Quelle est la source de ce mythe étrange qui, chanté en prose et en vers par les trouvères, faisait les délices des cours féodales, surtout de celle des Lusignan, fiers d'une telle origine ?
Problème difficile dont personne ne saurait prétendre avoir trouvé la solution. M. Desaivre, dans une dissertation pleine de curieuses observations, considère Mélusine comme une fée gauloise, une déesse mère.
C'est une fée des eaux, la fée du rocher et de la source de Lusignan. On sait combien le culte des fontaines était cher aux Gaulois. Mélusine, adoptée et honorée par le chef gallo-romain du pays; Lucinius ou Licinius, en a reçu le nom, mater Lucinia, d'où dérive sa dénomination populaire de Merlusine.
Les chefs barbares et les Lusignan l'acceptèrent avec bonheur comme leur ancêtre légendaire. Puis les vieux romanciers, prédécesseurs de Jean d'Arras et de Couldrette, transportant la fée des temps gaulois aux temps féodaux, en auront fait, soit par flatterie, soit par crédulité naïve, une fée chrétienne protectrice et mère des fameux sires de Lusignan. Mais à l'origine et en réalité elle n'est rien autre chose qu'une divinité agreste et gauloise.
M. l'abbé Jarlit donne à la fable de Mélusine une origine bien plus lointaine. La fée moitié femme et moitié serpent du Poitou, dont Jean d'Arras et les autres trouvères font une princesse d'Albanie, c'est-à-dire du pays du Caucase, doit être identifiée à la femme serpent qu'Hercule, d'après le récit d'Hérodote, rencontra et épousa chez les Scythes. Son nom, comme sa légende, est d'origine scythique.
Il dérive du vieux mot slave, Milouziéna, femme gracieuse, enchanteresse. Ce mythe de Mélusine, que M. Jarlit serait même enclin à faire remonter au fait paradisiaque de la tentation de la femme par le serpent, semble en tout cas bien constaté dans le pays des Scythes.
L'auteur en conclue logiquement qu'il a été importé à Lusignan par les colonies Teifales du ive siècle, qui, on le sait, sont de race scythique.
Là, il s'est transformé et incarné dans la famille des premiers seigneurs à laquelle il a survécu, conservant dans toute sa force, malgré ses modifications, sa popularité superstitieuse.
Au surplus, ce n'est pas seulement en Poitou que l'on rencontre la légende de Mélusine. Elle est encore vivante en Forez, en Dauphiné, sur les bords du Rhin, en Luxembourg, et partout en Occident elle semble avoir été importée d'Orient par les peuples Ariens (2).
Si, comme nous serions disposés à l'admettre, l'importation en Poitou du mythe de Mélusine est due aux Teifales scythes, nous ne saurions considérer avec M. Jarlit les chefs Teifales des colonies de Lusignan comme les premiers ancêtres de la famille de ce nom.
Cette opinion nous semble -absolument gratuite. Quand on n'a pas de documents à invoquer, toute hypothèse est interdite. Lorsque les Lusignan apparaissent pour la première fois dans l'histoire locale, au commencement du xe siècle, ils sont déjà en possession de nombreux domaines.
Mais nul ne saurait fixer la source première de leur famille et de leur puissance. Toutefois, la petite ville où ils règnent jouit déjà d'une certaine importance.
Dès l'an 929, elle est signalée comme chef-lieu d'une viguerie qui s'étendait fort loin du côté du département actuel des Deux-Sèvres, puisqu'elle comprenait Ribrolle (commune de Salles), Rouvre et Bretignolle (commune de Saint-Maxire).
MELUSINE ET LUSIGNAN <==.... ....==> Le château de Mélusine de Lusignan
JARLIT (abbé François) Origines de la légende de Mélusine
Extrait des "Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest", T. VII, 1884