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PHystorique- Les Portes du Temps
24 mars 2023

1347 Bataille de la Roche- Derrien

1347 Bataille de la Roche- Derrien

Cette ville doit son origine à Derrien, fils d'un comte de Penthièvre, qui y bâtit en 1070 un château entouré de murailles et de fossés. Rupes Erriani, petite ville, Côtes-du-Nord (Bretagne)

- La Roche tient une grande place dans les romans de chevalerie, et il en est fréquemment question dans Amadis des Gaules, sous la désignation de Roche-Périon, nom d'un célèbre chevalier de la Table ronde, père d'Amadis. Amadis, était appelé le Chevalier de la Verte Épée.

La Roche-Derrien était une place très-fortifiée, dont le comte de Northampton, Guillaume de Bohun, s'empara en 1345, et y fit un riche butin.

L'an 1347, Charles de Blois vint mettre le siège devant la Roche-Derrien.

Charles avait sous ses ordres grand nombre de gens français, bretons et d'autres nations.

Le prince divisa son armée en plusieurs compagnies ; une partie fut mise en une place qu'on appelle la Place-Verte, en la paroisse de Languet, de l'autre côté de la rivière que l'on appelle Jaudi.

Charles ordonna et commanda à ceux gull plaça en ce lieu, que pour aucun cri ou pour quelque autre signal que ce fut, ils ne quittassent leur poste pour venir se joindre à une autre compagnie.

 Le duc pensait que Thomas d'Agworth, chevetaine (capitaine) des Anglais, qui à ce moment se trouvaient en Bretagne, devait attaquer cette place où étaient lesdits Bretons, Français et autres.

La compagnie de l'armée en laquelle se tenait le duc, occupait la place entre l'église de Notre-Dame et la porte qui est appelée la porte de Jument.

Les autres compagnies campaient autour de la ville. Mais les deux compagnies susnommées étaient les plus fortes.

Autour de la ville étaient neuf grands engins, parmi, lesquels il y en avait un qui lançait des pierres pesant 300.

Tous tiraient sur la ville de telle façon, qu'ils rompaient les maisons, tuaient les gens, les chevaux et les autres bêtes.

Un coup entre autres dudit grand engin, frappa sur une maison ou château, dans lequel se trouvait, en mal d'enfant, la femme du capitaine de la ville. Le coup de pierre rompit plus de la moitié de la maison. La femme du capitaine eut grand peur, se leva tout épouvantée et vint à son mari, sir Richard Toutesham et le pria de rendre le château. Mais il ne voulut point y consentir.

De rechef fut lancée une autre pierre partant du côté où le duc tenait son siège, et celle-ci fit un trou à la tour où se trouvaient le capitaine et sa femme. Mais cela ne le décida point davantage à se rendre.

Il arriva que les bonnes gens de cette terre qui, auparavant étaient en la subjection des Anglais, s'armèrent de fronde et commencèrent à assaillir la ville avec de merveilleux efforts, car ils étaient une grande quantité.

 Ils firent logements, ville et rues au camp, et l'on y portait tout en telle abondance, que les vivres y étaient à bon marché.

 Tous les jours il y avait assaut à la ville et au château, de telle façon que les assiégés ne savaient que faire.

Les nôtres eussent pris la place s'ils l'eussent voulu, car ceux de la ville et du château étaient résolus à se rendre, leur corps et leur vie saufs.

 Il arriva que le duc fut déçu, par mauvais conseil, et ne voulut se rendre maître de la ville, jusqu'à ce que Thomas d'Agworth vint au secours de celle-ci et se fit prendre. Mais plusieurs de l'armée du duc promirent aux gens de la ville qu'ils seraient reçus dans les huit jours, on la forme et manière qu'ils requéraient.

 

Sur ces entrefaites, Thomas d'Agworth vint vers la ville de Carhaix avec une grosse armée, par sentiers et par bois, le plus secrètement qu'il pût, et se logea cette nuit en l'abbaye de Begar, en laquelle, il n'était plus demeuré aucun moine, depuis que les Anglais étaient venus à la Roche-Derrien.

 Il y trouva certains serviteurs qui gardaient l'abbaye, et il entra là cette nuit, sans que ceux du pays ou peu le sussent. Il y soupa ainsi que ses troupes, et ne fit aucun mal à ceux qu'il y trouva. ,

Après qu'il eut soupé, d'Agworth entra en l'église, y fit son oraison, et veilla jusqu'à minuit. Il expliqua ensuite à ses troupes comment il attaquerait l'armée du duc, et il leur donna, pour signe de ralliement, un mot qu'ils devaient se dire l'un à l'autre, tout bas durant la bataille pour se reconnaître. Les Anglais devaient tuer quiconque ne leur répondrait pas par ce mot.

Quand ces choses furent par lui ordonnées, d'Agworth partit à minuit environ, et s'en vint par une autre route que l'on ne pensait à la Roche-Derrien.

En effet, le corps d'armée qui était en la Place-Verte s'était préparé à combattre vigoureusement le capitaine anglais. Mais celui-ci qui apprit sa force, par aventure, se tourna vers le corps du duc.

Le duc et les siens croyant qu'il attaquerait de l'autre côté, ne se gardaient pas de lui.

Thomas d'Agworth vint au pont d'Aziou sur le Jaudi, par la grande route de la Roche-Derrien, près du gibet de la ville de la Roche.

Cette nuit veillaient au corps d'armée du duc, Robert Arael, le seigneur de Beaumanoir, le seigneur de Deral et beaucoup d'autres seigneurs, desquels plusieurs ne faisaient pas leur devoir, car ils ne veillaient pas bien.

 On dit que lorsque Thomas d'Agworth s'approcha du campement du duc, il savait fort bien où se trouvait celui-ci. Il mit plusieurs charrois et plusieurs varlets entre le moulin et la maladrerie.

Il était environ entre minuit et le point du jour; et la nuit était très-obscure.

Les varlets qui étaient entre le moulin et la maladrerie, commencèrent à pousser un cri terrible. Quand ceux qui veillaient en cette partie entendirent ce cri, ils voulurent aller voir ce que c'était ; mais ils eurent bientôt l'armée ennemie sur eux. Ils lui livrèrent combat et mandèrent aux troupes du duc qu'elles s'armassent sur-le-champ.

Avant que celles-ci fussent tout à fait armées, les ennemis les assaillirent. Il y eut la bataille dure et forte, et messire Thomas d'Agworth fut pris.

Il arriva que lorsque les vainqueurs voulaient le mener aux tentes du duc, ils se trouvèrent en présence d'une nouvelle bataille qui secourut ledit sire Thomas.

Le combat recommença. Le jour n'était pas encore levé ; il faisait très-sombre, et les nôtres s'entretuaient, se prenant pour ennemis, tandis que les Anglais, avec leur mot de ralliement, se reconnaissaient entre eux.

En cette bataille fut pris de nouveau Thomas d'Agworth de la propre main du duc. Il y avait en ce lieu beaucoup de combats divers, les uns auprès des autres, et on se battait à la clarté des cierges et des torches.

 En différents lieux et places, combattaient le vicomte de Rohan et le seigneur de la Vauguyon.

Quand les Anglais virent que Thomas d'Agworth était pris de rechef, un certain nombre d'entre eux partirent de l'armée et s'en vinrent à ceux de la Roche-Derrien, et les requirent de les venir aider et secourir.

Alors les gens de la ville et du château sortirent armés d'une espèce de haches tranchantes, montées sur manches de bois de deux pieds et demi environ.

Ils étaient à peu près 500 hommes, forts et délibérés, tant du château que de la ville ; Ils se jetèrent sur l'armée du duc et des autres qui combattaient en ce moment, secoururent de nouveau messire Thomas, et avec leurs haches, mirent à mort beaucoup de soldats de Charles.

Or, ceux que le duc avait ordonné pour être au lieu dit la Place-Verte, ainsi qu'il a été raconté plus haut, ne savaient rien de ce qui se passait au corps d'armée de Charles, car ils en étaient assez loin.

 La rivière et la ville de la Roche-Derrien les séparaient, et ils attendaient toujours de pied ferme, Thomas d'Agworth qui devait, croyaient-ils, attaquer de leur côté.

A cause de cela, le duc leur avait recommandé de ne quitter à aucun prix le lieu où il les avait postés, en leur disant :

« Si Thomas d'Agworth vient par devers nous, nous pourrons bien en venir à bout sans l'aide de personne ; mais s'il vient par devers vous, à peine pourrez-vous lui résister sans aide. »

Pendant que combattaient le duc, le vicomte et plusieurs autres Bretons bretonnants qui étaient avec eux, Charles ne sut rien de la bataille des siens et de ceux qui étaient sortis du château et de la ville de la Roche-Derrien, jusqu'à ce qu'il y eut beaucoup de soldats de son parti renversés.

Les gens de la ville donnèrent haches et armes aux Anglais qui avaient été deux fois déconfits, avec lesquelles haches et armes ceux-ci tuèrent plus de la moitié de l'armée bretonne.

Ce fut un désastre. Quatre mille hommes sur quinze mille succombèrent.

Parmi les barons, moururent : Raoul, sire de Montfort etde Gaël; Guy de Laval ;  Guillaume de Rieux ; Jean, seigneur de Machecoul ; Geoffroy de Rosdranen ; Alain vicomte de Rohan, l'un des plus riches hommes de la Bretagne ; le seigneur Jean comte de Quintin, Guillaume son fils; Jean son autre fils eut le nez coupé ; Péan de la Roche-Bernard, dit de Lohéac ; Raoul de la Roche ; Charles et Yvon de la Jaille ; Thibaut, seigneur de Boisboissel ; Geoffroy de Botloy, capitaine de Gingamp ; le sire de Chateaubriand ; Geoffroi de Tournemine, capitaine de Guingamp, dixième seigneur de la Hunaudaye ; le seigneur de la Vauguyon et beaucoup d'autres barons furent morts, et les autres pris. Mais il y eut plus de tués que de prisonniers.

Il advint, à l'aube du jour environ, après que la bataille eut duré le quart de la nuit, et que pendant tout ce temps, le duc eut constamment combattu, qu'il sut que ses barons ou chevaliers étaient pour la plupart morts ou pris.

Alors Charles commença à faire retraite et se retira jusqu'à la Montagne des Mesiaux, qui était loin de la place où le combat avait commencé.

Charles avait à dos un moulin à vent, et il était toujours poursuivi de gens qui le combattaient, car ils pensaient bien que c'était le duc.

Ils le lui demandèrent, et il le nia, croyant leur échapper.

Finalement, les ennemis surent que c'était lui, et lui crièrent de se rendre. Charles répondit que jamais il ne se rendrait à un Anglais, qu'il aimait mieux mourir. Il était à ce moment, atteint de sept blessures, dont plusieurs très-graves.

Alors survint un chevalier, nommé Bernard Du Chastel qui dit au duc de se rendre à lui. Charles lui demanda son nom, le chevalier se fit connaître, et le duc se rendit.

Quand ceux de ses gens qui s'étaient échappés surent que leur seigneur était pris, ils s'en allèrent désespérés.

 

Nous avons traduit mot à mot, sur le siège de la Roche-Derrien, le récit des Grandes Chroniques.

La version de Froissart en diffère sur quelques points : La comtesse de Montfort, dit-il, charge Thomas de Dagworth, Jean de Hartsel et Tannegui du Châtel de marcher au secours des assiégés à la tête de 1,000 armures de fer et de 8,000 hommes de pied.

Une première rencontre entre l'armée de Charles de Blois et la moitié des forces de Dagworth a lieu au milieu de la nuit. Thomas Dagworth y est grièvement blessé et fait prisonnier.

Au moment où Jean de Hartsel, Tannegui du Châtel et le reste des Anglo-Bretons se préparent à effectuer leur retraite, Garnier, sire de Cadoudal, arrive avec un renfort de 100 armures de fer, et les décide à recommencer le combat.

L'armée de Charles de Blois est surprise endormie, et taillée en pièces.

Quelques temps après, les Bretons du parti de Charles de Blois, soutenus par des troupes françaises et génoises, aux ordres du sire de Craon et d'Antoine d'Avré, assaillirent vigoureusement la Roche-Derrien et s'en rendirent maîtres après une furieuse résistance (1).

Mais ce succès ne put contrebalancer la prise de Charles de Blois et les nombreux échecs de ses partisans.

De tous côtés, on le voit, la fortune de la guerre avait trahi les Français.

Dans le Midi, battus à Bergerac par le comte de Derby, ils avaient vu après une foule de désastres, leur armée anéantie devant Auberoche, et son chef, le comte de Lille-en-Jourdain, prisonnier avec la plupart des seigneurs qui l'accompagnaient.

Le duc de Normandie, arrivé au secours des Gascons français, avait échoué devant Aiguillon. A son départ, le comte de Derby avait repris les villes et châteaux dont le prince s'était rendu maître, et avait étendu fort loin ses conquêtes.

En Bretagne, la Roche-Derrien s'était rendue aux Anglais. L'armée de Charles de Blois avait été écrasée devant cette place, et ce prince lui-même avait été pris.

Les nobles du diocèse de Tréguier et les hommes du peuple, capables de porter les armes, exaspérés par les méfaits des Anglais et aidés par un secours que leur envoya le roi de France, sous la conduite du seigneur Pierre de Craon et d'Antoine Doria rejoints par du Guesclin et ses compagnons, chassèrent les Anglais de Tréguier et reprirent la Roche-Derrien deux mois après la bataille où Charles de Blois y avait perdu la liberté. (août 1347)

 

Enfin, Edouard débarque en Normandie, avait dévasté cette province, battu et pris à Caen les lieutenants de Philippe, poussé ses ravages jusqu'aux portes de Paris.

Puis continuant sa marche et suivant-partout le pays, il avait forcé le passage de la Somme, mis en fuite Godemar du Fay, et enfin remporté sur son rival la victoire de Crécy, si désastreuse pour Philippe de France.

La France était entamée de trois côtés.

 Au nord par la prise de Calais qui assurait aux Anglais un pied dans notre pays ; dans le midi et dans l'ouest, par les conquêtes que le comte de Derby poussa jusqu'en Poitou ; enfin dans la Bretagne, l'avantage demeurait à Jean de Montfort et à ses alliés, et là comme à Calais, comme en Aquitaine, les Anglais pouvaient débarquer leurs armées.

L'indiscipline des Français, leur imprudence, leur funeste habitude de ne point se garder, cause principale, sinon la seule des désastres identiques d'Auberoche et de la Roche-Derrien, étaient pour beaucoup dans le succès de leurs ennemis.

Quoi qu'il en fût, la supériorité était à ce moment acquise à l'armée anglaise. Sa confiance devint extrême.

Au mois d'août 1350, un petit succès en Bretagne vint, au dire des Grandes Chroniques, relever le courage ébranlé des partisans de Charles de Blois. 120 hommes d'armes franco-bretons attaquèrent sir Thomas Dagworth, le battirent et le tuèrent, ainsi que 100 hommes d'armes environ qu'il commandait.

Le 23 août 1350, Philippe de Valois mourut à Nogent-le-Roi.

Enfermé dans la Tour de Londres, Charles de Blois ne fut libéré qu'au terme du traité du 1er mars 1353.

 Ce traité prévoyait le mariage de son fils jean avec Margaret fille du roi d'Angleterre Edouard III. Puis la rançon du duc fut fixée à 700 000 florins le 9 août 1356.

Pour réunir cette somme Charles dut contracter de nombreux emprunts qu'il remboursa en partie grâce aux profits de sa monnaie.

 

1347, 18 juin. Epitaphe de Guy X (Bourjolly, l, 240).

Cy dessoubs gist noble et puissant seigneur Guy, sire de Laval et de Vitré, qui trépassa à la bataille de la Roche-Derrien, le XVIII de juin MCCCXLVII. Priez Dieu pour luy.

 

Le château de la Roche Derrien appartint ensuite à du Guesclin, à qui Charles de Blois le donna après la levée du siége de Rennes.

Le duc de Bretagne reprit cette place en 1394, et en fit démolir le château, dont il ne reste plus que quelques vestiges.

 

 

Guerres des Français et des Anglais, du XIe au XVe siècle. Tome 1  par M. J. Lachauvelaye

 

 

 

 

 


 

(1) Ces épisodes de la guerre de Bretagne, sont entièrement empruntés aux Grandes Chroniques.

 

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