Fontenay-Vendée, 21 Août 1858, Une Lettre Inédite de Benjamin Fillon
En effectuant des classements dans la série T (Instruction publique, Sciences et Arts) des Archives de la Vendée, j'ai découvert la lettre suivante adressée par Benjamin Fillon au Préfet de la Vendée (1).
C'est un rapport, inédit sans doute, relatif aux fouilles entreprises par lui au Langon, grâce aux subsides du Conseil général : il renferme des détails qui complètent heureusement ce qu'avait écrit à ce sujet l'éminent archéologue fontenaisien dans Poitou et Vendée et qui, certainement, seront de nature à intéresser les érudits vendéens, passionnément attachés au passé de leur pays natal.
P. L.
MONSIEUR LE PRÉFET,
J'ai l'honneur de vous adresser les détails que vous me demandez sur les fouilles du Langon ; il y a déjà longtemps qu'ils devraient vous être parvenus; mais un séjour d'une quinzaine, que j'ai été forcé de faire à Luçon, ne m'a pas permis de vous les envoyer plus tôt. J'espère toutefois qu'ils vous arriveront à temps, et vous suffiront, en attendant le mémoire que je rédigerai sur l'ensemble de mes explorations.
Les débris gallo-romains du Langon s'étendent sur une superficie d'environ douze à quatorze cents mètres de longueur, sur une largeur de 250 à peine, sauf au centre, où une langue de terre s'avançait jadis au milieu des eaux, qui formaient le golfe occupé aujourd'hui par les marais de la Sèvre, de l'Autise, de la Vendée et du Lay, et abritait sans doute le petit port établi alors en ce lieu.
Les habitants de la bourgade avaient bâti leurs demeures le long de la côte.
La présence de cette masse de débris, la plus considérable peut-être de tout le Bas-Poitou, a fait croire à l'existence d'une ville antique d'une certaine importance, et, l'amour-propre de clocher aidant, l'auteur de la Chronique locale, écrite au XVIe siècle, s'était empressé d'y consigner une fable du genre de celles que l'on fabriquait alors, non seulement sur l'origine des familles, mais encore sur celles des villes, des châteaux, des églises et des monastères.
L'examen attentif que j'ai fait du terrain est venu renverser une partie de ces prétentions exagérées, tout en démontrant néanmoins qu'il y eut là, dès les premiers temps de la période gallo-romaine, une population égale, à peu près, à celle possédée par le Langon actuel.
Le nombre des découvertes faites au milieu de ces ruines, depuis de longues années, et la nature des objets trouvés, dont quelques-uns sont aujourd'hui déposés au Musée départemental de la Vendée, annonçant qu'on pouvait espérer d'heureuses trouvailles, l'idée me vînt de rechercher l'emplacement des anciens lieux de sépulture établis autour de la bourgade.
Cette exploration me prit un jour à peine et me permit de reconnaître l'existence de deux cimetières antiques, l'un du ne siècle, l'autre du IVe.
C'était une mine féconde qu'il importait de ne pas négliger d'explorer, et qui permettait d'enrichir notre collection publique d'une assez grande quantité d'objets d'une incontestable valeur.
Grâce à votre concours et à celui de MM. les Membres-du Conseil général, il m'a été possible de pratiquer des fouilles, que diverses circonstances ne m'ont malheureusement pas permis de pousser très loin, mais qui ont pourtant fourni déjà d'excellents résultats. 87 francs à peine ont été dépensés sur les 400 alloués, et voici la nomenclature de ce que j'ai retiré de terre avec cette faible somme :
1° Quatre vases en verre blanc verdâtre, dont trois à peu près intacts;
2° Plusieurs beaux fragments d'autres vases de même matière ;
3° Plusieurs fragments de verres de couleur, dont quelques-uns présentent un procédé de fabrication analogue à celui employé encore aujourd'hui dans le nord de l'Italie et surtout à Venise ;
4° Trois vases intacts en terre rouge et grise ;
5° Deux vases sur lesquels sont gravés à la pointe les-noms des individus dont ils renferment les cendres. Sur- l'un on lit : MARCIVS SV, et sur l'autre FLAVIA ;
6° Une foule de fragments de vases de même nature ;
7° Un très grand nombre de fragments de vases, coupes,. assiettes et plats en terre rouge vernissées, avec ou sans figures en relief; plus de trente marques de potiers ont pu être recueillies parmi ces débris qui viennent jeter un jour nouveau sur l'époque de fabrication de la plupart des produits céramiques de cette catégorie ;
8° Des perles en verre de couleur ;
9° Des flûtes en os semblables à celles que l'on trouve à Pompéi, ainsi que dans une grande partie de l'ancien monde romain ;
10° Des petites rondelles en os et en émail, ayant servi à, quelques jeux ;
11° Des billes en terre cuite trouvées dans la sépulture d'un enfant ;
12° Une petite cuiller en bronze ;
13° Une fibule en bronze ;
14° La tête d'une statuette de femme en terre, ayant la, coiffure de Sabine, femme de l'empereur Adrien ;
15° Une statuette d'enfant gaulois avec son costume national ;
16° Une série de monnaies en bronze de tout module -appartenant au Haut-Empire. Elles sont d'Agrippa, gendre d'Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron, Titus, Domitien, Nerva, Trajan, Adrien, Faustine mère, Faustine fille, et Marc-Aurèle; ce qui reporte leur émission à une période de près de deux siècles, comprise entre l'an 12 avant Jésus-Christ et l'an 180 de notre ère, et ce qui fait remonter d'une manière irrécusable au même temps les sépultures du Langon.
La pioche de l'un des ouvriers, employés aux travaux de déblaiement, a également ramené au jour, dans un coin du terrain exploré, un rouleau d'une trentaine de monnaies françaises, anglaises et flamandes de la première moitié du XVIe siècle enfouies sans doute là par quelque malheureux habitant du Langon pressé de fuir ses foyers pendant la guerre des Anglais.
Le cimetière, dans lequel j'ai fait exécuter ces fouilles, est situé à l'ouest du Langon.
Il est long de 66 mètres 60 centimètres, sur 26 mètres 80 de large, et est entouré d'un mur de 60 centimètres d'épaisseur, fait d'une maçonne régulière, composée de revêtements de moellons, dont le milieu est rempli par des cailloux réunis entre eux avec de la terre rouge mêlée de gros sable. Cette enceinte parfaitement visible, est à fleur de terre.
Si le Conseil général veut bien laisser le reste des fonds à ma disposition, je continuerai les fouilles dans les quinze premiers jours de septembre, et, celte fois, j'espère n'abandonner le Langon qu'après avoir fait rendre à la terre une grande partie, de ce qu'elle peut nous donner. La moitié seulement du cimetière du ne siècle est explorée et on n'a pas encore mis la pioche dans celui du IVe, qui nous fournira probablement des monuments chrétiens de la période primitive.
Quelques centaines de francs, employées ainsi chaque année avec intelligence, feraient bientôt du Musée départemental l'un des plus riches de tout l'ouest de la France.
L'exemple de M. l'abbé Cochet, le savant archéologue normand, est bon à suivre, et je me ferais un vrai plaisir de mettre de temps à autre ma bonne volonté au service d'une pareille entreprise.
Des dépôts semblables à ceux du Langon existent dans beaucoup d'autres localités, et je ne doute pas que les résultats fussent partout aussi satisfaisants que ceux que nous obtenons aujourd'hui.
Une foule d'ustensiles et d'instruments de la vie privée de nos pères gisent à quelques centimètres à peine de la surface du sol ; c'est donc presque un devoir de les exhumer, afin de leur demander témoignage dans la grande enquête qui se fait aujourd'hui sur l'état de la Gaule romaine.
Nos contrées fourniront, j'en suis certain, un bien mince contingent dans le travail que le Gouvernement fait rédiger, à l'heure qu'il est, sur cette importante matière; et cependant il ne leur manque que d’être étudiées avec un peu de soin pour prendre le rang qui leur convient.
A moi seul, j'ai reconnu plus de cent gisements de cette période en Vendée. Que l'on juge par-là de ce qu'elle doit renfermer en ce genre. D'ailleurs, la surface entière de la Gaule présente partout le même aspect, ayant été complètement romanisée dès la fin du Ier siècle. L'infiltration rapide des mœurs des vainqueurs a vite consolidé la conquête opérée par les armes.
Veuillez, Monsieur le Préfet, recevoir de nouveau tous mes remerciements pour l'appui bienveillant que vous avez accordé l'an dernier à ma demande. Le résultat prouve que mes indications étaient exactes et j'ose espérer que vous voudrez bien me servir encore aussi efficacement près du Conseil général.
Croyez au profond respect de votre très dévoué serviteur,
FILLON.
Fontenay- Vendée, 21 Août 1858.
Peu de personnes se sont intéressées à l'histoire de la Vendée avant Benjamin Fillon.
On lui doit notamment la réédition des œuvres de Nicolas Rapin et d'André de Rivaudeau ; la connaissance du séjour de François Rabelais chez les cordeliers de Fontenay-le-Comte et celles des promenades de Bernard Palissy.
Il participe à plusieurs fouilles en Vendée dans une villa de Saint-Médard-des-Près.
Il emploie des collaborateurs comme Eugène Chevreul et s'appuie sur les travaux des théoriciens de son époque, comme Winckelmann.
Enfin, de façon plus anecdotique, il fait restaurer son château, La Court d’Aron, dans le style de la Renaissance.
Touchant François Viète, sa passion pour le mathématicien fut si forte qu'il proposa par deux fois, en 1858, une souscription forcée de la Société des antiquaires de France pour l'érection d'une statue en son honneur à Fontenay-le-Comte. Initiative repoussée car Fillon ne voulait pas de souscriptions individuelles. M. Biot, au nom de la section de géométrie tout entière, lui refusa formellement une souscription collective. Il réitéra sa proposition auprès de la municipalité de Fontenay, mais la liste des premiers souscripteurs comprenant les noms prestigieux de Louis Blanc et de Victor Hugo, la municipalité s'effraya de se trouver marquée politiquement et son projet tomba à l'eau. Fillon démissionna alors de ses charges municipales.
Le nombre de découvertes archéologiques de Fillon est impressionnant et recouvre toutes les époques.
Elles se manifestent par son travail d'épigraphiste, mais aussi par un travail de terrain, comme celui qu'il accomplit avec Frédéric Ritter lors de la découverte à Saint-Médard des peintures décoratives de la dame Blanche, peintures murales dans des restes de villas du Bas-Poitou (IIIe siècle).
Faïences dites d'Oiron, bague de sainte Radegonde, sceau d'ébène du XIe siècle, histoire des évêchés, des villes murées, des abbayes, des mottes féodales, reliquaires, bijoux, trésors, numismatique, vases trouvés sur les bords de la mer ou dans des cavernes, bornes des voies romaines, tumuli gaulois, haches, peintures, poteries, pilotis, dépôts de cendre, sépultures, menhir, folies, dolmen, héritage du celte, du sanscrit, similarité avec l'art précolombien ou africain, rien ne lui échappe.
Il réunit ainsi plus de 180 noms de potiers officiant dans le Poitou au XVIe siècle, s'occupe de l'évolution de la musique du XIe siècle au XVIIIe siècle, de la profondeur et du déplacement des dunes ou de leur antiquité...
Il dresse des cartes historique du Bas-Poitou. Une de ses idées fortes est d'attribuer au songe de Polyphile de Jean Martin (1546) un rôle charnière dans l'évolution de l'art au XVIe siècle ; rien de ce qui est poitevin ne lui semble étranger.
15 Mars 1861 B Fillon Portail Nord de l'église de Notre Dame de Fontenay par O. de Rochebrune
==> Sur la Terre de nos ancêtres du Poitou - Aquitania (LES GRANDES DATES DE L'HISTOIRE DU POITOU )
==> Octave-Guillaume de Rochebrune, l’architecture de la Renaissance dans le Bas-Poitou.
Lacurie (abbé). " Carte du pays des Santons sous les Romains, dressée pour l'intelligence des Mémoires de la Société archéologique de Saintes, dressée par M. l'abbé Lacurie, secrétaire de la Société. " (S. d.) XIX e siècle Un savant ecclésiastique, M. l' abbé Lacurie, a envoyé au concours un mémoire manuscrit sur les Antiquités de Saintes.
(1) Alphonse Charles Boby de La Chapelle est nommé préfet de la Vendée. Il prend ses fonctions le 29 septembre et sera remplacé le 22 janvier 1862 par Honoré Hippolyte Girard de Villesaison.