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PHystorique- Les Portes du Temps
19 août 2023

06 août 1626 Mariage à Nantes de Gaston, duc d'Orléans et de Marie de Bourbon-Montpensier, duchesse de Montpensier par Richelieu

06 août 1626 Mariage à Nantes de Gaston, duc d'Orléans et de Marie de Bourbon-Montpensier, duchesse de Montpensier par Richelieu

DUCHESSE DE MONTPENSIER (MARIE DE BOURBON (1605-1627)

Le 15 octobre 1605, la riante colline de Gaillon était en fête; le beffroi de l'antique manoir d'Amboise sonnait à toute volée; le blason des Bourbon - Montpensier, à travers la brume d'automne, faisait resplendir dans l'espace son azur et ses fleurs de lis d'or; là, bourgeois, manants, rustres, vilains, varlets, vassaux, vavassaux, gentilshommes, hommes d'armes, hommes liges se pressaient autour de cette délicieuse résidence. Au mouvement de la foule bariolée, au pittoresque des costumes, à l'élan du menu peuple, à l'allure dégagée, adorablement impertinente et quelque peu libertine des gens de qualité, au bruit des fanfares, aux repas pantagruéliques en plein air, aux flons-flons joyeux et rutilants qui s'échappaient des bouches avinées, on se serait cru au milieu de cette étourdissante kermesse que Rubens anima du feu de son intrépide pinceau.

C'est qu'après huit années de mariage, après huit années d'ardents désirs, de vœux et de macérantes pratiques pieuses, la riche héritière de Joyeuse venait de mettre au jour le dernier rejeton de la troisième branche de la maison royale de Bourbon.

C'était une fille : elle reçut le doux nom de Marie, symbole de douceur et d'espérance.

Ce fut la première princesse française qui le porta; et, chose singulière, toutes celles qui le portèrent depuis se firent remarquer par leurs vicissitudes et leurs luttes contre l'adversité.

Jamais être humain ne fut accueilli à sa naissance avec plus de bonheur. Son père, Henri, duc de Bourbon, indépendamment des immenses domaines que Henriette-Catherine, duchesse de Joyeuse, comtesse du Bouchage, son épouse, lui avait apportés en dot, jouissait d'une des plus grandes fortunes du royaume; et, sans enfant, outre la douleur de voir éteindre sa race, tous ses biens devaient passer entre les mains des membres de sa famille, dont la plupart ne professaient pas la même religion que lui.

A cette époque de haines religieuses où la société se trouvait divisée en deux camps bien tranchés, les catholiques et les huguenots, il ne voulait pas, lui catholique, par sentiment religieux ou par esprit de parti, que sa mort vînt à enrichir quelques princes de la religion réformée. Aussi, grande fut sa joie quand après une si longue attente ses vœux les plus chers venaient enfin à se réaliser.

 

Henri IV, à la nouvelle de cette naissance, se rapprocha du duc de Bourbon avec lequel, du reste, il avait entretenu d'intimes relations. Il l'appelait le bon enfant de la maison.

Le Béarnais, qui, sous ses cajoleries gasconnes, cachait presque toujours quelques motifs intéressés, caressait les biens de son cousin dans sa propre personne; et, afin de resserrer l'amitié qui les unissait, il lui demanda la main de sa fille, qui venait de naître, pour le duc d'Orléans, son second fils, Gaston n'était alors que duc d'Anjou.

 Le bon enfant ne put résister à une marque d'intérêt aussi haute et surtout aussi sincère.

Le mariage fut donc conclu le 14 janvier 1608. Le roi, la reine, et la reine Marguerite, les premiers princes du sang et les grands officiers de la couronne assistèrent à la cérémonie.

Le cardinal de Joyeuse confirma la donation faite à la duchesse-mère, madame de Guise, en l'honneur de cette alliance. Mais toutes les espérances que ce mariage, si favorable à la maison de France et si flatteur aux Montpensier, avait fait éclore, s'évanouirent par la mort du jeune prince qui arriva quatre ans après. Marie avait alors six ans : ce fut sa première étape dans la vie.

Sur ces entrefaites, son père aussi vint à mourir; elle resta donc à nouveau seule avec sa mère, femme d'ailleurs d'un haut mérite, qui l'aimait avec passion et qui ne négligea rien pour développer cette tendre fleur.

Sous son intelligente et délicate tutelle, la jeune Marie tint, avec l'âge, tout ce qu'elle avait promis. A vingt ans, dit Hilarion de Coste, elle était une personne accomplie; ses grâces naturelles, sa beauté exceptionnelle et les perfections de son esprit, et plus que tout cela les aimables qualités de son cœur la distinguaient entre toutes les femmes qui composaient alors le brillant écrin de la cour de Louis XIII. Sa taille mignonne et bien prise, sa démarche noble et assurée, la langueur de ses longs regards, l'éclat de son teint qu'atténuait un peu le blond cendré de ses cheveux, qui ruisselaient en longues torsades sur ses joues, lui attiraient l'attention de la jeune noblesse.

 Gaston, surtout, ne put résister à tant d'attraits; quoiqu'il fût incapable d'un sentiment profond, il ne laissa pas que de lui donner des preuves sinon d'amour, du moins d'une réelle amitié. Cette passion, ou plutôt ce désir du plus versatile des hommes, favorisait singulièrement les projets de la reine-mère, Marie de Médicis; aussi s'y prêta-t-elle de tout son crédit.

 Ambitieuse, elle tâchait de maintenir le pouvoir qu'elle avait déjà perdu et qu'elle venait de recouvrer. Par ce mariage, elle devenait le pivot de toute la cour.

 En donnant à Gaston une femme sur laquelle elle exerçait elle-même une certaine influence, elle le dominerait, lui qu'elle savait faible, sans portée aucune et propre tout au plus à servir d'instrument ou de manteau à quelque ambition particulière.

Richelieu, que des considérations d'un ordre plus élevé faisaient mouvoir, agissait de concert avec Marie de Médicis pour l'exécution du même dessein, mais dans des vues bien opposées.

Après dix années de mariage, Louis XIII était encore sans héritier, et le peu de goût qu'il avait pour Anne d'Autriche ne laissait guère d'espoir qu'il dùt en avoir jamais : cependant il en fallait un.

 Le souvenir des luttes intestines auxquelles le royaume avait été en proie occupait les esprits éclairés, et c'était à prévenir le retour de ces luttes que Richelieu travaillait. Tous les gens animés du bien de l'État se ralliaient à la politique du ministre.

Mais il y avait alors autour du roi une certaine faction inquiète, remuante, qui supportait avec impatience le pouvoir naissant du cardinal.

Une opposition formidable se souleva tout à coup contre ses vues et faillit tout renverser. Conduite par d'Ornanno, elle parvint sans difficulté à circonvenir Gaston et à le détacher de la princesse ; Louis XIII lui-même allait fléchir lorsqu'un coup de tonnerre l'arrêta brusquement.

 D'Ornanno fut jeté en prison à Vincennes, où il mourut; les princes de Vendôme souffrirent une longue captivité ; plusieurs personnages importants, furent exilés, et le jeune Chalais, que poussait la duchesse de Chevreuse dont il était l'amant, porta sa tête sur l'échafaud.

 Gaston, avec sa mobilité habituelle, abandonna tous ses imprudents amis au ressentiment de l'implacable ministre, et revint auprès de la duchesse, cause bien innocente de tous ces troubles, avec le même empressement que devant le mariage fut dès lors arrêté.

Dans les régions sociales où la raison d'État domine, on consulte peu les cœurs en pareille circonstance la conformité des goûts et des humeurs; le plus doux et le plus naturel des sentiments, celui qui couvre sous un voile de pourpre et d'or les tristes réalités de l'existence, l'amour, tout cela est du superflu; on a bien autre chose à penser, vraiment ! Il en fut ainsi à l'égard de la princesse Marie.

Si l'on en croit les chroniques du temps, elle ressentait peu de sympathie pour Gaston. Douce, timide, réservée et pour ainsi dire aveuglément soumise aux volontés de sa mère qui, dans cette union, au reste, croyait assurer son bonheur, elle s'inclina, la pauvre enfant, et tendit sa main immaculée à l'époux qu'on lui imposait.

La célébration de ce mariage se fit avec une pompe inaccoutumée.

Tout ce que l'art, tout ce que l'industrie la plus ingénieuse purent enfanter de merveilles et de prodiges fut prodigué en ce jour; les carrousels, les combats à la barrière, les cavalcades, les feux d'artifice, les joutes sur l'eau occupèrent Paris pendant plus de huit jours.

Le roi donna à Monsieur les duchés d'Orléans, de Chartres et le comté de Blois en apanage; la seigneurie de Montargis y fut ajoutée depuis.

Madame eut pour ses apports la souveraineté des Dombes, la principauté de la Roche-sur-Yon, les duchés de Montpensier, de Chatellerault et de Saint-Fargeau, et plusieurs autres terres érigées en titres de marquisat, comté, vicomté et baronnie.

En outre, sa mère, madame de Guise, lui donna un diamant évalué alors à 80,000 écus. Quant au cardinal, il reçut pour ses épingles la magnifique terre de Champvaut, qu'il convoitait depuis longtemps comme à proximité de sa maison de Richelieu.

Tout le monde paraissait satisfait, excepté la duchesse: et pouvait-elle l'être, elle, si l'on fait attention à l'énorme différence morale qui existait entre les deux époux!

Quoi qu'il en soit, une fois mariée, elle se consacra tout entière aux devoirs de sa nouvelle position: elle se sentit au cœur une mission à remplir.

Elle employa tout ce qu'elle avait de tendresse et d'abnégation pour fixer son inconstant époux et pour donner à son esprit une direction plus digne de lui; mais elle ne put y réussir.

Le naturel du prince, un moment subjugué par tant de grâces et de dévouement, reprit son mouvement accoutumé; il ne tarda pas à se replonger, avec toute l'ardeur de la jeunesse, dans les dissipations de toute nature.

Elle ne proféra aucune plainte; voyant que ses remontrances ne servaient qu'à l'éloigner et à l'irriter, elle s'enferma dans sa douleur muette et résignée.

Un rayon de bonheur vint pourtant la visiter; c'est lorsqu'elle se sentit mère. Son mari se rapprocha d'elle et parut vouloir, par son assiduité, racheter tous les désordres de sa vie passée; d'ailleurs elle portait les destinées de la France : l'avenir était plein de riantes promesses.

Ce fut une explosion de joie indicible quand elle accoucha; des actions de grâces furent rendues, des Te Deum furent chantés dans toute l'étendue du royaume pour son heureuse délivrance.

Bien que l'attente fut en quelque sorte déçue en ce que c'était une fille, celle qui fut depuis la Grande Mademoiselle, qu'elle avait mise au monde, au lieu d'un garçon que la politique désirait, on n'en célébra pas moins avec un grand éclat cette naissance.

 Le poëte Garnier fit un sonnet que nous citons, non pas parce qu'il est un phénix, tant s'en faut, mais parce que c'est la seule pièce de vers qu'on ait faite en cette circonstance, et qu'elle représente, selon nous, le goût littéraire de l'époque :

Qvoy! pour estre une fille ira-t-elle au silence?
Cloches, feux et canons et flambeaux radieux
N'eslanceront-ils point iusqu'aux voutes des cieux
Le plaisir qui doit estre auiourd'huy par la France?

Le sexe où va brillant tant d'heur et d'excellence,
Qui resiouyt l'esprit et contente les yeux
Ira-t-il soubs l'oubly comme un faict odieux
Indigne de paroistre avec esiouissance?

Lovys regneroit-il dessur les Flevrs de Lys
Si venante icy-bas Marie eust été fils?
Anne fourniroit-elle à iamais cet empire

De Roys à l'aduenir ayant eu mesme effect?
Bien que le diamant en son prix on admire

La perle en sa valeur n'a rien de moins parfaict.

Tout à coup, au milieu de l'allégresse générale, une nouvelle se répandit. Madame, dont l'accouchement, quoique laborieux, s'était très-bien effectué sous l'habile direction de la célèbre Louise Bourgeois, dite Bourcier, était atteinte de la fièvre puerpérale.

Les ressources de l'art furent impuissantes contre le mal.

Elle était accouchée le 29 mai, et le 4 juin suivant elle disparaissait de ce monde à l'âge de vingt-deux ans

. Elle vit approcher son heure suprême sans terreur; rien n'altéra sa sérénité; elle imposait silence à ses propres douleurs pour ne s'occuper que de celles des autres. Tous ceux qui l'entouraient et dont elle était tendrement aimée, voyant venir le fatal moment, fondaient en larmes, tandis qu'elle, presque souriante, les yeux agrandis par la maladie, cherchait à les consoler et à les fortifier.

Elle étendait sa main pâle et amaigrie à Gaston, comme pour l'engager à la résignation. Lorsqu'elle se retourna vers la duchesse de Guise, qui se tenait debout devant elle, immobile, silencieuse et bouleversée, elle fit un effort pour lui saisir la main et lui dire avec un accent profondément mélancolique et doux Ma mère, je m'en vais mourir, consolez-vous. Elle conserva sa présence d'esprit jusqu'aux confins de la vie.

Peu à peu ses mouvements devinrent plus lents et sa parole plus difficile. Quand elle ne put ni parler, ni remuer, ses yeux semblaient encore exprimer ce qui se passait dans son âme; puis ils restèrent fixes et dirigés vers le ciel, sa céleste patrie : elle avait vécu!

Ainsi s'éteignit, sans trouble, sans effort ni secousse, cette princesse, l'ornement de son époque; ainsi passa sur terre, comme une blanche apparition, l'une des plus gracieuses figures de notre ancienne France (1).

Son cœur et ses entrailles furent déposés à l'église des Filles-de-la-Passion ou des Capucines, autrefois rue Neuve-Saint-Honoré, auprès du tombeau de son aïeul, ce duc de Joyeuse dont Voltaire a dit :

Il prit, quitta, reprit la cuirasse et la haire.

On lisait encore avant 1793 cette inscription :

Cy gist le cœur de très-haute, très-puissante et très-vertueuse Princesse Marie de Bourbon, fille de très-haut Prince Henry de Bourbon, Duc de Montpensier, et de très-haute Princesse Henriette-Catherine de Ioyeuse, iadis Duchesse de Montpensier à present de Guyse : laquelle Marie épousa très-haut, très-puissant et très-magnanime Prince Gaston, frère unique du Roy, fils de Henry-le-Grand et de Marie-Auguste de Medicis, et décéda le 4. de Iuin de l'an 1627 en l'age de 21 ans, 7 mois et 18 iours, dix mois après son mariage et 7 iours après son accouchement. Priez Dieu qu'il reçoive son ame et console sa mère, qui laisse ce marbre à la mémoire de son amour et de sa douleur.

Le reste de sa dépouille mortelle fut transporté en grandes pompes à Saint-Denis et placé dans le caveau d'Henri IV.

Quelques muses officielles exhalèrent en phrases banales leurs douleurs nonpareilles. Mais la poésie, comme l'amour, ne se commande pas. Rien de plus froid, en effet, de plus insignifiant ni de plus platement ampoulé que ce qui parut alors au sujet de la mort de Marie de Bourbon. Il n'existe d'ailleurs que fort peu de chose une élégie

 

 

GASTON D'ORLÉANS (1608-1660)

Jean-Baptiste Gaston, duc d'Anjou, naquit à Fontainebleau le 25 avril 1608.

Il fut le second fils d'Henri IV et de Marie de Médicis. Son plus jeune frère, le duc d'Orléans, étant mort, il prit le titre de Monsieur et de frère unique du roi, et plus tard il reçut le duché d'Orléans en apanage.

A sept ans, il sortit des mains de madame de Monglat et eut successivement pour précepteurs François Savary, seigneur de Brèves, le comte de Lude, puis d'Ornano, et enfin Despréaux.

D'Ornano et sa femme, qui avaient su prendre de l'influence sur le caractère faible et irrésolu de Gaston, le jetèrent dans sa première intrigue.

 Cette cabale, à laquelle se joignirent les princes de Vendôme et le comte de Chalais, résolut d'attenter à la vie de Richelieu, dans sa maison de Fleury, près de Fontainebleau, où il allait quelquefois se reposer de ses fatigues. Le complot échoua par la présence d'esprit du ministre et par l'incertitude de Gaston.

D'Ornano mourut à Vincennes; les princes de Vendôme subirent une longue captivité, et le comte de Chalais, conduit à Nantes, où se trouvait la cour, fut exécuté pour crime de lèse-majesté.

Gaston, loin de chercher à défendre celui qui mourait pour sa cause, déposa contre lui. Il épousa, vers le même temps, mademoiselle de Montpensier, et l'on remarqua qu'il se montra très-gai dans les fêtes brillantes de son mariage.

 De cette union naquit une fille célèbre, la grande Mademoiselle, dont nous parlerons plus loin. Sa mère mourut trois jours après sa naissance.

Gaston se rendit à la cour de Charles IV, duc de Lorraine, où il s'éprit de la princesse Marguerite, qu'il épousa secrètement.

Son premier pas à la cour avait coûté la vie à Chalais. On a vu comment il en avait été affecté. Il en agit toujours ainsi dans la suite.

Ce qu'on a appelé sa faiblesse et son irrésolution mérite un jugement plus sévère de l'histoire. Avec de la méchanceté, il eût causé moins de malheurs. La vie de ce prince nous apparaît comme une énigme sombre dénouée par la fatalité. Haï de son frère, brouillé avec sa fille par d'interminables procès d'héritage, persécuté par Richelieu, mêlé à toutes les intrigues de son temps, abandonnant et reniant lâchement ses amis, sans caractère et sans grandeur, il joua un rôle considérable, mais triste, pendant la régence, et finit par mourir à Blois dans un exil obscur.

Nous retrouvons Gaston ligué pour la seconde fois contre Richelieu avec Montmorency.

Celui-ci livre combat à Castelnaudary. Il se jette presque seul au milieu de la mêlée. Il est fait prisonnier. Toujours prudent, Gaston tire son épingle du jeu et abandonne son ami au cardinal, qui le fait exécuter à Toulouse. Il promet même, dans le traité conclu avec son frère, « d'aimer le cardinal de Richelieu. » Cependant il craint encore pour sa liberté et va rejoindre sa mère à Bruxelles.

« Gaston, dont la vie était un reflux perpétuel de querelles et de raccommodements avec le roi son frère, était revenu en France, et le cardinal fut obligé de laisser à ce prince et au comte de Soissons le commandement de l'armée, qui reprit Corbie; Richelieu se vit alors exposé au ressentiment des deux princes. C'était le temps des conspirations ainsi que des duels. Les mêmes personnes qui depuis excitèrent, avec le cardinal de Retz, les premiers troubles de la Fronde, et qui firent les barricades, embrassaient dès lors toutes les occasions d'exercer cet esprit de faction qui les dévorait.

Gaston et le comte de Soissons consentirent à tout ce que les conspirateurs pourraient attenter contre le cardinal. Il fut résolu de l'assassiner chez le roi même ; mais Gaston, qui ne faisait jamais rien qu'à demi, effrayé de l'attentat, ne donna point le signal dont les conjurés étaient convenus. Ce grand crime ne fut qu'un projet inutile. »

Nous ne mentionnerons que pour mémoire la mort de Cinq-Mars et de de Thou, que Gaston abandonna comme les autres, et qui périrent sur l'échafaud.

Mais ici, ce n'est plus l'histoire, c'est sa fille elle-même qui va l'accuser :

« A la nouvelle de la mort de la reine, ma grand'mère, succéda celle du procès et de l'exécution de M. de Cinq-Mars, grand écuyer de France, et de M. de Thou, dont j'eus beaucoup de regret et par la considération de leurs personnes, et parce que Monsieur étoit malheureusement mêlé dans l'affaire qui les fit périr; jusque-là même que l'on a cru que la seule déposition qu'il fit à M. le chancelier fut ce qui les chargea le plus, et ce qui fut cause de leur mort.

« Il soupa chez moi où étoient les vingt-quatre violons. Il y fut aussi gai que si MM. de Cing-Mars et de Thou ne fussent pas demeurés par les chemins. J'avoue que je ne le pus voir sans penser à eux, et que dans ma joie je sentis que la sienne me donnoit du chagrin. »

On comprendra mieux maintenant cette anecdote racontée par Voltaire Gaston, jaloux de son rang et de l'étiquette, fit un jour changer de place toutes les personnes de la cour, à une fête qu'il donnait, et, prenant le duc de Montbazon par la main pour le faire descendre d'un gradin, le due de Montbazon lui dit : « Je suis le premier de vos amis que vous ayez aidé à descendre de l'échafaud. »

 Mais, disent naïvement les Mémoires du temps, il se promettait, pour sa consolation, d'être plus heureux une autre fois à protéger ses défenseurs.

La reine était stérile, et Gaston se trouvait être héritier présomptif de la couronne. Il la rencontra un jour qu'elle venait de faire une neuvaine pour avoir des enfants et lui dit en raillant : «  Madame, vous venez de solliciter vos juges contre moi; je consens que vous gagniez le procès, si le roi a assez de crédit pour cela. »

La naissance de Louis XIV dut paraître à la reine une réponse suffisante à cette plaisanterie.

« Le roi voulait que le mariage de son frère avec Marguerite de Lorraine fût déclaré nul. Gaston n'avait qu'une fille de son premier mariage avec l'héritière de Montpensier.

 Si l'héritier présomptif du royaume persistait dans son nouveau mariage, s'il en naissait un prince, le roi prétendait que ce prince fût déclaré bâtard et incapable d'hériter.

 C'était évidemment insulter les usages de la religion; mais la religion n'ayant pu être instituée que pour le bien des États, il est certain que, quand ces usages sont nuisibles ou dangereux, on doit les abolir.

« L'état de la maison royale devenait problématique en Europe. Si l'héritier présomptif du royaume persistait dans un mariage réprouvé en France, les enfants nés de ce mariage étaient bâtards en France, et auraient besoin d'une guerre civile pour hériter: s'il prenait une autre femme, les enfants nés de ce nouveau mariage étaient bâtards à Rome, et ils faisaient une guerre civile contre les enfants du premier lit. Ces extrémités furent prévenues par la fermeté de Monsieur; il n'en eut que dans cette occasion; et le roi consentit enfin, au bout de quelques années, à reconnaître la femme de son frère. »

Richelieu était mort. Gaston, qui vivait retiré à Blois, reparut à la cour.

Pour la troisième fois, il dut venir renouveler les serments de son mariage. Ce fut Jean-François de Gondy, archevêque de Paris, qui fit cette cérémonie. « Je suis venu, lui dit Gaston, non pour ratifier mon mariage, qu'il n'est pas nécessaire de renouveler; mais ce que je fais est pour obéir au roi. »

L'archevêque répondit : « Ego vos conjungo in matrimonium, in quantum opus est. »

Louis XIII suivit de près Richelieu au tombeau. Anne d'Autriche eut la régence, et Gaston fut nommé lieutenant général du royaume.

Sous le ministère de Mazarin, les premières années de la régence furent tranquilles, et Gaston fit avec succès les campagnes de Flandre.

Nous sommes arrivés à la Fronde.

A un siècle et demi de distance, on se demande comment on a pu voir chez une même nation, la Fronde et la Révolution française. C'est peut-être que la Fronde fut une guerre de bourgeois et de grands seigneurs, et que la Révolution fut une œuvre du peuple qui ne devait pas, comme l'autre, finir par des chansons.

La guerre de la Fronde est connue, et le rôle que Gaston 'y joua fut celui qu'il tint toute sa vie.

« Quoique le mot Fronde, dit mademoiselle de Montpensier dans ses Mémoires, ne soit venu que pour une bagatelle, il faut que je mette ici son origine.

Un jour, dans ce commencement de troubles que le Parlement s'assembloit souvent, Bachaumont, conseiller, parloit d'une affaire qu'il avoit ; il dit de sa partie : « Je le fronderai bien, » et, comme chacun étoit assis à sa place, l'on commença à parler contre M. le cardinal, sans cependant le nommer, quoique l'on le fit assez connoître. Barillon l'aîné commença à chanter :

Un vent de Fronde
«S'est levé ce matin;
Je crois qu'il gronde
Contre le Mazarin.

« Un vent de Fronde
« S'est levé ce matin. »>

Quelques désordres dans les finances furent la première cause et le commencement de la guerre civile :

«... Ce fut là, dit-elle encore, l'origine des troubles qui ont suivi et où l'autorité du roi a commencé à être attaquée. Cela doit bien faire connoître aux rois, quand ils sont en âge de gouverner, et, quand ils n'y sont pas, aux personnes entre les mains de qui l'autorité est en dépôt, qu'il faut peser tout exactement, même les moindres choses, et en examiner les suites. Trop de clémence dans un temps est aussi blâmable que trop de rigueur dans un autre; et quand l'on a embrassé l'un de ces deux partis, il seroit quelquefois plus nécessaire de le continuer que d'en changer : l'un et l'autre, en beaucoup de rencontres importantes dans tous les empires du monde, ont causé de mauvais effets. »

« Deux pouvoirs, dit Voltaire, établis chez les hommes uniquement pour le maintien de la paix, un archevêque et un parlement de Paris, ayant commencé les troubles, le peuple crut tous ses emportements justifiés... La reine ne pouvait paraître en public sans être outragée..... Elle s'enfuit de Paris avec ses enfants, Mazarin, Gaston, le grand Condé lui-même, et alla à Saint-Germain, où presque toute la cour coucha sur la paille. On fut obligé de mettre en gage, chez les usuriers, les pierreries de la couronne; le roi manqua souvent du nécessaire.

 Les pages de sa chambre furent congédiés parce qu'on n'avait pas de quoi les nourrir. En ce temps-là même, la tante de Louis XIV, fille de Henri le Grand, femme du roi d'Angleterre, réfugiée à Paris, y était réduite aux extrémités de la pauvreté; et sa fille, depuis mariée au frère de Louis XIV, restait au lit, n'ayant pas de quoi se chauffer, sans que le peuple de Paris, enivré de sa fureur, fit seulement attention aux afflictions de tant de personnes royales. »

 

Voici le magnifique portrait que Voltaire trace du coadjuteur :

« Le cardinal de Retz se vanta d'avoir seul armé tout Paris dans la journée des Barricades. Cet homme singulier est le premier évêque en France qui ait fait une guerre civile sans avoir la religion pour prétexte. Il s'est peint lui-même dans ses Mémoires, écrits avec un air de grandeur, une impétuosité de génie et une inégalité qui sont l'image de sa conduite. C'était un homme qui, du sein de la débauche, et languissant encore des suites infâmes qu'elle entraîne, prêchait le peuple et s'en faisait idolâtrer. Il respirait la faction et les complots; il avait été, à l'âge de vingt-trois ans, l'âme d'une conspiration contre la vie de Richelieu; il fut l'auteur des barricades; il précipita le parlement dans les cabales, et le peuple dans la sédition. Son extrême vanité lui faisait entreprendre des crimes téméraires, afin qu'on en parlât. C'est cette même vanité qui a répété tant de fois : « Je suis d'une maison de Florence, aussi ancienne que celle des plus grands princes; » lui, dont les ancêtres avaient été marchands, comme tant de ses compatriotes. »

« Sans les noms de roi de France, de grand Condé, de capitale du royaume, dit-il plus loin, cette guerre de la Fronde eût été ridicule. On ne savait pourquoi on était en armes. Le prince de Condé assiégea cent mille bourgeois avec huit mille soldats. Les Parisiens sortaient en campagne ornés de plumes et de rubans; leurs évolutions étaient le sujet des plaisanteries des gens du métier. Ils fuyaient dès qu'ils rencontraient deux cents hommes de l'armée royale.

« On leva douze mille hommes par arrêt du parlement : chaque porte cochère fournit un homme et un cheval. Cette cavalerie fut appelée la Cavalerie des portes cochères.

« Le coadjuteur avait un régiment qu'on appelait le régiment de Corinthe, parce que le coadjuteur était archevêque titulaire de Corinthe. Ayant été battu par un petit parti, on appela cet échec : la première aux Corinthiens.

« Les troupes parisiennes, qui sortaient de Paris et revenaient toujours battues, étaient reçues avec des huées et des éclats de rire. On ne réparait tous ces petits échecs que par des couplets et des épigrammes. Les cabarets et les autres maisons de débauche étaient les tentes où l'on tenait les conseils de guerre, au milieu des plaisanteries, des chansons et de la gaieté la plus dissolue. »

Condé disait que toute cette guerre ne méritait d'être écrite qu'en vers burlesques, et il l'appelait la guerre des pots de chambre. Cependant on l'y vit aux prises avec Turenne. Pendant le cours de ses opérations, Condé sentait l'importance de conserver Orléans à la Fronde, mais Gaston n'osait aller la défendre lui-même, et il y envoya sa fille, Mademoiselle, qui sut bien empêcher le roi d'y entrer.

 

 On peut lire, dans ses Mémoires, une lettre de Gaston adressée :

A MESDAMES LES COMTESSES MARÉCHALES DE CAMP DANS L'ARMÉE DE MA FILLE CONTRE LE MAZARIN.

Je regrette de ne pouvoir m'étendre ici sur cette princesse singulière, dont l'ambition fut toute sa vie d'épouser une tête couronnée.

Un mariage d'inclination lui paraissait, dans une femme, la plus haute des folies, et elle dit, à propos de madame de Frontenac, l'une de ses amies, qui, après s'être mariée par amour, ne pouvait plus souffrir son mari : « Je compris bien que la raison ne suit guère ce qui est fait par passion, que la passion cesse bientôt et que l'on est fort malheureux le reste de ses jours quand c'est pour une action de cette durée où elle engage comme le mariage, et qu'on est bien heureux, quand on veut se marier, que ce soit par raison. »

On lira peut-être avec intérêt la liste des mariages projetés par la plus riche héritière du royaume :

1° L'appât de la riche dot de sa fille fut un des moyens dont se servit Gaston pour lier à ses intérêts le COMTE DE SOISSONS, prince de la famille royale, et il est probable que Mademoiselle l'aurait épousé, s'il n'eût été tué en portant les armes contre Louis XIII.

2° Mademoiselle avait onze ans, et la reine, qui se flattait de porter dans son sein un héritier de la couronne, lui disait souvent en riant: « Vous serez ma belle-fille. » Le dauphin, depuis Louis XIV, étant né, elle allait souvent le voir et ne l'appelait que son petit mari. Richelieu coupa court à cette plaisanterie en éloignant Mademoiselle de la cour.

3° Pour détourner le cours de ses idées, on lui fait entrevoir qu'à l'époque de paix, elle pourrait épouser le CARDINAL INFANT, prince de la maison d'Autriche et gouverneur des Pays-Bas, vieux et laid. - Il meurt.

Deux monarques veufs attirent son attention:

4° PHILIPPE IV, roi d'Espagne.

5° Et l'empereur FERDINAND III.

6° Mazarin s'oppose à ces alliances. Il veut qu'elle épouse:

LE PRINCE DE GALLES, fils de Charles Ier, et réfugié en France.

7° Mademoiselle refuse, et ayant perdu l'espoir d'épouser l'Empereur, elle jette les yeux sur l'ARCHIDUC, son frère. Elle confie le soin des négociations à Saugeon, qui est arrêté. Elle subit un interrogatoire devant la régente, Gaston et Mazarin.

8° On projette de marier son amie, mademoiselle d'Épernon, avec le prince Casimir, frère du roi de Pologne. Elle se met en tête d'épouser LE ROI DE HONGRIE. Mademoiselle d'Épernon entre dans un couvent, et les deux mariages en restent là.

9° Sur le point d'accueillir LE PRINCE DE GALLES, qui venait de prendre le titre de roi d'Angleterre après l'exécution de Charles Ier, elle y renonce encore en apprenant que l'EMPEREUR était veuf pour la seconde fois. Elle ne réussit pas.

10° La femme du PRINCE DE CONDÉ tombe malade. Elle forme le projet d'épouser son mari. La princesse de Condé revient à la santé.

11° Elle se jette dans la Fronde, espérant que la paix ne pourra se faire que si elle épouse Louis XIV.

12° Elle veut encore épouser LE PRINCE DE CONDE, dont la femme retombe malade, puis revient à la santé : mais elle est grosse, elle peut mourir en couches, et Mademoiselle espère toujours.

13° Elle rejette les hommages du DUC DE NEUBOURG, qui demande sa main, et elle se flatte de nouveau de pouvoir épouser le prince de Condé, dont la femme est en danger. Elle échappe encore cette fois.

14° Sur quelques mots obligeants du roi, Mademoiselle se figure qu'on veut lui faire épouser MONSIEUR, frère de Louis XIV, qui avait douze ans de moins qu'elle. Elle finit par s'apercevoir qu'on n'avait pas pensé sérieusement à cette union, et pour se consoler, elle rêve des mariages avec d'autres princes.

15° On lui propose, pour la troisième fois, d'épouser CHARLES II, roi d'Angleterre. Elle déclare qu'elle croit indigne d'elle d'accepter la main d'un monarque qu'elle avait repoussé lorsqu'il était dans l'adversité.

16° D'après l'ordre du roi, Turenne lui propose d'épouser le roi de Portugal, ALPHONSE-HENRI, prince débauché. Elle rejette cette proposition avec hauteur, et Louis XIV l'exile à Saint-Fargeau, exil auquel on doit ses curieux Mémoires.

« Enfin, elle lie une correspondance avec madame de Motteville, sur le projet d'établir, dans une campagne délicieuse, une société d'hommes et de femmes, à qui l'amour et le mariage seraient interdits. »

Avec de pareils principes, ses nombreux mariages manqués devaient-ils venir aboutir à cette longue intrigue amoureuse avec Lauzun, qu'elle raconte si minutieusement, où elle s'humilia tant, et qui n'eut pas un dénoûment meilleur que les autres? De tout cela, il ne lui resta peut-être pas même des titres sérieux pour marcher sur les traces de Jeanne d'Arc.

Mais ce ne fut pas à Orléans le dernier service qu'elle devait rendre au grand Condé, qui lui dut le salut de son armée au combat de la porte Saint-Antoine.

Gaston flottait irrésolu, selon sa coutume; Mademoiselle lui demande et obtient l'autorisation d'aller à son secours. Elle fait ouvrir les portes de la ville, fermées par ordre de Gaston, et, pour protéger la retraite de Condé, elle fait tirer le canon de la Bastille sur les troupes du roi.

« Voilà, » dit Mazarin à cette nouvelle, « un coup de canon qui vient de tuer son mari. »

A la suite des événements qui suivirent, Condé alla prendre le commandement des troupes espagnoles. Gaston n'eut la force ni de le suivre, ni de s'opposer au retour du roi. Son rôle était désormais terminé, et un ordre du roi le relégua à Blois.

Le cardinal de Retz, qui avait été si longtemps son confident et son ami, fut arrêté au Louvre, et Mazarin, triomphant et digne élève de Richelieu, fit sa rentrée à Paris.

Voici, au sujet de son exil, les détails consignés dans la collection des Mémoires de Petitot, sous le titre de Mémoires de Gaston:

« Gaston, dans sa retraite, ne conserva pas la dignité qui convenait à son rang, et ne jouit pas de la tranquillité, unique moyen de bonheur qui lui fût laissé. Il avait, dès sa jeunesse, aimé les lettres. Voiture et Vaugelas, qui lui avaient été attachés, s'étaient efforcés de nourrir ce goût; mais il n'y trouva aucune consolation, soit parce que, ayant passé presque toute sa vie dans les grandes affaires, il n'y vit qu'une occupation frivole, soit parce que, désabusé de toutes les illusions, il fût devenu incapable d'en sentir le charme. Se consumant dans de longs procès contre sa fille aînée, Mademoiselle, dont il voulut conserver les biens, il ne trouva de distraction que dans l'exercice de la chasse et dans la culture d'un jardin botanique qu'il établit près de son château de Blois.

« Quoique dévoré du désir de reprendre de l'influence à la cour, il affectait d'en être entièrement dégoûté. « Je n'y retournerai jamais, disait-il si on m'ôte mes revenus, si on veut me prendre par famine, je camperai à Chambord avec tout mon train ; il y a assez de gibier pour me nourrir longtemps; j'y mangerai jusqu'au dernier cerf avant de revenir à la cour. »

Son mécontentement l'aveuglait sur les grandes qualités du jeune roi : il ne voyait en lui qu'un prince imprudent et inhabile. « La monarchie va finir, répétait-il souvent; au point où en est le royaume, elle ne peut subsister : dans tous les États qui ont fini, leur décadence a commencé par des mouvements pareils à ceux que nous voyons. »

Il mourut sept ans après sa disgrâce, âgé de cinquante-deux ans, et sa prédiction ne fut pas loin de se réaliser.

Madame de Motteville, dans ses Mémoires, donne de sa mort cette appréciation que nous transcrivons à titre de curiosité :

« Pendant le séjour que le roi fit en Provence, le duc d'Orléans, étant à Blois, y mourut en fort peu de jours. Ce prince méritoit d'être regretté, tant pour ses bonnes qualités que pour être fils du roi Henri le Grand, dont la mémoire doit toujours être chère aux François. On peut croire que sa mort fut précieuse devant Dieu, car elle fut précédée d'une vie pieuse et chrétienne, accompagnée d'une véritable contrition de ses péchés. Il accompagna ces vertus, à l'exemple du feu roi, son frère, d'une grande fermeté d'âme, et il envisagea la mort sans frayeur ni sans foiblesse. Le repos dont il jouissoit depuis sa retraite n'avoit pas contribué à sa santé; au contraire, il étoit vieilli et changé. Il avoit autrefois été le chef de toutes les factions et cabales qui, de son temps, avoient été faites sous son nom contre le cardinal de Richelieu. Ce ministre avoit pensé périr souvent par ses entreprises; mais le bon naturel de ce prince l'avoit toujours empêché d'en venir à la conclusion, parce qu'il étoit bon et qu'il ne voulut jamais consentir à répandre le sang de son ennemi, ni faire aucune action de violence. Sa cour autrefois étoit remplie de plusieurs seigneurs du royaume, qui tous vouloient avoir l'honneur d'être à lui, parce qu'il étoit présomptif héritier de la couronne, et que l'abaissement où étoit réduit le feu roi, son frère, le relevoit infiniment; mais toute cette gloire étoit passée. Celle qu'il avoit eue pendant la régence l'étoit aussi il ne lui en restoit que le fâcheux souvenir de la vanité de ses pensées et de l'inutilité de ses actions. Depuis le mauvais succès de ses malheureuses entreprises, il étoit demeuré dans un certain état de disgrâce qui fait compter les hommes au rang des morts avant qu'ils le soient en effet ; mais il est à présumer qu'il vit de la vie des justes, et que sa pénitence et les aumônes qu'il faisoit dans sa solitude de Blois lui donnent dans l'éternité une place qui vaut beaucoup plus que toute la grandeur mondaine dont il s'étoit vu environné.

Le roi et la reine mêlèrent au regret qu'ils eurent de sa mort le souvenir des choses passées, et il fut cause que leur deuil ne fut pas excessif. Mademoiselle en fut fâchée, car la perte d'un tel père doit toujours être sensible; mais les procès qu'elle avoit eus contre lui, et le peu d'application qu'il avoit eue à la bien marier, diminuèrent un peu sa douleur; et la constance qu'elle eut à souffrir ce malheur étoit moins un effet de sa vertu que de son indifférence. Madame vit sa perte, et il est à croire qu'elle la sentit beaucoup; mais cette princesse étoit si destinée à n'être comptée pour rien, que ses larmes ne le furent point. Mesdemoiselles d'Orléans, d'Alençon et de Valois, ses autres filles, étoient si lasses d'être à Blois, et leur jeunesse leur faisoit si passionnément désirer d'aller à Paris, qu'elles se consolèrent aisément sans doute de voir finir leur exil, quoique apparemment la mort de ce prince fût le plus grand malheur qui leur pût arriver. Il le crut ainsi lui-même, car, dans ses derniers moments, jetant les yeux sur sa famille, il cita en latin, à un père de l'Oratoire qui l'assista à la mort, ́ un passage de l'Écriture qui en représentoit la désolation. »

Voilà cependant les sources troublées où il faut aller puiser l'histoire. Mademoiselle de Montpensier s'étend longuement, dans ses Mémoires, sur la mort de son père; mais sa douleur ne lui fait pas oublier l'étiquette:

« Après que mes derniers moments me donnèrent la liberté de penser à moi, je songeai qu'il étoit de mon devoir de donner part au roi de la mort de Monsieur. Ce sont de ces démarches de dignité où l'on ne doit jamais manquer. »

Et plus loin :

« Lorsque je voyois du beau temps, je ne pouvois pas demeurer dans ma chambre, qui m'étoit beaucoup plus désagréable depuis qu'elle étoit tendue de noir. Je fis faire un ameublement gris : c'est le premier qui avoit paru à une fille; il n'y avoit que les femmes veuves qui s'en fussent servies. Ainsi l'on vit bien que je voulois porter le deuil le plus régulier et le plus général qui eût jamais été. Tous mes gens, jusqu'aux marmitons, et les valets de tout mon domestique en furent vêtus; les caparaçons de mes chevaux avec ceux de mes sommiers, tout fut en noir. Cela parut très-beau la première fois que la cour marcha, et l'on dit que j'étois magnifique en tout ce que j'ordonnois. »

La morale de cette histoire, aurait dit un ancien, est celle-ci : « Gaston ne méritait ni pitié ni regrets. »

Un philosophe se demande ce qui serait advenu de la France après le règne d'un tel roi, sans la naissance de Louis XIV. Peut-être eût-il devancé de quelques années l'heure de la Révolution française, et Louis XV eût reçu la récompense de son règne, que devait expier Louis XVI. Et l'hérédité de la couronne n'aurait pas fait l'hérédité du crime.

Charles Joliet

L’office religieux a lieu à la chapelle des Minimes qui se trouve être à mi-chemin entre le château et la propriété de La Mironnerie, où réside la reine-mère Marie de Médicis pendant son séjour à Nantes.


Cet évènement va une nouvelle fois changer le destin des Bonshommes: les dons et fondations en leur faveur leur permettent d’envisager l’agrandissement de leur chapelle.

 

RÉCIT DES CÉRÉMONIES FAITES AUX FIANÇAILLES ET MARIAGE DE MONSIEUR FRÈRE DU ROY, ET DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER, EN LA VILLE DE NANTES (1626).

 

En venant à Nantes tenir les Etats qui s'ouvrirent le 11 juillet 1626, Louis XIII n'avait fait qu'obéir aux instigations de Richelieu, et les fêtes et les rigueurs qui signalèrent sa présence dans cette ville n'étaient pour le cardinal que des instruments de sa politique.

Loin de ses ennemis, dans une cité toute dévouée, il pouvait sans risque mener de front et conduire à bonne fin deux grands projets, le mariage de Gaston, frère du roi, et la ruine de ceux qui, follement attachés à la fortune de ce jeune prince aussi faible qu'irrésolu, l'opposaient sans cesse aux empiétements du ministre qu'ils détestaient.

Loin de nous l'intention de retracer ici des événements qui appartiennent aussi bien à l'histoire de la France qu'à celle de notre ville, et que les historiens de l'une et de l'autre ont si longuement racontés.

 Si nous publions aujourd'hui une relation fort rare des cérémonies du mariage de Gaston de France avec Marie de Bourbon, duchesse de Montpensier, c'est que nous croyons que cette pièce, inconnue au P. Lelong et à ses continuateurs, doit être mise au rang de ces productions nombreuses que le temps a fait disparaître, et qui, sans offrir toujours un véritable intérêt, n'en sont pas moins une bonne fortune pour le bibliophile ou pour l'historien qui les retrouve. Composé, sans aucun doute, par ordre de la Cour, ce mince journal dut être répandu à profusion, pour que partout les ennemis du Pouvoir fussent découragés au récit de ce succès, sur lequel personne, pas même Richelieu, n'avait osé compter, et pour que l'opinion publique, égarée sur les vrais motifs d'une politique artificieuse, ne vît dans ces grands frappés chaque jour par l'exil ou par la mort, que de véritables coupables justement sacrifiés au bienêtre et à la tranquillité de l'État.

E. G.

 

Recit veritable de l'Ordre et des Ceremonies faites aux Fiançailles et Mariage de Monsieur Frere du Roy, et de Madamoiselle de Montpensier, en la ville de Nantes en Bretagne.

 La Seance du Roy, des Roynes, Princes et Dames de la Cour, au Contract dudit Mariage, et qui ont signé.

 Ensemble les Articles, et ce qui s'est faict de plus remarquable, le jeudy 6 du present mois d'Aoust.

Avec les resjouissances publiques, feux de joyes, artifices, faites en la Ville de Paris, par le commandement de sa Majesté, le jeudy 13 dudit mois (2).

Si iamais la France eut sujet de dresser des feux de ioye, et de faire entendre son allegresse par tout l'Vniuers, c'est auiourd'huy qu'elle doit employer tous ses artifices, et toutes ses acclamations pour benir mille fois l'heureuse iournée du Mariage de Monsieur Frere du Roy, et de Madamoiselle de Montpensier.

Puisque ceste divine Alliance, par un nœud à iamais indissoluble, reünit tous les ressorts de ce Royaume, que l'on croyoit se lascher, et dissiper comme vn nouueau Soleil, tous les nuages et les tempestes qui sembloient s'esleuer contre nous.

Le Mercredy 5 de ce present mois, le Roy estant Nantes, apres auoir assemblé son Conseil, la Reyne mere, Monsieur Frère du Roy, le Cardinal de Richelieu, Monsieur le Garde des Sceaux, et plusieurs autres Officiers de la Couronne, et meurement deliberé sur le sujet du Mariage de Monsieur, en fin il fut arresté ce qui s'ensuit.

ARTICLES DU Mariage DE MONSIEUR FRERE DU ROY, ET DE MADAMOISELLE DE MONTPENSIER

Premierement que Monsieur auroit pour son appanage la Duché d'Orleans, dont Madamoiselle de Montpensier porteroit le nom, la ville et chasteau de Blois pour maison de Plaisance.

Que tous les ans, outre ledit appanage, Monsieur prendroit dans les coffres de l’Espargne de sa Maieslé, la somme de sept cens mille liures, etc. On proposa aussi les articles de Madamoiselle de Montpensier, auec vn long dénombrement de ses terres, possessions et seigneuries, qui seroient trop long de raconter, et le contract estant reciproquement signé de part et d'autre en presence du Roy, des Princes du Sang, et des Officiers de la Couronne.

Le soir mesme furent faites les Fiançailles dans le Palais du Roy, où tout le monde estoit en merueilleuse ioye, Monsieur le Cardinal de Richelieu en a fait les ceremonies, et leur a fait vne belle exhortation.

Il n'y a eu que le Roy, la Royne mere, la Royne, Monsieur, et Madame de Guyse, Madamoisello de Montpensier, et Mesdames les Princesses de Condé et Conty qui ayent signé au contract.

Il n'y auoit aucun rang pour les Princes et grands Seigneurs de la Cour, le Roy et les Roynes auoient leurs chaises autour d'vne table :  la Royne Mère estoit en la meilleure place, le Roy au dessous d'elle, la plus part du temps debout, Monsieur au dessous de luy, la Royne au bout de la table, et Madamoiselle de Montpensier assise aupres d'elle sur vn escabeau, et les autres Princesses debout.

La ceremonie des Fiançailles estant faite, Monsieur s'approcha d'elle, et apres la bénédiction la baisa deux ou trois fois deuant tout le monde.

Le lendemain donc qui estoit le leudy 6 du mois, la nuict s'estant passée par toute la ville en feux, en acclamations, en réjoüissances, les trompettes, les fifres, les tambours r'appelerent l'Aurore, et le Soleil fit éclore ceste belle lumiere qui deuoit porter par tout le monde les nouuelles d'vne si heureuse alliance.

Dés le matin tous les Capitaines des Gardes reuestus de leurs plus riches accoustremens, se trouuerent au leuer du Roy : l'Eglise de Nantes fut parée et ornée des tapisseries les plus belles qui se peut imaginer, l'Autel où on deuoit dire la Messe enrichy de mille beaux miracles et prodiges, dignes d'accompagner vne si belle iournée.

Sur les dix heures toutes les rues par où la Cour deuoit passer, se virent bordées d'vne infinité de peuples.

En fin le Roy alla à l'Eglise, où desia estoit Monsieur le Cardinal de Richelieu reuestu de ses habits Pontificaux, comme celuy qui deuoit celebrer ce Mariage tant désiré.

La Royne More s'y trouua, la Royne de France, les Dames de la Cour voulurent voir ce iour Madamoiselle de Montpensier.

 C'est trop entreprendre que de vouloir décrire en ce lieu ses beautez, il faudroit auoir le stile et le langage des Dieux pour parler dignement d'vne si belle Deesse. le diray seulement que Diane sur les montagnes de Dele, ny Minerue dans Athenes, ny Iunon en l'isle de Samos, ny Venus sur les colines d'Ide prés de Troyes, ne parut iamais si belle; et peut-on dire d'elle que la Nature auoit reserué à nos siecles vne telle beauté, apres auoir trauaillé en vain six mille ans sans en produire une semblable.

La Messe fut celebrée par Monsieur le Cardinal de Richelieu, auec toutes les ceremonies qu'on peut apporter en vne si grande action.

Le Mariage parfait, les Princes presens, et pour tout dire en peu de mots, consommé le mesme jour, au grand contentement du Roy, et de toute la Cour.

Ces choses s'estans ainsi heureusement passées à Nantes, sa Majesté desirant faire part à sa bonne ville de Paris, et à toute la France de ceste réjouissance publique, escriuit à Messieurs le Preuost des Marchands et Escheuins de Paris et leur enjoignit de faire faire feux publicqs par toute la ville.

Le Ieudy donc 13 dudit mois, sur les six heures du soir, commandement fut fait par tous les Cartiers de faire lesdits feux par toutes les ruës; et sur les neuf heures du soir furent tirées de l'Hostel de ville vn nombre infiny de fusées, de boëttes, et de pièces de canon, si bien que l'air des enuirons fut remply d'acclamations et de réjoüissance nouuelles, ny ayant personne en France qui ne receut vne particuliere allegresse de ceste heureuse alliance. le prie Dieu que ceste alliance dure vn siecle, et que l'affermissement des affaires de la France soit tellement estably, que malgré toutes les bourasques, malgré les tempestes des vents contraires, elle fleurisse à iamais, et produisse des plantes qui seruent vn iour de terreur à nos ennemis, et d'ombrage ou, pour mieux dire, d'asseurance et de repos à ceux qui sont vrais François.

FIN.

 

 

Revue des provinces de l'Ouest : Bretagne et Poitou : histoire, littérature, sciences et arts

Les Emaux de Petitot du Musée impérial du Louvre: portraits de ..., Volume 1 de Jean Petitot

 

 

RICHELIEU (Jean-Armand Du Plessis), le Cardinal qui changea la Destinée de l’Histoire de France.  <==

 

 


 

(1). Cette princesse avait pour devise une fleur de lis d'argent avec ses feuilles vertes, sa tige dirigée en haut, sur laquelle des rayons célestes épandaient leur lumière, accompagnée de cette légende: In manibus tuis sortes meœ.

(2). A Paris, chez Adrian Bacot, rue des Carmes, à l'Image sainct Jean, 1626. Avec permission. lu-8° de 8 pp.

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