Légendes Poitevine ; Geoffroy à la Grande Dent, son frère Fromont Maillezais - Mélusine et Raimondin de Forez, sire de Lusignan
Un auteur rapporte que le siècle auquel vivait Guillaume III, de ce nom, comte de Poitou, et IV de ce nom Duc d’Aquitaine, était dort et rude et plein d’ignorance ; ce qui fut dause que Marie sa sœur, laquelle fut mariée à Remond de Troishic, sieur de Sussinio, et comte de Forest en Bretagne, (qui est l’ile de Rhuys,) laquelle jouissait en partage Melle, et Lusignan, à cause de quoi elle fut appelé Melluzine, estant très docte et pleine de perfection pardessus les Princesses, et autre femmes de son temps, fut soubsonnée de magie, et que même son mari, qui n’était pas fort habile homme (ce que dit l’historien de Montierneuf, lequel était presque de son temps) se persuada l’avoir vue avec des serpens.
Quelques notices sur le noble Seigneur Messire Geoffroy à la Grande Dent, de légendaire mémoire.
C'était un chevalier plein de coeur et d'élan que Geoffroy Grande Dent, fils de la Mélusine et du beau Raimondin, seigneur de Lusignan !
LA LEGENDE DE MELUSINE RACONTEE PAR ELODIE FONDACCI
Mais ainsi que le dit l'Histoire Poitevine.....
Il vint au monde avec une géante dent, qui ressortait d'un pouce en dehors de sa bouche, et qui resta depuis énorme tout autant.
Il était preux, loyal, d'un courage farouche, et quand son coeur ardent souhaita les combats, quand l'âge fut venu de parcourir le monde, d'illustrer son nom par des actions d'éclat en le rendant célèbre à vingt milles à la ronde.
Il partit à Guérande avec dix chevaliers, pour combattre un Géant de la ville voisine, le terrible Guédon, l'effroi des tenanciers.
Puis rassurant sa mère, il dit à Mélusine :
— Ayez fiance en moi, je brave son courroux!...
II
Ou Messire Geoffroy à la Grande Dent s'enquiers de la Tour de Mont joie et du Géant Guédou
En route, il demanda qu'on lui désigne l'antre où Guédon se cachait :
— Pourquoi le cherchez-vous? Dit-on, vous ne craignez donc point qu'il vous éventre?
— Non, répliqua Geoffroy, car je viens lui donner Le juste châtiment de son impénitence.
Oui, foi de Lusignan, je veux l'exterminer Et rapporter sa tête au bout d'un fer de lance
— Eh ! quoi, vous penseriez â lui faire malmort?
— Je ne suis point venu céans pour autre chose !
— Bien fol que vous, seigneur !... par Dieu, vous avez Croyez-nous, laissez là cette maudite cause, Pour laquelle bien plus de mille chevaliers ont succombé, jadis!
— Moi, je saurai la vaincre et venger ces vaillants, morbleu, très volontiers.
Ainsi donc, bonnes gens, que je voudrais convaincre, montrez-moi le repaire où loge ce brigand...
Mais nul ne répondit, tant leur trouble était grand ! . Enfin, à contre coeur, l'un d'entre-eux se décide.
Vers une énorme cour il conduit Mons Geoffroy,
Et lui montrant du doigt le mur inaccessible, il dit, en se signant, le coeur rempli d'effroi :
— Avez-vous, noble sire, une armure invincible pour combattre un maudit, pour occire un félon? Vous êtes arrivé, contentez votre envie, c'est la Tour de Monjoie où demeure Guédon! Mais, par Dieu, beau seigneur, vous m'ôterez la vie avant que de me faire aller plus au-delà. Pour les plus chers joyaux, votre pesant d'or même, Je n'irai pas plus loin!
— Lors, arrêtez-vous là. Vous n'êtes qu'un couard, maître serf; mais, quand je veux voir le géant, comme je l'ai juré. Retournez à vos champs, si la peur vous tenaille, point ne vous retient mie, allez à votre gré ! .
Le serf sans plus rien dire à travers la broussaille, se mit à courir fort, craignant toujours de voir apparaître à la tour le féroce visage de Guédon le Maudit.
Par devant le manoir, Geoffroy mit pied à terre et dans le voisinage d'un grand chêne touffu qui croissait aux abords, Il s'arma vite et bien d'une très lourde masse, prit son glaive pendant le long du justaucorps, Son écu, son épée avec son cor de chasse, Et dit aux- chevaliers :
— Demeurez, mes vaillants, Attendez-moi là-bas au fond de la vallée, Je veux me risquer seul entre ses murs saillants, Je veux prendre à moi seul la tour ensorcelée.
— Que non point, Monseigneur, nous irons avec vous, Provoquer ce Guédon, le pourfendre et l'occire...
— Nenni, mes chevaliers, car je serais jaloux, Si moi-même ne puis tuer ce vilain sire, Lots, demeurez ici, mais n'ayez coeur marri si la Vierge et les Saints me donnent la victoire. Si ce méchant félon, sous mon glaive a péri, je sonnerai sitôt avec mon cor d'ivoire, et vous pourrez alors le dire à tous ces gens, ces paysans couards qui craignaient tout à l'heure de me montrer la Tour et de venir céans !
— Vous prenez, beau seigneur, de nos parts la meilleure, car vous aurez la gloire et nous bien moins que rien ! laissez-nous près de vous combattre et vous défendre. Le géant occirez, ma foi, tout aussi bien, mais s'il vous voit tout seul, la tête il peut vous fendre. Lors, comment pourrez-vous demander du secours.
— Morbleu, c'est trop parler, beaux sires, par ma point ne veux de vos bras, restez aux alentours ! (mère, Dit Messire Geoffroy qui se mit en colère. )
Les chevaliers alors, sans plus rien ajouter, Laissèrent leur seigneur poursuivre sa vengeance, Et s'en allèrent tous près d'un bois se poster, attendant que sonnât pour eux la délivrance !
III
Comment Messire Geoffroy à la Grande Dent combattit le géant Guédon et l'occit incontinent
Après avoir, tout seul, chevauché quelque temps, Geoffroy de Lusignan aperçut une porte qui, toute large ouverte entre ses deux battants, laissait voir une tour de mine point accorte. Il franchit cette enceinte et, sans nulle frayeur, s'avança jusqu'au pied de la tour de Monjoie. Puis, d'une voix terrible et d'un ton guerroyeur, Cria :
— Holà, Guédon ! il faut que je te voie, Faux géant! fils de pute, où donc te caches-tu?... Je viens pour te tuer, tigre, dans ton repaire!... Eh ! quoi !... serais-tu sourd !... ou t'aurait-on battu ?... Je veux venger le nom et l'honneur de mon père,
En te faisant passer de la vie au trépas!... »
Le géant, réveillé, se mit à la fenêtre, et vit sur un cheval qui n'en finissait pas Geoffroy la Grande Dent campé droit comme un hêtre.
— Que veux-tu, chevalier, dit Guédon furieux, pour venir hardiment ainsi dans ma demeure ?
— Descends, tu le sauras, brigand, monstre odieux, car il me faut ta vie ou sinon que je meure !
Et le vaillant Geoffroy remarquait en parlant la force de Guédon, sa fière contenance, mais ne tremblait pas plus que devant un enfant. Le géant prit sa faux, son fléau, puis sa lance, et vint au pont-levis qu'il baissa d'un seul coup.
— Qui donc es-tu, fillet? demanda-t-il encore.
— Le fils d'un noble preux, que tu connais beaucoup. Forez de Lusignan !
— Mais ton nom? Je l'ignore.
— Je suis Geoffroy Grand' Dent, fils du beau Raidmondin, Seigneur de ce manoir aux tant belles tourelles, Le plus vaillant château du pays poitevin, et je viens te punir des méchantes querelles que tu cherches sans cesse à nos pauvres vassaux !
— Va !... j'ai pitié de toi, pitié de ta vaillance, tit en riant Guédon, jetant alors sa faux. Je dédaigne l'outrage et pardonne l'offense, tu peux t'en retourner, sache-le, bel ami. Si cinq cents chevaliers, de coeur et de courage, s'en venaient avec toi me traiter d'ennemi, je les disperserais — ce qui serait dommage — Comme poussière au vent ! Mais j'ai pitié, follet, de te donner la mort, va-t'en donc au plus vite, et crois-moi, jouvencel, renonce à ton projet, retourne en ton manoir.
Tu veux que jeté quitte?...
Tu me crains donc puisque tu fais le généreux? lui répondit Geoffroy !
Horrible créature. Gardes donc ta pitié ... deviendrais tu peureux? que tu crains d'essayer contre moi ton armure. Je ne sortirai point de cet antre maudit sans avoir pris ta vie avec ma franche épée, et je te tiens pour mort, dès cet instant. C'est dit !
Lors, si tu crois en Dieu, que ton âme occupée à faire une prière, implore son pardon, car foi de Lusignan, ici je te défie, déclarant lâche et faux le féroce Guédon !
— Eh ! bien, dit le géant, moi je te certifie Geoffrov, mon petit fol, que dès le premier coup tu vas rouler par terre, et que ma faux terrible abattra ton genêt, puis toi par contre-coup ! Quant à toi me tuer, cela n’est pas possible ! »
Mais Geoffrov mit au trot son fidèle coursier, et tint sa lance au poing, tout prêt à la riposte.
— Tu me braves, je crois, dès -lors, point de quartier ! » dit encore le géant.
De la faux il accoste le cheval au passage, et d'un seul mouvement lui coupe les jarrets.
Le fils de Mélusine forcé de prendre terre ainsi malaisément tire alors son épée, et vient à la sourdine tronçonner cette faux, vil instrument de mort. Guédon prit son fléau de plomb garni de chaînes, et rugissant, féroce, il dit :
— Que la malmort Vienne frapper ton coeur, et que les voix humaines redisent mon triomphe aux échos d'alentour ! Puis, d'un coup de fléau, blesse près de l'épaule Geoffroy la Grande Dent qui fléchit à son tour, Mais en se relevant, de son épée il frôle une main du géant, la tranche d'un coup sec.
Et pendant que Guédon reprenait l'offensive, cherchant à se parer d'un plus terrible échec, Geoffroy de Lusignan, adroitement esquive le coup mortel que lui réservait le géant. Lors se, baissant soudain, il lui coupe une jambe, Et tranche l'autre main !
— Hé bien ! vil mécréant, Lui dit-il, défends-toi ! » puis riant, il enjambe ce grand corps étendu, sans force désormais, Et lui retire alors sa redoutable armure.
Guédon, sur ses moignons couverts d'un sang épais, hurlait sou de douleur, regardait sa blessure et poussait de tels cris que les dix chevaliers l'entendirent là-bas du fond de la vallée, ainsi que tous les serfs des champs et des sentiers.
Pendant ce temps, Geoffroy trancha sitôt, d'emblée la tête du géant, et fier de son exploit sonna du cor d'ivoire, appelant ses fidèles laissés sur le chemin, il ne savait l'endroit... Ils accoururent tous, serfs, vassaux, jouvencelles, et chacun maintenant sans la moindre frayeur entrait dans cette tour, d'aspect si redoutable.
— Venez tous, bonnes gens, et n'ayez plus de peur disait sire Geoffroy. Ce monstre impitoyable, couché là sur le sol, ne vous fera plus rien.
— Louons Dieu ! louons Dieu ! car Guédon le féroce, maintenant plus jamais ne prendra notre bien ! répondaient les vassaux, regardant le colosse dont le cadavre, dans une mare de sang, mesurait quinze pieds en rapprochant la tête.
— Jetez ce vilain corps tout au fond de l'étang, dit Geoffroy, mais je veux, comme droit de conquête, conserver ce visage et le voir chaque jour sur le fer de ma lance !
— Il faut avoir, Messire, bien outrage de soi, mais bien joyeuse humour, pour se mettre en péril avec un pareil sire, un grand diable sorti de l'enfer , dit quelqu'un.
— Le péril est passé, lors je n'y songe, mie, la gloire et le danger ont plus d'un bien commun puisqu'ils m'ont fait occire un monstre d'infamie!
IV
Où Messire Geoffroy à la Grande Dent apprend que Messire Froimond, son frère, s'est fait moine au couvent de Maillières. (abbaye de Maillezais)
Et Geoffroy repartit chercher nouveau renom. Or, quelques temps après cette fière aventure, il reçut un matin, portant un gonfanon, un jeune messager de courtoise figure qui, venant de la part du seigneur Raimondin, apportait à Geoffroy mainte triste nouvelle, dont dame Mélusine avait profond chagrin.
Froimond, son jeune fils, le coeur rempli de zèle, un jour était parti sans page ni suivant s'enfermer dans un cloître et prier comme un moine.
Geoffroy voulut savoir le nom de ce couvent.
— C'est Maillières, seigneur, où Froimond est chanoine.
— Eh ! quoi ! dit la Grand' Dent, ne se trouvait-il pas au manoir de mon père assez d'or, de richesses, pour donner à Froimond, sans le moindre embarras, de quoi se faire aimer des plus fières princesses?...
Et dame Mélusine avait en ses bahuts assez de beaux joyaux pour qu'il offre à sa mie des parures de Reine à rendre moult confus, les plus nobles seigneurs et les Rois qui n'ont mie. Les merveilleux colliers à fermoirs ciselés, les chaînes, les rubis, les bagues d'émeraudes, les agrafes d'or fin de saphirs constellés que ma mère possède !...
Au lieu de chanter laudes, Froimond eût bien mieux fait de deviser d'amour, de composer ballade en l'honneur d'une belle !...
Et par la dent de Dieu, je m'en vais dès ce jour à ce couvent trouver moines en leur chapelle...
Ils ont bien enjôlé ce stupide Froimond, mais je vais les payer d'une mienne monnaie. Qu'ils ne connaissent point, dit Geoffroy furibond.
Attendez, gentil sire, auprès de cette haie ajouta-t-il encore, s'adressant cette fois au jeune serviteur envoyé par son père, car je vous chargerai d'un message courtois pour mon Seigneur et pour Mélusine ma mère, attendez donc ici. Je serai de retour si tôt que je pourrai, car une mienne affaire qui me touche beaucoup me réclame en ce jour.
Ne partez pas, messire, avant que je revienne !
V
Comme quoi Messire Geoffroy à la Grande Dent de Lusignan partit pour l'abbaye de Maillezais et ce qu'il s'en suivit.
Lors, ayant dit cela, Geoffroy la Grande Dent fit monter à cheval ses chevaliers fidèles, puis, leur montrant du doigt un point vers l'Occident :
— C'est Maillezais, dit-il, avec ses trois tourelles que vous voyez là-bas.
Je veux m'y rendre. Allons.
Et la troupe partit d'un galop très rapide. Aux portes du couvent on mit des gonfalons. Alors Geoffroy, tenant son cheval par la bride, Entra d'un air farouche au milieu de la cour.
Les moines en étaient à dire leur prière, et, l'épée au côté, Geoffroy fit un détour, s'en vint près de l'abbé, lequel, la mine austère, s'effaroucha soudain de voir tous ces chevaux avec ces gens armés dans sa sainte demeure.
— Hôla! cria Geoffroy... Hôla, moines ribauds!
Qui donc vous a donné qualité supérieure pour vous permettre ainsi d'ensorceler Froimond et de le faire moine avec robe de bure ?...
Mais, par la dent de Dieu, je veux de cet affront tirer juste vengeance en effaçant l'injure!
C'est vilaine action que vous.avez fait là. Et, foi de Lusignan, je vais vous faire boire en un mauvais hanap. Retenez bien cela, c'est moi qui vous le dis, donc vous pouvez le croire !
— Oh ! sire chevalier, dit l'abbé stupéfait, Par notre Créateur, ici, je vous l'affirme, que mes moines n'ont pas commis si grand forfait, et cette vérité, que Froimond la confirme.
— Oui, c'est la vérité, cher Geoffrov, par ma mère, dit Froimond très ému. Je te jure, à genoux, Que, si je suis entré dans ce saint monastère, personne n'a forcé ce devoir qui m'est doux.
C'est par mon seul désir et ma dévotion!... Laisse-moi donc ici, je veux toujours y vivre,
Et je pense y mourir, c'est mon intention !
— Et ! par la dent de Dieu, dit Geoffroy, te pour-Hors du couvent serait pour ma part un grand tort. J'y renonce à présent, mais puisque tous ces hommes qui mènent grassement et sans le moindre effort existence sans but, forcent des genstilhommes a se cloîtrer ainsi dans un triste couvent, sans jamais se montrer que derrière une grille, il ne me sera point reproché par avant, d'avoir moine moinant en ma noble famille !
VI
Ou l'on voit, que Messire Geoffroy à la Grande Dent, après avoir brûlé l'Abbaye de Maillezais, a des remords très vifs, à l'endroit de sa cruauté envers son frère Messire Froimond de Lusignan.
Ayant ainsi parlé, Geoffrov l'air furieux ferma solidement l'accès de la chapelle où les moines priaient. puis dit, impérieux :
— Qu'on m'apporte à l'instant, des fagots, une échelle. Je veux qu'ils grillent tous, ces moines fainéants !
Mais, les dix chevaliers, âmes très charitables, parlèrent pour Froimond et dirent suppliants :
— Tous ces moines frocards sont peut-être coupables, mais votre jeune frère est innocent, seigneur ! » Geoffroy la Grande Dent ne voulut rien entendre :
— Par le beau Raimondin, mon père et mon seigneur, J'ai résolu, mes preux, de ne point condescendre à me laisser toucher. Ils ne chanteront plus. ni mâtine, ni laude, et ne parleront mie ! »
Devant cette colère et devant ce refus, ne voulant point dès lors commettre une infamie, les vaillants chevaliers se mirent à l'écart. Mais leur désertion n'arrêta point leur sire. Il arracha sitôt avec un fer de hait une lampe brûlant sur l'autel de porphyre et mit incontinent le feu sous les fagots.
La flamme en un clin d'oeil s'éleva toute rouge et gagna l'intérieur, où les moines dévots poussaient gémissements :
— Que personnelle bouge! Cria Geoffroy Grand' Dent, voyant ses chevaliers essayer mais en vain d'entr'ouvrir la chapelle, car je fais oeuvre pie en brûlant ces sorciers qui m'ont rendu Froimond comme une demoiselle, sans courage et sans coeur, poltron, sans foi, ni lois ! »
Quand les murs du couvent furent mis en poussière et qu'on n'entendit plus ni pleurs, ni cris, ni voix, Geoffroy de Lusignan, reprenant sa bannière, monta sur son cheval et, suivi de ses gens, s'éloigna de ce lieu.
Au détour de la route, il voulut contempler son exploit de céans. Hélas !... ce n'est que ruine et silence... il écoute... Rien que la solitude et la mort effrayante.
En place du couvent à l'aspect si chrétien. –
Il regrette son crime et le remords le hante !... Il ne peut s'empêcher de verser quelques pleurs, il blâme maintenant ses instincts querelleurs, sa sotte vanité, sa féroce colère, et, si ses chevaliers ne l'avaient empêché, il se serait dès lors lui-même fait justice :
— Je me repens, dit-il, je sens que j'ai péché d'avoir fait mal si grand ! dans quel affreux supplice Froimond vient de périr!... et cela par ma main!...
— Ah ! sire, il est trop tard, puisque folie est faite. Le repentir ne peut rien changer au destin... Retirons-nous, seigneur... Votre douleur parfaite plaidera devant Dieu pour la vile action commise en ce couvent... Le temps fera son oeuvre, et l'oubli passera sur votre affliction.
Nul ne saura jamais la méchante manœuvre, sauf votre conscience, et nous les seuls témoins qui mit couvent à bas et ses moines en terre ! »
Geoffroy ne souffla mot, mais suivit néanmoins les nobles chevaliers, gais et joyeux naguère, qui s'en retournaient tous tristes et déconfits, les yeux remplis de pleurs, avec mine abattue, tandis que leur seigneur, l'âme et le coeur contrits, ne parlait, ni bougeait, pas plus qu'une statue.
VII
Comment Messire Geoffroy à la Grande Dent envoya à Marmande un message au seigneur Raimondin de Forcez, sire de Lusignan, qui fui oncq marri de la nouvelle.
A son retour, Geoffroy manda le messager. En hâte il lui remit une courte missive où se trouvaient écrits, sans en rien négliger, son crime abominable et sa peine excessive. Le messager partit auprès de Raimondin, qui résidait alors au château de Marmande :
— Sire, dit le jeune homme en lui baisant la main, j'ai piteuse nouvelle et ma douleur est grande d'apporter à mon maître un message de deuil.
— Quelle vérité triste as-tu donc à me dire ? Demanda Raimondin en quittant son fauteuil.
— Hélas ! Geoffroy Grand' Dent, votre fils, noble sire, dont le coeur, la vaillance égale le renom, a pris mélancolie, et, colère soudaine, de savoir que son frère avait quitté le nom de Lusignan, pour prendre un dur habit de laine, et s'aller enfermer en un couvent cloîtré, Sire Geoffroy partit aussitôt pour Maillezais
Les moines chapitraient, et, Froimond éploré, eût beau le supplier en ardentes prières, Geoffroy n'écoutant point se mit incontinent, a brûlerie couvent, Froimond et ses confrères!...
— Que dis-tu là, vassal? dit Forez, frissonnant.
Hé quoi!... serait-il vrai? ce crime... entre deux frères?.. Mais non... j'ai mal compris... ce serait trop affreux... Non, cela ne peut être... et je ne puis te croire.
— Ah ! dit le messager d'un accent douloureux, je voudrais, monseigneur, vous conter fausse histoire... elle n'est que trop vraie et je n'ai point menti. Mais si vous ne croyez encore à ma parole, faites-moi mettre aux fers. Que je sois englouti dans quelque noir cachot où le corps s'étiole à vivre dans la nuit. J'accepterai ce sort et je m'y soumettrai jusqu'à la découverte de cette vérité! »
Raimondit, dit :
— J'ai tort de t'avoir fait ainsi parler en pure perte, car mon fils t'a donné sans doute un mot d'écrit, qui me confirmera ta fatale nouvelle.
— Oui, seigneur, et je crois qu'il a bien tout inscrit, tant il avait regret de sa sotte querelle. Puis, au comte, il remit la lettre de Geoffroy;
Des larmes plein les yeux, Forez prit le message, et tandis qu'il lisait, l'épouvante et l'effroi se peignaient tour à tour sur son noble visage.
— Ah ! Geoffrov Grande Dent ! mon cher fils, qu'as-tu fais,….
Tes prouesses déjà t'avaient couvert de gloire... par la mort de Guédon, ce superbe haut fait, ton nom à tout jamais était grand dans l'Histoire, tes exploits sans pareils réjouissaient mon coeur et donnaient à mon âme une bien douce joie.
Lors, voilà qu'à présent, détestable vainqueur, tu veux quitter la droite et très loyale voie pour prendre le chemin de la férocité... Hélas ! ce dernier coup, dit Raimondin, m'achève, je voudrais être fort contre l'adversité. Je voudrais croire aussi à quelque vilain rêve, et j'ai devant les yeux cet écrit infernal qui fascine ma vue et brûle ma prunelle, je ne puis plus douter, c'est ce qui fait mon mal, de penser que mon fils, à l'honneur infidèle, fait brûler vivant son frère sans raison !...
Que je maudis le jour où tu vis la lumière ! et que j'ai peine au coeur d'avoir en ma maison un être aussi méchant, qui d'humeur rancunière a donné la malmort à mon pauvre Froimond ! »
Et Raimondin longtemps continua ses plaintes. Puis, tout à sa douleur, à son regret profond qui laissèrent en lui d'immortelles empreintes, il s'en fût se coucher pour mieux se lamenter loin des indifférents qui ne comprenaient, mie, sa peine et son chagrin.
Il eut beau s'agiter, prendre distraction, rien n'y fit. L'infamie De Geoffrov Grande Dent était devant ses yeux, sans qu'il pût la chasser, l'ôter de sa mémoire. Et durant plusieurs jours, n'éprouvant point de mieux, ce pitoyable état demeura transitoire.
Lors, les nobles barons, vassaux de Raimondin, Jugèrent à propos de mander Mélusine, supposant qu'elle aurait raison de son chagrin et qu'il prendrait plaisir à voir sa douce mine.
III
Où Mélusine d'Albanie, daine de Lusignan, apprend avec douleur la mort de Messire Froimond, son jeune fils, et la soudaine maladie de son doux seigneur Raimondin de Forez, sire, de Lusignan.
Donc, par un beau matin, un jeune messager se rendit à Niort, où se trouvait la dame. Mélusine, en pleurant, écouta l'étranger, qui ne lui cacha rien des détails de ce drame. Elle fut attristée en apprenant aussi Que son cher Raimondin était au lit, malade, ce qui vint augmenter son douloureux souci.
Mais, ses dames d'honneur étant en promenade, elle les fit mander, puis s'assit tristement, attendant leur retour pour partir avec elles. Elle se lamenta, songeant très longuement a son bonheur d'antan, puis aux fêtes si belles que l'on donnait jadis en son brillant manoir...
Ce lointain souvenir mettait larmes arrières en ses beaux yeux, remplis d'un navrant désespoir. sa douleur était grande et ses regrets sincères :
— Hélas ! cher Raimondin, mon tendre et doux ami, que j'ai de peine au coeur, gémissait Mélusine, savoir que loin de moi ta chère âme a frémi sous le chagrin causé par la lutte assassine entre mes deux enfants !...
Mon beau petit Froimond... Si bon, si gent, si doux !... maintenant en poussière !... et sur sa main tremblante elle courba son front, sans jeter cri, ni plainte ou lamentation. A ce moment précis, ses nobles damoiselles, qui, toutes, revenaient, curent affliction de voir blêmis ses traits et closes ses prunelles.
Dès lors, on fut quérir un grand hanap plein d'eau pour lui baigner les mains, ainsi que le visage. Elle reprit ses sens, mais pleura de nouveau.
— Consolez votre esprit, Madame, dit un page, il n'est si forte peine et si grande douleur que notre affection vous rende moins pénible !
— Mes bons et doux amis, c'est un affreux malheur qui remplit de tourments ma pauvre âme sensible ; Laissez à mon chagrin le temps de se calmer !...
— Mais... Dame, à quel sujet, cette douleur amère que nous ne connaissons. Voulez-vous le nommer ?
— Geoffroy vient de brûler vivant son jeune frère !
— Ciel !... Mouseigneur Froimond, si noble, si gentil vient de trouver la mort là-bas dans son couvent ?... Par quel affreux hasard était-il en péril ?...
Ou pour quelle raison Geoffroy le poursuivant à Maillezais vint-il le trouver un matin?...
— Je ne sais !
— Mais encore ?
— Hélas!...
— Parlez, Madame !
— Tous les moines priant à l'office divin trouvèrent la malmort, car la traitreuse flamme, par mon fils allumée, eût vite mis à bas les moines, le couvent et toute la chapelle !
— Pourquoi ce brûlement ? Ne comprenait-il pas qu'il donnait à son frère une mort trop cruelle ?" Et n'eût-il pas mieux fait d'attaquer en champ clos quelque ardent chevalier en quête d'aventure qu'il aurait pu découdre et réduire au repos sans faire à ma pauvre âme une telle blessure !...
Où Madame Mélusine d'Albanie quitte le pays de Niort pour s'en venir au château de Marmande, retrouver son doux seigneur Raimondin de Forez, sire de Lusignan.
— Consolez-vous Madame et prenez doux espoir, il reste à Lusignan pour charmer votre vie de beaux et nobles fils qui voudraient vous revoir, et dont le nom plus tard fera pâlir d'envie les plus hardis guerriers, les preux les plus vaillants ! Disait-on tour à tour à dame Mélusine.
Mais les larmes coulaient de ses grands yeux brillants et sa douce parole, et sa voix cristalline n'étaient plus que sanglots qui montaient de son coeur.
— Partons ! dit tout à coup la dame châtelaine. Vite un doux cordial, ou bien une liqueur, je me sens défaillir... je puis marcher à peine... Monseigneur Raimondin pourtant m'attend là-bas, car, il est très malade au château de Marmande... je devrais être en route, et s'il ne me voit pas, son coeur sera marri !... sans cesse il me demande, allons mes doux amis ! »
Un page aux blonds cheveux, sur un plateau d'argent, lui présenta la coupe, st dame Mélusine en buvant dit :
— Je veux qu'on prépare à l'instant mon cortège et ma troupe, car, il faut que ce soir Monseigneur Raimondin me trouve à son chevet pour consoler sa peine ! »
Moins d'un quart d'heure après, au bord du grand les gens de Mélusine, avec leur capitaine, sur le chemin saluaient, de leur lance et de leur bouclier, le départ de la noble et très puissante Dame.
S'en allant à Marmande, au trot de son coursier, retrouver son seigneur qui pleure et la réclame et qui tant se lamente en son triste château, sans avoir près de lui sa chère et douce mie, dont la voix caressante et le regard si beau pourront, seuls, adoucir sa douleur infinie.
X
Comment Messire Geoffroy à la Grande Dent qui cherche le comte Hugues de Forez, dont les perfides insinuations ont conduit Raimondin à voir Mélusine un samedi, tandis qu'elle était au bain transformée en (serpente), apprend qu'il se cache dans la forteresse de Chalencey.
Or, quelques temps après tous ces événements, Geoffroy de Lusignan chevauchait d'aventure avec ses chevaliers, qui trouvaient agréments à parcourir au trot de leur fière monture les plaines et les monts du pays poitevin.
Il cherchait à savoir où se trouvait le comte, Sire Hugues de Forez, son oncle et son parrain :
— Plutôt perdre mon nom, plutôt mourir de honte!... Disait Geoffroy Grand' Dent. Il a, par calomnie, conduit mon noble père à trahir son serment.
Et jamais, cependant, la moindre félonie n'avait mis sur son coeur ses tenailles de fer. En un jour solennel, ma mère Mélusine obtint de Raimondin, son époux tendre et cher, que tous les samedis, dès qu'il sonnait mâtine, il ne devrait jamais désirer de la voir ni de s'enquérir d'elle en manière quelconque, sous peine de la perdre à jamais sans espoir.
— Je vous en fais serment, avait-il dit. Quiconque Parierait contre vous ou contre mon honneur aurait méchante mort! je le jure, Madame!...
Or, Hugues de Forez, envieux du bonheur de sire Raimondin, prétendit que sa dame commettait forfaiture au nom de Lusignan, et qu'à son doux seigneur elle était infidèle.
Mon noble père, avec un trop fougueux élan, écouta ce perfide et soupçonna sa belle. Il vit incontinent, à travers la cloison, le mystère secret de la pauvre serpente…..
qui, dans son désespoir de cette trahison, S'envola du manoir, dès l'instant gémissante sans que jamais mon père, accablé de douleur, ne revit une fois sa chère Mélusine ! »
Et Geoffroy Grande Dent racontait ce malheur :
— Oui! par la dent de Dieu ! je le jure à nouveau, disait sire Geoffroy, je veux tirer vengeance du Comte de Forez qui, dans quelque château, cache à tous les regards sa laide conscience, et, par la très benoîte et sainte Trinité, je veux le mettre à mort pour sa scélératesse !
— Je vous apprends, seigneur, en toute loyauté, que votre oncle réside en une forteresse, lui répondit alors un de ses chevaliers.
— Morbleu! nomme-la donc?
— Nous y sommes, Messire, C'est ce château, tout près...
— Eh! j'irai volontiers, pardieu, pour voir mon oncle et pour pouvoir lui dire, avec haine féroce et mépris très profond, que contre lui je viens essayer mon armure afin de le punir de ce mortel affront, par lequel Raimondin est devenu parjure... mais tu ne m'as point dit le nom de ce château ?
— Seigneur, c'est Chalencey que le château se nomme, il est fort bien placé, tout en haut du plateau... aussi l'asile est sûr et pas trop triste en somme... le sire de Forez est, paraît-il, fort bien !
— Mais de qui tiens-tu donc ces détails, gentil sire ? dit Geoffroy Grande Dent, moi je ne savais rien vraiment de tout ceci !
— Monseigneur, j'ai fait dire, par un mien serviteur, caché dans ce château, qu'on vous ouvre, en secret, une petite porte enclose dans le mur qui borde le ruisseau. Nous irons avec vous, pour vous prêter main-forte.
— Eh ! morbleu ! C'est fort bien, cela, mon chevalier, car vous avez eu là, fort à propos, nie semble, une idée admirable et digne d'un guerrier...
En avant, mes amis, nous entrerons ensemble !
XI
Ou l'on voit messire Geoffroy à la Grande Dent entrer au château de Chalencey où il provoque son oncle, sire Hugues de Forez, qui, voulant s'enfuir, tombe du haut d'une tour et meurt incontinent.
Arrivée au château, la troupe de Geoffroy demeura dans la cour. A ce moment, le comte s'en vint à la fenêtre et vit avec effroi son neveu qui lui dit :
— Tu n'as donc pas de honte, détestable félon, d'avoir telle gaîté ! et de te divertir en cette forteresse, quand, par ta perfidie et ta déloyauté, ma Mère est pour toujours ravie à ma tendresse ! — Que nous veut ce fâcheux ?
— Ce fâcheux veut ta mort !
Traître, félon, par qui Mélusine est perdue !... Ah ! par la Dent de Dieu, mon père avait bien tort d'écouter, l'autre jour, langue si bien pendue... mais je viens, moi, Geoffroy, seigneur de Lusignan, venger du même coup et mon père et ma mère; Je t'occirai, maudit, perfide courtisan, et, dans quelques instants, tu mordras la poussière !»
Le comte de Forez, qui connaissait fort bien le courage féroce et la force indomptable de son neveu Geoffroy, ne lui répondit rien, et, sans vouloir l'attendre, il monte sur la table, puis, s'emparant d'un glaive accroché sur le mur, il s'enfuit aussitôt, troublé, perdant la tête, et cherche dans la tour un asile plus sûr.
Mais Geoffroy, qui depuis quelques instants le guette, devine son projet, et, l'épée à la main, il monte l'escalier de la grande tourelle, en jetant bas les serfs qui barrent son chemin. Il aperçoit Forez ; de nouveau l'interpelle :
— Ton heure est arrivée, et la mort à grand pas te poursuit avec moi, mauvais frère, perfide... Mais, par la Dent de Dieu, je ne te savais pas si couard... tu fléchis... ton visage est livide... la peur te fait trembler. Arrière donc, poltron ! »
Et d'étage en étage, ils arrivent ensemble au sommet de la tour. Lors, poussant un juron, Forez, d'un coup d'épaule, entr'ouvrit une chambre, mais Geoffroy Grande Dent est là, sur ses talons en même temps que lui, dans la pièce il pénètre.
Forez pare les coups et marche à reculons, puis gravit lestement le bord de la fenêtre et grimpe sur le toit.
Mais par malheur pour lui, son pied mal lui faillit, il perdit l'équilibre, et du haut de la tour, sous les yeux de celui qui le voulait occire et qui demeurait libre, il alla s'écrouler au milieu de la cour.
(i) D'après l'ancien français.
Geoffroy la Grande Dent le voyant mort, inerte, les membres en lambeaux, avec tout à l'entour une mare de sang, et la cervelle ouverte, s'écria :
— Sois maudit, noir chevalier félon ! C'est grâce à tes conseils que mon seigneur et père a perdu Mélusine, il faut que mon talon aille écraser ton coeur si perfide naguère !
Ayant ainsi parlé, Geoffroy la Grand Dent Descendit dans la cour et contempla le sire, puis, devant les barons, témoins de l'accident, qui n'auraient point osé dès lors le contredire :
— Point ne veut me salira lui toucher le coeur : Donc, Messeigneurs, dit-il, d'une voix claire et ferme, de ce combat je reste ainsi le seul vainqueur.
Prenez ce vilain corps, que très vite on l'enferme en un simple cercueil, sans le moindre apparat, car, je veux qu'aujourd'hui, moi présent, on l'enterre.
Puis, en remplacement de ce grand scélérat, Je nomme Raimonnet, mon cher et gentil frère, et comte de Fôrez et seigneur de céans !... Çà, messeigneurs, il faut que vous prêtiez hommage au nouveau suzerain, car vous êtes ses gens... n'ayez aucun regret, vous aurez l'avantage d'avoir pour maitre un noble et vaillant chevalier au lieu de ce félon, lâche, traître et perfide.
— Nous voulons Raimonnet, répondit un guerrier, car il est courageux tout autant qu'intrépide ! »
XII
Comme quoi Messire Geoffroy à la Grande Dent ayant vengé Madame Mélanie d'Albanie, dame châtelaine de Lusignan, s'en revint à Lusignan, par devers son pire qui lui pardonne ses crimes et le reconnaît pour être à sa mort en son lieu et place suzerain du manoir, ou il mine, dès lors, une vie exemplaire.
Or, Geoffroy Grande Dent partit pour Lusignan trouver son noble père. Au détour de la route il l'aperçut de loin, et plein d'un noble élan, courut à ses genoux, l’âme frémissant toute, et lui demanda grâce, en disant fort contrit :
— Mon noble et très cher père, avec douleur très grande, je m'accuse à vos pieds du brùlement maudit de mon frère Froimond !...
Que votre coeur m'entende et me pardonne aussi cette nouvelle mort du comte de Forez, mon oncle et votre frère!... Mais il avait, seigneur, bien mérité ce sort pour vous avoir ainsi fait perdre notre mère. Et je n'ai point voulu forfaire à votre honneur en agissant ainsi !
Loin de là, mon cher sire, car je cherchais toujours avec gloire et bonheur à vanter votre nom et l'amour qu'il inspire. Je voulais qu'il fût grand, illustre et glorieux, pour que nos descendants tiennent en fière estime ce nom de Lusignan!
ce nom de leurs aïeux!... Qui resplendit déjà de son éclat sublime!... Si vous me pardonnez, monseigneur Raimondin, je vous promets de faire — et cela cette année — Bâtir un monastère au bout de ce chemin, au lieu de l'abbaye, aussi mal gouvernée, que jadis j'ai brûlée, en ma profonde horreur, des moines fainéants et remplis de licence, qui l'habitaient jadis.
— Je comprends ton erreur, mon fils, dit Raimondin, et puisque Dieu, je pense, t’a pardonné la mort de mon pauvre Froimond, je ne puis être moi, ton seigneur et ton père, moins juste et plus sévère au repentir profond que tu m'as témoigné de la mort de ton frère.
Je te pardonne donc, Geoffroy la Grande Dent, et pour te le prouver, mon fils, je te confie le soin de ce manoir, et le gouvernement de mes biens, pour le temps que durera ta vie, sauf un certain lopin qu'il te faudra donner à ton frère Thierry, de la part de sa mère !...
Je pars dès cet instant me faire pardonner par un pèlerinage auprès du Très Saint-Père le parjure commis par moi dans ce manoir, sur la personne chère et si tendre et jolie De dame Mélusine enlevée, un beau soir, à mon affection, par cette félonie !...
Et, Raimondin, ayant béni son fils Geoffroy, se mit incontinent à s'en aller à Rome, laissant, moult ébahi, le coeur rempli d'émoi, Messire Grande Dent, le vaillant gentihomme, qui fut lors reconnu pour seigneur suzerain du tant joli château bâti par Mélusine, et nommé Lusignan par le beau Raimondin, L'époux tendrement cher de la noble héroïne.
Mais jamais on ne put célébrer le retour du noble pèlerin, car sa douleur suprême avait usé sa vie. Et, le soir d'un beau jour, il avait doucement, avec bonheur extrême, rendu son âme à Dieu, tout en recommandant qu'on transportât son corps en terre Poitevine et qu'ont eût désormais pour Geoffroy Grande Dent les égards qu'on devait au fils de Mélusine.
Puis, le nouveau couvent fut dès lors reconstruit. Plus puissant et plus riche, avec une chapelle plus vaste et plus ornée, où les moines, la nuit, Chantaient laude et mâtine avec une ardeur telle que les vassaux croyaient voir les saints du ciel bleu prier dévotement, sur la dalle de pierre, pour l'éternel repos, au paradis de Dieu, des âmes des seigneurs couchés dans la clairière!... ...;
Et Geoffrov Grande Dent, d'après Jehan d'Amis, Fut un bon chevalier qui, dans sa forteresse, vécut faisant le bien, et jusqu'à son trépas Expia noblement ses crimes de jeunesse.
DE MESSIRE GEOFFROY DE LUSIGNAN SURNOMMÉ A LA GRANDE DENT
(POÈME TIRÉ DU CHRONIQUEUR FROISSART ET DES RÉCITS DE SIRE JEHAN D'ARRAS)
Hommage à son Altesse Monseigneur GUY DE LUSIGNAN, Prince Royal de Jérusalem, de Chypre et d’Arménie.
Par JEANNE KIEFFER, Chevalière de l'Ordre Royal de Mélusine.
L'Hermenault, Château épiscopal des évêques de Maillezais (Time Travel) <==.... ....==> 1232 Le seigneur de Vouvant, Geoffroy la Grand'Dent et Guillaume de Valence incendie l’abbaye de Maillezais
Ordre de Mélusine - Chevalerie d'Honneur de son Altesse Marie de Lusignan Princesse de Chypre, de Jérusalem et d'Arménie Baudouin IV meurt , le 16 mars 1185, et son fils Baudouin V, qui succède à l'âge de sept ans, est aussi emporté par la lèpre l'année suivante.