Il existe, dans le transept gauche de la belle église d'Airvault, un remarquable tombeau de l'époque romane, attribué jusqu'ici, par une tradition incertaine, à Aldéarde d'Aunay, vicomtesse de Thouars, épouse du vicomte Herbert ler, fondatrice de l'église d'Airvault, vers l'an 971 décédée au commencement du XIe siècle (1).
Ce petit monument, en pierre assez dure, affecte la forme d'un couvercle rectangulaire à deux toits, présentant par conséquent deux pignons à ses deux extrémités. Il repose sur quatre larges pieds, sous un arcosolium en plein cintre pratiqué dans le mur et faisant saillie.
Comme il est adossé au mur nord du transept, sa face antérieure, seule apparente, est aussi la seule qui soit décorée avec quelque soin. Elle représente, dans un encadrement de feuillages, neuf personnages debout dans de petites niches, sous de petites arcatures soutenues par des colonnettes. Leur signification n'est pas facile à déterminer. La sculpture en est dure, raide et grossière dans les détails, mais l'ensemble est assez riche et paraît très soigné. Sur l'un des pignons est gravée une croix de Malte. L'autre pignon représente un monument, église ou maison, à trois pignons aigus percés de petites fenêtres.
Tous les archéologues qui ont examiné le curieux tombeau d'Airvault l'ont attribué, avec raison, au XIIe siècle. M. de Caumont, dans son Cours d'antiquités monumentales (2), n'hésite pas à cet égard. La description qu'il en donne est bonne et complète, mais le dessin qui y est joint est tout à fait insuffisant et ne présente qu'une très mauvaise reproduction du monument. M. Beauchet-Filleau, tout en acceptant avec quelque réserve la tradition qui le désigne comme étant le tombeau d'Aldéarde de Thouars, n'admet point qu'il puisse remonter à cette époque trop ancienne et trop peu concordante avec ses caractères archéologiques.
Il le rapporte seulement au XIIe siècle, et suppose que le sarcophage d'Aldéarde a été transporté plus tard sous le monument, dans le lieu qu'il occupe encore aujourd'hui (3). Le doute sur son origine archéologique, qui ne paraît avoir jamais existé, subsistait donc toujours sur la personne à la mémoire de laquelle il avait été élevé.
Une fouille pouvait seule le faire cesser. Elle a été entreprise, au mois d'août 1880, par plusieurs membres de la Société des antiquaires de l'Ouest, sous l'habile direction du P. de la Croix, et, disons-le de suite, elle a été couronnée d'un plein succès (4).
Le tombeau n'avait subi aucune dégradation; tout indiquait qu'il n'avait jamais été dérangé. En effet, la fouille nous apprit bientôt que le sarcophage qu'il recouvrait était aussi intact. Comme il ne fallait pas songer, pour bien des motifs, à l'enlèvement préalable du monument apparent, on pratiqua en avant une ouverture dans le carrelage de la chapelle du transept où il se trouvait. C'était le seul moyen de parvenir d'une manière sûre et rapide au sarcophage dont on supposait l'existence sous l'arcosolium.
On rencontra, à 20 centimètres sous le pavé, un carrelage plus ancien puis, à 40 centimètres plus bas, on découvrit une sépulture dont les parois étaient formées en partie de pierres brutes, en partie de pierres de taille six fragments de pierres de taille composaient le couvercle. Elle recélait un squelette de haute taille, reposant sur l'argile rouge. On recueillit une boucle en fer, très détériorée et très commune, sur la poitrine du défunt. Un vase percé de trous et rempli de charbon se trouvait à sa droite, et un autre petit vase en verre très mince, presque entièrement brisé, gisait près de sa main gauche. Après l'enlèvement de cette sépulture, qui était très probablement celle d'un moine, on aperçut presque aussitôt un grand sarcophage en pierre, engagé sous le monument supérieur, dont les pieds-droits reposaient sur les deux extrémités de son couvercle.
Il n'y avait donc plus à en douter, le tombeau apparent et le sarcophage appartenaient à une seule et même sépulture, celle que nous cherchions, et, chose non moins évidente, on n'y avait jamais touché. Voici quelles étaient les dimensions du sarcophage 4 m. 83 de longueur; 52 cent. de largeur à la tête et 34 aux pieds 32 cent. de hauteur. Une ouverture pratiquée dans la paroi extérieure permit enfin de dévoiler le mystère qu'il cachait depuis si longtemps. Un squelette de 1 m. 52 était étendu dans l'intérieur. Sa tête, appuyée sur trois pierres, était retombée sur son bras gauche.
Deux vases en terre blanche, percés de petits trous, l'accompagnaient, l'un à droite, l'autre à gauche. Ils étaient remplis de charbon, et l'on a cru y reconnaître aussi des traces de grains d'encens. Leur forme ronde, à panse assez développée, ne diffère pas de celle de tant d'autres vases similaires découverts dans les cimetières du moyen âge, et que l'on a toujours attribués aux XIe et XIIe siècles.
M. de Caumont, qui donne des dessins de ces sortes de vases dans son Cours d'antiquités monumentales, observe, d'après le Rationale de Guillaume Durand, qu'ils servaient à brûler de l'encens au moment des funérailles, et qu'on les perçait de trous, dans ce but spécial, pour activer la combustion (5).
Un objet d'un intérêt historique incontestable, celui qui a été le résultat vraiment capital de la fouille, fut recueilli, dans le tombeau, sur la poitrine du squelette. C'est une petite plaque de plomb, portant d'un côté une croix de Malte en relief, semblable à celle qui est sculptée sur un des pignons du tombeau supérieur, et, de l'autre côté, une inscription, également en relief (6). L'inscription est formée de trois mots disposés sur trois lignes, en lettres capitales et onciales on y lit
PETR'
PRIM
ABBAS S (7)
Cette précieuse révélation est aussi précise que brève. Le mort qui reposait, depuis plus de sept siècles, sous le curieux monument dont on ne pouvait pas fixer la date exacte, n'est donc pas Aldéarde de Thouars, la première fondatrice de l'église d'Airvault, décédée au commencement du XIe siècle.
C'est Pierre de Saine-Fontaine, Petrus à Fonte Salubri, moine du couvent de Lesterps en Limousin, ordre de Saint-Augustin, que l'évêque de Poitiers, Pierre II, imposa comme abbé aux chanoines d'Airvault, jadis établis par Aldéarde et par un de ses prédécesseurs, l'évêque Gislebert.
La charte par laquelle le prélat accomplit cette réforme, à la prière d'Herbert, vicomte de Thouars, est du 10 février 1096. L'abbé Pierre de Saine-Fontaine, qu'il désigna et mit à la tête des chanoines pour les gouverner suivant la règle de Saint-Augustin, est donc bien le premier abbé d'Airvault, comme le constate son épitaphe (8).
L'obituaire de l'abbaye d'Airvault, que M. Beauchet-Filleau a reproduit par extraits dans ses intéressantes Recherches, donne de précieux renseignements sur la date de la mort et sur le lieu de la sépulture de Pierre de Saine-Fontaine : Petrus die septimâ augusti obiit Jacet ante altare beatae Mariae Madaleae ubi nunc est vestiarium (9)
Cet autel de Sainte-Marie-Madeleine ne saurait être que celui de l'absidiole du transept nord, en avant duquel se trouve en effet le tombeau. Il y a là comme une petite chapelle distincte, dont le sol est plus élevé que celui du reste du transept, lequel est lui-même plus haut que le pavé de l'église. Il ne faut pas s'étonner qu'il ait existé là, plus tard, un vestiaire ou sacristie, ainsi que le dit l'obituaire.
Les sacristies étaient assez rares dans les églises du moyen âge, et les prêtres se retiraient souvent dans les chapelles des transepts pour revêtir les ornements sacerdotaux. Au surplus, le tombeau de l'abbé Pierre n'a jamais été déplacé, quoi qu'on en ait pu dire d'après des traditions sans valeur. Les fouilles nous en ont fourni la preuve certaine.
On peut donc affirmer qu'il occupe encore la place indiquée par l'obituaire. Il est moins facile de déterminer l'année de la mort de l'abbé. L'obituaire, suivant l'usage le plus ordinaire de ces sortes de documents, ne fixe que le jour, 7 août.
Mais il est probable que Pierre de Saine-Fontaine est mort en 1112. Son successeur, Gislebert, avait pris possession du gouvernement de l'abbaye en 1113 (10). Le tombeau apparent et l'arcosolium qui le recouvre furent-ils élevés aussitôt après la sépulture de celui à la mémoire duquel on les consacra?
On doit admettre que leur construction ne se fit pas longtemps attendre. Dans tous les cas, et c'est là un fait acquis très important, on est en possession d'une date certaine, au -delà de laquelle il n'est pas permis de faire remonter ce monument. On peut donc maintenant le considérer comme une oeuvre du premier quart du XIIe siècle. Sa physionomie générale et ses détails, qui présentent tant d'analogie et même tant de ressemblance avec ceux de l'église, fournissaient déjà des indications suffisantes.
En effet, la construction de l'église de Saint-Pierre d'Airvault n'était terminée que depuis peu de temps. La Chronique de Saint-Maixent en fixe la consécration ou dédicace aux calendes de novembre de l'an 1100 : Pridie kalendas novembris fuit sacrata ecclesia Sancti Petri aureae vallis (11).
Il n’est pas étonnant que le tombeau de l'abbé Pierre de Saine-Fontaine soit empreint des mêmes caractères architectoniques que l'église, puisqu'il a été élevé peu de temps après son achèvement. Mais, outre les considérations archéologiques, nous avons maintenant une inscription qui vient les confirmer et lever tous les doutes.
La découverte amenée par la fouille du tombeau aura pour résultat de ruiner la tradition, d'ailleurs peu solide, qui l'attribuait à la fondatrice Aldéarde de Thouars. Cependant tout n'est peut-être pas faux dans ce qu'elle rapporte. S'il est certain maintenant que cette sépulture ne soit pas celle de la fondatrice de la première église d'Airvault, elle est très probablement celle d'un des fondateurs de la seconde église, terminée en 1100.
En effet, rien n'empêche historiquement d'attribuer à Pierre de Saine-Fontaine, nommé abbé en 1096, l'honneur de la reprise des travaux de construction de l'édifice, dont le chœur était achevé depuis 1064 (12). Il est tout au moins certain qu'il a contribué à son achèvement et assisté à sa dédicace en 1100; et nous nous demandons si le petit édicule sculpté sur un des pignons de son tombeau ne serait pas une représentation grossière de l'église, un témoignage de la part contributive qu'il y aurait prise.
La tradition aura confondu, dans la suite, la mémoire du dernier constructeur avec celle de la première et véritable fondatrice de l'abbaye. Quoi qu'il en soit de cette hypothèse plus ou moins admissible, la fouille du tombeau d'Airvault jette la lumière la plus complète sur son origine et l'identité du personnage qu'il renfermait. Il n'était pas sans intérêt, au double point de vue archéologique et historique, d'en constater le résultat.
Ajoutons, en terminant, qu'à la suite des travaux de recherches exécutés avec grand soin par le P. de la Croix, les restes de l'abbé Pierre de Saine-Fontaine ont été replacés religieusement dans le sarcophage, d'où ils n'avaient été extraits que pour un instant.
Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest Par M. Bélisaire LEDAIN.
L’église Saint-Pierre d’Airvault, une architecture Plantagenêt<==
Geoffroy est le premier vicomte de Thouars dont les chartes font mention. GEOFFROY Ier de Thouars, 876-903. En août 876 il signe une donation de biens sis à Rigné, viguerie de Thouars, et à Faye, faite par un nommé Rabaldus, au profit de l'abbaye de Saint-Jouin-lès-Marnes. (Cartulaire de Saint-Jouin, publié par M.
(1) Histoire de Thouars, par M. Imbert, p. 34. Recherches sur Airvau, par M. Beauchet-Filleau, dans les Mémoire des antiquaires de l'Ouest, t. XXIV, p. 277, 358.
(2) Vie partie, p. 359.
(3) Lot. cit., p. 358.
(4) Les travaux, autorisés par M. le maire d'Airvault, ont été singulièrement facilités par la bienveillance de M. le curé.
(5) Cours d'antiquités monumentales, Vie partie, p. 317.
(6) Une curieuse inscription sur plaque de plomb, datant de la même époque (XIe - XIIe siècles), a été trouvée, en 1878, dans le tombeau d'un abbé du monastère de Saint-Séverin, qui dépendait autrefois de l'ancien diocèse de Poitiers et qui est aujourd'hui compris dans le département de la Charente-Inférieure. Cette inscription est en relief, comme celle d'Airvault. Il existe entre elles une grande analogie. Voir la dissertation de M. l'abbé Auber dans le .Bulletin monumental, 1879, p. 224.
(7) Voir la planche qui reproduit, dans toute leur exactitude, les lettres de cette inscription.
8 Recherches sur Airvau, par M. Beauchet-Filleau, p.278-283. L’auteur donne le texte de la charte de 1096.
(9) Idem, p. 283-284.
(10)Recherches sur Airveau, p.284-285
(11)Chronicon Sancti Maxentii, dans les Chroniques des églises d’Anjou, par Marchegay et Mabille, p. 420.
12 Chronique de Saint Maixent, dans les Chroniques des églises d'Anjou, p. 403 : MLXIV. Benedictio Sancti Petri Aureae vallis fuit de crucifixo.