Armand Emmanuel du Plessis, comte de Chinon, duc de Fronsac, duc de Richelieu sous la Révolution
Le duc Armand-Emmanuel du Plessis de Richelieu avait reçu la terre de Richelieu par son contrat de mariage de l'année 1782.
A la mort du maréchal, son père, en 1791, il entra en pleine possession de tous ses droits; mais la situation était compliquée par suite des substitutions et du douaire de la maréchale. Les trois enfants acceptèrent l'héritage sous bénéfice d'inventaire, ainsi d'ailleurs que l'avait fait jadis leur père. Le duc reçut comme tuteur et curateur, Nicolas Dujardin, homme de loi, et Mlle Marie de Gallifet fut tutrice des deux filles.
Il importait de débrouiller cette succession ; à cet effet, le roi Louis XVI donna des lettres, et le Parlement rendit un arrêt pour que l'on procédât « à la vente des biens à l'amiable ou en justice ».
En conséquence, le 21 août 1791, des fondés de pouvoirs vendirent les propriétés de Champigny, la Rajace et Chizay à M. de Quinson, ancien receveur général du clergé de France. Le prix était de 213,100 livres que l'acquéreur paya comptant à J.-B. Scherer, intendant du feu maréchal.
Le seigneur de Richelieu avait été inscrit sur le tableau des émigrés, le 11 juillet 1792, et comme tel vit ses biens confisqués (2). Pourtant à la suite d'une réclamation, un décret du gouvernement, du 11 brumaire an II, le raya de la liste; le préfet d'Indre-et-Loire, par arrêté du 19 prairial, maintint quand même le séquestre (3).
A défaut de l'administration, la populace s'attaqua bien à certains signes et à quelques statues, comme celle de Louis XIII, qui rappelaient des souvenirs et des noms qu'elle croyait exécrer, parce qu'on le lui disait; mais le château, en général, fut respecté avec ses oeuvres d'art, en attendant la visite officielle.
Par une loi du 14 août 1792, l'Assemblée législative ordonna la vente des biens des émigrés; le château de Richelieu partagea le sort commun. Un commissaire du district fut chargé de l'inventaire des effets mobiliers, qui s'éleva à 28,015 livres, 6 sols. Au mois de brumaire de l'année suivante, un second inventaire ne monta plus qu'à 14,411 livres.
Dans l'intervalle, on avait retiré du château une foule d'objets précieux, entre autres vingt des plus beaux lits dont nous avons admiré la richesse.
La peur des Vendéens acheva ce que la rapacité du fisc avait commencé ; les géants insurgés gagnaient sans cesse du terrain et menaçaient Saumur. En particulier, on se hâta d'enlever de la terrasse du château les pièces de canon, données par Louis XV au vainqueur de Fontenoy.
Parmi elles, il en est une qui a son histoire: j'ai nommé Marie-Jeanne.
Les volontaires du Saumurois, qui la dirigeaient contre les Vendéens, la perdirent avec quelques autres au bourg de Coron, au mois de mars 1793.
Elle était ornée de gracieuses figures allégoriques que les insurgés prirent pour des sujets religieux; ce qui les porta à l'appeler « Marie-Jeanne », du nom de la fille de Cathelineau.
Pendant toute la campagne, elle fut entourée d'une véritable dévotion et considérée comme une sorte de palladium.
A la bataille de Fontenay, elle fut six fois perdue et reprise avec des prodiges d'une valeur vraiment héroïque. Aussi reçut-elle un véritable triomphe quand les Vendéens la ramenèrent dans le Bocage. Femmes, enfants, vieillards; châtelaines et ouvriers se confondaient dans une commune et indicible allégresse : tous voulaient la voir, la couvrir de baisers et tout au moins la toucher. « Les servants étaient à cheval sur leur pièce et l'avaient décorée de rubans de toutes couleurs ; on faisait des libations sur ce canon dont l'aspect inspirait une ivresse générale et qui était devenu presque l'objet d'un culte superstitieux. »
Après avoir été à la victoire, Marie-Jeanne fut à la défaite.
Au passage de la Loire, à Saint-Florent-le-Vieil, elle fut enclouée par les Vendéens et précipitée dans les eaux du fleuve avec les autres canons, désormais inutiles aux vaincus (4).
Cependant le conventionnel Tallien vole dans la contrée et s'installe à Richelieu.
Il réquisitionne un grand nombre de voitures sur lesquelles, le 10 mai 1793 et les jours suivants, il fait charger la literie, le linge et la vaisselle (5). La vente de ce qui restait fut fixée au 30 frimaire 1793, et annoncée dans tous les centres environnants, Tours, Poitiers, Loudun, Chinon, Saumur, Angers, etc. On ne vendit pas, cette fois, « un grand nombre de pièces de fayence, parce que les armes des Du Plessis y étaient peintes dans l'émail de façon à ne pouvoir en être effacées; » on réserva aussi un lit superbe, garni de broderies en bosse qui furent envoyées au district (6).
En revanche, la vente comprit les effets mobiliers qui demeuraient encore, ainsi qu'un certain nombre d'objets renvoyés par le district; elle monta à 37,278 livres, 16 sols (7). Le 20 brumaire an VI, le ministre de l'intérieur nomma deux commissaires pour vérifier la vente du mobilier du château, et presque en même temps, on remplaça l'ancien gardien, devenu suspect, par un « citoyen probe et républicain ».
Le 22 germinal an VII, l'administration communale adressa au district du département d'Indre-et-Loire, l'inventaire des meubles et le détail de la vente. De son côté, au mois de ventôse an VIII, le ministre de la guerre demanda que le château fut disposé pour loger des troupes; mais l'architecte, consulté à cet égard, estima à 400 francs les réparations à exécuter, et l'affaire n'eut pas de suite (8).
Cependant les propriétaires du château n'assistèrent pas, sans s'émouvoir, à la spoliation qui les frappait. Les demoiselles de Richelieu, Armande-Marie et Simplicie-Gabrielle présentèrent à l'administration du département d'Indre-et-Loire une pétition, dans laquelle elles demandèrent « l'envoi en jouissance provisoire du domaine de Richelieu et ses dépendances, à la charge de rendre compte des fruits, lors des partages, et de donner caution. » Elles se fondaient, d'une part, sur la loi du 13 nivôse an III et, d'autre part, sur ce que le duché n'appartenait point directement au duc du Plessis-Richelieu, leur frère, mais qu'il dépendait au contraire de la succession paternelle; or, « le partage n'étant point fait, en qualité d'héritières de leur père, elles avaient droit pour chacune un tiers dans les biens de sa succession ».
Un arrêté du 5 thermidor an 111(1795), leur donna gain de cause. Mais plus tard, par arrêté du 21 frimaire an VI, l'Administration cassa cette mesure et plaça de nouveau le domaine de Richelieu sous le séquestre, par la raison que Armand-Emmanuel du Plessis était directement et exclusivement propriétaire de ces biens qui, par suite de son émigration, revenaient à l'État.
Les deux soeurs tinrent bon, elles en appelèrent au ministre des finances et se pourvurent devant le tribunal civil de la Seine, se prétendant tout au moins héritières « pour chacune un tiers conjointement avec la République, et pour l'autre tiers comme représentant leur frère. »
A son tour, le 22 pluviôse an VI, l'Administration centrale d'Indre-et-Loire adressa au Directoire exécutif et au ministre un Mémoire détaillé, pour prouver que les demoiselles de Richelieu ne sont aucunement fondées dans leur réclamation.
« L'émigration de Richelieu a opéré la confiscation des biens dont il était propriétaire : il ne tenait point le domaine de la succession de son père, dans laquelle il ne devait point entrer en partage ; il le tenait directement de l'auteur des institutions et substitutions ». Le cardinal a réglé la substitution de mâle en mâle avec droit d'aînesse, et son testament est « le seul point central d'où l'on doit partir (9) ».
Les demoiselles de Richelieu finirent par obtenir ce qu'elles réclamaient. En vertu d'un arrêté du gouvernement du 17 ventôse an IX, et par jugement du tribunal de Tours du 6 prairial, elles « furent envoyées en possession et jouissance du tiers des revenus, échus et à échoir, des domaines, à la charge de supporter le tiers des contributions foncières et autres. »
Au moment de la réintégration, le trésorier des domaines rendit les comptes des années 1800,1801 et 1802. Les recettes étaient formées des arrérages échus; à cette époque, les dépendances embrassaient les métairies de Mausson, de la Grange, de Puy-Guibault, du Porc, de la Mothe, de Parigny, de Bassereau et de la Gagnerie, auxquels il faut ajouter les fermes du Potarger, de Beauregard, du Petit-Fougeray, du Chillou, de la Prégoussière ainsi qu'une grande étendue de prairies; les revenus montaient à 16,328 livres. Quant aux dépenses, elles comprenaient 6,647 francs de contributions, 4,644 francs de réparations et 1,879 francs à divers employés. « Le jardinier-fleuriste du grand parterre et des orangers » recevait 400 livres par an.
Le château, les murs du parc et les métairies avaient bénéficié des réparations, dans lesquelles les ponts du château figuraient pour la somme de 933 francs. Tout compte fait, l'État se trouvait redevable aux dites demoiselles de 3,356 francs et quelques centimes (10).
Le château de Richelieu renfermait toujours un grand nombre d'objets qui devaient éveiller la sollicitude du gouvernement.
Au cours de la Révolution, quelques hommes courageux et dévoués à la cause des arts avaient sauvé du naufrage de glorieuses épaves. Au premier rang, brille Alexandre Lenoir qui, avec un soin religieux, réunit ces précieuses reliques dans le bâtiment des Petits-Augustins, devenu Musée national en 1795 (11); les amis du beau lui garderont une éternelle reconnaissance.
Ces dévots conservèrent le culte de l'art qu'ils répandirent autour d'eux, quand l'orage fut apaisé; mais, avant tout, il convenait de s'assurer de la valeur du patrimoine artistique légué par les âges précédents et échappé aux coups des Vandales.
On dressa des inventaires officiels; à Paris, le tableau et l'estimation des oeuvres provenant de la succession des du Plessis, furent faits par Bréa et Naigeon.
Le palais de Richelieu ne pouvait être oublié; dans la séance du 15 prairial an VII le conseil d'administration du Musée national « arrête qu'il sera écrit au Ministère de l'Intérieur pour lui demander de nommer un commissaire à l'effet de se transporter à Tours et à Richelieu, pour examiner s'il existe encore quelques-unes des statues antiques ou fragments d'antiquités que le cardinal de Richelieu y avait fait porter et qui, par leur mérite, pourraient trouver place dans la nouvelle galerie des antiques. »
L'architecte Dufourny et l'antiquaire Visconti reçurent donc l'ordre de se rendre à Richelieu pour dresser un inventaire et choisir les oeuvres de nature à prendre place au nouveau Musée national. A cette nouvelle, Delamarre, le chargé d'affaires des demoiselles de Richelieu, écrivit aux commissaires pour leur rappeler les droits avérés de ses clientes sur les propriétés et sur tout le mobilier. Pour le transfert des objets à Paris, il était donc nécessaire d'avoir leur consentement cru d'ailleurs ne sera pas refusé, à la condition que l'on fasse l'estimation consciencieuse des différentes pièces.
Les commissaires partirent au mois de septembre 1800. En passant à Tours, ils visitèrent quelques tableaux et bustes qu'on avait déjà retirés du château de Richelieu.
Aussitôt arrivés dans cette dernière ville, ils se mirent à l'oeuvre, heureux de constater, selon leurs expressions, « que les statues, objets de la mission, étaient encore en place, et que le voyage ne serait pas sans fruits. » Nous copions leur relation de voyage.
« 4 vendémiaire. Dès le grand matin, le maire Cartier, le receveur des domaines, Dieu, et le chargé d'affaires des demoiselles de Richelieu, Demoyeu, nous emmenèrent au château. Nous visitâmes avec eux les cours, galleries et appartemens, et, après avoir pris une connaissance superficielle des divers objets d'art qu'il contient, nous commençâmes de suite à dresser l'état général des statues et bustes qu'il contient, en commençant par ceux qui décorent la cour et l'extérieur des façades, et poursuivant par ceux de l'escalier et de la gallerie. Cette opération nous occupa toute la journée.
« 5 vendémiaire. L'état général des statues et bustes étant dressé, nous procédâmes à leur estimation générale qui se trouva monter à la somme de trente-cinq mille six cent quarante francs (selon le rapport 41,500 fr.). Ensuite nous nous occupâmes à choisir ceux de ces objets qui pourraient convenir au Musée central. Le résultat fut qu'il y avait vingt statues et vingt et un bustes, et que la totalité de leur estimation montait à vingt mille trois cents francs (d'après le rapport, 25,480 fr.). Ces diverses opérations prirent toute la matinée. L'après-dîner, nous visitâmes toutes les peintures (12). »
Parmi les marbres de la façade, ils choisirent pour le Musée national un Hercule estimé 1,000 fr., deux Termes de Mercure et d'Hercule (500 fr.), deux autres Termes du même prix, les statues de Decius Claudius, à Esculape (1,000 fr.), une Matrone drapée, un Bacchus avec son génie, groupe de l'école florentine (1,500 fr.), et Antinous sous la figure d'Aristée (2,500 fr.). Ils désignèrent en outre une statue de Jeune homme restaurée en Mercure (1,500 fr.), deux statues votives de Matrone Romaine (2,000 fr.), et une Vénus avec un Amour, de marbre de Paros (1,800 fr.). Enfin leur choix se porta sur les bustes d'AElius Coesar, d'un Athlète, de Julia, femme d'Héliogabale, et de Crispine, femme de Commode. Au haut de l'escalier, ils arrêtèrent deux têtes de Méduse, une statue de Déesse restaurée en Junon (1,000 fr.), un Apollon (800 fr.) et une Diane (600). Dans la grande galerie, ils désignèrent les bustes de Minerve, de Vénus, deux Matrones romaines, un Marins, une Amazone et une Dame romaine ayant une Victoire sur sa tunique, ainsi que les bustes de Papiénus, de Gordien, le père, d'Héliogabale et de Léodanias, orateur athénien, estimés chacun 300 francs. Ils n'eurent garde d'oublier la Vénus de Praxitèle, d'une belle conservation, estimée 3,000 francs. Dans le cabinet du roi, leur choix se fixa sur un Esculape, un Vertumne et sur la table en pierres fines, dite « mosaïque de Florence », qu'ils évaluèrent 3,000 francs. Ils marquèrent encore, au prix de 500 francs, vingt fragments de statues grecques en marbre, propres à faire des restaurations et déposés dans une des basses-cours. Enfin, parmi les peintures, les commissaires se bornèrent à indiquer deux tableaux de Mantegna, le Parnasse et Minerve chassant les Vices; deux de Costa: l'Amour heureux et l’Ile de Vénus, ainsi que le Combat de l'Amour et de la Chasteté du Pérugin. Ce sont, il est vrai, de véritables chefs-d'oeuvre des Primitifs. Au Musée de Tours, ils prirent trois bustes de Mercure, de Diane et d'un Jeune homme. Le total général de l'estimation montait à 41,500 francs (13).
On emballa avec soin les objets destinés au Louvre, et le charpentier Pellagot, chargé d'en opérer le transport, les déposa au Musée central des Arts, le 26 messidor.
Les arts, quelle que soit la séduction qu'ils exercent, à juste titre, sur l'esprit, ne doivent pas nous faire négliger l'histoire de notre localité, considérée au point de vue civil.
La Convention venait de céder la place au Directoire (1795-1799), qui, à l'intérieur, essaya de mettre un peu d'ordre dans le désordre et, à l'extérieur, continua la lutte contre les puissances coalisées.
C'est l'époque où Bonaparte vainqueur promène le drapeau français des rives de l'Escaut et du Rhin aux bouches du Pô et du Nil.
A Richelieu, comme dans le reste de la France, les administrateurs s'efforcent tous ensemble d'arrêter les mouvements révolutionnaires et d'opposer une barrière au réveil des anciennes idées religieuses et politiques, qui tend à s'accentuer de plus en plus.
Le 16 brumaire 1797, les membres de la commune révoquent l'administration de l'hospice ainsi qu'une infirmière, qui jadis n'a pas prêté le serment civique. Ils consentent à en garder une « à cause de son grand âge, des services qu'elle a rendus à l'humanité et des droits qu'elle a aux secours accordés aux indigents »; mais à l'avenir, ils veilleront à ne choisir que des personnes en qui l'on trouve réunis zèle et républicanisme.
Le 2 pluviôse, 21 janvier, ils ne manquèrent pas de célébrer une fête, en l'honneur du jour « qui éclaira le supplice mérité du dernier des usurpateurs qui tyrannisèrent nos ancêtres pendant 15 siècles consécutifs ». Il est vrai que la liberté n'était guère que l'apanage du petit nombre.
Le 17 pluviôse, les bouchers demandent à faire la promenade traditionnelle du boeuf gras; on leur répond par un refus, parce qu'« il est du devoir d'une autorité républicaine de faire disparaître tous les anciens usages et que la permission demandée est contraire au nouveau calendrier » : adieu la vieille gaieté gauloise! Il est fait défense « de chanter dans les rues et places publiques, surtout la nuit » ; à tous gens ayant bal, « de donner à danser, passé huit heures du soir, et à tous artistes de musique et violon, déjouer de leurs instruments passé cette heure. »
Afin de faire disparaître toute trace de l'ancien régime, « si justement proscrit », et de donner aux citoyens les leçons convenables, l'administration changea les noms des rues, des places et des portes. Aux désignations prises des usages et des souvenirs, elle substitua un vocabulaire entièrement inspiré par l'esprit politique, en prenant soin de prohiber sévèrement « tous actes et escritaux contraires (14) ».
Du même coup, pour détruire les titres surannés et mettre en honneur celui de citoyen, on décida, le 17 germinal an VII, que sur les places publiques on écrirait en gros caractères : « Icy on s'honore du titre de citoyen. »
Les administrateurs du canton, devenus suspects, furent révoqués et remplacés, le 19 vendémiaire an VI. On donna à leurs successeurs l'ordre de porter la cocarde tricolore et l'on défendit de chanter le Réveil du peuple, « chanson contre-révolutionnaire propre à corrompre l'esprit public ». Par contre, afin de relever l'éclat des solennités nationales, on décida la formation d'un corps de musiciens.- Cet emploi, ajoute-t-on, « tiendra lieu de tout autre service militaire dans les cas ordinaires et extraordinaires. » Il est vrai qu'en même temps l'on avertit le chef de district qu'il a été impossible de « terminer la formation de la colonne mobile de l'arrondissement, qui doit être envoyée à Tours. »
Les fêtes présentaient d'ordinaire un caractère exclusivement patriotique ; nous en mentionnerons une seule.
Hoche, le jeune et vaillant capitaine, avait été soudainement frappé à l'armée du Rhin, le 19 septembre 1797; une solennité funèbre fut célébrée en son honneur, le 30 vendémiaire. Dès six heures du matin, « une salve de boettes annonça l'ouverture de la célébration de la pompe » ; un sarcophage fut placé sur une estrade, érigée au pied de l'arbre de la Liberté. A neuf heures, l'administration municipale descendit sur la place, où l'attendait la garde nationale dont une partie avait ses armes, et l'autre tenait des branches de chêne.
Le cortège se mit en marche au chant d'une hymne funèbre, accompagné de salves de mousqueterie; un panégyrique fut prononcé en l'honneur du guerrier, et tous les citoyens jurèrent, sur les mânes du vainqueur de Quiberon, haine à la royauté et à l'anarchie, fidélité à la République et à la Constitution de l'an III.
Puis ils déposèrent les rameaux sur le sarcophage qui resta exposé jusqu'à six heures du soir, et la cérémonie se termina par une dernière salve de « boettes ».
A quelque temps de là, on fêta l'agriculture; le 10 messidor, on dépensa 27 livres 10 sols pour célébrer « cet art précieux qui nourrit les hommes et fournit à tous les citoyens les premiers besoins de la vie (15). »
Ces solennités ne suffisaient pas à ramener dans la cité le calme et la pratique de la justice. Au mois de fructidor an VII, la municipalité ordonna de « faire des patrouilles au moins la nuit, afin de réprimer le brigandage et d'assurer la tranquillité publique. »
De leur côté, les fermiers du parc de Richelieu demandèrent à « être autorisés de faire poser aux portes, à leurs frais, de nouvelles serrures pour remédier aux dilapidations qui résultent de la multiplication des clefs. » Sous peine d'autoriser le vol, on ne pouvait se dispenser d'agréer leur requête.
Nous ferons remarquer, en passant, que la contribution foncière de Richelieu s'élevait alors à 10,537 francs 45 centimes. Pour obéir au gouvernement, le 25 fructidor, l'administration richelaise ordonna de rechercher et d'arrêter « les agents de l'Angleterre, les émigrés rentrés, les prêtres déportés, rentrés ou sujets à la déportation, les égorgeurs, les brigands, les chefs de chouans qui n'ont pas déposé les armes ou les ont reprises après l'amnistie. »
La délation soupçonneuse va son train, à la faveur des rancunes politiques ou religieuses. Le clergé assermenté ne fut même pas toujours épargné; on accusa le citoyen vicaire, François Monnier, de n'avoir pas prêté le serment, attendu qu'on n'en trouvait point la preuve ; mais celui-ci réfuta l'accusation en prouvant, par témoins, que « le 23 septembre 1792, jour de son installation comme vicaire constitutionnel, à l'église, il a prêté serment à haute et intelligible voix, suivant la loi du 26 août 1790, dont il a été fait acte » ; la municipalité se déclara satisfaite.
Le Conseil de la commune jugea utile de régler, dans le détail, les fêtes décadaires et le service de l'église. Considérant, d'une part, « qu'un édifice est nécessaire pour lire les lois et célébrer les mariages, et qu'il n'en' est pas de plus convenable que le temple », et d'autre part, que la Constitution assure le libre exercice de la religion, il assigna l'une des nefs collatérales au culte catholique. Il décida que le temple serait destiné aux réunions décadaires et que l'on graverait, au frontispice, ces mots : temple décadaire.
Les fidèles catholiques placeront dans le collatéral du nord les tableaux et autres objets du culte, et il n'y aura pas d'emblème religieux en dehors de cet endroit; les cérémonies religieuses avaient lieu, le matin de 6 à 8 heures, le soir de 5 à 6 heures ; la clef du temple était déposée à la maison commune et était remise, à qui de droit, aux heures indiquées : l'arrêté est du 12 brumaire an VII.
Cependant le Directoire cède la place au Consulat (1799-1804).
Le mouvement social s'accentue dans le sens restaurateur et religieux; Bonaparte, maître, de l'Europe, est nommé premier consul, et le 24 nivôse an IX, le conseil de Richelieu, en ce qui le concerne, ordonne des mesures pour arrêter « les scélérats qui ont osé diriger et exécuter l'attentat du 3 de ce mois contre la personne du premier consul. »
Une certaine confusion d'idées et d'aspirations régnait alors dans les esprits et se montrait dans les habitudes privées et publiques. Au budget de la commune, on voit inscrits 100 fr. pour la fête nationale, 200 francs pour les frais décadaires, 300 francs pour l'entretien du temple, et 100 fr. « au concierge du temple, chargé de mettre l'ordre et la propreté. »
Le Concordat, cette grande oeuvre de pacification religieuse, fut accueilli avec empressement et gratitude. A Richelieu, l'opinion applaudit à la restauration officielle du culte qu'elle appelait de tous ses voeux. On se hâta de réparer l'église et de rétablir le conseil des marguilliers (10 nivôse an XI ). On choisit à cet effet des citoyens connus par leur amour pour le développement « de la religion catholique, apostolique et romaine, qui est celle seule professée dans cette commune. «Comme le temple, depuis assez longtemps, « dépérit en différentes parties et il est à craindre que les ministres n'y puissent exercer le saint ministère avec sûreté, et que d'un autre côté, le curé qui est nommé, se propose d'y célébrer les saints mystères incessament, » on charge Michel Guiot de la Oravière, Auguste de la Mothe, homme de lois, Duboys et Isidore Gandouin de prendre toutes les mesures pour réparer et aménager convenablement l'église. La joie fut au comble le jour où le catholicisme rentra solennellement dans son temple.
La municipalité, elle aussi, fut réorganisée ; de dix, le nombre des conseillers fut porté à vingt, et le 28 thermidor an XI, le général de Pommereul, préfet d'Indre-et-Loire, nomma maire, Jahan de la Mothe, avocat; les adjoints furent Maynard et Leclerc, tous deux notaires.
Le temps et les événements avaient marché : l'empire était un fait accompli. Le 13 prairial an XII, nous lisons dans le Registre des délibérations : « Nous, maire, instruit que dans les villes de l'empire français on avait reçu avec enthousiasme l'heureuse nouvelle de la promotion du premier Consul à la dignité d'empereur, » et considérant que « la ville de Richelieu prend une part très active à cet heureux événement, il sera publié avec tout l'appareil convenable ; en signe de reconnaissance pour les bienfaits dont Napoléon a comblé son peuple depuis qu'il s'est emparé des rênes du gouvernement», on célébrera une fête le lendemain, 14 prairial. Défilé, musique, salves de mousqueterie, affluence du peuple « dont les figures étaient rayonnantes de joie », Te Deum, rien ne manqua; plus tard, on fêta le 15 août avec non moins d'enthousiasme.
En 1832, dix ans après la mort du duc, les héritiers Richelieu vendirent le château au démolisseur Boutron, lié à un certain Pilté-Grenet, membre de la « Bande noire », syndicat de liquidateurs de grands domaines aristocratiques français en déshérence... qui démolit jusqu'en 1835 presque tous les bâtiments de ce véritable palais dont sa chapelle, pour en récupérer les matériaux, à l'exception du portail d'entrée, de l'orangerie, du « pavillon des chais » (restaurés), d'une glacière et du pavillon central de l'aile dite des écuries ; l'aile Est ne fut rasée qu'en 1900.
Visite du magnifique château des du Plessis comme vous ne l’avez jamais vue, à Richelieu en Poitou <==
La « Marie-Jeanne» HISTOIRE D'UN CANON DE LA GUERRE DE VENDEE <==
(1) Ce contrat fut reçu par Me Armand, notaire à Paris, les 14 avril et 2 mai 1782. Par le même contrat, il donna à son épouse, Rosalie-Alexandrine de Rochechouart, 10,000 francs à litre de douaire, 2,000 de rente d'habitation, et 30,000 de préciput.
(2) Pendant la Révolution française, les émigrés sont des Français partisans de la monarchie absolue et de l'Ancien Régime, qui, à partir de 1789 et surtout 1791, quittent la France pour des raisons politiques et se réfugient à l'étranger. Jusqu'en 1814, un certain nombre d'entre eux combattront leur pays afin d'y rétablir la monarchie des Bourbons et l'Ancien régime.
(3) Archives d'Indre-et-Loire, Biens nationaux.
(4) Boulhillier de Saint-André, Mémoire d'un père à ses enfants. — Deniau, Histoire de la Vendée.
(5) citoyen Tallien, représentant du peuple et commissaire de la Convention, ordonna « de ne laisser au château aucun objet précieux qui put ou devenir la proie ou amorcer la cupidité des Vendéens insurgés ». Il enleva 177 matelas, 96 traversins, 64 couvertures de laine et de coton, 290 draps, 56 rideaux de fenêtre, tout le linge de table et de cuisine, tous les ustensiles en cuivre ou en étain sans exception et enfin les plus beaux lits au nombre de vingt-sept, les uns en en lier, les autres en partie : plus de vingt voitures furent nécessaires pour le transport. Le 20 septembre 1793, le district retira encore 75 paillasses, 3 matelas, 2 traversins et 2 couvertures. (Archives d'Indre-et-Loire, Biens nationaux.)
(6) Un certain nombre d'objets d'art furent transportés à Tours. En 1800, un commissaire écrivait après une visite au Musée de cette ville, alors à l'archevêché: «Il y a des copies d'après le Caravage et quelques médiocres tableaux italiens provenant de Richelieu; des copies des quatre Évangélis les de Valentin, des copies des portraits de Michel-Ange, et autres peintres italiens, etc. Il y a aussi 6 ou 8 bustes provenant de Richelieu, dont une tête de Mercure, un Démosthène, un Ptolémée, un Septime, un Hercule, un Mars et deux têtes de femmes. » — Voyage de Paris à Richelieu par Dufourny, Biblioth. nation., ms. fr. 13,564.
(7) Des objets enlevés par l'administration, on renvoya, dans la suite, au château une voiture qui contenait 37 draps, 22 couvertures, 35 rideaux de fenêtres, des lits de sangle et du linge de table. Ces objets furent vendus 6,242 livres 15 sols.
(8) Archives d'Indre-et-Loire, Biens nationaux. — Archives de Richelieu, Registres des délibérations.
(9) de l'administration du département d'Indre-et-Loire.
(10) Archives d'Indre-et-Loire, Biens nationaux, liasses 86,106.
(11) A. Lenoir avait pour l'art un culte profond qui doit lui faire pardonner certaines exagérations, Inspirées par le milieu où il a vécu. « Un Elysée, écrit-il à propos de son Musée, m'a paru convenir au caractère que j'ai donné à mon établissement, et le jardin m'a offert tous les moyens d'exécuter mon projet. Dans ce jardin calme et paisible, on voit plus de quarante statues ; des tombeaux posés çà et là sur une pelouse verte, s'élèvent avec dignité au milieu du silence et de la tranquillité. Des pins, des cyprès et des peupliers les accompagnent ; des larves et des urnes cinéraires posées sur les murs, concourent à donner à ce lieu de bonheur la douce mélancolie qui parle à l'âme sensible. » (Description des monum. de sculp., par A. Lenoir, an X, p. 17.) On connaît ses importants travaux sur le MUSÉE DES MONUMENTS FRANÇAIS. Le culte de l'art est héréditaire dans la famille. Albert Lenoir, son fils, malgré son grand âge, continue ses savantes leçons à l'école des Beaux-Arts ; son petit-fils, Alfred Lenoir, est l'auteur d'oeuvres de premier ordre et justement admirées, comme la statue de Berlioz.
(12) La suite du récit renferme la « description des appartements avec le» appréciations personnelles des commissaires. « La plus grande partie des peintures tiennent à la décoration des appartements: elles ont été faites par un M. Prévôt, lequel sans doute était élève du Vouet, sa manière, sa couleur et sa composition se faisait remarquer partout. Mais, ainsi qu'il est d'usage, les imitateurs sont restés au-dessous de leur modèle, et en tout ces peintures sont médiocres. Les plus passables, quant à la composition, sont celles de l'appartement du Roi, où l'on voit l'histoire d'Achille, et celles de la gallerie, où sont les travaux d'Ulisse ; au centre du plafond et sur ses deux côtés, les hauts faits de Louis XIII comparés à ceux des princes de l'antiquité.
« Les peintures qui décorent le grand sallon, qui est à l'extrémilé de la gallerie et faisoit autrefois partie de la chapelle, sont peut-être les meilleures de tout le château ; aussi sont-elles d'une autre main ; celles de la coupole surtout sont remarquables. On y voit, dans huit compartiments, les quatre Pères de l'Église, les quatre Évangélistes et, au centre, le Père Éternel dans sa gloire. Ces cinq derniers morceaux se distinguent par la force du leur coloris et le grand caractère de leur dessin. La description imprimée de Richelieu les attribue à Freminet, mais on n'y reconnaît guère sa manière, mais bien celle de Dorigny, l'un des meilleures élèves de Vouet.
« Dans le cabinet du Roi, nous eûmes la satisfaction de trouver, encastrés dans la boiserie, deux très beaux tableaux de Mantegne, bien conservés. L'un représente le Parnasse et Apollon qui fait danser les Muses au son de sa lyre ; l'autre, Minerve chassant les Vices, deux compositions d'un goût exquis. Outre ces deux tableaux, ce cabinet en renferme un autre de Lorenzo Costa, peintre ferrarois, dont le sujet allégorique représente l'Isle d'amour; près de celui-ci, il y a encore deux autres tableaux attribués à Costa et au Pérugin, mais ils sont repeints de telle sorte qu'il n'en reste guère que la composition.
« Enfin, c'est dans ce cabinet que se voit la fameuse table de marqueterie de Florence en pierres fines de rapport. Elle a six pieds sur quatre; «on dessin est en compartiments, sans fruits, ni fleurs, ni figures ; les pierres en sont de bonne qualité, et le travail soigné. Il y a beaucoup de lapis, de jaspe, etc., et au milieu une agathe ovale d'un pied et demi sur un pied. En total, c'est un beau morceau, mais pas aussi précieux que l'ignorance et l'intérêt ont voulu le faire croire.
« Les appartemens du premier étage sont très décorés de sculptures, richement dorés, mais du plus mauvais goût et d'une lourdeur assommante. Le château est bien bâti et construit de la pierre blanche et très tendre que l'on trouve dans toute la Touraine. Il est aussi blanc qu'au moment de sa construction. La disposition générale est vraiment magnifique, et le style de l'architecture de la cour fait le plus grand honneur à l'architecte Lemercïer, dont le buste se voit dans une des niches circulaires de la cour. »
Le manuscrit autographe du Voyage de Paris à Richelieu par Dufourny et Viscouti est à la Bibliothèque nationale (Mss. f. 13564). M. G. Bonnaffé, le critique d'art si justement apprécié, en a publié une partie dans son intéressant ouvrage Recherches sur les Collections des Richelieu (1883), en se proposant d'éditer le reste qui dépeint fidèlement l'état des châteaux, à l’issue de la Révolution.
(13) Bibl. nation., mss. fr. 13564, Voyage de Paris à Richelieu par Dufourny. — Archives du Louvre, Étal général des statues et bustes, etc. Inventaire des tableaux, statues, etc, de Richelieu.
14 Archives de Richelieu, Registres des délibérations.
La porte de Champvant fut dite du Nord, « à cause de la direction vers l'un des quatre points cardinaux de la division du globe terrestre » ; celles de Loudun et Chinon, portes de l'Ouest et du Sud.
La rue de la place des religieuses, fut nommée de la Loy, et la place elle-même, de la Révolution ; la rue sur les fossés, à gauche, des Vertus ; la rue à droite, en allant à Sainte-Anne, de l'Armée de Sambre-et-Meuse, et la rue correspondante, de l'Armée du Nord ; la petite place, de Union ; la grande rue, de la République; la rue transversale à droite jusqu'à Sainte-Anne, de l'Unité, et à gauche, de l'Indivisibilité. La rue Sainte-Anne fut appelée de la Paix ; de là à celle des soeurs, rue Guillaume-Tell; celle des soeurs, de la Fraternité ; la Galère, de l'Égalité; de là à celle des Gautiers, de Mucius Scoevola ; la rue dos Gautiers, de la Constitution. La grande place fut nommée de la Liberté ; la petite rue près l'église, J.-J. Rousseau ; la rue le long des Halles, Brutus ; la place des Cochons, du 18 fructidor ; la rue de Loudun, de l'armée d'Italie; la rue à droite de la porte, de la Fédération ; la rue du Cygne, de Mably ; la rue le long des murs, de la Régénération ; enfin il y avait les rues Hoche, Descartes el Voltaire.
(15) Archives de Richelieu, Registres des délibérations.