L'homme, de tout temps, a recherché par instinct le merveilleux, et, lors même qu’il ne peut croire, il aime à élever son esprit au -delà des réalités qui chaque jour frappent ses sens.
Nous avons soumis les arts à cette loi de notre nature nous voulons qu'ils nous présentent sous un aspect en quelque sorte surnaturel les personnages et les objets qu’ils nous retracent l'histoire elle-même, maigre sa mission vénérable et sacrée de n'admettre que la vérité, maigre la grandeur et souvent la beauté des scènes qu'elle met sous nos veux, n'aurait qu'imparfaitement le don d'agréer s’'il n'était permis de lui joindre parfois la poésie.
Nous avons une faculté, l'imagination, qui semble prendre à tâche de nous faire sentir notre petitesse et de nous en faire rougir. De là ce plaisir que nous éprouvons a nous figurer que l’espèce humaine n'a pas toujours été aussi faible, et qu'elle a été représentée, dans les temps nébuleux de l'histoire, par d'immenses géants ou par des esprits doués d'une merveilleuse puissance. De là ces héros dont l'antiquité s'était éprise au point de les placer sur ses autels; de là encore ces hommes de taille colossale, ces guerriers aussi forts que des armées entières, ces fées redoutables et généreuses dont nos ancêtres aimaient tant à entendre raconter les bienfaits ou chanter les exploits.
A quoi bon tout ceci? me dira quelque jeune lecteur peu habitué aux considérations philosophiques: à quoi bon tout ceci lorsqu’il s’agit simplement des vieilles murailles d’un château ? Patience, mes bons amis, c’est justement le château du Coudray-Salbart qui me fait penser aux légendes, et vous allez sans peine voir pourquoi.
Nos ruines féodales ont quelquefois leur histoire dûment authentique chez messieurs les savants : mais nos villageois, qui n’ont guère le loisir de compulser les parchemins poudreux, se sont emparés de la légende, et c’est spécialement au vieux château que s’attachent les souvenirs romantiques.
Sous ce rapport, l’antique castel de coudray-Salbart est un des mieux partagés. Pour lui, la légende remplace même l’histoire, et si vous demandez aux habitants voisins quel seigneur l’a bâti, ils vous parleront de Mélusine.
« Mélusine, vous diront-ils, la fée bienfaitrice du Poitou, se promenait un soir toute pensive sur les bords de la Sèvre Niortaise. Richard-Cœur-de-Lion venait de bâtir ses donjons de Niort, et sans doute elle cherchait en elle-même le moyen de rivaliser par quelque œuvre extraordinaire avec le royal ingénieur. Elle ne tarda pas à aviser, en face d’une petite presqu’ile formée par un sinuosité du fleuve, un amas de rochers ; elle jugea l’emplacement favorable à l’exécution de ses desseins, et y creusa avec sa baguette magique les fondements de cinq tours. Le tablier de la fée était magique aussi : il pouvait, comme la hotte de Gargantua, contenir des monceaux de pierres ; ce précieux avantage lui permit de porter en trois voyages les matériaux nécessaires.
Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour poser les assises ; bref, le lendemain, les habitants d’Echiré et de Ternateuil, stupéfaits à la vue de ce palais improvisé, crurent un instant n’être plus dans leur pays. Ils ne comprirent qu’après s’être souvenus de Mélusine ! »
N’avais-je pas raison, mes jeunes amis, de penser aux légendes avant qu’à toute autre chose, en vous parlant du Coudray-Salbart ?
1874 Le Journal de la jeunesse : nouveau recueil hebdomadaire illustré A.Saint-Paul
Carte de la Gatine du Poitou comprenant ses anciennes circonscriptions jusqu'en 1789<==.... ....==>