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PHystorique- Les Portes du Temps
8 novembre 2022

Fougères 8 novembre 1793, mariage de Charles-Marie Goguet de La Salmonière avec Mlle Émilie-Louise-Charlotte de Bonchamps.

Fougères 8 novembre 1793, mariage de Charles-Marie Goguet de La Salmonière avec Mlle Émilie-Louise-Charlotte de Bonchamps

À Fougère, Charles Marie Goguet de La Salmonière épouse la demi-sœur du Général de Bonchamps, Émilie Louise Charlotte de Bonchamps, dans les circonstances décrites par la marquise de La Rochejaquelein dans ses mémoires. 

Nous reprenons le mot à mot du véritable manuscrit pour les divers événements qui font immédiatement suite et qui intéressent tout particulièrement Fougères.

Les détails sur le siège de notre ville et sur l'inhumation des restes du général de Lescure feront l'objet de la deuxième partie de notre étude.

« A Fougères on voulut établir quelque ordre et régler les commandements ; vingt-cinq personnes furent nommées ou plutôt confirmées pour former le Conseil de Guerre; je ne sais si je me les rappellerai toutes :

M. de La Rochejaquelein, généralissime.

Mon père, toujours gouverneur général (quand M, de Donnissan fut nommé gouverneur pour le Roi du pays conquis, on attacha à cette place la présidence du Conseil de Guerre).

M. Stofflet, major général de l'armée.

M. de Talmond, général de la cavalerie.

M. de Hargnes, adjudant général.

M. le chevalier Duhoux, adjudant en second (non pas le frère de Mme d'Elbée, qui était restée dans la Vendée).

M. de Beauvollier, l'aîné, trésorier général.

M. d'Obenheim, chef du génie.

M. des Essarts, général divisionnaire de l'armée, grade qu'avait M. de Lescure ;

M. le chevalier de Beauvollier, commandant en second.

M. le chevalier de Fleuriot, général de l'armée de Bonchamps ;

M. d'Autichamp, en second.

M. de Piron, général de la division angevine; M. de Baugé, en second.

M. de Royrand, général de sa division, dont très peu de soldats avaient passé la Loire.

M. de Marigny, général de l'artillerie ;

M. de Perrault, en second.

En voilà dix-sept, cependant ils étaient vingt-cinq ; je ne puis les désigner tous avec certitude.

J'ai idée que MM. de Lyrot et d'Esigny, qui commandaient chacun un corps séparé, postés du côté de Nantes et sous les ordres de Charette, mais avaient passé la Loire, étaient aussi du nombre ; MM. de Rostaing et de Villeneuve du Cazeau, le premier, vieux militaire, assez médiocre ; l'autre, très estimé et très brave, jeune homme angevin ; peut-être aussi M. de Lacroix.

Je crois que M. Forestier, à cette époque n'était pas du Conseil ; je suis sûre au moins qu'on le nomma par la suite adjudant général en second, quand M. de Hargues eut péri ; mais je sais qu'il ne voulut jamais, même à cette époque, entrer au Conseil, se disant toujours trop jeune. Je pense aussi que MM. Berrard et Tonnelet étaient majors en second et entraient au Conseil ; le premier était un bourgeois angevin, l'autre un garde-chasse de M. de Maulévrier et camarade de Stofflet, tous deux estimés ; enfin M. de Beauvais, un des chefs de l'artillerie, compléterait les vingt-cinq.

Il fut décidé que les généraux du Conseil porteraient tous des ceintures blanches avec quelque différence; ainsi celle de M. de La Rochejaquelein avait un nœud noir, celle de mon père était à peu près pareille; celle de M. de Marigny avait un nœud bleu, etc., et tous les officiers mirent une écharpe blanche au bras gauche ; on cherchait de cette manière à faire reconnaître les commandants.

Tout ce monde, rassemblé au hasard après le passage de la Loire, qui s'était effectué en masse par une terreur panique, était dans le plus grand désordre que jamais ; au début chacun connaissait ses chefs, mais depuis il se trouvait des soldats et des officiers de toutes les armées. Tous les habitants d'une paroisse et même les femmes étaient ensemble, il ne s'y mêlait pas un seul homme d'une autre : »

Nous nous arrêtons à cette ponctuation de la marquise pour reproduire les lignes suivantes qui font bel et bien corps, dans le véritable manuscrit — à la page 131, — avec les paragraphes précédents et suivants du chapitre XVIII, et qui ne figurent dans aucune édition, même dans celle de Bourloton ;

« Là M. de Talmond fit une chose indigne. On trouva dans la ville plusieurs filles publiques qui suivaient les bleus, il rassembla plusieurs des mauvais sujets de l'armée et ils firent ensemble une orgie où ils restèrent plus de deux jours dans la débauche, au grand scandale de l'armée, ce qui encouragea au vice bien des jeunes gens, ensuite ils renvoyèrent ces femmes, quel déshonneur pour l'armée catholique, »

Nous reviendrons tout à l'heure sur M. de Talmont, mais nous n'avons évidemment pas trouvé trace, dans nos archives locales, de cette orgie guerrière tenue à Fougères après la prise de la ville par les Vendéens.

M. de Barante a cru devoir estimer ce fait trop scandaleux pour être rapporté. Et pourtant c'était la guerre !

Voici, immédiatement après, commencée sur la même page 131, terminée page 132, une autre savoureuse anecdote sur Fougères, qui n'a été reproduite que dans Bourloton, et ce, avec diverses variantes, surtout la dernière phrase sur le prince de Talmont :

« Il arriva à Fougères une histoire fort comique; la sœur de M. de Bonchamp étoit à l'armée, comme elle étoit brouillée avec la veuve de ce général elle étoit à peu près seule, ou du moins, avec des personnes indifférentes. Elle entra pour quelque affaire avec d'autres dans l'Etat-Major et, tout en causant, ces dames dirent combien les femmes qui n'a voient point d'officiers pour parents à l'armée étoient à plaindre, étant abandonnées pour les logements et les vivres. Quelqu'un qui étoit là leur dit en badinant qu'il leur étoit aisé d'en avoir et qu'elles n'avoient qu'à se marier, qu'il ne manquoit pas de jeunes gens. Mlle de Bonchamp dit en riant que le conseil étoit excellent mais que les femmes ne devoient pas faire d'avances et que c'étoient à ces messieurs à se proposer. Alors M. de la Salmonière, officier de l'armée de Bonchamp, lui demanda si elle parloit sérieusement et si elle accepteroit une pareille proposition, Elle répondit que cela dépenderoit de celui qui la lui feroit. M. de la Salmonière lui dit : Et bien, Mademoiselle, me voilà, moi je me propose et seroi fort heureux si vous voulez m'accepter. Mlle de Bonchamp qui, comme je l'ai dit, étoit jeune et se trouvoit abandonnée, accepta sur le champ. Ils se marièrent le lendemain. M. de Talmond, qui ne cherchoit qu'à s'amuser et qui étoit présent, leur donna de grandes fêtes. »

Nous n'avons découvert, à Fougères même, aucune trace de ce curieux mariage.

D'ailleurs, pendant l'occupation de l'armée vendéenne, aucun acte ne fut enregistré, ni sur les registres des paroisses, ni dans les administrations diverses. Les Vendéens ne reconnaissaient nulle qualité aux fonctionnaires, officiers d'état-civil ou notaires, pour enregistrer leurs contrats.

Cependant, nous avons trouvé, dans les archives de Clisson, un dossier relatif au curieux mariage de la sœur du célèbre général de Bonchamps célébré à Fougères.

 Il a permis au marquis de La Rochejaquelein, d'ajouter deux notes à la page 310 Bourloton.

Elles permettent de présenter les époux :

(1) Emilie-Louise-Charlotte de Bonchamps, née en 1773, à la Chapelle-Saint-Florent, fille de Charles-Artus de Bonchamps, chevalier, seigneur de la Baronnière, et de Renée-Louise Dubois de Maquillé.

(2) Charles-Louis Goguet, chevalier, seigneur de la Salmonière, né le 15 octobre 1764 au Port-Saint-Père, près Paimbœuf ; il servit d'abord dans un corps d'émigrés, et passa en Vendée au mois de mai 1793.

Il se battit jusqu'en 1800, et fut sous la Restauration, capitaine de la garde nationale de Châteaubriant.

Ce mariage est relaté dans la Vendée Militaire de Crétineau-Joly, tome V, par le R. P. Drochon, pages 449 à 453, puis dans l'étude de M. A. Bourdeault sur les Mémoires de Mlle Julienne Goguet de Boishéraud.

Ainsi, dans l'église de Saint-Léonard de Fougères, M. Robin, curé du Pellerin, bénissait, le 8 novembre 1793, le mariage de son paroissien M. Goguet de la Salmonière, avec la sœur du général de Bonchamps, blessé mortellement le 17 octobre 1793, pardonnant, en expirant, à ses ennemis et implorant la grâce des prisonniers Bleus.

Mlle de Bonchamps, privée de ses père et mère, adressa la requête suivante à M. de Lyrot :

« A Monsieur Lyrot de la Patouillère, commandant pour le Roi dans les armées Catholiques et Royales à Fougères ;

Supplie humblement demoiselle Emélie-Louise-Charlotte de Bonchamp, âgée de vingt ans, fille des feus Messire Charles-Artus de Bonchamp, chevalier, seigneur de la Baronnière et autres lieux et de dame Renée-Louise Dubois de Maquillé, native de la paroisse de la Chapelle sous Saint Florent diocèse de Nantes, supplie Monsieur Lyrot de la Patouillère de vouloir bien dans les circonstances où elle se trouve, privée de père et de mère, lui tenir lieu de l'un et de l'autre et l'autoriser à contracter en face de l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine le mariage qu'elle se propose depuis long-temps, avec Messire Charles-Marie Goguet, chevalier, seigneur de la Salmonière et autres lieux, âgé de vingt-neuf ans, fils de défunt Messire Sébatien Goguet, seigneur de la Salmonière et de dame Marie-Elisabeth Guerrin de la Métairie-neuve, natif de Port Saint Per et habitant de la paroisse du Pélerin, diocèse de Nantes; de l'agrément de dame Françoise-Renée-Magdeleine Dubois-Jourdan, veuve de Messire Antoine-César Dubois de Maquillé, de dame veuve Jeanne-Rosalie de Rongé sa cousine et de dame Marguerite de Scépeaux, veuve de Charles-Arthur-Nlelchior de Bonchamp, chevalier, seigneur de la Baronnière, commandant pour le Roi dans les armées Catholiques et Royales, belle-sœur de la suppliante, et de ses plus proches parents ; coinjointement, avec l'approbation de Messieurs Antoine-Philippe de la Trémoille, prince de Talmond qui, vû les circonstances dans lesquelles se trouve la France, pour ainsi dire sans Roi, sans justice et sans lois, voudront bien par leur adhésion au susdit mariage suppléer aux formalités des décrets usités en pareil cas, auxquelles la dite demoiselle Emélie-Louise-Charlotte de Bonchamp se seroit soumise de bon cœur, n'ayant en vue que de faire une alliance légale, tant pour le spirituel que pour le temporel, choisissant à cet effet pour la célébration du mariage M. le Curé du Pélerin, propre pasteur de l'une des deux parties, marchant à la suite des armées catholiques et royales ; déclarant au surplus la dite suppliante vouloir se conformer en tout aux volontés du susdit Messire Lyrot, chevalier de la Patouillère, de la complaisance duquel elle attend tout.

A Fougères le cinq novembre 1793.

Emélie-Louise-Charlotte DE BONCHAMP.

 

Vu et accepté la requeste cy et de l'autre part, et y consents. Fait à Fougères le 5 novembre 1793.

Lyrot de la Patouillère, Lenfernat de la Resle, le Prince de Talmont.

F. R. M. du Boisjourdan, Dubois de Maquillé, commandant d'artillerie dans les armées catholiques et royales, Jeanne-Rosalie de Rougé. »

Voici maintenant la copie de cet acte de mariage que nous aurions voulu trouver, comme il eût été logique, sur les registres de Fougères :

« Le huit de Novembre mil sept cent quatre-vingt-treize, l'an premier du règne de Louis dix-sept, en vertu des pouvoirs généraux à nous accordés par le Souverain Pontife, pour le temps que dureront la persécution et les troubles de la France, nous, recteur du Pélerin, soussigné, avons accordé toutes les dispenses requises à Messire Charles-Marie Goguet, seigneur de la Salmonière, fils majeur de feu Messire Sébastien Gohuet, chevalier, seigneur de la Salmonière et de Dame Marie-Elisabeth Guerrin de la Métairie-Neuve, natif de Port Saint Per et domicilié du Pélerin, au pays de Rets, diocèse de Nantes, et à demoiselle Èmélie-Louise-Charlotte de Bonchamp, âgée de vingt ans, native de la Chapelle-sous Saint Florent, diocèse d'Angers et domicilière de la paroisse de la Renaudière, diocèse de Nantes, fille des feux Messire Charles-Arthur de Bonchamp, chevalier, seigneur de la Baronnière et autres lieux et de dame Renée-Louise Dubois de Maquillé; et attendu l'anéantissement total des cours de justice du royaume, après avoir requis l'agrément de dame Françoise-Renée-Magdeleine Dubois-Jourdan, veuve de Messire Antoine-César Dubois de Maquillé, ayeule de la susdite demoiselle de Bonchamp, de dame Jeanne-Rosalie de Rougé sa cousine et de dame M. R. Marguerite de Scépeaux, veuve de Messire Charles-Arthur-Melchior de Bonchamp, chevalier, seigneur de la Baronnière, commandant pour le Roy dans les armées catholiques et Royales, sa belle-sœur. toutes ici présentes et ses plus proches parents ; et s'être fait autorisée, à défaut des tribunaux séculiers, par Messieurs les Généraux des armées Catholiques et Royales, combattant pour le rétablissement de la monarchie et de la religion, sçavoir : Messieurs François-Jean-Hervé Lyrot, chevalier, seigneur de la Patouillère, Antoine-Philippe de la Trémoille prince de Talmond, Vyau Dupé, Vyau de la Rommerais, Durand de la Tudairière, la Croix de Sain tours, Le Garde des Perrières, Guerrand de la Vergne, Lenfernat de la Resle, tous commandants et officiers des Armées Catholiques et Royales, dont la plupart parents, et les autres, amis des époux qui les autorisent à l'effet dudit mariage.

En conséquence, nous leur avons donné la bénédiction nuptiale, après les avoir fiancés solennellement dans l'église de Saint-Léonard de Fougères, en présence des susdits qui ont signé avec nous :

Emélie-Cliarlotte de Bonchamp, Charles-Marie Goguet de la Salnonière. F. R. M. du Boisjourdan du Bois de Maquillé, Lyrot de la Patouillère, Jeanne-Rosalie de Rougé, veuve de Rougé, Antoine-Philippe de la Trémoille prince de Talmond, Scépeaux, marquise de Bonchamp, Agathe-Marie-Marguerite de Lyrot, Lucas de Latourche-Limousinière, Vyau Dupé, Fuéraud Delavergne, Vyau de la Rommerais, Lenfernat de la Resle, Durand de la Tudairière, le chevalier d'Antichamp, Sophie de Mareschot, de Cogueray, Lagarde des Perrières, Lucas de la Championnière.

P. J. Bourjugne, prêtre-vicaire de Saint-Léonard es Angers, Louis-Charles-Alexis Blouin, abbé du diocèse d'Angers, le comte de la Tribouille, le chevalier Edouard de Flavigny, Reynaud de Lennensdorf, Magdeleine Marquis, veuve de Boishéraud, Lacroix de Saintours, Ch. Goguet de Boishéraud, P. F. Victoire Goguet de Boishéraud, Boumelier de Saintours, Eulalie de Saintours, Victoire Thébault, Guerry, commandant de la ville de Tiffauges pour le Roy.

Robin, recteur du Pélerin, évêché de Nantes en Bretagne suivant les armées catholiques et royales, Marie-Elisabeth Guérin, veuve Goguet Salmonière, Marie-Elisabeth Goguet, Adélaïde Goguet, Marguerite Desmelliers, Marie Desmelliers, Desmelliers de la Ménardière, Bureau vicaire de la Renaudière.»

 

Le 12 novembre 1794, soit un an après, ces actes se trouvaient légalement transcrits, non pas à Fougères où le mariage fut célébré en grande pompe avec M. de Talmont, ordonnateur des fêtes, mais sur les registres de la paroisse de la Renaudière en Anjou.

Revenons sur la dernière phase de la marquise relatant ce mariage pendant la guerre: « M. de Talmond qui ne cherchait qu'à s'amuser et qui était présent, leur donna de grandes fêtes. » Remarquons, en passant, que l'édition Bourloton donne : « M. de Talmond toujours prêt à s'amuser, leur donna des fêtes ».

Où ces « grandes fêtes » ont-elles pu avoir lieu ? A l'hôtel Saint-Jacques, le plus grand hôtel de Fougères, le plus réputé, répondons-nous.

Le« Grand hôtel Saint-Jacques » comptait parmi ces bons hôtels de province dont la renommée, principalement pour l'excellence de la cuisine, s'étendait à plusieurs lieues à la ronde.

Situé dans une rue passagère — actuellement au n° 9 de la rue Porte-Roger, — dans laquelle venaient déboucher, d'un côté, les principales artères de la ville : « la rue Pinterie », « la Grande-Rue » et « la rue Derrière » (rue Chateaubriand), de l'autre côté, la place d'Artois (la place d'Armes), voisin de la belle demeure où naquit le marquis de la Rouërie (Tribunal actuel), ayant une terrasse sur les remparts Nord de la ville — près de la tour Montfromery, — il offrait aux voyageurs de sérieux avantages avec sa grande cour entourée de deux étages de galeries sur lesquelles s'ouvraient les chambres.

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L'ancien Hôtel Saint-Jacques, rue Porte-Roger.

Des archives le signalent en 1752. Vers 1900, sa réputation déclina. Elle était affaiblie, depuis quelque temps, par la concurrence d'un autre hôtel ayant l'accès immédiat sur une grande placé, présentant ainsi plus de facilités aux Voyageurs que l'étroite et très passagère rue Porte-Roger. En 1907, il fut-contraint, perdant petit à petit la riche clientèle qui avait fait sa renommée, de fermer ses portes. Il resta vacant pendant deux ou trois ans. En 1909, il fut acheté par le « Grand Bazar », qui le démolit pour en faire la succursale actuelle des « Magasins Modernes ».

A l'époque qui nous intéresse, le Grand Hôtel Saint-Jacques était exploité par Louis Gousset, époux de Françoise Baillif. Louis Gousset tenait, antérieurement, l'hôtel Saint-Jean et la poste aux chevaux. Il acheta l'hôtel Saint-Jacques à Pierre Savary, dont la fille avait épousé Putod, qui embauma le corps du général de Lescure.

Retournons vers le prince de Talmont. Ce fut Marie Gousset, âgée de dix-huit ans, fille de Louis Gousset, qui, inconsciemment, le vendit aux Bleus.

Rappelons que le prince de Talmont fut arrêté le 31 décembre 1793, au moulin de Malagra, en La Bazouges-du-Désert, à 12 kilomètres de Fougères.

Il avait commis l'imprudence de donner une pièce d'or à une petite fille qui devait lui acheter des provisions. Elle montra la pièce d'or — une rareté pendant la guerre — aux gardes nationaux.

Ceux-ci coururent arrêter Talmont, déguisé en meunier.

Peut-être aurait-il pu échapper à la mort, ayant donné un faux nom ? Mais, emmené à Fougères par les gardes nationaux, il fut aperçu par Marie Gousset — à qui Talmont avait sauvé la vie le 3 novembre.

 — Innocemment, elle s'écria - cri de joie sans doute — :

« Tiens, voilà le prince de Talmont ! »

« Comment, lui dirent les gardes, vous êtes Talmont? »

Il leur répondit : « Je n'ai jamais menti, je suis, en effet, le prince de Talmont. »

Quelle bonne prise pour les Bleus! Emmené à Rennes, le prince de Talmont y fut interrogé, puis conduit à Laval pour y être guillotiné, le 27 janvier 1794, devant son château.

Pendant sa dernière toilette, le jeune instituteur Publicola Garot lui pose cette question : « Depuis combien de temps es-tu parmi les brigands ? » — Talmont répond fièrement : « Depuis que je suis avec vous ». Et, avec la même « fermeté insolente », il jette au bourreau son dernier ordre : « Fais-ton métier ».

Ainsi, sans le savoir, Marie Gousset, la fille de l'hôtelier de Saint-Jacques, avait livré à la guillotine la belle tête de Talmont !

OÙ donc aurait pu se tenir à Fougères, ailleurs qu'au vaste et bon hôtel Saint-Jacques, les repas de noces et les bals donnés par le prince de Talmont en l'honneur de la sœur de Bonchamps et de son époux: « M. de Talmond qui ne cherchait qu'à s'amuser... leur donna de grandes fêtes ? ».

Mais ces fêtes, les dîners et les bals, malgré le deuil de la fiancée : c'était la guerre, se sont tenus, nous n'avons aucune hésitation à l'affirmer, — à l'hôtel Saint-Jacques. Et elles avaient dû être si belles que Marie Gousset ne pouvait retenir le cri de son cœur en apercevant celui qui les avait données, si brillamment, chez ses parents.

Reprenons encore le véritable manuscrit de la marquise immédiatement après le mariage de M. de la Salmonière avec Mlle de Bonchamps :

« Nous devions de Fougères aller à Rennes, c'était le meilleur parti, et on était au moment de le prendre ; la marche sur Granville n'avait jamais plu à Henri; mais deux émigrés, envoyés par l'Angleterre, vinrent nous annoncer, et cela était vrai, qu'il y avait des troupes à Jersey, prêtes à nous seconder ; il fallait donc prendre un port de mer et alors les Anglais nous fourniraient tout ce dont nous aurions besoin. Nous nous décidâmes surtout par l'espérance d'avoir une place de sûreté où l'on pourrait laisser femmes, enfants, vieillards, blessés et hommes inutiles; tout cela formait environ vingt mille personnes, qui incommodaient beaucoup l'armée et étaient elles-mêmes fort à plaindre.

Tous les avantages se trouvaient réunis en apparence.

J'ignore les noms des deux émigrés qui vinrent à Fougères ; ils étaient déguisés en paysans bretons, et l'un d'eux était du Parlement de Bretagne (1) ; ils tirèrent d'un bâton creux les dépêches des Anglais.

Ceux-ci demandaient aux Vendéens, après les offres les plus avantageuses, quel Gouvernement ils voulaient établir en France. On répondit à cette demande que nous ne voulions que remettre le roi sur le trône, sans nous inquiéter des lois qu'il établirait après, que ceci ne nous regardait pas. Quand ces messieurs eurent fait la commission des Anglais, ils cassèrent leur bâton dans un autre endroit, et en tirèrent une petite lettre de M. du Dresnay, un des principaux émigrés bretons ; il nous mandait que tous les émigrés à Jersey brûlaient de nous rejoindre, mais qu'on leur avait ôté leurs armes et toute possibilité de passer, que les princes n'étaient point en Angleterre, et les émigrés craignaient que les Anglais ne trahissent les Vendéens, en ne leur donnant point les secours qu'ils leur offraient. Il est beau de retrouver toujours dans les Français envoyés par l'Angleterre, cette défiance des Anglais et ce sentiment patriotique pour la France. On n'accepta donc les secours de l'Angleterre, que déterminés par un besoin absolu ; notre position désespérée nous forçait à essayer cette voie.

 Les dépêches furent lues en petit comité chez mon père, mais on fit signer les réponses par tous les membres du Conseil de Guerre.

On se décida à aller à Granville, et, dans ce fait, ce parti se trouvait sage alors ; les Anglais avaient promis de nous aider à prendre la ville ; il fut convenu que, si nous en étions maîtres tout de suite en arrivant, ce que M. d'Obenheim assurait être facile, on hisserait un drapeau blanc entre deux drapeaux noirs. »

Voici le départ pour Avranches. Remarquons la brièveté du récit concernant le passage de l'armée dans la ville où devait être enterré Lescure, ainsi que nous l'avons vu plus haut :

« Nous partons de Fougères le 8 novembre, nous allons coucher à Antrain, de là à Dol, Pontorson et" Avranches; on ne se bat que pour prendre cette dernière ville, et encore l'affaire est-elle peu de chose ; nous y délivrons une énorme quantité de gens du pays, retenus prisonniers. Comme nous étions resté un jour à Dol, nous n'arrivâmes à Avranches que le 12 novembre ou le 13.

Plusieurs de nos gens en passant, furent au Mont-Saint-Michel rendre la liberté aux prêtres, qui s'y trouvaient dans un état affreux. Cependant, malgré leur grand nombre, peu nous suivirent, la plupart étaient infirmes ou malades et hors d’état de quitter leur prison.

Le lendemain on laissa dans Avranches tous ceux qui ne se battaient pas, avec les bagages ; les soldats allèrent attaquer Granville. »

Ainsi, quelques lignes suffisent pour la relation du passage de l'armée catholique à Avranches où on laissa « tous ceux qui ne se battaient pas, avec les bagages... » et... le corps du Saint du Poitou! Véritablement, ce chapitre écrit tardivement — il approche de la fin des Mémoires, — aurait pu apporter une précision sur l'inhumation du corps :

« On le mit dans une caisse, faite en forme de caisson, qui suivit le train d'artillerie à Avranches! »

Les Mémoires inédits de la marquise de Donnissan — belle-mère du général de Lescure, — conservés dans les archives du château de Clisson, sont aussi muets que ceux de la veuve du général, en ce qui concerne le corps du général de Lescure abandonné à Avranches :

« L'armée reçut à Entraine (Antrain) deux envoyés d'Angleterre pour annoncer la volonté de la secourir si elle pouvoit s'emparer d'un port. On crut que celui de Granville seroit le plus facile ; en conséquence, elle prit le chemin de Dol, de Pontorson et d'Avranches. L'armée y arriva sans être poursuivie. Ces six jours de paix donnèrent confiance aux troupes, joints aux espérances d'Angleterre, qu’elles partirent pour Granville, persuadées de leurs succès. Je ne veux pas omettre qu'un officier du génie, un traître (d’Obentieim), vint se joindre à nous pour diriger l'attaque, et lui-même avoit travaillé à la rendre imprenable (la ville). Notre armée perdit 2.000 hommes sous cette place et la confiance qu'elle avoit dans ses succès. »

Nous n'avons pas à transcrire le siège de Granville, ce serait nous écarter de notre sujet.

Relatons seulement le retour à Avranches : « Les soldats revinrent de Granville à Avranches ; il y eut là une espèce de révolte, au moins beaucoup d'attroupements, de propos séditieux. Ils demandaient à cor et à cri d'être ramenés dans leur pays, disaient qu'ils prendraient Angers quand même les murs seraient de fer. »

Suit la diversion sur Villedieu pour tromper l'ennemi, puis le départ d'Avranches : « Le lendemain, 18 ou 19 novembre, nous partons pour Pontorson; nous avions coupé les ponts derrière nous en arrivant à Avranches, nous étions obligés de les raccommoder. »

Ainsi donc, pas un mot sur le corps du général de Lescure à Avranches !

Supposons que sa veuve, en arrivant à Avranches, puis en quittant cette ville pour aller à Granville, enfin retraversant Avranches, n'ait pas su que la dépouille embaumée de son mari y ait été enterrée, n'eût-il pas été logique pour elle — écrivant ce passage si longtemps après, — de noter qu'à ce moment elle ignorait ce qu'elle abandonnait à la terre normande ?

 

Nous pourrions nous arrêter à cet endroit. Cependant, nous estimons devoir reproduire encore ces quelques lignes qui nous semblent nécessaires :

Après la défaite de Granville :

« ... Depuis la perte de M. de Lescure, une fièvre lente, causée par le chagrin et la fatigue, me consumait; j'étais excessivement changée. Je portais des habits de paysanne angevine, pour remplacer le deuil et aussi pour me sauver plus facilement ; je pensais que, si j'étais prise, je courrais moins de risques.

 Dès le passage de la Loire, M. de Lescure m'avait engagée à me déguiser, je ne l'avais jamais voulu, décidée à périr avec lui ; je le lui avais caché avec raison. Comme j'étais toujours enfermée dans ma chambre ou dans la voiture, mon nouveau costume, joint au changement de ma figure, faisait que personne ne me reconnaissait. J'étais la seule femme à cheval au milieu de ces cavaliers, mon trouble et mes mauvais yeux m'empêchaient de les reconnaître ;

j’aperçus dans la foule seulement un de nos domestiques, mais nous ne pûmes nous rejoindre.

Un des hommes me dit : « Ah ! poltronne de femme, tu ne passeras pas ! » et il me menaça de son sabre ; je lui répondis : « Monsieur, je suis grosse et mourante, ayez pitié de moi. »

 Il reprit : « Pauvre malheureuse, que je vous plains ! passez. » Beaucoup d'autres juraient après moi, mais ne m'arrêtaient pas. »

 

« ... M. Putod s'en fut aussi (avec les Vendéens). C'était un médecin de Fougères qui nous y avait rejoints ; il avait été officier de la garde constitutionnelle du Roi, et s'était rendu célèbre à Paris par la quantité de Jacobins qu'il avait tués en duel en 1793.

 On lui avait donné le commandement des Bretons des environs de Fougères, marchant avec nous : on le regardait comme une bonne acquisition; il se battit bien à Granville et à Pontorson ; il était armé jusqu'aux dents, chargé de pistolets, et parlait beaucoup de sa valeur : c'est que les duellistes et les fanfarons sont presque toujours de faux braves. Il fut, dans la suite, pris et guillotiné à Rennes... »

Nous reviendrons, plus loin, sur Putod, nommé « général de l'Armée catholique et royale de Fougères » par le père de Mme de Lescure.

 

Le retour à Fougères, de Pontorson : « La cavalerie battue, Henri retourna du côté d'Antrain, achever la déroute des Bleus ; les femmes, les bagages et tout ce qui était resté à Dol, rejoignit le lendemain ; les rues étaient si encombrées de morts qu'il fallait sauter dessus, pour passer : c'était un spectacle horrible, le sang coulait partout. On mourait de faim à Antrain ; pour moi je vécus d'oignons, que j'allais arracher dans un jardin.

De là, nous allons à Fougères, où nous entrons sans résistance; pous y restons un jour franc, et l'après-midi on chante un Te Deum dans l'église, pour remercier Dieu des victoires signalées de Dol : c'était aussi touchant que possible dans notre cruelle position.

De Fougères nous repassons à Ernée, nous séjournons deux jours à Laval, de là à Sablé, puis à La Flèche, sans trouver d'autres obstacles sur notre chemin, que des abatis d'arbres auxquels on avait mis le feu, particulièrement du côté de Laval ; mais personne ne défendait ces espèces de retranchements et ne s'opposait à nous ; les Bleus étaient consternés de leurs défaites et s'étaient enfermés dans Angers, fortifié à la hâte, et dont ils avaient terrassé les murs. »

Après la levée du siège d'Angers et la déroute du Mans, ces lignes, si touchantes, sur la fille de Lescure et sur les deux jumelles qui allaient naître :

« Pendant mon séjour à La Flèche, je cherchai vainement à cacher ma pauvre petite fille ; malgré tout ce que j'offrais, elle était si jeune, qu'on ne pouvait l'empêcher de crier, par conséquent de se faire découvrir. Les gens chez qui je demeurais m'assuraient qu'ils seraient guillotinés ou obligés de porter l'enfant à la municipalité ; qu'alors elle serait mise aux enfants trouvés si on ne la massacrait pas... »

Au Mans, Mme de Lescure avait reçu asile chez Mme Thoré, qui habitait l'hôtel de Broc — place de l'Éperon, n° 24, et rue des Poules, n° 1.

— Elle raconte son départ :

« ... Je n'avais pas la force de conduire mon cheval. Il y avait au coin une borne et deux chevaux attelés, ils se séparaient chaque fois que je- voulais avancer, je me trouvais prise entre eux et la borne; en vain je criais à des soldats, qui sautaient par dessus, de les détacher et de s'en servir : ils avaient perdu la tête et ne m'écoutaient pas. Enfin je vois un jeune homme à cheval près de moi : il avait l'air très doux, je lui prends la main et lui dis : « Monsieur, ayez pitié d'une pauvre femme grosse, qui ne peut mener son cheval. » Il me serre la main, se met à pleurer et me répond : « Je suis moi-même une femme, nous allons périr ensemble ; je ne puis vous être d’aucun secours, je ne puis, non plus que vous, conduire mon cheval. » Nous restons là à nous désoler.

Cependant Bontemps, ce domestique fidèle de. M. de Lescure, ne voyant ma fille dans les bras de personne, la cherche par toute la maison, croyant que la peur l'a fait oublier ; il la trouve et l'emporte; au milieu de "la foule, il me reconnaît de loin, il élève ma fille en l'air et me crie :

« Je sauve l'enfant de mon maître. — Oh! mon Dieu, me dis-je, c'est votre volonté », et je le perds de vue... »

A Prinquiau, dans la Loire-Inférieure :

« ... Nous fûmes très longtemps sans changer de linge, nous sentions des démangeaisons horribles sans en savoir la cause, au point d'en avoir le corps tout rouge. Nous le confions à Périne, notre hôtesse; nous pensions que c'était une ébullition, elle nous dit : « N'auriez-vous pas des poux? — Oui, beaucoup à la tête, mais on ne peut en avoir autre part. » Nous le croyions; elle se mit à rire et visita nos chemises, elles en étaient couvertes. « Ah! dit-elle, vous les avez pris à la Grée, il y en a tant. » Elle nous changea de tout pendant plusieurs jours de suite et nous débarrassa ainsi de ce supplice. Nous fûmes bien heureuses qu'on nous prêtat les chemises les plus grossières que j'ai vues de ma vie; mais nous ne pensions à rien de tout cela, la douleur et le danger nous rendaient insensibles à tout. »

« ...Nous décidâmes à aller près d'Ancenis (à la Rougeaudière, paroisse de Saint-Géréon), savoir des nouvelles de ma fille; nous le désirions vivement, dans l'espoir que mon père y aurait peut-être envoyé de son côté, et que par là nous pourrions nous informer de l'enfant ; elle était morte au bout de six jours (24 Décembre 1793), des fatigues de la guerre, malgré les soins des bonnes gens à qui je l'avais confiée. Je pleurai beaucoup à cette nouvelle, sans pouvoir m'empêcher de penser que c'était le plus grand bonheur qui pût lui arriver.

« ...Qu'on ne croie pas que les Bretons nous rendaient service pour de l'argent : nous n'en dépensions guère que pour nous nourrir toutes quatre et nous habiller; nous leur donnions très peu, et ils ne nous demandaient jamais rien ; ils avaient même l'air fâché qu'on mît leurs services à prix. Je devenais énorme et nous commencions à nous occuper de la manière dont je pourrais accoucher tranquillement; deux ou trois Brigandes paysannes venaient d'être sauvées par la déclaration de leurs hôtes, qu'ils voulaient les épouser ; cela donna à maman l'idée de faire semblant de me marier, pour le temps de mes couches. Nous avions fait connaissance avec Pierre Riallot, frère de Julien, homme veuf avec cinq enfants : il était secrétaire de la commune ; maman pensa à lui et le lui proposa, il y consentit. On avait mis alors garnison dans tous les bourgs, et, chose étrange, nous étions plus tranquilles; les Bleus soupçonnaient moins qu'on osât se cacher près d'eux; de plus, les municipaux passaient leur vie avec eux, leur faisaient mille contes, les menaient où il n'y avait pas de Brigands. Riallot entre autres allait régulièrement s'enivrer tous les jours avec eux, il était devenu leur ami et par ce moyen savait toutes leurs démarches. Il est étonnant que lui et les autres, dans le même état d'ivresse, n'aient jamais dit un mot compromettant ; les Bretons dans le vin sont dissimulés, d'une manière qui fait mentir le proverbe. Riallot fut parler du projet de mariage à l'officier public, qui l'approuva, à condition que nous aurions des extraits de baptême; il voulait même hardiment faire la noce en public, y prier les volontaires, mais ce plan nous fit peur; nous ne pensions qu'à éviter la publicité; l'officier municipal dit qu'il déchirerait la feuille du registre quand nous voudrions. Cela était facile, car les registres n'étaient ni cotés, ni cousus.

Comment avoir des extraits de baptême ? La Ferré était des environs de la Roche-Bernard; elle avait eu une sœur dont on n'avait pas entendu parler depuis vingt ans, qui avait été demeurer dans la Vendée avec une nièce, petite alors. Elle nous offrit de nous faire avoir ses papiers, et, si ensuite on nous découvrait pour être des Brigands, nous nous trouverions une foule de parents, tous bien pensants et elle-même, prête à nous réclamer. Riallot fut donc chercher ces papiers ; il eut beaucoup de peine à se les procurer, tant il fallait que ce fût secret; il les obtint enfin, mais j'accouchai comme il les apportait : ainsi notre mariage n'eut point lieu. »

Lors de la fouille faite par les Bleus au Bois-Divet, chez Gouret :

« ...Gouret et son fils vinrent nous chercher et nous firent coucher dans une chambre à eux, aban-.; donnée depuis plusieurs années... nous nous endormîmes toutes mouillées sur un grabat. Vers les cinq heures du matin, je me réveillai avec de violentes douleurs, mais comme je ne me croyais pas à terme, je pensai que cela venait de la fatigue ; mon mal augmentait toujours... »

La veuve de Lescure accoucha de deux filles.

« Que faire de ces enfants? Ne comptant que sur un, et dans six semaines au plus tôt, je n'avais rien de préparé pour les recevoir ; chacun chercha des guenilles pour les couvrir comme on put... Nous n'avions point pensé à chercher de nourrice, on m'en trouva une pour la petite Joséphine, au Bois-Divet ; elle était laide et vieille ; nous étions encore trop heureuses de la trouver ; pour mon autre fille, Louise... on la remit (à Marie Moénard, à la Pilais, en Prinquiau). C'était une bonne nourrice... elle alla trouver l'officier public et fit enregistrer mon enfant sous son propre nom.

Trois jours après un prêtre vient baptiser les deux jumelles dans ma chambre, nous prenons quatre témoins : Ferré, Gouret, Pierre Riallot et Henri Morand. On fait les extraits de baptêmes sur des assiettes d'étain, on écrit avec un clou les noms des père et mère; nous promettons à chaque témoin mille écus de dédommagement pour tous leurs frais, au cas où ils seraient obligés par la suite de chercher à faire légitimer la naissance de ces pauvres enfants ; tout le monde signe sur les assiettes qu'on enterre. Ces précautions nous rassurèrent sur leur sort, s'il arrivait d'être prises. »

Nous avons vu, dans un salon du château de Clisson, ces deux assiettes d'étain, souvenirs précieux conservés avec soin et respect.

L'une d'elles présente, dans son creux, les caractères suivants, très lisibles :

« Le vingt deux avril mil sept cent quatre vingt quatorze a été baptisée, par moi vicaire soussigné louise marie laurence dieu donnée, née du même mois & an que cy dessus dans la paroisse de prinquiau du légitime mariage de feu louis marie marquis de lescure et de marie louise victoire de donnissant son épouse ont été parrain pierre Rouaud soudiacre, et marrainne laurence jagu femme de pierre ferré soussignés et autres qui ont signé avec nous.

pierre rouaud soudiacre, lorance,

durfort de Donnissan grande mère

julien govier, hanri morand

pierre ferré, pierre Riallot

et, sur le bord de l'assiette : p. moysan vicaire de cordemais. »

Le dos de l'assiette a été complètement rongé par la terre.

L'autre assiette, l'acte de baptême de Joséphine de Lescure, beaucoup plus altérée que la précédente, ne présente son inscription de baptême que de façon très incomplète. On y devine : Joséphine-Anne-Marie-Perrine-Julienne de Lescure. Parrain Cyprien le Sage et marraine Perrine Morand qui ont déclaré ne savoir signer. P. Moysan curé de Cordemais.

Au dos, on a écrit, après l'avoir retrouvée : Joséphine de Lescure, morte le 2 de may 1794. Georges Morand. Cette assiette porte comme marque de fabrique M Y C R I O et une signature illisible commençant par un P majuscule.

La marquise de Lescure termine ainsi ce chapitre, qui sera pour nous le dernier de cette première partie de notre étude :

« Je n'eus d'autre tisane que de l'eau panée, ma santé fut bonne. La maison où nous étions était censée abandonnée, on n'ouvrait que la porte du côté du jardin, nous ne sortions pas du tout, tandis que, jusque-là, à la moindre alerte, on trouvait plus prudent de nous cacher en plein air. La Providence m'avait heureusement conduite dans cet asile pour mes couches ; nous restâmes ainsi un mois fort tranquilles ; ce n'est pas que souvent on n'eût des sujets d'inquiétude, mais ces bonnes gens nous les cachaient, surtout à moi. On s'aperçut au bout de trois jours que Joséphine avait le poignet estropié, peut-être par la faute de ceux qui l'emmaillotaient ; la nourrice consulta un chirurgien, il promit d'y remédier quand l'enfant serait plus âgée. Telle était notre déplorable situation, que je fis le projet, et cela me parut simple, de la porter à mon cou à Barèges, en demandant l'aumône, car je songeais que nous finirions par manquer d'argent, quoique nous en dépensions le moins possible, nos assignats n'ayant pu nous servir. Au bout de douze jours, Joséphine mourut, je l'appris à la manière des paysans ; une des filles de Gouret entra dans ma chambre et me cria de la porte- : « Mauvaise nouvelle ; votre fille du Bois-Divet est morte. — Elle est bien heureuse et plus que moi », lui répondis-je. Je 'ne pus m'empêcher de pleurer, je sentais pourtant que c'était un grand bonheur pour elle. »

La dernière des filles du général de Lescure,

Louise, mourut le 11 Août 1795, à la Hennetais, paroisse de Prinquiau (Loire-Inférieure).

 

A la page 219 du manuscrit des Mémoires, nous avons découvert une curieuse parodie de la Marseillaise écrite de la main de la veuve du général de Lescure, mentionné au quatrième couplet.

Cette « Marseillaise des Vendéens » a été publiée, en 1879, par le Comte de la Boutetière dans son livre : « Le Chevalier de Sapinaud et les Vendéens du Centre » ; puis dans le journal : « Le Phare de la Loire », numéro du 12 Avril 1892.

La dernière strophe ne laissa pas les Bretons insensibles à son appel. Il y a tout lieu de croire que cette parodie a été composée dans notre contrée, soit du 4 Novembre 1793, date du décès du général de Lescure à La Pellerine, au 8 Novembre, date du départ de Fougères pour Granville de l'armée catholique et royale grossie des renforts bretons.

 

LA MARSEILLAISE DES VENDÉENS SUR L’AIR DE LA MARSEILLAISE

Chers habitants de la Vendée

Vertueux, braves paysans,

Que la république enragée

Appelle du nom de brigands, (bis)

Pour venger le ciel qu'on outrage

Le roi, la reine et leurs enfants

Vous vous battez depuis longtemps

Sans moyens que votre courage

Redoublez vos efforts, vous vous battez pour Dieu

Frappez, frappez, le monde entier

Fixe sur vous les yeux.

 

Vous avez commencé la guerre

N'étant armés que de bâtons

Bientôt vous n 'avez sû que faire

De tous vos fusils et canons (bis)

Vous fuites rougir les puissances

De vous refuser leurs secours

Et votre gloire pour toujours

Egalera votre vaillance

Redoublez vos efforts, vous vous battez pour Dieu

Frappez, frappez, le monde entier, etc...

 

Votre bonté, votre clémence

Devaient vous gagner tous les cœurs

Mais les Français dans leur démence

N'étaient pas dignes des vainqueurs, (bis)

 

Jusqu'aux enfants tout est victime

Tout périt par le fer des Bleus

N'épargnez plus ces malheureux

Leur laisser la vie est un crime,

Redoublez, etc...

Héros qui perdîtes la vie

Servant d'exemple à vos soldats

Bonchamps, LESCURE, la patrie

A jamais vous regrettera, (bis)

Idolâtrie de vos armées

Pleins de talents et de douceur

Vous pérites par trop d'ardeur

Soldats, vengez leur destinée

Redoublez, etc...

 

Oh toi, surnommé l’Intrépide

Jeune La Rochejaquelein

Au combat sois toujours leur guide

Tu tiens la victoire entre tes mains (bis)

Egalant Charette en prudence

Autant qu'il l'égale en valeur

Vos noms seuls portent la terreur

Aux cruels tyrans de la France

Redoublez, etc ..

 

Vous, dont toujours la renommée

A vanté les exploits fameux

Bretons, offrez à la Vendée

Votre sang au lieu de vos vœux (bis)

 

Quoi, vous osez rester tranquilles

Tout en admirant ces guerriers

Allez partager leurs lauriers

Les vertus ne sont point stériles.

Imitez leurs efforts, exposez-vous pour Dieu

Frappez, frappez et méritez le nom de vos ayeux.

 

 

 

 

 

Le général de Lescure (Nouvelle édition)  Étienne Aubrée

 

 

La Virée de Galerne le 3 Novembre 1793 – La Bataille de Fougères (synthèse) <==.... ....==> Fougères : QUE SONT DEVENUS LES RESTES DU CORPS EMBAUMÉ DU SAINT DU POITOU

 

 


 

(1). M. de Freslon et M. Bertin.

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