A 5 kilomètres au nord-ouest de Chinon et à 2 kilomètres de la rive droite de la Vienne, tout près de la route départementale de Chinon à la Loire par Beaumont-en-Véron et Avoine, sur une petite bailleur dominant une riante contrée, on peut voir encore aujourd'hui le domaine des Razilly.

Son aspect n'est pas fort imposant ; et pourtant, il fut un château-fort au temps de la guerre des Anglais (1), et comme le quartier général de la défense nationale.

Le « petit roi de Chinon» y vint souvent chercher refuge; il y signa, la trêve heureuse de 1444, que cimenta l'union de Marguerite d'Anjou et du roi anglais Henri VI; il y séjourna de mai à septembre 1446, en mai 1449, de janvier à mai 1459, et à d'autres époques sans doute (2).

Louis XI lui-même y passa au moins les mois de janvier et février 1464 (3); et l'héroïque Marguerite d'Anjou y vint attendre en 1469 la fin des préparatifs de .l'expédition que Louis XI, Warwick et elle-même devaient diriger contre Edouard IV d'York.

Ces grands faits et ces grands noms contrastent avec l'apparence modeste de ce manoir féodal.

L'histoire de la famille qui le possédait offre la même opposition de modestie et de gloire. Aucun de ses membres n'a joué un premier rôle; beaucoup ont tenu les seconds avec éclat.

Le fief des Razilly (4) fut constitué au XIIe siècle en faveur de Herbert, à son retour de la Croisade. Il engloba successivement les seigneuries de Beaumont-en- Véron, Avoine, Malefelon-en-Véron, Vélort, Eaux — Mesles, Cuon et Savigny.

La terre de Razilly était mouvante du comté de Lucé, celle de Beaumont de la seigneurie de Cravant, celle de Matefelon de la seigneurie d'Ussé.

De plus les Razilly étaient vassaux des ducs de Richelieu, seigneurs de Chinon, pour le Grand Pressigny, dépendance de leur fief (5).

Le cardinal fut même en procès, à ce sujet, avec Anne Bertrand de la Bazinière, veuve de Claude de Dreux, comte de Nancré, acquéreur de cette baronnie, sur laquelle les sires de Chinon exerçaient les droits d'achat et de relief (6).

Mais il n'y avait pas seulement, entre les Razilly et les Du Plessis Richelieu, des relations de vassalité. Les deux maisons étaient apparentées.

Ainsi, en 1409, la succession de Jean de Razilly, mort sans enfants, fui disputée entre Pierre du Plessis et Louis de Razilly (7). Ce fait, explique l'influence du cardinal sur les membres de la famille qui lui étaient contemporains, et le dévouement de ceux-ci.

Les sires de Razilly, en effet, comme ceux de Cravant, ont été jusqu'au XVIIe siècle des « capitaines de terre » ; le pays de Touraine charme et retient ses enfants. Ainsi François de Razilly fut, par lettres patentes du 21 mars 1587, constitué gouverneur de Loudun et défenseur du cours de la Loire (8).

De même, Charles-Hercule de Cravant, premier marquis d'Humières, était gentilhomme de la chambre du roi et capitaine de cent hommes d'armes (9). Or, les quatre fils de François et quatre des neveux de Charles-Hercule, les propres frères du maréchal d'Humières, furent des capitaines de mer (10). Ne doit-on pas voir dans cette déviation, d'ailleurs unique, des traditions de deux familles, l'influence personnelle de celui qui se hâta de prendre, à son entrée au ministère, le titre de chef et surintendant de la navigation et du commerce ?

Quoi qu'il en soit, des quatre fils de François de Razilly, Gabriel, François, Isaac et Claude, les deux derniers furent des agents dévoués du cardinal pour les choses de la marine. Claude, sieur de Launay, a la plus grande réputation; les biographies, même locales, ne parlent que de lui (11). C'est une injustice envers ses frères, et surtout envers Isaac, comme nous allons le montrer.

Mais il a mérité cette faveur de l'histoire par ses services el ses litres. Il se distingua au siège de La Rochelle en 1627, fut gouverneur de Ré et Oleron, vice-amiral de France, puis lieutenant-général en Acadie, où il mourut vers 1666 (12). Lui seul, d'ailleurs, a fait souche.

Au XVIIe et au XVIIIe siècles, ses fils et petits-fils conservèrent la faveur qu'avaient méritée les fils de François. La fille de François, Marie, orpheline à un an en 1624 et adoptée par son oncle Claude, sieur de de Launay, se fit un nom dans les lettres. On l'appelait Calliope, et elle reçut, après la mort de son oncle, une pension royale de 2000 livres « vu sa qualité de poêle » (13).

Le fils aîné de ce même Claude de Launay, Gabriel de Launay-Razilly, qui se maria par devant Me Arouet, père de Voltaire (14), fut sous-gouverneur du duc de Berry et lieutenant-général au gouvernement de Touraine. Son fils, Armand-Gabriel, lieutenant-général des armées du roi et commandeur de l'ordre de Saint-Louis, fut lui aussi lieutenant-général de Touraine et gouverneur de Ré.

L'intendant Miromesnil avait donc raison, dans un Mémoire adressé au duc de Bourgogne en 1697, de mettre les Razilly à la tête de la noblesse de Touraine (15).

Revue de géographie / dirigée par M. Ludovic Drapeyron

Chinon, enceinte et fortifications de la Ville-Fort  <==.... ....==> Tournoi de Chevalerie, l'Emprise de la Gueule du Dragon (Guerre de Cent-Ans)

1. Charles VII, par édit de 1.1-39, autorise Jean de Razilly à le fortifier (cf. Carré de Besserolles, Dictionnaire géographique, historique et biographique d'Indre-et Loire, art. IUZII.LÏ. — Il donne le texte de l'édit).

2. Ordonnances, t. XIII, XIV, XV. Douze pièces datées de Razilly.

3. Ordonnances, t. XVI. Trois pièces datées de Razilly.

4: Armoiries : Les Razilly portaient d'argent à trois fleurs de lys de gueules posées comme celles de France, aux supports deux anges drapés de gueules.

5. Archives d'Indre-et-Loire, E, 163-164-165 [Aveux et dénombrements des domaines de Razilly, Beaumont el Velort). — Duchesne : Histoire de la maison Du Plessis (Preuves).

Ces différents domaines sont tous situés dans l'arrondissement et le canton de Chinon.

6 Archives d'Indre-et-Loire, E, 163.

7. Carré de Bresserelies donne le texte de l'arrêt du Parlement, qui tranche le différend (Art. RAZILLY).

8. Bibliothèque nationale, Manuscrits, Fonds D. Rousseau, XI, 4735.

9. De la Chesnayo : Histoire de la noblesse.

10. Des cinq fils de Louis de Gravant, frère de Charles-Hercule, deux furent chevaliers de Malle (Roger et Ballhasar), deux chefs d'escadre et lieutenants-généraux des armées navales (Jacob, mort devant Messine (1675), Raymond, mort en 1688). Le cinquième fut le maréchal d'Humières.

11. Le Dictionnaire biographique du Dr Uoefer ne nomme même pas les autres.

12. Voy. Carré de Brasserolles et Guérin : Navigateurs français. Voy. aussi Correspondance de Richelieu, t. II (dix lettres de Richelieu à Claude de Launay. Razilly, 1627-28).

13. Cf. Titon du Tillet : Parnasse français, p. 4-87 (ediliqu 1732, in-f°).

14. Pièce conservée dans la famille.

15. Mémoires de Miromesnil (analysé par Lepaige : Histoire du Maine, t. I, p. v, édition 1777).