses ordres les 100,000 combattants qu'il s'était vanté de réunir; pourtant, d'après les estimations les moins suspectes de partialité, son armée dépassait de plus du double celle du roi de France, laquelle vraisemblablement ne comptait pas plus de 25 à 30,000 hommes.

 

Mais c'était, pour la première fois, à côté des chevaliers et des hommes d'armes, la France qui, par ses milices, faisait front à l'envahisseur. L'envahisseur fut défait, la France fut sauvée.

Il est bon, à l'heure où nous sommes, de rappeler ce souvenir. Exactement sept siècles après, la victoire de la Marne écartait de nous le même terrible danger qu'en 1214 avait conjuré la victoire de Bouvines.

Les anciennes chroniques nous ont laissé de la bataille un pittoresque récit dû à la plume d'un témoin oculaire. Guillaume Le Breton, en effet, assistait.au combat ; il en a suivi toutes les péripéties.

Nous ne saurions mieux faire que de lui laisser la parole.

« (4) Maintenant, venons-en à décrire comme nous pourrons, avec l'aide du Selgeur, cette victoire dont nous avons parlé.

L'an de l'incarnation du Seigneur 1214, pendant que le roi Jean exerçait ses fureurs dans le pays de l'Anjou (5), ainsi qu'il a -été rapporté plus haut, l'empereur Othon, gagné par argent au parti du roi Jean, rassembla une armée dans le comté de Hainaut, dans un village appelé Valenciennes, dans le territoire du comte Ferrand.

Le roi Jean envoya avec lui, à ses frais, le comte de Boulogne, le comte de Salisbury, Ferrand lui-même, le duc de Limbourg, le duc de Brabant, dont le dit Othon avait épousé la fil lé, et beaucoup d'autres grands et comtes d'Allemagne, de Hainaut, de Brabant et de Flandre.

Dans le même temps, le roi Philippe, quoique son fils eût avec lui dans le Poitou la plus grandé partie de ses troupes, rassembla une armée, se mit en marche, le lendemain de la fête de Sainte-Marie-Madeleine, d'un château appelé Peronne, entra de vive force sur le territoire de Ferrand, le traversa en le dévastant à droite et a gauche, et s'avança ainsi jusqu'à la ville de Tournai, que les Flamands avaient, l'année précédente, prise par fourberie et considérablement endommagée. Mais le roi, y ayant envoyé une armée avec frère Garin et le comte de Saint-Paul, l'avait promptement recouvrée.

Othon vint avec son armée vers un château appelé Mortain (6); éloigné de six milles de Tournai,et qui, après que cette ville eût été recouvrée, avait été pris d'assaut et détruit par la dite armée du roi.

 Le samedi après la fête de  Saint-Jacques, apôtre et martyr du Christ, le roi proposa de les attaquer ; mais les barons l'en dissuadèrent, car ils n'avaient d'autre route pour arriver vers eux qu'un passage étroit et difficile. Ils changèrent donc de dessein et résolurent de retourner sur leurs pas et d'envahir les frontières du Hainaut par un chemin plus uni, et de ravager entièrement cette terre.

Le lendemain donc, c'est-à-dire le 27 juillet, le roi quitta Tournai pour se diriger vers un château appelé Lille, où il se proposait de prendre du repos avec son armée pendant cette nuit-là..

 

Le même matin, Othon s'éloigna avec son armée de Mortain. Le roi ne savait pas et ne pouvait croire qu'ils vinssent derrière lui. C'est pourquoi le vicomte de Melun s'écarta de l'armée du roi avec quelques cavaliers armés à la légère et s'avança vers le côté d'où venait Othon. Il fui suivi d'un homme très brave, d'un conseil sage et admirable, prévoyant avec une grande habileté ce qui peut arriver, Garin, l'élu de Senlis, que j'ai nommé plus haut le frère Garin, car il était frère profès de l'hôpital de Jerusalem, et alors, quoique évêque de Senlis, n'avait pas cessé de porter comme auparavant, son habit de religieux.

Ils s'éloignèrent donc de plus de trois milles de l'armée du roi jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés dans un lieu élevé, d'où ils purent voir clairement les bataillons des ennemis s'avancer prêts à combattre.

Le vicomte restant quelque temps en cet endroit, l'évêque se rendit promptement vers le roi, lui dit que les ennemis venaient rangés et prêts à combattre et lui rapporta ce qu'il avait vu, les chevaux couverts et les hommes d'armes marchant en avant, ce qui marquait évidemment qu'il y aurait combat.

Le roi ordonna aux bataillons de s'arrêter, et, ayant, convoqué les grands, les consulta sur ce qu'il y avait à faire. Ils ne lui conseillèrent pas beaucoup de combattre, mais plutôt de s'avancer toujours.

Les ennemis étant arrivés à un ruisseau qu'on ne pouvait facilement traverser, le passèrent peu à peu et feignirent, ainsi que le crurent quelques-uns des nôtres, de vouloir marcher vers Tournai.

 L'évêque était d'un avis contraire, proclamant et affirmant qu'il fallait nécessairement combattre ou se retirer avec honte et 'dommage.

Cependant, les avis et les assertions du plus grand nombre prévalurent. Nous nous avançâmes vers un pont appelé Bovines, placé entre un endroit appelé Sanghin et la ville de Cisoing.

Déjà la plus grande partie de l'armée avait passé le pont, et le roi avait quitté ses armes ; mais il n'avait pas encore traversé le pont, ainsi que le pensaient les ennemis, dont l'intention était, s'il l'eût traversé, ou de tuer sans pitié, ou de vaincre comme ils l'auraient voulu, ceux qu'ils auraient trouvé en deçà du pont.

Pendant que le roi, un peu fatigué des armes et du chemin, prenait un léger repos sous 1'Ómbre d'un frêne, près d'une église fondée en l'honneur de saint Pierre, voilà que des messagers envoyés par ceux qui étaient aux derniers rangs, et se hâtant d'accourir promptement vers lui, annoncèrent avec de grands cris que les ennemis arrivaient, et que, déjà, le combat était presque engagé aux derniers rangs; que le vicomte et les archers, les cavaliers et les hommes de pied armés à la légère, ne soutenaient leur attaque qu'avec la plus grande difficulté et de grands dangers, et qu'ils pouvaient à peine plus longtemps arrêter leur fureur et leur impétuosité.

A cette nouvelle, le roi entra dans l'église, et, adressant au Seigneur une courte prière, il sortit pour revêtir de nouveau ses armes, et, le visage animé et avec une joie aussi vive que si on l'eût appelé à une noce, il saute sur son cheval.

Le cri de : « Aux armes ! hommes de guerre, aux armes ! » retentit partout dans les champs, et les trompettes résonnent ; les cohortes qui avaient déjà passé le pont reviennent sur leurs pas.;

On rappelle l'étendard de Saint-Denis, qui devait dans les combats marcher à la tête de tous, et comme il ne revient pas assez vite, on ne l'attend pas.

Le roi, d'une course rapide, se précipite vers les derniers rangs et se place sur le premier front de la bataille, où personne ne s'élance entre lui et ses ennemis.

Les ennemis, voyant le roi, contre leur espérance, revenir sur ses pas, frappés, je crois, comme de stupeur et d'épouvante, se détournèrent vers le côté droit du chemin par lequel ils venaient, et, s'étendant vers l'occident, s'emparèrent de la partie la plus élevée de la plaine et se tinrent du côté du Nord, ayant devant les yeux le soleil, plus ardent ce jour-là qu'à l'ordinaire.

 Le roi déploya ses ailes du côté contraire et se tint du côté du midi avec son armée qui s'étendait sur une ligne dans l'espace immense de la plaine, en sorte qu'ils avaient le soleil à dos. Les deux armées se tinrent ainsi occupant à peu près une même étendue, et séparées l'une de l'autre par un espace peu considérable.

 Au milieu de cette disposition, au premier rang était le roi Philippe, aux côtés duquel se tenaient Guillaume des Barres, la fleur des chevaliers; Barthélémy de Roye, homme sage et d'un âge avancé ; Gautier le jeune, homme prudent et valeureux et sage conseiller ; Pierre de Mauvoisin, Gérard Scropha, Etienne de Longchamps, Guillaume de Mortemar, Jean de Rouvrai, Guillaume de Garlande, Henri, comte de Bar, jeune d'âge, vieux d'esprit, distingué par son courage et sa beauté, qui avait succédé en la dignité et en la charge de comte à son père, cousin-germain du roi récemment mort, et un grand nombre d'autres, dont il serait trop long de rapporter les noms, tous hommes remarquables par leur courage, depuis longtemps exercés à la guerre et qui, pour ces raisons, avaient été spécialement placés pour la garde du roi dans ce combat.

Du côté opposé, se tenait Othon, au milieu des rangs épais de son armée, qui portait pour bannière un aigle doré au-dessus d'un dragon attaché. à une très longue perche dressée sur un char.

Le roi; avant d'en venir aux mains, adressa à ses chevaliers cette courte et modeste harangue : « Tout notre espoir, toute notre confiance sont placés en Dieu.

Le roi Othon et son armée, qui sont les ennemis et les destructeurs des biens de la sainte Eglise, ont été excommuniés par le seigneur Pape ; l'argent qu'ils emploient pour leur solde est le produit des larmes des pauvres et du pillage des églises de Dieu et des clercs. Mais nous, nous sommes chrétiens ; nous jouissons de la communion et de la paix de la sainte Eglise, et nous défendons, selon notre pouvoir, les libertés du clergé. Nous devons donc avec confiance nous attendre à la miséricorde de Dieu, qui, malgré nos péchés, nous accordera la victoire sur ses ennemis et les nôtres. »

A ces mots, les chevaliers demandèrent au roi sa bénédiction ; ayant élevé la main, il invoqua pour eux la bénédiction du Seigneur ; aussitôt, les trompettes sonnèrent et ils fondirent avec ardeur sur les ennemis, et combattirent avec tin courage et une impétuosité extrêmes..

En ce moment se tenaient, en arrière du roi, non loin de lui, le chapelain qui a écrit ces choses et un clerc.

Ayant entendu le son de la trompette, ils entonnèrent des psaumes et les chantèrent comme ils purent. Ils rappelaient à Dieu avec une sincère dévotion l'honneur et la liberté dont jouissait son Eglise par le pouvoir du roi Philippe et le déshonneur et les outrages qu'elle souffrait et souffre encore de la part d'Othon et du roi Jean par les dons duquel tous ces ennemis, excités contre le roi, osaient, dans son royaume, attaquer leur Seigneur.

 

Le premier choc ne fut pas du côté où se trouvait le roi ; car avant qu'il en vînt aux mains, on combattait à l'aile droite, à droite du roi, sans qu'il le sût, je crois, contre Ferrand et les siens.

Le premier front des combattants était, comme nous l'avons dit, étendu en ligne droite et occupait dans la plaine un espace de quarante mille pas.

 L'évêque était dans cet endroit, non pour combattre, mais pour exhorter les hommes d'armes et les animer pour l'honneur de Dieu, du royaume et du roi, et pour leur propre salut ; il voulait exciter surtout le très noble Eudes, duc de Bourgogne, Gaucher, comte de Saint-Paul, que quelques-uns soupçonnaient d'avoir quelquefois favorisé les ennemis, à raison de quoi il dit lui-même à l'évêque que ce jour-là il serait un bon traître ; Mathieu de Montmorency, chevalier plein de valeur ; Jean, comte de Beaumont ; beaucoup d'autres braves chevaliers et, en outre, cent quatre-vingts chevaliers de la Champagne.

Tous ces combattants avaient été rangés en un seul bataillon par l'évêque, qui mit aux derniers rangs quelques-uns qui étaient à la tête, et qu'il savait de peu de courage et d'ardeur.

 Il plaça sur un seul et premier rang ceux de la bravoure et de l'ardeur desquels il était sûr, et leur dit : « Le champ est vaste, étendez-vous en ligne droite à travers la plaine, de peur que les ennemis ne vous enveloppent. Il ne faut pas qu'un chevalier se fasse un bouclier d'un autre  chevalier, mais tenez-vous de manière que vous puissiez tous combattre comme d'un seul front. »

A ces mots, le dit évêque, d'après le conseil du comte de Saint-Paul, lança en avant cent cinquante hommes d'armes à cheval pour commencer le combat, afin qu'ensuite les nobles chevaliers trouvassent les ennemis un peu troublés et en désordre.

Les Flamands, qui étaient les plus ardents au combat, s'indignèrent d'être attaqués d'abord par des hommes d'armes et non par des chevaliers. Ils ne bougèrent pas de leur place, mais, les ayant attendus, ils les reçurent vigoureusement, tuèrent les chevaux de presque tous, les accablèrent d'un grand nombre de blessures, mais n'en blessèrent que deux à mort, car c'étaient de très braves hommes d'armes de la vallée de Soissons et ils combattaient aussi bien à pied qu'à cheval.

Gautier de Ghistelle et Buridan (7), d'un merveilleux courage et comme incapables de crainte, rappelaient aux chevaliers les faits de leurs compagnons, aussi peu troublés que s'il se fut agi de quelque jeu guerrier.

Après avoir renversé quelques-uns de ces hommes d'armes, ils les laissèrent de côté et s'avancèrent en plaine, ne voulant, comme s'il se fut agi de quelque exercice d'été, combattre qu'avec des chevaliers.

Quelques chevaliers de la troupe de Champagne, d'une valeur aussi grande que la leur, en vinrent aux -mains avec eux. Les lances brisées, ils tirèrent leurs épées et redoublèrent les coups ; mais Pierre de Remi étant survenu avec ceux qui étaient dans le même bataillon, Gautier de Ghistelle et Buridan furent emmenés, par force, prisonniers. Ils avaient avec eux un chevalier nommé Eustache de Maquilin, qui vociférait avec orgueil : « Mort aux Français ! Mort aux Français ! »

Les Français l'entourèrent et l'un d'eux l'ayant saisi, le força de subir avec horreur la mort dont il menaçait à grands cris les Français. Sa mort et la prise de Gautier et Buridan accrurent l'audace des Français et, comme certains de la victoire, rejetant toute crainte, ils firent usage de toutes leurs forces.

Gaucher, comte de Saint-Paul, avec une légèreté égale à celle d'un aigle qui fond sur des colombes, suivit les hommes d'armes envoyés, comme nous l'avons dit par l'évêque. A la tête de ses cheva1iers qu'il avait choisis excellents, il pénétra au milieu de ses ennemis et traversa leurs rangs avec une agilité merveilleuse : donnant et recevant un grand nombre de coups, tuant et abattant indifféremment hommes et chevaux, et ne prenant personne, il revint ainsi à travers une autre troupe d'ennemis et en enveloppa un très grand nombre comme dans un filet. Il-fut suivi avec une aussi grande impétuosité par le comte de Beaumont, Mathieu de Montmorency avec les siens, le duc de Bourgogne lui-même entouré d'un grand nombre de braves chevaliers, et la troupe de Champagne.

Là s'engagea des deux côtés un combat admirable. Le duc de Bourgogne, très corpulent et d'une complexion flegmatique, fut jeté à terre et son cheval fut tué par les ennemis. On se pressa autour de lui et les bataillons des Bourguignons l'entourèrent. On lui amena un autre cheval.

Le duc, relevé de terre par les mains des siens, monte sur son cheval, agite son épée dans sa main, dit qu'il veut venger sa chute et se précipite avec -fureur sur les ennemis. Il n'examine pas qui se présente à lui, mais il venge sa chute sur tous ceux qu'il rencontre, comme si chacun d'eux avait tué son cheval.

 Là combattait le vicomte de Melun, qui faisait des prodiges de valeur, ayant dans son bataillon de très braves chevaliers. De même que le comte de Saint-Paul, il attaqua les ennemis d'un côté, les enfonça et revint à travers leurs rangs par un autre côté. Là Michel de Harmes, dans un autre bataillon, eut son bouclier, sa cuirasse et sa cuisse transpercés par la lance d'un Flamand et demeura cloué à sa selle et à son cheval, en sorte que lui et le cheval tombèrent à terre. Hugues de Malaunaye fut renversé à terre, ainsi que beaucoup d'autres, dont les chevaux' furent tués, et qui, se relevant avec force, combattirent aussi vigoureusement à pied qu'à cheval.

Le comte de Saint-Paul, fatigué des coups qu'il avait reçus comme de ceux qu'il avait portés, s'éloigna un peu de ce carnage et prit un léger repos. Ayant le visage tourné vers les ennemis, il vit un de ses chevaliers entouré par eux. Comme il n'y avait aucun accès vers lui pour le délivrer, quoi qu'il n'eut pas encore; repris haleine, pour pouvoir traverser avec moins de danger le bataillon serré des ennemis, il se courba sur le cou de son cheval, qu'il embrassa de ses deux bras, et, pressant son cheval des éperons, il fondit sur le bataillon des ennemis et parvint à travers leurs rangs jusqu'à son chevalier. Là, se redressant, il tira son épée, dispersa merveilleusement tous les ennemis qui l'entouraient, et ainsi, par une audace ou une témérité admirable, et à son grand péril, il délivra son chevalier de la mort, et, s'échappant des mains des ennemis, se retira dans son bataillon.

 Ceux qui en avaient été témoins affirmèrent qu'il avait été un moment en un tel danger que douze lances à la fois l'avaient frappé sans pouvoir cependant ni abattre son cheval, ni l'enlever de dessus la selle. Après s'être un peu reposé, il se précipita de nouveau au milieu des ennemis avec ses chevaliers, qui avaient pris haleine pendant ce temps-là.

La victoire ayant pendant quelque temps voltigé d'une aile douteuse d'un côté à l'autre, comme ce combat si animé durait déjà depuis trois heures, tout le poids de la bataille tourna enfin contre Ferrand et les siens. Lors, accablé de blessures et renversé à terre, il fut emmené prisonnier avec un grand nombre de ses chevaliers. Presque expirant de la fatigue d'un si long combat, il se rendit principalement à Hugues de Maroil et à Jean, son frère ; tous les autres qui combattaient dans cette partie de la plaine furent tués ou pris, ou échappèrent par une honteuse fuite aux Français qui les poursuivaient.

Pendant ce temps, arrivèrent, avec la bannière de Saint-Denis, les légions des communes qui s'étaient avancées presque jusqu'aux maisons. Elles accoururent le plus promptement possible vers l'armée du roi, où elles voyaient la bannière royale, qui se distinguait par les fleurs de lys et que portait, ce jour-là, Galon de Montigny, chevalier très valeureux, mais peu fortuné. Les communes étant donc arrivées, principalement celles de Corheil, d'Amiens, de Beauvais, de Compiègne et d'Arras (8), pénétrèrent dans les bataillons des chevaliers et se placèrent devant le roi lui-même.

Mais ceux de l'armée d'Othon, qui étaient des hommes d'un courage et d'une audace extrêmes, les repoussèrent incontinent vers le roi, et, les ayant un peu dispersés, parvinrent presque jusqu'au roi. A cette vue, les chevaliers qui étaient dans l'armée du roi marchèrent en avant, et, laissant derrière eux le roi, pour lequel ils concevaient quelque crainte, s'opposèrent à Othon et aux siens qui, dans leur fureur teutonique, ne cherchaient que le roi seul.

Pendant qu'ils étaient devant et arrêtaient par leur admirable courage la fureur des Teutons, des hommes de pied entourèrent le roi et le jetèrent à bas de son cheval avec des crochets et des lances minces ; et s'il n'eut été protégé par la main de Dieu et par une armure incomparable, ils l'eussent certainement tué.

 Un petit nombre de chevaliers qui étaient restés avec lui, le dit Galon qui, abaissant souvent sa bannière, demandait du secours, et surtout Pierre Tristan, qui, descendant lui-même de son cheval, se jeta au-deyant des coups qui menaçaient le roi, renversèrent, dispersèrent et tuèrent ces hommes de pied ; et le roi lui-même se relevant plus vite qu'on ne l'espérait, sauta sur un cheval avec une étonnante légèreté.

On combattit donc des deux côtés, avec un courage admirable, et un grand nombre d'hommes de guerre furent renversés.

Devant les yeux même du roi fut tué Etienne de Longchamp, chevalier valeureux et d'une fidélité intacte, qui reçut un coup de couteau dans la tête, par la visière de son casque ; car les ennemis se servaient d'une espèce d'arme étonnante et inconnue jusqu'à présent : ils avaient de longs couteaux minces et à trois tranchants qui coupaient également de chaque tranchant depuis la pointe jusqu'à la poignée, et ils s'en servaient en guise d'épée.

Mais, par l'aide de Dieu, les épées des Français et leur infatigable courage l'emportaient. Ils repoussèrent toute l'armée d'Othon et parvinrent jusqu'à lui ; au point que Pierre Mauvoisin, chevalier plus puissant par les armes, en quoi il surprenait tous les autres, que par la sagesse, saisit son cheval par la bride ; mais comme il ne pouvait le tirer de la foule dans laquelle il était pressé, Gérard Scropha lui frappa la poitrine d'un couteau qu'il tenait nu dans la main. N'ayant pu le blesser, à cause de- l'épaisseur des armes impénétrables qui défendent les chevaliers de notre temps, il réitéra son coup; mais ce second coup porta sur la tête du cheval, qui la portait droite et élevée.

Le couteau, poussé avec une force merveilleuse, entra, par l'œil du cheval, dans sa cervelle. Le cheval, blessé à mort, se cabra et tourna la tête vers le côté d'où il était venu. Aussi l'empereur montra le dos à nos chevaliers et s'éloigna de la plaine, quittant et abandonnant au pillage l'aigle avec le char.

 A cette vue, le roi dit aux siens : « Vous ne verrez plus sa figure aujourd'hui. » Il était déjà un peu en avant, lorsque son cheval s'abattit.

On lui amena aussitôt un cheval frais. Il le monta et se mit à fuir promptement. Déjà, en effet, il ne pouvait plus soutenir davantage la valeur de nos chevaliers, car deux fois le chevalier des Barres l'avait tenu par le cou ; mais il lui avait échappé par la vitesse de son cheval et par le grand nombre de ses chevaliers qui, pendant que leur empereur fuyait, combattaient merveilleusement, au point qu'ils renversèrent le chevalier des Barres qui s'était avancé plus que les autres.

Gautier le jeune, Guillaume de Garlande, Barthélemy de Roye, et d'autres qui étaient avec eux, dont les lances brisées et les épées toutes sanglantes attestaient la bravoure, étant, dit-on, des hommes prudents, ne jugèrent pas bon de laisser loin d'eux le roi, qui les suivait d'un pas égal ; c'est pourquoi ils ne s'étaient pas autant avancés que le chevalier des Barres, qui, démonté et entouré d'ennemis, se .défendait, selon sa coutume, avec une admirable valeur.

Cependant, comme un homme seul ne peut résister à une multitude, il eût été pris ou tué, si Thomas de Saint-Valery, homme- brave et fort à la guerre, ne fût survenu avec sa troupe composée de cinquante chevaliers et deux mille hommes à pied. Il délivra le chevalier des Barres des mains des ennemis, ainsi que me l'a raconté quelqu'un qui y était.

Le combat se ranima. Bernard de Hoslemale, très brave chevalier, le comte Othon de Tecklenbourg, le comte Conrad de Dortmund et Gérard de Randeradt, avec d'autres chevaliers très valeureux que l'empereur avait spécialement choisis, à cause de leur éminente bravoure, pour être à ses côtés dans le combat, combattaient pendant que l'empereur fuyait et renversaient et blessaient les nôtres.

Cependant, les nôtres l'emportèrent, car les deux comtes ci-dessus nommés furent pris, ainsi que Bernard et Gérard ; le char fut mis en pièces, le dragon brisé, et l'aigle, les ailes arrachées et rompues, fut porté au roi.

Le comte de Boulogne ne cessa pas de combattre depuis le commencement de 13: bataille et personne ne put le vaincre. Le dit comte avait employé un artifice admirable; il s'était fait comme un rempart d'hommes d'armes très serrés sur deux rangs, en forme de tour à l'instar d'un château assiégé, où il y avait une entrée comme une porte par laquelle il entrait toutes les fois qu'il voulait reprendre haleine ou quand il était pressé par les ennemis, et il eut souvent recours à ce moyen.

. Le comte Ferrand et l'empereur lui-même, comme nous l'avons ensuite appris des prisonniers, avaient juré de négliger tous les autres bataillons, pour s'avancer vers celui du roi Philippe, et de ne point détourner leurs chevaux qu'ils ne fussent parvenus vers lui, parce que si le roi (Dieu nous en préserve) eût été tué, ils espéraient triompher plus facilement du reste de l'armée. C'est à cause de ce serment qu'Othon et son bataillon ne combattirent qu'avec le roi et son bataillon.

Ferrand voulut commencer à s'avancer vers lui, mais il ne le put, parce que, comme on l'a dit, les Champenois lui fermèrent son chemin. Renaud, comte de Boulogne, parvint au commencement du combat jusqu'au roi ; mais comme il était près de lui, respectant, je crois, son seigneur, il s'éloigna et combattit avec Robert, comte de Dreux, qui n'était pas loin du roi dans un bataillon très épais. Mais Pierre, comte d'Autun, parent du roi? combattait vigoureusement pour lui, quoique son fils Philippe, ô douleur ! parent, du côté de sa mère, de la femme de Ferrand, fut dans le parti des ennemis du roi.

Cependant, les rangs du parti d'Othon s'éclaircissent, pendant que lui-même, et un des premiers, était en fuite. Le duc de Louvain, le duc de. Limbourg, Hugues de Boves, et d'autres, par centaines, par cinquantaines et par troupes de différents nombres, s’abandonnèrent à une honteuse déroute.

Cependant, le comte de Boulogne, combattant encore, ne pouvait s'arracher du champ de bataille, quoi qu 'il ne fut aidé que de six chevaliers qui, ne voulant point l 'abandonner, combattirent avec lui jusqu'à ce qu'un homme d’armes, Pierre de Tourrelle, d'une bravoure extraordinaire, dont Je cheval avait été tué par les ennemis et qui combattait à pied, s’approcha du dit comte, et, levant la couverture du cheval, lui envoya son épée dans le ventre jusqu'à la garde. Ce qu'ayant vu un chevalier du comte, il saisit la bride et l'entraîna malgré lui hors du combat.

Ils furent poursuivis par les deux frères Quenon et Jean de Condune, braves chevaliers qui renversèrent le chevalier du comte, dont le cheval tomba aussitôt en cet endroit. Le comte demeura ainsi renversé, ayant la cuisse droite sous le cou de son cheval déjà mort, position dont on ne put qu'à grand'peine le tirer. Survinrent Hugues et Gautier Desfontaines et Jean de Rauvrai.

Pendant qu’ ils se disputaient entre eux pour savoir à qui appartiendrait la prise du comte, arriva Jean de Nivelle, avec ses chevaliers. C'était un chevalier haut de taille, très beau de figure, mais en qui le courage et le cœur ne répondaient nullement à la beauté du corps, car dans cette bataille il n'avait encore de tout le jour combattu avec personne. Cependant, il se disputait avec les autres qui retenaient le comte prisonnier, voulant par cette proie s’attirer quelque louange; et il l'eût emporté si l'évêque ne fût arrive. Le comte, l'ayant reconnu, se rendit à lui et le pria seulement de lui sauver la vie.

 Pendant que tous 1es cavaliers, ou s'étaient échappés par la fuite du champ de bataille, ou étaient pris ou tués et qu'ainsi les flancs de l'armée d Othon demeuraient à nu au milieu de la plaine, restaient encore de très valeureux hommes d'armes à pied, les Brabançons et d'autres, au nombre de sept cents, que les ennemis avaient placé devant eux comme un rempart.

Le roi Philippe, voyant qu'ils tenaient encore, envoya contre eux Thomas de Saint-Valery, homme noble recommandable par sa vertu et tant soit peu lettré. Etant bien monté, quoi qu'il fut déjà un peu fatigué de combattre à la tête des fidèles hommes de sa terre, montant au nombre de cinquante cavaliers et de beaucoup d'hommes de pied, il fondit sur eux avec une grande impétuosité et les massacra presque tous, chose merveilleuse. Lorsqu'après cette victoire, Thomas compta le nombre des siens, il n'en trouva de moins qu'un seul, qu'on chercha aussitôt et qu'on trouva au milieu des morts. Il fut porté dans le camp.

Dans l'espace de peu de jours, des médecins guérirent ses blessures et le rendirent à la santé.

Le roi ne voulut pas que les siens poursuivissent les fuyards pendant plus d'un mille, à cause du peu de connaissance qu'ils avaient des lieux et de l'approche de la nuit, et de peur que, par quelque hasard, les hommes puissants retenus prisonniers ne s'échappassent ou ne fussent arrachés des mains de leurs gardiens.

Ayant donc donné le signal, les trompettes sonnèrent le rappel et les bataillons retournèrent au camp remplis d'une grande joie. ........................

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Qui pourrait raconter, s'imaginer, tracer avec la plume, sur un parchemin ou des tablettes, les joyeux applaudissements, les hymnes de triomphe, les innombrables danses des peuples, les doux chants des clercs, les sons harmonieux des instruments guerriers dans les églises, les solennels ornements des églises, en dedans et en dehors, les rues, les maisons, les chemins de tous les châteaux et des villes tendus de courtines et de tapisseries de soie, couverts de fleurs, d'herbes et de branches d'arbres vertes, tous les habitants de tout genre, de tout sexe et de tout âge accourant de toutes parts voir un si grand triomphe, les paysans et les moissonneurs interrompant leurs travaux, suspendant à leur couleurs faulx, leurs hoyaux et leurs trubles (car c'était alors le temps de la moisson) et se précipitant en foule vers les chemins pour voir dans les fers ce Ferrand, dont peu auparavant ils redoutaient les armes. Toute la route se passa ainsi jusqu'à ce qu'on fût arrivé à Paris.

Les habitants de Paris et par- dessus tout la multitude des écoliers, le clergé et le peuple, allant au-devant du roi en chantant des hymnes et des cantiques, témoignèrent par leurs gestes quelle joie animait leurs esprits; et il ne leur suffit pas de se livrer ainsi à l'allégresse pendant ce jour, ils prolongèrent leurs plaisirs dans la nuit et même pendant sept nuits consécutives au milieu de nombreux flambeaux; en sorte que la nuit paraissait aussi brillante que le jour. Les écoliers surtout ne cessaient de faire de joyeux festins, chantant et dansant continuellement. »

Sept siècles après Bouvines, une invasion pareille a mis la France dans le plus grand péril.

C'est le même ennemi, avec la même mentalité, essayant comme alors de s'emparer de cette terre promise et de l'effacer de la carte du monde.

A la Marne, comme à Bouvines, nous étions inférieurs en nombre et il semblait que l'ennemi dût nous accabler. Mais, comme à Bouvines, l'invincible énergie française. « avec l'aisde de Dieu a triomphé du nombre. La guerre dure encore, mais la France peut avoir foi en ses destinées : la lourde culture germanique, en dépit de ses procédés sauvages et de ses fourberies, n'en voilera pas la lumière. Et quand l'histoire racontera, en ses détails, cette grande bataille, elle citera, comme Guillaume Le Breton, et plus que lui encore, des noms de généraux, d'officiers et de soldats dont le génie militaire, la valeur et le dévouement ont décidé de la victoire.

D. L. Société de géographie (Rochefort, Charente-Maritime)

 

 

 

 

1214 Jean Sans Terre part d’Angleterre en direction du Poitou, débarque à La Rochelle et marche sur Mauzé <==

Sceau d’Hugues X de Lusignan, d’ Isabelle d'Angoulême et famille<==

 

 

 


 

(1). Guillaume Le Breton : Chroniauc en vrosc.

(2). Mathieu de Paris Chronique.

(3). Guillaume Le Breton.

(4). Guillaume Le Breton : Chronique en prose.

(5). Il avait débarqué à La Rochelle.

(6). Sans doute Mortagne, au confluent de l'Escaut et de la Scarpe.

(7). Du parti d'Othon.

(8). Beaucoup d'autres villes avaient leurs milices au combat.

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