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PHystorique- Les Portes du Temps
25 octobre 2019

LE ROLE DU POITOU PENDANT LE HAUT MOYEN AGE SOUS LES DOMINATIONS WISIGOTHIQUE ET FRANQUE (Ve-IXe SIÈCLE).

Poitiers baptistère saint jean

C'est dans le Poitou qu'allaient se décider, pendant les longs siècles du haut Moyen Age, le sort de toute la Gaule et les destinées elles-mêmes du monde occidental. C'est dans cette région qu'allait se conserver le principal foyer de la civilisation chrétienne et romaine. C'est de cet asile de la foi chrétienne que de nouveaux apôtres devaient partir, pour convertir et civiliser les peuples barbares, devenus les maîtres de l'Empire romain. Le rôle du Poitou grandit au moment où s'écroule la domination qui lui avait assuré cinq cents ans d'une paix presque ininterrompue, auxquels vont succéder cinq cents ans de troubles presque continuels.

Quand l'Empire affaibli devient incapable de défendre ses sujets, commence une ère nouvelle où les Germains parviennent à détruire peu à peu le vieil édifice romain. Dans leur première invasion en Gaule au Ve siècle, celle de 406, où Vandales, Alains, Suèves « saccagèrent à l'envi l'Aquitaine, à l'exception de quelques villes », au dire de saint Jérôme, le torrent dévastateur traversa le territoire des Pictons, sans atteindre, semble-t-il, Poitiers.

 Puis, tandis que les Wisigoths, venus d'Italie, s'établissaient avec l'assentiment des Empereurs, à titre de fédérés (soldats auxiliaires), au sud de la Garonne, alors que les Francs et les Burgondes, avec les mêmes prérogatives, s'installaient au nord de la Somme et à l'est de la Gaule, le centre et l'ouest, le Poitou en particulier, retombaient encore pour cinquante ans sous le gouvernement des préfets, des comtes et des ducs, délégués directs de l'Empire (407-456). C'est seulement après le milieu du Ve siècle, vers 462, que les Wisigoths, dont la puissance grandissait démesurément, sous les rois Théodoric et Euric, se saisirent du Poitou, comme ils le firent de la Touraine, du Limousin et des 26 autres cités d'Aquitaine, revendiquant ainsi hardiment l'héritage de Rome en Espagne et dans la Gaul e jusqu'à la Loire et aux Alpes. Mais bientôt après surgissait au nord un autre héritier de l'Empire.

L'Etat franc se fondait avec l'appui du clergé catholique (486), presque au moment où mourait le grand prince wisigoth Euric (484), et aussitôt il se posait en rival des autres royaumes barbares. Le Poitou prend dès lors la physionomie qu'il gardera pendant mille ans. Il va devenir le champ clos où se heurtent les puissances formées au nord et au midi, avides de reconstituer l'unité romaine à leur profit.

Il est la marche où se règle le sort des grands Etats.

Le premier choc se produit au début du vie siècle.

Bien qu'ils fussent les plus civilisés des Barbares d'origine germanique, les Wisigoths n'étaient point parvenus à créer une puissance stable. Ils avaient perdu en Aquitaine la majeure part de leurs aptitudes guerrières. Ils avaient traité les Gallo-Romains en vaincus. Ils venaient de confisquer à leur profit, non seulement les deux tiers des terres de l'Etat, mais encore parfois les deux tiers des domaines de la vieille aristocratie gallo-romaine.

Dans une région où le christianisme orthodoxe avait jeté les plus profondes racines et où le clergé exerçait la principale autorité, ils avaient commis la grave faute de s'attacher obstinément à l'arianisme et de persécuter l'épiscopat. Ils avaient forcé l'évêque de Poitiers à s'enfuir au fond de son diocèse, à Rais. Aussi, lorsque l'Etat wisigothique et l'Etat franc entrèrent en conflit, Dieu lui-même, d'après les légendes poitevines qu'a recueillies Grégoire de Tours, manifesta-t-il hautement sa protection en faveur de Clovis, le champion de l'orthodoxie et le soldat de l'Eglise.

Quand l'armée franque arriva sur les confins du Poitou pour combattre l'armée des Wisigoths, concentrée à Poitiers, sous les ordres d'Alaric II, le pacte divin apparut clairement, suivant le récit de l'historien des Francs.

Une biche indiquait miraculeusement aux troupes de Clovis un gué qui leur permit de traverser la Vienne grossie par les pluies, sans doute près de Chitré, à 4 kilomètres de Cenon. La nuit, un globe de feu, brillant au-dessus de la basilique Saint-Hilaire, éclaira la marche des envahisseurs. Le roi franc avait interdit tout acte de rapine sur les terres de l'évêché de Poitiers, comme sur celles de Saint-Martin de Tours.

 Enfin, une grande bataille se livra à 10 milles (15 k.) de la capitale du Poitou, probablement un peu en dehors de la grande voie romaine de Paris à Bordeaux, sur un affluent du Clain, l'Auzance, dans la plaine de Vouillé (campus Vocladensis). Elle fut très sanglante : les contingents arvernes en particulier, qui servaient parmi les Wisigoths, y furent décimés. Clovis faillit être tué dans la mêlée par deux cavaliers ennemis. Il leur échappa et abattit de sa propre main son rival, le roi Alaric (507).

Cette victoire changea le sort de l'Occident en même temps qu'elle fit tomber la cité des Pictons et l'Aquitaine sous la domination franque. Le Poitou fut ainsi vraiment le berceau de l'Empire franc. C'est au milieu du seuil historique qui avoisine Poitiers que s'orienta pour la première fois le monde nouveau, surgi de l'anarchie des invasions.

Depuis le grand événement de 507, le Poitou partage les vicissitudes de l'Aquitaine, englobée dans l'Etat franc. Triste histoire, pendant plus de deux siècles, que celle de ce suprême asile de la civilisation gallo-romaine, ballotté de maître en maître.

Considérée comme une terre privilégiée, dont le vainqueur était fondé à exploiter sans merci les richesses, la cité des Pictons supporte les dominations successives des rois francs, despotes brutaux, capricieux et avides. Tour à tour, elle appartient au roi d'Orléans, Clodomir (511-524), au roi de Soissons, le farouche Clotaire (524-561), au roi de Bordeaux, Caribert (561-566). Elle est disputée entre Clotaire et son fils Chramne, rebelle, qui vient tenir sa cour un moment à Poitiers (556). Elle voit passer sur son char d'argent la jeune reine de Neustrie, Galswinthe, qui va ceindre une couronne et qui court à la mort. Elle est l'un des théâtres de la lutte atroce, engagée entre le Néron franc, Chilpéric, roi de Neustrie, et le roi d'Austrasie, Sigebert.

Dans cette mêlée fratricide, le Poitou et Poitiers sont pris, perdus, repris quatre fois par les rois ennemis ou par leurs généraux (569-577), jusqu'au moment où ils tombent pour une durée de sept années sous le joug incontesté des Neustriens. Mais à peine Chilpéric est-il assassiné (584) que la lutte recommence. Austrasiens et Neustriens se disputent la possession de Poitiers.

 Un usurpateur, Gondovald, bâtard de Clotaire Ier, les met d'accord en conquérant l'Aquitaine et en s'avançant jusqu'à la capitale du Poitou. Le danger commun oblige enfin les rois francs à s'unir et à reconnaître à l'Austrasie la possession de la région poitevine (585-613), jusqu'au moment où, dans un nouveau conflit, la cité des Pictons se trouve de nouveau rattachée à l'Etat neustrien, qui unifie l'Empire franc.

Clotaire II et le grand roi Dagobert maintiennent alors le Poitou pendant 25 ans sous leur autorité directe. Enfin, un dernier règlement dynastique replace cette région en 638, jusqu'à la fin du VIIe siècle, sous l'autorité du royaume d'Austrasie. Depuis 511, la cité des Pictons avait changé plus de vingt fois de maîtres.

Aussi, lassés de ces deux siècles d'anarchie et de despotisme barbare, les Poitevins, fuyant l'hégémonie de l'Etat franc, se tournent-ils vers l'Etat aquitain, créé en 681, sous le nom de duché, et devenu indépendant, sous le nom de royaume, en 717.

Après une vingtaine d'années d'efforts, le Poitou échappe au joug de l'Austrasie, mais un événement imprévu l'oblige à chercher son salut de nouveau du côté de l'Empire franc, reconstitué par Charles Martel. Le flot de l'invasion arabe, plus redoutable encore pour l'avenir de la chrétienté que jadis celui de l'invasion germanique, menace de submerger l'Occident. Déjà l'Aquitaine et la Septimanie ont été occupées par les musulmans.

L'émir Abd-er-Rahman, victorieux à Bordeaux du roi aquitain Eudes, envahit le Poitou à la tête de sa cavalerie. Poitiers, grâce à sa puissante enceinte romaine, est épargné, mais ses habitants voient l'incendie, allumé par l'ennemi, dévorer les basiliques de Saint-Hilaire et de Sainte-Radegonde, situées hors des murs. Puis, la multitude des infidèles dévale par le seuil de Poitiers, vers les plaines poitevines, jusqu'aux portes de Tours.

Pour la seconde fois, le sort de la Gaule et du monde chrétien occidental va se décider sur le territoire du Poitou. Appelés au secours des Aquitains, les rudes cavaliers austrasiens de Charles Martel accourent et livrent combat aux Arabes, au confluent de la Vienne et du Clain, dans les champs de Moussais près de Cenon, à mi-chemin entre la cité des Pictons et celle des Turons.

C'est la première bataille de Poitiers (17 octobre 732), aussi importante que la seconde, celle de 1356, aussi décisive que la rencontre de Vouillé. Devant les lourds escadrons francs, semblables à un mur d'acier, se brise l'élan de la légère cavalerie arabe qui profite des ténèbres de la nuit pour disparaître rapidement vers le sud. Le Poitou et l'Aquitaine étaient sauvés. Les musulmans, affaiblis par leurs divisions politiques et religieuses, furent dès lors impuissants à renouveler leur effort.

L'Ouest ne devait plus les revoir. Mais il fallut payer d'une nouvelle soumission le concours sauveur de l'Etat franc. Vainement, les successeurs d'Eudes, ducs ou rois d'Aquitaine, Hunald et Waïfre, tentaient-ils de disputer aux Carolingiens, successeurs de Charles-Martel, la souveraineté du Poitou et des autres pays aquitains (735-768).

Une guerre atroce et inexpiable de 33 ans fut le résultat de ce conflit, pendant lequel un grand roi, Pépin le Bref, après avoir conclu avec son frère Carloman au palais de Vieux-Poitiers (742) un acte de partage, prit et reprit la région poitevine, occupa le château de Thouars (762), fit relever les murs de Poitiers démantelés par son rival Waïfre, et finit par rester le maître incontesté d'un pays dont la possession lui permit de maîtriser le reste de l'Aquitaine (768).

Dès lors, sous le gouvernement de Charlemagne, le Poitou connut de nouveau, pour près d'un demi-siècle, le bienfait de l'ordre et de la paix dans le nouvel Empire chrétien et franc restauré.

Il était temps que finît l'anarchie de ces trois siècles, pendant lesquels le Poitou avait souffert tous les maux inhérents aux invasions, à l'instabilité politique, à l'arbitraire administratif, au mauvais régime fiscal, à la tyrannie de puissances locales usurpatrices. Loin de trouver une protection dans le pouvoir de ses maîtres lointains, la cité des Pictons (civitas), qualifiée aussi du nom officiel de pays (pagus), et subdivisée en circonscriptions administratives ou vicairies (vigueries), au nombre de plus de douze, avait eu à subir tous les effets de l'arbitraire des rois successifs qui en étaient devenus les possesseurs, et de leurs hauts fonctionnaires.

 Les ducs, chefs militaires, et les comtes, administrateurs civils du Poitou, luttaient de violences et de concussions à l'égard de leurs administrés, jusqu'au jour où le roi mérovingien les brisait, pour s'emparer du fruit de leurs rapines. Grégoire de Tours a laissé plus d'un portrait de ces abominables représentants de l'autorité royale, dont le type le plus achevé fut cet ancien serf bas-poitevin, Leudaste, devenu comte, dont il faillit être la victime.

Lorsque, à partir de l'édit de 613, les grands propriétaires locaux remplacèrent les créatures du prince dans les hautes fonctions de l'Etat, le Poitou n'y gagna qu'un redoublement de l'arbitraire.

Opprimés par les fonctionnaires royaux, les contemporains des Mérovingiens dans l'Ouest perdirent sous ce joug tyrannique les garanties qu'assure l'ordre administratif. Plus de sécurité pour les biens et pour les personnes. Plus d'organisations municipales régulières. Dans quelques centres urbains des vestiges du régime romain subsistèrent.

Pendant la dernière moitié du VIIe siècle (en 677), Poitiers conserve encore son protecteur officiel ou défenseur, comme sous le Bas-Empire, sa curie ou assemblée, composée de sept magistrats (curiales), assistés d'un secrétaire greffier. Mais cette institution, fantôme du passé, ne sert guère que d'office d'enregistrement pour les actes publics ou privés, auxquels il confère l'authenticité. Plus de libertés, plus de police; à peine un simulacre de justice. Toutes ces institutions ont sombré dans cette anarchie despotique qui caractérise les deux cent cinquante ans de l'hégémonie franque, antérieure à Charlemagne. Le régime fiscal est un pur brigandage.

Les rois mérovingiens qui ont hérité de l'Etat romain de vastes domaines (villæ royales ou palatia) dont on trouve la trace en Poitou assez fréquemment, ne songent qu'à compenser par de nouvelles confiscations, aux dépens des particuliers, les effets des prodigalités par lesquelles ils diminuent sans cesse l'étendue de ces terres, d'où ils devraient tirer leurs principaux revenus. Quand les rois sont puissants, leur fisc ne vit que d'exactions, comme à l'époque de Chilpéric. C'est une grossière machine qui écorche avec une telle maladresse, qu'à deux reprises, le Poitou est sur le point de se soulever.

Quand ils sont faibles, comme au VIIe et au VIIIe siècle, au lieu d'un maître et de quelques centaines de fonctionnaires, ce sont les milliers de tyranneaux locaux qui pillent, de connivence avec les premiers, les petits et les faibles. Aux exactions fiscales se joint, mal pire encore, le fléau des bandes guerrières. Si l'on songe que la guerre est restée à l'état quasi endémique dans l'Ouest deux siècles et demi, on peut imaginer ce que le Poitou dut souffrir de ces troupes régulières ou irrégulières, saliennes et wisigothes, austrasiennes, bourguignonnes, neustriennes, aquitaines, vasconnes, arabes, franques, qui se déversèrent sur son sol, à la façon d'un torrent déchaîné. Le spectacle a été maintes fois décrit dans les récits colorés de Grégoire de Tours et dans les sèches annales des chroniqueurs postérieurs.

Les églises et les monastères flambent après le pillage, aussi bien que les villages et les faubourgs des villes. Les paysans, les clercs, les moines sont massacrés. On outrage les femmes et même les nonnes. On n'épargne ni l'enfance ni la vieillesse.

On met le feu aux moissons; on arrache les arbres fruitiers et les vignes. Les bandes font le désert partout où elles passent. Tel est le tableau que présenta le Poitou, en particulier lors des luttes entre l'Austrasie et la Neustrie, entre les Arabes et les chrétiens de Gaule, entre les Aquitains et les Francs.

Dans cette période, où les générations nouvelles connurent l'extrémité de la misère humaine, sous les gouvernements à demi barbares qui s'imposèrent à elles, il n'y eut plus de sécurité pour.la masse qu'à l'abri des seules puissances qui restaient debout, celles de l'aristocratie et de l'Eglise. La plupart des hommes libres, de ces petits propriétaires, curiales, alleutiers, habitants des villes et des bourgs (vici), dont on entrevoit l'existence dans les rares documents relatifs au Poitou, jusqu'au IXe siècle, ont dû se ranger dans la clientèle des évêques, des moines et des grands. La plupart des habitants de la région poitevine, anciens cultivateurs libres (colons), affranchis, esclaves ruraux se confondent dans la multitude des serfs et des serves (servi et ancillæ) qui peuplent au VIIe et au VIIIe siècle les grands domaines (villæ ou curiæ) royaux, aristocratiques et ecclésiastiques poitevins. Les anciens grands propriétaires romains (senatores) du Poitou, tels que ce Basile et ce Sighaire, que mentionne Grégoire de Tours, se confondent avec les nouveaux propriétaires d'origine franque, bourguignonne, vasconne qui s'implantent dans le pays, et avec les hauts fonctionnaires, usurpateurs des terres royales ou des possessions privées.

Cette noblesse terrienne joint, à partir du VIIe siècle, au prestige social que lui donne la richesse, l'autorité qui lui vient de l'exercice des fonctions publiques.

C'est ainsi qu'à cette époque, une véritable primauté est exercée dans la province par une famille dont le membre le plus illustre a été le fameux adversaire d'Ebroïn, Leodegarius (Saint-Léger). Cette famille, qui détenait en Bourgogne et en Poitou de vastes possessions territoriales, fournit en cent ans à l'Eglise de Poitiers deux évêques célèbres en leur temps, conseillers influents des rois d'Austrasie, Dido et Ansoald, un archidiacre, c'est-à-dire le second personnage du diocèse, ensuite abbé de Saint-Maixent et évêque d'Autun, Saint-Léger, et un comte de la cité des Pictons, Guérin. Elle monopolise ainsi l'autorité sociale, religieuse et administrative. Ses membres siègent au conseil et au tribunal des souverains austrasiens, confèrent ou enlèvent le pouvoir suprême aux princes, gèrent des ambassades, sont mêlés à toutes les intrigues de l'aristocratie austrasienne entre 638 et 685.

Toutefois, l'influence de la noblesse laïque qui, grandit en Poitou reste inférieure à celle de l'Eglise.

Celle-ci offre aux hommes de ce temps le vrai centre de ralliement pour les intérêts et les croyances, le véritable asile où se conservent les derniers vestiges de la paix et où brillent les suprêmes lueurs de l'ancienne culture. L'évêché de Poitiers ne déchoit pas du haut rang où saint Hilaire l'a placé et demeure, avec celui de Tours, l'un des premiers centres où survit la civilisation romaine et chrétienne en Occident.

Si les évêques ne sont pas toujours des hommes de premier plan, si même l'épiscopat est parfois conféré à des courtisans, à des soldats des rois mérovingiens et carolingiens, à des membres peu recommandables de l'aristocratie, du moins il se trouve encore parmi les grands dignitaires ecclésiastiques des personnages remarquables par leurs talents ou par leur influence, tels que les Fortunat, les Dido, les Ansoald. Ils groupent fortement autour d'eux leur clergé séculier et monastique. Ils exercent, avec le titre de défenseurs de la cité, une influence politique considérable; ils sont chargés par la royauté elle-même du contrôle de l'administration civile. Ils ont la principale autorité sociale. Ils contribuent enfin à la diffusion du monachisme et coopèrent à la grande œuvre entreprise par le Poitou chrétien, c'est-à-dire à la conversion de l'Occident païen.

Un moment étouffé au cours du Ve siècle, le mouvement monastique reprend en effet une vigueur nouvelle dans la région poitevine, où s'est allumée sa première flamme, et qui en redevient un des foyers les plus actifs. Peu avant le VIe siècle, un solitaire, Jovinus, à créé à Ansion, sur les confins de la Gâtine, le célèbre monastère qui portera plus tard le nom de son fondateur, Saint Jouin de Marnes.

Vers l'époque de Clovis, deux anachorètes, venus de Narbonnaise, Agapit et Adjutor, ce dernier plus connu sous le nom de Maxentius, attirent par leur renom de sainteté une foule de disciples, épris de la vie érémitique. Ainsi naît dans les forêts de la Sèvre le fameux centre monastique de Saint-Maixent.

Vers le dernier tiers du VIe siècle, sur 31 monastères qui existaient en Gaule, le Poitou à lui seul en possédait quatre des plus fameux. A leur tête se plaçait la première grande abbaye de femmes instituée dans l'Empire franc. Elle était la création de la fille d'un roi de Thuringe, Radegonde, mariée malgré elle au sanguinaire Mérovingien, Clotaire Ier. A 24 ans, après six années d'une union forcée, elle abandonnait un époux débauché, meurtrier de ses parents, prenait le voile à Noyon, s'enfuyait dans une villa royale des confins du Poitou et enfin dans l'asile de la basilique Saint-Hilaire. Elle en sortait pour fonder l'illustre monastère de Sainte-Croix, ainsi nommé des fragments de la vraie croix que la fondatrice avait obtenus en don des Empereurs byzantins.

L'abbaye nouvelle, construite après dix ans de travaux (559), fut une véritable villa romaine avec ses dépendances, portiques, jardins, balnéaires, entourée de plus de fortes et hautes murailles, garnies de tours, et desservie par une église dédiée à la Vierge. Enrichie par la faveur des princes et des grands, elle fut le refuge de 200 religieuses, la plupart filles de sénateurs et même de rois, qui y vivaient, soumises à la règle de saint Césaire, d'une vie où les exercices pieux, la lecture des livres saints, l'abstinence de la viande et du vin, n'empêchaient pas le culte des lettres et certains accommodements avec le monde.

On y recevait les évêques, les clercs, ou les laïques de distinction, qui trouvaient dans un logement distinct les recherches d'une table et d'une hospitalité délicates. La fondatrice elle-même vivait sur le pied d'une affectueuse familiarité avec l'évêque-poète Fortunat, échangeant avec lui de menus cadeaux, d'aimables conversations et des mièvreries poétiques.

En renonçant volontairement à l'éclat du rang suprême pour adopter à Sainte-Croix l'humble existence d'une servante du Christ, cette fille, femme et parente de rois, jeta sur le monachisme naissant en Gaule et en Poitou, jusque-là peu considéré, un lustre incomparable, dissipa les préjuges, suscita les vocations et commença à attirer vers les cloîtres les âmes d'élite que rebutait une société barbare et tourmentée.

Au cours du VIIe siècle, cet âge de fer, le pire de l'anarchie franque, le mouvement prenait une extension plus grande sous l'influence du célèbre moine irlandais, saint Columban, qui groupait dans ses colonies monastiques de la Gaule orientale les hommes d'action et les apôtres de son temps. Ce fut un de ses disciples, saint Philibert, qui, après avoir fondé en Neustrie l'abbaye de Jumièges (654), vint donner dans la région poitevine une nouvelle impulsion au monachisme, en créant, avec le concours de l'évêque Ansoald, au cœur de l'île d'Herio le fameux monastère de Noirmoutier (671-674), où il mourut. En même temps, un de ses émules, le Poitevin Achard, insti- tuait auprès de Poitiers l'abbaye de Quinçay, qui prit plus tard le nom de Saint-Benoît, tandis que l'évêque irlandais Romanus installait, non loin de Lussac-les-Châteaux, le petit monastère de Mazerolles.

D'autres cloîtres surgissaient, dont l'origine est plus obscure, ceux de l'île d'Yeu, près de la côte, de Saint-Michel-en-l'Herm, de Saint-Martin- de-Vertou dans le pays d'Herbauge, de Saint-Junien-de-Mairé dans le Poitou méridional.

Enfin, au VIIIe siècle et au début du IXe, un élan décisif, dû à l'action combinée de la papauté et des Carolingiens, était donné à l'institution monastique. La règle bénédictine, avec son esprit hiérarchique et son caractère pratique, propagée par saint Benoît d'Aniane, triomphait dans les nouveaux monastères du Poitou, Nouaillé, Charroux (780), Saint-Savin-sur-Gartempe, Nanteuil- en-Vallée (fin du VIIIe siècle), Saint-Cyprien de Poitiers (828), organisés par Charlemagne, par ses fils et par les grands seigneurs du pays.

Grâce à ce travail trois fois séculaire, le Poitou se trouva être une des régions de la Gaule où le monachisme eut le plus de force. Non seulement il contribua à accroître la puissance sociale de l'Eglise, en accumulant les biens, les privilèges, les immunités, dont les grands et les fidèles furent prodigues à l'égard des moines, médiateurs vénérés entre l'homme et Dieu, mais encore il aida puissamment à l'œuvre civilisatrice du clergé. Dans les centaines de domaines, formés souvent, à l'origine, de forêts, de landes, de terres incultes, dont les monastères poitevins, Saint-Hilaire, Saint-Maixent, Noirmoutier, Charroux par exemple, furent pourvus, les moines organisèrent de véritables colonies agricoles, et recommencèrent le défrichement d'un pays retourné en grande partie à la barbarie primitive. Leurs cloîtres furent les asiles où se conservèrent vacillantes les suprêmes lueurs de la culture intellectuelle. Ils travaillèrent enfin, à la tête de l'Eglise poitevine, à la rénovation morale de l'Occident, en entreprenant la conversion de la Gaule et de la Germanie païennes au christianisme.

La mission civilisatrice que le Poitou assuma en dirigeant la propagande chrétienne fait honneur à ce pays. Elle est son principal titre de gloire, de même que celui de l'Aquitaine restée fidèle à la culture romaine et chrétienne, pendant le haut moyen âge. Evêques et moines poitevins ne se contentent pas de poursuivre dans l'ouest l'œuvre de saint Hilaire et de saint Martin, d'extirper le paganisme vivace des campagnes, de fonder des paroisses, d'édifier des églises urbaines et rurales. Leur prosélytisme civilisateur et religieux s'étend au- delà, sur tout l'Empire franc.

Ce sont des Poitevins, saint Lubin, évêque de Chartres, saint Paterne, évêque d'Avranches, saint Amand, fondateur de l'abbaye de Gand et premier évêque de Maëstricht, qui évangélisent la Vasconie, la Neustrie occidentale, le pays Chartrain et le Cotentin, de même que les Flandres et l'Austrasie de l'ouest. D'autres Poitevins figurent au premier rang dans la conquête du monde germanique à la foi chrétienne. Tels sont saint Berchaire, qui fonda l'abbaye de Montierender; saint Romaric, qui créa celle de Remiremont; saint Hadelin, qui institua le monastère de Lesse, près de Dinant, et qui fut ensuite évêque de Trèves.

A côté de ces apôtres de l'Austrasie occidentale, figure encore saint Fridolin, qui, après avoir été abbé de Saint-Hilaire de Poitiers, alla porter le christianisme aux Barbares des Vosges et de l'Helvétie, où les Suisses des Grisons le vénèrent comme leur patron. Enfin, de la cité épiscopale même de Poitiers partaient saint Arbogast qui fut évêque de Strasbourg, et l'apôtre des Bavarois, saint Emmeran, fondateur de l'église de Ratisbonne, mort sur les bords de l'Inn, martyr de sa foi.

A l'action de l'Eglise, le Poitou dut de conserver aussi les derniers vestiges de la moralité. Sans doute, les églises et les monastères ne furent pas toujours à l'abri des passions et des désordres du siècle. La végétation folle des superstitions étouffait souvent les vraies croyances. Le culte se matérialisait : les saints faisaient oublier la Divinité et leurs reliques inspiraient une dévotion outrée. On se disputait les souvenirs de saint Hilaire, de saint Maixent, de saint Léger. On voyait à Poitiers des multitudes s'étouffer pour recueillir la poussière du tombeau de l'évêque Thaumastus, qui passait pour guérir de la fièvre et des maux de dents.

Mais du moins, l'Église, surtout celle des monastères, essayait d'imposer une digue à la violence des passions, conservait un idéal moral élevé, dont l'ascétisme fut une des formes, opposait à l'anarchie ambiante le spectacle de la discipline volontaire de ses moines, inspirait aux hommes de ce temps, violents et grossiers, une admiration mêlée de terreur. Les ascètes, tels que saint Maixent, les fondateurs d'ordres, tels que saint Philibert, saint Achard et saint Benoît d'Aniane qui vécurent en Poitou, y eurent une influence profonde, analogue à celle qu'exerça aussi la recluse royale volontaire de Sainte-Croix, sainte Radegonde, en mettant en honneur la frugalité, la pénitence, le renoncement, l'obéissance, l'attachement à une œuvre commune de relèvement religieux et de renaissance morale.

Monastères et églises furent des refuges contre l'injustice et la violence. L'asile de la basilique Saint-Hilaire, accueillant les grands comme les petits, fut, avec celui de Saint-Martin de Tours, le plus renommé des lieux saints de l'époque mérovingienne, où les opprimés trouvèrent quelque protection. L'Eglise poitevine tentait de soulager la misère humaine, en organisant par les soins de l'évêque Ansoald, le premier hôpital que l'on connaisse à Poitiers. On voyait une reine, sainte Radegonde, distribuer de ses propres mains les aumônes aux pauvres à la porte de Sainte-Croix, soigner les aveugles et panser les plaies répugnantes des lépreux.

Dans ce naufrage de la civilisation romaine, l'Église enfin, aidée des Carolingiens, tenta de sauver quelques débris de l'ancienne prospérité matérielle et de la vie intellectuelle d'autrefois. La plupart des petites villes avaient péri dans la tourmente des invasions et dans l'anarchie de deux siècles et demi qui la suivit. Le marécage s'étendait sur 30 kilomètres de long, à 10 lieues dans l'intérieur du pays, parsemé d'îlots où vivaient quelques misérables pêcheurs à demi sauvages.

Histoire_de_Poitou_([5e_édition])_[

 Statuette de Mercure trouvée à Herbord, vue de dos et de face. — Statue antique de Minerve, trouvée à Poitiers. — Ruines du grand amphithéâtre de Poitiers (recueil Chastillon). —Ruines gallo-romaines de Sanxay. (Phot. Robuchon.)

 

 

La forêt avait reconquis son domaine des temps primitifs, couvrant la Gâtine, le Bocage, la Plaine même où devait s'élever Fontenay, les dunes de l'Olonnais et du Talmondais, la majeure part du Haut et du Bas-Poitou.

Dans les grands domaines (villæ), les serfs cultivaient péniblement les céréales, la vigne, les plantes industrielles, et élevaient les troupeaux. Chaque centre agricole devait se suffire. Le fameux capitulaire de villis, œuvre de Charlemagne, et relatif à l'Aquitaine, dont le Poitou était l'une des principales parties, montre quelle était la vie sans horizon des cultivateurs de ce temps. L'industrie s'est restreinte presque partout à l'exercice des métiers domestiques pratiqués dans chaque domaine. La production languit et se localise. Les habitants des villes végètent dans les enceintes devenues trop larges.

La circulation commerciale se traîne péniblement sur les vieilles voies romaines, livrées à l'abandon.

Les seuls germes de renaissance économique sont jetés par les monastères et par les rois carolingiens. Les colonies monastiques commencent en Poitou l'essartage, c'est-à-dire le défrichement des forêts et des landes. Elles essaient d'améliorer l'élevage et les cultures. Leur exemple stimule les grands propriétaires. Les princes de la dynastie carolingienne, Charlemagne en particulier, mettent à profit ces leçons dans leurs vastes domaines du Poitou. Ils s'efforcent même de restaurer la sécurité des transactions et de réparer les routes qui prennent en pays poitevin le nom de chaussées royales ou de chemins Charlemagne. Mais ces efforts limités et précaires ne suffisent pas à rendre à la région poitevine la richesse que la domination romaine lui avait assurée.

Le déclin de la vie intellectuelle y avait été d'abord moins profond que celui de la prospérité matérielle. Le Poitou reste même, jusqu'à la fin du VIe siècle, le centre le plus remarquable de l'activité de l'esprit en Gaule.

Aux abbayes Saint-Hilaire et Saint-Maixent, au monastère de Ligugé, auprès de l'église cathédrale de Poitiers, il y a des écoles florissantes, où le clergé reçoit l'instruction, où des moines composent des vies de saints et des recueils techniques. A l'abbaye Sainte-Croix, au temps de Radegonde, les religieuses sont versées non seulement dans la lecture des livres saints et des ouvrages des Pères de l'Église, mais encore dans celle des histoires d'Orose et des poésies de Sedulius.

C'est à Poitiers qu'a brillé, à la fin du VIe siècle, la dernière lueur de la poésie latine avec l'Italien Fortunat, devenu prêtre et évêque de l'Eglise poitevine.

Ce panégyriste des rois francs puise même ses meilleures inspirations dans ce séjour, où il passe les trente dernières années de sa vie. Il écrit, sous les regards des abbesses, sainte Radegonde et Agnès, ces poèmes où revivent quelques-unes des scènes les plus terribles de la conquête franque, aussi bien que ces poésies gracieuses, où, dépouillant les artifices du rhéteur, il célèbre avec sincérité les charmes de l'amitié et les paisibles occupations de la vie du cloître.

Mais bientôt, la torpeur intellectuelle pénètre aussi en Poitou, et quand la renaissance éphémère des temps carolingiens surgit enfin, ce n'est plus à Poitiers, mais à Saint-Martin de Tours, sous les auspices d'Alcuin, qu'elle trouve son principal foyer dans l'Ouest.

L'art puissant, varié et parfois délicat de l'époque romaine n'a pas survécu non plus à la crise.

Celui qui se manifeste en Poitou, pendant les cinq siècles du haut Moyen Age, balbutie gauchement.

Au lieu des grandioses monuments dont les Romains avaient parsemé le sol de la province, on n'a plus que des églises de bois et de pierre, à trois nefs en forme de croix, où des tours à lanterne surplombent le maître-autel et dans lesquelles des cryptes (confessions) abritent le tombeau d'un saint, comme la première cathédrale de Poitiers, comme les primitives basiliques de Saint-Hilaire et de Sainte-Radegonde.

 Le suprême effort de l'art architectural mérovingien apparaît au VIe siècle dans ce baptistère Saint-Jean de Poitiers, le plus ancien édifice chrétien de ce genre qu'on ait conservé en France. Avec ses corniches, imitations des entablements antiques, les lourds et grossiers pilastres de ses angles, ses frontons dégénérés, ses colonnettes à chapiteaux corinthiens ou orientaux, ses fresques et ses pavés en mosaïque, ce temple est visiblement conçu sur le modèle des constructions romaines qu'il rappelle sans les égaler. Puis, apparaît toute la pauvreté d'invention, toute la gaucherie d'exécution des artistes malhabiles de ce temps, comme dans cette fameuse chapelle, l'hypogée des Dunes de Poitiers, découverte depuis quarante ans, où un abbé du nom de Mellebaude s'avisa de recueillir des reliques de martyrs et plaça sa sépulture.

A l'imitation des ornemanistes et des sculpteurs gréco-syriens et byzantins, les architectes et les sculpteurs du Poitou franc décorent les murs des édifices d'ornements variés, fleurs et perles, cercles et rosaces, entrelacs et torsades, losanges, chevrons ou dents de scie, mais avec une maladresse dans la technique que ne montraient pas leurs émules. Ils se spécialisent surtout dans le travail des tombeaux de pierre ou sarcophages. Toute une école féconde a produit dans les ateliers de Poitiers, d'Antigny, de Civaux des milliers de ces ouvrages, dont les couvercles étaient décorés d'ornements fort simples, et dont l'art rudimentaire contraste avec l'élégance des sculptures analogues de l'école provençale, plus voisine de l'Orient. Des arts industriels à demi barbares, orfèvrerie, verrerie, céramique, émaillerie, imprégnés fortement d'influences germaniques, mêlées à des survivances de la tradition gréco-romaine et byzantine, ont aussi des représentants dans le Poitou de cette époque.

Quelquefois, les orfèvres, tels que celui qui a exécuté les bijoux du trésor de Javarzay (Deux-Sèvres), ou les monnayeurs qui ont frappé les monnaies des nombreux ateliers monétaires poitevins, ne sont pas trop indignes de leurs devanciers.

A travers la décadence de cette longue période, subsistent donc dans les diverses manifestations de l'activité humaine, comprimés par la barbarie et par l'anarchie, les germes d'un meilleur avenir. La brillante civilisation féodale poitevine est déjà en puissance dans le chaos du haut Moyen Age.

==> Sur la Terre de nos ancêtres du Poitou - Aquitania

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