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PHystorique- Les Portes du Temps
19 juin 2019

Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban, ingénieur, architecte militaire de Louis XIV

Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban

Il n'est pas de grand homme en France qui ait mérité, plus que Vauban, la reconnaissance et le respect de la postérité. Il fut le plus illustre et le plus savant de nos ingénieurs militaires. L'ardeur de son patriotisme lui fit ouvrir les yeux sur les dangers que le voisinage de l'Allemagne faisait courir à notre pays.

Dans un siècle où la guerre se faisait plus cruellement qu'aujourd'hui, il se préoccupa avant tout de ménager le sang des soldats. Bien qu'appartenant, par sa naissance, à la noblesse privilégiée, il chercha à améliorer le sort de la classe la plus malheureuse de la nation. Il sacrifia la faveur dont il jouissait auprès de Louis XIV, en lui conseillant une réforme de l'impôt, pour soulager la misère du peuple. En cherchant à établir un meilleur système financier, Vauban fut l'un des fondateurs de l'économie politique, qui apprend aux hommes à tirer le meilleur parti de leur travail et de leurs ressources.

JEUNESSE DE VAUBAN

Vauban avait eu une enfance malheureuse et une jeunesse difficile. Il s'appelait Sébastien Le Prestre, et ne prit qu'à dix-sept ans le nom de Vauban, qui était celui d'une terre possédée autrefois par sa famille. Il naquit le 16 mai 1633, à Saint-Léger-du-Fougeret (département de l'Yonne), et non loin de Château-Chinon (département de la Nièvre). Il appartenait au petit pays du Morvan, qui dépendait de la province du Nivernais. C'était une contrée boisée, montagneuse et pittoresque.

Vauban perdit son père tué (1642) en combattant pour son pays, dans la guerre de Trente ans. Sa mère mourut bientôt après, et à dix ans, il était orphelin. La fortune l'avait fait naître, disait-il plus tard lui-même, le plus pauvre gentilhomme de France. La maison de son père ne valait pas mieux que la maison d'un paysan ; elle était couverte de chaume, n'avait qu'une chambre, une grange et une écurie ; encore fut-elle abandonnée aux créanciers de sa famille. Si pauvre que Vauban fût alors, il avait un privilège, qui n'existe plus aujourd'hui. C'était la noblesse, sans laquelle il n'aurait pas pu obtenir les hauts grades militaires qu'il conquit à force de mérite et de services.

Il fut recueillipar l'abbé Fontaine, curé de SaintLéger, qui lui apprit tout ce qu'il savait, un peu d'arithmétique et d'arpentage. Ce fut un bonheur pour Vauban d'être dirigé, même aussi imparfaitement, vers les mathématiques, science indispensable à l'ingénieur. Par reconnaissance, il soignait le jardin, et pansait le cheval de son protecteur. Lorsqu'il était libre, il parcourait les montagnes du Morvan, et il conserva toujours pour sa petite patrie un fort attachement, qui le cédait seulement chez lui à son amour pour la grande patrie, la France. Par cette vie utile et active il acquit une santé robuste, un caractère ferme et courageux. Il vit alors de près les misères des pauvres paysans morvandiots, qu'il nous a dépeints si mal nourris, sans forces, et souffrant de leur nudité. De ces premiers temps de sa vie date sa pitié pour le petit peuple.

A dix-sept ans (1651), Vauban prit la résolution de suivre, comme son père, le métier des armes.

Léger de bagage et d'argent, vêtu comme un campagnard, il partit à pied pour rejoindre, dans la forêt de l'Argonne, en Champagne, les troupes du prince de Condé. Ce grand général venait de terminer la guerre de Trente ans par les batailles de Rocroy (1643) et de Lens (1648). Son nom attirait à lui les jeunes gens avides de gloire.

Malheureusement Condé n'avait pas le sentiment patriotique. Il venait d'être froissé dans son ambition par le cardinal Mazarin, qui gouvernait au nom d'Anne d'Autriche, régente de France pour son fils, Louis XIV. Fidèle encore en apparence à la reine-mère, il prit bientôt parti contre elle (1651), dans la guerre civile de la Fronde, et n'hésita pas à s'allier aux Espagnols, pour combattre les troupes royales.

Vauban, à peine sorti de son village, et connaissant mal ce qui se passait alors en France, était encore trop jeune et trop inexpérimenté pour distinguer la bonne cause. En s'attachant à un prince français, dont les victoires avaient contribué à l'acquisition de l'Alsace (traité de Westphalie, 1648), il ne croyait pas mal agir.

Il avait été fort bien accueilli, parce que, comme il avait, selon son expression, «une teinture des mathématiques, des fortifications, et, comme il ne dessinait pas mal, on songea à l'employer dans le génie. » La guerre consistait alors surtout dans le siège des villes ; les ingénieurs avaient fort peu d'avancement ; ils étaient par conséquent très rares.

Ce début décida de la carrière de Vauban.

Ses aptitudes se révélèrent aussitôt au siège de Clermont-Oise et de Sainte-Menehould, en Argonne (1651). On lui proposa le plus bas grade d'officier, celui d'enseigne, inférieur à celui de sous-lieutenant. Mais comme il fallait faire les avances nécessaires pour s'équiper, il dut refuser cet avancement, « parce qu'il n'en pouvait soutenir le caractère ».

A cette époque, la pauvreté, tout aussi bien que le manque de noblesse, pouvait interdire l'avenir à des hommes de génie.

En 1653, Vauban fut fait prisonnier par un parti de troupes royales, et fut conduit au cardinal Mazarin. Ce ministre, auquel on doit reprocher sa politique double et son avidité, savait cependant pénétrer la valeur des hommes, et n'aimait pas la vengeance. Vauban « fut dûment confessé et converti » par lui, et placé sous les ordres du directeur général des fortifications, le chevalier de Clerville. Il fut aussitôt employé contre son ancien chef, Condé. Après s'être distingué à Sainte-Menehould et au siège de Stenay, où il fut blessé deux fois, il fut nommé lieutenant dans le régiment qui s'appelait Bourgogne-infanterie (6 août 1654). Il fit partie de l'armée de Turenne, qui reprit Arras à Condé et aux Espagnols, et fut remarqué d'une manière spéciale au second siège de Clermont-en-Argonne. Ce fut seulement alors qu'il reçut, le 3 mai 1655, le brevet d'ingénieur du roi.

Vauban avait vingt-deux ans; mais la rude vie qu'il menait depuis cinq ans l'avait promptement mûri. Il n'avait pas cessé d'étudier son art et s'en était rendu maître par la pratique.

LES INGÉNIEURS MILITAIRES SOUS LOUIS XIV VAUBAN DEVIENT CÉLÈBRE

Vauban en héritage - Reportage intégral

Le brevet d'ingénieur ne donnait à Vauban ni la situation officielle, ni l'état régulier qu'ont aujourd'hui nos officiers du génie. Les ingénieurs ne formaient pas un corps spécial. En guerre, on les choisissait parmi les lieutenants et les capitaines d'infanterie brevetés, et ils rentraient après dans leur rang. Leur avancement était très lent et n'allait jamais bien loin.

Comme leurs fonctions étaient très difficiles et peu brillantes, les jeunes nobles préféraient n'y pas entrer.

Cependant, les ingénieurs rendaient les plus grands services ; ils étaient fort exposés dans les sièges. Leur solde était, en général, de 5 à 600 livres, qui vaudraient aujourd'hui 2,000 à 2,500 francs. C'était bien peu, car leur profession exigeait des études si persévérantes que Vauban disait de lui-même : « Après quarante ans d'application, je ne me trouve qu'un demi-ingénieur. » Toute sa vie, il combattit pour améliorer le sort des ingénieurs, qu'il appelait les martyrs de l'infanterie. Il témoignait une sympathie toute particulière à ceux qui étaient pauvres et mariés ; il alla jusqu'à leur abandonner une partie de son traitement, et ne cessa de prier pour eux le tout-puissant ministre de la guerre, Louvois.

Enfin, en 1675, il obtint la création des ingénieurs ordinaires, qui conserveraient leur situation pendant la paix. Les autres ingénieurs, appelés extraordinaires, étaient comme autrefois choisis, en cas de guerre, mais, à la paix, ils rentraient dans le rang. Vauban ne put faire prévaloir cette organisation que quand il fut devenu un personnage important. Il se souvint alors de ses souffrances et de ses humiliations, lorsqu'il était lieutenant au régiment de Bourgogne, et, plus tard, capitaine aux régiments de Languedoc et de Normandie.

En 1656, il avait dû céder à l'opiniâtreté du maréchal de la Ferté, qui fit échouer les sièges de Valenciennes et de Montmédy. Turenne, au contraire, l'ayant laissé libre de ses mouvements, il s'empara en quatre jours du port de Mardyck (près de Dunkerque).

En 1658, il prit successivement Gravelines, Oudenarde, Ypres, villes de Flandre, dont l'occupation compléta la grande victoire de Turenne aux Dunes. Vauban contribua ainsi, pour sa part, à la conclusion du grand traité des Pyrénées, conséquence de la paix de Westphalie. Les Espagnols furent obligés de restituer à la France l'Artois au nord et le Roussillon au sud.

Vauban avait alors vingt-sept ans. Un de ses cousins lui fit épouser (25 mars 1660) Jeanne d'Aulnay, dont le père était le châtelain d'Épery, en Morvan. Ce mariage lui permit de « soutenir un état plus brillant ».

Il se fit rapidement connaître « comme un bon ingénieur et un bon officier ». Il fut chargé de démanteler les places de Lorraine, et de fortifier Brisach, l'une des forteresses du Rhin qui donnaient à la France une entrée en Allemagne.

Là, sa carrière faillit être arrêtée par la haine de l'intendant de Brisach, parent du ministre Colbert. Gêné dans ses rapines par la probité de Vauban, ce personnage essaya, tout en lui reprochant de « ne viser qu'à l'économie » de le rendre responsable des sommes qu'il avait dérobées au gouvernement. Quoique Colbert eût fait rendre pleine justice au grand ingénieur, celui-ci garda toujours une certaine réserve à l'égard du ministre, dont un parent avait attaqué son honneur.

Ce fut d'ailleurs la dernière difficulté sérieuse que Vauban eut à surmonter. Pendant la guerre de Dévolution, qui eut lieu de 1667 à 1668, il conduisit le siège de Tournay (Belgique), celui de Douai (département du Nord), où il reçut une balafre à la joue; celui de Lille (département du Nord), qu'il prit après dix-huit jours de travaux réguliers ; enfin, celui de Dôle, en Franche-Comté.

 

SERVICES MILITAIRES DE VAUBAN

Vers cette époque, il se lia étroitement avec le principal ministre de la guerre de Louis XIV, Louvois, qui l'estimait déjà depuis longtemps, et qui l'avait soutenu énergiquement contre la malveillance et la jalousie. Ce qui plaisait à Louvois dans Vauban, c'était son esprit de discipline et d'ordre. Tout en ayant conscience de sa valeur, il se montrait le plus respectueux des subordonnés, et faisait ainsi preuve de la première des vertus militaires. Il était aussi très exact, et, dans les dépenses nécessaires pour les fortifications, il ne dépassait jamais les devis.

Le ministre profita donc de la première occasion pour donner à Vauban la haute main sur la construction des forteresses. Lorsque Lille fut devenue française, en 1668, par le traité d'Aix-la-Chapelle, qui termina la guerre de Dévolution, on s'empressa de faire de cette ville la place forte principale du nord de la France. Le directeur général des fortifications, le chevalier de Clerville, présenta des plans, qui furent jugés insuffisants-. Vauban en avait communiqué d'autres à Louvois.

Le ministre désirait les faire prévaloir, mais il craignait de violer la hiérarchie militaire en adoptant les idées d'un capitaine, en opposition avec celles de son supérieur. Il suggéra donc à Louis XIV de prendre connaissance des deux projets. La supériorité de celui de Vauban éclata au point qu'il fut adopté et que le jeune ingénieur fut chargé de l'exécuter.

Il se mit à l'œuvre avec un véritable enthousiasme patriotique. Il voulait élever entre Paris et la frontière un triple rang de forteresses. En débutant par la Flandre, qui était le côté le moins facile à défendre, il eût voulu que la France s'étendît encore du côté des Pays-Bas espagnols (Belgique) de manière à replacer Paris plus au centre et à former de notre pays ce qu'il appelait un précarré.

Il fortifia, à cette époque, Lille, Arras, les autres places du nord, et commença les travaux de Dunkerque. Il ne cessa plus désormais de parcourir la France, qu'il couvrit de places fortes. Le plus souvent il se faisait en même temps l'architecte des villes dont il était l'ingénieur et se préoccupait vivement de leurs progrès industriels et commerciaux. Ces travaux considérables étaient fréquemment interrompus par les nombreux sièges, qu'il dirigea pendant les guerres de Hollande (1672-1678) et de la ligue d'Augsbourg (1688-1697).

Après avoir voyagé en Piémont en 1670 et 1671, et visité avec Louvois la forteresse de Pignerol, encore française, il fortifia les villes de Turin, de Verrue et de Verceil, pour le compte du duc de Savoie, alors allié de la France, et qui devait plus tard se servir contre Louis XIV de ces nouvelles forteresses.

A partir de 1673, Vauban prit une part importante dans la guerre contre les Hollandais. D'un esprit calme et clairvoyant, il aurait voulu qu'on laissât de côté cette expédition inutile et peu glorieuse contre les marchands d'Amsterdam, pour se rabattre sur les Pays-Bas espagnols, dont la possession était nécessaire à la sécurité des frontières de la France. Il fut chargé, sans être placé sous les ordres d'aucun général, du siège de Maëstricht, sur la Meuse, l'une des places fortes les plus importantes du nord de l'Europe.

Il se sentait alors suffisamment appuyé par Louis XIV et Louvois pour essayer l'application de ses idées et de ses études. Les tranchées parallèles, dont il entoura la ville, furent creusées selon un nouveau système qui lui permit, en vingt-trois jours d'opérations actives, de ne perdre que 1,600 hommes, chiffre relativement modéré, lorsqu'on le compare aux pertes du génie dans les sièges précédents.

Maëstricht capitula le 16 août 1673 et Vauban s'empressa de mettre en état les fortifications de cette ville; puis il courut préparer le siège de Trêves, sur la Moselle, et put prédire que la ville se rendrait du 30 août au 18 septembre, ce qui arriva en effet. Il était déjà en Alsace, d'où il passa en Lorraine, pour mettre en état les places fortes de ces deux provinces, menacées par les Autrichiens.

A la fin de l'année 1673, il arma les côtes de Bretagne et l'île de Ré contre les tentatives du grand amiral hollandais, Ruyter. En 1674, il rendit encore des services éclatants. Envoyé en Franche-Comté, dont Louis XIV entreprenait la conquête définitive, il obtint la capitulation de Besançon, en hissant une batterie de 40 canons sur les hauteurs qui dominaient la ville; peu après, il s'empara de Dôle, la seconde place de la province.

Le 21 août, Vauban recevait la récompense de ses succès ; il était nommé brigadier, grade à peu près équivalent à celui de général de brigade. Le prince de Condé, redevenu, depuis le traité des Pyrénées, général français, venait de livrer la bataille de Senef (Belgique), la dernière et la plus sanglante de sa carrière.

Louvois se félicitait d'un succès si chèrement acheté. Vauban, qui déplorait toujours les pertes d'hommes, prévit que la bataille de Senef resterait inutile. « Il n'est pas temps encore, écrivit-il à Louvois, de nous épanouir la rate. »

En effet, Condé ne put, avec ses troupes décimées, poursuivre les Hollandais, qui assiégèrent la ville d'Oudenarde, sur l'Escaut (Belgique). Mais Vauban était là, et il les força à se retirer. La prise de Condé et de Bouchain, autres places de l'Escaut, en 1675; de nouvelles constructions de forteresses en 1676, lui valurent le grade de maréchal de camp (général de division). De plus grands services encore justifièrent cet avancement, alors bien rapide pour un ingénieur.

Le 17 mars 1677, rompant avec les vieilles erreurs, Vauban, ayant enveloppé Valenciennes d'une ligne de travaux de siège d'une étendue jusqu'alors inconnue, fit donner l'assaut en plein jour, au lieu de tenter comme autrefois une attaque de nuit ; sa hardiesse eut un plein succès. Un mors plus tard, il s'empara de Cambrai. Il avait eu, en cette occasion, le courage de résister à Louis XIV lui-même, qui aurait voulu brusquer les opérations, quitte à sacrifier plus d'hommes.

Dans la dernière année de la guerre de Hollande, il s'empara des dernières places fortes de l'Escaut belge. La paix de Nimègue, qui marqua le point le plus élevé de la prospérité de Louis XIV, suivit de près. La France acquérait Valenciennes, Cambrai, la Franche-Comté, mais devait restituer les dernières places conquises' par Vauban. Louvois, qui n'était pas très délicat, prétendait rendre ces places démantelées et par conséquent incomplètes. Vauban s'opposa à ce qu'il considérait comme une déloyauté. Il croyait, avec raison, que, même à l'égard d'un ennemi, les conventions doivent être observées scrupuleusement.

Depuis le 4 janvier 1678, après la mort du chevalier de Clerville, Vauban était commissaire général des fortifications. Ce fut la période la plus active de toute sa vie ; au milieu de ses travaux de construction, il dirigea les sièges de Courtray, sur l'Escaut, et de Luxembourg, dans le bassin de la Moselle, villes que Louis XIV réclamait en pleine paix, comme dépendant de ses récentes conquêtes d'Alsace et de Flandre.

Il s'en empara; mais le siège de Luxembourg, l'une des places les plus fortes de l'Europe, lui fit courir de nombreux dangers personnels. Les travaux qu'il exécuta dans cette ville, excitèrent l'admiration universelle, et l'opinion publique le désigna pour le grade de lieutenant général (commandant de corps) ; le roi tenait trop à son pouvoir absolu pour céder au sentiment de tous, et Vauban se résigna patiemment à attendre.

Luxembourg ne devait pas rester française. Les tentatives de Louis XIV pour réunir à la France des villes que les traités ne lui donnaient pas expressément, soulevèrent contre lui une coalition européenne, appelée Ligue d'Augsbourg.

Lorsque la guerre éclata (1688), Vauban, devenu indispensable, fut nommé lieutenant général.

Le grand Dauphin, fils du roi, fut chargé d'occuper les têtes de pont du Rhin, dans le Palatinat bavarois; Vauban l'accompagna, et la guerre débuta brillamment par la prise de Philipsbourg ; il était alors estimé à sa juste valeur. « Nous sommes très bien, Vauban et moi, écrivait le Dauphin à Louis XIV, parce que je fais tout ce qu'il veut ». Le précepteur du prince, le duc de Montausier, qui était connu pour sa franchise, lui envoyait aussi de son côté ses félicitations sur un succès qu'il trouvait d'ailleurs très naturel, « car, ajoutait-il, vous aviez une bonne armée, des bombes, du canon et Vauban ». La prise de Philipsbourg fut suivie de celle de Manheim, de Frankenthal, sur le Rhin, et en 1691, de Mons, en Belgique.

A cette date mourut Louvois, au moment où Louis XIV allait le disgracier. Vauban ressentit profondément la perte de son protecteur; toutefois sa position n'en fut pas d'abord amoindrie.

En 1693, il prit Charleroy, sur la Sambre ; en 1694, il commanda en chef sur les côtes de Bretagne et repoussa une attaque de l'amiral anglais Berkeley sur Brest. Depuis cette époque, il fut moins employé. Il ne conduisit plus de siège important qu'à Ath (Belgique) en 1697. Il commençait en effet à compter parmi les mécontents ; il avait pénétré les fautes du gouvernement intérieur de Louis XIV, et il souffrait plus encore de ses erreurs dans la politique extérieure.

Le roi de France convoitait l'héritage du roi d'Espagne, Charles II, qui n'avait pas d'enfant.

Pour préparer cette succession, et quoique victorieux, Louis XIV abandonna, à la paix de Ryswyck (1697) tous les avantages acquis pendant la guerre. Vauban vit avec douleur renoncer à l'extension de la frontière du nord, bien plus importante pour la France que l'acquisition, impossible à garder, de l'Espagne.

Dans une lettre écrite à Racine, le grand poète tragique, il jugeait ainsi les préliminaires du traité : « De la manière, qu'on nous promet la paix générale, je la tiens plus infâme que celle de Cateau-Cambrésis, qui a toujours été considérée comme la plus honteuse qui ait jamais été faite ».

Par cette paix, en effet, Henri II avait renoncé autrefois à toutes les conquêtes de ses prédécesseurs en Italie. Cette lettre était restée secrète; mais les sentiments de Vauban se firent jour, malgré lui, et Louis XIV les connut; sa gloire était tellement établie alors, qu'il fut cependant élevé, le 14 janvier 1703, au plus haut grade de la hiérarchie militaire, celui de maréchal de France. Il se défendit de cette dernière faveur. Il craignait que ce ne fût pour lui enlever la direction effective des opérations de siège, situation inférieure, qui n'appartenait pas à un maréchal de France. Il dut se résigner à un honneur si vivement brigué par tant d'autres.

On était alors au début de la guerre de la succession d'Espagne; il s'empara de Brisach (1703), et sauva Dunkerque (1706), en créant devant cette ville un camp retranché. Ce fut la fin de sa carrière militaire. En vain, lors du siège de Turin, Vauban signala les fautes commises, et sollicita la direction des opérations, en se défendant de toute ambition : « Je serais insensé, écrivait-il au ministre de la guerre, Chamillard, si aussi voisin de l'âge décrépit que je suis, j'allais rechercher à commander des armées dans des entreprises difficiles ». Ses services furent repoussés, et le désastre de Turin ne justifia que trop ses prévisions. En l'apprenant, Vauban ne put retenir ses larmes. Il ne prit plus désormais part aux affaires militaires.

Il avait soixante-douze ans. Il avait conduit 53 sièges ; il avait assisté à 140 actions.

Brouage Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban

 

VAUBAN INGÉNIEUR

Vauban est connu avant tout pour le plus grand ingénieur militaire que la France ait eu.

Par une erreur assez commune, on le regarde comme le seul inventeur du système de fortification des places et des moyens employés pour les assiéger, qui ont prévalu dans les temps modernes, avant la Révolution. Il est bon de savoir pourtant que même les hommes de génie tels que Vauban, sont obligés pour amener leurs œuvres au degré de perfection qu'elles atteignent, de profiter des travaux de ceux qui les ont précédés.

De tout temps, en France, il y avait eu des villes et des châteaux fortifiés, élevés sur une colline ou sur une motte artificielle (motte catrale), qui surveillaient la campagne environnante. On s'était d'abord contenté d'entourer les maisons ou la demeure seigneuriale de hautes et sombres murailles, aussi épaisses que possible. Avant l'invention de la poudre, elles suffisaient parfaitement à protéger les assiégés. Les fortifications les plus compliquées consistaient en tours rondes, qui s'élevaient à égale distance au-dessus de la muraille circulaire, et en un donjon central qui les dominait.

Avec le progrès des machines et surtout après l'invention des canons, il n'était pas de mur si puissant, que les boulets ne parvinssent à détruire. On commença alors à construire en avant des murailles, des travaux capables d'empêcher l'ennemi de s'établir à portée du tir. La fin du XVe siècle et le XVIe siècle virent de grands progrès dans l'art de prendre et de défendre les villes.

C'est probablement à la fin de la guerre de Cent ans, c'est-à-dire lorsque Charles VII chassa définitivement les Anglais de France (1453), que les ingénieurs militaires imaginèrent de creuser autour des villes assiégées de grands fossés appelés circonvallations, et qui, faisant tout le tour des murailles, empêchaient les défenseurs de forcer le blocus.

Ce fut un ingénieur du XVIe siècle, Latreille (1556), qui trouvant la forme ronde des tours trop massive et trop exposée aux projectiles, les remplaça par des ouvrages construits à angles aigus appelés bastions.

Depuis ce temps, les véritables principes de la fortification des places étaient trouvés. On reconnut qu'il n'était pas suffisant de construire les murs d'une ville en matériaux résistants, mais qu'il était indispensable de les dérober le plus possible au tir de l'ennemi, de les placer même hors de sa portée, en multipliant les travaux avancés. Tous les ingénieurs qui ont précédé Vauban, Errard sous Henri IV, le chevalier Deville sous Louis XIII, le comte de Pagan et le chevalier de Clerville au début du règne de Louis XIV, firent donc tous leurs efforts pour abaisser les fortifications, de manière à les exposer de moins en moins à l'action des boulets.

Vauban ne fit en apparence que suivre les idées qui avaient déjà cours avant lui ; mais il dut sa supériorité à ce qu'il conçut un système général de fortification de la France, et qu'il construisit et répara les villes fortes d'après un plan uniforme et de manière à les défendre les unes par les autres. Il fut le premier qui se préoccupa non pas seulement de rendre une citadelle inexpugnable, mais d'entourer la France d'une triple enceinte de forteresses, pour arrêter à chaque pas une invasion étrangère, servir de bases à l'action des armées de secours, et présenter ainsi à l'ennemi un front formidable.

Lorsque les autres ingénieurs n'avaient montré que leur habileté de spécialistes, Vauban avait consacré à son œuvre les longues méditations et les savants calculs de son génie.

Pendant toute sa carrière, il avait étudié et approfondi tous les secrets de sa profession; il avait modifié jusqu'à trois fois son système de fortifications. Il publia, dès 1672, un mémoire pour servir d'instruction sur la conduite des sièges, qu'il appelait « la plus fine marchandise qui fût dans sa boutique. » Plus tard (1689), il fit paraître un grand traité de l'attaque et de la défense des places, un traité des mines, des essais sur les fortifications.

Il tint compte, avant tout, des armes à feu perfectionnées, et se préoccupa, dans la défense, de mettre les assiégés à l'abri du tir des assiégeants. Il élargit et fortifia les bastions ; le mur qui rejoignait les bastions entre eux, ou courtine, fut désormais terminé par un parapet de sable et abaissé le plus possible. Vauban employa même les fortifications rasantes, c'est-à-dire dominant à peine la campagne. Il creusa les fossés d'une façon plus régulière et créa les inondations artificielles. Il multiplia les casemates, chambres à l'abri de la bombe pratiquées dans l'épaisseur des courtines.

De l'autre côté du fossé, l'enceinte bastionnée était suivie par une levée de terre, appelée chemin couvert, et terminée du côté de la plaine par un revers en pente douce ou glacis.

Sur ce chemin s'ouvraient, d'endroit en endroit, des espaces plus larges, nommés places d'armes; Vauban les arma de façon que leurs feux battissent tout le terrain placé autour des fortifications. Enfin, la citadelle, forteresse complète par elle-même, fut disposée par lui, de telle sorte que ses canons pussent enfiler les principales rues de la ville, et réserver ainsi une suprême défense en cas d'assaut.

Dans l'attaque, les assiégeants débutaient en creusant, hors de la portée du tir de l'assiégé, une tranchée dont on rejetait les terres, de façon à protéger les travailleurs et les soldats.

Il en fallait deux, trois, quelquefois plus pour atteindre le mur de la place assiégée ; en 1673, Vauban, au siège de Maëstricht, d'après des renseignements qui lui avaient été communiqués sur les moyens d'attaque des Turcs, coupa les tranchées circulaires, par d'autres tranchées, dites parallèles et qui dirigées en lignes brisées, gênaient davantage le tir de l'ennemi et abritaient mieux les travailleurs. De ce jour, on put fixer, dans les conditions ordinaires, la prise d'une place au quarante-huitième jour après l'ouverture de la première tranchée.

On doit encore à Vauban le tir à ricochet pour atteindre les parties de l'enceinte bastionnée, situées hors du point de mire. Nous avons vu Vauban appliquer presque toujours avec succès ses principes sur l'attaque des places. On l'a accusé au contraire d'avoir trop multiplié les forteresses et d'avoir dépensé en travaux de fortification plus d'un milliard de livres, qui en représenterait quatre de nos jours. Le chiffre est exagéré et lui-même protesta à plusieurs reprises contre l'abus des villes fortifiées. Il eût préféré le système des camps retranchés, qu'il appelait avec raison « une manière de camper dans les armées, plus savante, plus sûre et plus commode. »

Vauban avait construit trente-trois places nouvelles et en avait réparé trois cents. Il considérait Dunkerque comme son chef-d'œuvre.

« Pour achever cette place, disait-il, le roi devrait prendre les fonds sur ses menus plaisirs, voire retrancher sur sa propre table. Quant à moi j'offre de bon cœur mes soins et un voyage exprès s'il le faut, aurais-je la mort entre les dents » (1677).

Les constructions de Vauban eurent lieu surtout dans la période qui suivit la paix de Nimègue. A cette date remontent Dunkerque et Toulon, dont il fit un grand port militaire; Perpignan, Montlouis, dans les Pyrénées (1678); les places du nord-est (1680), Maubeuge, Charlemont, Philippeville, qui n'est plus à la France depuis 1815, les places d'Alsace et de Lorraine, Sarrelouis, Verdun, Thionville, Bitche, Phalsbourg, Haguenau, enlevées à la France par les Prussiens en 1871, Landau et Fribourg, perdues à la fin du règne de Louis XIV; enfin, Belfort et Besançon. Il entreprit alors, sur la côte de l'Océan, une série de ports fortifiés: Hendaye, Bayonne, Saint-Martin de Ré, la Rochelle, l'île d'Aix, Brest.

Dès l'occupation de Strasbourg en 1681, il y commença des travaux de fortification pour lesquels, il creusa le canal de lé Brusche. Comprenant l'importance de cette position dans une guerre contre l'Allemagne, Vauban fit inscrire sur ce chef-d'œuvre du génie militaire d'autrefois, cette inscription : « Clausa Germaniœ Gallia, la France fermée aux Allemands ». Aujourd'hui Strasbourg est perdue ; mais il dépend de notre instruction militaire et de notre patriotisme de reconstituer un jour notre frontière désarmée.

Vauban construisit encore dans les Alpes les places de Briançon et de Mont-Dauphin; sa dernière création fut le camp retranché de Dunkerque. Aujourd'hui, où la défense mobile par des armées opérant dans un espace étendu hors de l'enceinte est plus employée, bien des travaux de Vauban sont devenus inutiles, mais il eut le mérite d'être le créateur du génie moderne.

 

LES AUTRES TRAVAUX DE VAUBAN

Vauban ne considérait pas son devoir envers la patrie comme devant s'arrêter aux travaux de son art. Il fut bien souvent ingénieur civil et architecte. Il donna les plans de Rochefort, construisit Toulon et Brest et les jetées de Honfleur. Il indiqua l'importance des ports de Saint-Valery, d'Ambleteuse et de Cherbourg. Il proposa la canalisation de l'Aa (qui passe à Saint-Omer), donna un projet pour le canal d'Arles à Bouc (Bouches-du-Rhône), et étudia les moyens de joindre la Saône et la Loire, la Loire et la Vilaine.

Rien ne lui échappait de ce qui importait au bonheur de la France; et il entassait sur des sujets innombrables mémoires sur mémoires, qu'il réunit sous le nom de Mes Oisivetés, dont malheureusement sept volumes sur douze ont été perdus. A côté d'études sur l'agriculture où Vauban propose de meilleurs aménagements pour les forêts, pour l'élève du bétail, un nouveau régime colonial, il imagina tout un système de tentes-abris et de précautions sanitaires pour les soldats.

C'est à son initiative, que fut due, en 1693, la création de l'ordre de Saint-Louis, destiné à récompenser les officiers pauvres. Enfin, en 1698, il suggéra au ministre Pontchartrain de demander aux intendants leurs grands rapports sur la situation de la France.

Vauban a attaché son nom à la transformation du fusil, qui était employé, depuis le milieu du XVIIe siècle, comme une arme de tir perfectionnée. On avait donné à chaque fusilier un cheval de frise ou piquant en fer qu'il plantait devant lui pour arrêter les charges de cavalerie. Puis on emprunta aux Espagnols une arme blanche (vagneta, gaine, et non baïonnette de Bayonne), terminée par un manche court qu'on enfonçait dans le canon du fusil, devenu une simple pique; enfin on imagina de faire une baïonnette creuse attachée au fusil par une douille. Vauban propagea l'usage de la baïonnette à coude, qui restait au bout du fusil sans gêner le tir.

Lorsqu'il fut question d'amener l'eau de l'Eure à Versailles par l'aqueduc de Maintenon (1687) ce fut encore Vauban qui fut chargé des travaux : ils furent exécutés par vingt-deux bataillons de soldats et six escadrons de dragons; mais les maladies et les fièvres forcèrent de les interrompre dès 1690.

Il avait été aussi chargé, en 1684, de recevoir les travaux du canal du Midi, qui joignait la Garonne et la Méditerranée. L'entrepreneur Riquet était mort à la peine. En apercevant le grand bassin de Saint-Féréol, près de Castelnaudary, réservoir des eaux du canal, plein d'admiration, et incapable de jalousie, Vauban s'écria: « Il manque pourtant une chose : c'est la statue de Riquet. »

 

VAUBAN ÉCONOMISTE

Cette admiration pour l'homme qui avait ouvert par la jonction des deux mers, et malgré des obstacles sans cesse renaissants, une ère commerciale toute nouvelle pour le midi de la France, était inspirée à Vauban par la situation économique de notre patrie, alors beaucoup plus malheureuse qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Depuis longtemps quelques hommes clairvoyants ou généreux se préoccupaient de la misère du peuple. Avant Henri IV, au XVIe siècle, l'extrême cherté des denrées nécessaires à la vie excitait déjà l'inquiétude des écrivains, qui recherchaient les causes de la richesse et de la pauvreté des Français. Plus tard, la gloire extérieure des règnes de Louis XIII et de Louis XIV, sans diminuer les souffrances des pauvres, permit tout au moins de faire le silence sur les abus de l'organisation financière, qui étaient la principale source du mal.

A la fin de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, alors que Louis XIV avouait avec un sang-froid bien voisin de l'insensibilité, que la victoire appartiendrait à qui posséderait la dernière pièce d'or, les succès n'étaient plus assez brillants pour faire taire les cris des malheureux.

Un petit magistrat du présidial de Rouen (tribunal de ire instance), Bois-Guillebert, jusqu'alors inconnu, publia (1697) un livre auquel il avait donné le nom de « Détail de la France ».

Il y exposait, en effet, tout au long, toutes les tristesses des paysans et du petit peuple, et dévoilait hardiment les misères du temps, dont nous parlerons plus loin.

Avec tous les hommes dégagés des préjugés de caste, Bois-Guillebert voyait le mal dans l'inégalité de la répartition de l'impôt. Il aurait voulu supprimer tous les droits qui causent la cherté des objets de première nécessité, et créer un impôt unique d'un dixième sur tous les revenus.

Il obtint une audience du ministre Pontchartrain, qui, habitué aux expédients au jour le jour, qui caractérise la politique financière des successeurs de Colbert, railla les grands projets du petit conseiller de Rouen.

Mais Bois-Guillebert était de ces esprits ardents que l'insuccès ne décourage pas. Les nouveaux malheurs de la guerre de la succession d'Espagne rendirent ses convictions plus inébranlables encore ; et dans un nouveau livre, le « Factum de la France », qui parut en 1707, il exposa ses idées avec une véhémence plus pressante. Le contrôleur général était alors Chamillart, petit esprit, mais honnête homme, et qui cherchait partout un sauveur pour les finances de la France ; il se mit en relations avec Bois-Guillebert ; mais il fut effrayé du remaniement général que nécessiterait son système, il remit l'essai de ces théories à la conclusion de la paix.

Exaspéré par cette réponse, Bois-Guillebert publia en supplément au Factum une petite brochure portant pour titre cette question : Faut-il attendre la paix ? Fallait-il attendre la paix, disait-il pour sauver la France ? Fallait-il attendre la paix pour arrêter la banqueroute et soulager la misère populaire ? Le gouvernement absolu trouva ces questions indiscrètes; Bois-Guillebert fut exilé en Auvergne, et même, s'il faut en croire Saint-Simon, on aurait un instant pensé à lui faire payer son audace de la vie.

Bois-Guillebert était allié à la famille de Vauban ; il nous est permis de croire qu'ils se communiquèrent leurs craintes sur la situation de la France. A ce moment même, le vieux maréchal, partant du même point de départ que le magistrat rouennais, cherchait, à la fin de sa carrière, avec toute l'ardeur de la jeunesse, le moyen de prévenir la catastrophe sociale qu'il prévoyait.

Il ne connaissait que trop la misère générale par ses voyages continuels à travers la France.

« Je ne suis, disait-il, ni lettré, ni homme de finances ; mais je suis Français et très affectionné à mon pays. La vie errante que j'ai menée depuis quarante ans et plus, m'ayant donné l'occasion de visiter plusieurs fois la plus grande partie des provinces de ce royaume. J'ai trouvé souvent l'occasion d'en examiner l'état et celui des peuples dont la pauvreté ayant excité ma compassion, m'a donné lieu d'en rechercher les causes. » Vauban s'entoura de tous les renseignements possibles, fit faire à ses frais tous les calculs nécessaires, puis écrivit son fameux livre de la Dîme royale.

L'impôt foncier, la taille, comme on l'appelait alors, pesait uniquement sur les non-nobles ou roturiers, qui souffraient encore cruellement des aides, c'est-à-dire des impôts indirects mis sur les objets de première nécessité, des douanes intérieures, qui entravaient de province à province la circulation des marchandises, et surtout de l'impôt ou gabelle du sel, dont le prix était exorbitant, et dont il fallait consommer une quantité fixée par la loi, bien supérieure aux besoins réels. Le roturier, ruiné par les charges publiques, ruiné par les guerres, voyait encore les contrôleurs généraux ou ministres des finances, créer chaque jour de nouveaux impôts pour faire face aux dépenses de l'armée.

Il était dans une misère épouvantable; la dépopulation devenait effrayante, la famine devenait chose commune. Le cœur de Vauban n'avait pu supporter le spectacle de tant de malheurs et il avait résolu de chercher le remède.

Les douanes seigneuriales.

Pour lui tout sujet (noble ou roturier) doit payer l'impôt proportionnellement à sa richesse, c'est-à-dire au revenu. Il supprimait les impôts indirects, l'impôt foncier payé par les non nobles, les douanes et tous les impôts extraordinaires. En dehors de l'impôt général, il ne conservait que celui du sel, en le diminuant, et quelques impôts de luxe. Ces impôts secondaires étaient estimés par Vauban à 40 millions de livres; mais pour lui, l'impôt véritable était l'impôt sur le revenu. Il l'appelait la dîme royale, et comme il estimait le produit de l'agriculture en France à 1,200 millions, celui de l'industrie à 300, la dîme ou le dixième de ces 1,500 millions était de 150 millions. Le budget annuel de l'État, avec les 40 millions des autres impôts devait donc s'élever à 190 ou 200 millions de livres ( 800 millions d'aujourd'hui). Vauban conseillait de ne jamais dépasser ce chiffre.

Pour rendre la perception plus facile et ne pas enlever la monnaie des mains du paysan, qui en avait besoin pour ses échanges, il croyait pouvoir faire payer en argent seulement les revenus industriels. L'impôt agricole serait payé en nature, par exemple une gerbe de blé sur dix. Le gouvernement ne le recevrait pas sous cette forme, il adjugerait à des spéculateurs les produits de l'impôt, qu'ils revendraient. Les adjudicataires payeraient à l'Etat la somme à laquelle ces produits seraient estimés, en réservant leurs bénéfices et leurs frais.

Vauban se flattait de supprimer ainsi les impôts indirects sur les objets de consommation, impôts qui causent la cherté de la vie, et de rendre inutiles la plupart des fonctionnaires financiers, et des traitants, fermiers de tous les impôts autres que la taille, qui ruinaient la nation par la multiplicité des frais de perception. Il pensait mettre fin pour toujours « aux mangeries » de ces gros fermiers d'impôts qui s'enrichissaient de la misère publique.

L'impôt proportionnel sur le revenu était bien le meilleur de tous; mais les difficultés étaient grandes dans l'application. Vauban comptait sur le patriotisme de chacun pour ne pas dissimuler ses ressources, il comptait peut-être un peu imprudemment; en tous cas, il fut le premier avec Bois-Guillebert, à vouloir faire peser l'impôt indistinctement sur toutes les classes de la nation.

Vauban terminait son livre en demandant qu'on voulût bien expérimenter son système; mais il pensait bien que les personnes dont il attaquait ainsi la fortune s'élèveraient contre lui.

Aussi, il rédigea un mémoire qu'il ne publia pas alors, et qu'on a trouvé dans ses papiers, sous le titre de : Raisons secrètes contre la dîme royale. Ces raisons, c'était l'intérêt des financiers et la timidité des ministres, qui, ayant besoin des hommes d'argent n'osaient les froisser.

Cependant Louis XIV connaissait les théories de Vauban et n'était pas éloigné de les approuver, parce que la dîme royale, soumettant toutes les classes à l'impôt, favorisait ses idées de pouvoir absolu. Mais on était, alors, dans les misères de la guerre de succession d'Espagne. Le vieux roi oubliant son orgueil, s'était mis dans les mains des financiers pour trouver les sommes nécessaires à la guerre. Il lui fallait les ménager.

Quand le livre de Vauban parut au début de 1707, ce fut un cri général contre l'auteur. On l'accusa de vouloir renverser l'ancien état de choses, on rappela que Vauban avait blâmé la révocation de l'Édit de Nantes, et Louis XIV se laissa persuader de ne voir en lui « qu'un insensé pour l'amour du bien public ».

 

Un arrêté du 19 mars 1707, ordonna la saisie, la confiscation et la destruction du livre de Vauban. Le maréchal était alors malade à Paris, il avait soixante-quatorze ans. L'annonce subite de la disgrâce royale et de la condamnation de son ouvrage le frappa douloureusement: il s'alita avec la fièvre. Pendant sa courte maladie, il était poursuivi par le sentiment du châtiment immérité qui lui était infligé, et demandait à tous ceux qui l'approchaient, quel était le crime de son livre. Il mourut le 30 mars 1707. A cette nouvelle, Louis XIV se contenta de dire froidement : « J'ai perdu un homme qui m'était bien affectionné. »

 

VIE PRIVEE ET CARACTÈRE DE VAUBAN

La vie privée de Vauban est mal connue dans ses détails. Mais, dans un siècle où la famille était peu respectée, Vauban eut une conduite austère et digne. De son mariage, il eut deux filles : l'une qu'il maria à un ingénieur, M. de Mesgrigny, l'autre au marquis d'Ussé. Il sut donner à ceux de ses cousins qui portaient son nom, un appui généreux, sans exiger des faveurs injustes pour eux. Il conserva surtout pour le château de ses pères un attachement très vif; et lorsque ses occupations ne le retenaient pas à Paris et à Lille, ses principales résidences, il allait en Morvan pour prendre quelque repos. Il fit reconstruire le château de Bazoches, son manoir paternel, qu'il avait racheté après son mariage. Devenu l'un des grands personnages de la France, il n'oublia jamais ceux qui l'avaient connu dans son enfance pauvre et malheureux. Une anecdote nous le montre en 1690, parcourant son village natal de Saint-Léger-du-Fougeret et rappelant à une vieille femme qu'elle avait autrefois partagé avec lui son époigne (galette du pays).

Vauban est donc de ces hommes rares, qui restent fidèles à eux-mêmes pendant toute leur carrière; l'historien Saint-Simon qui l'admirait, et qui a créé pour lui le beau mot de patriote, tout fier de sa haute noblesse, trouvait Vauban de petite origine et de basse mine et a dit que « sa physionomie ne promettait rien ». Mais nous qui connaissons Vauban par des portraits authentiques, nous pouvons dire qu'il avait la figure austère et noble, les traits sérieux et calmes, l'attitude digne et résolue. Ce qui distinguait particulièrement le caractère de ce grand homme, après son ardent patriotisme, c'était l'horreur de « la friponnerie » : « Je ne pardonne pas aux fripons avérés, » disait-il; aussi il supportait difficilement qu'on doutât de sa probité, et nous avons vu qu'il ne pardonna jamais à Colbert la part involontaire qu'il avait prise dans l'affaire de Brisach. D'ailleurs, il était toujours prêt à faire la preuve de son désintéressement, et dans une lettre célèbre écrite à Louvois, il réclamait l'honneur de produire le premier ses comptes, et de donner l'exemple d'une éclatante probité.

Vauban fut aussi un des généraux, très peu nombreux à cette époque, qui eussent le respect de la vie humaine; il prenait les soins les plus prudents pour la sûreté des soldats. « Brûlons plus de poudre et versons moins de sang », avait-il coutume de dire. Les « bombarderies » inutiles l'exaspéraient, et il n'hésitait pas à s'y opposer, même en présence de Louis XIV ; et cependant Vauban était courageux et risquait sans hésiter sa vie pour reconnaître les points faibles d'une forteresse. Il fut souvent blessé; et il fallut que Louvois le « grondât » de sa témérité et recommandât aux chefs de corps de veiller sur lui.

Mais résolu à tout hasarder pour accomplir son devoir, Vauban prenait d'autant plus de soin d'adoucir les horreurs de la guerre pour les autres. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que cet homme, si humain, fût aussi très tolérant en matière religieuse. A ce titre la révocation de l'Édit de Nantes (1685) qui supprimait en France la religion protestante, l'attrista profondément.

Il fit, en 1689, passer à Louis XIV un mémoire dans lequel il mettait sous ses yeux les conséquences de cette mesure funeste : trente millions perdus, vingt mille soldats passés à l'étranger, six cent mille citoyens industrieux émigrés dans les Pays-Bas, en Angleterre, en Allemagne; il concluait au rappel des Réformés, au rétablissement de l'Édit de Nantes. « Il faut, ajoutait-il, exterminer les protestants nouveaux comme des rebelles, ou les chasser comme des furieux, projets détestables et contraires à toutes les vertus chrétiennes, morales et civiles. » Il fallait un grand courage pour qualifier ainsi la persécution religieuse, grâce à laquelle Louis XIV espérait racheter les scandales et les fautes de sa vie. C'est que Vauban, malgré son respect pour le roi et pour les ministres, ignorait la flatterie, et tout en se tenant à sa place parlait toujours le langage de la vérité. Le soin de sa carrière ne nuisait jamais au soin de sa dignité ; c'est lui qui répondait à Louvois, qui lui avait adressé des reproches immérités et peu mesurés sur des travaux exécutés dans le nord de la France: « Tout ce que je puis vous dire, c'est « que je n'y toucherai absolument pas, si vous « ne parlez autrement. »

Aussi par la grandeur des services rendus, par l'éclat de ses talents, la conviction de son patriotisme, l'intégrité de sa vie et la hauteur de son caractère, Vauban est un des plus grands Français de notre histoire, et il reste à travers les siècles et les révolutions, selon l'expression de Saint-Simon « porté dans le cœur » de tous ses concitoyens, et comme on l'a dit aussi, l'un des premiers représentants des vertus républicaines"»

Vauban (2e édition) / par Paul Bondois,...

 

 

Projet 1753 - Fortifications Vauban du système défensif des cotes de l'Atlantique au cours de la guerre de la Ligue d'Augsbourg.

En 1628, après la prise de La Rochelle, Louis XIV prescrivit la destruction de tous les châteaux forts. Fouras fut épargné en raison de sa situation importante à l'entrée de la Charente et devint forteresse d'État. On y fit des travaux considérables afin, durant la guerre avec la Hollande, de mettre cette forteresse à l'abri d'un coup de main de sa flotte....

 

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