28 mars 1816 Exhumation et transfert des restes du corps d’Henri Duvergier La Rochejaquelein à Saint-Aubin Baubigné.
Mort au combat le 28 janvier 1794 (à 21 ans) à Nuaillé . Le corps de la Rochejaquelein est enseveli à la place même où il a été atteint d'un coup mortel.
Afin que son cadavre ne soit point identifié, on affuble son chapeau de la cocarde prise sur son meurtier, puis son compagnon d'armes Jean-Nicolas Stofflet lui enlève ses vêtements et lui taillade le visage à coups de sabre en sanglotant :
« J'ai perdu ce que j'avais de plus cher au monde ».
En réalité Monsieur Henri ne fut pas enseveli sur le lieu de son trépas mais 500 m plus loin en contrebas à l'emplacement de son cénotaphe que l'on voit près de la route nationale 160 Angers-Cholet qui n'existait pas à l'époque. L'emplacement du trépas se trouve sur cette même route, à environ 1 500 m de la sortie de Nuaillé vers Cholet.
Les restes de Monsieur Henri sont exhumés le 28 mars 1816 en présence du maire de Cholet, M. Turpault, puis conduits en l’église Saint-Pierre de Cholet et déposé sous l’autel Saint-Sébastien.
Depuis le 7 mai 1817, il repose dans l'église de Saint-Aubin-de-Baubigné, dans sa paroisse natale, avec ses deux frères : Louis et Auguste.
ACTE DE DÉCÈS.
Le vingt-six fructidor, an dix de la République Française.
Par devant les notaires à la résidence de Châtillon, département des Deux-Sèvres, duement patentés soussignés.
Furent présents en personnes, Jean-Baptiste Charruault, instituteur ; Louis Morin, maréchal ; François Charrier, maréchal ; Joseph Charrier, aussi maréchal ; René Abélard, maçon; Pierre Drouineau, cultivateur; Jean Charrier, tailleur d'habits, demeurant tous au bourg et commune de Saint-Aubin de Beaubigné et René Guicheteau, tailleur d'habits demeurant au bourg et commune de Saint-Jouin de Châtillon-sur-Sèvre.
Lesquels ont par ces présentes certifié pour notoriété à qui il appartiendra avoir une parfaite connaissance de la mort du citoyen Henry Duvergier La Rochejaquelein, fils du citoyen Henry-Louis-Auguste Duvergier La Rochejaquelein et de dame Lucie - Bonne - Constance Caumont, âgé de vingt-et-un ans, arrivée par suite de la guerre de la Vendée, à Nuaillé, département de Maine-et-Loire, le dix-sept pluviôse an deux (six février mil sept cent quatre-vingt-quatorze vieux style (1)
Dont acte fait et passé à Châtillon, étude de Chessé, un des notaires soussignés, le jour, l'an prédits, lû aux comparants qui ont signé.
La minute des Présents est signée :
Louis MORIN, maréchal; FRANÇOIS CHARRIER; JEAN-JOSEPH CHARRIER, JEAN CHARRIER ; JEAN-BAPTISTE CHARRUAU ; PIERRE DROUINEAU; T. ABELARD; GHICHETEAU; BELLINK, notaire ; CHESSÉ, notaire, auquel elle est demeurée.
- Enregistré -à-Châtillon, le vingt-six: fructidor an dix, fo 99, v° e. 7. Reçu un franc dix centimes pour subvention.
Signé : GERBAUD.
BELLINK.
CHESSÉ,
Nous, maire de Châtillon-sur-Sèvre, certifions véritables les signatures de l'autre part des citoyens Chessé et Bellink, notaires publics domiciliés en cette commune.
À la mairie, ce vingt-huit fructidor an dix de la République Française.
BARBOT, .maire,
ACTE D'EXHUMATION.
Le vingt-huitième jour de mars mil huit cent seize, nuus Denis Hocborq: docteur médecin à Cholet; Pierre Germain Chenay, chirurgien à Nueil ; Louis-Jean-Baptiste-Etienne-Baguenier Désormaux, chirurgien à Maulévrier, tous les deux chirurgiens majors des armées royales de la Vendée, et René-Jean Terrien, chirurgien à Trémentines, requis par Mademoiselle Louise du Vergier de La Rochejaquelein, sœur de Monsieur Henri du Vergier de La Rochejaquelein, généralissime et commandant en chef l'armée royale de la Vendée, dite la grande armée, nous sommes transportés à la métairie de la Haie Bureau, commune de Cholet, à l'effet de procéder à l'exhumation des restes de Monsieur Henri du Vergier de La Rochejaquelein, tué à l'âge de 21 ans, le ….février 1794, fils de feu Monsieur Henri-Louis-Auguste du Vergier, marquis de La Rochejaquelein, maréchal de camp, et de dame Constance-Bonne-Lucie de Caumont, d'après l'autorisation de Monsieur le préfet du département de Maine-et-Loire-, contenue en son arrêté du 6 février 1816, et ce, en présence de Monsieur François-Joseph-Paul Turpault, maire de la dite commune de Cholet.
Pour parvenir à découvrir le lieu où a été inhumé mon dit sieur de La Rochejaquelein, M. le maire de Cholet a entendu les déclarations des différents témoins qui ont eu connaissance des circonstances de la mort et de l'inhumation.
Le premier témoin, nommé Perrine Bernier, veuve Roution, demeurant à la métairie de la Boulinière, commune de Cholet, a dit qu'au moment du combat qui eut lieu le…. février 1794, près de la métairie de la Haie Bureau, elle se trouvait à la dite métairie de la Boulinière d'où elle a vu très distinctement l'avant-garde à cheval des Royalistes s'avancer par le champ des Trembles ; qu'au même instant elle a entendu plusieurs coups de fusils et qu’alors l’infanterie royaliste était à la métairie de la Brissonnière.
Elle déclare en outre que feu Pierre Bernier, son frère, lui a assuré que Monsieur Henri de La Rochejaquelein avait été tué au moment même où elle avait vu les Royalistes dans les positions ci-dessus désignées et où elle avait entendu les coups de fusils. Laquelle déclaration elle a signée après lecture faite.
Signé : PERRINE BERNIER.
La déclaration ci-dessus a été confirmée par celle de Marie Mosset, veuve de Pierre Bernier, à qui son mari avait fait le môme rapport qu'à Perrine Bernier.
Le second témoin, nommé Louis Fortin, métayer au Bois-d'Ouin commune de Cholet, a déclaré que, peu de jours après le….. février 1794, le général Stofflet lui avait dit avoir fait enterrer Monsieur Henri de La Rochejaquelein, que Grégoire domestique de M. Stofflet, lui avait assuré, quelque temps après, qu'il avait été enterré auprès de plusieurs cerisiers près la Haie Bureau, ce que le dit Fortin a entendu répéter par beaucoup de personnes.
Qu'il a souvent entendu dire que M. Henri de La Rochejaquelein avait reçu une balle dans le visage.
Le dit Fortin a déclaré ne savoir signer.
Joseph Rotureau, métayer de la Haie Bureau, a indiqué l'endroit où il a abattu les cerisiers dont a parlé Furtin et qui existaient eu 1794, ainsi qu'un poirier au pied duquel il était de notoriété publique que s'était faite l'inhumation du corps de Monsieur Henri de La Rochejaquelein.
Monsieur Chenay, chirurgien susdit, déclare que le jour du décès de Monsieur Henri du Vergier de La Rochejaquelein, il recueillit des dépositions de plusieurs témoins oculaires qui attestèrent que M. de La Rochejaquelein avait reçu la blessure dont il est mort dans la tête ; que la balle était entrée par l'œil et avait défoncé le crâne.
D'après les déclarations ci-dessus et d'autres concordantes, nous, médecin et chirurgien susdits, avons fait faire des fouilles dans les endroits indiqués, afin de parvenir à l'exhumation dont il s'agit et après plusieurs recherches, nous avons trouvé une tête à laquelle nous avons remarqué deux fractures qui nous ont paru avoir été faites par une arme à feu ; la première à la fosse orbitaire droite avec brisure de l'apophyse montante de l'os maxillaire supérieur du même côté, la seconde vers le milieu du pariétal droit, dont la table externe a été emportée ; passant ensuite à l'examen des autres os, nous avons reconnus deux fémurs; dont les apophyses sont détruites, un des os des iles du côté gauche, deux humérus dont un est entièrement dépourvus de ses apophyses et dont l'autre a conservé seulement sa tête, plusieurs fragments des premières côtes du côté gauche, un péroné, une portion de l'os sacrum et plusieurs autres petits os qu'il est impossible, d'énumérer.
Tous ces os ont été considérablement altérés, ce qui empêche de déterminer la stature de l'individu. Néanmoins, nous avons remarqué que ces os devaient appartenir à un jeune homme d'une taille élevée, à raison de leur longueur et du défaut de consistance. Les déclarations des témoins sur la blessure qu'a reçue Monsieur Henri du Vergier de La Rochejaquelein, desquelles il résulte que la balle était entrée par l'œil et l'état de la tête que nous avons exhumée qui est fracturée précisément à la fosse orbitaire, prouvent clairement que les ossements exhumés sont ceux de mon dit sieur Henri de La Rochejaquelein.
En conséquence nous avons fait placer ces ossements dans une bière que nous avons fait transporter dans l'église de Saint-Pierre de Cholet, sous l'autel de Saint-Sébastien, ce jourd'hui à une heure après-midi.
Le transport a eu lieu sous l'escorte d'un détachement de Vendéens qui se sont présentés spontanément à cet effet.
Le convoi a été reçu à l'entrée de la ville avec les cérémonies d'usage, par le clergé réuni, et Monsieur le maire de Cholet, à la fin de la cérémonie, a apposé les scellés sur la bière, avec le cachet de la mairie sur cire noire.
De quoi nous avons rédigé le présent procès-verbal que nous avons signé, ainsi que M. le maire de Cholet; le tout en présence de Mademoiselle Louise du Vergier de La Rochejaquelein.
Fait à Cholet les jours et an que dessus.
La minute est signée :
HOCBOCQ ; BAGUENIER - DESORMEAUX ; TERRIEN ; CHÉNAY ; RAIMBAULT, principal du collège ; PIERRE BOUSSION, ex-commandant de place ; ROUSSELOT ; ÀLLION ; BEURIER, curé de Cholet ; LOUISE DE LA ROCHEJAQUELEIN; TURPAULT fils ainé, maire.
MAIRIE DE CHOLET.
4me arrondissement de Maine-et-Loire.
Ce jourd'hui sixième jour de mai mil huit cent dix-sept à sept heures du soir.
Nous, François-Joseph-Paul Turpault, maire de Cholet, accompagné de MM. Denis Hochocq, médecin, Henri Allard, lieutenant-colonel, chevalier de Saint-Louis, résidant à Thouars ; Pierre et René Jagault, l'un archiprêtre à Thouars, l'autre prêtre bénédictin, et Pierre-Germain Chesnay, chirurgien à Nueil ; en présence d'une foule d'habitants ; nous sommes transportés à l'église Saint-Pierre de Cholet, avons trouvé, sous l'autel Saint-Sébastien, la bière que nous y avions déposée, suivant le procès-verbal du 28 mars dernier ; nous avons reconnu que les scellés que nous y avions apposés étaient sains et entiers.
Nous avons retiré les ossements de cette bière et les avons replacés dans un cercueil de fer-blanc, de couleur grise ; nous y avons mis du charbon pour la conservation des ossements et nous l'avons fermé.
Sur ce cercueil se trouve attachée une plaque de cuivre sur laquelle est gravée une inscription en ces termes :
« Henri de La Rochejaquelein, né le 30 août 1772, tué le 9 février 1794. »
Ce cercueil a été renfermé dans un autre cercueil de bois de chêne ; on a également mis du charbon dans celui-ci ; ce dernier cercueil a été fermé et scellé par des bandes de papier, sur lesquelles nous avons apposé le cachet de la mairie sur cire noire ; après quoi il a été déposé sous l'autel Saint-Sébastien. Et nous avons rédigé le présent procès-verbal que nous avons signé avec les sus-nommés.
Signé :
HOCBOCQ, d.-m. ; CHESNAY; L. ALLARD; PIERRE JAGAULT; R. JAGAULT ; TURPAULT fils aîné.
Et ce jourd'hui sept mai mil huit cent dix-sept, à neuf heures du matin, il a été célébré dans l'église Saint-Pierre de Cholet, un service funèbre avec les cérémonies religieuses d'usage; où se trouvaient MM. les curés et prêtres de Cholet et de beaucoup de communes environnantes ; auquel ont assisté Monsieur Auguste de La Rochejaquelein, chevalier de Saint-Louis, colonel des grenadiers à cheval de la Garde Royale ; Madame Constance de La Rochejaquelein, veuve de M. Guerry de Beauregard, Mesdemoiselles Louise et Lucie de La Rochejaquelein, frère et sœurs de M. Henri de La Rochejaquelein ; Mesdemoiselles Adèle et Sophie Guerry de Beauregard, ses nièces; Monsieur de Sapinaud, lieutenant général, commandant de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis; M. de Béjarry, chevalier de Saint-Louis, sous-préfet de l'arrondissement de Beaupréau ; les membres du tribunal de première instance de Beaupréau ; ceux du tribunal de commerce de Cholet ; les membres des autorités civiles et judiciaires de Bressuire ; toutes les autorités et fonctionnaires de Cholet ; une grande quantité d'officiers de l'armée royale vendéenne ; M. le capitaine de la gendarmerie royale de Maine-et-Loire ; M. le lieutenant en résidence à Beaupréau, les officiers en retraite et en non-activité résidant à Cholet. La gendarmerie royale des brigades d'Angers, de l'arrondissement de Beaupréau et des arrondissements voisins, ainsi que la garde nationale de Cholet, étaient sous les armes.
A l'issue de la cérémonie, les restes de Monsieur Henri de La Rochejaquelein, renfermés comme il est dit au procès-verbal précédent, sont partis pour être transportés à Saint-Aubin Baubigné, lieu de la sépulture de ses ancêtres, sous une escorte de militaires et d'assistants en tête de laquelle étaient Monsieur et Mesdames de La Rochejaquelein ci-dessus nommés.
De tout quoi nous avons dressé le présent procès-verbal, clos par nous, maire de Cholet, et signé par les sus-dénommés. A Cholet le dit jour et an.
Signé :
AUGUSTE ROCHEJAQUELEIN ; CONSTANCE DE LA ROCHEJAQUELEIN GUERRY DE BEAUREGARD ; LOUISE DE LA ROCHEJAQUELEIN ; LUCIE DE LA ROCHEJAQUELEIN ; ADÈLE DE GUERRY DE BEAUREGARD ; SOPHIE DE GUERRY DE BEAUREGARD ; AM. DE BÉJARRY, sous - préfet de Beaupréau ; ALEX. ROLLAND, président ; DE LA GARDE, pr du Roi ; le capitaine commandant la gendarmerie Royale , le chevalier DE VAUGIRAUD ; DE SUYROT, lieutenant de gendarmerie ; LAMARQUE , sous-préfet de Parthenay ; DE LARCHENAULT, lieutenant de gendarmerie Royale ; ARNAULD DE LA MESNARDIÈRE , 1er adjoint de Parthenay ; RENAUDIN DE LEIGNÉ ; PASTUVAT, aumônier de ……; le marquis DE JOUSSELIN ; L. ALLARD, chevalier de Saint-Louis ; LEMAIGNAN ; NAU ; BLUTEAUD DE BONNE ; CHESNAY ; COULON, chevalier de Saint-Louis ; Comte DE CHASTENET DE PUYSÉGUR; MAS. DE MONSOUDUN, grenadier de La Rochejaquelein ; BARRION, chevalier de Saint-Louis ; BAGUENIER DES ORMEAUX; AUG. DE LA BÉRAUDIÈRE; le comte DE KERMAR , chevalier de Saint-Louis; BELIN, chef de division, chevalier de Saint-Louis ; LEGEAY, chef de bataillon ; MUMHOT ; et TURPAULT fils aîné, maire.
ÉLOGE DE MONSIEUR HENRI DE LA ROCHEJAQUELEIN PRONONCÉ PAR MONSEIGNEUR DE CABRIÈRES (30 Août 1772 — 28 Janvier 1794).
ÉVÊQUE DE MONTPELLIER A SAINT-AUBIN-DE-BAUBIGNÉ
LE XXVI SEPTEMBRE MDCCCXCV
AVANT L’INAUGURATION DE LA STATUE DU GÉNÉRALISSIME DE L’ARMÉE VENDÉENNE
« Et hac est Victoria, quavincit tnundum, fides nostra ».
« La victoire, qui triomphe du monde, c'est notre foi ».
( Ire Ép. de S. Jean, V, 4. )
MESSEIGNEURS (2),
MES RÉVÉRENDISSIMES PÈRES (3),
MES FRÈRES,
A foi, dont parlait ici le Disciple bien-aimè , c’est la foi surnaturelle et proprement dite, c’est la foi, qui triomphe des sophismes de l’hérésie ou bien des suggestions coupables, dont l’erreur est la source.
Mais, permettez-moi d’entendre, en ce moment, la foi dans un autre sens, de l’envisager sous un autre aspect. La foi, telle que je la considère aujourd’hui, c’est la foi comme vertu civile ; c’est la fidélité aux traditions nationales et domestiques ; c’est le culte du devoir et de l’honneur, porté jusqu’au sacrifice, jusqu’à la mort. Et cette foi, cette fidélité, c’est l’unique ressource des sociétés en péril.
Pour vaincre alors, pour triompher de ces crises, dans lesquelles les peuples sont près de périr, il faut aux hommes le point d’appui de convictions généreuses et fortes, qu’ils ne laissent pas mettre en discussion, et sur lesquelles ils établissent les principes de leur conduite privée, aussi bien que ceux de leur conduite publique.
Mais il ne faut pas se tromper sur la portée ni sur l’échéance de cette victoire. Ce n’est pas d’ordinaire un triomphe immédiat, ni même prochain. La Providence permet souvent, au contraire, que les croyants, les fidèles, ceux que l’on appelle « les bons », par opposition avec ceux qui se font les propagateurs et les champions des doctrines antichrétiennes et antisociales, succombent momentanément, et soient vaincus par la force matérielle de leurs adversaires. C’est un défi que Dieu, dans sa toute-puissance, jette aux «méchants», dont le pouvoir expire aux frontières du temps. Il se réserve à Lui-même l’éternité, pour la récompense comme pour le châtiment. Et c’est alors, c’est quand II prend le rôle déjugé, que la victoire réelle et définitive du bien sur le mal apparaît. Les défaites passagères n’ont servi qu’à préparer une moisson plus abondante de lauriers et de couronnes, — lauriers et couronnes, qui ne se flétriront jamais.
Voilà, mes Frères, pourquoi je n’ai sur les lèvres, à cette heure, que le mot de victoire. Henri de La Rochejaquelein, dont le grand souvenir nous rassemble, après un siècle écoulé depuis sa mort, n’est-il pas un victorieux, dont cette foule immense atteste le triomphe ? Et le soleil radieux, qui dore aujourd’hui et réchauffe sa tombe, n’est-il pas l’image sensible du rayonnement impérissable de sa gloire ? Tout chrétien, tout homme de coeur s’incline avec respect devant cette mémoire si pure, si vraiment héroïque, que les années n’ont pas seulement laissée survivre à tant de révolutions et de ruines, mais qu’elles ont fait monter vers un horizon de plus en plus serein et lumineux.
Ne dites point, mes Frères , que l’enthousiasme m emporte : mais n’est-il pas vrai que , de nos jours, les défaites des plus belles causes apparaissent déjà comme des victoires ? Est-ce que Pimodan, Lamoricière, Kanzler, Charette, n’ont pas tous été vaincus? Est-ce qu’ils sont, en réalité, autre chose que des victorieux? Et si je m’élève plus haut, Pie IX, qu’ils ont tant aimé et si bien servi, Pie IX n a-t-il pas été, comme eux, un vaincu ? N’a-t-il pas été aussi, même après la chute de son pouvoir temporel, même après l'invasion de sa capitale, un victorieux? Et lorsque, il y a six jours, à l’occasion d’un douloureux anniversaire, vous écoutiez le bruit que l’on faisait autour du Vatican et de Léon XIII, pour célébrer l’achèvement criminel d’une oeuvre, dont tous les progrès ont été marqués par des actes de trahison, de brigandage et de meurtre, s’il vous avait fallu prononcer de quel côté se trouvait la défaite, de quel côté la victoire : entre la Croix de Savoie profanée et l’Écusson Pontifical, jeté à terre, auriez-vous hésité ? auriez-vous mis le vainqueur au Quirinal ?
Laissez-moi donc vous développer ce paradoxe : la victoire n’est pas où l’homme la suppose, elle est là où Dieu la met et la voit. Et quand, après ces solennités mémorables, si brillantes et si belles, vous serez rentrés dans le calme de vos demeures, réfléchissez sur les émotions puissantes que vous aurez reçues, et vous vous direz avec moi, en paraphrasant le mot de Bossuet : il y a des défaites, triomphantes à l’égal des plus éclatantes victoires !
I.
A première victoire, que dut remporter Henri de La Rochejaquelein, ce fut celle d'un enfant tout jeune, qui surmonte la légèreté naturelle de son âge. Il n’avait guère plus de dix ans, quand il fut placé, bien loin de sa famille et de son pays, à l’école militaire de Sorèze. On ne dit pas qu’il y ait montré beaucoup d’application, ni qu’il y ait conquis beaucoup de succès dans les études classiques. Mais il apprit, vite et bien, tout ce qui touchait aux exercices militaires; et quand, après trois années de stage, dans la vieille abbaye bénédictine, il reçut son brevet de sous-lieutenant, si sa science n’était pas très étendue, à d’autres égards, il avait pourtant justifié très suffisamment la concession du diplôme, qui lui ouvrait la carrière des armes.
Vers 1785, le jeune officier entrait à Landrecies, au régiment de Royal-Pologne-Cavalerie (4), dont son père, le marquis de La Rochejaquelein, était colonel. Quoique pour-suivie sous les yeux d’un chef, dont il était le fils aîné, la formation militaire d’Henri n’en fut pas moins sérieuse et presque dure. Comme la vocation religieuse, la conscience du soldat a des heures « où un enthousiasme sacré pousse les coeurs au-delà des bornes, dont la prudence humaine est communément esclave » (5). On raconte que, dans une manoeuvre, le cheval de Henri butta et jeta à terre son cavalier ; l'escadron hésitant semblait prêt à s’arrêter pour laisser le sous-lieutenant se remettre en selle. D’un geste impérieux, le colonel indiqua qu’il fallait passer outre, au risque de fouler, sous les pas des chevaux, le pauvre enfant désarçonné.
Sous une discipline tellement vigoureuse, Henri devint un véritable soldat. Ferme, résolu, sagace, il apprit à conduire ses hommes avec intelligence et énergie. Aussi, par son mérite, plus encore que par son nom et par ses alliances, fut-il désigné au choix de Louis XVI, quand ce malheureux prince, si digne d’être aimé, voulut se donner une garde spéciale, vers la fin de l’année 1791. Placé plus près du Roi, La Rochejaquelein s’attacha à lui avec passion, passion d’autant plus exaltée que les moments étaient plus critiques, et que tout était à craindre de la part de misérables, altérés de sang.
Les attaques furieuses du 20 juin et du 10 août 1792, en ébranlant, jusque dans ses dernières bases, l’édifice de la monarchie, montrèrent à quels excès la France allait être livrée, quand , son souverain légitime étant réduit à la plus dure captivité, elle tomberait sous une affreuse et abjecte tyrannie.
Henri combattit vaillamment pour Louis XVI, dans les Tuileries envahies, avec les Suisses, avec son cousin, M. de Lescure, et, sans le savoir peut-être, aux côtés de M. de Charette, le futur général vendéen. Puis, quand par l’ordre même du Roi, la résistance cessa, il s’enfuit, à travers mille dangers, d’abord dans un quartier moins agité de Paris, et ensuite dans la terre natale de la Durbelière, que ses parents avaient abandonnée pour essayer de se joindre à l’armée de Condé. On peut aisément deviner quels sentiments fermentaient dans l’âme de ce jeune homme de vingt ans, appelé à être le témoin de scènes si terribles, et qui voyait menacées à la fois et par les mêmes coups la Religion et la Royauté.
II
PLUS heureux, et surtout mieux garanti que beaucoup de jeunes gens de son âge et de sa condition, Henri avait, en effet, conservé l’intégrité de sa foi et celle de ses moeurs! Un ange gardien, visible, veillait sur lui. C’était sa tante, Anne-Henriette (dont la maison, dite du Rabot, est ici, près! que contiguë à l'église) ; cette pieuse femme, toute consacrée aux oeuvres charitables, observait, avec une sorte de jalousie maternelle, les moindres mouvements de l’âme de son neveu; et c’est elle qui, pénétrée de reconnaissance envers Dieu, a rendu au héros ce touchant témoignage : « il était bon sujet et sévère sur ses devoirs ». Croyant, comme l’étaient les chevaliers, ses ancêtres, Henri avait dédaigné les railleuses plaisanteries des fils de Voltaire ; il avait traversé, sans en être impressionné, l’atmosphère de Versailles, d’où la vertu de Louis XVI n’était pas parvenue à chasser complètement les miasmes impurs, amassés par la corruption cynique de Louis XV. C’était, dans un corps robuste, un coeur sain et chaste, capable de tous les dévouements, sensible à toutes les nobles amours.
Avait-il déjà le pressentiment de sa destinée ? Aspirait-il à tenter quelque chose de grand pour Dieu et pour la France ? On lui a prêté cette parole, à son départ de la capitale ensanglantée : « Je vais dans ma province, et bientôt on parlera de moi » (6). Ce n’était, en tout cas, rien de précis : il marchait au- devant de l’avenir, l’appelant peut-être, mais ne le connaissant pas.
Un incident allait bientôt déchirer devant ses yeux ce voile, obscur et le jeter sur le chemin, où il rencontrerait si vite la gloire et la mort.
Comme il était attaché à son Dieu, La Rochejaqueleiu l’était à son prince et à la monarchie. Lié par des serments au Roi, dont il avait vu les dernières joies et les premiers malheurs, il ne se demandait même pas s'il pouvait accepter un autre régime et suivre un autre drapeau. Sa fidélité à la cause royale était absolue, parce qu'elle était pour lui celle de l’honneur et du devoir.
Avait-il lu dans Cicéron, au troisième livre de sa République, la noble pensée, si bien commentée par saint Augustin, à la fin de son Traité sur la Cité de Dieu ? Je ne le suppose point. Mais, d’instinct, il avait saisi et accepté la doctrine de l’orateur romain : « La loi fondamentale d’une société bien ordonnée, c’est de durer toujours : débet constituta sic esse civitas ut aeeterna sit ! » Et comment une ville, un Etat peuvent-ils être éternels ? C’est, disait saint Augustin, lorsque les détails moins importants, les organes secondaires de la vie publique suivent la loi commune, et se modifient, selon la nécessité des temps, tandis que le fond de la constitution, son principe vital, ses formes essentielles demeurent constamment les mêmes. « Voyez, s’écriait l’éloquent évêque, voyez ce vieil et puissant olivier, ou ce laurier, à la vaste ramure : ils mourront, si vous touchez à leurs racines, à leur tronc, à leurs branches ; laissez, au contraire, les feuilles se flétrir et tomber une à une, elles renaîtront avec le printemps, et ces arbres vénérables n’auront rien perdu de leur vigueur ni de la fraîcheur que donne leur épais feuillage : Perennis est obacitas oleae vel lauri, singulorum lapsu ortuque foliorum » (7)
Henri de La Rochejaquelein comprenait qu’on sacrifiât des formes vieillies, des abus invétérés; mais il eût regardé comme une trahison envers la France elle-même d’en altérer 1’antique constitution. Aussi, pendant le douloureux hiver de 1792, à mesure que lui parvenaient, en province, les nouvelles de rétablissement de la République, de la déchéance, prononcée contre la famille royale, de la captivité, de plus en plus étroite, où gémissait l’infortuné Louis XVI, Henri subissait-il un véritable martyre. C’était pour lui une agonie de toutes les heures.
Il se trouvait alors à Clisson , chez son cousin , le marquis de Lescure, dont il partageait la piété, dont il admirait la vertu, et à qui il confiait ses angoisses et ses incertitudes. La mort du Roi, décapité le 21 janvier 1793 jeta la Vendée entière dans la stupeur; et les hôtes du château de Clisson ressentirent une indignation, mêlée de colère et de désespoir, en se représentant cet échafaud, sur lequel le Fils de saint Louis, « innocent de tous les crimes qu’on lui imputait », était monté avec tant de courage et de majesté.
Un mois a peine, après cette épouvantable catastrophe, le 24 février, un décret de la Convention décréta une levée de trois cents mille hommes, pour renforcer les armées de la République, engagées sur les frontières dans des guerres sanglantes. Les populations vendéennes, demeurées jusque-là paisibles, malgré l’horreur que leur inspiraient et les prêtres « assermentés », qui n’avaient pas leur confiance, et les meurtriers du Roi, se soulevèrent contre cet impôt du sang qu’on prétendait exiger d’elles. A la lutte contre des ennemis qu’elles ne connaissaient point, et pour des causes qu’elles supposaient injustes, elles préférèrent la lutte pour leurs autels et leurs foyers. Ne voulant pas être les soldats de ceux qui avaient assassiné Louis XVI et accaparé les biens nationaux, pères, Messieurs, se firent les vengeurs de la Religion persécutée, de la Royauté meurtrie ; et ils arborèrent, avec le drapeau blanc, l’image du Sacré-Coeur, dont le bienheureux Grignon de Montfort et le P. Maunoir leur avaient montré la touchante signification.
III
SOLLICITÉ par son propre courage, Henri de La Roche-jaquelein attendait, avec impatience,- le signal, qui lui indiquerait enfin à quel moment il lui serait permis de tirer l’épée et de tenter quelque chose pour la défense de sa foi et pour celle de son prince. Mais il hésitait encore, quand, de Saint-Aubin, où elle se consumait en prières ardentes en faveur de la France, sa tante, Mlle. Anne-Henriette, lui envoya un messager pour l’engager à venir auprès d’elle. Sans aucun doute, elle voulait être la première à armer la main de son neveu ; et celui-ci, comprenant à demi-mot cet appel de la religion et de l’honneur, fait par une voix si chère, au nom des aïeux et au nom de la famille absente, répondit, en prenant la route du village, où sa vocation allait lui être révélée.
Après une courte apparition à Cholet, auprès de Cathelineau, Henri revint à la Durbelière (8).
Là, le 17 avril 1793, il rencontra, dans la cour du château, tous les hommes valides, tous les jeunes gens des campagnes voisines ; et c’est devant eux, quand il eut entendu les supplications réitérées par lesquelles on le conjurait d’accepter le commandement de cette troupe dévouée et vaillante, c’est alors que, contenant avec peine les battements de son coeur, il leur adressa le mâle discours, dont les dernières paroles ornent aujourd’hui sa statue, et retentiront jusque dans la postérité la plus lointaine.
« Si mon père était parmi vous, dit-il, il vous inspirerait plus de confiance. Vous me connaissez à peine, et je suis un enfant. Je vous prouverai du moins que je suis digne d’être à votre tête.
Si j’avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi, si je meurs, vengez-moi » (9).
Puis, relevant la tête, il montra à ces paysans ravis son beau visage, transfiguré par l’héroïsme.
Le génie de la guerre avait touché de sa flamme ce front de vingt ans. L’adolescent n’existait plus, l’enfant était tout à coup devenu un homme, et cet homme était né pour être général !
N’oubliez point, Messieurs et mes Frères, cette date du 17 avril 1793 - C’est à elle que remonte la gloire impérissable de Saint-Aubin ; et quelque jour, je l’espère, gravée sur vos murailles, elle vous permettra de revendiquer, pour ' cette humble et religieuse paroisse, le beau nom de Saint-Aubin-la-Victoire !
IV
ELU comme chef, La Rochejaquelein résolut de triompher sans retard des difficultés que sa jeunesse et son inexpérience pu lui créer pour le commandement. Il voulut être le plus hardi, le plus vaillant, le plus téméraire des soldats, afin de se créer, par un courage exceptionnel, le droit de tout demander à l’intrépidité de ceux qu’il conduirait au feu. Selon la parole antique, il mérita d’être craint parce qu’il ne craignait rien lui-même : rneruitque timeri, nil metuens !
On le vit, dès lors, se mettre toujours au premier rang quand il fallait affronter l’ennemi, et l’amour de la gloire lui fit dédaigner celui de la vie. La tête couverte d’un foulard rouge, un autre foulard de même couleur négligemment attaché autour du cou et à la ceinture, il dressait fièrement sa haute taille au-dessus des talus et des échelles d’assaut. Quand le danger était plus grand, il faisait un signe de croix et se jetait en avant, comme pour voir de plus près le péril.
Au siège de Thouars, n’ayant pas de canons, il fit attaquer les remparts à coups de pique ; et lui-même, monte sur les épaules du brave Texier, de Courlay, arrachant les pierres avec ses mains, ouvrit bientôt une brèche, par laquelle il pénétra dans la ville.
A la prise de Saumur, il multiplia les prodiges d’une bravoure surhumaine. Se rappelant Condé, dont il eût été le digne lieutenant, il jeta son chapeau par- dessus le rempart et, non content de crier : Qui va me le chercher, il y fut lui-même, suivi de son ami, M. de La Ville-Baugé, et si avant, que, pendant près de deux heures, au milieu de la furie du combat, livré près des murs d’enceinte, ils se trouvèrent seuls de leur parti, sur la place principale, et parvinrent, à force de valeur et de présence d’esprit, à s’y maintenir, jusqu’à l’arrivée du gros de l’armée (10).
C’est dans de pareilles occasions que ce grand et beau jeune homme, au teint délicat, le regard plein d’éclairs, les cheveux flottants, la chemise entr’ouverte, apparaissait aux ennemis et même aux siens, comme l’ange terrible des combats, et les pénétrait d’une irrésistible terreur ! Il réalisait, sans le connaître, le saisissant jeu de mots de saint Augustin : combattant pour le Christ sauveur, il était insouciant de son propre salut: « Pugnare erat ci salutem pro Salvatore contemnere » (11).
Dédaigneux du danger, M. Henri bravait aussi la douleur: il eut, à Martigné, les os du pouce, brisés par une balle. « Est-ce que le coude saigne », demanda-t-il à son domestique, et sans abandonner son pistolet, il mit son bras en écharpe, et demeura sur le champ de bataille. Pendant de longs mois, il ne cessa de guerroyer ainsi, ayant la main droite bandée, et ne pouvant se servir de ses armes. Mais sa bonne humeur ne l’abandonnait pas.
Étant parvenu à maintenu avec le bras gauche un soldat républicain, qui, sans l’atteindre, avait tiré deux fois sur lui, presque à bout portant:
« Retourne vers les patriotes, lui cria-t-il, et dis-leur que tu t’es colleté avec un général Vendéen, sans armes, n’ayant qu’un bras, et que tu n’as pu le tuer » (12).
En quelques semaines, par ces traits continuels de vigoureux entrain, de merveilleux et invincible élan, d’audacieuse initiative et d impassible bravoure, La Rochejaquclein acquit sur toute l’armée Vendéenne une autorité absolue et incontestée. « Jamais aucun soldat n’osa lui dire : non. Tous l’adoraient et s’engageaient à sa suite, heureux de courir de loin sur ses traces généreuses. »
V.
LE courage excite l’admiration, impose le respect, donne du prestige au commandement. Mais, dans une guerre, alors surtout que se succèdent d’inévitables alternatives de victoires et de défaites, la vaillance seule ne suffit pas. Il y faut joindre ces qualités maîtresses de sang-froid, d’intelligence, de soudaine résolution, de prévoyance et d’habileté, qui donnent aux troupes le sentiment de leur propre sécurité. Elles se confient volontiers à un chef, dont la sollicitude ne s’endort point, et qui est assez sûr de lui-même pour ne pas redouter les surprises, soit parce qu’il les évite, soit parce qu’il les tourne à son avantage. Ainsi en était-il de Henri de La Rochejaquelein. Comme soldat, il avait une fougue, une témérité, devant lesquelles rien ne tenait. Il se faisait un jeu des plus extrêmes périls. Mais, comme chef, et surtout après avoir été proclamé généralissime de la grande armée Vendéenne, il était d’une grande prudence, ne laissant rien au hasard, embrassant d’un coup d’oeil toutes les péripéties de chaque combat, afin de préserver le plus possible ses paysans. Tantôt, c’était à l’avant-garde qu’il se plaçait, pour amortir en quelque manière le premier élan des Bleus, et les décourager devant son imperturbable opiniâtreté. D’autres fois, il jugeait que l’ardeur des siens faiblissait, qu’ils se retiraient en désordre, et que ce mouvement en arrière allait devenir une débâcle : il se plaçait alors entre ses propres soldats et les soldats ennemis. Ceux-ci le rencontraient comme un rempart d’airain ; il était pour ceux-là un bouclier, derrière lequel ils reprenaient haleine et se reprochaient leurs hésitations.
Aussi les officiers de la Convention rendaient-ils hommage aux rares qualités du général royaliste. « S’il manquait d’expérience dans l’art des combats, disait l'un, il la remplaçait par un coup d’oeil pénétrant et par l'instinct naturel de la guerre » (13).
« La Rochejaquelein, ajoutait un autre — et cet autre était Kléber, le noble émule de Bonaparte, dans la campagne d’Égypte —, La Rochejaquelein possède la science militaire ; il a de l’aplomb, de l’élan, une impétuosité admirable. Il a gagné bravement ses éperons » (14). Et l’un des agents du ministère des affaires étrangères, associé, par la défiance jalouse du gouvernement, aux opérations militaires contre les Vendéens, déclarait, dans le style emphatique en honneur à cette époque troublée, que « le chef des Brigands », après l’assaut infructueux de Granville, « avait surpassé Xénophon ». « La retraite des dix mille n’était rien à côté des efforts qu’avait dû faire La Rochejaquelein pour ramener ses soldats vers le Bocage, à travers des contrées mal connues, harcelé qu’il était, en tête et en queue, par une armée deux fois plus nombreuse que la sienne » (15).
VI.
Il est donc vrai, Messieurs et mes Frères, que, par son héroïque valeur comme par son opiniâtreté soutenue à ne point désespérer de sa cause, M. Henri — parlons comme ses fidèles compatriotes — a triomphé des difficultés les plus ardues : il a fait accepter son autorité, il a justifié le choix, qui le donnait comme successeur à Cathelineau et à d’Elbée, il a conduit ses bataillons au-delà de la Loire jusqu’à Granville, il les a reconduits jusqu’aux portes de leur province : et tout cela, sans faiblir un instant, sans cesser d’être « le » coup d’oeil, l’épée, l’âme même » de ses troupes, sans laisser se voiler ce rayonnement du génie, dont, au seul nom de la religion ou du patriotisme, s’éclairait l’azur de son regard.
Ce n’est pas tout; et une belle expression de saint Ambroise nous permettra d’ajouter un trait à nos éloges. Le sage archevêque de Milan loue le sublime désintéressement du soldat, qui se sacrifie pour son pays. Mais, dit-il, « cette force d’âme, précisément parce qu’elle demande un plus difficile effort, ne va jamais seule : elle a toujours un cortège d’autres vertus, qui l’accompagnent : praeliaris fortitudo, velut excelsior caeteris, nunquam est incomitata virtus » (16).
Voyez quelles douces et aimables vertus relèvent encore le noble caractère de La Rochejaquelein ! Il est modeste et presque timide, même après les plus brillants succès. Loin de s’enorgueillir du prestige, que sa vaillance inouïe a conquis à son nom, il se met toujours à l’arrière-plan dans les conseils ; comme Charette, il n’ambitionne le premier rang, que si ce poste d’honneur le met de plus près, face à face avec l’ennemi (17). Dès qu’il le peut, il reprend la gaîté, l’enjouement de son âge. Qui ne voudrait voir, retracé par un poète ou par un peintre, le tableau ravissant, dont furent, un jour, témoins les compagnons d’armes du jeune héros !
La petite fille de son valet de chambre, à la suite d’une rencontre très vive et très mouvementée, avait été séparée de son père. Égarée au milieu de tous ces hommes, dont une lutte acharnée avait enfiévré les yeux et noirci le visage, sous des flots de poudre et de poussière, elle pleurait et appelait vainement au secours. Henri la voit, il s’arrête, la prend dans ses bras, la berce avec douceur ; du geste et de la voix, il la console, lui promet de ne pas l’abandonner ; et c’est ainsi qu’il fait éclater le contraste d’une âme, emportée tout à l'heure par l’ardente ivresse des batailles et subitement ramenée aux joies naïves de la famille. L’aigle avait, pour un moment, pris les yeux et le chant d’une colombe.
Ainsi, bien loin d’avoir contracté, au milieu des camps, une dureté inaccessible à la pitié, Henri de La Rochejaquelein, comme la plupart des chefs Vendéens, fut aussi terrible dans le combat que doux et miséricordieux après la lutte finie. Tous avaient pris pour devise ces trois mots, si chrétiens : « Se battre avec courage, souffrir avec patience, mourir en pardonnant ». Henri, en particulier, ne savait point haïr. Il ne voyait dans les ennemis que des hommes égarés. Leur fureur inconsciente persécutait, avec ce qui lui était cher, ce qui lui paraissait être indispensable à la prospérité de la France. C’était cette criminelle erreur, contre laquelle il tirait son glaive redoutable ; mais, dès que ses adversaires étaient désarmés, ce n’étaient plus à ses yeux que des frères qu’il aurait embrassés sans effort, a Un officier du 13e chasseurs, au combat de Fontenay (26 mai 1793), avait déchargé sur lui les quatre coups de ses pistolets ; il n’avait plus de munitions, et se trouvait à la discrétion du vainqueur.
Plein de bravoure et d’orgueil, il crie à La Rochejaquelein : « Je me suis satisfait, à toi maintenant de te satisfaire et de te venger. » Et le jeune général de répondre ; « Ma satisfaction, c’est de te laisser vivre » (18).
Il est donc bien vrai d’affirmer que si, « d’ordinaire la victoire est insolente, cruelle, injuste », entre les mains de ce héros de vingt ans, « elle était douce, juste et toujours modérée ». Il était victorieux de la victoire elle-même, il ne lui permettait point de dénaturer son propre caractère, noble et chevaleresque.
Et n’oublions pas que si, devant son regard, semblait toujours flotter l’étendard fleurdelysé, ce glorieux symbole représentait pour lui, non pas seulement la royauté des Bourbons, mais la Patrie elle-même !
Avec Lescure, dont il partageait tous les sentiments, il aurait répondu au brave et loyal général Quétineau : « Plutôt que de voir la France démembrée par l’étranger, nous nous joindrons à vous pour défendre l’intégrité du territoire » (19). Et quand, obéissant à des ordres supérieurs, il subordonnait sa marche à l’intervention, souvent promise et jamais réalisée, d’une descente de l’armée anglaise sur nos côtes, il lui était cruel de paraître accepter ce secours, tant il désirait ne rien devoir aux soldats de l’étranger (20).
VII.
TEL était ce La Rochejaquelein, dont on peut dire « qu’il a rempli la vaste idée du nom de grand homme, parce qu’il a combattu pour le prince, auquel il faut obéir sur la terre, et pour le Seigneur, qu’il faut adorer dans le ciel » (21). Mais, avant de finir, entrons plus avant dans le secret de ce coeur si attachant et si pur. Ne soyons pas surpris, Messieurs et mes Frères, que, rencontrant à Sorèze, sur les anciens palmarès de l’école, le nom du jeune vendéen, Lacordaire ait été ému d’affection et de respect devant la noble image du héros, en qui il se retrouvait en quelque sorte lui-même. Tous deux, avec la différence des temps et des vocations, n’étaient-ils pas « vaillants et hardis » ? Tous deux n’avaient-ils pas « l’âme vibrante et ardente, dévorée par son propre feu; et cette âme charmante n’était-elle pas, chez l’un comme chez l'autre, pleine de candeur et de générosité » ?
Et, dernier trait de similitude, ne pouvait-on pas dire, à propos de l’un, comme à propos de l’autre : « il n’y a pas de grand esprit sans une teinte de mélancolie ; Non est magnum ingenium sine melancolia »? A mesure que s’écoulaient les semaines de ses prodigieuses campagnes, Henri paraissait avoir un besoin plus intense de se recueillir devant Dieu.
Après la prise de Saumur, quand les royalistes furent enfin tranquilles dans la ville conquise, on fut longtemps à chercher La Rochejaquelein. On le trouva, le soir, appuyé sur une fenêtre, les regards tournés vers l’église, et l’esprit absorbé dans une profonde méditation. «Je réfléchis, dit-il, sur nos succès. Ils me confondent, tout vient de Dieu » (22).
Une autre fois, avant une affaire très dangereuse et très importante, on le vit entrer dans l’église Saint-Pierre de Cholet. Il y passa plus de deux heures, immobile, le front incliné vers la terre, abîmé dans une prière fervente. Quant il se releva, une expression surnaturelle illuminait son beau visage, et l’on eût dit qu’une vision céleste embrasait déjà son horizon » (23).
Rejeté par la défaite de son armée dans le Bocage, Henri était revenu à Saint-Aubin et à la Durbelière. Il y avait rencontré de nouveau cette tante bien-aimée, qui, depuis dix-huit mois, suivait avec une fierté si légitime l’héroïque carrière de son neveu. Rien ne pouvait décourager la pieuse femme, dont la fidélité chrétienne et monarchique s’était encore augmentée au sein des épreuves que subissaient les siens pour le service de ces deux grandes causes. Elle n’hésita pas à soutenir les mâles résolutions du jeune généralissime, vaincu mais non pas résigné. Elle lui laissa même entrevoir des douloureux pressentiments. « L’entreprise était difficile, elle pouvait ne pas aboutir à une heureuse issue, la mort pouvait être imminente ; mais, du moins, Henri emporterait tous ses regrets et toute son estime. »
Et tandis que, montant ainsi au rôle d’une héroïne cornélienne, la courageuse vendéenne attisait le feu du dévouement et du martyre dans l’âme de son fils adoptif, par un trait de caractère bien conforme à la nature, elle l’exhortait à ne pas négliger autant le soin de sa toilette. « Une balle va bientôt me faire la barbe, s’écria La Rochejacquelein : je suis plus près de la mort que de la vie » (24). Et de fait, depuis l’échec de son armée devant Granville, Henri ne cessait de penser à la mort et de la désirer, tout en souffrant de voir inutiles les sacrifices immenses que la Vendée avait faits pour sa religion et pour son roi. « Je voudrais être mort », disait-il à la veuve de son cousin, M. de Lescure. « La mort ne veut pas de moi » ; « pourquoi ai-je survécu à mes braves compagnons » (25).
Mais cette lassitude morale, ce sentiment mélancolique n’enlevaient rien à la fermeté d’âme de M. Henri.
Il se réunit à Stofflet, dans les premiers jours de janvier 1794, comme pour surexciter son courage, en se rapprochant de l’un des derniers survivants de la glorieuse élite des généraux, qui avaient fait trembler la Convention. Il se rejeta dans la lutte, avec une audace inouïe ; et jamais sa téméraire intrépidité ne se signala par des coups de main plus hardis.
Hélas ! et ce fut la cause de sa mort. Le 28 janvier, après un vif combat contre quatre cents républicains, voyant deux grenadiers ennemis fuir devant lui, il se lance à leur poursuite, et leur crie de se rendre et qu’il leur fait grâce d’avance. L’un des deux s’arrête, se retourne, paraît présenter son arme parle canon, pour la tendre plus vite, et pour qu’on la saisisse mieux. Mais dès que M. Henri est à portée, le fusil se relève, le coup part, et le héros tombe la tête fracassée !
Le meurtrier eut le crâne fendu par le sabre de Stofflet : mais, comme si, jusque dans la mort, La Rochejaquelein eût exercé le charitable office de sa compassion généreuse, il offrit, dans son lit funèbre, une place à celui qui venait de le frapper. Ni les hommes, ni le temps n’ont brisé cette mystérieuse alliance; — et même dans le tombeau de ses ancêtres, Henri mêle, encore aujourd’hui, sa cendre avec celle du soldat républicain. Ils attendent ensemble le grand réveil de la résurrection ! Sur les lèvres du général chrétien le baiser du pardon ne s’est pas refroidi !
VIII.
ME suis-je trompé, Messieurs et mes Frères, quand, au-dessus de cette tombe, j’ai parlé de victoire et d’une victoire immortelle ?
Oui ! La Rochejacquelein a été vaincu. S’il revenait parmi nous, et qu’il voulût, à cette heure, embrasser le drapeau pour lequel il a donné sa vie, il lui faudrait, sur la terre étrangère, bien loin de nous, descendre dans un caveau de Franciscains, et y déplier le suaire, sous lequel s’est endormi le dernier prince de la branche aînée de nos Rois. L’héritier politique de ce Roi, qui n’a eu ni trône, ni couronne, est, lui aussi, condamné à vivre dans l’exil, malgré l’impatience de sa courageuse jeunesse. Les fleurs de lys, si chères à Henri, et devant lesquelles il exigeait que disparussent toutes les autres enseignes, même les plus illustres (26), les fleurs de lys n’ont plus que des hommages personnels et privés ; nos monuments ne les connaissent plus. La France enfin, après un siècle de révolution, est encore inquiète, troublée, divisée. Elle ne touche pas encore à l’heure où tous ses enfants, réconciliés, sans s’être imposé ni avoir exigé, les uns comme les autres, d’humiliants sacrifices, se donneront l’accolade fraternelle, sous les regards émus du monde chrétien, heureux de voir le principal foyer de la civilisation reprendre son éclat.
En ce sens, La Rochejacquelein a été vaincu, et sa cause a succombé. Mais, par d’autres côtés, combien resplendissante est sa victoire !
Il aurait eu la carrière la plus honorée et la plus brillante, qu’il n’aurait jamais, pu donner à son nom, à sa famille, à son sang une plus glorieuse et plus durable illustration. Vous en êtes tous témoins, vous, Messieurs, que ce nom, cette famille, ce sang appellent aujourd’hui dans ce village, désormais célèbre, pour y saluer et y acclamer la statue du plus jeune des chefs de la Vendée militaire.
Les rêves de M. Henri n’allaient pas au-delà du titre de Colonel d’un régiment de Hussards (27). Et si l’ambition, si 1’orgueil, si toutes les émotions violentes, qui peuvent agiter la poitrine d’un homme de guerre, survivaient à la mort, quelle satisfaction inattendue aurait donné à cette soif insatiable de gloire la singulière obstination, avec laquelle, pendant son règne et dans son long exil de Sainte-Hélène, Napoléon a considéré, pour en exalter les mérites, et la guerre de Vendée, « la guerre des géants », et le jeune généralissime, qu’il se plaisait à appeler un héros. Justement jaloux de la grandeur de la France, l’empereur ne trouvait pas que ce fût assez pour lui d’avoir vu surgir à ses côtés une pléiade si nombreuse de chefs vaillants, auxquels, comme son prédécesseur et son rival, Alexandre, il avait distribué, pour les récompenser, les titres immortels des victoires, qu’ils avaient livrées et gagnées ensemble. Il admirait, il regrettait ces intrépides gentilshommes, Virieu, Sombreuil, tous ces officiers Vendéens, si dédaigneux du péril, si fiers devant la mort, uniquement soucieux de leur honneur et de leur devoir. Il se les représentait marchant à sa suite, à côté de tous ses capitaines, égalant leurs exploits, et suspendant avec eux leurs lauriers aux autels de la Patrie ! Combien de fois, en songeant à la tombe, si tôt ouverte, de La Rochejaquelein, il a prononcé, devant ses compagnons d’exil, des éloges, que la postérité répétera aux générations les plus lointaines. Ce n’est pas lui, qui aurait contesté à M. Henri le surnom de « victorieux » !
Et qui donc, en France, affecterait de méconnaître la renommée particulière de loyauté, de fidélité, de bravoure, dont jouissent la Vendée et sa soeur la Bretagne, grâce au courage de leurs enfants, grâce à ces morts glorieuses, dont celle de M. de La Rochejacquelein a été le plus admirable exemple ! Nous honorons, nous aimons ces nobles provinces, décorées par le sang de leurs fils, par ce sang qui a coulé pour toutes les grandes causes. Et nous espérons que, si l’occasion se présentait d'imiter l’héroïsme de nos frères, une légitime émulation enfanterait, de l'une à l’autre de nos frontières, les mêmes prodiges de dévouement. N’est-ce point déjà une chose extraordinaire que de voir les hommes, les plus étrangers, les plus hostiles aux idées, dont les Vendéens ou les Bretons ont été les martyrs, se réclamer pourtant de leurs liens de parenté avec ces populations croyantes, et dire, dans un visible sentiment d’orgueil, comme le faisait Victor Hugo : « Ma mère était Vendéenne » ? N’est-ce pas l’aveu mal dissimulé du trouble de l’âme, quand elle se sent infidèle aux leçons du foyer domestique ? Et quelle puissance dans les reproches muets, que les ancêtres, du fond même de leur tombe, adressent, par les souvenirs de leur vie et de leur mort, à des descendants oublieux ! Cela aussi, c’est une victoire, et l’une des plus fécondes, puisqu’elle préserve les familles contre l’effacement de leurs traditions.
Ici, Messieurs et mes Frères, rien de semblable, grâce à Dieu. Nous pourrions faire l’appel de ceux qui partagèrent les hasards de La Rochejacquelein : leurs arrière-petits-fils, leurs arrière-neveux sont ici ; ils se lèveraient pour affirmer qu’ils ont conservé pieusement la mémoire du passé, et que, après un siècle, les pères se reconnaîtraient dans leurs enfants. Cathelineau, d’Elbée, Donissan, Lescure, Bonchamps (28), Béjarry, des milliers d’autres, parents ou alliés des soldats Vendéens, m’entendent à ce moment; ils ne me démentiront pas, et c’est avec bonheur que je salue leur inébranlable constance.
Et vous aussi, mon général (29), je vous salue, inclinant avec respect, devant vous, ma tête et mon coeur. Qui ne sait avec quelle persévérance indomptable, au prix de quels généreux sacrifices, vos frères et vous, vous avez conservé le patrimoine d’honneur et de gloire que votre illustre grand-oncle (30) vous a laissé.
Dieu vous a choisi pour être le guide et le chef de cette poignée de braves, dont la valeur a disputé, pied à pied, aux envahisseurs des États Romains, le domaine temporel du Saint-Siège. Que d’étapes sanglantes ont marqué le cours de ces dix années, pendant lesquelles, vos camarades et vous, par des faits d’armes sans cesse renouvelés, vous avez appris aux Canadiens, aux Belges, aux Hollandais, aux Irlandais, aux Anglais, enrôlés sous vos étendards, quelles étaient les inépuisables ressources de la valeur française !
Et lorsque, dans Rome captive, vous avez dû laisser tomber aux pieds de Pie IX vos courageuses épées, la Providence vous a permis de les reprendre pour venir, sous la bannière du Sacré-Coeur, au secours de la France envahie ! Là, vous avez multiplié les prodiges. Aux côtés du général de Sonis, passant de main en main, non plus comme « le flambeau de la vie, » dont parlait le poète latin, mais au contraire comme un linceul funèbre, votre drapeau s’est déployé, et, troué par les balles, inondé de sang, il a conquis un rang immortel, parmi ces enseignes de notre nation, dont quatorze siècles ont écrit l’histoire sur tous les champs de bataille de l’Europe. Là, vous avez renouvelé les grandes oeuvres de Jeanne d’Arc; et, pour vous, comme pour elle, Patay demeurera dans l’avenir le nom d’une journée, où vous avez cueilli, à larges brassées, les lauriers rougis par vos blessures !
Victoire donc, Messieurs et mes Frères, victoire ! Si les luttes sont difficiles et longues, le triomphe n’en sera que plus beau ! C’est pour m’apprendre cette leçon que mon père, il y a plus de cinquante ans, me mit lui-même dans les mains les admirables Mémoires de Mme. de Lescure, devenue la marquise de La Rochejacquelein, la belle-soeur du général vendéen.
Depuis cette date éloignée, je n’ai cessé de me répéter à moi-même l’enseignement paternel : heureux si je pouvais, sur le champ de travail où je dois vivre et mourir, m’approcher de l’idéal d’honneur et de fidélité, que ma jeunesse a entrevu sous les traits de votre héros, de celui qui, à vingt-deux ans, et en dix mois, avait remporté seize victoires !
Agréez, Monseigneur (31), et vous aussi, Monsieur le Curé (32), mes remerciements pour la faveur que vous m’avez accordée, en m’invitant à cette mémorable solennité (33). Que Dieu, dans sa bonté, seconde les désirs de votre zèle pour ce diocèse excellent, pour cette religieuse paroisse. Qu’Il daigne aussi bénir et Mgr. l’Evêque de Luçon et les vénérés représentants de l’Ordre monastique ou régulier, venus à cette fête; et que chacun de nous, en quittant Saint-Aubin-de-Baubigné, emporte en son coeur des résolutions plus viriles de dévouement à la Religion et à la Patrie ! Ainsi soit-il.
LE CAVEAU DE L'ÉGLISE DE SAINT-AUBIN-DE-BAUBIGNÉ
Nous avons dit, plus haut, que le tombeau de la famille de La Rochejaquelein se trouve dans l'église de St-Aubin-de-Baubigné.
Derrière l'autel de la chapelle mortuaire réservée à cette illustre famille, se voit un cénotaphe, en marbre de Carrare, portant les noms de Louis-Marie de Lescure, Guy-Joseph de Donnissan, Henri et Louis de La Rochejaquelein.
Les deux magnifiques vases funéraires, encadrant le cénotaphe, ont été offerts par les officiers de l'armée prussienne en admiration des héros de la Vendée.
Datés de 1818, signés des célèbres sculpteurs allemands Christian Rauch et F. Tieck, ils sont la réplique de ceux des tombeaux des rois de Prusse à Charlottenbourg. Celui de gauche, appelé « Le Triomphe », porte en bas-relief, dans sa forme triangulaire, les effigies laurées de Lescure et des frères de La Rochejaquelein ; trois Victoires terminent, à son sommet, cette œuvre d’art admirable.
Celui de droite, « Le Deuil », ne le cède en rien à l'autre. Dans la même forme, on retrouve les trois effigies, cette fois non laurées, ainsi que les trois blasons, celui de Lescure inexact, du reste comme sur l'autre vase ; trois femmes en habits de deuil, le visage éploré, tiennent une urne funéraire ; sur chacune de ces urnes un nom : Henri, Louis, Lescure.
C'est dans un grand caveau situé sous cette chapelle et en avant du cénotaphe que reposent les corps de Henri et Louis de La Rochejaquelein, puis de Victoire de Donnissan, veuve du général de Lescure et de Louis de La Rochejaquelein, Marie de Durfort marquise de Donnissan, Félicie de Durfort, épouse d'Auguste de La Rochejaquelein, etc..., etc...
Les cercueils, désormais invisibles, ont été introduits dans les murs. On les devine derrière les plaques de bronze en relief. Nous en avons compté vingt et une.
Deux d'entre elles ont, par leur mention, retenu notre attention : « OSSA AVORVM ».
Nous aurions aimé lire, à côté, une autre inscription laissant espérer le retour des dépouilles du « Saint du Poitou » et de ses trois filles :
EXOPTATAE
INTENTO. PIOQVE. LABORE.
DIV. CONQVISITAE.
RELLIQVIAE.
Henri de La Rochejaquelein et la guerre de la Vendée : d'après des documents inédits
Le général de Lescure (Nouvelle édition) Étienne Aubrée
(1) Les Vendéens ne voulant pas se servir des almanachs républicains, seuls en usage alors, confondaient mois et jours. De là les diverses dates attribuées à la mort de La Rochejaquelein.
(2) Mgr. l’Évêque de Poitiers et Mgr. l’Évêque de Luçon.
(3) Le Rme. Père général des Chanoines réguliers de Saint-Jean-de-Latran, — le T. R. Père Abbé de Ligugé, près Poitiers.
(4) C’est aujourd'hui le 5e cuirassiers.
(5) Mascaron, Oraison funèbre du duc de Beaufort, p. 229.
(6) Documents inédits, publiés par la famille, chez Champion, Paris p. 21
(7) S. Aug , De civil. Dei, lib. XXII, in fine.
(8) C’était la résidence ordinaire des La Rochejaquelein. Henri y était né. Ce château, cinq fois brûlé pendant la guerre de Vendée, est aujourd’hui en ruine. Deux kilomètres à peine le séparent de Saint-Aubin-de-Beaubigné (Deux-Sèvres).
(9) Documents inédits, p. 33.
(10) Documents inédits, p. 80.
(11) S. Aug., De civit. Dei, XXII, in fine.
(12) Documents inédits, p. 164.
(13) Jomini, IV, p. 351.
(14) Documents inédits, p: 173.
(15) Ibid, p. 208.
(16) S. Ambroise, cité par Mascaron, Oraison funèbre du duc de Beaufort, p. 175.
(17) Ce sont les propres paroles de M. de Charette, avant l’attaque de Luçon, 12 juillet 1793. On lui demandait où on devait le placer : « Le plus près de l’ennemi, Messieurs. Cette place fut assez longtemps la vôtre0 » (Documents inédits, p. 113.)
(18) Documents inédits, p. 60.
(19) Ibid., p. 85.
(20) , p. 158.
(21) Mascaron, Oraison funèbre du duc de Beaufort, p. 171.
(22) Documents inédits, p. 84.
(23) Vie, publiée chez M. Saillart, Abbeville; 1895, p. 59.
(24) Documents inédits, p. 261.
(25) Ibid., p 257.
(26) Documents inédits, p. 182.
(27) Ibid. p. 29.
(28) Représenté par son petit-gendre, M. de Cazenove de Pradines, le glorieux mutilé de Patay.
(29) Le général baron de Charette, chef des zouaves pontificaux.
(30) Fr. Athanase de Charette de la Contrie, fusillé à Nantes, le 29 mars 1796.
(31) Mgr. H. Pelgé, Evêque de Poitiers.
(32) M. l’abbé Th. Gabard, curé de Sain-t-Aubin-de-Baubigné.
(33) Cette invitation, M. le marquis de La Rochejaquelein a bien voulu me l’écrire, répondait à ses voeux personnels. Je lui offre, et j’offre à Mesdames ses soeurs le sincère hommage de ma respectueuse gratitude.